L'Uruguay

 

 

La préhistoire et époque précolombienne

Les premières traces de vie humaine sont repérables par les premières industries lithiques datant du Paléolithique supérieur repérées dans le nord du pays. Les populations étaient alors très nomades à cause des différentes glaciations.

Durant le Néolithique, la fin de la dernière glaciation poussa les petits groupes nomades (Charrúa, Chana, Minuane, Bohane, Guenoa, Yaro et Guaraní) à se sédentariser et à délaisser les régions les plus arides et pour peupler les îles fertiles du Río Uruguay. Les hommes auraient alors commencé à tailler efficacement les pierres pour en faire des outils puis vers - 6 000 ans, à s'organiser en groupes sédentaires d'une vingtaine d'individus fabriquant des tumulus de terre pouvant atteindre de 40 m de diamètre et de 2 à 7 m de haut. Ces tumulus pouvaient alors servir de sépulture pour les morts (tombeau individuel ou collectif), de zones cultivables ou de tour de guet pour se protéger.

Finalement les peuples Charrúas et Guaraní se démarquent des autres groupes et sont les premiers que l'on peut désigner par « peuple » car le nombre d'individus est significatif. On a depuis retrouvé les marques de la culture avancée de ces peuples pécheurs et agriculteurs avec diverses céramiques. Néanmoins, nous ne connaissons quasiment rien de ces peuples — sinon qu'ils étaient hostiles l'un envers l'autre — puisqu'ils ne connaissaient pas l'écriture, les seuls éléments archéologiques étant leurs outils et leurs habitats.

 

 

L'arrivée des Européens

Les Charrúas, une petite tribu repoussée par les Guaranís, sont les seuls habitants de la région à l'arrivée des Européens. Les conquistadores espagnols de Juan Díaz de Solís découvrent cette zone en 1516. En 1527, Sebastián Gaboto, sous les ordres du royaume d'Espagne, construit un fort dans l'embouchure de la rivière San Salvador. Puis, le 30 mai 1574, Juan Ortiz de Zárate bâtit, à proximité des ruines de ce fort entre-temps détruit par les Charruas, la première ville s'appelant aussi San Salvador. En 1603, les Espagnols introduisent du bétail en Uruguay pour tenter de développer l'économie locale, mais l'absence d'or et d'argent, combinée à la forte résistance des Charruas, dissuade les Européens de s'y installer durant le XVIe siècle et le XVIIe siècle.

En 1624 des missionnaires jésuites fondent une Réduction (reducción) sur les bords du Río Negro, presque à la confluence avec le fleuve Uruguay. Nommée Santo Domingo Soriano, cette réduction se situait à l'actuel emplacement de la ville de Soriano.

 

 

Les XVIIIe et XIXe siècles

Plus tard, les Espagnols augmentent leur présence pour limiter l'expansion des Portugais installés au Brésil puisqu'en 1680, les Portugais violent le traité de Tordesillas en fondant la ville de Colonia del Sacramento juste en face de la ville de Buenos Aires pour pouvoir dominer complètement le Rio de la Plata. Ainsi, le capitaine espagnol Bruno Mauricio de Zabala fonde Montevideo le 24 décembre 1726 pour placer une armée dans ce poste fortifié, avant de coloniser la Banda oriental, à l'est de la rivière Uruguay.
En 1777, les Espagnols établissent leur autorité sur la région en la mettant sous contrôle de la vice-royauté de Buenos Aires. Le port naturel de Montevideo finit par concurrencer le commerce de Buenos Aires.

 

Le début du XIXe siècle est marqué par des luttes entre les envahisseurs britanniques, les Portugais et les Espagnols pour la domination de cette zone s'étendant sur le territoire uruguayen, une partie de l'Argentine et une autre du Brésil.

 

La lutte pour l'indépendance

Alors qu'en 1810, la guerre d'indépendance est commencée en Argentine sous le nom de Révolution de Mai (Revolución de Mayo), l'Uruguay ne connaît aucune rébellion. C'est le cri de l'Asencio (Grito de Asencio) du 27 février 1811 qui est généralement considéré comme étant le point de départ de la révolution dans le pays. Rapidement, une partie de la population menée par José Gervasio Artigas, héros national de l'Uruguay, participe à ce soulèvement, attaquant directement l'armée espagnole et les royalistes en les battant à la bataille de Las Piedras le 18 mai de la même année et allant jusqu'à encercler la ville de Montevideo où l'armée espagnole s'était retranchée.

