Période précolombienne : la civilisation maya
La civilisation maya est apparue environ 1 000 ans avant l'ère chrétienne. Elle s'est développée dans presque tout le Guatemala. Toutefois, la plupart des villes de l'époque classique de la région de Petén, située dans les plaines du nord, furent abandonnées vers l'an 1 000 après Jésus-Christ. En revanche, les États installés dans les plateaux du centre du pays continuèrent à prospérer jusqu'à l'arrivée des Espagnols. Les troupes espagnoles menées par Pedro de Alvarado détruisirent et soumirent brutalement ces États entre 1523 et 1524, grâce à leur supériorité technologique et aux antagonismes entre royaumes mayas des Hautes-Terres du Guatemala ; protégé par son relatif isolement dans la jungle du Petén, le dernier État maya, le royaume itzá de Tayasal, ne succomba aux Espagnols qu'après la deuxième guerre du Tayasal, en 1697.
Les indigènes qui habitaient les hautes terres du Guatemala, comme par exemple les Cakchiquel, les Mam, les Quiché et les Tzutujil constituent encore une part importante de la population nationale.
Période coloniale : la Nouvelle-Espagne
Les Espagnols conquirent toute l'Amérique centrale, et placèrent la majeure partie de l'actuel Guatemala sous la dépendance de la Capitainerie générale du Guatemala, au sein de la Nouvelle-Espagne.
En 1524, Pedro de Alvarado fonda Santiago de los Caballeros, aujourd'hui nommée Ciudad Vieja (littéralement la Vielle ville). Santiago de los Caballeros - qui devint la première des trois capitales que connaîtra le Guatemala - fut détruite par des inondations et un tremblement de terre en 1542.
Les survivants fondèrent, en 1543, une nouvelle ville qu'ils nomment Guatemala et qui porte aujourd'hui le nom d'Antigua. Elle devint l'une des capitales les plus riches du continent au XVIIe siècle. Elle fut à plusieurs reprises frappée par des éruptions volcaniques, inondations et tremblements de terre. Deux de ceux-ci détruisirent la ville en 1773. Certaines ruines datant d'avant la destruction sont conservées et sont aujourd'hui considérées comme des monuments nationaux.
En 1776, Matías de Gálvez y Gallardo, le président de l'Audiencia ordonna d’abandonner Antigua, la jugeant trop dangereuse, et fit construire la troisième et actuelle capitale du Guatemala : Ciudad de Guatemala.
L'indépendance et le XIXe siècle
Le Guatemala devient indépendant le 15 septembre 1821. Le Guatemala fit partie de l'empire du Mexique pendant quelque temps puis intégra les Provinces unies d'Amérique centrale. Celles-ci sont démantelées à l'issue de la guerre civile de 1838-1840. Rafael Carrera est l'un des personnages-clé de la révolution contre le gouvernement fédéral et du morcellement du pays. Soutenu par les conservateurs, les grands propriétaires fonciers et l'Église, celui-ci demeure dictateur du Guatemala de 1844 jusqu'à sa mort en 1865.
La Révolution libérale se produisit en 1871. Elle fut menée par Justo Rufino Barrios qui œuvra à la modernisation du pays, à l'amélioration du commerce et introduisit de nouvelles cultures et industries. Barrios voulait réunir les pays d'Amérique centrale et engagea des guerres pour tenter d'atteindre son but. Il échoua et fut tué à la bataille de Chalchuapa le 2 avril 1885.
Dès 1880, une société de Boston (la Boston Fruit Company) démontre un intérêt pour les terres chaudes du Guatemala. La future United Fruit Company débute ainsi son intégration, qui s'étendra jusqu'à assurer une mainmise des États-Unis sur l'économie des pays d'Amérique latine. Quelque temps après, cette dernière achète l'ensemble des réseaux de chemins de fer du pays ainsi que le principal port, situé à Puerto Barrios. Durant près d'un siècle, nombre de dictateurs se succèdent et assureront l'intégrité incontestée du monopole américain sur le pays.
Le début du XXe siècle
Au début du XXe siècle, durant les longs mandats de Manuel José Estrada Cabrera et du général Jorge Ubico, la multinationale, United Fruit Company (UFC), basée aux États-Unis poursuivit son contrôle de l'économie guatemaltèque. En effet, dans les années 1930, durant la dictature de Jorge Ubico, le pays s'ouvrit encore davantage aux investissements étrangers. Ubico accorda même des privilèges à United Fruit Company qui investit dans le pays, en achetant des parts dans le chemin de fer, l'électricité, le télégraphe et 40 % des meilleures terres du Guatemala. L'entreprise contrôla aussi de fait la seule infrastructure portuaire du pays. En conséquence, le gouvernement adopta souvent une position soumise face à la United Fruit Company (UFC). Certes, l'UFC construisit quelques écoles, mais elle s'opposa aussi à la construction de peur de voir un concurrent à son monopole dans le chemin de fer.
Les « dix ans de printemps » (1944-1954)
Le renversement du dictateur Jorge Ubico en 1944 marque le début de dix années de démocratie, connus sous le nom de « dix ans de printemps ». En 1945, Juan José Arévalo, chef du parti ayant renversé le dictateur, est élu président du Guatemala. Il instaure une nouvelle ère d'investissements sociaux, adopte un nouveau code du travail et rend le droit de grève légal. Jacobo Arbenz lui succède en 1951 avec une large majorité de voix. Il lance plusieurs programmes de santé, d'alphabétisation et fait adopter le Décret 900, ou la loi de la réforme agraire, qui oblige les riches propriétaires fonciers à payer des impôts. Celle-ci, qui force la United Fruit Company à céder une partie importante de ses terres en friche (ou inutilisées) aux paysans, a un effet foudroyant aux États-Unis.1
Opération PBSUCCESS (1954)
Les États-Unis lancent alors en 1953 l'opération PBSUCCES, une opération secrète organisée par la CIA pour renverser le président du Guatemala Jacobo Arbenz Guzmán, démocratiquement élu. Le gouvernement d’Arbenz projetait des nouvelles réformes que les services de renseignement des États-Unis jugeaient de nature communiste. La CIA et l’administration Eisenhower craignaient l’instauration d’une tête de pont soviétique de l’ouest, dans le contexte du maccarthysme intensément anti-communiste de l’époque. Arbenz a été l’instigateur d'une réforme agraire menaçant notamment la multinationale américaine United Fruit Company, dont Allen Dulles (directeur de la CIA de 1953 à 1961) était actionnaire, qui avait de gros intérêts au Guatemala et faisait pression à des niveaux variés du gouvernement américain pour une action contre Arbenz en réplique à son expropriation.2
L’opération avait pour objectif d’armer et former une « Liberation Army » de circonstance d’environ 400 combattants, sous les commandes d’un officier de l’armée guatémaltèque exilé de l’époque, le colonel Carlos Castillo Armas. La CIA prévoyait d'engager le « mouvement révolutionnaire » conjointement avec une campagne diplomatique, économique et de propagande.
Le 18 juin 1954, le lieutenant-colonel Carlos Castillo Armas lance son offensive au Guatemala à la tête de 400 rebelles, aidé par des mercenaires entraînés au Honduras et au Nicaragua par la CIA, et « soutenus par des avions de combat américains pilotés par des Américains ». Le plan prévoit d'attaquer des cibles près de la frontière de façon à faire croire à une large offensive ; les rebelles sont supposés éviter l'armée pour que celle-ci ne réplique pas ; une propagande radiophonique s'efforce de retourner la population. L'échec est rapide : les rebelles, lourdement équipés, mettent plusieurs jours à atteindre leurs objectifs. Constitués de troupes indisciplinées et de faible valeur, ils sont facilement mis en déroute quand ils rencontrent une résistance. Cependant le président craint que la déroute des rebelles débouche sur une invasion directe des États-Unis et ordonne à l'armée de laisser les rebelles avancer. La peur d'une intervention américaine conduit une garnison à se rendre aux forces rebelles décimées. Le président décide de démissionner le 27 juin.
