La Colombie

 

 

 

Époque précolombienne

Les vestiges archéologiques comme ceux de El Abra indiquent que l'occupation humaine de l'actuel territoire colombien remonte entre 11 000 et 20 000 av. J.-C. Les chemins suivis par le peuplement furent variées, comme en témoignent la répartition des différentes familles linguistiques et le développement culturel (périodes paléoindienne, archaïque et formative). Sa situation géographique en fit un couloir de population entre la Mésoamérique, la Caraïbe, les Andes et la forêt amazonienne.

Au XVIe siècle, le territoire était occupé par des peuples à divers états du formatif, comme les Arawaks, les Caraïbes et les Chibchas. Ces derniers, formés de deux groupes, les Tayronas et les Muiscas, sont remarquables dans le formatif supérieur de par leur niveau élevé de civilisation.

 

Colonisation espagnole

Le premier contact entre les Européens et l'actuelle Colombie eut lieu à la suite d'une expédition commandée par l'Espagnol Alonso de Ojeda, menée depuis la péninsule de la Guajira en 1499.

Douze ans plus tard, les Espagnols fondèrent Santa María la Antigua del Darién, leur première colonie sur le continent américain puis, après avoir consolidé leur présence dans les zones côtières avec la fondation de Santa Marta (1525) et Carthagène des Indes (1533), commencèrent l'exploration des régions intérieures, avec la fondation de Popayán (1536) et Bogota (1538).

En 1513, les lois de Burgos furent promulguées dans le but de limiter les mauvais traitements infligés par les colons aux indigènes, mais leur effet fut limité. Ces derniers étaient soumis au système de l’encomienda et subirent une évangélisation forcée. Les difficiles relations avec les Européens furent à l'origine de nombreuses révoltes indigènes qui empêchèrent la pacification du territoire. Les institutions de repartimiento, d'encomienda et de mita (service obligatoire, notamment dans les mines) contraignirent les indigènes aux travaux forcés et au paiement de tributs. La traite négrière fut introduite par le port de Carthagène des Indes entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle.

Les institutions coloniales furent implantées en 1550, avec l'érection de l'Audience royale de Santa Fe de Bogota, qui comprenait les territoires des gouvernorats de Bogota, Santa Marta, Río de San Juan, Popayán, Guyane et Carthagène des Indes.

Les provinces de Caracas, Cumaná, Guyane et Maracaibo dépendaient de l'Audience royale, mais furent occasionnellement rattachées, particulièrement dans le domaine judiciaire, avec celle de Saint Domingue.1

La Real audiencia de Santa Fe de Bogota, représentante d'une autorité lointaine mais indiscutée, parvient à rétablir l'ordre en quelques années. La ville où elle siège devient rapidement la plus grande ville de ce qui est appelé alors le Royaume de Nouvelle-Grenade. Les oidores et autres fonctionnaires venus d'Espagne ne tardent pas à devenir la classe dirigeante de la colonie tandis que le rôle des premières conquérants décline inexorablement.

 

Le 22 mars 1564, le pape Pie IV créé l'archevêché de Bogota dont l'autorité religieuse s'étend de Cuenca, au sud de Quito, jusqu'à Panama. La même année, la Real audiencia devient Presidencia avec la nomination en tant que président d'Andrés Díaz Venero de Leyva.

 

Le royaume de la Nouvelle-Grenade

La Nouvelle-Grenade se caractérise par trois facteurs essentiels : la diminution rapide de la population amérindienne par l'essor précoce du métissage, les nouvelles maladies et la guerre ; l'importance économique des mines d'or exploitées par des esclaves amenés d'Afrique ; la compartimentation régionale due au relief qui rend les échanges difficiles et favorise les particularismes. Plus qu'un véritable État, la Nouvelle-Grenade est une juxtaposition de plusieurs sociétés très dissemblables qui ne communiquent que peu.

Le centre du pays, autour de Santa Fe, abrite la principale concentration de bureaucrates entourée d'une vaste région agricole peuplée d'indiens ou de métis. Dans le nord-est et le nord-ouest andins se développe une agriculture prospère basée sur la culture du tabac ou du café. La côte Caraïbe profite des échanges entre la métropole et la capitale ainsi que du commerce d'esclaves avec la région Pacifique où se trouvent les plus importantes mines d'or.

Bien que généralement connue pour sa production d'or, la société qui se met en place sous la domination espagnole est surtout centrée sur l'agriculture. Les échanges avec la métropole ou les autres colonies sont très réduits. L'économie agricole néo-grenadine est basée sur l'appropriation des terres par les espagnols et l'exploitation de la main d'œuvre rurale : amérindiens au début, puis métis ou esclaves noirs dans certaines régions après le brutal déclin de la population autochtone.

 

L'or, les mines, et la société esclavagiste

La Nouvelle-Grenade, colonie secondaire par rapport au Mexique ou au Pérou, ne dispose pas d'importantes réserves d'argent. En revanche la production d'or y est importante. La production est dès lors assurée par des mines, qui sont en fait des gisements alluviaux collectés par orpaillage. Très vite, malgré les efforts de la Couronne espagnole pour empêcher l'asservissement des autochtones telles les Leyes Nuevas en 1542, la main d'œuvre indigène, gratuite, est épuisée par les mauvais traitements et les difficiles conditions de travail.

 

Les exploitants ont alors recours à des esclaves noirs ramenés d'Afrique. Carthagène des Indes, par sa situation géographique, est une étape privilégiée entre la métropole, Saint-Domingue, le Mexique et le Pérou. Elle devient un important port négrier, le seul d'Amérique avec Veracruz au Mexique jusqu'en 1615. Dans l'ensemble, cette main d'œuvre est mieux traitée, parce qu'elle coûte cher : un jeune adulte vaut jusqu'à 4 000 reals, soit le prix de 25 vaches.

Jusque dans les années 1580, il faut une licence pour importer des esclaves en Nouvelle-Grenade. Un cabildo achète les esclaves à la Couronne et les répartit entre les citoyens de sa ville. À partir de 1587, le système de l’asiento est adopté. Les esclaves sont achetés à des compagnies portugaises puis anglaises ou françaises qui payent au gouvernement espagnol le droit d'introduire en Amérique une certaine quantité d'esclaves chaque année. Interrompu de 1640 à 1660 à cause de la Guerre de Restauration portugaise, il atteint son apogée au début du XVIIIe siècle. La contrebande permet aussi aux colons de se fournir en main d'œuvre. En 1789, le commerce d'esclaves est totalement libéralisé, mais il est alors déjà en déclin.

 

La vice-royauté de la Nouvelle-Grenade

En 1700, Charles II d'Espagne meurt sans successeur et les Bourbons succèdent aux Habsbourg sur le trône d'Espagne, de manière définitive après la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714). Avec l'Espagne, les Bourbons héritent de l'immense Empire espagnol dont fait partie le Royaume de Nouvelle-Grenade. Très vite, la politique à l'égard des possessions d'outre-mer change : tandis que sous les Habsbourg les différents royaumes sont unis à la Couronne de Castille, théoriquement sur un pied d'égalité avec les royaumes européens de León ou de Grenade, les Bourbons tendent à considérer les royaumes d'outre-mer comme de simples colonies n'existant que pour être exploitées. Cette nouvelle politique se traduit par un bouleversement de l'administration et l'alourdissement brutal de la fiscalité, ce qui ne va pas sans provoquer de violentes réactions en Amérique.2

 

La Nouvelle Grenade fut établie comme vice-royauté, rassemblant les Audiences royales de Santa Fe, de Panama, de Quito ainsi que certaines provinces qui furent ultérieurement rattachées à la Capitainerie générale du Venezuela, avec capitale à Santa Fe.

Durant toute l'époque coloniale, la zone fut la cible d'attaques de pirates des Caraïbes au service de la couronne britannique, qui fut vaincue par l'Espagne en 1741, lors de la Guerre de l'oreille de Jenkins, après le siège de Carthagène des Indes.3

Sur le plan économique et fiscal, la Couronne met fin à certains monopoles gênants et inefficaces. En 1768, la liberté de commerce est instaurée entre la Nouvelle-Grenade et le Pérou, puis avec toute l'Amérique en 1774. Le monopole du port espagnol de Cadix pour le commerce transatlantique est aboli en 1778. Dans le même temps, d'autres monopoles plus lucratifs sont créés sur le commerce de certains produits comme la poudre, le rhum ou le tabac. Mais ces réformes peinent à être appliquées et le visiteur général Juan Francisco Gutiérrez de Piñeres est envoyé en Nouvelle-Grenade en 1778 pour affirmer l'autorité de la Couronne et faire appliquer ses décisions malgré l'hostilité des producteurs locaux à leur égard.

En 1781 a lieu un important soulèvement populaire, la révolte des Comuneros, dans la région de l'actuel département de Santander, en Colombie. Les causes sous-jacentes sont surtout économiques, liées aux réformes entreprises par la Couronne espagnole, mais les idées de liberté et d'autonomie gouvernementale sont exprimées, notamment à travers l'exigence d'une représentation plus importante des créoles au sein de l'administration coloniale du pays, ce qui laisse augurer la lutte pour se libérer du colonialisme espagnol menée au XIXe siècle. Marchant sur Santa Fe, les protestataires négocient avec l’archevêque à Zipaquirá mais le vice-roi Manuel Antonio Flores refuse de reconnaître l'accord ainsi signé le 8 juin 1781 et envoie les troupes de Carthagène mater la rébellion.4

 

Émancipation et Grande Colombie

Après l'invasion de l'Espagne par la France de Napoléon en 1808 commencèrent les guerres d'indépendance en Amérique du Sud, inspirées par la mentalité des lumières en Europe ainsi que les processus d'indépendance des États-Unis et de Haïti.

Antonio Nariño, opposé au centralisme espagnol, lança un mouvement d'opposition contre le vice-royaume, ce qui conduit à des revendications d'une autonomie lors de soulèvements survenus dans les grandes villes de la Nouvelle Grenade en 1810. Après l'indépendance de Carthagène en novembre 1811, furent formés deux gouvernements indépendants qui s'affrontèrent et disparurent dans une guerre civile, au cours d'une période connue comme la Patria Boba (« patrie idiote »).

L'année suivante furent proclamées les Provinces-Unies de Nouvelle-Grenade, menées par Camilo Torres Tenorio. Malgré les triomphes de la rébellion, l'apparition de deux courants idéologiques opposés parmi les partisans de l'émancipation, fédéralistes et centralistes, donnèrent lieu à un affrontement interne qui favorisa à la reconquête du territoire par les Espagnols et la restauration de la vice-royauté dirigée par Juan de Sámano, dont le régime mena une répression à l'encontre des participants aux soulèvements. En conséquence, les espoirs d'indépendance grandirent au sein de la population et, ajoutés aux difficultés économiques et militaires connues en Espagne, favorisèrent le triomphe de la campagne libératrice de la Nouvelle-Grenade menée par Simón Bolívar, qui proclama l'indépendance définitive du pays en 1819. La résistance royaliste fut finalement vaincue en 1822 dans l'actuel territoire colombien, et en 1823 dans le reste du vice-royaume d'alors.

Le Congrès de Cúcuta de 1821 approuva une constitution, dont le principal objectif était la création d'une République de Colombie, aujourd'hui connue sous le nom de Grande Colombie. Le nouvel État se composait toutefois d'une union très instable entre les actuels États de Colombie, du Venezuela, d'Équateur et de Panama principalement, et fut entamé par la sécession du Venezuela en 1829, suivie de celle de l'Équateur en 1830. Comme le Chili, la Bolivie, Mexique, ou le Pérou, le pays fait appel à la Bourse de Londres pour financer des sociétés minières : des centaines de techniciens anglais traversent l’océan, avec leur machine à vapeur, pour les moderniser comme aux mines d'or et d'argent de la Vega de Supia, remarquées dès 1803 par le géographe Alexander von Humboldt et mis en garantie par Bolivar auprès de créanciers anglais pendant les guerres de libération.5

 

Premier siècle de la République

Depuis son indépendance, suite à la dissolution de la Grande Colombie en 1830, la Colombie n'a pas connu de période de plus de quinze ans sans guerre civile, sauf durant la période 1902-1948, qui fait figure d'exception à la règle. Ceci en fait probablement le pays le plus instable de la région, ce qui rend d'autant plus étonnant que la Colombie, contrairement à tous ses voisins, est toujours restée une démocratie, à la seule exception de la dictature du général Gustavo Rojas Pinilla, qui occupe le pouvoir entre 1953 et 1957 afin de faire cesser l'instabilité découlant de La Violencia.

Les causes de ces guerres sont principalement l'ambition des dirigeants et des partis conservateur et libéral qui voyaient dans la guerre le moyen de conquérir le pouvoir et l'incapacité de ces mêmes dirigeants et partis à concilier des visions idéologiques différentes.6

Ainsi, entre 1839 et 1884, le pays se trouva dans une situation très instable et souffrit d'une série de guerres civiles, qui marquèrent son histoire et dont certaines favorisèrent des changements de régime, de nom ou de constitution.

En 1854, un coup d'État politico-militaire porta José María Melo au pouvoir durant quelques mois. Après son renversement, les autorités entreprirent une politique de réduction des forces armées, prérequis important au fonctionnement fédéraliste qui fut instauré jusqu'en 1859, moment où se produisit la quatrième guerre civile à la suite d'une rébellion dans l'État de Cauca, qui mit à bas le gouvernement.

Dès lors et jusqu'en 1876, sous la Constitution de Rionegro, qui favorisait l'autonomie des États et la création d'armées régionales en réaction à la faiblesse politique et militaire du gouvernement central, survinrent près de 40 guerres civiles régionales et une nationale (1876-1877). En 1884, les libéraux radicaux tentèrent, sans succès, de renverser le président Rafael Núñez. Au cours de ces guerres, le nom officiel du pays changea continuellement. Entre 1831 et 1858, le pays se nomma « République de Nouvelle-Grenade » (« República de Nueva Granada »), entre 1858 et 1861 « Confédération grenadine » (« Confederación Granadina »), de 1861 à 1886 « États-Unis de Colombie » (« Estados Unidos de Colombia »), avant la restauration de « République de Colombie » (« República de Colombia »), qui est encore la dénomination actuelle.7

Commencée en octobre 1899 sous le prétexte de la récession causée par la chute du cours du café, la guerre des Mille Jours (guerra de los Mil Días en espagnol) est le fruit de la rivalité entre les conservateurs et les libéraux, les forces gouvernementales conservatrices étant bien mieux organisées et armées que leurs adversaires. Cette guerre civile de grande ampleur, qui provoque la création de nombreux fronts de guérilla et est marquée par l'ingérence de forces étrangères (vénézuéliennes, cubaines, nicaraguayennes et équatoriennes), prend fin en 1902 après avoir causé la mort d’environ cent mille personnes, soit 3,5 % de la population de l’époque. De plus, la guerre amène la perte du Panama, à la suite de l’intervention des États-Unis, qui provoquent la sécession de ce territoire (devenu en 1903 un État indépendant), afin de pouvoir y creuser le canal qui allait relier l'océan Atlantique et l'océan Pacifique.8

 

L'hégémonie conservatrice

Au sortir de la guerre des Mille Jours en 1904, la politique de Regeneración des années 1880-1890 n'a pas encore porté ses fruits et le pays est dans un état de fragilité extrême : l'insécurité est importante, l'économie est ruinée et les finances publiques sont dans un état lamentable, l'intégration des régions n'a fait que peu de progrès, même si une unification juridique et douanière a été effectuée. Cependant, les bases institutionnelles d'un régime stable sont établies, l'État a définitivement affirmé son autorité et le retour de la paix, bien que fragile, permet à la situation de s'améliorer considérablement et aux conservateurs, qui monopolisent le pouvoir pendant près de trente ans, de mener à bien de nombreuses réformes.

Sur le plan économique, l'État joue un rôle notable. Il encourage le développement des transports et protège l'économie nationale par des tarifs douaniers élevés (relevés brutalement de 70 % en 1907).

Après 1903, les travaux de construction de chemins de fer s'accélèrent. Grâce au télégraphe, au téléphone, à la TSF, à la radio, à plus de trente quotidiens, au développement des transports notamment aériens, la Colombie s'ouvre au monde et les investissements étrangers commencent à s'installer dans le pays.

À cette époque, la production et l'exportation de café explose. En 1920, avec 11,3 % de la production mondiale, la Colombie occupe le deuxième rang derrière le Brésil.

La United Fruit Company, qui a installé ses bananeraies dans la région de Santa Marta à partir de 1899, emploie en 1920 environ 25 000 personnes et représente 6 % des exportations. Quant à l'élevage, le cheptel double entre 1904 et 1930 et la Colombie exporte de la viande vers les Antilles et les États-Unis.

C'est également dans les années 1920 que commence l'exploitation des richesses pétrolières du pays. En 1922, la compagnie américaine Standard Oil ouvre la raffinerie de Barrancabermeja. En 1929, la Colombie exporte vingt millions de barils.

Ce développement nouveau provoque des inégalités importantes, sources de conflits sociaux souvent réprimés dans le sang. Les premières grèves notables éclatent en 1918-1919 dans les ports de la mer des Caraïbes, peu après la fin de la première Guerre mondiale. En 1919, année où le droit de grève est reconnu, quoique dans d'étroites limites, une grève des tailleurs de Bogota, qui protestent contre la décision de l'armée d'acheter ses uniformes à des compagnies étrangères, est durement réprimée avec un bilan de sept morts et quinze blessés. À cette époque, faire partie d'un syndicat est très dangereux. En 1929, seules 70 associations d'ouvriers sont reconnues mais ne jouissent d'aucune protection légale face à l'arbitraire des patrons.

Les conflits les plus durs ont lieu dans les enclaves des compagnies nord-américaines. La Tropical Oil Company, ancêtre d’Ecopetrol, doit ainsi faire face à deux grèves violentes et longues à Barrancabermeja en 1924 et 1927, qui se soldent par des licenciements massifs.

Le 6 décembre 1928 a lieu le massacre des bananeraies, dans la ville de Ciénaga au nord de la Colombie, lorsqu'un régiment de l'armée colombienne ouvre le feu sur des travailleurs grévistes de la United Fruit Company, faisant 100 morts et 238 blessés.

 

La République libérale

En 1930, grâce à la division des conservateurs, les libéraux sont de retour au pouvoir en la personne d'Enrique Olaya Herrera. C'est la première fois dans l'histoire colombienne qu'une alternance politique se déroule presque sans violence.9

 

Entre 1930 et 1946, le Parti libéral colombien gouverna dans une perspective revencharde. En 1932 éclata la guerre colombo-péruvienne, dont le dénouement garantit la participation colombienne à l'occupation de la zone amazonienne.10

 

La Violencia

Jorge Eliécer Gaitán, leader du Parti libéral, est très proche des classes moyennes et aux faibles revenus. Il est l’un des premiers en Colombie à parler de politique sociale, souhaitant notamment démocratiser la culture, nationaliser l’enseignement et améliorer les conditions de travail des ouvriers.11

Le 9 avril 1948, Gaitán est assassiné par Juan Roa Sierra, qui a agi pour des motifs inconnus. L'enthousiasme populaire suscité par la probable victoire de Gaitán aux prochaines élections présidentielles et l'espoir que représentait la révolution qu'il semblait vouloir mettre en œuvre pour changer la vie politique et économique colombienne sont à la mesure de la fureur incontrôlable que provoque son assassinat.

Aussitôt après le drame, la foule déchaînée met à mort l'assassin puis envahit et saccage le Capitolio, où se tenait la conférence de l'Organisation des États américains. En l'absence de la police et de l'armée, les pillages se multiplient. Après s'être emparés d'une station de radio, des partisans de Gaitán appellent le président Mariano Ospina Pérez à démissionner. Ce dernier, son cabinet et les dirigeants libéraux ne parviennent pas à un accord sur les mesures à adopter et la situation ne cesse d'empirer. La violence s'étend alors à d'autres villes : Medellín, Ibagué et Barranquilla. Quand, après plusieurs jours de tueries, pillages et incendies, l'ordre est finalement rétabli par l'intervention de l'armée, le bilan de ces émeutes, appelées le Bogotazo, s'établit à près de 1 900 morts, des milliers de blessés et 136 édifices détruits, dont le palais historique de San Carlos, le palais de justice et le couvent dominicain.

 

La répression orchestrée par les conservateurs au pouvoir, réunis autour du président conservateur Laureano Gómez, élu en 1949 lors d'élections anticipées, se transforme progressivement en une véritable guerre civile opposant une droite catholique réactionnaire à une gauche libérale radicalisée par l’assassinat de son chef et l’ambiance d’intolérance politique du moment.

Ce conflit, connu sous le nom de La Violencia, provoque la mort de près de 300 000 colombiens sur une population estimée à 15 millions d’habitants (2 %). Il s’agit certainement là de l’un des plus violents conflits politiques de l’histoire du pays et d’une période excessivement traumatisante pour le peuple colombien.

La Violencia est à plus d’un titre une époque clé pour comprendre le développement du conflit actuel. Tout d’abord, elle provoque la renaissance de mouvements guérilleros de gauche, libéraux puis communistes. C’est de l’époque de la Violencia que date l’apparition des milices d’autodéfense paysanne modernes établies pour lutter contre les exactions des militaires et des groupes armés conservateurs, milices qui donneront postérieurement naissance, entre autres, aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il s’agit en premier lieu de guérillas d’origine libérale dont certaines se transformeront en guérillas communistes, principalement dans les départements de Cundinamarca (Bogota) et de Tolima (Ibagué).

 

Le coup d'État du général Rojas Pinilla

Le 13 juin 1953, cas unique dans l’histoire colombienne, le général Gustavo Rojas Pinilla renverse le président Laureano Gómez et prend le pouvoir par un coup d’État dans le but de faire cesser le bain de sang et de stabiliser une démocratie vacillante. Celui-ci est approuvé par une assemblée constituante de 61 délégués pour le reste de la durée du mandat présidentiel, c'est-à-dire jusqu'au 7 août 1954.

Pinilla rompt avec le bipartisme qui l'a porté au pouvoir et crée ce qu'il nomme « la troisième force », qui propose une réorganisation du pays en s'appuyant sur les travailleurs, les classes moyennes et les militaires, soutenue par des principes catholiques issus de la doctrine sociale de l'Église et des idées bolivaristes.

 

En 1956, prenant conscience du danger de laisser Rojas Pinilla installer durablement une troisième force politique au sommet de l'État, les deux partis traditionnels acceptent de discuter et signent le 24 juillet le pacte de Benidorm dans le but de renverser le dictateur et reprendre le pouvoir. Le 10 mai 1957, Rojas Pinilla est forcé de démissionner et un gouvernement militaire provisoire dirigé par le général Gabriel París Gordillo est mis en place.

 

Le Front National

En 1958, le pacte de Benidorm est soumis à un plébiscite et la population accepte l'institution du Front national, un accord de cogestion du pays entre les deux principaux partis, le parti conservateur et le parti libéral. Cet accord unique en son genre prévoit l'alternance au pouvoir entre un président libéral et un président conservateur, les ministères et les charges publiques locales se répartissant de façon égalitaire entre ces deux partis, changeant de main à chaque élection. Les partis tiers (entre autres le Parti communiste colombien, le MRL et l'ANAPO de Gustavo Rojas Pinilla fondé en 1961), ne peuvent pas présenter de candidats sous leurs propres couleurs aux élections, mais les candidats qui en sont issus ont la possibilité de se présenter sous l'étiquette de l'un des deux grands partis

Toutefois, les inégalités sociales restent fortes et, bien que la période de guerre civile massive prenne fin, une grande partie des combattants de gauche refuse de déposer les armes. Les factions libérales acceptent le compromis alors que les socialistes se radicalisent, prennent le maquis dans le sud du pays, principalement dans les régions de Huila et Tolima et, à la suite de la révolution cubaine de 1959, se rapprochent du communisme. Des guérillas marxistes apparaissent dans des zones reculées du pays, enracinées dans les luttes agraires ou inspirées par la révolution cubaine, initiant l'actuel conflit armé colombien.

 

Apparition des premières guérillas communistes

À partir de 1957 se créent des mouvements agraires d'inspiration libérale puis communiste issus des milices d’autodéfense paysanne modernes établies durant La Violencia pour lutter contre les exactions des militaires et des groupes armés conservateurs, principalement dans les départements de Cundinamarca (Bogota) et de Tolima (Ibagué). L’État colombien s'attaque à ces zones, dont l’éphémère « République de Marquetalia », à partir de 1964. À la suite de ces combats, se forment deux groupes de guérilla marxistes : les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'Armée de libération nationale (ELN).

Le premier de ces groupes émerge en 1964 comme branche militaire du parti communiste colombien, à partir de groupes de guérillas issus de la République de Marquetalia et des autres zones d'autodéfense communistes constituées en particulier dans les départements du Tolima et du Meta. Les FARC sont menées par Manuel Marulanda Vélez et essentiellement constituées de paysans, avec un fort encadrement du parti communiste.

L'ELN est un groupe d'inspiration castriste fondé en 1965 dans le département de Santander, bénéficiant initialement du soutien des communistes au travers des syndicats des ouvriers du pétrole.

En 1967, un troisième groupe de guérilla, l'Armée populaire de libération (EPL) émerge à partir d'une scission maoïste du parti communiste colombien.

Ces groupes de guérilla ne connaissent pas d'importants succès et, au début des années 1970, sont réduits à quelques centaines d'hommes agissant dans des zones reculées du pays. Bien que jouissant de la sympathie d'une partie de la population, en particulier les étudiants, le gouvernement arrive à les contrôler avec une importante aide des États-Unis. En effet, en cette période de guerre froide, ceux-ci ne souhaitent pas un nouveau Cuba et promeuvent partout dans le monde et en particulier en Amérique la lutte contre toute tentative de coup d'état d'inspiration communiste. Ainsi, l'ELN castriste est presque anéantie en 1973 au cours de l'opération Anorí mais quelques dizaines de guérilleros échappent à l'encerclement de l'armée et continuent leur lutte armée.

Les années 1970 sont marquées par la reconstitution des structures des FARC et de l'ELN, qui reçoivent l'aide de Cuba et du Nicaragua après la révolution sandiniste de 1979 et parviennent à conserver leurs bases d'appui rurales, et par l'émergence du Movimiento 19 de Abril, une guerilla urbaine apparue à la suite des élections supposément frauduleuses du 19 avril 1970 qui voient la défaite du général Rojas Pinilla.