Pour anéantir la rébellion, l'Espagne et le Portugal signent un accord qui permet à un contingent de soldats portugais de venir en aide à ceux espagnols. Cette alliance ordonne alors aux révolutionnaires de quitter les abords de Montevideo, toute la Banda Oriental et la région Mesopotamia (au nord de l'Argentine), ordre qu'Artigas applique puisqu'il part avec toute la population locale jusqu'à la rivière Ayuí dans le nord du territoire, laissant une région quasiment inhabitée derrière lui. Cet exode montre à quel point le peuple veut son indépendance et qu'il est prêt à tout pour cela.

À partir du 26 février 1813, les indépendantistes encerclent de nouveau Montevideo au cours des batailles du Cerrito et du port del Buceo, et prennent la ville le 23 juin 1814. Pendant cette période, de nombreux affrontements ont lieu entre l'armée d'Artigas le fédéraliste et celle du gouvernement de Buenos Aires. En 1815 Artigas arrive à réunir dans la ville frontière d'Arroyo de la China (aujourd'hui Concepción del Uruguay) l'ébauche d'un congrès de l'indépendance argentine avec les représentants de la Banda Oriental, de la province de Córdoba, de Corrientes, de l'Entre Ríos, de Misiones et de Santa Fe, unis dans la Ligue Fédérale (Liga Federal), les autres provinces des territoires de l'ancienne Vice-royauté du Río de la Plata sont alors aussi conviées même si elles ne demandent pas le rattachement à cette Ligue.

Mais les armées portugaises et espagnoles sont trop expérimentées pour des paysans révolutionnaires et, à la suite des nombreuses défaites que son armée subit, Artigas doit fuir le pays en 1820 et s'exile au Paraguay. Le Portugal annexe en 1821 le territoire de l'actuel Uruguay en l'intégrant dans le Brésil sous le nom de Provincía Císplatina.

Des révoltes sont tentées dès 1821 et 1823 mais elles n’ont pas d'effets notables. Les Treinta y Tres Orientales, commandés par Juan Antonio Lavalleja, arrivent sur le territoire uruguayen le 15 avril 1825, rejoints par beaucoup d'hommes, et forcent l'armée brésilienne à se retirer de la province cisplatine. Dès le 25 août 1825, l'Uruguay déclare son indépendance vis-à-vis du Brésil, tout en souhaitant rejoindre l'Argentine pour former une fédération régionale, ce que l'Argentine accepte le 24 octobre 1825. Cette décision déclenche une nouvelle guerre entre l'Argentine alliée à l'Uruguay contre le Brésil, vaincu au bout de trois ans de guerre.

La Convention préliminaire de paix puis le traité de Montevideo (27 août 1828), approuvé par le Royaume-Uni, officialise la création de la « République orientale de l'Uruguay » en tant que pays indépendant et souverain et trace les frontières du nouvel État. La première constitution du pays est adoptée le 18 juillet 1830.

 

Une indépendance mouvementée

Le premier président de l'Uruguay devait être approuvé par le Brésil, par conséquent, même si Lavalleja est considéré comme étant le héros national de cette nouvelle rébellion, il n'est pas élu à cause du refus du Brésil. Fructuoso Rivera forme donc le premier gouvernement du pays. Puis, le second président, Manuel Oribe en 1835 crée une commission pour étudier les dépenses faites par le premier gouvernement, ce que Rivera refuse, au fil des différentes tensions comme cette dernière, les partis politiques se créent avec d'un côté, les Colorados du général Rivera et de l'autre les Blancos du Brigadier général Oribe, les deux factions commencent rapidement à se battre et Oribe démissionne et est remplacé par Rivera toujours soutenu par le Brésil.

Lorsque Rivera est élu pour la seconde fois en 1839, la guerre civile éclate entre les conservateurs nommés Blancos (blancs), menés par Manuel Oribe et soutenus par l'Argentine de Juan Manuel de Rosas et les libéraux ou Colorados (rouges), menés dans un premier temps par Fructuoso Rivera et ensuite par Joaquín Suárez. On les a nommés ainsi à cause de la couleur de leurs drapeaux respectifs (blanc pour les premiers et rouge pour les seconds). Le conflit armé se prolonge jusqu'en 1851 sous le nom de Grande Guerre (Guerra Grande) durant laquelle la quasi totalité du pays est sous le contrôle d'Oribe à l'exception de la ville de Montevideo qui reste fidèle au parti Colorado. Oribe construit alors une nouvelle capitale collée à Montevideo qu'il nomme Villa Restauración (actuellement le quartier de Villa Unión).