Les jours suivant, plusieurs juntes se succèdent jusqu'à ce qu'Armas prenne la tête du pays. Il se montrera gravement incompétent pour diriger le pays. L'action américaine est vivement critiquée dans la presse étrangère. La CIA envoie une équipe au Guatemala pour établir l'affiliation du régime du Guatemala à l'Union soviétique. Malgré des recherches profondes, aucun lien ne peut être établi. Noam Chomsky commentait ainsi l'intervention américaine dans une conférence prononcée en 1985 : « [...] nous nous sommes arrangés pour interrompre, en 1954, une expérience démocratique. Il s'agissait pourtant d'un régime réformiste, capitaliste et démocratique, du type new deal, que notre intervention a permis d'éliminer, laissant à sa place un véritable enfer sur terre, probablement le régime de la période contemporaine le plus proche de l'Allemagne nazie. »3
La guerre civile (1960-1996)
Castillo fut assassiné en 1958 et remplacé par le général Ydígoras Fuentes. Quelques sous-officiers se rebellèrent en 1960, mais leur tentative échoua. Certains d'entre eux partirent alors se cacher dans la forêt en établissant des contacts avec Cuba. Ce groupe de militaires forma le noyau de la guérilla qui s'opposa au gouvernement central jusqu'aux accords de 1996.
Quatre principaux groupes de guérilla d'extrême-gauche — l'« Armée des pauvres » (Ejército Guerillero de los Pobres (EGP)), l'« Organisation révolutionnaire du peuple armé » (ORPA), les « Forces armées rebelles » (FAR) et le « Parti guatémaltèque du travail » (PGT) — organisèrent de nombreux actes de sabotage économique en attaquant diverses installations gouvernementales ainsi que des membres de la force de sécurité du gouvernement lors d'attaques armées. Ces organisations s'unirent en 1982 pour former l'« Union révolutionnaire nationale guatémaltèque ». Victimes de répression violente de la part de groupes d'extrême-droite, tels l'« Armée secrète anti-communiste » (ESA) et la « Main Blanche », qui torturaient étudiants, professionnels ou paysans soupçonnés de s'impliquer dans des activités dites de gauche, les membres de la résistance devinrent de plus en plus nombreux. Dès 1981, les assauts de l'armée sur les villages soupçonnés de soutenir la guérilla commencent à se généraliser, partout au pays.
Peu de temps après la prise du pouvoir, en 1966, du président Julio César Méndez Montenegro, l'armée lança une campagne militaire majeure contre les insurgés, qui brisa le mouvement guérillero en factions isolées principalement en campagne. Les attaques de la guérilla se concentrèrent dès lors sur la capitale, Guatemala, où les rebelles assassinèrent de nombreuses figures importantes, tels l'ambassadeur des États-Unis John Gordon Mein en 1968. Entre 1966 et 1982 se succédèrent une série de gouvernements militaristes au Guatemala.
Les années Ríos Montt
Le 23 mars 1982, des troupes armées commandées par de jeunes officiers fomentèrent un coup d'État pour prévenir la prise de pouvoir par le général Ángel Aníbal Guevara, le choix du président sortant Fernando Romeo Lucas García. Ils dénoncèrent l'élection de Guevara. Ces mêmes officiers demandèrent au général à la retraite Efraín Ríos Montt de prendre la place laissée par Guevara à la présidence du pays. Alors pasteur de la Church of the Word, il déclara, lors de son inauguration, que sa présidence était le résultat du vœu de Dieu. Il forma, peu de temps après sa prise du pouvoir, une junte militaire à trois membres qui annula la constitution de 1965, il fit dissoudre le Congrès, suspendit les partis politiques et annula la loi électorale. Après quelques mois, il abandonna l'idée de dictature à trois membres et devint dictateur unique du Guatemala. Il mit en place les Patrullas de Autodefensa Civil (PAC), ou « patrouilles d'autodéfense civiles », miliciens recrutés de force par l'armée et ayant pour objectif d'éradiquer la guérilla. Il comptait porter le coup de grâce à cette dernière à l'aide d'actions militaires et économiques, de ses propres mots, à l'aide de « fusils et haricots ».
En mai 1982, la Conférence des cardinaux catholiques accuse Ríos Montt de la responsabilité de la militarisation croissante du pays et pour le massacre constant de populations civiles. Le 18 juillet 1982, le New York Times cite Ríos Montt lors d'un discours devant des guatémaltèques mayas : « Si vous êtes avec nous, nous vous nourrirons ; sinon, nous vous tuerons. » Le massacre de Plan de Sánchez, qui fera, selon les sources, entre 100 et 268 victimes civiles, survint le même jour ; il était suivi, quelques mois plus tard, par le massacre de Dos Erres du 6 décembre 1982, effectué par les forces spéciales Kaibiles. À la suite de la disparition de 250 personnes dans ce village, commise dans le cadre d'une politique de la terre brûlée, des officiels américains s'étant rendus sur place conclurent (dans des documents alors classifiés) que seule l'armée guatémaltèque avait pu faire disparaître ce village.
La présidence de Ríos Montt fut probablement la plus sanglante des 36 ans de guerre civile que connut le pays, qui résulta en plus de 200 000 morts, majoritairement des civils mayas. La Commission pour l'éclaircissement historique estime que près de 93 % des violations aux droits humains furent commises par le gouvernement, tandis que l'Office des Cardinaux pour les droits humains estime ce taux à 80 %.
Le 8 août 1983, Ríos Montt fut trompé par son ministre de la Défense, le général Óscar Humberto Mejía Victores, qui lui succéda comme président-dictateur du Guatemala. Sept personnes furent tuées durant le coup d'État tandis que Ríos Montt survécut pour fonder un nouveau parti politique, le Frente Republicano Guatemalteco (FRG), Front républicain guatémaltèque et fut élu président du Congrès en 1995 et 2000.
Le général Mejía permit un retour progressif de la démocratie au Guatemala, avec une élection le 1er juillet 1984 pour une Assemblée constituante devant établir une constitution démocratique. Le 30 mai 1985, après près de neuf mois de débat, l'Assemblée constituante finit par rédiger une constitution, qui fut adoptée immédiatement par le gouvernement. Vinicio Cerezo, un politicien civil et le candidat du Parti démocratique chrétien, devint président le 14 janvier 1986 avec près de 70 % des votes. La guerre civile du Guatemala ne s'acheva qu'en 1996, l'année où fut signé l'accord de paix.4
Le lourd bilan de la guerre
Le nombre de victimes au cours de la « guerre civile » au Guatemala (1960-1996) dépasse le nombre total des victimes de tous les conflits en Amérique latine au cours du XXe siècle. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les massacres systématiques ont pris une telle ampleur que les Nations unies ont dû reconnaître le caractère génocidaire de la stratégie contre-insurrectionnelle de l’armée. Le Rapport de la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH) publié en 1999 avec l’appui moral, politique et financier des Nations unies qualifie explicitement les massacres des populations mayas d’actes de génocide, 200 000 morts et 40 000 disparus. Plus d’un million de personnes ont été réfugiées, déplacées ou se sont exilées, soit environ 10 % de la population à cette époque. 669 massacres ont été commis (dont 626 par l’État, 32 par les insurgés, 11 non documentés). 400 villages rayés de la carte. Parmi les victimes la population maya représente 83,3 %, la population métis : 16,51 %, les autres : 0,16 %.