À partir des années 1980, le conflit armé colombien prend une nouvelle dimension avec l'essor du narcotrafic et l'émergence des premiers groupes paramilitaires financés par les narcotrafiquants pour se protéger des actions des guérillas.

 

L'essor du narcotrafic

Carrefour géographique et seul pays d'Amérique du Sud à posséder une double façade maritime, la Colombie dispose en outre de capacités entrepreneuriales fortes, d'une diaspora en réseau et des moyens techniques nécessaires à l'élaboration et à la synthèse de drogues. La diversité de son relief ainsi que l'existence de zones reculées favorisent la culture potentielle de marijuana, de coca ou de pavot. De plus, la Violencia a contribué au développement de contrebandes diverses (alcool, tabac, émeraudes, précurseurs chimiques, produits manufacturés, stupéfiants…).

Entre 1974 et 1982, la Colombie est un important producteur de marijuana. La cocaïne est alors essentiellement produite au Pérou et en Bolivie et n'est que convoyée et transformée en Colombie pour ensuite prendre la route des Caraïbes ou du Mexique.

C'est à la fin des années 1970 que le cartel de Medellín de Pablo Escobar se développe. Il fait irruption sur la scène politique en 1982 lorsqu'Escobar est élu député suppléant. Écarté systématiquement à partir de 1984, Escobar entre en guerre avec le gouvernement en assassinant en 1984 le ministre de la Justice, Rodrigo Lara Bonilla. Le 17 décembre 1986, Guillermo Cano Isaza, journaliste de El Espectador, est abattu. Le 18 août 1989, c'est le tour du candidat libéral à l'élection présidentielle, Luis Carlos Galán. Le 27 novembre 1989, le cartel tente d'assassiner César Gaviria, successeur de Luis Carlos Galán, candidat à la présidentielle colombienne en faisant exploser le vol 203 d'Avianca, faisant 110 morts. Le 6 décembre 1989, un attentat à la voiture piégée détruit l'immeuble du Departamento Administrativo de Seguridad. Outre le gouvernement, le cartel de Medellín est également en guerre avec son concurrent le cartel de Cali à partir du milieu des années 1980. Les attentats se multiplient alors à Bogota, Medellín et Cali. En 1991, Pablo Escobar est finalement arrêté et, en fuite, abattu deux ans plus tard. Cette mort met un terme à une décennie de conflit ouvert.

 

Le cartel de Cali, qui a su rester beaucoup plus discret que son concurrent, reprend alors le contrôle du trafic de drogues. Le président Ernesto Samper se voit en 1994 accusé d'avoir reçu six millions de dollars de la part du cartel de Cali pour financer sa campagne, ce qui provoque une crise politique interne et un grave incident diplomatique avec les États-Unis. Les résultats de l'enquête connue sous le nom de Proceso 8000 montrent que de nombreuses entreprises fictives et diverses entités bancaires ont effectué plus de 40 000 transactions en faveur de personnalités politiques colombiennes. Ces faits mettent en évidence l'importance réelle du cartel de Cali et ses liens étroits avec la classe politique, ce qui conduit à son démantèlement en 1995.

 

À la suite de la disparition des deux principaux cartels, d'autres acteurs reprennent le trafic dans les années 1990, le cartel del Valle (es) ainsi que d'autres groupes plus nombreux et moins centralisés que les deux cartels originaux. Alors que les cartels de Cali et Medellín étaient totalement intégrés, contrôlant tout depuis la production jusqu'à la vente aux États-Unis ou en Europe et formant donc un quasi-duopole, ces nouveaux groupes contrôlent chacun une partie de la chaîne sans qu'il y ait de commandement commun, ce qui rend la lutte pour faire cesser le narcotrafic plus difficile. Ainsi, malgré les opérations de l'armée colombienne contre le narcotrafic, en particulier avec l'aide des États-Unis dans le cadre du Plan Colombie, la Colombie est au début des années 2000 le premier pays producteur de cocaïne au monde et domine environ 70 % du marché mondial de cette substance selon Interpol, avec une production toutefois en baisse (de 690 tonnes en 1999 à 440 en 2003), sur un peu plus de 100 000 hectares, soit un rendement d'environ 4 kg de cocaïne par hectare et par an.

La transformation de la Colombie en plaque tournante du trafic international de stupéfiants donne aux acteurs du conflit armé colombien un moyen de financement puissant, pour les guérillas marxistes (FARC ou ELN) comme pour les formations paramilitaires qui apparaissent dans les années 1980 et se structurent pour devenir en 1997 les Autodefensas Unidas de Colombia, ou AUC.

 

L'extension du conflit armé colombien

En 1978, le libéral Julio César Turbay Ayala est élu à la présidence. Il a à faire face aux actions du M-19, guérilla urbaine fondée en 1974 par plusieurs membres de l'aile socialiste de l'ANAPO et certains membres des FARC. Il répond par la militarisation du pays et l'intensification de la répression .

Le président conservateur Belisario Betancur élu en 1982 entame une politique de dialogue avec les guérillas et signe les accords de La Uribe, le 28 mars 1984. Il fait voter une loi d'amnistie, légalise un organe politique des FARC, l'Union patriotique (UP), et fait passer plusieurs réformes sociales. Betancur négocie principalement avec les FARC et le M-19, multipliant les trêves et les cessez-le-feu. Mais malgré le cessez-le-feu et l'accord de La Uribe, de nombreux membres de l'Union Patriotique sont assassinés entre 1984 et 1990 et le processus de paix échoue. Cette expérience politique traumatisera les FARC, rétifs dès lors à toute négociation. Les coupables de ces assassinats seraient, selon les cas, les forces de l'ordre, des politiciens, des narcotraficants, mais aussi les paramilitaires qui commencent à émerger. Cet épisode a parfois été qualifié de génocide politique, et renforce les FARC dans leur conviction que la lutte armée est la seule voie possible vers la prise du pouvoir.

Ces trois années de négociations, loin d'avoir restauré la paix, permettent aux guérillas de s'implanter plus fortement, tandis qu'apparaissent des milices d'autodéfense. L'une d'entre elles, le MAS (Muerte a Secuestradores), est financée par les cartels de drogue en lutte contre le M-19 à la suite de l'enlèvement en 1981 de Marta Nieves Ochoa, sœur de Jorge Luis Ochoa, un des dirigeants du cartel de Medellín. Confrontés à un ennemi commun, certains services de sécurité de l'État utilisent ces groupes paramilitaires comme supplétifs pour la « sale besogne » que l'État ne peut pas se permettre d'effectuer lui-même.

L'élection du libéral Virgilio Barco en 1986 ne change que peu de choses au conflit armé qui s'aggrave à mesure que le phénomène paramilitaire prend de l'ampleur et du fait des actions des narco-terroristes de Pablo Escobar. Ceux-ci luttent contre le gouvernement à partir de 1986 via le groupe des Extraditables sur le point crucial pour les trafiquants de la loi sur l'extradition des criminels vers les États-Unis.

Durant le mandat de Barco, les préoccupations du gouvernement sont la lutte contre la pauvreté, le dialogue avec les guérillas et la lutte contre le narcotrafic. Un nouveau modèle d'administration publique commence à être appliqué, avec cinq objectifs prioritaires : l'efficacité sociale des ressources publiques, la démocratisation de l'administration publique, l'efficience et la responsabilisation des institutions et des fonctionnaires, la capacité gestionnaire et administrative de l'État et le renforcement institutionnel de la Présidence de Colombie.

C'est à cette période qu'est lancée l'idée d'élire une assemblée constituante comme solution au problème des guérillas. En effet, nombreux sont ceux qui imputent au Front National et à la vieille constitution de 1886 une part de responsabilité dans le violent conflit armé qui a lieu. Favorable à cette idée, le M-19 entame des pourparlers de paix et finit par se démobiliser massivement le 9 mars 1990 pour entrer en politique sous le nom AD/M-19 (Alliance Démocratique).

 

La Constitution de 1991

Il revient au successeur de Barco, le libéral César Gaviria Trujillo (1990-1994), de mener à bien ce nouveau projet de Constitution. Le 4 juillet 1991 est adoptée une nouvelle constitution particulièrement progressiste et moderne : la Colombie est déclarée « État social de droit, organisée en République unitaire, décentralisée […], démocratique, participative et pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine » (art.1). Elle supprime la notion d'état de siège, remplacé par celui d'état de commotion interne, beaucoup plus restrictif et protecteur des droits de l'homme.

 

Les efforts de paix du président Gaviria débouchent sur une série de négociations à Caracas (juin 1991) puis à Tlaxcala au Mexique (mars 1992) avec les FARC et l'ELN mais les négociations échouent et la situation devient tellement troublée que Gaviria déclare l'état de commotion interne durant près de neuf mois (90 jours renouvelables deux fois) et renforce les pouvoirs des militaires, tout en recentralisant le pouvoir.

Durant la même période, le président négocie avec le cartel de Medellín, affaibli par la guerre qui l'oppose à l'armée, et obtient la reddition de son chef Pablo Escobar en juin 1991 en échange de la promesse de ne pas être extradé. Incarcéré dans une luxueuse prison qu'il a lui-même fait construire à Envigado, Escobar n'en continue pas moins de diriger ses affaires depuis sa cellule. Lorsque le gouvernement menace de mettre fin à cette situation en le transférant dans une autre prison en juillet 1992, il s'évade. Pourchassé par l'armée, par ses concurrents du cartel de Cali, par des mercenaires américains, israéliens et autres alléchés par la prime de plusieurs millions de dollars US offerte par le gouvernement et les organismes anti-stupéfiants américains, et par le groupe paramilitaire terroriste Los Pepes apparu en 1993, Escobar fait également l'objet d'une vaste opération impliquant la plupart des agences fédérales américains (CIA, DEA, FBI, NSA). Il finit par être abattu le 2 décembre 1993 dans son fief de Medellín.

 

Des concessions extrêmes à la guerre à outrance

Le mandat du nouveau président libéral Ernesto Samper qui débute en 1994 ne modifie pas radicalement le conflit. En effet, comme c'est le cas de tous les présidents depuis Betancur, Samper commence par vouloir négocier avec les guérillas dans le but « d'humaniser la guerre » et lance un programme social, voyant en la pauvreté et dans le manque d'opportunités sociales et économiques une des racines du conflit. Mais le cycle de violence ne peut être stoppé et la méfiance réciproque entre gouvernement et guérillas ne s'estompe pas.

De fait, la marge de manœuvre de Samper est limitée par un important scandale éclatant lors de la campagne de 1994 et ayant trait au financement de sa campagne électorale par le cartel de Cali. Il débouche sur le procès 8 000, ce qui contraint à la démission plusieurs de ses ministres. Bien que le président Samper lui-même, jugé par l'Assemblée, soit dédouané de toute responsabilité, ce scandale le discrédite totalement et met en évidence l'importance réelle du cartel de Cali et ses liens étroits avec la classe politique, ce qui conduit à son démantèlement en 1995.

Entre 1996 et 1998, les FARC attaquent plusieurs bases militaires des départements amazoniens. Le 30 août 1996, la base de Las Delicias, dans la municipalité de Puerto Leguízamo (Putumayo), est prise à partie par 400 guérilleros. Le 1er mars 1998, à El Billar dans la municipalité de Cartagena del Chairá (Caquetá), les FARC écrasent une unité anti-guérilla de l'armée, tuant 64 soldats et faisant prisonniers 43 militaires.

D'un autre côté, c'est sous le gouvernement de Samper que les milices paysannes CONVIVIR, créées par un décret de son prédécesseur et travaillant en étroite coopération avec les forces de l'armée, prennent leur essor, tandis que les groupes paramilitaires sont unifiés en 1997 au sein des Autodefensas Unidas de Colombia sous l'égide de Carlos Castaño.

Le conservateur Andrés Pastrana Arango est élu de justesse en juin 1998. Ayant rencontré personnellement le chef des FARC, Manuel Marulanda Vélez, avant son investiture, il cherche dès le début de son mandat à se concilier les faveurs des FARC et de l'ELN.

Pastrana concède le 9 octobre 1998 aux FARC une zone démilitarisée dans la région du río Caguán (départements de Meta et Caquetá) de 42 000 km2. La politique de négociation dure jusqu'en 2001 à un rythme imposé par les FARC et débouche sur la libération de 300 otages de la guérilla. Ces négociations prennent fin en février 2002 et la zone démilitarisée est reconquise par l'armée. Le mandat de Pastrana correspond également à une grave période de récession économique et au développement considérable du phénomène paramilitaire. Les paramilitaires sont aussi responsables, pendant la même période, de la plupart des 3 millions de réfugiés internes.

Parallèlement à la négociation avec les FARC, Andrés Pastrana renoue diplomatiquement avec Washington et obtient le lancement en août 2000 du plan Colombie. Il s'agit d'une aide financière de 1,6 milliard de dollars destinée à la lutte anti-drogue, au renforcement des capacités militaires de l'armée colombienne et à des réformes sociales, dans la droite ligne de la doctrine de la sécurité nationale et de la guerre contre-insurrectionnelle, qui combine réformes politiques et actions militaires avec le soutien des États-Unis.12

 

Un nouveau président "à poigne"

Le nouveau président de la Colombie, Alvan Uribe, candidat de droite, pour ne pas dire d'extrême droite, a obtenu 53 % des suffrages, aux élections du 26 mai 2003, contre 31 % à un autre candidat de la droite libérale. Le candidat de gauche obtenait 6 % et la candidate écologiste, Ingrid Bettancourt, séquestrée par la guérilla depuis février 2003, 0,5 %. Ce résultat suffisait à Uribe pour mener la politique " musclée " qu'il avait annoncée. Comme son prédécesseur, le conservateur Andrès Pastrana, qui achevait un mandat présidentiel non renouvelable de quatre ans, il entendait lui aussi sauver le pays de tous ses maux : la guerre civile, la pauvreté et la corruption. Mais, l'élection passée, la déconvenue risquait d'être grande car le nouveau président était l'homme de l'armée et des groupes paramilitaires, principaux responsables du climat de violence qui règne dans le pays.

Uribe, fils de propriétaire terrien, prône comme valeur " travail, famille, Église ". Il a pris dans la campagne électorale le contre-pied des tentatives de négociation avec la guérilla mises en avant par son prédécesseur, Pastrana. Ces tentatives n'ont évidemment pas débouché sur la paix sociale espérée par une population fatiguée de 38 ans de guerre civile, mais elles n'étaient aussi de la part de Pastrana qu'un moyen comme un autre d'essayer de s'imposer dans un pays difficile à gouverner.

Uribe, ancien gouverneur de Medellin, ville surtout connue pour avoir abrité un des cartels de trafiquants de drogue qui sévissent en Colombie, et qui a lui même échappé à quatre attentats, prétend " en finir avec la violence dans la fermeté ". Cette orientation a été immédiatement saluée par l'ambassadrice des États-Unis. Car Washington veille sur la Colombie, contribuant depuis longtemps au budget de l'armée, tandis que le Fonds Monétaire International accorde ses emprunts pour empêcher que l'endettement de la Colombie ne l'entraîne dans une situation comparable à celle de l'Argentine. Les quatre dernières années, la part de l'endettement est en effet passée du tiers du produit intérieur brut à la moitié.

Les déclarations d'intention d'Uribe étaient donc en tout point conformes aux vœux de Washington, qui prône la lutte contre le terrorisme (et donc contre la guérilla) et critiquait les tentatives de négociation avec les guérilleros. Uribe exprimait également, dans son costume civil, les aspirations les plus directes de la caste militaire. Il se proposait en effet de doubler les effectifs de l'armée et d'embaucher un million de personnes pour constituer un " réseau d'informateurs ", comprenez d'indicateurs de police, ce qui allait renforcer une des plaies de la Colombie : les groupes paramilitaires qui, avec l'armée, portent la plus grande responsabilité dans le climat de guerre civile.

Que l'immense majorité des 42 millions de Colombiens, dont 64 % vivent dans la pauvreté, aient soif de changement, c'est l'évidence. Malheureusement, ils ne peuvent guère attendre un changement du renforcement de l'emprise de l'armée et des groupes paramilitaires.

Le conflit avec les guérillas n'est pas le seul problème de la société colombienne. Il y a aussi le poids pris par la drogue dans l'économie, mais là aussi il y a beaucoup d'hypocrisie. Le développement de la drogue dans l'économie mondiale est une maladie du système capitaliste qui transforme toutes les marchandises, y compris les plus inavouables, en capitaux qui se réinvestissent dans le système financier international.

Les États-Unis, qui considèrent l'Amérique latine, et donc la Colombie, comme leur chasse gardée, se posent officiellement en champions de la lutte contre la drogue. Cela leur fournit un prétexte pour intervenir en Colombie, ou ailleurs. Mais cette prétendue lutte contre la drogue en Colombie est en réalité surtout une guerre menée contre les paysans colombiens à qui le système impérialiste n'a plus guère laissé d'autre choix, après la chute des cours du café au début des années quatre-vingt, que de se reconvertir dans la culture des matières premières destinées à la confection de drogue. Alors, les arrachages de plantations auxquels se livre l'armée colombienne, financée par Washington, sont spectaculaires, mais ils ne font pas reculer d'un iota la distribution de la drogue. Pas plus d'ailleurs que la mise hors d'état de nuire des cartels qui s'en disputent le leadership. On les disperse, on les élimine, mais d'autres prennent la place et le trafic se poursuit, parce qu'il sert aussi à alimenter les circuits financiers en argent frais.

Et si les États-Unis voulaient vraiment s'attaquer à la drogue, il leur faudrait faire le ménage dans leur propre système financier, et accessoirement dans certaines de leurs officines de renseignement qui ont elles-mêmes trafiqué dans la drogue pour assurer leur budget (une pratique commune à la plupart des services secrets, qui l'ont pratiquée à un moment ou un autre, y compris les services français) et même s'en prendre à une partie des classes dirigeantes d'Amérique latine. Un propriétaire foncier, ami du père du nouveau président, n'avait-il pas deux fils mouillés dans ces trafics... Toutes choses que les États-Unis n'ont évidemment pas envie de mettre en œuvre.

En tout cas, cette situation a nourri une véritable militarisation de la Colombie. L'existence de mouvements de guérilla a constitué pour l'armée, et pour les groupes paramilitaires qui agissent dans l'ombre, un parfait alibi pour justifier des moyens et des aides supplémentaires, y compris des emprunts de l'État colombien auprès de Washington. Autant dire que militaires et paramilitaires n'étaient pas pressés de voir la guerre civile s'achever. Et c'est d'ailleurs pourquoi à chacune des multiples tentatives de pacifier la guérilla, par exemple en lui donnant une reconnaissance politique légale, les paramilitaires sont intervenus le plus simplement du monde en exécutant les représentants politiques légaux des différentes guérillas, de la même façon qu'ils interviennent contre toutes les tentatives du mouvement ouvrier colombien de relever la tête. La liste est longue des syndicalistes assassinés au cours des vingt dernières années précédant l'arrivée d'Uribe au pouvoir.13

 

Le mandat d'Alvaro Uribe

Durant le premier mandat du président Uribe, 1 400 paramilitaires (AUC, des paramilitaires d'extrême droite) sont tués et 120 000 autres capturés. En conséquence Uribe, dans le cadre du programme Justicia y Paz, a proposé une quasi-amnistie des forces d'autodéfenses unies de Colombie, et obtient que 30 000 des membres de ces milices déposent les armes, ce qui pose le problème de leur réinsertion tandis que 3 000 autres sont en prison. Les déserteurs des FARC peuvent profiter également de cette loi.

Álvaro Uribe a fait reculer l'insécurité. Près de 500 otages ont été libérés par des opérations de police en deux ans, et le nombre d'homicides est passé de 28 700 à 18 000 de 2002 à 2005. Les FARC ont progressivement été réduites et repoussées. En outre, plusieurs de ses chefs ont été tués par l'armée en 2008 et de nombreux militants ont déserté. Les succès contre les FARC et la réduction de la criminalité ont assis la popularité du président, qui est en septembre 2008 de 78 %.

 

Manifestation des indigènes

Le 16 septembre 2004, 45 000 indigènes colombiens se rassemblent pour manifester contre la politique d'Uribe. Ce dernier les condamne, car ils ne coopèrent pas avec le gouvernement. Ceux-ci se sentent en fait pris entre les feux croisés des AUC, du FARC et de l'armée gouvernementale. Une vidéo diffusée sur CNN a montré des militaires visant les manifestants avec des tirs de fusil. Uribe, qui a d'abord nié ces faits, doit finalement les admettre face à l'évidence de la chaîne américaine.

 

Rapports avec le Venezuela

Des mouvements et des opérations militaires sont menés près de la partie nord de la frontière vénézuélienne en 2004. Quelques personnes accusées d'être des paramilitaires, dont on découvrira par la suite qu'elles avaient été forcées à agir contre leur gré, sont arrêtées au Venezuela et accusées par le gouvernement vénézuélien de monter un coup d'État. Sur les cent Colombiens arrêtés, vingt sept sont condamnés par la justice du Venezuela.

Álvaro Uribe est une personnalité politique de droite fermement pro-américain, alors que le président du Venezuela voisin, Hugo Chávez, mène quant à lui une politique économiquement marquée à gauche et attaque verbalement les États-Unis. Une intervention militaire colombienne contre les FARC en territoire frontalier équatorien puis la découverte de documents accréditant un soutien financier du Venezuela aux FARC a provoqué une crise diplomatique durant l'année 2008. Par la suite, les deux présidents se sont rencontrés et se sont officiellement réconciliés.

 

Controverses

Lors de l’élection présidentielle de 2002, Álvaro Uribe aurait bénéficié de l'aide des paramilitaires, qui auraient intimidé la population afin de le faire élire.

Depuis 2006, le « scandale de la parapolitique » éclabousse le président, le gouvernement, et une grande partie de la classe politique libérale et conservatrice. La ministre des Affaires étrangères, Maria Consuelo Araújo, a été contrainte de démissionner en février, suite aux révélations accusant son père et son frère d'être en liaison avec les paramilitaires. Le directeur du Département Administratif de Sécurité (DAS, la principale agence de renseignements colombienne), Jorge Noguera, un fidèle d'Alvaro Uribe, a été arrêté pour les mêmes raisons. 63 congressistes ont été identifiés par la Cour suprême de justice dans le scandale de la parapolitique, dont 32 sont aujourd'hui en détention

Malgré cela, Uribe reste très populaire dans les sondages grâce à la forte amélioration tant de la sécurité que de la situation économique (qualifiée parfois à l'extérieur de la Colombie de politique populiste). Uribe s'est fait le chantre de la lutte contre la production de drogue et les guérillas d'extrême-gauche (dans le cadre du plan Colombie puis du plan Patriote), devenant de ce fait le soutien numéro un en Amérique du Sud de l'administration Bush et l'ennemi personnel de Hugo Chávez, le président du Venezuela.

Par l'acte législatif 02 de 2004, l'article 197 de la Constitution de 1991 est modifié pour permettre la réélection du président sortant. C'est par une victoire écrasante (62 % des voix au premier tour) que le président Uribe est réélu le 28 mai 2006 pour quatre ans.14

 

Second mandat

Le second mandat Uribe est marqué par une intensification de la lutte contre les FARC. Une prime donnée pour la capture ou la mort de chaque guérillero provoque un nouveau scandale qui éclate en 2008, le scandale des « falsos positivos » (en français : faux-positifs) : des citoyens innocents enlevés par l'armée ou les paramilitaires sont « retrouvés » morts et présentés comme des terroristes afin de toucher la prime et de gonfler artificiellement les résultats des manœuvres militaires. En mars 2008, le bombardement d'un camp militaire en Équateur (opération Phénix) aboutit à la mort de Raúl Reyes, no 2 de l'organisation et à une importante crise diplomatique entre la Colombie, l'Équateur et le Venezuela. En juillet 2008, quinze otages, dont la franco-colombienne Íngrid Betancourt, sont libérés lors d'une opération spéciale de l'armée colombienne.

 

En juillet 2010, quelques jours avant le départ de la présidence d'Álvaro Uribe et l'investiture de Juan Manuel Santos, éclate une crise diplomatique entre la Colombie et le Venezuela : Hugo Chávez rompt toutes relations avec la Colombie, après la présentation auprès de l'Organisation des États américains de documents (images satellites, coordonnées GPS, photos) qui visent à prouver la présence « active » de 1 500 membres des FARC sur le sol vénézuélien. Accusant Álvaro Uribe de préparer une attaque aérienne contre son pays avant la fin de son second mandat, Hugo Chávez ordonne le déploiement de forces armées le long de leur frontière commune. Le président sortant colombien réfute ces accusations et déclare : « La Colombie a eu recours aux voies du droit international et va continuer à faire appel à ces mécanismes pour que soient adoptés des instruments contraignant le gouvernement vénézuélien à remplir l'obligation de ne pas donner refuge à des terroristes colombiens ».15

 

 

Un pays où la violence est d'abord celle de l'État

Tout au long de la détention d'Ingrid Betancourt et encore au moment de sa libération, gouvernants et médias ont mis l'accent sur les responsabilités de la guérilla dans les crimes et violences commises en Colombie, un pays qui est en guerre civile depuis 1948.

Mais la réalité est différente. Si la guérilla a sa part de responsabilité, un rapport publié par un groupe d'organisations non gouvernementales souligne que les trois quarts des violences commises en Colombie sont imputables à l'État colombien et à son bras armé occulte, les groupes paramilitaires, créés avec la bénédiction des possédants et de Washington, et aussi avec le soutien pratique de l'armée israélienne qui en a formé les cadres.

Selon ce rapport qui ne concerne que ces six années pleines (2002-2007), 13 634 personnes ont été tuées en Colombie pour des raisons politiques. Parmi les cas élucidés, 25 % des crimes seraient imputables à la guérilla. Mais 58,1 % seraient le fait des paramilitaires et 16,5 % de la force publique.

Les paramilitaires se sont souvent chargés des basses besognes que l'armée et la police ne pouvaient pas légalement assumer, comme l'assassinat de militants ouvriers, une pratique si répandue que 97 % des syndicalistes assassinés dans le monde sont... colombiens. En 2008, 44 syndicalistes ont ainsi été tués. Il s'agissait souvent de militants ouvriers travaillant dans des multinationales étrangères qui considèrent la Colombie comme une zone de non-droit où tout leur est permis.