Les puissances européennes, principalement la France et le Royaume de Sardaigne, mais aussi l'Angleterre, défendent Montevideo pour protéger leurs ressortissants et pour sauvegarder leurs intérêts économiques. Giuseppe Garibaldi alors exilé en Amérique du Sud participe à la défense de Montevideo. Par la suite, les grandes puissances partent, les Colorados demandent le soutien armé du Brésil et des fédéralistes de la province argentine de Entre Ríos qui est contre le régime de Rosas. En 1851, la guerre se termine par la défaite de l'union Rosas-Oribe, et ces deux hommes doivent quitter la région. À la suite de l'intervention des Européens, beaucoup d'immigrants s'installent en Uruguay, mais le pays est alors ruiné par cette guerre et sa population décimée.

De 1865 à 1870, maintenant alliée à ses deux grands voisins que sont le Brésil et l'Argentine, la nation est partie prenante de la guerre de la Triple Alliance contre le Paraguay.

 

Modernisation et militarisme

La modernisation du pays commence en 1876, après le chaos politique gouverné par les révolutionnaires se termine au XXe siècle avec les réformes sociales et économiques de José Batlle y Ordóñez.

Cette modernisation débute tout d'abord par une période pendant laquelle le pays est sous contrôle militaire puisque le 10 mars 1876, les commerçants, les classes aisées et les étrangers résidant dans le pays se réunissent pour parler des importants problèmes de sécurité intérieure du pays dus aux multiples révolutions (on décompte 19 tentatives d'ampleur départementale ou nationale en 45 ans) qui empêchent les stabilités politique et économique de s'installer dans le pays ; ces instabilités sont aussi dues à l'incompétence des gouvernements démocratiques composés d'anciens vachers devenus caudillos à l'avènement de la démocratie et enfin au déclin de la popularité de ces mêmes partis. À la fin de la réunion, les personnes présentes décident de donner le pouvoir au colonel Lorenzo Latorre qui est alors Ministre de la Guerre. Ce dernier accepte et prend le pouvoir comme gouverneur provisoire (gobernador provisorio).
Les objectifs principaux du gouvernement sont de mettre en place une paix interne durable (surtout dans la campagne) et d'imposer le droit à la propriété privée, comme les personnes qui l'ont nommé le souhaitent.
Ce pouvoir militaire définit la voie politique prise, c'est-à-dire le changement (temporaire) des groupes politiques traditionnels (blancos et colorados) par un gouvernement plus fort, c'est-à-dire protégé par l'armée et par les compagnies économiques.1

Latorre reste surtout connu pour sa dictature pendant laquelle il n'a pas privilégié la classe militaire mais plus la classe économique aisée et il a principalement utilisé l'autoritarisme de cette dictature pour forger un pouvoir central capable de diriger le pays. L'historien Benjamín Nahum écrivit que la période du gouvernement de Latorre fut une dictature où les opposants politiques étaient pourchassés et où le travail forcé était fortement pratiqué, principalement pour la construction des voies ferrées.2

 

Le batllisme et la « Suisse de l'Amérique »

À la fin du XIXe siècle le pays termine la mise en place de son organisation administrative et pendant l'ère Batlle il consolide sa démocratie et atteint de hauts niveaux de bien-être, comparables aux pays européens. De ce fait, l'Uruguay est alors appelé « la Suisse de l'Amérique » ; sa politique bancaire n'est pas étrangère non plus à ce surnom.

La plus grande partie du travail fait lors du premier mandat de José Batlle y Ordóñez est d'ordre purement politique puisque Aparicio Saravia et le Parti national tentent des soulèvements populaires dans le nord du pays en 1903 et 1904. Ces soulèvements permettent juste de consolider définitivement l'autorité du pouvoir central dans toute la République.