Cependant ces actes de génocide sont restés quasiment impunis et demeurent entourés de l’assourdissant silence des « démocraties occidentales » bien relayé par la plupart des médias. Nul doute que si ces crimes étaient portés devant un Tribunal pénal international, il apparaîtrait alors que de nombreux pays démocratiques ou non ont apporté leur concours aux généraux criminels qui se sont succédé pendant plus de 40 ans à la tête du pays. La France s’est d’abord illustrée dans les années 1960-70 en exportant les méthodes employées par l’armée française en Algérie, puis les États-Unis ont pris le relais dans les années 1970-80 jusqu’à ce que le congrès interdise toute aide militaire au Guatemala en raison des violations massives des droits humains, ce qui n’a pas empêché le président Reagan de continuer, de façon clandestine, à conseiller et à livrer des armes à la junte militaire en comptant, par ailleurs, sur la précieuse expérience des conseillers militaires argentins, israéliens, uruguayens et taïwanais.5
Transition démocratique et retour à la paix civile
À son inauguration en janvier 1986, le gouvernement civil du président Cerezo annonça que ses priorités seraient de mettre fin à la violence politique et d'établir un règne de la loi au pays. Les réformes comprenaient de nouvelles lois sur le habeas corpus et l’amparo (protection ordonnée par la Cour), la création d'un comité législatif sur les droits humains et l'établissement, dès 1987, de l'Office de l'ombudsman pour les droits humains. La Cour Suprême adopta également une série de réformes pour éliminer la corruption et améliorer l'efficacité du système judiciaire.
Avec l'élection de Cerezo, l'armée s'éloigna de la gouvernance pour retourner à son rôle plus traditionnel de maintien de la sécurité interne, plus spécifiquement en attaquant des groupes d'insurgés. Les premiers deux ans de l'administration Cerezo furent caractérisés par une stabilité économique et une baisse significative de la violence politique. Certains militaires insatisfaits tentèrent deux coups d'État en mai 1988 et 1989, sans succès, les dirigeants militaires préférant supporter l'ordre constitutionnel. Le gouvernement fut sévèrement critiqué pour son manque de volonté lors d'enquêtes concernant des cas de violation de droits humains. Les deux dernières années du gouvernement Cerezo furent, quant à elles, marquées par une économie défaillante, de nombreuses grèves et manifestations, sans compter de nombreuses allégations de corruption généralisée. L'incapacité du gouvernement à répondre aux nombreux problèmes d'ordre national (mortalité infantile, analphabétisme, système de santé et services sociaux déficients, violence grandissante, etc.) contribuèrent au mécontentement populaire.
Des élections présidentielle et législatives furent appelées pour le 11 novembre 1990. Jorge Antonio Serrano Elías fut élu président et officiellement nommé le 14 janvier 1991, complétant de ce fait la première transition depuis un citoyen élu démocratiquement à un autre. Son parti, le Mouvement d'action solidaire (MAS) n'ayant obtenu que 18 des 116 sièges du Congrès guatémaltèque, Serrano dut établir une alliance avec les démocrates chrétiens et l'Union nationale du Centre (UNC).
Le bilan de l'administration Serrano fut plutôt décevant. Elle eut du succès dans la consolidation du pouvoir militaire aux mains des civils, remplaçant de nombreux officiers expérimentés tout en persuadant l'armée à participer aux négociations de paix avec l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (UNRG). Serrano entreprit de reconnaître, malgré les critiques, la souveraineté du Belize. Le gouvernement réussit à renverser la tendance négative de l'économie, réduisant l'inflation et engrangeant une croissance réelle.
Coup d'État de 1993
Le 25 mai 1993, Serrano fit dissoudre illégalement le Congrès et la Cour Suprême et tenta de restreindre les libertés civiles, disant vouloir éliminer la corruption. Cette tentative d'établissement d'une dictature fit face à un peuple guatémaltèque uni contre ces mesures, à de nombreuses pressions de la communauté internationale et à l'éventualité d'une intervention de l'armée guatémaltèque, qui reconnaissait la décision de la Cour constitutionnelle, qui vota contre la tentative de coup d'État. Face à ces pressions, Serrano s'exila du pays.
Le 5 juin 1993, le Congrès, suivant les règles de la Constitution de 1985, élit Ramiro de León Carpio, alors Ombudsman des droits humains, pour terminer la session présidentielle de Serrano. De León n'était membre d'aucun parti politique ; malgré ses bases politiques plutôt restreintes, il put s'appuyer sur un fort soutien de la part de la population. Il lança un ambitieux programme d'élimination de la corruption afin de "purifier" le Congrès et la Cour Suprême, demandant la démission de tous les membres des deux entités.
Malgré une résistance considérable de la part du Congrès, la pression populaire et présidentielle mena en novembre 1993 à un accord entre l'administration et le Congrès, où l'Église catholique romaine servit de médiateur. Le 30 janvier 1994, un référendum populaire approuva l'ensemble des réformes constitutionnelles. En août 1994, un nouveau Congrès fut élu afin de compléter la session en cours. Contrôlé par des partis anti-corruption (le Front républicain guatémaltèque dirigé par le général Ríos Montt et le Parti de l'avancement national (PAN), de centre-droit), le nouveau Congrès s'éloigna peu à peu de la corruption ayant caractérisé son passé.
Sous de Léon, les négociations de paix reprirent, maintenant supervisées par les Nations unies. Le gouvernement et l'UNRG signèrent des accords sur les droits humains (mars 1994), la réhabilitation de personnes déplacées (juin 1994), la clarification historique (juin 1994) et les droits autochtones (mars 1995). Ils firent aussi des avancées considérables sur l'accord socioéconomique et agraire.
Des élections nationales présidentielle, législatives et municipales eurent lieu en novembre 1995. Avec près de 20 partis s'opposant au premier tour, l'élection présidentielle se transforma le 7 janvier 1996 en course dans laquelle le candidat du PAN (Álvaro Arzú Irigoyen) défit Alfonso Portillo Cabrera du FRG par un mince 2 % du vote. Arzú gagna grâce à sa popularité dans la capitale Guatemala, où il fut maire, et dans toute la zone urbaine environnante. Portillo gagna l'ensemble des départements ruraux, excepté le Petén.
Sous Arzú, les négociations de paix furent complétées et le gouvernement signa les accords de paix en décembre 1996, mettant fin à trente-six ans de guerre civile. La situation des droits humains s'améliora également, et des étapes furent franchies afin de réduire l'influence de l'armée dans les affaires nationales.
La difficile normalisation politique
Le Guatemala eut de nouvelles élections présidentielle, législatives et municipales le 7 novembre 1999 et une course à l'élection présidentielle le 26 décembre de la même année. Au premier tour, le FRG acquit 63 des 113 sièges législatifs, tandis que le PAN en récolta 37. L'Alliance de la nouvelle nation (ANN) gagna 9 de ces sièges, et trois partis minoritaires récoltèrent les quatre sièges restants. Dans la course du 26 décembre, Alfonso Portillo du FRG récolta 68 % du vote contre 32 % pour son adversaire du PAN, Óscar Berger. Portillo gagna l'ensemble des 22 départements et la capitale, auparavant considérée comme un château-fort du PAN.
Portillo fut critiqué durant la campagne pour ses liens avec le dirigeant du FRG, Ríos Montt. Plusieurs analystes accusent ce dernier d'avoir commis, durant son règne, les pires violations aux droits humains de la guerre civile. Néanmoins, la victoire éclatante de Portillo, récoltant près des deux-tiers du vote au second tour, lui donna la crédibilité pour établir son programme de réforme.
Le président Portillo s'arrangea pour conserver des liens forts avec les États-Unis tout en améliorant la coopération du pays avec le Mexique, en travaillant activement dans le processus d'intégration du pays à l'Amérique centrale et à l'hémisphère ouest. Il supporta également la libéralisation continuelle de l'économie, l'augmentation du capital humain et l'infrastructure, l'établissement d'une banque centrale. Il s'adonna aussi à un renforcement de la perception des taxes au pays au lieu d'opter pour une augmentation. Il promit également de continuer le processus de paix, de nommer un ministre de la défense parmi la population civile, de réformer les forces armées, de remplacer le service sécurité présidentiel militaire par un qui soit civil et d'affermir la protection des droits humains. Il nomma un cabinet pluraliste, qui incluait autochtones et gens non affiliés au FRG.6
« Mais le gouvernement est incapable de lutter contre la délinquance (notamment celle des maras, gangs de jeunes spécialisés dans le trafic de drogue, le racket, le cambriolage et la prostitution), et la criminalité (une des plus fortes d'Amérique latine) qui pousse la population à émigrer. »7
Faisant face à un taux de criminalité très élevé, à des problèmes de corruption publique, à une intimidation constante dirigée envers des activistes pour les droits humains, des juristes, des journalistes et des témoins des tribunaux, le gouvernement débuta pour la première fois, en 2001, des tentatives de réconciliation nationale afin de trouver des solutions à ces problèmes récurrents.