Officiellement, le président Uribe a démobilisé les paramilitaires, en leur accordant d'ailleurs des conditions avantageuses de pardon et d'oubli de leurs crimes. Il est vrai que, si Uribe a été élu à deux reprises, il n'en est pas moins d'abord l'homme des possédants, dont les paramilitaires sont les hommes de mains, prêts à tout pour permettre, par exemple, aux propriétaires terriens d'agrandir leurs terres en chassant manu militari les paysans.

Les scandales qui ont émaillé la présidence Uribe ont conduit devant la justice soixante parlementaires complices des paramilitaires, voire des cartels de la drogue. Certains étaient des proches du président qui, pour repousser la menace de sa propre destitution, a dénoncé les magistrats enquêteurs comme des complices de la guérilla, l'éternel épouvantail dont se sert le régime pour cacher sa corruption.

Officiellement, les paramilitaires sont dissous mais en pratique, ils continuent de mettre hors d'état de nuire ceux qui s'opposent un tant soit peu aux exigences du régime. Les autorités judiciaires elles-mêmes estiment à 25 000 le nombre des disparus au cours des vingt dernières années, tandis que 4 millions de personnes auraient été chassées de leur village. Le rapport des ONG note que, depuis 2002, les exécutions extra judiciaires ont doublé. Pour tenter d'en savoir plus, une commission lancée par le Mouvement national des victimes de crimes d'État de Colombie (Movice) enquêtait auprès des 60 000 Colombiens qui ont choisi l'exil pour échapper aux exactions de l'État et de ses mercenaires.

La « sécurité démocratique » qu'Uribe prétend incarner n'est qu'une fiction, derrière laquelle les classes possédantes poursuivent leur guerre contre les classes pauvres.16

 

 

Colombie - La poudrière de l’Amérique latine

En 2009, le gouvernement colombien a pris la décision de céder l’usage de sept bases militaires colombiennes aux forces armées des États-Unis dont la finalité avouée était de lutter contre le trafic de drogue et le terrorisme. Cet accord militaire a déclenché une crise diplomatique majeure en Amérique latine. Rappelons que la décision de M. Zelayas (Président légitime de la République du Honduras) de transformer la base militaire de Soto Cano en aéroport civil a joué le rôle de détonateur dans le coup d’État militaire qui a frappé le Honduras le 26 juin 2009.

 

1. Les raisons de la colère

Lors du sommet de l’UNASUR qui s’est réuni le 13 septembre 2009 le président colombien A. Uribe a été battue en brèche à des degrés divers par ses homologues du Venezuela, de Bolivie, du Nicaragua du Paraguay, d’Argentine, du Brésil et d’Uruguay. L’enjeu de cette réunion extraordinaire était d’interroger le gouvernement colombien sur le processus de militarisation en cours dans son pays. La coopération militaire entre les États-Unis et la Colombie s’est en effet vue entérinée par la mise à disposition de 7 bases militaires colombiennes à l’armée états-unienne.

Qu’il soit tantôt perçue comme une erreur politique d’envergure tantôt comme une menace par les membres de l’UNASUR ou même les deux à la fois, le gouvernement colombien apparaît désormais aux yeux de tous comme le satellite du Département d’État à la Défense.

L’objectif évidemment inavoué est de supplanter le démantèlement en cours de la base nord-américaine située à Manta (Équateur), celle-ci ayant été prévue par le Président R. Correa dès son élection en 2006. Cette base avait été installée en 1999 pour 10 ans, mais dès 2006, il fut attesté que les principales activités des militaires étaient le contrôle migratoire et l’appui logistique à la « guerre sale » en Colombie. L’illégitimité de cette base est stipulée par l’article 5 de la Constitution équatorienne.

Parmi les opposants à cet accord, l’inquiétude est grande de voir s’accentuer les interventions militaires états-uniennes dans la région par le déploiement du « Commando Sud »| qui, dans le cadre du SIAD (Système inter-américain de défense), est susceptible de provoquer selon l’avocate Eva Golinger, une « déstabilisation des régimes progressistes latino-américains ».

Mais, cette coopération apparaît aux yeux de beaucoup comme un leurre. Selon Carlos Gaviria, qui aspire de nouveau à briguer la présidence colombienne sous l’étiquette du Pôle démocratique alternatif (PDA) aux élections de 2010 :

« La souveraineté colombienne est fanée. Nous livrons notre souveraineté. Nous nous comportons comme un sujet des États-Unis ».

R. Correa qui était également le président pro tempore de l’UNASUR, a lui-même averti que, même s’il existait un contrôle local sur ces bases, il serait impossible de déterminer ce que feraient les avions, les embarcations ou les troupes terrestres étrangères lorsqu´elles en sortiraient pour accomplir une mission déterminée.

La militarisation de la région andine est un processus qui s’auto-justifie en permanence faute de légitimité se décomposant en trois phases :

La dépendance technologique et financière de l’armée colombienne à l’égard des États-Unis basée sur un besoin de maintenance, d’équipement, de stratégie militaire.

Les opérations clandestines de la « guerre sale » effectuées par des paramilitaires et des mercenaires au long cours.

L’installation de bases militaires et d’équipements de télécommunications dépassant le budget du pays concerné et nécessitant donc la présence d’experts Nord-Américains et d’un effectif militaire conséquent.

 

2. Les conséquences humaines

Un sentiment d’abandon touche toutes les classes populaires. Les paysans, les organisations syndicales mais aussi des intellectuels, des universitaires craignent de voir leur lutte passée et présente anéantie par l’incurie du gouvernement colombien. Le peuple se voit alors ravalé au rang de laissés-pour-compte par un État démissionnaire subjugué, au premier sens du terme, par le Département de la défense états-unien.

L’organisation internationale de défense des droits des syndicats et des paysans, Vía Campesina, voit également d’un très mauvais œil l’installation de ces bases :

« Ces bases représentent une menace contre le peuple et ses organisations de base car elles vont constituer de nouveaux foyers de guerre et provoquer la régionalisation de celle-ci. »

La Colombie est plongée dans une violence rendue au fil des ans presque ordinaire par les paramilitaires qui, dans le cadre de la politique de « sécurité démocratique » initié en 2007 se sont vu tacitement donné carte blanche.

Dans son rapport publié en avril 2008, Amnesty international dénonçait déjà l’hypocrisie politique militaro-sécuritaire menée par le gouvernement colombien :

« Les forces de sécurité utilisent notamment des groupes paramilitaires comme couverture pour mener leur « sale guerre », et cherchent à améliorer leur image en termes de droits humains en niant catégoriquement que ces paramilitaires agissent avec leur accord ou leur soutien ou, comme c’est pourtant souvent le cas, sous leur coordination. »

Dans un reportage réalisé par le journaliste colombien Jorge enrique Otero, diffusé sur la télévision cubaine le 9 septembre 2009, le constat est proprement accablant.

En premier lieu pour le peuple colombien, en effet les familles paysannes seront contraintes à l’exil et forcées d’abandonner leur terre et de vivre dans des conditions inhumaines dans les montagnes alentour comme plus d’un million de personnes depuis 2002. Margarita Palacios fait partie de ces populations déplacées, cela fait quatre ans qu’elle survit loin de ses racines depuis le jour où elle dut partir avec ses quatre enfants, alors que les premières factions de l’armée états-unienne arrivaient.

 

3. La Colombie, bras armé de Washington ?

Cette décision de livrer en pâture la souveraineté nationale ne peut qu’entériner le processus de guerre en cours depuis le premier mandat d’A. Uribe (2002-2006) ; cela ne peut que nouer le bâillon sur la bouche de ceux qui se battent pour que cesse enfin le terrorisme d’État et la violation des droits humains en Colombie.

Dans une interview réalisée par la journaliste Sara Leukos et publiée le 3 septembre 2009, l’intellectuel états-unien James Petras voit dans cette ingérence la continuité du processus colonial :

« L’espace militaire stratégique est contrôlé par les États-Unis et, en ce sens la colonisation militaire est très avancée. Sur le plan économique, ils ont pénétré tous les secteurs les plus importants : le charbon, le pétrole et d’autres secteurs stratégiques de l’économie. Entre le contrôle militaire et l’influence économique, il ne faudra pas longtemps pour que la politique colombienne ne soit complètement subordonnée au bon vouloir de l’empire. »

Auparavant, le 1er janvier 2008, le Pentagone avait réinstallé la quatrième flotte dans la région, créée en 1943 afin de protéger les navires dans l’Atlantique Sud, cette structure avait été abolie en 1950, sa réactivation s’inscrit dans ce contexte. Aux trois bases aériennes situées à Malambo, dans le département de l’Atlantique, Palanquero dans la région de Cundimarca et Apia dans la région de Meta, s’ajouteraient 12 stations radars et les bases navales de Cartagena et du Pacifique ainsi que les camps d’entraînement de Tolemada et la base de Larandia, dans le Caqueta qui, à elle seule, s’étend sur 40 000 hectares et permet le contrôle de toute la zone frontalière avec le Pérou et l’Équateur.

Dès lors l’affirmation du président colombien d’un accord à visée seulement interne et d’un « accord militaire humanitaire » ne convainc personne, à commencer par les gouvernements de la région qui ne souffrent plus les expressions oxymoriques de ce genre.

Tandis que le 4 août 2009, une grande manifestation s’est déroulée sur la frontière colombo-vénézuélienne où se sont retrouvés des paysans et des élus du PSUV pour protester contre l’installation de ces bases, la droite latino-américaine voit, quant à elle, dans cette présence militaire états-unienne un appui à ses visées déstabilisatrices et putschistes.

La Colombie n’a pas besoin de plus de militarisation, le fiasco du plan Colombie initié par B. Clinton, précédente version de cette intervention états-unienne, le démontre. Cet accord suppose donc l’aggravation de la barbarie colombienne.

La faiblesse de l’argumentation pour justifier cet accord n’a d’égale que la force de la réalité. Les conséquences prévisibles, parce que déjà constatées par le passé, seront, selon de nombreux spécialistes, désastreuses.

Le ministre de la défense colombien, Gabriel Silva, a prévenu dans le journal équatorien La Hora du 14 septembre 2009 que si le narcotrafic et la lutte contre le terrorisme ne sont pas au centre des préoccupations de l’UNASUR, la Colombie pourrait bien en sortir et que « la nature de cet accord ne fera l’objet de débat que lorsque les pactes militaires des autres nations membres seront transparents ».

Le Chef d’État colombien a beau faire la sourde oreille, personne n’oublie que le danger de l’extra-territorialité de la guerre dont le dernier exemple fut le bombardement du camp équatorien de Raul Reyes, n°2 des FARC, le 1er mars 2008, est permanent. Personne n’oublie le rôle des interventions militaires états-uniennes au Guatemala, dans les îles Malouines, au Chili, au Nicaragua, à Cuba où les bases militaires ont servi de plateforme aux contre-révolutionnaires.

Le statu quo des discussions, dû au silence du gouvernement colombien et l’attitude indifférente des États-Unis à ce sujet est une embûche de plus sur le chemin de la paix de l’Amérique latine et Washington semble soutenir la Colombie et son peuple comme la corde soutient le pendu.

C’est ce qu’a déclaré l’historien Hector Soto dans l’émission quotidienne « en contacto » diffusée sur la télévision vénézuélienne :

« Avec ces accords militaires du Président Barack Obama, on rompt avec la belle idée d’une « ère différente » où les États-Uniens changeraient leur politique extérieure. En réalité, les États-Unis renouent avec leur politique militariste. »17

 

 

Présidence de Juan Manuel Santos

Après le rejet par la Cour constitutionnelle d'une loi permettant à Álvaro Uribe de briguer un troisième mandat, son « dauphin » et ancien ministre de la Défense Juan Manuel Santos remporte l'élection présidentielle de 2010, avec 69,13 % des voix au second tour. Le 7 août 2010, Juan Manuel Santos prête serment, devenant ainsi le 57e président de la République de Colombie.

En matière de politique intérieure, Juan Manuel Santos souhaite faire de « la prospérité sociale » la priorité de son gouvernement, alors que 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour lutter contre la misère et le chômage, qui s'élève à plus de 12 % des actifs, il souhaite mettre l'accent sur la création d'emplois.

Son gouvernement démantèle peu à peu les réseaux de corruption, qui s'étaient multipliés durant la présidence Uribe, dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de la collecte d'impôts. Par ailleurs, le président Santos demande pardon aux victimes des paramilitaires, fait adopter une loi visant à rendre 2,6 millions d'hectares aux trois millions d'habitants chassés par ceux-ci, et renforce les conditions de détention des officiers complices de massacres.

Le 7 août 2011, un an après son arrivée à la tête de la Colombie, alors qu'il bénéficie d'une cote de popularité s'élevant aux alentours de 70 %, il demande aux forces armées de réviser leur stratégie pour combattre notamment les bandes criminelles et les FARC, ces dernières regagnant du terrain et multipliant les attaques soudaines et imprévues, malgré la mort de leur dirigeant militaire, Jorge Briceño Suárez, en septembre 2010. Juan Manuel Santos indique, le lendemain, son intention d'ouvrir un dialogue de paix avec la guérilla communiste uniquement en cas de « circonstances appropriées », parmi lesquelles la libération des otages. Le commandant en chef des FARC, Alfonso Cano, est tué par l'armée le 4 novembre 2011.18

 

 

Le mouvement agraire de 2013

Le 19 août 2013 les agriculteurs colombiens ont lancé une mobilisation sans précédent, 100.000 d’entre eux sont sortis dans la rue pour dénoncer l’abandon de leur secteur par l’État et exposer les causes de la crise qui les touche, ils seront rejoints par de nombreux secteurs de la population.

Plusieurs facteurs expliquent les difficultés rencontrées par les agriculteurs colombiens, comme l’Accord de libre-échange (ALE) signé avec les États-Unis l’année passée et qui a eu pour conséquence une augmentation considérable des importations (près de 70% la première année), entre autres choses. Ces importations de produits agricoles se font à des prix difficilement concurrençables pour les producteurs locaux. Ce dumping est une entrave au développement des petits agriculteurs, impuissants face aux prix d’entreprises de l’agrobusiness subventionné. Un autre facteur est le prix des intrants et engrais (gérés par une poignée de multinationales) qui fait exploser leurs coûts de production. Enfin l’accès à la terre, fortement concentrée en Colombie, faisait évidemment partie des revendications du mouvement. Celui-ci s’est donné l’objectif de faire appliquer la loi 1448 datant de 2011 qui offre un cadre légal autour de la problématique de la restitution des terres et de leur formalisation aux victimes de déplacements forcés, notamment à cause du conflit armé interne.

Afin de dénoncer la logique économique qui mène à la paupérisation de leur secteur (mais pas seulement), des actions - barrages routiers, occupations - et des manifestations ont débuté le 19 août pour une période indéterminée. Très vite, le mouvement s’est répandu aux grandes villes ainsi qu’à d’autres secteurs. Aux cotés des agriculteurs, ont alors marché les transporteurs routiers, les syndicats du secteur pétrolier et ceux de l’enseignement public, tout comme les étudiants descendus en masse dans les rues. Les revendications se sont tournées vers le gouvernement à qui les manifestants ont demandé un plus grand soutien et la mise en place de mesures de protections : prix planchers pour certains des produits et diminution des prix des intrants, restitution des terres, redistribution des revenus, développement de l’emploi rural, etc. Bref, des solutions viables en accord avec les besoins de la population.

Deux semaines après le début des mobilisations, le président Santos a déployé 50.000 militaires à Bogota - et partout dans le pays - pour tenter de réprimer les protestataires. Des morts, des blessés et de nombreuses arrestations s’en suivirent. Après un silence coupable, faisant face à la crise de légitimité la plus grave de son mandat, le président Santos a dû reconnaître aux agriculteurs des « protestations valables » et a alors proposé des « solutions » telles que le contrôle du prix des intrants et des engrais, afin de diminuer la circulation de produits de contrebande. Mais ces « solutions » de court terme ne rencontrent pas les besoins réels des paysans et de la société, ils ne sont que des sparadraps sur une plaie ouverte. Si des mesures comme l’utilisation de garanties en cas de crise sont prévues dans l’ALE, elles sont conditionnées à une période déterminée. Après trois années, ces mécanismes sont alors interdits, ce qui signifie que la politique agricole nationale est cloisonnée. C’est donc, par exemple, la spéculation financière (qui va influencer le taux de change) qui va continuer de régir en partie le sort des producteurs colombiens...

Début septembre, la mobilisation n’avait pas perdu de son ampleur et le gouvernement a donc décidé de suspendre pendant deux ans la Résolution 9.70 qui interdisait aux agriculteurs de conserver des semences produites localement, ce qui laissait le monopole du marché aux transnationales, et de travailler pendant ces deux années à un nouveau règlement qui, selon lui, n’affectera plus les petits agriculteurs. Les manifestations ont diminué après le début des négociations pour permettre l’ouverture du dialogue, mais certaines actions de désobéissance ont tout de même persisté, et les agriculteurs resteront attentifs à ce que les actes suivent les déclarations gouvernementales.

Dans un contexte où les accords de « libre-échange » se multiplient également outre-mer et où les secteurs agricoles sont lentement assassinés tout autour du globe, le mouvement des paysans colombiens, suivis par une grosse partie de la population, a permis d’ouvrir un nouveau dialogue avec leur État, et le gouvernement en place a du reconnaître la faiblesse de son soutien au secteur et la paupérisation de ces travailleurs. À titre d’information, l’État alloue entre un et deux milliards de dollars dans son budget annuel pour le secteur agricole, alors qu’il en dégage chaque année plus de vingt pour le paiement de la dette publique...

Rejoins notamment par les étudiants, le mouvement commencé en août 2013 a permis de dénoncer le soutien du gouvernement colombien à un système économique qui met à mal tous les secteurs économiques au profit du capital international. Dans une période de transition pour le pays, de nombreuses ONG et mouvements sociaux soutiennent cette grève dans laquelle nous pouvons percevoir un mouvement plus large où les colombiens se mobilisent pour un ensemble de revendications qui vont au-delà du secteur agricole et pour la possibilité de vivre dignement sans être écrasés par des politiques qui ne servent que les plus riches, nationaux comme étrangers.19

 

 

La lutte des classes en Colombie

C’est une question qui revient souvent sur la Colombie : pourquoi ce pays semble-t-il figé dans une guerre civile qui dure depuis plusieurs décennies ? Pourquoi un mouvement populaire et démocratique n’est-il pas parvenu à infléchir le cours de l’histoire politique comme dans tant d’autres pays d’Amérique latine, que ce soit de manière durable ou pas, par les armes ou par les urnes… En Colombie, la situation semble bloquée. Pour comprendre ce blocage, il est important d’avoir un bon aperçu de la configuration des rapports de classes dans ce pays.

 

En 2010, pour un total de 46 millions d’habitants, la Colombie compte 18,5 millions d’ouvriers et de travailleurs. Ils sont répartis comme suit dans les différents secteurs : 9 millions de travailleurs dans le tertiaire (services, banques, commerces), 4,5 millions dans le secteur industriel-manufacturier et 5 millions dans le secteur primaire (agriculture, pêche, bétail, exploitation minière).

 

Il est important de tenir compte du fait qu’en Colombie, 57% de ces ouvriers et travailleurs, soit 10 millions de personnes, travaillent dans des conditions précaires et de sous-emploi. A ceux-là s’ajoutent les 4 millions de chômeurs.

 

Bien qu’ils représentent la majorité de la population - face à 800.000 personnes issues de la grande bourgeoisie et des propriétaires fonciers - la classe ouvrière, les travailleurs et le peuple en général, ont souffert d’un processus de désarticulation. Leurs organisations et leurs luttes n’ont pas pu freiner les impacts du néolibéralisme. Elles n’ont pas pu construire un projet national révolutionnaire qui soit capable, dans des conditions objectives et subjectives, d’arriver au pouvoir.

 

Par exemple, sur les 8 millions de travailleurs du secteur formel, seuls 810.000 sont syndiqués. Ça s’explique notamment par la précarisation du travail et d’autres facteurs liés aux contrats qui tendent à réduire les coûts de la main d’œuvre. De plus, les assassinats systématiques, la répression exercée pendant le processus de fascisation, la législation du travail et la terreur ont produit une diminution des conventions collectives. En 2012, parmi les ouvriers, seuls 124.000 sont syndiqués. Ça représente moins de 2% de la classe ouvrière. On doit encore ajouter à ce sombre constat la criminalisation des syndicats, la législation anti-grève et l’anti-syndicalisme présent dans la société colombienne.

 

Dans ces conditions, de nouvelles tendances réformistes et social-démocrates ont émergé au sein du mouvement ouvrier et syndical. Elles considèrent que le mouvement doit soutenir le régime de Santos car sa présidence est vue comme un « repos démocratique », après huit années de fascisme sous Alvaro Uribe. Ce courant se caractérise par le clientélisme et l’anti-démocratie syndicale en utilisant des postes dans l’appareil syndical comme des privilèges personnels et en limitant la lutte des ouvriers et des travailleurs au terrain strictement corporatif. De fait, ce nouveau courant empêche les masses d’entrevoir un projet politique et sociétal alternatif au modèle néolibéral.

 

Pour le reste du peuple colombien, les conditions sociales sont également précaires. Selon l’indice GINI des inégalités qui frôle les 0.6, la société colombienne est l’une des sociétés les plus excluantes. 20 millions de Colombiens vivent dans la pauvreté et 8 dans l’indigence. Les femmes et les jeunes sont les plus touchés.

 

Les femmes subissent différentes formes de violence et d’exclusion : violences sexuelles et assassinats de la part de l’armée, la police et les paramilitaires ; déplacements forcés ; chômage, emplois précaires…

 

Pour leur part, les jeunes qui représentent près de 25% de la population, soit 12 millions de personnes, subissent chômage, stigmatisation, difficulté d’accès aux études moyennes et supérieures…

 

Autres victimes : les paysans et les indigènes qui affrontent non seulement les propriétaires fonciers et l’État, mais aussi les monopoles impérialistes qui accaparent l’usufruit en s’appropriant des terres pour développer des mégaprojets agro-industriels miniers et énergétiques.

 

Cette situation a entraîné ces dernières années un accroissement des organisations de lutte regroupant femmes et jeunes contre les implications du modèle néolibéral et le processus de fascisation. Des luttes contre la violence de genre, la faim, pour l’emploi et l’éducation.

 

Après trois décennies de fascisation et de désarticulation, de nouvelles formes d’organisations politiques et sociales ont vu le jour pour construire un nouveau projet national révolutionnaire. Par exemple, le Congrès des Peuples et le Cabildo Patriotico por la Independencia, qui entre juillet et octobre 2010 ont convoqué des milliers de Colombiens, ont installé des formes d’organisation et d’articulation originales au niveau national et régional confluant avec d’autres secteurs dans la Coordination des Organisations et Mouvements Sociaux de Colombie.

 

Ce sont des expressions populaires caractérisées par une diversité de pensées et de positions. Elles cherchent à ouvrir des scénarios de participation sociale dans un processus complexe, elles cherchent à surmonter le sectarisme et l’hégémonisme. Pour finalement ouvrir des possibilités de constituer un front unique capable de faire face à l’impérialisme, de faire reculer le fascisme et de faire avancer la démocratie populaire et le socialisme.

 

Ces mouvements doivent cependant affronter le danger de cooptation du gouvernement de Santos. Il faut au contraire, face à ce gouvernement, adopter une attitude ferme de défense des intérêts du peuple.

 

La lutte des classes pendant ces 30 dernières années en Colombie

Pendant les trois dernières décennies, la société et la lutte des classes en Colombie ont été marquées par la contradiction existant entre d’une part l'impérialisme, principalement nord-américain, et les classes dominantes, et d’autre part la nation et le peuple colombien. Dans ce contexte, les forces réactionnaires ont développé un processus de fascisation de l'État et de la société en imposant dans de vastes secteurs de la population, outre des structures politiques antidémocratiques, une idéologie fasciste. Ce processus de fascisation a atteint son sommet sous la présidence de Álvaro Uribe (2002 - 2010). Pendant ces trois dernières décennies, et principalement sous les gouvernements d’Uribe, le pays a traversé une grave crise humanitaire, résultat du déplacement de 4 millions de paysans vers les villes, créant une base immense de semi-prolétaires.

Parallèlement à la fascisation, un modèle économique néolibéral a été imposé. Il a approfondi le néo-colonialisme et sapé profondément la souveraineté nationale en cédant des grandes richesses et des forces de production aux méga-monopoles impérialistes et à une poignée de groupes monopolistiques créoles principalement centrés sur des activités financières spéculatives et des activités minières et énergétiques.

De son côté, le peuple a connu pendant ces trente années un repli politique, suite à la guerre et à la répression. Ce repli a été marqué par un affaiblissement des organisations populaires et des projets politiques révolutionnaires : certains ont capitulé devant le fascisme ou se sont tournés vers des politiques réformistes et sociale-démocrates.

À partir de 2010, le président Juan Manuel Santos, légitime représentant de la grande bourgeoisie pro-impérialiste, a proposé un gouvernement néolibéral d'unité nationale qui poursuit sur la voie ouverte par le fascisme et les transformations économiques, politiques et culturelles opérées par celui-ci. Un contexte international de crise économique a exigé de la grande bourgeoisie qu'elle change de stratégie et mette Juan Manuel Santos à la place de Álvaro Uribe Vélez pour résoudre les contradictions parmi les classes dominantes engendrées par ce dernier, en favorisant l'approfondissement du modèle économique néolibéral, la négociation de nouvelles conditions de domination néocoloniale avec le gouvernement démocrate des États-Unis, la recherche de nouvelles alliances internationales, en surmontant le relatif isolement politico-diplomatique de l'ère Uribe. C’est pourquoi les forces réactionnaires ont besoin de ré-institutionnaliser et de légaliser le “désordre” généré par Uribe. Pour de vastes secteurs de la grande bourgeoisie, Uribe n'est plus nécessaire puisqu'il s'est déjà acquitté de son triple rôle : contre-insurrection pour frapper le secteur révolutionnaire, principalement armé ; investissement impérialiste ; et cohésion sociale. Les objectifs évoluent maintenant avec Santos : prospérité démocratique, c'est-à-dire, une plus forte croissance économique à partir du secteur minier et énergétique ; maintien de l'orientation vers la défaite de l'insurrection ; et mise en œuvre de la cooptation des dirigeants et des mouvements populaires. Le tout, sans démonter les éléments de fascisation hérités des 30 dernières années.

La tâche du mouvement ouvrier, des travailleurs et du peuple colombien en général est de consolider les espaces d’articulation et d’unité pour lutter contre le fascisme et l’impérialisme au profit de la démocratie populaire.20

 

 

Élection présidentielle de 2014

Conformément à la loi, le président en exercice, Juan Manuel Santos, devait déclarer avant le 25 novembre 2013 (six mois avant la date d'élection) s'il se présentait de nouveau pour être président. Des spéculations sur sa représentation éventuelle ont été émises. En effet, il a fait l'objet de vives critiques lors de son premier mandat pour ne pas avoir poursuivi les fortes mesures anti-terroristes de son prédécesseur Álvaro Uribe et pour l'ouverture de négociations de paix avec la guérilla des FARC. Ceci lui a valu une critique féroce de la part d'Uribe, toujours populaire, et d'une grande partie de la population, entraînant de fait une côte de popularité faible.

Malgré tout, Juan Manuel Santos remporte une nouvelle fois l'élection présidentielle, le 15 juin 2014, en battant de justesse au second tour Óscar Iván Zuluaga, avec 50,9% des voix.21

 

 

Un accord de cessez-le-feu historique entre les FARC et le gouvernement colombien

L’accord sur une cessation des hostilités et un cessez-le-feu bilatéraux définitifs, signé le 23 juin 2016 à Cuba par le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), est une avancée historique dans le cadre des efforts tendant vers la signature d’un accord de paix entre les deux camps.

 

L’accord n’entrera toutefois pleinement en vigueur qu’après la signature d’un accord de paix, ce qui devait avoir lieu dans les mois à venir. L’annonce faite le 23 juin rapproche le pays de la perspective que prenne fin ce conflit long de 50 ans, marqué par des violations graves des droits humains, par des crimes de droit international et par le fait que les personnes soupçonnées d'être pénalement responsables de ces crimes n'ont pas été déférées à la justice.

L’accord présente les mécanismes qui permettront la démobilisation et le désarmement des FARC - processus qui devront être achevés dans un délai de 180 jours après la signature d’un accord de paix -, ainsi que les mesures que prendront les autorités afin de garantir la sécurité des combattants FARC durant leur démobilisation, notamment des mesures visant à combattre des groupes paramilitaires (que le gouvernement qualifie de bandes criminelles), qui restent en activité malgré leur démobilisation supposée il y a une décennie.

 

Un cessez-le-feu de fait non respecté

Un cessez-le-feu de fait est en vigueur depuis 2015. Toutes les parties au conflit continuent cependant à commettre de graves violations des droits humains et atteintes à ces droits, en particulier contre des communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes. L’augmentation, en 2015, du nombre d’homicides de défenseurs des droits humains et de responsables communautaires, ainsi que des menaces dont ils font l’objet, est particulièrement préoccupante. Au moins 19 des ces personnes ont été tuées au cours des trois premiers mois de l’année 2016.

La plupart de ces attaques, dont beaucoup sont attribuées à des groupes paramilitaires, ne se produisent pas dans un contexte de combat et sont souvent motivées par des considérations économiques. Un grand nombre des communautés et groupes particulièrement exposés aux attaques sont précisément ceux qui militent contre l’exploitation de leurs terres et territoires dans le cadre de projets miniers, de construction d’infrastructures, industriels et agro-industriels.

En tant que tel, il est possible qu’un cessez-le-feu définitif ne puisse pas grand chose pour mettre un terme à ce genre d’attaques, à moins que les mesures énoncées dans l’accord ne permettent de protéger véritablement les groupes et communautés en danger, d’identifier l’ensemble des personnes ayant mené des attaques et de traduire les responsables présumés en justice.22

 

Un processus de paix fragile

En octobre 2016, en accordant le prix Nobel de la paix au président de la Colombie, Juan Manuel Santos, les membres du jury Nobel, ou ceux qui les ont inspirés, ont incité à la poursuite des accords de paix entre l’État colombien et la guérilla des Farc. Cela compense pour une part les effets du référendum qui, contre toute attente, s’était soldé par la victoire du « non », plaçant les signataires de l’accord dans une position difficile.

Le référendum du 2 octobre 2016 était censé couronner l’accord signé avec les Farc le 26 septembre. La victoire du « non » a fait l’effet d’une douche froide. Certes, l’abstention était massive, près de 63 %, et la différence entre les deux camps n’était que de 52 000 voix. Des régions touchées par des inondations n’avaient pas voté et des élus favorables à l’accord n’avaient pas mobilisé leurs électeurs, comme ils le font quand leur poste est en jeu.

C’est dans les régions les plus directement touchées par la guerre civile, des régions plutôt rurales, que la population a voté « oui ». Car, si le bilan de 52 années d’affrontements est de 260 000 morts et 8 millions de personnes déplacées, c’est d’abord parce qu’à l’origine il y avait la politique d’accaparement des terres par les grands propriétaires, avec l’appui de groupes paramilitaires qui chassaient les paysans. En revanche, dans les régions urbaines, à l’exception de la capitale Bogota, le « non » l’a emporté, comme à Medellin, le fief de l’ex-président Uribe qui a tout fait pour discréditer l’accord.

Bien que Santos ait été dans le passé un ministre de Uribe et que tous deux soient des hommes de la bourgeoisie, ils sont opposés sur la question de la paix avec les Farc. Uribe y est depuis toujours violemment opposé. Pour l’un comme pour l’autre, la suite de leur carrière politique se joue sur cette question. Pendant la campagne du référendum, les clips du clan Uribe ont dénoncé en boucle l’impunité des Farc, les avantages dont ils allaient bénéficier en réintégrant la vie civile et bien sûr la menace castro-chaviste qu’ils représenteraient.

L’opération a réussi du côté des partisans d’Uribe. Depuis toujours, notamment pendant ses deux mandats présidentiels, il a rabâché que les seuls responsables des affrontements armés étaient les Farc, alors que la grande majorité des victimes sont le fait des paramilitaires et de l’armée. Depuis toujours, des paramilitaires assurent les basses œuvres des grands propriétaires et des multinationales. Et, même s’ils ont été démobilisés, ils continuent de sévir. Rien qu'en 2016, trente syndicalistes ont été assassinés.

L’échec du « oui » découle aussi de l’écœurement d’une partie des électeurs à cause des promesses non tenues des gouvernements successifs et des multiples preuves de collusion entre politiciens et narcotrafiquants. Les classes populaires doivent survivre avec un salaire minimum qui ne couvre que la moitié des besoins et les deux tiers des salariés du bâtiment, des hôtels-restaurants, du commerce ou des télécommunications ne travaillent qu’au noir.

Le prix Nobel, obtenu contre toute attente, a relancé le clan Santos. Uribe a même dû, certainement à regret, l’en féliciter. Santos est donc reparti en quête des concessions qu’il devra faire pour calmer le clan Uribe. Il veut aussi convaincre l’autre guérilla, celle plus modeste de l’ELN (Armée de libération nationale), de déposer les armes.

On ne peut savoir aujourd’hui ce que deviendra l’accord de paix. Mais, même s’il allait à son terme, il ne mettrait pas fin à la rapacité des classes possédantes, qui n’ont jamais été regardantes sur les moyens pour imposer leurs exigences ; une rapacité qui est d’ailleurs à l’origine des dizaines d’années d’affrontements armés qui ont marqué la Colombie, bien avant même que ne naissent les Farc.23

 

De nouvelles discussions sur l'accord

Le 12 novembre 2016, à la suite d'un « dialogue national » notamment avec les partisans du non, le gouvernement colombien et les FARC signent un nouvel accord de paix à La Havane. Ainsi, selon un communiqué, « le texte prend en compte les précisions et les propositions suggérées par les secteurs les plus divers de la société ». Alors que le front du refus mené par Álvaro Uribe avait préalablement soumis une liste de quelque 500 objections et propositions regroupées en 57 thèmes, le chef d'État colombien Juan Manuel Santos déclare que 56 d'entre eux ont fait l'objet de modifications dans la nouvelle version de l'accord de paix. Le chef négociateur du gouvernement, Humberto de la Calle, reconnaît que « cet accord est meilleur que le précédent ». Néanmoins, contrairement aux souhaits des opposants, le tribunal spécial de paix est maintenu, les chefs guérilleros coupables de crimes graves n'iront pas en prison s'ils avouent les faits et ils pourront se présenter au Congrès, Santos rappelant que « la transformation d'un mouvement armé en parti politique est la raison d'être de toute négociation de paix ». Par ailleurs, d'après Ivan Marquez, le chef de la délégation des FARC, plus de 65 % des exigences formulées par les partisans du non ont été prises en compte dans cette nouvelle mouture. Mais, le 22 novembre 2016, l'opposition colombienne rejette la nouvelle version de l'accord de paix, estimant qu'il ne s'agit que d'« une simple retouche de l'accord rejeté par les citoyens ». En effet, les partisans du non souhaitent que plusieurs de leurs demandes soient incluses dans la nouvelle mouture, notamment l'interdiction de l'éligibilité politique de responsables de crimes durant leur peine, l'élimination des crimes de trafic de drogue du cadre des délits politiques bénéficiant d'une amnistie et la non-incorporation de l'accord dans la Constitution. De plus, ils exigent que cet accord soit l'objet d'un nouveau référendum, alors qu'ils ne voulaient pas du premier, le sénateur Alfredo Rangel (es) estimant que « sans consultation populaire, le nouveau texte est illégitime ».

Malgré l'opposition, le nouvel accord de paix est signé le 24 novembre 2016, au théâtre Cristóbal Colón de Bogota, entre le gouvernement et les FARC.24

 

 

Une catastrophe pas si naturelle !

Toutes les parties du monde sont exposées aux phénomènes climatiques extrêmes : inondations, tornades, cyclones… En Colombie, le 31 mars 2017, une coulée de boue a détruit une partie de la ville de Mocoa et provoqué la mort de près de 300 personnes. Cette coulée est survenue alors que des pluies torrentielles ont provoqué des inondations dans la région. Chaque saison pluvieuse, en raison du phénomène climatique El Niño, la zone andine est particulièrement arrosée en Colombie, mais aussi au Pérou et en Équateur.

Mocoa était une zone à risque, où la tragédie humaine aurait pu être évitée si les autorités avaient écouté les alertes régulières de plusieurs organisations environnementales. En 2014, un éboulement avait changé le cours de l’une des rivières qui a donc débordé dans la nuit du vendredi au samedi, et d’énormes pierres avaient dévalé les montagnes sous la pression des pluies. Un rapport en juin 2016 qui émanait de l’autorité environnementale de la région, Corpo Amazonia, recommandait déjà d’évacuer le quartier qui a été le plus touché vendredi dernier, et de reloger ses habitantEs...

La Colombie fait face régulièrement à ce genre de catastrophe. Sa topographie la rend vulnérable aux glissements de terrain. Mais la déforestation galopante aggrave la situation. Un rapport officiel pointait récemment que le département du Putumayo était l’un de ceux qui ont le plus perdu leur couverture forestière. Pour l’environnementaliste Julio Carrizosa, « la déforestation a été très intensive dans cette région. Les pentes ont été érodées. Et ainsi, avec les pluies torrentielles, les zones déforestées ont tendance à s’effondrer, à se déliter, occasionnant des mouvements de terre importants. »

Non, cette catastrophe n’est pas naturelle ! Elle découle d’un système qui détruit l’environnement, dérègle le climat au point de provoquer à chaque fois des ravages, des drames. Les pays du nord sont touchés, mais les pays de sud, les plus pauvres, et leurs populations, restent les plus atteints. Tout cela montre que la crise écologique aggrave encore davantage la crise sociale, et ce n’est pas l’enchaînement rituel et médiatique des conférences sur le climat qui peut y répondre. D’où la nécessité de se battre pour un programme écosocialiste. Il y urgence ! 25

 

 

La droite remporte la présidentielle

Le 17 juin 2018 a eu lieu le second tour de l’élection présidentielle en Colombie. Le candidat de la droite, Ivan Duque, l’a emporté avec 53,9 % des voix contre son challenger, Gustavo Petro, le candidat du parti Colombie humaine. Mais, avec 41,8 % des voix, celui-ci a eu le meilleur résultat obtenu par un candidat de gauche à une élection présidentielle colombienne.

Avocat, économiste passé par la Banque interaméricaine de développement et l’ONU, Ivan Duque s’est lancé en politique il y a quatre ans. Ex-sénateur, il était le candidat du Centre démocratique, le parti mal nommé de l’ex-président Alvaro Uribe, qui régna d’une main de fer sur la Colombie de 2002 à 2010. Duque est considéré comme le pantin d’Uribe mais le président sortant, Juan Manuel Santos, l’était aussi, avant qu’il ne trahisse son mentor, partisan de la « guerre totale », en lançant le processus de paix avec la guérilla des Farc qui a conduit au désarmement de 7 000 guérilleros et à leur réinsertion dans la société civile.

Soutenu par le clan Uribe, les partis chrétiens et les Églises évangélistes et tout ce que le pays compte de réactionnaires, Duque a fait campagne contre ce processus de paix, présenté comme trop favorable aux Farc et pas assez à leurs victimes. C’était laisser de côté le fait que 500 ex-Farc sont en prison, parmi lesquels le dirigeant Jesus Santrich. Négociateur des accords, il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la DEA, l’agence anti-drogue des États-Unis, pour trafic de drogue, ce qu’il récuse, lui qui aurait dû être réinséré comme député.

Le nouvel élu doit maintenant tenir compte du poids de l’opposition rangée derrière Petro, dont il a repris une partie du discours, dénonçant en paroles corruption et clientélisme. Mais il défend aussi la liberté d’entreprendre et participe, comme toute la droite, à l’hystérie antichaviste. Il reste ainsi dans le sillage d’Uribe, qui n’a cessé de faire porter aux Farc la responsabilité de cinquante et quelques années de guerre civile, des 260 000 morts et des sept millions de personnes déplacées, alors que la plus large part en revenait à l’armée et aux paramilitaires. Pour Uribe, c’était une façon de masquer des liens, bien réels, avec les paramilitaires et même des narcotrafiquants. Les paramilitaires, officiellement dissous, poursuivent d’ailleurs leurs exactions. Entre le 1er janvier 2016, date de la signature des accords de paix, et le 14 mai 2018, 385 militants des droits de l’homme, syndicalistes, leaders paysans et une cinquantaine de membres des Farc ont été assassinés.

La campagne de Gustavo Petro a soulevé des enthousiasmes mais aussi fait naître des illusions. Ex-guérillero du M19, Mouvement du 19 avril, une guérilla qui a rendu les armes à la fin des années 1980, il fut élu député en 1991 mais, menacé de mort, il s’exila quatre ans. Sénateur il y a dix ans, il fut le principal opposant d’Uribe, dénonçant la corruption et le soutien des paramilitaires aux élus de droite des deux Chambres. Il protesta aussi contre des assassinats de jeunes gens pauvres, que les paramilitaires habillaient ensuite en combattants des Farc, pour justifier la politique d’Uribe. Petro a échoué à la présidentielle de 2010 mais est devenu maire de la capitale, Bogota, en 2012, où il a mené une politique sociale un peu favorable aux classes populaires, dénoncée par la droite.

La société colombienne reste très partagée sur le processus de paix avec les Farc. Leur intégration n’est pas terminée mais, dans certaines régions, elle a porté ses fruits et des ex-combattants ont redonné vie à des villages. Aujourd’hui, une grande partie de la population appréhende de rebasculer dans la guerre civile. Lors du référendum de 2016, qui devait approuver les accords de paix, le non l’avait emporté, mais on avait vu aussi descendre dans la rue des partisans du processus de paix, qui a pu continuer.

Jusqu’où ira la révision des accords de paix qu’annonce Duque ? Une chose est sûre, le sort et l’avenir des ouvriers et paysans, pris entre deux feux, qui ont payé le prix du sang pendant la guerre civile, est le cadet de ses soucis. Sortir le quart des 48 millions d’habitants du pays de la pauvreté où ils sont plongés, augmenter les salaires de misère des travailleurs, ce n’est pas son problème. Duque voudra renforcer, avec l’appui des États-Unis, la position des possédants, des grands propriétaires et des multinationales qui pillent le pays.

Ceux qui, en votant Petro, ont voulu s’opposer à une telle politique, s’ils ne peuvent plus le faire dans les urnes, devront le faire dans la rue.26

 

 

Face à la mobilisation populaire, le président recule

Le 28 avril 2021, les centrales syndicales de Colombie, soutenues par les organisations indigènes et les partis de gauche, appelaient à une journée nationale d’action contre la réforme fiscale du gouvernement de droite du président Ivan Duque.

Cette réforme s’en prenait aux classes populaires et épargnait les entreprises et les plus riches. Duque est un disciple de l’ex-président Uribe, autre défenseur des possédants, dont le cœur penchait vers l’armée, les paramilitaires et même les narco-trafiquants. Avec Duque, les assassinats de guérilleros ont continué malgré l’accord de paix, mais aussi les meurtres de militants ouvriers ou les attaques contre les organisations sociales ou indigènes. Il y en a eu 75 rien que dans les cinq premiers mois de l'année 2021, et les manifestations ont été durement réprimées. En 2019, il y avait déjà eu des grèves nationales et des manifestations populaires massives appelées par les mêmes organisations.

À l’annonce de la journée nationale d’action, Duque a appelé la population à encaisser dans les prochaines semaines les sacrifices « les plus difficiles de leur vie », en dénonçant les manifestations comme un « attentat à la vie ». Elles n’ont pas empêché le succès de la grève générale. Trois millions de manifestants se sont retrouvés pour dénoncer le gouvernement et sa politique, aux cris de « Maintenant ou jamais » et « Si la loi continue, la grève continue » ou encore : « Si un peuple manifeste en pleine pandémie, c’est que son gouvernement est pire que le virus ».

Dans les villes de Calí, Bogotá et Medellín, la tension est montée. Dès le matin, la police a arrêté des manifestants, entraînant des affrontements. Des véhicules ont été incendiés, des banques vandalisées, des supermarchés pillés, des commissariats attaqués et une statue de colonisateur déboulonnée.

La jeunesse et les quartiers populaires étaient dans la rue. Leur colère s’exprimait bien au-delà de la réforme annoncée, contre une situation économique, sociale et sanitaire très dégradée. Ces quartiers ne survivent que grâce à des petits boulots, rendus difficiles voire impossibles par un confinement très policier, ce qui a affamé une partie de la population. La misère atteignait désormais 42 % de la population et, dans un pays où les aides sociales sont inexistantes, il fallait toujours payer le loyer, l’électricité ou les médicaments au prix fort. Or la crise sanitaire a renchéri les prix. Quant à la jeunesse, elle était censée poursuivre les cours à distance, alors que beaucoup n’avaient pas accès à Internet et pas d’autre perspective que le chômage.

Là-dessus, la réforme prévoyait d’augmenter le taux de la TVA sur les produits de première nécessité, l’électricité, le gaz, l’eau, l’essence. Elle entendait geler les salaires des employés du secteur public jusqu’en 2026 et élargir l’assiette de l’impôt, pour l’étendre à trois millions de salariés modestes. Les riches ne verraient leur impôt augmenter que de 1 %, et seulement si leurs revenus dépassaient 1,3 million de dollars, et de 2 % quand ils excédaient 4 millions.

Il n’est donc pas étonnant que cette réforme ait fait éclater une colère rentrée depuis des années. La répression aurait fait au moins 35 morts, 800 blessés et entraîné plus de 400 arrestations. Deux femmes ont été violées par des policiers. Bien que le président Duque ait annoncé son intention de faire appel à l’armée pour ramener le calme et que son compère Uribe ait appelé, sur les réseaux sociaux, policiers et soldats à se servir de leurs armes contre la population, la colère n’est pas retombée. Le lendemain, le ministre des Finances était démis de ses fonctions. Duque prétendait désormais vouloir ouvrir le dialogue. Mais il n’est pas parvenu à faire refluer la mobilisation, malgré l’effort des syndicats et des partis politiques de gauche qui appelaient à arrêter la grève nationale puisque, d’après eux, satisfaction avait été obtenue.

Mais la classe ouvrière comme la paysannerie pauvre sont confrontées à des problèmes qui vont bien au-delà de cette réforme fiscale, qui sont indissociables en réalité des rapports de classes, du sous-développement et de la place même de la Colombie dans l’économie mondiale. Le gouvernement ne cachait d’ailleurs pas qu’il préparait une énième réforme du système de santé qui allait accélérer sa privatisation et exclure de l’accès aux soins une partie encore plus grande de la population.27

 

 

Un président de gauche pour un État miné par l’extrême droite

Le 19 juin 2022, pour la première fois, un candidat marqué à gauche, Gustavo Petro, a emporté le second tour de l’élection présidentielle face au milliardaire Rodolfo Hernandez, un « Trump colombien ».

Ce succès repose aussi sur la personnalité de la candidate vice-présidente, Francia Marquez, avocate féministe et écologiste, afro-colombienne d’origine modeste.

Le premier tour de la présidentielle avait été marqué par l’élimination de Federico Gutiérrez, candidat de droite soutenu par le président sortant. C’était déjà un désaveu cinglant pour un clan qui accaparait le pouvoir depuis longtemps. Ces politiciens corrompus, soumis à la grande bourgeoisie et à l’impérialisme, avaient été incapables d’enrayer la crise économique et de mettre fin aux crimes des narcotrafiquants. Leurs liens avec les gangs les ont conduits à saboter le processus de réintégration de la guérilla des FARC dans la vie civile depuis 2016. Enfin, la pandémie de Covid-19 a fait au moins 140 000 morts dans un pays de cinquante millions d’habitants.

Gustavo Petro a un passé lointain de guérillero que ses adversaires de droite et d’extrême droite n’ont pas manqué de lui reprocher, mais depuis il est devenu député de 1991 à 1994 et de 1998 à 2006, sénateur de 2006 à 2010 puis depuis 2018. Il a acquis une réputation d’homme honnête et, comme maire de la capitale Bogota, il est apparu soucieux des problèmes de la population.

Petro a reçu le soutien de toutes les formations de gauche et suscité un réel enthousiasme en annonçant un « changement véritable ». Il a promis – devant notaire ! – un programme d’urgence pour accéder à l’eau potable et à l’alimentation, car dans ce riche pays agricole, beaucoup ont faim. Il a promis aussi l’accès gratuit à l’université, de bons systèmes de santé et de retraite, le respect des droits des femmes et des homosexuel(le)s, une transition écologique, la promotion du tourisme et de l’agriculture nationale.

Petro a cependant annoncé que sa réforme agraire ne priverait pas « les propriétaires de leurs richesses et de leurs actifs ». Et, à peine élu, il a tendu la main à ses opposants.

Au premier tour, on a vu un gang déclencher une « grève armée », prenant en otage une région, y empêchant transports et activités, pour rappeler que c’était son territoire. Si Petro faisait mine d’avancer dans la direction des promesses annoncées, il se heurterait sûrement à une résistance. Les partis au service direct des classes possédantes et de l’impérialisme n’ont jamais eu de scrupules à employer la force contre leurs adversaires. Y compris par l’élimination physique des candidats de gauche par les tueurs des classes possédantes en 1948 et en 1990. Cela se pratiquait avant l’élection mais peut toujours se faire après. Petro a d’ailleurs tenu ses meetings derrière des pare-balles transparents. En 2019 et en 2021, des grèves nationales contre une réforme fiscale avaient été durement réprimées.

Petro savait qu’il serait entravé par les partis éjectés de la présidence car ceux-ci dominent le Congrès et ne manqueront pas de contrecarrer ses réformes. Des rumeurs de coup d’État ont d’ailleurs accompagné toute la campagne.

Pour les États-Unis, soutien indéfectible du régime et de ses exactions durant des décennies, il n’était pas question que ce pays échappe à leur contrôle, alors qu’il est une pièce maîtresse de leur politique face au Venezuela de Maduro. Or Petro a dit justement vouloir rétablir des relations diplomatiques avec celui-ci.

L’avenir dira quel chemin empruntera Petro et jusqu’où il tentera d’appliquer ne serait-ce qu’une partie de son programme électoral. Mais il est certain que seule une mobilisation de la classe ouvrière et des masses paysannes pauvres pour défendre leurs intérêts propres pourra en finir avec la dictature sociale de la bourgeoisie, le pouvoir des gangs dans certains départements, et le poids de l’appareil militaro-policier.28

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Colombie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Colombie
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Colombie
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerres_civiles_colombiennes
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Colombie
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerres_civiles_colombiennes
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Colombie
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Eli%C3%A9cer_Gait%C3%A1n
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(13) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1766/dans-le-monde/article/2003/03/17/4813-colombie-un-nouveau-president-poigne.html
(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%81lvaro_Uribe
(15) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(16) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2097/dans-le-monde/article/2008/12/10/18533-colombie-un-pays-ou-la-violence-est-dabord-celle-de-letat.html
(17) Guillaume Beaulande http://www.alterinfos.org/spip.php?article3971
(18) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Colombie
(19) Maud Petit http://cadtm.org/Mouvement-agraire-en-Colombie
(20) Annie Lacroix-Riz https://www.investigaction.net/fr/La-lutte-des-classes-en-Colombie/
(21) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_colombienne_de_2014
(22) https://www.amnesty.ch/fr/pays/ameriques/colombie/docs/2016/un-accord-de-cessez-le-feu-historique-entre-les-farc-et-le-gouvernement-colombien
(23) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2016/10/26/colombie-un-processus-de-paix-fragile_71833.html
(24) https://fr.wikipedia.org/wiki/Processus_de_paix_en_Colombie
(25) https://npa2009.org/actualite/international/colombie-une-catastrophe-pas-si-naturelle
(26) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/06/20/colombie-la-droite-remporte-la-presidentielle_108741.html
(27) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/05/11/colombie-face-la-mobilisation-populaire-le-president-recule_158939.html
(28) Pierre Delage https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/06/22/colombie-un-president-de-gauche-pour-un-etat-mine-par-lextreme-droite_363568.html