Sur le plan économique, il faut souligner le budget de 3 millions de pesos destiné à la construction et à l'amélioration des routes de campagne. Il faut aussi noter la loi favorisant l'essor et la préférence de l'industrie nationale au sujet de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur par rapport à l'importation de sucre en accordant plusieurs primes annuelles et en choisissant les semences. Il y eut enfin le développement de l'entreprise génératrice d'électricité (Usina de Luz Eléctrica) dans tout le pays. Sur le plan financier, le désir du pouvoir exécutif est d'obtenir une indépendance progressive du financement anglais.

Avec l'arrivée au pouvoir de Claudio Williman, il y a une certaine continuité (tout en étant plus conservateur) avec le gouvernement Batlle. En effet, le 25 août 1909 le port de Montevideo est inauguré. Il appartient au service public de l'État et l'administration portuaire se réserve des autorisations d'amarrage. Le pays dispose depuis ce jour d'un moyen qu'il lui permet de concurrencer Buenos Aires pour ce qui concerne le trafic maritime.

De 1911 à 1915, pour son second mandat, Batlle profite d'une conjoncture économique excellente et parvient à augmenter le niveau de vie général de la population uruguayenne.

D'importants apports au code du travail des travailleurs sont donc effectués. Le travail de mineurs de moins de 13 ans est interdit ; les journées de travail pour ceux de moins de 19 ans sont plus courtes ; les femmes disposent de 40 jours de repos pour la période de grossesse, le repos obligatoire est d'un jour par semaine, le temps de travail est au maximum de 48 heures hebdomadaires et la journée de travail ne doit pas excéder 8 heures. Une loi de paiement d'indemnités pour les accidentés du travail est créée tout comme la pension de vieillesse (retraite) que peuvent demander toutes les personnes âgées d'au moins 65 ans et de tout âge en cas d'invalidité absolue, se trouvant dans l'indigence, cette pension dépendant du nombre d'années travaillées.

En ce qui concerne l'activité économique de l'État (l'étatisation et la nationalisation du marché), le principe idéologique est que les services publics essentiels doivent être entre les mains de l'État, puisque celui-ci est l'organisme représentatif de la société, c'est-à-dire de toutes les classes sociales et est au-dessus de ses conflits ; l'État doit intervenir là où le capital privé est indécis ou craint de perdre de l'argent, parce qu'il n'est pas guidé par le souci de profit mais de service public ; l'État doit remplacer les entreprises étrangères qui emmènent les profits hors de frontières, affaiblissant ainsi le pays.

L'étatisation la plus importante est celle du secteur bancaire, la banque de la République orientale d'Uruguay (Banco República Oriental del Uruguay) est réalisée de 1911 à 1913, celle de la Banque Hypothécaire de l'Uruguay (Banco Hipotecario del Uruguay) le devient en 1912, et les assurances sont passées des mains privées aux mains étatiques avec la création en 1911 de la banque d'assurance de l'État (Banco del Seguros del Estado), l'étatisation touche aussi les entreprises d'électricité (Ose), de chimie, de géologie, etc. De même qu'est créée en 1920 l'Administration des Chemins de fer et Tramways de l'État ("Ferrocarriles y Tranvías del Estado" – FTE).3

 

De la dictature de Terra (1933-1938) au retour du battlisme

Après la mort de Batlle et la crise économique de 1929, Gabriel Terra s'empare du pouvoir par un coup d'État, le 31 mars 1933, il dissout le Parlement et censure la presse, dans un climat de crise économique provoquée par la Grande Dépression. Il instaure un régime dictatorial proche du fascisme, promouvant en 1934 une nouvelle Constitution, à caractère présidentialiste, qui demeure en vigueur jusqu'en 1942.

Terra doit cependant accepter un compromis : la Constitution de 1934 rétablit le système présidentiel, mais le cabinet gouvernemental doit nécessairement inclure trois personnalités du parti minoritaire (blanco), tandis que le Sénat est réparti de façon égale entre les deux partis, colorado et blanco.

Soutenu par le riverismo (es) colorado et l'herrerisme, Terra est ré-élu dans ces conditions président pour 1934-1938, mettant en œuvre une politique d'industrialisation par substitution aux importations et entame quelques grands travaux, comme le barrage du Bonete près de Paso de los Toros, construit avec des fonds venant de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie, ou la raffinerie de La Teja, exploitée par ANCAP. Sur le plan extérieur, il rompt les relations diplomatiques avec l'URSS en 1935 et reconnaît dès 1936 le gouvernement de Franco.

Échappant à un attentat en juin 1935, Terra réprime la même année un soulèvement armé4. En 1938, le général à la retraite Alfredo Baldomir est élu, et restaure progressivement les institutions démocratiques au prix d'un nouveau coup d'État, en 1942, le golpe bueno, destiné à briser la crise politique et à rétablir l'ensemble des droits et libertés supprimés par Terra.5

Le pays renoua alors partiellement avec une prospérité qui rappela l'ère Batlle, tandis qu'en 1952, un Conseil national du gouvernement (direction collégiale de l'exécutif) fut mis en place.

À partir de 1959, l'Uruguay fut frappé de plein fouet par une nouvelle crise, d'abord économique et sociale, puis politique.6

 

Une détérioration économique et un coup d'État

Après la guerre de Corée, le pays traverse de graves problèmes économiques puisque ses productions entrent en concurrence avec celle des États-Unis. Le commerce extérieur a donc fortement chuté et a entraîné une forte baisse de 12 % du PNB entre 1956 et 1972. En découlent des instabilités sociales et politiques puisque entre mars 1959 et février 1967, pas moins de huit gouvernements se succèdent. Cette instabilité politique renforce encore l'instabilité économique. Les gouvernements tentent de bénéficier des fonds promis par l'Alliance pour le progrès de John F. Kennedy à l'Amérique latine afin d'éviter de nouveaux Cubas. Toutefois, les fonds ne viennent guère, le programme étant mis en sommeil. Entre 1963 et 1967 l'inflation atteint des augmentations records de 50 % par an, et en 1965 la spéculation massive produit une crise bancaire sans précédents.

Les États-Unis mirent sur pied l'Office of Public Safety (en), un bureau de coopération policière internationale dépendant de l'USAID, qui commença à opérer en 1965. Son agent le plus célèbre, Dan Mitrione, enseigna l'usage de la torture dans le cadre des techniques d'interrogatoire aux forces de police locales. Plusieurs opérations de la CIA en Uruguay furent dévoilées par la suite, en 1975, par Philip Agee, ex-agent de la CIA qui avait travaillé dans le pays de 1964 à 1966, et révéla notamment l'usage de la torture.

Dès cette époque, la situation est hautement conflictuelle. Des groupes antisémites d'extrême-droite attaquaient locaux universitaires et permanences des partis (mort du professeur Arbelio Ramírez le 17 août 1961, victime d'une balle destinée au ministre cubain de l'Industrie, Che Guevara ; enlèvement de la réfugiée paraguayenne Soledad Barret en 1962 - son corps est retrouvé avec des croix gammées gravées dessus, et sa mémoire honorée dans un poème de Mario Benedetti). Ces groupes étaient en fait étroitement liées à la CIA. Toutefois, la violence de leur intervention a été jugée contre-productive par l'ambassadeur des États-Unis, Wymberley Coerr, qui ordonna en 1962 de mettre un terme à la collaboration politique avec Nardone et aux opérations violentes, qui avaient aussi causé la mort d'un enfant, Olivio Piriz, et qui suscitaient les critiques de la gauche envers le gouvernement.

La gauche essuie un échec cuisant aux élections de 1962 (es), le Front de gauche de libération (FIDEL, alliance entre le Parti communiste, le Mouvement révolutionnaire oriental (MRO) d'Ariel Collazo et des dissidents du Parti colorado) n'obtenant que 3,49 % des voix, tandis que l'Union populaire du Parti socialiste et du dissident blanco Enrique Erro n'obtenait que 2,3 % des suffrages.

D'autre part, des rumeurs de coup d'État se font jour, au centre desquelles se trouvaient, en 1964 et 1966, le colonel pro-nazi Mario Aguerrondo, futur général, rumeurs rendues davantage crédibles encore avec le coup d'État de mars 1964 au Brésil et celui du général René Barrientos en Bolivie. Dès avril 1964, la junte brésilienne dirigée par Castelo Branco était reconnue par l'Uruguay, tandis que João Goulart, en dépit de sa popularité en Uruguay, n'eut droit qu'à l'asile politique, et non au statut de réfugié.

En 1964, le Parti communiste décide ainsi de créer une structure clandestine armée pour se préparer à un éventuel putsch. L'échec de la gauche en 1962 entraîna des scissions (MUSP), mais surtout poussa certains à décider de créer des mouvements armés, dont le but demeure à l'origine ambigu, oscillant entre la défense contre les groupes d'extrême droite et un éventuel coup d'État, et l'espoir de mettre en œuvre un programme révolutionnaire de réforme agraire, nationalisation des banques, etc. La lutte armée commence ainsi à être perçue par certains militants, d'origines diverses (blanco, syndicaux d'ouvriers agricoles, socialistes, communistes et anarchistes, etc.), comme le seul moyen de sortir d'une situation politique bloquée par le partage du pouvoir entre les deux partis traditionnels, blanco et colorado. Ainsi, après la création du Coordinateur, une structure rassemblant plusieurs groupes épars, les Tupamaros sont officiellement créés en mai 1965, bien qu'ils n'entreront véritablement en action que plus tard.

Avec la crise bancaire de 1965, les mouvements sociaux s'intensifient, et le président du Conseil national du gouvernement, Washington Beltrán, fait usage à trois reprises de l'état de siège (medidas prontas de seguridad (es). La détention de Julio Arizaga, militant du MIR soumis à la torture, conduit le gouvernement à maintenir l'état de siège afin d'éviter que son traitement soit connu de tous, et conduit à d'importantes manifestations contre le gouvernement blanco.

 

 

La réforme constitutionnelle et le mandat de Pacheco Areco

Pour tenter de résoudre la crise, les députés votent une réforme constitutionnelle abrogeant le Conseil national du gouvernement, afin de revenir à un régime présidentiel fort, le mandat étant fixé à cinq ans. Cette réforme bénéficie dès 1964 de l'appui de la Ligue d'action ruraliste. Le général Óscar Diego Gestido, candidat colorado, est élu en novembre 1966 et prend ses fonctions en mars 1967. Mais il meurt en décembre, et c'est le vice-président, Jorge Pacheco Areco, qui assume le rôle de chef de l'État et du gouvernement, alors que le taux d'inflation annuelle est à plus de 160 %.

Pour faire face aux conflits sociaux, le président Jorge Pacheco Areco décrète en juin 1968 des mesures d'exception (les medidas prontas de seguridad (es), qui se transforment en « état d'exception » durable. Celles-ci permettent la censure et la détention sans inculpation, qui seront utilisées de 1968 jusqu'à la fin de la dictature en 1985 de façon ininterrompue.

Pacheco réquisitionne de force les ouvriers en grève à l'aide de l'armée, fait interner les syndicalistes dans les casernes, manie la censure et interdit plusieurs partis de gauche, dont le Parti socialiste et la Fédération anarchiste uruguayenne (FAU). D'autre part, il instaure le contrôle strict des prix et des salaires afin de juguler l'inflation, réussissant à la ramener à 20 % par an.

Dans le même temps, la guérilla urbaine se développe avec des mouvements d'extrême gauche comme les Tupamaros, qui s'illustrent lors de la prise de Pando (8 octobre 1969), tandis que des groupes d'extrême droite pilotés depuis le sommet de l'État (l'Escadron de la mort, et la Jeunesse Uruguayenne debout, Juventud Uruguaya de Pie) effectuent des attentats contre des personnalités du Front large, notamment, le 6 novembre 1971, contre le candidat présidentiel du Front large, le général Líber Seregni, et assassinent des étudiants. À l'arrière-plan, la Loge des lieutenants d'Artigas du général pro-nazi Mario Aguerrondo, cercle militaire secret qui inclut de nombreux futurs généraux de la dictature.

Deux kidnappings (organisés par les Tupamaros) furent ceux de Dan Mitrione, assassiné en août 1970 en raison du refus du gouvernement de libérer des prisonniers politiques, et de l'ambassadeur britannique Geoffrey Jackson en janvier 1971 (libéré). D'autres personnes enlevées furent unilatéralement libérées pour raisons de santé. Par ailleurs, l'intervention des États-Unis demeure forte. Ainsi, en 1972, l'ambassade des États-Unis employait 363 fonctionnaires, conduisant même à des plaintes de l'ambassadeur qui critiquait en avril 1973 le nombre élevé d'agents de liaison de la CIA.7

En novembre 1971, les élections sont remportées de justesse, dans un contexte de fraudes importantes, par le dauphin de Pacheco, Juan María Bordaberry. Celui-ci démantèle l'appareil de contrôle de l'économie mis en place par Pacheco, au risque de faire remonter l'inflation à un taux annuel de 100 %. La montée en puissance de l'armée se poursuit, tandis que l'« état de guerre interne » est voté après l'assassinat, par les Tupamaros, du sous-secrétaire d'État à l'Intérieur, Armando Costa y Lara, qui dirigeait les escadrons de la mort.

 

Coup d'État de juin 1973 et dictature

En février 1973, après l'échec d'une tentative de reprise en main de l'armée par Bordaberry, celle-ci lui impose le Pacte de Boiso Lanza, qui établit un Conseil de sécurité nationale, l'armée partageant, de fait, le pouvoir avec lui. Le processus débouche finalement sur le coup d'État du 27 juin 1973, Bordaberry restant en place mais sous étroite surveillance de l'armée, tandis que les partis politiques sont dissous.8

La torture des prisonniers politiques (1 pour 450 habitants, soit environ « 6 000 détenus », dont au moins 67 enfants, sur un pays de moins de 3 millions d'habitants, record mondial) est massive, tandis que les militaires et les escadrons de la mort collaborent avec les autres services de sécurité du Cône sud pour pourchasser les opposants, préfigurant l'officialisation secrète de l'opération Condor en 1975.

La censure est généralisée, les livres de Freud, Brecht, ainsi que les cassettes de Carlos Gardel interdits, provoquant l'exil de nombreux artistes uruguayens et, en général, de milliers d'Uruguayens (d'abord au Chili et en Argentine, puis en Europe). Toute forme d'association (de quartier, catholique, artistique, sportive, etc.) est étroitement surveillée par les militaires qui prétendent devoir réprimer la « subversion » du « communisme international » (« opération Morgan »). L'armée uruguayenne participe ainsi activement à la « guerre sale » qui se généralise sur le continent. Bordaberry, quant à lui, est tenté par l'établissement d'un régime corporatiste, sur le modèle du national-catholicisme franquiste.9

L'échec de la dictature, consacré par le refus massif de la population lors du plébiscite de 1980 sur la réforme constitutionnelle visant à entériner la dictature, conduit à une transition démocratique qui n'aboutit qu'avec les élections de 1984 et la libération des prisonniers politiques en 1985.10

 

Transition démocratique

Le 12 février 1985, Gregorio Álvarez laisse le pouvoir au président de la Cour de Justice Suprême en exercice Rafael Addiego Bruno qui organise des élections et le 1er mars 1985 Julio María Sanguinetti, chef de file du Parti Colorado, remporte les élections

Le pays est alors dans une crise sans précédent, une dette extérieure de plus de cinq milliard de dollars américains et une inflation de plus de 70 pour cent, pourtant en très peu de temps, l'économie uruguayenne repart grâce à des exportations importantes et des restrictions budgétaires du gouvernement pour stabiliser celle-ci. Les principales actions ont été une diminution du nombre de fonctionnaires, la modernisation importante des entreprises étatisées, la réforme des retraites et la taxe sur l'utilisation du pétrole (pour faire diminuer la facture énergétique du pays).

Pour favoriser le retour vers une paix civile, Sanguinetti entreprend une campagne de réconciliation nationale en faisant voter, en 1986, la loi de « Caducité de la Prétention Punitive d'État » (Caducidad de la Pretensión Punitiva de Estado), qui conduit à l'amnistie des crimes commis par les militaires lors de la dictature, toute poursuite devant être autorisée par l'exécutif, ce qui équivalait, jusqu'à l'arrivée du Front large au pouvoir en 2005, à une impunité de fait. Quelques mois auparavant, le Conseil de sécurité nationale (es) fut abrogé : bien que l'influence de l'armée demeure importante au cours de la prochaine décennie, la transition démocratique était alors bien amorcée.

 

Situation contemporaine

Puis, entre 1990 et 1995, la candidature de Luis Alberto Lacalle du Parti national (blanco) remporte le plus de suffrages. Sous son mandat, l'Uruguay entre progressivement de 1991 à 1995 dans l'alliance régionale du Mercosur. Il dévalue le peso (1 ancien peso pour 1000 nouveaux). Cependant, la politique néolibérale qu'il met en œuvre à partir de 1992, dont beaucoup de privatisations (secteurs énergétique, bancaire, transport), sont lourdement contestées. