Époque précolombienne
Avant la conquête espagnole, le territoire qui est maintenant le Salvador était divisé en trois grands États indigènes :
- Le royaume Payaquí au nord : cette confédération d'origine maya était très fortement influencée par la culture Pipile.
- Le royaume de Cuzcatlan à l'ouest : il était composé d'une population pipile et organisé en système cacique, c'était l'État le plus important de la région à l'arrivée des espagnols. Le cacique dominant était celui de Cuzcatlan (situé dans la région de San Salvador) et les autres caciques (des royaumes d'Izalco, Apaneca, Ahuachapán, Guacotecti, Īxtēpetl, Apastepeque et Tehuacán) lui versaient un tribu.
- La principauté de Najochan à l'est : réunissant une population maya et lenca, cette principauté était fortement influencée par la cité de Copán.
La population indigène majoritaire était Pipile, une tribu nomade de Nahuatls établis depuis longtemps au centre du Mexique. Tôt au cours de leur histoire, ils sont devenus l'un des seuls groupes indigènes d'Amérique centrale à avoir aboli le sacrifice humain. Leur culture est proche de celle de leurs voisins aztèques et mayas. Des restes de la culture amérindienne se retrouvent dans certaines ruines telles que Tazumal (près de Chalchuapa), San Andrés, et Joya de Cerén.
Conquête espagnole (1524-1530)
Le premier conquistador à découvrir les terres aujourd'hui salvadoriennes est Gil González Dávila qui longeait la côte Pacifique de l'Amérique centrale à la recherche d'un passage maritime communicant avec l'Atlantique. Mais la première expédition pour conquérir le territoire fut menée par Pedro de Alvarado, venant de ce qui est aujourd'hui le Guatemala, qui décida de conquérir Cuzcatlan en 1524. À l'arrivée des espagnols et de leurs alliés indiens (250 soldats espagnols pour 6 000 indiens), les pipils s'enfuyaient des villages pour se réfugier dans les montagnes. Le premier combat se déroula à Acaxual (aujourd'hui la ville d'Acajutla) où les Pipils avaient réussi à encercler l'armée espagnole. Durant la bataille le cacique d'Izalco, Atonal, arriva à blesser Pedro de Alvarado à la cheville (le laissant boiteux pour le reste de sa vie) obligeant l'armée espagnole à se replier malgré la victoire. La deuxième bataille eut lieu dans les environs de Sonsonate où l'armée pipile subit de grosses pertes car les soldats avaient préféré se munir de protections en coton (qui se sont révélées inefficaces) aux dépens de la mobilité. À la suite de cette bataille, Alvarado reçu une proposition de paix de la part du cacique de Cuzcatlan mais le conquistador refusa la proposition et marcha vers la ville de Cuzcatlan. Une ville qu'il trouva vide, les pipils ayant fui une nouvelle fois dans les montagnes. Les espagnols s'y installèrent mais furent obligés de repartir en juillet 1524 dans les régions guatémaltèques à cause du climat.
En 1525, Alvarado retourna à Cuzcatlan et la ville de San Salvador fut fondée au mois d'avril de la même année, dans la même vallée où était située la ville de Cuzcatlan. Mais les pipils l'attaquèrent en juin 1526 et l'incendièrent, obligeant les espagnols à s'enfuir. Une nouvelle expédition espagnole, menée par le frère de Pedro de Alvarado - Diego, partit du Guatemala pour refonder la ville de San Salvador (dans la même vallée mais pas à l'endroit exacte de la première ville) en 1528 et les espagnols s'y installèrent définitivement. Une autre expédition partit en 1530 conquérir la principauté de Najochan, à l'est du pays, et la résistance menée par le chef cacique lenca, Lempira, fut vaincue en 1537.
Les espagnols contrôlèrent alors tout ce qui allait devenir le Salvador, mais les attaques sur San Salvador des Pipils de Cuzcatlan, toujours réfugiés dans les montagnes, ne cessèrent qu'en 1539 et la région ne fut entièrement pacifiée qu'en 1540.
« La légende de Atlacatl » : Atlacatl est le cacique de Cuzcacatlan ayant proposé la paix à Pedro de Alvarado avant de lui résister et de harceler la ville de San Salvador. On sait aujourd'hui que nahuatl Atlcatl ne désigne pas une personne mais un lieu, l'erreur de traduction proviendrait de travaux de Charles Étienne Brasseur de Bourbourg. La connaissance de cette erreur de traduction n'est pas encore très répandue au Salvador et Atlacatl reste le symbole national de la résistance indienne face à la conquête espagnole.
C'est Pedro de Alvarado qui a nommé ce territoire « San Salvador » (« le Saint Sauveur » - en référence à Jésus Christ).
Époque coloniale (1530-1821)
La région fut intégrée à l'Empire espagnol et faisait partie de la Nouvelle-Espagne dès 1535. En 1540, la Capitainerie générale du Guatemala fut créé et la région du Salvador y fut intégrée. De 1532 à 1786, la région était divisée en trois communes (« Alcaldia Mayor » en espagnol) : la commune de Sonsonate à l'ouest, la commune de San Salvador au centre, et la commune de San Miguel à l'est. Puis, de 1786 à 1821 la région était divisée en deux : la commune de Sonsonate, et l'Intendance de San Salvador (« Intendencia de San Salvador » en espagnol) regroupant les deux autres anciennes communes.
À la suite de la conquête, les Espagnols introduisirent des animaux et des cultures européennes. Il y eut aussi de grands efforts pour convertir les Indiens au catholicisme et au mode de vie européen en général. Ainsi, les ordres religieux, en particulier les franciscains et les dominicains, collaborèrent étroitement avec les autorités espagnoles pour évangéliser les indigènes. Le système d'encomienda fut établi pour pouvoir contrôler la population indienne et récompenser les conquistadors pour les services rendus à la Couronne ; mais il dût être abandonné après les « Nouvelles Lois » (« Leyes Nuevas » en espagnol) et l'interdiction de l'esclavage d'indiens en 1542.
La société coloniale salvadorienne était divisée en classes sociales fondées sur l'origine des personnes. La classe supérieure et dirigeante était composée par les espagnols nés en métropole, venait ensuite les créoles (les blancs nés dans les colonies) qui étaient propriétaires des facteurs de production (les terres en particulier), les métis et enfin les indiens. À la suite de l'interdiction de l'esclavage d'Indiens, des esclaves africains furent introduits en petit nombre pour le travail dans les mines mais s'assimilèrent très vite aux métisses blancs/indiens. Ces derniers constituaient la plus grande partie de la population salvadorienne lors de l'indépendance.
De 1550 à 1600, la région était principalement productrice de cacao dans la région occidentale (Sonsonate et Izalco) et d'un baume spécifique à la région dans la région côtière. Au XVIIe siècle, la culture du cacao fut remplacée par celle de l'indigotier pour la production de teintures indigo (dont la région fut un des grands producteurs mondiaux avant l'apparition des colorants synthétiques).
Indépendance (1811-1821)
Dès la fin du XVIIe siècle, dans différentes régions d'Amérique latine, des révoltes contre la domination espagnole éclatent. Le commerce des colonies d'Amérique était sous le monopole de la métropole, les colonies ne pouvaient exporter que vers la métropole qui se chargeait par la suite de réexporter les produits vers le reste du monde (en particulier aux États-Unis et en Grande-Bretagne). Inspirés par les Lumières (dont les écrits étaient interdits dans l'Empire espagnol), les créoles voient dans l'indépendance des États-Unis et la Révolution française des exemples à suivre.
Au début du XIXe siècle les autorités coloniales espagnoles promulguèrent des lois économiques et fiscales impopulaires dans les colonies pour financer les guerres européennes de la Couronne espagnole. Ces mesures augmentèrent la volonté d'indépendance des créoles.
L'événement déclencheur des soulèvements indépendantistes en Amérique latine, et en Amérique centrale en particulier, est l'invasion napoléonienne de la métropole. La Conférence de Bayonne, où la Dynastie des Bourbons abdiqua en faveur de Joseph Bonaparte, et la Guerre d'indépendance espagnole sapèrent l'autorité espagnole et rendirent les colonies plus autonomes. Durant cette période (1808 - 1814) l'Intendance de San Salvador connaîtra plusieurs soulèvements :
- Le soulèvement du 5 novembre 1811 : connu comme le « Premier cri d'indépendance » (Primer Grito de Independencia), il débute dans la ville de San Salvador avant de se propager dans les autres villes de la région durant tout le mois de novembre. Ce soulèvement fut mené par les créoles José Matías Delgado, Manuel José Arce et les deux frères Aguilar. Deux autres soulèvements éclatèrent le 24 novembre et le 20 décembre de la même année. Finalement, la déclaration d’indépendance de 1811 échoua car la vice-royauté du Guatemala envoya des troupes à San Salvador dans le but d’étouffer le mouvement.
- Le soulèvement du 24 janvier 1814 à San Salvador n'eut pas plus de succès et les dirigeants furent arrêtés.
En mai 1814, Ferdinand VII retrouva le trône d'Espagne et réinstalla une monarchie absolue ; en Amérique centrale les indépendantistes et les libéraux subirent alors de plein fouet la répression. En 1820 la constitution de Cadiz, plus libérale, fut rétablie. Le capitaine général du Guatemala Carlos Urrutia s'y rallia, provoqua des élections municipales et législatives et accepta la liberté de la presse. C'est à cette période que naquirent le mouvement libéral et le mouvement conservateur qui animeront la vie politique du Salvador, et de toute l'Amérique centrale, jusqu'à l'apparition du communisme au début du XXe siècle.
En août 1821, la nouvelle de l'indépendance du Mexique arriva en Amérique centrale et, devant cette nouvelle situation (rappelons que la Capitainerie générale du Guatemala était dépendante de la Nouvelle Espagne - c'est-à-dire le Mexique nouvellement indépendant), le Capitaine général Gabino Gaínza convoqua les représentants des différentes provinces centre-américaines en assemblée à Ciudad de Guatemala. Le 15 septembre 1821, à Ciudad de Guatemala, les provinces centre-américaines proclamèrent leur indépendance vis-à-vis de l'Espagne et un gouvernement provisoire fut formé sous la présidence de Gabino Gaínza. La nouvelle de l'indépendance arriva à San Salvador le 21 septembre.