En juillet 2003, de nombreuses manifestations déambulèrent dans la capitale, forçant la fermeture de l'Ambassade des États-Unis alors que les partisans de Ríos Montt demandaient son retour au pouvoir. Ils demandaient, entre autres, que soit abolie l'interdiction imposée par le gouvernement, qui empêchait ce dernier de se présenter en tant que candidat présidentiel aux élections de 2003. Les manifestants reçurent un repas gratuit de la part du Front révolutionnaire du Guatemala en échange de leur participation.
Le 9 novembre 2003, Óscar Berger, l'ancien maire de Guatemala Ciudad, gagne l'élection présidentielle avec près de 38,8 % des voix, contre près de 11 % pour l'ex-dictateur Ríos Montt, qui termina troisième après Álvaro Colom, candidat du centre-gauche.8
« L'absence de majorité au Parlement (22 députés sur 158) empêche le nouveau président de mener une politique de réforme. En dépit de la participation de R. Menchú au gouvernement, les discriminations raciales s'amplifient, tandis que la corruption, l'impunité et les armes en libre circulation stimulent la recrudescence des violences (dont sont victimes un nombre croissant de femmes : 2 900 d'entre elles assassinées entre 2002 et 2007 selon Amnesty International). Le pays demeure dans une extrême pauvreté. »9
Un pays aux mains des multinationales
Pays le plus peuplé d’Amérique centrale, le Guatemala a élu le 6 novembre 2011 à la présidence de la République, Otto Pérez Molina, général à la retraite et dirigeant du Parti patriote. Il prend ses fonctions le 14 janvier 2012 dans un pays en proie à la violence des gangs et des narcotrafiquants, aux assassinats de leaders paysans et de syndicalistes et où le taux de résolution de ces crimes ne dépasse pas les 3%. L’impunité y règne en maître, tout comme la discrimination à l’encontre des descendants des populations autochtones mayas, qui représentent pourtant 60 % de la population guatémaltèque.
Otto Pérez Molina est tenu pour responsable de massacres de communautés mayas au début des années 1980, au plus fort de la répression militaire d’un conflit armé qui a provoqué la mort de plus de 200 000 personnes, et de disparitions forcées lorsqu’il était à la tête des services de renseignements dans les années 1990. Il a promis de diriger le pays d’une main de fer, mano dura.
La question sur les cibles d’un tel slogan électoral se pose légitimement. Les militants des organisations luttant pour la justice et la reconnaissance du génocide de la population maya mené il y a trente ans, s’inquiètent notamment des suites qui seront données aux procès qui venaient tout juste de s’ouvrir à l’encontre de certains responsables militaires. Au sein des populations témoins des exactions d’une sauvagerie sans nom, qui ont été commises par les forces armées - pillages, viols, exécutions en masse de vieillards, de femmes, d’enfants, de nourrissons, villages entiers rayés de la carte -, le retour au pouvoir des militaires est fortement redouté.
Anciennement surnommée « République bananière » par les États-Unis, notamment lorsque la compagnie américaine United Fruit contrôlait les terres et le marché de la banane, les pratiques qui permettaient l’usage de ce sobriquet péjoratif court toujours. Le crime organisé, comme les multinationales, profite largement des failles d’un système politique, économique et juridique au service des grands propriétaires, des hommes politiques corrompus et des cartels de la drogue. Pour cette oligarchie de facto, la présence militaire rassure voire, assure la poursuite de leurs activités.
La discrète multinationale franco-britannique Perenco n’a d’ailleurs pas attendu les résultats de cette élection pour prendre appui sur les forces armées. La compagnie exploite le pétrole du Guatemala depuis 2001 et a obtenu la reconduction de son contrat pétrolier à l’été 2010. Mais dans le pays de l’éternelle injustice, il est des communautés qui résistent encore. C’est le cas des habitants de la Laguna del Tigre qui vivent au milieu des puits de Perenco.
La région est l’une des dernières frontières agricoles pour les populations sans terre de l’Altiplano, contraintes à l’exode par les monocultures de café, de sucre et d’agrocombustibles. La Laguna del Tigre, située dans le département du Péten, abrite la zone humide la plus importante de Mésoamérique. Région frontalière avec le Mexique, sa richesse est telle qu’elle a été déclarée zone naturelle protégée par le Guatemala en 1989 et par la convention Ramsar sur les zones humides d’importance internationale depuis 1990.
Mais les implications de ce statut s’appliquent en deux poids, deux mesures : les communautés paysannes se font expulser manu militari alors même que les narcotrafiquants se sont vu légaliser la propriété sur leurs terres et que Perenco a pu reconduire son contrat d’exploitation pour quinze années supplémentaires. De plus, les installations pétrolières de cette dernière bénéficient de la protection du « Bataillon vert », créé spécifiquement par le gouvernement guatémaltèque en septembre 2010 et composé de militaires chargés de la « protection de l’environnement » et des frontières de la région. Le rapport du Collectif Guatemala, - « Perenco, exploiter coûte que coûte » - révèle que la multinationale a financé l’État guatémaltèque à hauteur de 3 millions de dollars en 2011 pour la création de ce Bataillon vert et reverse 0,30 dollar par baril produit pour son fonctionnement. La dénomination de ce contingent pourrait faire sourire si le passif des forces armées au Guatemala n’avait pas été aussi brutal dans l’application des théories militaires dites de « contre-insurrection » et d’« endiguement » des idées, mouvements et populations jugées révolutionnaires ou subversives.
La France, qui sait solliciter et recevoir les bonnes œuvres de Perenco, notamment lorsque celle-ci parraine une exposition à Paris au musée du Quai-Branly (« Maya : de l’aube au crépuscule, collections nationales du Guatemala », juin-octobre 2011) devrait aussi jouer un rôle dans le contrôle et la responsabilisation de ses entreprises à l’étranger, lorsque celles-ci n’appliquent pas les règles de conduite éthique et environnementale sous les tropiques qu’elles seraient obligées d’appliquer au Nord. Il est de notre devoir de ne pas nous ranger du côté de l’oligarchie guatémaltèque qui domine depuis des siècles une population à majorité autochtone et paysanne qui n’a que trop souffert du vol et du pillage de ses terres, de ses ressources naturelles et culturelles, de la répression militaire, de l’impunité, des discriminations et de l’accaparement des richesses du pays par quelques-uns.10
Pauvreté et violence, les plaies à combattre
Le Guatemala a subi une série de catastrophes climatiques qui a détruit nombre d'infrastructures et aggravé une pauvreté déjà importante. Afin de lutter contre la violence des gangs, le président Otto Pérez Molina a ouvert un débat sur la dépénalisation de la drogue.
D'une manière générale, 54% des Guatémaltèques vivent sous le seuil de la pauvreté en 2012, ce taux atteignant 80 % pour les populations indigènes (42% étant d’origine maya).
Les premiers à être victimes de la précarité économique sont les enfants. 11,3 million d‘entre eux souffrent de malnutrition chronique, soit 49,3 % de la classe d’âge, indique l’Unicef.
Une nature pernicieuse
Une partie des problèmes qui affaiblissent le pays sont liés à une nature hostile. Le Guatemala, touché par le réchauffement climatique, connaît une profusion de catastrophes : éruptions volcaniques, tornades et glissements de terrain, qui mettent à mal des infrastructures vitales.
Les indigènes attendent des gestes pertinents
Le président conservateur élu en novembre 2011, Otto Pérez Molina, entend restaurer les finances du pays et lutter contre la pauvreté. Pour ce faire, il compte sur l’application d’une des dispositions des accords de paix signés en 1996, au terme de 36 ans de guerre civile : le fait que la justice sociale et la reconnaissance de l’identité des peuples indigènes doivent être encouragés. Otto Perez souhaite relancer ces accords, en favorisant « les zones rurales et les populations indigènes ».
Certains ne sont pas convaincus par cette initiative. Lors des récentes élections, nombre de citoyens ont fait part de leur désillusion face aux promesses du pouvoir, notamment au sein de la communauté indienne.
Droits de l'Homme : Pérez Molina embarrassé
Les accords qui ont mis fin à la guerre comprennent une disposition sur les violations des droits de l’Homme et sur la recherche de la vérité. 200.000 personnes sont mortes ou ont disparu entre 1963 et 1996, selon l’ONU. Otto Pérez Molina, un ancien général qui a pris part au conflit au sein des forces loyalistes et a co-signé l’accord, se trouve dans une position délicate. Aux dires de plusieurs ONG, il serait responsable d’exactions dans la mesure où il a commandé certaines unités réputées pour leur violence. Lui dément toute implication.
Pour sa part, un tribunal guatémaltèque a refusé d’amnistier l’ex-dictateur Efrain Rios Montt (1982-1983), âgé de 85 ans, inculpé en janvier 2012 pour génocide « pendant la guerre civile ». Pour le tribunal, le crime de génocide n’est pas amnistiable. La justice a aussi condamné à 4 ans de prison des paramilitaires qui ont tué 256 Indiens soupçonnés d’avoir soutenu la guérilla.
Une violence quotidienne
Dans ce pays peu industrialisé, et où 8 % d’exploitants contrôlent 78 % des terres agricoles, de nombreux gangs de jeunes, les « maras », font régner la terreur. Cette criminalité a entraîné la mort de 5.618 personnes en 2011, soit 15,39 tués par jour contre 19 en 2010 pour 14 millions d’habitants. Le Guatemala a l’un des taux d’homicide les plus élevés du continent. Otto Perez s’est engagé à le faire baisser.
Dépénaliser la drogue : l'idée iconoclaste de Perez
Est-ce pour affaiblir les gangs que le président guatémaltèque a lancé l’idée d’une dépénalisation de la drogue ? En Europe, la « décriminalisation », expérimentée aux Pays-Bas ou au Portugal, ont eu un effet positif, selon les autorités. Mais de l'autre côté de l'Atlantique, elle a rencontré l’incompréhension de presque tous les pays, emmenés par les États-Unis. Otto Perez indique vouloir « ouvrir la dialogue », estimant que la guerre ouverte contre le trafic de drogue a été un échec sanglant, alors que Washington indique que 90 % de la drogue à destination des États-Unis transite par l’Amérique centrale.11
Qui tire les ficelles au Guatemala ?
Dans nos médias, la misère et la pauvreté qui frappent le Guatemala semblent être le fruit du destin. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre pourquoi ce pays vit une situation aussi désastreuse. Il suffit de voir qui tire les ficelles. Dans cet entretien clair et pédagogique, Luis Solano nous dit tout sur l’oligarchie guatémaltèque, comment elle s’est développée, quelle relation elle entretient avec les multinationales ou bien encore quel rôle elle a joué dans le conflit armé. Instructif ! (IGA)
Le Guatemala est marqué par une très forte inégalité. Une majorité du pays, surtout des paysans et/ou des autochtones, vit dans la pauvreté voire dans l’extrême pauvreté. D’un autre côté, une minorité possède le pouvoir politique et l’ensemble des moyens de production. Pouvez-vous nous préciser les caractéristiques de cette classe dominante qu’on appelle l’oligarchie ?
Traditionnellement, l’oligarchie fait référence à un groupe spécifique de personnes qui représente le secteur le plus conservateur du pays. Au niveau économique, l’oligarchie s’est enrichie grâce à l’activité agricole si bien qu’on parle très souvent d’oligarchie terrienne. Ces familles ont des origines criollos (métisses) ou européennes (espagnoles, allemandes, belges, françaises). Elles ont développé un système de lignage qui leur permet de se reproduire entre elles. Elles ont ainsi réussi à créer une classe à part.
Une autre caractéristique de l’oligarchie est la domination de l’État. Une domination rendue possible tout d’abord grâce à des fonctionnaires issus de ces familles et qui contrôlaient des secteurs-clé pour le développement de l’oligarchie comme les ministères de l’Économie, des Finances publiques, de l’Agriculture, etc. Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, l’oligarchie a commencé à diversifier ses activités économiques : industrie, agro-industrie d’exportation, commerce et système bancaire. La domination de l’État s’est alors opérée à travers des technocrates, des opérateurs politiques et économiques ainsi que des partis politiques au service de l’oligarchie.
Quel a été l’impact de cette évolution ?
On commence alors à parler d’élite et de bourgeoisie – bourgeoisie industrielle, commerciale, financière. Ce concept d’élite fait perdre le contenu de classe propre à la société guatémaltèque. Mais ça ne change pas la réalité, la réalité de classe existe toujours, la relation aux autres classes sociales reste la même et l’État continue de répondre aux intérêts de la classe dominante.
On peut considérer que l’oligarchie est parasite car elle constitue un obstacle pour le développement du pays. Et même pour le développement du capitalisme d’ailleurs puisqu’elle cherche uniquement à faire marcher ses affaires sans se soucier d’intégrer le développement du pays dans le système capitaliste. De même, pour continuer à s’enrichir et garder la mainmise sur le pouvoir, l’oligarchie a intérêt à favoriser des institutions caduques, faibles ou inopérantes. Dans le cas du gouvernement ou de l’exercice de l’État, les oligarques ont empêché tout développement social. Ils impulsent un modèle d’accumulation en fonction des classes et non en fonction du développement national.
Certes, dans les années 50, certains secteurs de l’oligarchie ont pu être perçus comme des facteurs de développement. Ces oligarques provenaient des mêmes familles mais cherchaient à développer un capitalisme national tout en permettant le développement d’un État progressiste avec des politiques sociales. Mais finalement, c’est le secteur de l’oligarchie le plus traditionnel, celui lié à l’extrême-droite, qui s’est imposé. Aujourd’hui, c’est lui qui dirige l’activité économique, qui domine l’État, qui est totalement opposé à tout changement et qui refuse la mise en place des accords de paix de 1996.
Quelle relation entretient cette oligarchie avec les multinationales ?
Cette relation débute avec l’arrivée du café des élites guatémaltèque sur le marché des États-Unis. Ensuite, après la contre-révolution de 1954, tant le secteur des bananes que ceux du sucre et du coton, développent des relations avec les entrepreneurs du sud des États-Unis, principalement la Louisiane et la Floride. C’est d’ailleurs là que les oligarques guatémaltèques tissent des liens avec les mafias cubaines qui y résident. Plus tard, dans les années 60, certaines familles développent des relations avec des entrepreneurs espagnols, ce qui permet de diversifier l’économie dans de nombreuses activités industrielles et agro-industrielles.
Que fait l’oligarchie avec les richesses ainsi amassées ? Elle investit au Guatemala ?
Pas vraiment. Ce que les oligarques gagnent au Guatemala, ils le placent aux États-Unis, dans les banques, l’immobilier ou la Bourse. Les oligarques achètent par exemple des actions d’entreprises étasuniennes qui exploitent le pétrole au Belize ou au Guatemala. Ils ont aussi des fonds dans les compagnies off-shore des Caraïbes et investissent dans le sucre brésilien. Et aujourd’hui, outre les États-Unis, leur zone de placements privilégiée est l’Amérique centrale. Ils y ont de très bonnes connexions avec l’élite locale.
Voilà ce que tire l’oligarchie guatémaltèque de ces relations avec les multinationales. Et dans l’autre sens ?
L’oligarchie a permis l’arrivée de ces multinationales au Guatemala. Mais pour pouvoir y opérer, ces grosses compagnies ont besoin de subsides et d’alliés nationaux, c’est-à-dire de partenaires économiques et politiques. Le fait de s’associer avec les élites locales permet donc aux multinationales d’avoir plus de marge de manœuvre, plus de pouvoir. Ce rapprochement avec l’élite, qui connaît et contrôle le fonctionnement de l’État permet aux multinationales de sécuriser leurs investissements et de faciliter les procédures bureaucratiques. L’oligarchie guatémaltèque compte d’ailleurs plusieurs cabinets d’avocats qui travaillent dans ce sens pour le compte des multinationales.
Le Guatemala est un pays très violent marqué entre autre par une forte répression des militaires pendant le conflit armé. Quel est le lien entre l’oligarchie et les militaires et quelle est la responsabilité de l’oligarchie dans la violence endémique qui touche le pays ?
Pour l’oligarchie, l’armée était l’appareil militaire et policier qui protégeait ses propriétés et ses terres. C’était réellement une institution au service des grands propriétaires terriens. Ils étaient leurs employés.
Mais la situation a changé dans le courant des années 40. L’armée s’est professionnalisée avec une séparation de ses différentes branches : l’infanterie, la marine et l’aviation. De nouvelles relations se sont alors développées. L’infanterie, le plus grand et conservateur corps de l’armée qui a été à la tête de la répression dans les années 80, est restée toujours très liée aux grands propriétaires terriens et cela, jusqu’à aujourd’hui. D’ailleurs, les principaux dictateurs militaires et autres gouvernants ont toujours appartenu à l’infanterie avec des liens très forts à l’oligarchie traditionnelle : Otto Perez Molina (président 2012-2015), Lucas Garcia (président 1978-1982 en pleine répression), Rios Montt (1982-1983), Mejia Victores (1983-1985)…
Pour leur part, la marine et l’aviation, certes plus petites, sont devenues des structures d’élite liées à la bourgeoisie industrielle. La marine est aujourd’hui une pièce-maîtresse dans les relations avec les États-Unis, principalement dans le cadre de la lutte contre les narcotrafiquants.
On voit donc que l’oligarchie est associée au secteur le plus violent et extrémiste de l’armée Le Mouvement de Libération Nationale (MLN) offre l’expression la plus claire de cette alliance. Créé par les oligarques du café, ce parti d’extrême-droite abritait l’oligarchie la plus conservatrice et les militaires d’infanterie. Le MLN a participé au coup d’État contre le président Jacobo Arbenz en 1954 puis à l’articulation des escadrons de la mort pendant le conflit armé. Ce parti a même permis la création de liens martiaux entre des officiers militaires et l’oligarchie traditionnelle.
La mort de députés du Salvador en 2007, sous le gouvernement néolibéral du grand propriétaire terrien Oscar Berger, est significative de la persistance des liens entre militaires et oligarques. En effet, les trois députés ont été retrouvés calcinés dans une « finca » connue pour être un lieu de réunion entre le MLN et le gouvernement contre les insurrectionnels du Salvador durant le conflit armé. Et les différents rapports de la Commission contre l’Impunité du Guatemala ont démontré que le MLN et les oligarques ont bénéficié de structures clandestines et paramilitaires au sein du ministère de l’Intérieur pour assassiner les députés et maquiller les preuves.
Ici en Occident, on présente la misère et la violence qui frappent le Guatemala comme une fatalité…
Ce n’est pas un coup du destin. Cette misère et cette violence s’expliquent en grande partie par le fait que l’oligarchie conservatrice monopolise le pouvoir pour servir ses propres intérêts et qu’elle n’hésite pas à recourir à la brutalité pour défendre sa domination.
Donc, si on présente cela comme une fatalité, les Occidentaux ne peuvent que s’apitoyer sur le sort des pauvres Guatémaltèques. Mais si on en explique les véritables raisons…
On peut mieux résister et se solidariser avec le Guatemala. Les Occidentaux peuvent tenter d’infléchir sur leurs gouvernements et les multinationales qui soutiennent l’oligarchie et donc la répression du peuple guatémaltèque.12
Une justice et une souveraineté sous condition
Toute l’Amérique latine a reçu avec une grande indignation la nouvelle selon laquelle la Cour constitutionnelle avait annulé la condamnation de l’ancien dictateur guatémaltèque Efrain Rios Montt, à 80 ans de prison pour génocide.
La plus haute instance judiciaire du Guatemala a annulé le lundi 20 mai 2013 la peine de 80 ans de prison pour génocide et crimes contre l’humanité, imposée à l’ancien dictateur le 10 mai, entérinant sa décision du 18 avril 2013 qui invoquait un vice de procédure lorsque la présidente du Tribunal avait autorisé la réouverture du procès alors que la plus haute instance n’avait pas encore statué sur les recours présentés par la défense de Rios Montt.
Il ne fait aucun doute que les puissants intérêts politiques et économiques au service de l’ancien général mettent rudement à l’épreuve la solidité de la justice du Guatemala.
Des manifestations se sont succédé dans plusieurs pays d’Amérique latine en solidarité aux victimes et pour protester contre l’annulation de la condamnation, y compris un grand mouvement de protestation au Guatemala qui, selon un responsable du Centre d’action légale pour les droit de l’Homme (CALDH) qui participe aux procès contre Rios Montt comme partie plaignante, avait pour but de « révéler au monde le génocide qu’ont vécu les indiens Ixiles du Guatemala, et de dénoncer les tentatives des avocats de Rios Montt de faire avorter les procédures judiciaires ».
Le premier verdict avait été accueilli par des applaudissements, car c’était la première fois qu’un dictateur – parmi les nombreux installés par Washington dans les pays qu’il considère comme son arrière-cour – allait payer pour ses crimes, même si la peine semblait légère par rapport à la gravité des faits, l’opinion publique avait accueilli cette condamnation comme une décision de justice inédite à plusieurs titres, et comme une première mondiale.
Diplômé de l’École des Amériques, le général Efrain Rios Montt instaura pendant deux ans (1982-1983) une dictature brutale au Guatemala après s’être emparé du pouvoir par un putsch préparé par les États-Unis. Il est accusé d’être responsable du meurtre de 1 771 personnes, de 1 400 violations des droits de l’Homme et du déplacement d’au moins 29 000 Indiens du fait de sa politique de « terre brûlée ».
En décembre 1982, le président Ronald Reagan se rendit au Guatemala couvrant d’éloges le dictateur Rios Montt pour « ses efforts et son dévouement au service de la démocratie et de la justice sociale ». Quelques jours plus tard, 251 hommes, femmes et enfants étaient massacrés dans la localité de Las Dos Erres.
Faisant comme toujours étalage de sa politique de double standard en matière de droits de l’Homme, le gouvernement des États-Unis ne cesse, d’un côté, d’accorder son soutien à ses dictateurs fantoches, mettant tout en œuvre pour cacher leurs crimes, alors qu’il n’hésite pas, de l’autre, à diaboliser les gouvernements récalcitrants ou insoumis, grâce à son puissant appareil médiatique et à la diplomatie du dollar.
La condamnation de Rios Montt nous rappelle nombre de cas de dictateurs génocides comme les Duvalier en Haïti ; les Somoza au Nicaragua ; Alfredo Stroessner au Paraguay ; Humberto Castelo Branco au Brésil ; Rafael Trujillo en République dominicaine ; Fulgencio Batista à Cuba ; Augusto Pinochet au Chili, et bien d’autres qui en Amérique latine, ont bénéficié d’une impunité scandaleuse, pour la plus grande honte de l’humanité.
L’autre procès qui a bouleversé l’actualité guatémaltèque revêt des caractéristiques particulières, même s’il existe quelques similitudes. Il s’agit de l’extradition, vers les États-Unis, de l’ancien président guatémaltèque Alfonso Portillo, accusé d’avoir détourné 70 millions de dollars de fonds publics, dont une partie aurait transité par des banques US et européennes.
Le procès a commencé en mai 2011, lorsque le Tribunal pénal s’est prononcé en faveur de Portillo, que le Ministère Public a accusé d’avoir tenté de détourner 15 millions de dollars du budget du ministère de la Défense en 2001.
En avril 2013, une cour d’appel avait ratifié le verdict d’acquittement du Tribunal, mais le 15 mai la Chambre pénale de la Cour suprême de Justice a rejeté le recours en cassation présenté par l’ancien président contre le jugement absolutoire afin d’éviter un jugement sans appel de la Cour, qui l’avait acquitté du crime de détournement de fonds pour empêcher son extradition.
Le Guatemala vit aujourd’hui un conflit plus politique que juridique, où l’ingérence des États-Unis dans les affaires internes de ce pays d’Amérique centrale semble jouer un rôle déterminant.13
Une victoire démocratique contre la corruption
Des mois de crise politique croissante et de mobilisation populaire ont abouti, le 2 septembre 2015 au matin, à la démission d’Otto Perez Molina, Président du Guatemala, accusé de corruption en tant que chef d’ un groupe délictueux appelé « La Ligne », spécialisé dans le détournement d’impôts chiffrés à plusieurs millions de dollars. Perez Molina s’est rendu à la Présidence de la République afin d’être entendu par un juge et fut directement incarcéré. En avril, sa vice-présidente, Roxana Baldetti, avait suivi le même chemin.
Le fléau contagieux de la corruption en Amérique centrale
La vague d’indignation populaire déclenchée par la découverte de ce scandale de corruption de la part des hautes autorités politiques n’est pas une première au Guatemala. Comme au Guatemala, au Honduras ont eu lieu en 2015 des mobilisations massives principalement appelées par de jeunes via les réseaux sociaux, suite à la découverte d’un vol de centaines de millions de dollars des fonds de la sécurité sociale, pour exiger la démission du président Juan Orlando Hernández qui avait admis que sa campagne électorale a été financée en partie par cet argent volé.
Au Panama, peu de mobilisation mais une prise de conscience citoyenne a eu lieu, qui ne fut pas sans influence sur la défaite électorale de 2014 du gouvernement de Ricardo Martinelli et sur la multitude d’enquêtes pour détournements de fonds dont ont fait l’objet plusieurs ministres.
Partout, la crise de crédibilité de la politique et de ses responsables traditionnels accompagne la prise de conscience générale que, pendant que les classes populaires voient leur revenus diminuer à cause des politiques économiques néolibérales, tandis que les services sociaux sont démantelés par manque d’investissements publics, les gouvernements et leurs partenaires privés s’enrichissent outrageusement grâce au trésor public.
Un régime antidémocratique et corrompu jusqu’à la moelle
Depuis qu’au milieu des années 50, les États-Unis ont soutenu un coup d’état sanglant contre le président nationaliste Jacobo Arbenz pour avoir osé nationaliser une partie des terres de la transnationale bananière United Brands, le Guatemala a enduré un des régimes les plus répressifs du continent américain.
Ce n’est pas un hasard si, concomitamment au scandale de la « Ligne », nous avons assisté dans les actualités au procès du général Efrain Rios Montt, accusé du génocide systématique d’une des ethnies du peuple maya durant sa dictature féroce dans les années 80 et dont la condamnation fut évitée grâce à des subterfuges légaux, en invoquant notamment la “démence sénile”.
Bien que les médias dépeignent le Guatemala depuis les accords de la Paz avec la guérilla (en 1996), comme une société « démocratique », la réalité est autre et le pays est toujours manipulé par une oligarchie financière et une élite militaire corrompue. Otto Perez Molina lui-même était un des officiers responsable de violations des droits de l’homme au service de Rios Montt et pire encore, son gouvernement approuvait l’accord existant entre deux factions militaires corrompues, l’une connue comme « Le Syndicat » (représentée par lui-même) et l’autre dénommée la « Confrérie » (par son ex vice-président Baldetti), toutes deux spécialisées dans tout type de crimes, notamment l’évasion fiscale.
La fraude fiscale est d’une telle ampleur que, depuis 2012, les revenus de l’État provenant du prélèvement d’impôt ont commencé à chuter, jusqu’à mener à un déficit d’environ 7 milliards de quetzals, déficit ayant entraîné un accroissement de la dette.
Le système politique guatémaltèque est hautement corrompu et dépourvu de crédibilité, au point que la bourgeoisie se voit obligée de créer constamment de nouveaux partis puisque ceux qui gouvernent se corrompent et ne parviennent pas à survivre jusqu’aux élections suivantes.
Le manque de crédibilité affecte aussi les partis de gauche, qui ont vu chuter leurs résultats de vote pour les autorités élues, plus particulièrement lors des récentes élections. Le parti principal, URNG-Mais, a vu son candidat présidentiel démissionner en plein milieu de la champagne électorale, l’écologiste Yuri Gionvanni Melini. Une séance de l’assemblée nationale traumatisante a eu lieu le 3 mai 2015 lors de laquelle eurent lieu de lourds conflits internes et des accusations de corruption à l’encontre de deux députés, accusés de se compromettre en votant des lois anti-populaires (notamment celle de la protection et de l’obtention de végétaux- c’est à dire les OGM).
La CICIG et son rôle dans le conflit interne
La Commission International contre l’impunité au Guatemala (CICIG) a été créée en 2006 grâce à un accord entre l’état guatémaltèque et l’Organisation des Nations Unies, en tant qu’organisme indépendant avec pour objectif de mandater et d’appuyer les autorités judiciaires dans le démantèlement de corps de sécurité illégaux (paramilitaires).
C’est avec le conseil de la CICIG qu’a eu lieu le procès de Rios Montt, et qu’ont éclaté d’autres scandales, notamment celui du capitaine Bryon Lima Oliva, accusé de l’assassinat de l’évêque Jaun José Girardi, qui dirigeait depuis le réseau tout le système pénitentiaire du pays. C’est la CICIG qui a permis les écoutes téléphoniques mettant en lumière la fraude de « la Ligne », en avril 2015, en faisant le lien avec un conseiller de la vice-présidente, Juan C. Monzon.
Le 20 mai un autre scandale a éclaté, dont les conséquences sont proches de l’affaire des douanes, affaire qui avait révélé le paiement de pots-de-vin à des fonctionnaires de l’Institut guatémaltèque de sécurité sociale (IGSS) par l’entreprise mexicaine PISA en vue d’obtenir la privatisation du service de dialyse péritonéale, service dont la gestion déplorable a conduit à la mort de près de 10 personnes et a fait des dizaines de victimes. Puis, le cas « réseaux », qui implique le secrétaire de la Présidence et le gendre de Perez Molina.
Les États-Unis et la/le CACIF ont soutenu Perez Molina jusqu’au bout
Un débat larvé a traversé les gauches d’Amérique centrale quant au rôle joué par l’impérialisme américain dans la chute de Otto Perez M., plus spécialement par le biais de cet organisme supranational qu’est la CICIG, et grâce aux moyens de communication, particulièrement ceux reliés à « El Periodico », journal propriété du candidat présidentiel opposant, l’homme d’affaires Manuel Baldizon.
Mais une analyse détaillée de la chronologie des faits montre clairement que, s’il existe certainement de fortes contradictions au sein de la bourgeoisie au Guatemala, et que l’impérialisme yankee continue effectivement d’intervenir et cherche la conjoncture la plus favorable à ses intérêts, c’est la participation des masses populaires, ayant pris conscience de l’envergure de la corruption, qui a décidé du cours des choses.
En mars 2015, avant que n’éclate le scandale, le vice-président nord-américain Joseph Biden est venu en visite au Guatemala, affichant clairement son soutien au président Otto Perez M., avec qui ils sont parvenus à plusieurs accords, parmi lesquels la rénovation du mandat de la CICG pour deux années de plus.
En juin, après la démission de la vice-présidence et alors que le scandale et les mobilisations étaient à leur apogée, l’ambassadeur nord-américain, Todd Robinson, s’est présenté avec Perez Molina lors d’une conférence de presse pour dire que son pays soutenait les changements et l’assainissement de la Super-intendance de l’Administration tributaire menés par le gouvernement guatémaltèque, et qu’ils comptaient sur le soutien du Département du trésor et de la Banque mondiale.
D’un autre côté, la puissante Chambre de Commerce et de Services (CACIF) qui regroupe l’élite entrepreneuriale du pays soutenait toujours Otto Perez M., comme en atteste un communiqué lui demandant un combat immédiat et effectif contre la corruption et suggérait de revoir les juteux contrats de plusieurs ministres.
C’est la mobilisation populaire qui a délogé Otto Perez Molina
Le début de la mobilisation populaire a été lent, dans un pays accablé depuis des décennies par une dure répression et dans lequel 53 % de la population vit dans une pauvreté absolue. Par ailleurs les mobilisations n’ont pas été convoquées par les organismes de masse traditionnels (syndicats ou partis de la gauche électorale), mais furent spontanées et convoquées par de jeunes étudiants des classes moyennes (en réalité de familles de salariés moyens), au moyen de slogans tels que « Renuncia ya » (Démissionne maintenant), ou les hashtags #Revolucion et #planB.
À partir du 25 avril environ 20 000 manifestants affluèrent sur la place de la Constitution pour exiger la démission de Beldetti et Perez Molina, parmi lesquels les étudiants de l’Université de San Marcos (au moins 3000). Le 27 avril, l’appel à la grève général était lancé et c’est ainsi que Perez Molina a ordonné l’arrestation de M. Monzon, signalé comme le meneur du réseau de corruption. Le 29 avril, des représentants de 72 communautés indigènes ont fait une déclaration de répudiation de la corruption et l’impunité et signalé que le président, devenu illégitime, devait démissionner.
Le 1er mai, en pleine commémoration du jour du Travail, les syndicats et organisations populaires ont afflué vers la Place de la constitution, dénonçant notamment la corruption et l’impunité. Le 2 mai, de grandes mobilisations eurent lieu, exigeant la démission du Président et de son vice-Président.
Le 8 mai, après la démission de Baldetti, les indignés guatémaltèques gagnèrent de nouveau la rue pour crier « sigue Tito ! » (reste Tito !), faisant allusion au Président. Le 16 mai, une nouvelle mobilisation importante a eu lieu, réunissant plus de cinquante mille personnes.
Le 20 du même mois, les organisations paysannes occupèrent la place avec mille personnes venues des provinces, sous les slogans : “Dehors les politiques, les entreprises et les militaires corrompus ! En route pour une assemblée constituante populaire et plurinationale !”. C’est sous cette pression que le 19 mai, le discours du CACIF auquel nous avons précédemment fait référence, demandait à Otto Perez Molina d’intervenir sérieusement pour endiguer contre la corruption.
Le 3 juin, l’archevêque de l’Église catholique a exprimé sa préoccupation quant à l’élargissement de “la brèche entre les citoyens et les partis qui ne sont pas les interlocuteurs valides de la population”, et a proposé que le processus électoral soit revalorisé au travers de plusieurs réformes (afin de leur rendre leur crédibilité) face au danger de “divers groupes” qui profitent des circonstances “pour arriver à leurs fins”. C’est à ce moment précis qu’avait lieu la conférence de presse de l’ambassadeur nord-américain que nous avons citée plus haut.
Le 5 juin, une organisation peu connue, l’Alliance ouvrière paysanne, a bloqué l’accès à la ville de Guatemala pour manifester, bien que d’autres secteurs l’aient accusé d’être un instrument politique du parti LIDER. Finalement, le 27 août, une grève nationale a eu lieu, la première depuis des dizaines d’années, ainsi qu’une énorme mobilisation de 10 000 personnes dans la ville de Guatemala ; les routes furent bloquées dans le reste du pays. C’est ce point culminant dans la mobilisation populaire qui, quelques jours plus tard, obligea Otto Perez Molina à démissionner de la présidence et à se livrer à la justice, le 2 septembre.
Les élections et la tentative de la bourgeoisie de mettre un terme à la crise
Pour avoir conduit le pays vers les élections et la transition qui a suivi, le président Alejandro Maldonado Aguirre, qui venait d’arriver à la tête de la Cour constitutionnelle, a été maintenu à son poste. Les résultats électoraux reflétèrent la crise : aucun candidat n’a atteint la majorité pour gagner au premier tour. Le comédien télévisé, Jimmy Morales, a obtenu 24,5 % ; Sandra Torres, ex-première dame du président Alvaro Colom a obtenu une égalité de 19,6 % avec l’homme d’affaires des médias Maunel Baldizon.14
Le 25 octobre 2015, Jimmy Morales est devenu président de la République avec plus de 68 % des voix, battant largement l'ex-première dame du pays, Sandra Torres.15
Désormais, il ne sera pas facile de mettre un terme à la crise politique, et la « boîte de Pandore » de la mobilisation populaire ne se laissera pas refermer aisément. Tant la crise objective du système capitaliste dont la corruption généralisée est une des caractéristiques, que l’entrée en scène de milliers d’activistes politiques, particulièrement des jeunes, donnent l’occasion à la gauche guatémaltèque de surpasser la débâcle de ses propositions traditionnelles en créant de nouvelles alternatives politiques.
Crise capitaliste, accumulation par la dépossession et la corruption
Comme l’a dit le penseur anglais David Harvey, une des caractéristiques centrales du système capitaliste impérial dans sa crise sénile du 21ème siècle est l’accumulation par la dépossession, c’est-à-dire le processus par lequel une grande partie du fonctionnement économique « normal » du système (exploitation du travail au moyen de l’extraction de la plus-value) est remplacé par l’appropriation par le privé de biens qui appartenaient avant à la collectivité ou à la nature, en utilisant toutes sortes de mécanismes coercitifs.
La corruption sous la forme de vol ou détournement d’état et de bien public fait partie de cette « accumulation par dépossession » qu’évoque Harvey. Ce concept a été d’abord développé par Karl Marx, dans le Capital, tome 1, « l’accumulation primitive », où il expliquait que pour que le système puisse fonctionner sous une apparente « normalité » et pour que soient acceptées comme « naturelles » les conditions d’exploitation du travail, il a fallu une période entre le 16ème et le 18ème siècle durant laquelle les moyens de subsistance furent violemment enlevés à la majeure partie de l’humanité, l’obligeant à vendre sa force de travail.
La logique suggérée par Harvey est que, dans la phase actuelle de décadence du système capitaliste, on assiste à un retour des mécanismes de pillage et de vol de biens qui jusqu’il y a peu échappaient à l’accumulation privée. De là à ce que la lutte contre la corruption soit un aspect fondamental d’un quelconque programme de lutte alternative, c’est une demande de poids transitionnel, comme dirait Léon Trotsky, parce qu’il synthétise la lutte contre le capitalisme qui, au moyen de mécanismes s’approprie la richesse sociale.16
Comme dans le cas de toute demande démocratique, il ne suffit pas aux citoyens de se limiter à l’exigence de sanctions envers les corrompus, mais il est du devoir du peuple de comprendre que, tant qu’il ne prendra pas le pouvoir en délogeant tous les capitalistes du gouvernement, il ne sera pas possible de mettre un terme ni la corruption, ni à l’impunité.
Jérusalem, capitale bananière
La ministre des Affaires étrangères d’Israël a assuré être en contact avec au moins dix pays envisageant le transfert de leur ambassade à Jérusalem et prenant ainsi la suite des États-Unis de Trump.
Le Guatemala est un petit pays d’Amérique centrale, dont le gouvernement est l’un des plus corrompus et des plus meurtriers au monde. C’est l’un de ceux qui ont vu naître et se développer la compagnie américaine United Fruit, qui a changé de nom depuis, surnommée là-bas la Frutera. Exploitant les plantations de bananes et autres fruits, elle a fait et défait les régimes – pas seulement de bananes ! – et patronné des interventions armées des États-Unis, pour assurer des dictatures. C’est pour ce genre de pays qu’a été inventée l’expression « république bananière ».
Le Guatemala n’a pas grand-chose à voir ni de près ni de loin avec Israël et les Palestiniens, mais son gouvernement, toutou des États-Unis, suit le maître Trump, en échange d’on ne sait quelles promesses et sous on ne sait quelles pressions. Ce succès diplomatique, dont le gouvernement israélien se réjouit, ne résoudra en rien la question qui se pose à lui et qui est de répondre à l’exigence des Palestiniens de se voir reconnaître leurs droits, bafoués depuis des décennies.17
Sources