Empire mexicain et République Fédérale d'Amérique centrale (1821-1840)
Après la déclaration d'indépendance, trois choix politiques s'offrirent à l'ancienne Capitainerie générale : son rattachement à l'Empire mexicain d'Iturbe, la formation d'un pays fédéral ou l'indépendance complète des différentes municipalités. Le gouvernement provisoire décida de consulter les municipalités qui votèrent toutes le ralliement au Mexique, sauf les communes de San Salvador et de San Miguel. Le 5 janvier 1822 l'annexion fut proclamée et des troupes mexicaines, menées par le général Vicente Filísola, furent envoyées par Augustin Ier du Mexique pour soumettre l'ancienne Intendance de San Salvador. Les troupes entrèrent à San Salvador en février 1823 à la suite de la bataille de Mejicanos et la région fut annexée au Mexique. Mais en mars 1823 Augustin Ier abdiqua : Vicente Filísola, fidèle à son empereur et non pas au Mexique, fit convoquer les députés centre-américains.
Le 1er juillet 1823 est déclarée l'indépendance des Provinces Unies d'Amérique centrale vis-à-vis de l'Espagne, du Mexique ou de toute autre nation. La fédération prendra comme nom officiel la République Fédérale d'Amérique centrale en 1824.
Le 22 décembre 1823 la commune de Sonsonate et l'Intendance de San Salvador se mirent d'accord pour s'unir, et l'État du Salvador, membre de la République Fédérale d'Amérique centrale, fut proclamé le 7 février 1824.
L'assemblée constituante fédérale, présidée par José Matías Delgado, promulgua la première constitution fédérale le 22 novembre 1824. Mais la fédération connaîtra de longues confrontations armées entre conservateurs et libéraux.
La constitution du Salvador fut promulguée le 22 juin 1824 et l'indépendantiste Juan Manuel Rodríguez fut élu chef de l'État du Salvador.
En 1830, le conservateur José María Cornejo fut élu chef d'État et s'opposa violemment au Président fédéral, issu du parti libéral, Francisco Morazán; Cornejo ira jusqu'à déclarer l'indépendance du Salvador en 1832. Les troupes fédérales envahirent alors le Salvador et Cornejo fut destitué par Morazan pour mettre à la place le libéral Mariano Prado. Prado instaura un impôt devant être payé par tous les citoyens, mais cela provoqua un soulèvement indien mené par Anastasio Aquino à Izalco et San Miguel. Prado fut alors obligé de démissionner en 1833 et il fut remplacé par Joaquín de San Martín qui déclara l'indépendance du Salvador.
Morazan envahit de nouveau le Salvador et installa en 1834 la capitale fédérale à San Salvador pour mieux contrôler la région. San Salvador restera la capitale fédérale jusqu'en 1839 et la fin de la République fédérale.
Le 11 juillet 1839, et sans jamais renoncer au fédéralisme, Morazan devint chef d'État du Salvador. Les pays voisins jugèrent que Morazan, en tant que symbole du fédéralisme, était trop dangereux à la tête du Salvador ou d'un autre pays de la région. Après plusieurs batailles contre les armées honduriennes, nicaraguayennes et guatémaltèques, Morazan démissionna et fuit au Costa Rica en 1840.
Un gouvernement conservateur prit le pouvoir et en février 1841 l'assemblée constituante approuva un décret établissant la séparation entre le Salvador et la République Fédérale d'Amérique centrale et proclamant la République indépendante et souveraine du Salvador.
Affrontements entre libéraux et conservateurs (1841-1876)
Les trente années suivant l'indépendance furent le théâtre d'une instabilité politique au Salvador due aux affrontements entre libéraux et conservateurs, aux conflits avec les États voisins et au manque de cohésion nationale. C'est une période de guerre civile quasi permanente entre les deux factions politiques qui faisaient régulièrement appel aux armées des États voisins pour renverser le gouvernement.
Les libéraux promouvaient les libertés individuelles et commerciales, ils étaient aussi fédéralistes et laïcs. Les conservateurs promouvaient les institutions issues du système colonial, l'importance du catholicisme dans la vie politique et luttaient contre le fédéralisme. Les deux mouvements étaient menés par des caudillos et possédaient leurs propres armées - qui devenaient l'armée nationale lorsque le mouvement qu'elles appuyaient était au pouvoir.
Le premier caudillo au pouvoir du Salvador indépendant fut le conservateur Francisco Malespín, il soutint les Présidents Norberto Ramírez, Juan Lindo et Juan José Guzmán entre 1840 et 1844 en tant que Commandant des Armées de l'Etat, avant de devenir Président en 1844. Quelques jours après avoir pris le pouvoir, il partit envahir le Nicaragua et le libéral Gerardo Barrios prit le pouvoir. Malgré son retour victorieux, Malespín fut destitué par l'assemblée législative en 1845 après que l'armée ne le reconnaisse plus comme Président du Salvador. Malespín fuit au Honduras puis tenta de reprendre le pouvoir en 1846, après avoir levé une armée grâce au Président guatémaltèque Rafael Carrera, mais il fut assassiné avant d'arriver à San Salvador.
Entre 1845 et 1851 trois caudillos libéraux furent au pouvoir, mais le président Doroteo Vasconcelos décida de mener une politique hostile au conservateur Rafael Carrera en ne reconnaissant pas son gouvernement et en soutenant les libéraux guatémaltèques. Il envahit le Guatemala à la tête d'une armée composée de troupes du Salvador et du Honduras mais durement battu par Carrera à la bataille de la Arada le 2 février 1851, il démissionne de ses fonctions.
Entre 1851 et 1871 six conservateurs furent au pouvoir. En 1856, le Salvador participa à la guerre contre William Walker et le Chef des armées salvadoriennes destinées au Nicaragua, Gerardo Barrios, prit le pouvoir en 1859 grâce à son retour victorieux. Les relations entre Barrios et Rafael Carrera se dégradèrent rapidement et le Guatemala envahit de nouveau le Salvador en 1863, le Président Francisco Dueñas (déjà Président après la première invasion guatémaltèque) et l'assemblée du Salvador furent alors contrôlés de près par Rafael Carrera jusqu'en 1871.
Les libéraux reprirent le pouvoir en 1871 et permirent l'installation de la République caféière.
République caféière (1876-1931)
Le café fut introduit au Salvador dans les années 1860 pour suppléer à la production d'indigo qui commençait à diminuer depuis les années 1850, après que des colorants synthétiques furent découverts en Europe.
Les années 1880 au Salvador virent l'arrivée d'européens qui s'enrichirent rapidement dans la production de café grâce à leurs connaissances des marchés internationaux et aux lois de 1881 et 1882 qui abrogeaient les ejidos et les terres communales au profit des grandes exploitations terriennes. Cette élite économique prit le pouvoir et mit en place une République caféière stable par rapport à la période des caudillos.
Cette élite est connue sous le nom des 14 familles (elles étaient en réalité plus nombreuses mais le nombre 14 représente les 14 départements du pays - chacun censé être contrôlé par une famille) ou de l'Oligarchie créolle. Les intérêts particuliers de cette élite étaient protégés par la République caféière dont les présidents étaient directement nommés par cette élite, c'est ainsi que la famille Meléndez-Quiñonez fut au pouvoir entre 1913 et 1927 (par les deux frères Carlos et Jorge Meléndez et leur beau-frère Alfonso Quiñones Molina) et 42 des 70 sièges de l'assemblée nationale étaient détenus par des grands propriétaires fonciers.
Durant cette période, l'État salvadorien et l'idée d'une nation salvadorienne s'imposèrent : le drapeau salvadorien actuel fut adopté et une armée nationale remplaça les milices des caudillos.
Soulèvement paysan de 1932
Après la Dynastie Meléndez-Quiñonez, Pio Romero Bosque devint Président de la République et mena des réformes agraires en faveur des grands propriétaires terriens. Mais avec le krach de 1929 et la chute du prix du café, le Salvador connu une crise économique et sociale importante, Romero Bosque fut obligé d’organiser une élection présidentielle libre et abandonna le pouvoir au profit du travailliste Arturo Araujo en mars 1931. Celui-ci était influencé par les idées sociale-démocrates du parti travailliste anglais et développa la vie démocratique du pays : le Parti Communiste Salvadorien (PCS) fut fondé et reconnu par les autorités et la liberté de la presse fut admise. Même si Araujo ne modifia pas les réformes agraires, l’oligarchie salvadorienne organisa un coup d’État en décembre 1932. Ce fut alors le Général Maximiliano Hernandez Martinez qui fut désigné comme Président de la République, il prit ses fonctions le 2 décembre 1932 pour les abandonner le 9 mai 1944.
Depuis les années 1920, la région occidentale du pays faisait face à des soulèvements sporadiques de paysans, très majoritairement indiens. Face à une forte répression militaire contre ces petites insurrections locales et désorganisées, le mouvement paysan s’organisa pour définir un objectif commun mais sans système hiérarchique. Parallèlement à ces révoltes, le Parti Communiste Salvadorien dirigé par Agustin Farabundo Marti était très actif et profita de la liberté de la presse pour diffuser ses idées dans les milieux les plus défavorisés de la société. C’est ainsi que, sans un programme clairement défini, le PCS décida de participer aux élections municipales de janvier 1932 (pour lesquels on devait déclarer aux autorités son intention de vote avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales). À la suite des résultats défavorables, le mouvement communiste dénonça des élections frauduleuses et abandonna la voix électorale pour planifier un soulèvement à la fin du mois de janvier 1932.
Le 22 janvier 1932 des milliers de paysans armés de machettes attaquèrent les fermes des grands propriétaires terriens et des casernes militaires, prenant ainsi le contrôle de villages de Juayuva, Nahuizalco et Izalco. Le bilan de ce premier jour de soulèvement est estimé à 20 civils (propriétaires terriens et maires de village) et 30 militaires tués ainsi que plusieurs viols.
La réponse des autorités fut immédiate, le président Maximiliano Hernandez Martinez ordonna l’exécution de toutes personnes se rebellant contre le régime. La propagande définit la révolte comme un soulèvement communiste et monta en épingle les cas de viols et de dégradation des propriétés privées. Selon des témoignages, toutes personnes ayant une machette ou des vêtements indiens et tous ceux ayant des origines indiennes marquées étaient jugés comme subversifs et coupables. Dans le village d’Izalco, toutes les personnes n’ayant pas participé à la révolte furent invitées à se faire enregistrer pour se voir délivrer des documents assurant leur innocence, une nouvelle fois ceux ayant des traits indiens furent arrêtés, fusillés et enterrés dans des fosses communes (le même sort fut réservé à leur famille).
Dix jours après le soulèvement, deux bateaux de guerre britanniques et un américain jetèrent l’ancre dans le port d’Acajutla pour protéger leurs ressortissants et leurs intérêts nationaux et proposèrent leur aide à Martinez. Celui-ci leur envoya un télégramme leur assurant que la situation était sous contrôle, « l’offensive communiste » ayant été stoppée et bientôt exterminée et que déjà 4 800 « bolcheviques » avaient été tués.
Le 1er février 1932, Agustin Farabundo Marti et les autres dirigeants communistes furent exécutés à la suite d'un conseil de guerre.
Conséquences du soulèvement
La détermination de faits historiques est encore aujourd’hui très difficile car ce soulèvement a toujours des répercussions politiques. Le parti conservateur ARENA se tient encore à la version officielle de l’époque (une révolte purement communiste) et lance chaque campagne électorale à partir du village d’Izalco avec comme hymne du parti « Le Salvador sera la tombe où les rouges tomberont » ; le parti issu de la guérilla d’extrême-gauche, le FMLN, considère cet événement comme une répression au mouvement communiste mais aussi comme un génocide à l’encontre des Indiens mené par un régime fasciste et dont ARENA en est l’héritier. Ainsi, le nombre de morts lors du soulèvement et de la répression est encore inconnu, alors que certains parlent de moins de 10 000 morts d’autres les estiment jusqu’à 40 000 (des études historiques plus neutres penchent pour 25 000 morts), et la coordination entre une tentative de coup d’État du PCS et un soulèvement spontané des paysans n’est toujours pas confirmée ou infirmée. Il a cependant été annoncé en 2007 qu’une commission sera créée pour éclaircir ces zones d’ombre.
Quoi qu’il en soit, la répression de ce soulèvement a eu comme résultat une assimilation rapide et forcée au mode de vie occidental des indiens survivants pour éviter une autre tuerie. Aujourd’hui, la langue Nahuatl, les traditions (fête, vêtement, etc.) et le système cacique (qui n’était pas reconnu officiellement avant 1932 mais qui structurait encore la société indienne) ont complètement ou quasiment disparu du pays. Le Salvador est ainsi le pays du nord de l’Amérique centrale (région où la population précolombienne était très forte) où la population indienne est la plus faible.
Autoritarisme militaire (1931-1979)
Le Général Maximiliano Hernandez Martínez mena pendant treize ans une politique dictatoriale fascisante. Attiré par les succès de l'Italie de Mussolini et de l'Allemagne nazie dans les années 1930, il ne s'aligna avec les Alliés que sous la pression des États-Unis et déclara la guerre au Japon en 1941 et à l'Allemagne en 1942. Obligé par les Alliés de libéraliser le pays en autorisant des associations de travailleurs et d'étudiants, la dictature fut peu à peu fragilisée et la grève générale de 1944 fit tomber Martínez qui ne put trouver d'excuses pour réprimer le mouvement car celui-ci était pacifiste.
Après la fuite de Maximiliano Hernandez Martínez au Guatemala en mai 1944, le Général Andrés Ignacio Menéndez prit le pouvoir grâce à l'appui de l'élite économique et de l'armée. Mais ces derniers le lâchèrent cinq mois plus tard car il voulaient organiser des élections libres. Une élection présidentielle eut lieu en 1945 et l'opposition déclara la victoire de son candidat, mais l'armée mit au pouvoir le Général Salvador Castaneda Castro qui poursuivit la politique dictatoriale de Martínez.
Le 14 novembre 1948, un coup d'État mené par la branche rénovatrice de l'armée mit en place le Conseil de Gouvernement Révolutionnaire. En 1950 une nouvelle constitution fut rédigée et le nouveau parti officiel, le PRUD (Parti Révolutionnaire d'Unification Nationale), fut créé. Entre 1950 et 1960, les deux présidents militaires issus du PRUD menèrent une politique d'inspiration sociale-démocrate en créant une sécurité sociale, en industrialisant le pays et en construisant de grandes infrastructures routières et des barrages hydrauliques. Le PRUD put mener cette politique grâce aux prix du café hauts durant la décennie et à la nouvelle culture de coton ; lorsque les prix du café commencèrent à chuter le gouvernement du PRUD fut fragilisé pour être finalement renversé en 1960.
La nouvelle constitution promulguée en 1962 interdit les doctrines anarchistes et contraires à la démocratie, cela permit au nouveau parti officiel, le PCN (Parti de Conciliation Nationale), d'interdire le parti communiste salvadorien et les autres mouvements de gauche. Le Salvador adhéra à l'Alliance for Progress, un programme américain d'aide au développement pour les pays d'Amérique latine et cherchant à lutter contre l'influence de Fidel Castro, ce qui permit de financer de grands projets d'infrastructures (routes, aéroport international, port, hôpital, etc.). Dans le même temps, et toujours avec l'appui américain, des groupes paramilitaires dirigés par l'Organisation Démocratique Nationaliste (ORDEN - soit ordre en espagnol) furent créés pour lutter contre les mouvements de gauches. En juillet 1969, le Salvador envahit le Honduras durant la courte Guerre du Football.1
« Les années 70 sont celles de l’émergence d’organisations propres au peuple pour se défendre de la répression et lutter pour ses droits. Dans le même temps, elles marquent aussi une succession d’élections frauduleuses, dont les gagnants sont des généraux bradant le droit syndical et favorisant l’entrée d’entreprises internationales à la recherche de main d’œuvre bon marché.
La répression, du peuple et de membres de l’Église le soutenant, est monnaie courante. Les assassinats et les escadrons de la mort font naître un fort mouvement populaire (paysans réclamant leurs droits de propriété de la Terre, ouvriers occupant les usines, populations civiles manifestant dans les rues). Une figure publique émerge, Monseigneur Romero, « l’évêque des pauvres », qui défend les droits des plus démunis et se fait publiquement la voix des « sans voix ». Sa prise de position lui vaudra la vie lors de l’office de la messe en mars 1980, suite à un appel énergique aux militaires pour que cesse la répression et les massacres du peuple. Cet événement provoqua une forte indignation au sein du peuple et reste toujours un des éléments les plus marquants de la répression.
À la fin des années 70, le régime sandiniste du Nicaragua soutient les guérilleros du Salvador. L’Amérique centrale devient un grand foyer de tensions. Le triomphe du mouvement sandiniste en 1979 favorise la création d’organisations populaires et la lutte contre la tyrannie du dictateur salvadorien. En décembre 1980, se crée le Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional (FMLN), composé de plusieurs organisations armées, de conviction révolutionnaire et communiste. »2
La guerre civile
Le Salvador fut le théâtre d'une guerre civile sanglante (plus de 100 000 morts, déficit d'accroissement démographique d'environ 1 million de personnes) pendant 12 ans, de 1980 à 1992, entre l'extrême droite représentée par l'Alianza Republicana Nacionalista (ARENA) et la guérilla marxiste du Frente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN). L'archevêque Óscar Romero, qui s'était opposé aux violences tant de gauche que de droite, ainsi que d'autres hautes personnalités, sont assassinés par des groupes paramilitaires.
Pour soutenir la junte militaire en place, les États-Unis se sont engagés au côté de l'armée salvadorienne.3
« Sous la pression des États-Unis, déjà très présents économiquement dans le pays, des élections présidentielles en mars 1984 donnent victoire à Napoleon Duarte. Ce personnage est installé à la présidence car il suit à la lettre la politique américaine au Salvador, dont l’un des objectifs est de contrecarrer l’expansion du FMLN. »4
En 1989, les jésuites de l'Universidad Centroamericana José Simeón Cañas sont massacrés par l'armée. Ce nouveau massacre conduit à mettre la pression sur le gouvernement pour engager les négociations.5
« En mars 1989 la victoire du parti ARENA, marque l’entrée en vigueur de programmes néo-libéraux : libéralisation du commerce extérieur (alors que l’exportation de ressources tel que le café, le sucre ou le coton était, jusque là, contrôlée par l’État) ; libéralisation des prix des produits de base, prix qui ne connaissent plus aucun contrôle ; libéralisation du taux de change ; privatisations de plusieurs institutions publiques et entreprises étatiques ; parcellement des coopératives de la réforme agraire. »6
En 1992, les différents protagonistes de la guerre civile signent les accords de paix de Chapultepec qui mettent effectivement fin à la guerre. En juillet 2002, un tribunal de Miami reconnut coupables José Guillermo García et Carlos Eugenio Vides Casanova, deux anciens ministres de la défense responsables des tortures menées par les escadrons de la mort durant les années 1980. Les victimes avaient en effet fait usage d'une loi américaine qui permettait de telles poursuites. Les deux anciens dirigeants furent condamnés à payer 54,6 millions de dollars américains aux victimes, en particulier les familles des missionnaires assassinées Maura Clarke, Dorothy Kazel, Ita Ford et Jean Donovan.7
La fin de la guerre civile et les années 90
Le conflit armé terminé, l’économie salvadorienne est entrée dans une période de relativement forte expansion et de changements, tant socio-politiques qu’économiques. Les anciens groupes armés en opposition sont passés à un affrontement sur la scène politique, notamment le FMLN, qui prend une importance considérable.
Des réformes sont mises en place. Elles correspondent aux programmes de stabilisation et d’ajustement structurel prônés par les Institutions Financières Internationales. La nouvelle administration, en vigueur depuis juillet 1989, oriente l’axe principal de sa politique vers la promotion du libre marché : privatisation bancaire, ouverture de l’économie à la concurrence extérieure, libéralisation des prix sont de mise.
Un autre changement important concerne l’appui financier extérieur de l’économie. Durant les années antérieures, l’économie salvadorienne a fonctionné notamment grâce à l’appui des donations. Mais à partir de 1990, ce schéma change. L’émigration de Salvadoriens aux États-Unis commence à se traduire en un flux d’argent envoyé par les migrants aux membres familiaux restés au Salvador : cela se traduit par un transfert d’argent des États-Unis vers le Salvador. Ces flux se sont peu à peu substitués aux donations. En 2002, les envois d’argent des émigrés salvadoriens à leur famille (1,9 milliard de dollars pour 2001) couvrent 86 % d’un important déficit commercial. Ils sont à la fois un facteur du dynamisme de la croissance mais ont aussi joué un rôle dans la perte de compétitivité des exportations salvadoriennes.
Vers le milieu des années 90, on assiste à une perte de vigueur de l’activité productive, du commerce, de la construction, de l’agriculture. Ceci a joué un rôle sur le faible rythme d’activité économique et sur la situation financière des banques dont la dette s’est élevé significativement. L’appréciation réelle de la monnaie a contribué à cette perte de compétitivité internationale de la production domestique, avec la combinaison d’un taux de change fixe et d’une inflation largement plus élevée que le niveaux internationaux jusqu’en 1996.
Alors que la situation économique n’est pas à son apogée, l’ouragan Mitch de novembre 98 vient encore plus freiner le développement du Salvador.
En janvier 2001, le Salvador procède à la dollarisation de son économie. Déjà fortement dépendante des États-Unis, les relations « intimes » depuis toujours des États-Unis envers le Salvador ont incontestablement appuyé ce choix. Le gouvernement salvadorien a justifié la dollarisation par le fait qu’elle engendrerait une baisse des taux d’intérêt, permettant des investissements dans des projets jusque là trop coûteux, donc développement. Pourtant, cette baisse des taux d’intérêt aurait pu s’établir sans passer par la dollarisation mais par une fixation légale, qui aurait apporté les mêmes bénéfices sans rendre rigide la politique monétaire. La dollarisation est plutôt mal perçue et mal vécue par l’opinion publique salvadorienne et bien que le président Flores ait annoncé que les deux monnaies co-existeraient, plus un seul colon ne circule déjà au Salvador.
Tremblement de terre et catastrophe sociale
Les tremblements de Terre mi-janvier et mi-février 2001, avec un bilan de plus de 1200 morts, 8000 blessés, 1,5 million de sans-abris, viennent aggraver la situation de façon catastrophique.8
La zone en question est propice aux tremblements de terre mais les faibles moyens économiques d'un pays de moins de six millions d'habitants, qui subit la domination du monde impérialiste et a été ravagé pendant des années par les exactions de l'armée anti-guérilla, font qu'une catastrophe naturelle prend des proportions bien plus dramatiques que dans un pays riche.
La première mesure prise par le gouvernement du Salvador a été de mettre à la disposition des plus pauvres... 3 000 cercueils gratuits. Cela résume toute la misère engendrée par cette catastrophe. Pour le reste, on dénombre plus d'un millier de blessés, plus de dix mille personnes évacuées, près de 25 000 maisons détruites, dont le tiers entièrement.
En 2001, dans cet État situé à la frontière du Guatemala et du Honduras, d'une superficie qui équivaut à la moitié de la Suisse, 1,5 des 5,7 millions d'habitants sont concentrés dans la capitale. Les dangers de tremblements de terre, ouragans, inondations ou sécheresse (et donc d'incendies de forêts) pèsent depuis toujours sur le développement de toute cette région. On l'a vu deux auparavant avec l'ouragan qui avait dévasté le Honduras, réduisant à néant les efforts faits par ce petit pays pour sortir des conséquences de la guerre civile qui a ravagé, d'une autre façon, l'Amérique centrale pendant les années quatre-vingt. C'est maintenant le tour du Salvador.
Les conflits armés entre la guérilla et les "contras" soutenus par l'État nord-américain ont cessé depuis 1992. Le petit État du Salvador, qui avait vu, dans les années quatre-vingt, son taux de croissance diminuer de 2 % par an, ne l'a vu remonter que de 1,7 % par an au cours de la dernière décennie du 20e siècle. Comme ses voisins, il s'est surtout consacré à reconstruire des infrastructures détruites par la guerre, notamment les routes et les ponts. Et les difficultés sont d'autant plus grandes que, si les États-Unis ont pesé largement sur les événements lors des douze années de guerre civile, en soutenant l'armée et les "contras" (l'extrême droite hostile à la guérilla), ils n'ont guère cherché à reconstruire ce qu'ils avaient contribué à faire détruire. Avec les 466 millions de dollars de dettes du Salvador annulées au début de la période de paix, en 1992, on est loin du compte.
Les projets économiques du nouveau régime mis en place en 1992, qui rêve de transformer le pays en l'équivalent de Hong Kong en supprimant l'agriculture et en multipliant les entreprises de sous-traitance, sont modelés sur ce que le monde capitaliste attend d'un petit pays comme le Salvador : qu'il lui fournisse de la main-d'œuvre à bon marché. Le résultat est là : plus de la moitié de la population vit dans la pauvreté, la délinquance est galopante et, si l'économie n'est pas déclarée en faillite, c'est parce qu'un million d'exilés salvadoriens envoient des États-Unis vers leurs familles une partie de leurs gains.
Depuis le début de cette année 2001, le Salvador vit au rythme de la "dollarisation", le dollar cohabitant avec la monnaie locale, le "colon". Cela illustre assez bien sa dépendance vis-à-vis de l'impérialisme américain, dont les représentants ont toujours protégé les quatorze familles de riches Salvadoriens qui dominent le pays. Et cette domination impérialiste représente pour le Salvador, comme pour des dizaines d'autres États comme lui, une catastrophe d'autant plus grande pour la population pauvre de ce petit pays qu'elle ne se manifeste pas seulement tous les quinze ans mais tous les jours. Et avec quelle âpreté ! 9
La gauche remporte l'élection présidentielle
L'élection présidentielle de 2009 a été remportée par Mauricio Funes, le candidat du Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), principal parti de la gauche salvadorienne. C'est la première fois que la droite est défaite depuis la fin de la guerre civile en 1992.
De 1980 à 1992, le Salvador a en effet été le théâtre d'une guerre civile que la droite réactionnaire et anticommuniste a remportée grâce à l'appui politique et militaire des États-Unis donné aux escadrons de la mort - les contras - au service des grands propriétaires. Une guerre marquée dès l'origine par la terreur que les possédants faisaient régner contre les petits paysans et qui a tué 75 000 personnes, dont 35 000 civils, cela dans un pays de seulement six millions d'habitants.
Les conséquences de la guerre civile
Des communautés villageoises entières n'ont survécu qu'en fuyant les tueurs de la contra et en se réfugiant dans les pays voisins. Depuis la fin de la guerre civile certains villages ont pris le nom de ceux qui en furent victimes, comme la Ciudad Romero, du nom de l'archevêque Oscar Romero assassiné parce qu'il dénonçait dans ses prêches les massacres dus aux grands propriétaires.
Marquées par la guerre civile, mais aussi par les difficultés à reprendre une vie normale après 1992, ces communautés paysannes partagent parfois les mêmes aspirations au changement que les communautés formées à partir de soldats de l'armée régulière, démobilisés après la guerre civile et ayant reçu des terres.
Les aspirations des classes pauvres sont immenses. Durant les vingt dernières années, le Salvador a été en outre ravagé par les privatisations des services sociaux, de la santé, de l'éducation et l'accès à l'eau notamment. À cela est venue s'ajouter comme partout l'explosion des prix des denrées alimentaires et des carburants. Les prix des conserves de haricots, par exemple, ont triplé en deux ans. Les produits de base coûtent plus cher qu'aux États-Unis. Bien des Salvadoriens ont vu leur niveau de vie plonger en dessous du seuil de pauvreté, en même temps que se développait la criminalité des gangs. S'ils n'ont pas plus sombré, c'est seulement parce que les très nombreux Salvadoriens en exil envoient de l'argent, notamment des États-Unis, à leurs proches restés au pays.
Un mouvement de guérilla reconverti
Le Front Farabundo Marti porte le nom d'un dirigeant communiste salvadorien, assassiné en 1932, lors d'une insurrection paysanne à laquelle le minuscule Parti Communiste salvadorien d'alors s'était associé. Mais en 2009, son dirigeant actuel n'a rien à voir ni avec le communisme des années trente, ni même avec la période de la guerre civile des années quatre-vingt. Mauricio Funes n'a pas participé à la guerre civile.
Cet ancien journaliste de la chaîne de télévision américaine CNN et animateur télé connu a abandonné les discours radicaux que tenaient ses prédécesseurs lors des élections. Si le Front compte encore dans ses rangs d'anciens guérilleros, une grande partie de ses cadres n'ont d'autre ambition que de gérer le Salvador, sans remettre en cause la domination économique des classes possédantes.
À la base du Front, on rêve des réalisations sociales de Chavez, mais au sommet on s'inspire du Brésilien Lula, des Kirchner d'Argentine ou encore de l'espagnol Zapatero. On a pu entendre un ancien chef de la guérilla, Sigfrido Reyes, titulaire d'un master en politique économique de l'université de New York, déclarer : « Tous les mouvements politiques, tous les corps sociaux changent. (...) Nous ne représentons pas seulement les travailleurs, mais aussi les entreprises nationales qui prennent le risque d'investir dans notre pays. » Mais il est impossible de servir deux maîtres et un des conseillers de Funes, Hato Hasbun, a prévenu : « Nous devons respecter les accords internationaux qui ont été signés. (...) Nous voulons être un gouvernement responsable. »
Or, depuis la victoire des contras soutenus par les États-Unis, l'économie salvadorienne est entièrement sous leur domination. Elle n'a d'ailleurs pas de monnaie propre et utilise le dollar pour tous les échanges. Parmi les pays d'Amérique latine qui ont participé à l'intervention américaine en Irak, le Salvador y est resté le plus longtemps, il vient tout juste en 2009 de rapatrier son contingent de 200 militaires.
Quel changement ?
La victoire de Mauricio Funes a été saluée par Hugo Chavez qui y voit « la vague de fond qui s'est levée dans toute l'Amérique latine et dans les Caraïbes ». Mais si le nouvel élu déclare que « le Salvador est à l'aube d'une nouvelle ère de changement », il a annoncé qu'il entendait copier le Brésil de Lula plutôt que le Venezuela de Chavez.
L'ancien journaliste de CNN avait d'ailleurs fait plusieurs voyages à Washington ces derniers temps pour y rencontrer des responsables et avait annoncé, avant l'élection, que le Salvador resterait un allié des États-Unis. Un conseiller de Washington a même dit avoir été favorablement impressionné en rencontrant lors d'un voyage au Salvador un ancien commandant de la guérilla se rendant à un rendez-vous d'affaires à la chambre de commerce !
Il n'est donc pas étonnant qu'à peine élu, Funes ait cherché à rassurer les milieux financiers en annonçant que le dollar resterait la monnaie nationale. En échange de quoi, il a reçu les félicitations de Washington et le président Obama s'est dit prêt à coopérer avec lui. Quant à son adversaire de droite battu à l'élection, Rodrigo Avila, un ancien chef de la police formé par le FBI, il a promis de mener, dans l'opposition, une « action constructive ». Son parti l'Arena (Alliance républicaine nationaliste) avait été formé par des militaires de la contra, notamment le major Robert d'Aubuisson, chef d'un escadron de la mort, décédé en 1992 et connu pour avoir commandité l'assassinat de l'archevêque Romero en 1980.
À l'annonce du résultat, les partisans de Funes et du Front ont laissé éclater leur joie et sont descendus dans la rue, tout de rouge vêtus et drapeaux à la main.10
Le FMLN de nouveau au pouvoir en 2014
La victoire électorale du Front Farabundo Martí pour la Libération Nationale (FMLN) aux élections présidentielles du 2 février 2014 constitue un événement. La coalition de gauche, au gouvernement depuis 2009, a réussi à conserver son appui populaire, en intégrant cette fois à la vie politique et démocratique du pays, par la voie de la participation électorale, les très nombreux Salvadoriens -un sur quatre-, vivant à l’étranger, en particulier aux États-Unis d’Amérique.
Des trois axes majeurs du programme du candidat élu, Salvador Sánchez Cerén, (le développement social et économique avec une aide accentuée à la petite entreprise et la création d’emplois, l’approfondissement de la politique éducative menée par l’actuelle administration et la question de la sécurité avec la lutte contre la criminalité), le troisième (la sécurité) était déjà une des priorités du gouvernement précédent. C’est ainsi que dans l’un des pays les plus violents de la région, la politique gouvernementale a permis l’instauration d’une trêve entre les bandes rivales, ayant pour conséquence une diminution de la criminalité. En 2013 se commettaient, en moyenne, 8 meurtres par jour, alors qu’au début de la mandature on en comptait 15.
Effectivement, un des problèmes majeurs, non seulement au Salvador, mais dans presque tous les pays d’Amérique Centrale, est l’existence de bandes de jeunes dont l’apparition remonte aux années 80, même si le phénomène trouve ses racines historiques dans l’annexion des territoires mexicains en 1846 par les Etats-Unis. Avec l’implantation, commanditée par Washington, de féroces dictatures ayant pour mission de stopper le « communisme », la région s’est embrasée, les populations organisant des guerres de résistance. Seule la révolution du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) au Nicaragua a pu abattre la dictature de Somoza. Les autres mouvements de libération, - au Salvador comme au Guatemala -, ont été contraints de négocier leur intégration dans le système politique, mais les problèmes sociaux sont restés intacts. Les migrations aussi bien politiques qu’économiques vers les États Unis n’ont alors cessé de croître. Face à la discrimination et aux agressions, les jeunes migrants se sont constitués en bandes que la politique d’expulsion (appelée déportation aux Etats-Unis) du régime nord-américain s’est ensuite chargée d’exporter dans leurs pays d’origine, provoquant ainsi le transfert de la culture de violence. Les bandes les plus connues actuellement au Salvador sont Barrio 18 et Mara Salvatrucha (MS-13).
La politique de Washington face à la violence a toujours été la répression, conséquence de l’incapacité du système à adopter des mesures de prévention qui résoudraient le problème à la racine. Malgré la promesse électorale de B. Obama, la politique d’expulsion n’a cessé de se durcir et pendant ses deux mandats, plus de deux millions d’immigrants sans papier ont été expulsés du pays, ce qui représente presque le nombre total des déportés depuis plus d’un siècle. Pour un pays dont les habitants, et en particulier le président, sont issus de l’immigration, la situation serait cocasse si la vie de personnes n’était en jeu.
Si Washington a toujours disposé de ressources pour implanter des dictatures en Amérique Latine (AL), aujourd’hui il se montre moins généreux pour aider ce petit pays qu’est Le Salvador à réunir les 5 000 millions de dollars nécessaires pour lutter efficacement contre la criminalité. Bien plus, le régime américain s’oppose à la politique gouvernementale du Salvador qui veut une trêve entre les bandes, et l’entrave en s’appuyant sur le fait qu’en octobre 2012, le Département du Trésor des États Unis a inclus la MS-13 dans sa liste noire. Et pourtant, la politique du gouvernement salvadorien a fait chuter le taux d’homicides de presque deux tiers. Au vu d’un tel succès, d’autres pays de la région, comme le Guatemala et le Honduras, ont commencé timidement à la copier et le processus compte, aussi, avec l’appui de l’OEA. En mars 2011 déjà, Fidel Castro, dans une des ses réflexions, avait dénoncé, de façon accablante, le cynisme de la politique criminelle des États-Unis.
La vie des migrants est ainsi devenue une arme politique aux mains du régime de Washington, utilisée comme moyen de pression sur les pays voisins. Les centaines de morts par an à la frontière entre les USA et le Mexique ne suffisant pas , les USA ont stimulé l’immigration clandestine en promulguant en 1966 la loi d’ajustement qui favorise les départs de Cuba par le détroit de Floride.
De tous les locataires de la Maison Blanche c’est sans doute Obama qui a été le plus retors en se déclarant dans l’incapacité d’appliquer sa promesse électorale de stopper les expulsions des illégaux. Et le nombre de reconduites à la frontière a largement dépassé celui de l’époque de Bush, aggravant de ce fait la situation au Salvador.
Mais le temps, et la natalité, jouent contre la volonté de l’empire américain. Au mois de mars 2014 la communauté latine de Californie est devenue la plus nombreuse (et la plus jeune). Pour ne pas se mettre cette population à dos, l’état de Californie a déjà promulgué une loi limitant le nombre de renvois d’immigrants dans leurs pays, comme l’a fait également l’état de New York. Par ailleurs, afin de limiter les critiques, les fonctionnaires et élus fédéraux ont reçu l’ordre du gouvernement de faire savoir et répéter que la procédure de déportation a été modifiée. D’après eux, le pourcentage d’expulsés, condamnés par les lois américaines, serait en augmentation de 71 % et celui des sans papiers uniquement, en diminution de 23 %. Cependant, les immigrants commettant des délits mineurs ou sous le coup de simples contraventions sont considérés, désormais, comme des délinquants. Les conséquences de cette politique sont terribles : des milliers de mineurs nés aux Etats-Unis se retrouvent orphelins après l’expulsion de leurs parents. Les autorités américaines se soucient encore moins du sort des déportés eux-mêmes. Selon le Bureau de Washington pour l’AL, les expulsés - surtout les non mexicains - sont des proies faciles pour les bandes criminelles qui pullulent à la frontière avec le Mexique, alimentant ainsi les filières du crime sur le territoire américain lui-même. Le chancelier du Guatemala a déclaré que la politique de déportation des Etats-Unis, qui oblige les policiers à atteindre des quotas dans la chasse aux illégaux latino-américains, est comparable à la politique de ségrégation du régime nazi. Des états dirigés par les Républicains avaient même créé des primes par tête d’immigrant illégal capturé, comme le Texas qui offrait 25 dollars par homme, femme ou enfant. Aujourd’hui, cette mesure a été annulée.
Selon la doctrine Monroe, toujours en vigueur, les nord-américains ne peuvent accepter le fait qu’un peuple latino-américain puisse construire une société bâtie sur un autre modèle que le leur, car telle est la source de leur puissance et de leur hégémonie mondiales.11
Économie
Au Salvador, la vieille oligarchie au cœur de la guerre civile a maintenant été supplantée par une autre centrée sur le commerce, les services et le tourisme. En 2014, les 145 personnes les plus riches du pays possèdent ensemble plus de 20 milliards de dollars. En contraste, 17 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour. Le salaire mensuel moyen d’un travailleur agricole est d’à peine 100 $, et celui d’une ouvrière d’une maquila (usine étrangère installée en zone franche) est de 200 $.
Malgré les accords de paix survenus il y a deux décennies, les politiques néolibérales successives ont fait en sorte que le peuple salvadorien continue de souffrir de la violence extrême et de la pauvreté. Le pays est déstabilisé, entre autres, par la criminalité galopante, la crise environnementale reliée à l’exploitation minière et le cancer des cartels de la drogue.12
Une population déchirée par sa pauvreté
Il y a 7 millions d’habitants au Salvador, avec un fort taux de ruralité (presque 50 %). Il y a environ 3 millions d’habitants Salvadorien qui résident à l’étranger, pour la plupart aux États-Unis où ils se retrouvent en communauté dans des quartiers pauvres et très violents avec un conflit permanent contre les populations Asiatiques et Afro-Américaines. Les salvadoriens ont commencés à émigrer vers les USA lorsque la guerre civile a éclaté dans les années 80’ et que les États-Unis sont intervenus pour « rétablir l’ordre ». L’éducation n’est pas accessible pour la majorité des jeunes, l’école est obligatoire jusqu’à 9 ans cependant les habitants vivant en dehors des villes et dans les quartiers défavorisés n’ont pas accès à ces écoles. Le taux d’émigration est de 4 pour 1000.
Je vais parler ici essentiellement des populations pauvres, car leur situation est complexe et intéressante notamment à cause de la guerre tristement célèbre entre la Mara Salvatrucha 13 (MS – 13) et la Mara dieciocho (M-18). Au Salvador les disparités économiques et sociales entre les habitants sont très importantes. Une grande partie de la population urbaine vie dans des bidonvilles où la survie se résume au commerce de narcotrafiquants et au trafic d’arme. Le Salvador étant un lieu intermédiaire de la drogue qui provient de l’Amérique du Sud (Colombie surtout) vers les USA. Cette guerre de gang est devenu très importante depuis que les USA rapatrie les émigrés salvadorien dans leur pays natal après qu’ils aient purgés leur peine de prison (aujourd’hui les prisons américaines étant pleines, les salvadoriens ne font plus leur peine aux USA, ils sont renvoyés directement au Salvador). Le système judiciaire du Salvador n’est pas compatible avec ce qui se passe et les prisons sont engorgées. Certaines associations salvadoriennes essaient (en vain) d’expliquer que mettre en prisons les délinquants et les Maras ne résous pas le problème tant que la seule solution qui s’offre à eux pour s’en sortir est d’intégrer un des deux gangs. Les populations du Salvador sont délaissées par les gouvernements et sont donc livrés à elles-mêmes, livrées à une guerre de gang interminable.13
Origines des gangs salvadoriens
D’après les historiens, l’origine de la violence au Salvador proviendrait de la multiplication des conflits armés puis de la guerre civile qu’a connue la région au cours des années 1980. À cette époque, les difficultés économiques et sociales poussèrent à l’immigration de nombreux Salvadoriens vers les États-Unis. La quête d’une vie meilleure symbolisée par « l’American way of life » s’est rapidement heurtée à la difficulté du quotidien (manque de travail, méconnaissance de l’anglais). Profitant de leur faiblesse, les petites communautés salvadoriennes se sont vite retrouvées la proie des gangs mexicains, portoricains et afro-américains. Cela prenait la forme de rackets, de menaces de mort et parfois de meurtres. Pour se défendre, les communautés salvadoriennes ont décidé de reproduire le même modèle que leurs agresseurs à savoir les gangs. La violence salvadorienne est née, elle prendra le nom de « Maras ». Les premières Maras apparaissent dans les banlieues de Los Angeles, la Mara Salvatrucha (MS-13) et Mara Pandilla 18 (M18) sont parmi les plus réputées. Étymologiquement, l’origine du mot Maras a fait couler beaucoup d’encre. Selon certains, il pourrait être la contraction de « Marabunta », c’est-à-dire des « fourmis chasseuses » qui dévastent la forêt amazonienne. Pour d’autres, la signification viendrait du prénom « Mara » qui fait référence à la Vierge Marie.
Le crime organisé permet à ces gangs de gagner plus facilement et plus rapidement de l’argent. Les vols, le trafic de drogue s’intensifient ainsi que les rixes entre les gangs. Les Maras se font rapidement une réputation et deviennent connues des services de police. C’est alors qu’au début des années 1990, un processus de paix s’initie en Amérique Centrale. Simultanément, la ville de Los Angeles s’embrase. Elle est confrontée à une crise sociale d’envergure, c’est le début des émeutes de 1992. Pendant six jours, les gangs afro-américains et latinos pillent et mettent à sac la ville. Les États-Unis en profitent alors pour expulser tous les Salvadoriens ayant un casier judiciaire vers leur pays d’origine.
Organisation et activités des Maras
À leur arrivée, les jeunes mareos se retrouvent dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Ces derniers vont profiter du développement et de la mondialisation à double vitesse qui touchent l’Amérique Centrale à cette période. Effectivement, le manque d’institutions étatiques et la paupérisation stagnante permettent à ces gangs de se restructurer, d’étendre leur action et d’enrôler de nouveaux adeptes. Les nouveaux membres des Maras voient dans les gangs un moyen de sortir de l’exclusion et du chômage. Ces nouveaux initiés ont en moyenne une vingtaine d’années. Il arrive parfois de voir des individus un peu plus âgés pour les postes de chef de clans. À noter que les femmes sont aussi membres de ces gangs, elles représenteraient aujourd’hui plus de 20 % de l’effectif des Maras.
Les jeunes sont des cibles de choix pour les gangs. L’ONG britannique « save the children » a démontré que dès l’âge de sept ans, les enfants pouvaient intégrer les gangs salvadoriens. Les Maras réussissent à tirer profit de la naïveté et de la faible instruction de ces gamins généralement issus des quartiers les plus défavorisés du pays. Ce sont aussi, parfois, des enfants des rues sans le moindre repère familial. Le crime organisé leur est présenté comme un moyen plus fiable de gagner de l’argent et d’accumuler du pouvoir, un certain prestige et d’intégrer une nouvelle famille en portant allégeance à leur chef. L’entrée dans les gangs leur permet, plus facilement qu’un emploi quelconque, de jouir de la consommation de masse.
Une fois entrés dans la Mara, les jeunes adhérents sont directement confrontés à la violence. Le « rite » d’entrée est un passage à tabac collectif par les autres membres de la Mara ou ils optent pour le test. C’est l’épreuve du feu qui consiste à tuer de sang froid une personne innocente choisie au hasard dans la rue. Une fois cet étrange protocole réussi, ces recrues devenues membres doivent se faire tatouer sur tout le corps leur appartenance au gang. L’entrée de plus en plus tôt d’enfants dans les Maras a entraîné au début des années 2000 un accroissement de la violence juvénile au Salvador et aussi en Amérique Centrale. Le gouvernement salvadorien ira même jusqu’à parler « d’enfants soldats urbains ».
Les Maras sont avant tout un phénomène urbain structuré et hiérarchisé (autour de la figure du chef) visant à l’accumulation du plus grand nombre de territoires et à l’envie de tuer le plus possible de membres du gang adverse. En effet, ces gangs sont continuellement en concurrence les uns contre les autres. L’ambition étant de devenir LA Mara dominante. Pour atteindre ce résultat, chaque bande s’affronte, tue, vol, rackette et accentue en même temps l’insécurité de certains quartiers totalement abandonnés par les forces de police.
La solidarité et la cohésion du gang se forment autour de la valeur familiale. Le sentiment d’appartenance collective y est fort et chaque membre s’identifie à son propre groupe. L’objectif d’une Mara n’est pas politique et encore moins idéologique, ce qui domine semble être le prestige. L’économie de la Mara repose essentiellement sur le vol, la prostitution, le trafic de drogue, le trafic d’armes, la revente de voitures, le kidnapping et le racket. Avec le temps, les activités criminelles des Maras ont évolué, le passage des frontières par exemple est devenu une affaire fleurissante. Il n’est pas rare que « les grands coyotes » (nom donné aux passeurs de frontières) appartiennent à une Mara. Ce changement a pour conséquence d’entraîner la diffusion des gangs loin de leur frontière d’origine. Le champ d’action des Maras couvrirait aujourd’hui un espace allant de la frontière canadienne à l’isthme panaméen. À l’échelle de l’Amérique Centrale et les États-Unis, leur nombre serait d’environ cinq cent mille.
Politique de la tolérance zéro
Le développement des Maras en Amérique Centrale mais aussi en Amérique du nord a poussé les États-Unis à soutenir les actions menées par le Salvador et son voisin l’Honduras (notamment par le biais d’un soutien militaire). Coup sur coup en 2004, l’ancien président Antonio Saca annonce que les lois de la « super mano dura » (super main dure) et de « l’anti Maras » ont été adoptées. Elles visent à éradiquer le phénomène des Maras. Au Salvador, la loi répressive de la mano dura inflige une peine d’emprisonnement de 12 ans à toute personne suspectée d’appartenir à un gang. Les groupes anti-Maras ont aussi vu le jour, ce sont des factions extra-militaire qui visent à l’exécution des membres du gang, la plus réputée est la « Sombra negra ».
En 2009, le nouveau président salvadorien Maurico Funès s’est montré particulièrement sensible à la montée de la violence juvénile. Pour endiguer ce problème, une politique de prévention à l’égard des plus jeunes a été mise en place. La « mano amiga » (main amie) vise à sensibiliser les enfants sur les dérives des gangs et les préparer à la réinsertion pour les remettre sur les bancs de l’école. Les États d’Amérique Centrale ont été soutenus par l’ONU dans la lutte contre les Maras. À titre d’exemple, les Nations Unies ont sponsorisé –grâce au programme Casa Joven– la création de plusieurs centres culturels pour appuyer la politique de la mano amiga. De nombreuses ONG ont apporté un soutien quotidien au gouvernement Salvadorien dans la réhabilitation des jeunes. L’Église protestante enfin s’est montrée particulièrement concernée dans le combat contre les Maras.
La lutte contre les Maras s’est entachée de débats controversés au Salvador. Plusieurs lois ont été remises en cause notamment le principe de la mano dura. Les associations de défense des droits de l’homme se sont indignées de cette loi qui viole les principes de liberté fondamentale. Plus clairement, la suspicion qui est le moteur d’emprisonnement de la mano dura gêne. Ironiquement, la population du Salvador ne soutient pas du tout ces associations et cautionne dans la grande majorité les actions du gouvernement. Pourtant, les résultats de cette politique n’ont pas eu les effets escomptés. Le Taux d’homicide n’a pas diminué, entre 2004 et 2008, dix-sept mille trois cent quarante-neuf assassinats liés à la Mara ont été recensés. La Politique d’Antonio Saca s’est avérée un échec pour l’homme qui voulait faire du « Salvador le pays le plus sûr d’Amérique Latine », il en paiera le prix lors des élections présidentielles de 2008 et sera remplacé par Mauricio Funès.
Les gangs de la Mara vers une paix durable ?
En mars 2012, coup de théâtre. Les gangs salvadoriens de la Mara, M13 et M18 décrètent une trêve.
« Nous vivons dans une situation de guerre et nous sommes arrivés à la conclusion que cela devait cesser », annonce le chef du gang M18 Carlos Ernesto Mojica.
Les deux chefs de gangs se sont entendus secrètement en prison. Cette nouvelle a été saluée par l’ensemble de la classe politique au Salvador. Les effets sur l’insécurité dans le pays ne se sont pas fait attendre. En quelques jours, l’atténuation de la guerre des gangs a entraîné une diminution du nombre de morts et des enlèvements. En quelques mois, le nombre de recrutements de jeunes mareos à chuter, les quartiers sont devenus plus calmes.
Le ministère de la Sécurité publique du Salvador a révélé que le chiffre moyen d’assassinats par jour est passé de 13,6 à 5,5 entre janvier et septembre 2012. Mieux encore, le 24 avril 2012 restera dans les mémoires comme la journée où le pays n’a pas connu le moindre homicide. C’est une victoire pour le camp du président Funès qui essaye tant bien que mal de récupérer ce succès à son compte. Seul le Salvador a réussi à baisser son taux de criminalité en Amérique Centrale. Le Guatemala et le Honduras n’ont pas encore cette chance. Toutefois, si les progrès sont certains, les Maras continuent leurs activités illicites auxquelles s’ajoute la peur d’une population qui ne se dissipe pas et ne croit plus en cette paix fragile.14
Du Salvador aux États-Unis : l’histoire d’un adolescent immigrant
L’arrivée de dizaines de milliers d’enfants d’Amérique centrale par la frontière États-Unis-Mexique est le résultat direct de décennies de dictatures et guerres financées par les États-Unis en Amérique latine. La vaste majorité de ceux qui entreprennent le long périple de presque 2500 kilomètres le fait en raison de la violence des bandes criminelles et d’économies en dépression, particulièrement au Honduras et au Salvador. Au Mexique, ils font face à des agents de police corrompus et à des passeurs qui volent et violent fréquemment les femmes. Le voyage est particulièrement dangereux pour les enfants non accompagnés, car ils représentent des cibles faciles pour les gangs et les trafiquants d’êtres humains.
L’administration Obama a répondu à cette catastrophe sans aucune compassion ni le moindre sens d’humanité, ayant déporté plus de migrants sans papiers que n’importe quelle administration dans l’histoire des États-Unis. En 2014, la Maison-Blanche et le Congrès ont cherché à accélérer la procédure par laquelle les enfants non accompagnés sont déportés dans leur pays respectif, sachant très bien que plusieurs de ces enfants vont mourir de la violence liée aux gangs et aux escadrons de la mort de la police. Il s’agit en soi d’une violation directe des lois internationales qui stipulent que les réfugiés fuyant une zone de guerre ou l’oppression sociopolitique ont droit à l’asile et ne peuvent être forcés de retourner dans le pays qu’ils fuient.
En août 2014, le gouverneur républicain du Texas, Rick Perry, a annoncé des plans visant à envoyer 1000 soldats de la Garde nationale à la frontière. Ces plans vont de pair avec la militarisation de la frontière, incluant le plan de la Maison-Blanche de 3,7 milliards de dollars en fonds d’urgence pour accroître davantage la patrouille frontalière et d’ajouter plus de drones aériens.
Le WSWS s'est entretenu avec quelqu'un qui a fui la pauvreté et la violence d’Amérique centrale lorsqu’il était adolescent dans le but de partager ses expériences vécues à bord de trains au Mexique, connu sous le nom de « La Bestia », ainsi que son opinion sur le récent exode des enfants d’Amérique centrale.
Aristides, originaire du Salvador, habite maintenant à Los Angeles.
WSWS: Que pensez-vous de la militarisation croissante de la frontière ?
A: Selon moi, en tant qu’immigrant, je ne crois pas que ce soit juste. Il est certain que quelque chose va arriver. S’ils mettent plus de troupes à la frontière, il y aura quand même des accidents. Quelque chose va arriver. Cela va se terminer en une gigantesque catastrophe. Aussi, je pense que s’ils envoient plus de troupes le long de la frontière, il y aura sans doute des affrontements de quelque sorte; c’est ce à quoi je faisais référence. Mais je vois tout ça comme très très absurde. Plusieurs personnes viennent ici pour travailler honnêtement, légalement, c’est-à-dire gagner de l’argent honnêtement.
WSWS: Que pensez-vous de la politique des États-Unis sur l’immigration ?
A: Je crois qu’elle est très mauvaise. Personnellement, je suis tout à fait en désaccord avec cette politique. Au lieu d’aider, elle va créer plus de problèmes, plus de haine et de rejet de la part du peuple. Ce pays va se faire plus d’ennemis de cette façon.
WSWS: Que pensez-vous du vol de lundi dernier qui a déporté des enfants au Honduras ?
A: Ils n’ont pas modifié la loi qu’ils ont passée en 2008, n’est-ce pas ? Donc, dans ce cas, le gouvernement américain est pratiquement en train d’enfreindre la loi. Ils enfreignent la loi !
WSWS: Quelles seront les conséquences de ces politiques pour les immigrants ?
A: L’élément principal est qu’ils ne pourront plus vivre dans ce pays. Plusieurs de ces personnes veulent être ici. Plusieurs parents sont actuellement ici dans ce pays, et leurs enfants sont là-bas, mais ils souhaitent qu’ils soient ici. Ils veulent avoir une vie ici ; ils ne veulent pas s’en retourner. Des familles vont être déchirées.
WSWS: À quoi ressemblent les conditions au Salvador ?
A: Ils vont retourner à une vie plus misérable encore que lorsqu’ils l'ont quitté. Par exemple, en parlant de mon pays, le Salvador, j’aime mon pays natal, mais malheureusement là-bas, les politiques, les lois, le crime, tout ça est vraiment mauvais. J’ai une sœur là-bas qui doit fuir à cause d’extorsion. Ils ont menacé de la tuer, ils ont tué son mari. Je dois prendre soin de mes sœurs. Ils ont tué mon père. Il avait un commerce à un Metrocentro [une grande chaîne de supermarchés au Salvador]. Ils l’ont tué en 1997, probablement pour les mêmes raisons. Et c’est la police qui l’a tué.
Là-bas, la loi elle-même facilite les extorsions. Le gouvernement lui-même donne du pouvoir aux gangs pour qu’ils fassent cela. Il n’y a pas si longtemps, ils ont découvert une femme salvadorienne vivant au Guatemala qui avait 7 millions de dollars, tous provenant de l’extorsion. Les gens ne peuvent pas trouver de travail. Mes deux sœurs avaient un commerce de vente de vêtements dans un Metrocentro, suivant les traces de mon père. Ils ont tué le mari d’une de mes sœurs parce qu’il ne voulait pas payer. Ils ont menacé mon autre sœur chez elle, lui disant qu’ils la tueraient si elle ne leur donnait pas 500 dollars par mois. Qu’ont-ils fait ? Bien, elles sont parties. Les gens abandonnent leurs maisons, ils déménagent d’un endroit à l’autre. Et les gens capables de venir ici le font. Voilà la raison pour laquelle ils immigrent, les enfants surtout, parce que les mineurs sont forcés de joindre les gangs, ou bien ils sont enlevés, surtout s’il est su qu’ils ont de la famille ici aux États-Unis. Ils les enlèvent et demandent une rançon. C’est une vraie catastrophe.
Ce sont des histoires tristes. Cela remonte loin dans l’histoire. Si Obama intensifie la militarisation de la frontière, cela fera encore plus de dégâts à ces pays.
WSWS: Est-ce que l’impérialisme joue un rôle fondamental dans les conditions de votre pays aujourd’hui ?
A: Oui, tout vient de là. C’est un vieux problème. Dans les années 1980 [durant les années de dictatures droitières], tout ce qui aurait pu exister aujourd’hui a été détruit…ça aurait pu être un meilleur endroit aujourd’hui. Plusieurs personnes étaient tuées quotidiennement. Je me souviens que la dernière offensive a été en 1989. J’étais plus âgé à cette époque, je devais avoir 11 ou 12 ans. Dans le quartier où je vivais, il y a eu un violent affrontement. Je me souviens de ne pas avoir pu sortir de la maison pendant cinq jours pour acheter de la nourriture ou quoi que ce soit. Mon grand-père et moi avons ouvert la fenêtre, des soldats et des guérilleros occupaient toute la rue. Lorsque nous avons ouvert la fenêtre, nous avons vu un soldat près de la fenêtre pointant son arme. Nous avions tout juste ouvert la fenêtre et en trois secondes une balle l'a atteint à la tête et des morceaux de sa cervelle ont éclaboussé nos visages. Pouvez-vous vous imaginer ? J’étais enfant – ce genre de chose est extrêmement traumatisant. Il y a plusieurs personnes vivant ici aujourd’hui qui ont passé à travers ce genre d’expériences lorsqu’ils étaient enfants et qui ont toutes sortes de traumatismes psychologiques.
WSWS: Pouvez-vous décrire le parcours jusqu’aux États-Unis ?
A: J’ai quitté mon pays avec très peu d’argent. Personne n’a payé de « coyote » [quelqu'un qui fait du trafic d'immigrants] pour m’amener ici. C’était une décision que j’avais prise avec deux autres enfants, des camarades de classe. Ils avaient 18 ans et j’en avais 17. Nous avions décidé de venir ici. Ils avaient gagné pas mal d’argent et m’ont dit : « Si tu n’as pas assez d’argent, on va payer pour toi et nous quitterons ». Alors j’ai dit, « bien sûr, j’irai aux États-Unis ». En tant que mineur, je n’avais qu’à payer 25 dollars aux douanes entre le Salvador et le Guatemala pour passer librement. Ils ne m’ont pas demandé si j’avais de la famille ou quoi que ce soit. Ce devait être en 1995.
Nous avions assez d'argent pour payer le voyage. Arrivés à la frontière du Guatemala, nous voulions traverser la rivière pour entrer au Mexique. Nous avons alors rencontré un homme qui a dit qu'il pourrait nous faire traverser. « Suivez-moi », il a dit. Nous avons marché le long de la rivière et en entrant dans la forêt, nous avons vu des hommes équipés de machettes qui semblaient travailler là. Je marchais à la tête du groupe quand un autre homme s'est retourné, a sorti un revolver et l'a appuyé sur ma tête : « Couche-toi, fils de pute. C'est un hold-up ; donne-moi tout ton argent. » Et ils ont pris tout ce que nous avions. Ils nous ont abandonnés sans rien à manger. Ils ont pris les chaussures que je venais tout juste d'acheter spécialement pour le voyage. Ils nous avaient abandonnés à notre sort sans rien. Nous sommes ensuite tombés sur quelqu'un qui faisait traverser les gens. Nous lui avons raconté comment nous venions tout juste d'être braqués et il dit : « Je sais qui a fait ça. Je peux vous faire traverser gratuitement si vous voulez. »
Cet homme nous a donc fait traverser la rivière. Nous étions complètement trempés et nous devions trouver l'endroit où nous pouvions embarquer dans « La Bestia » [le tristement célèbre train de marchandises]. Durant tout ce temps, pendant que nous étions à la recherche du point d'embarquement de la Bête, nous mendiions pour de la nourriture. Nous demandions des tortillas et, parfois, on nous en donnait avec un peu de sel ou des bananes. Des gens nous offraient de l’eau quand nous leur en demandions. Plus loin, quand nous cherchions où embarquer sur la Bête, nous avons été arrêtés par l’immigration mexicaine et ils nous ont fait monter dans leur camion. Ils nous ont emmenés à un cours d’eau pour prendre notre argent, mais nous n’en avions pas, on nous l’avait déjà tout volé. Ils sont partis en colère en nous abandonnant là.
Oui, c’était bien la police mexicaine, la police fédérale. Nous avons pu trouver le chemin pour quitter la rive de ce cours d’eau en suivant les traces de pneus. Sinon, nous nous serions certainement perdus là-bas. Nous avons finalement trouvé où embarquer sur la Bête, il y avait environ 20 à 30 personnes qui l’attendaient déjà. Un homme nous a expliqué comment faire pour embarquer. Ce qu’il faut savoir c’est que la Bête elle-même ne tue pas, c’est la façon dont on y monte qui peut nous tuer, car le train n’arrête pas. Il voyage à 30, peut-être 50 km/h, et il faut courir à côté pour pouvoir y monter. Si tu glisses, tu te retrouves sous le train et tu y restes. Monter n’est pas si difficile, mais imaginez en descendre à 30 ou 50 km/h. Et il y a une raison pourquoi c’est la seule façon de faire : ce sont les meilleurs endroits pour monter et descendre quand le train n’est pas arrêté. On ne peut pas attendre à l’arrêt du train, parce que c’est là que la police de l’immigration surveille.
Donc quand le train approche d’un poste d’immigration, il ralentit et il faut se jeter à l’extérieur. Une fois débarqué, je n’ai pas eu à marcher bien longtemps. Il fallait contourner le poste de garde et remonter à bord plus loin, mais nous n’avons pas pu remonter, car je m’étais foulé la cheville droite en sautant du train. Pour marcher, je devais m’appuyer sur les épaules de mon ami. Nous avons donc marché, contourné le poste des gardes et avons trouvé des amis. Bon, ils n’étaient pas vraiment nos amis, mais ils étaient salvadoriens. Ils nous ont hébergés pendant un mois. Je suis resté avec eux durant quatre mois. À ce point, je n’étais plus capable de continuer, j’ai dû demander de l’aide à ma famille ici aux États-Unis.
C’est facile de se procurer les documents nécessaires à Mexico. Pour 50 dollars, j’ai pu obtenir un certificat de casier judiciaire. Avec ce document (c’est une pièce d’identité avec photo), c’est possible de faire la distance entre Puebla et Tijuana sans problème en traversant les postes de contrôle de l’immigration. Tijuana a été la partie du voyage qui m’a le plus troublé. Aussitôt descendu de l’autobus, c’est comme si je m’étais trouvé en plein marché, comme si des gens vendaient des poulets. Certains t’accostent : « Je vais te faire traverser, je vais te faire traverser. » À l’époque, ça coûtait 500$ pour traverser la frontière. Aujourd’hui, je pense que c’est aux environs de 3000$. Quelqu’un s’approche donc de moi et je lui dis que « Je veux traverser aux États-Unis. » Il nous a emmenés, moi et quatre autres personnes, dans une maison. Il y avait 8 ou 9 personnes déjà là, dont 2 mineures.
Quand nous sommes arrivés, et je vais toujours me rappeler de ça, les hommes étaient armés, on pouvait voir leurs flingues à leur ceinture. Ils étaient trois, et deux d’entre eux étaient armés. Ils ont séparé les femmes. La maison avait trois pièces. Les hommes étaient dans une pièce et les femmes dans une autre, mais comme ces pièces n’avaient pas de porte, nous pouvions voir les femmes. Ils les prenaient une par une pour les violer dans l’autre pièce. Nous sommes intervenus (je pensais qu’ils allaient nous tuer) parce qu’ils avaient pris une fillette de 12 ans et elle avait commencé à hurler dans la pièce. Ses cris… j’entends encore ces cris dans ma tête, les cris de cette fillette. Je pense qu’environ 90% des femmes sont violées durant le voyage.
Ces cris de peur nous ont bouleversés. Nous nous sommes tous levés, nous sommes allés dans la pièce et nous l’avons retirée du lit. C’était plutôt les gars plus vieux que moi qui ont fait ça. Ils l’ont levée et l’ont retirée du lit et une adulte a dit: « Si vous devez violer quelqu’un, violez-moi, mais laissez-la partir, laissez les jeunes tranquilles. » Imaginez ces enfants, je ne sais pas pourquoi ils étaient là, ni comment ils sont arrivés là ou avec qui ils voyageaient. Selon moi, ils voyageaient seuls et personne n’était là pour prendre soin d’eux. C’est un autre problème qui arrive à la frontière, ce n’est pas juste maintenant, ça fait longtemps que c’est comme ça. Je pourrais vous décrire cette journée en détail, je ne peux l’oublier. Je ne vais jamais l’oublier. Je ne vais jamais oublier les gémissements de cette fillette, ses cris terrifiés. Dieu merci, ils n’ont pas pu la violer ou la pénétrer, mais ils l’avaient déjà déshabillée à moitié avant que nous n’intervenions pour la séparer d’eux.
Savez-vous ce que les femmes font maintenant ? Quand elles partent, elles apportent avec elles un paquet de préservatifs et de pilules contraceptives afin qu’elles ne tombent pas enceintes, parce que là-bas elles se font dire qu’il y a de fortes chances qu’elles soient violées. Et c’est vraiment le cas. J’ai une sœur et elle a 28 ans maintenant. Elle est jolie et elle a besoin de venir ici, même si quelqu’un pourrait aller la chercher, je ne lui demanderai pas de venir. Je n’aurais jamais l’esprit tranquille. Je ne pourrais jamais avoir l’esprit tranquille si elle devait venir ici, parce que je sais ce qui l’attend, elle pourrait mourir.
Je connais une femme dont les trois enfants sont tombés malades pendant qu’ils voyageaient avec elle. Au Mexique, ils lui ont dit que si elle ne les laissait pas la violer, ils la tueraient, elle et ses enfants. En plus de tout ça, elle a été détenue en Arizona. Elle a dit que ses trois enfants avaient attrapé la varicelle et qu’un de ses enfants risquait de mourir d’une forte fièvre. Elle s’est ensuite mise à crier comme une folle afin que le garde-frontière s’occupe finalement de son enfant et l’amène à l’infirmerie. Elle a dit qu’elle a commencé à déchirer ses vêtements et tout. Elle a dit qu’elle était devenue folle.
Ça nous a pris cinq mois pour arriver. Grâce aux Salvadoriens qui nous ont hébergés, j’ai été là pendant un mois jusqu’à ce qu’un camionneur arrive pour avoir des mangues et des bananes pour les apporter au centre d’approvisionnement [dans la ville de Mexico]. Je lui ai demandé s’il voulait me conduire à sa maison et j’ai habité chez lui. Mes deux amis qui m’ont accompagné sont retournés à Tapachula à ce moment. Mais j’ai dit « Non, je suis déjà ici, je ne retournerai pas. »
J’ai une autre histoire aussi. Lorsque j’étais à Puebla, celui qui m’avait offert de me conduire quelque part m’a amené chez lui. Il m’a nourri et logé pendant quatre mois. Il partait travailler et je restais avec sa sœur. J’aidais aux tâches ménagères, comme balayer la cour et faire l’épicerie.
Il a fait deux autres voyages et au troisième, il est revenu avec deux femmes, deux Salvadoriennes, et l’une d’entre elles était enceinte de neuf mois et sur le point d’accoucher. Lorsque je suis arrivé, la femme avait déjà accouché. Lorsqu’ils ont vu que j’avais fait le voyage, elles ont eu l’idée de venir parce qu’il y avait des emplois disponibles. Elle a alors abandonné l’enfant et est partie seule. Elle a laissé l’enfant derrière elle. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Je ne sais pas, mais je pense qu’elle sentait que c’était trop risqué d’amener l’enfant avec elle aux États-Unis. Imaginez ce qu’une femme enceinte doit vivre, comme devoir abandonner son enfant, pour pouvoir terminer son voyage.
La situation est extrêmement dure dans ces pays. On ne fait pas le voyage juste parce que ça nous plaît. Si on vient ici, c’est parce qu’il y a une raison. Si j’étais de retour dans mon pays et que j’avais assez pour vivre, pourquoi est-ce que je resterais ici en me stressant pour payer mon loyer et mes factures ? Je n’aurais pas à me préoccuper de ça là-bas, j’ai ma maison et je ne dois pas payer pour tout cela. Mais on ne peut pas vivre là-bas.15
Trente ans de prison pour une fausse couche !
Le 14 décembre 2017 un tribunal salvadorien a confirmé la peine de trente ans de prison infligée en 2008 à Teodora Vasquez, 34 ans. Son crime ? Avoir fait une fausse couche.
Dans ce pays d’Amérique centrale de six millions d’habitants, la justice considère qu’une fausse couche est un homicide aggravé passible d’une peine de trente à cinquante ans de prison.
Depuis 1997, au Salvador, l’avortement est totalement interdit, quelles que soient les circonstances. Mais les peines encourues, de deux à huit ans de prison, sont plus légères que dans les cas de fausse couche.
Il y a dix ans, Teodora Vasquez, enceinte de neuf mois, était sur son lieu de travail quand elle a senti que l’accouchement se déclenchait. Elle a tenté en vain de contacter les urgences puis elle a perdu connaissance et le bébé n’a pas survécu. La police a été prévenue et, lors du premier jugement en 2008, la justice, comme elle fait souvent dans des cas similaires, a décidé qu’elle avait caché sa grossesse et qu’elle ne voulait pas de ce bébé.
En pratique, si une femme arrive aux urgences à cause d’une fausse couche, le personnel appellera la police pour ne pas être accusé de complicité. L’AFP a recensé le cas de 26 jeunes femmes ainsi arrêtées par la police pour délit de fausse couche !
Cette affaire suscite de l’émoi. Elle est dénoncée par Amnesty International. En septembre 2017, une manifestation a été organisée pour la dépénalisation de l’avortement. Et une poignée de médecins se sont regroupés pour soutenir une députée qui tente d’obtenir une loi sur l’avortement, d’ailleurs assez restrictive, mais la perspective des élections législatives en mars 2018 rendait peu probable que les députés aillent dans ce sens.
Toute l’histoire du pays depuis 1931 n’est qu’une succession de dictatures, de répressions, d’exécutions. Dans un tel contexte, oser manifester pour la libération de Teodora Vasquez était d’autant plus courageux.16
Teodora Vasquez a été libérée
Le 16 février 2018, Teodora Vasquez a finalement été libérée grâce à la campagne menée en sa faveur.
À sa sortie de prison, Teodora a expliqué qu’elle avait perdu onze ans de sa vie et qu’elle entendait maintenant lutter contre cette loi inique qui considère la perte d’un enfant, que ce soit une fausse couche ou un avortement, comme un homicide « aggravé ».
Teodora est sortie de prison et c’est tant mieux. Mais toutes les autres femmes emprisonnées doivent être libérées, et surtout il est grand temps d’en finir avec une loi qui criminalise les femmes.17
Sources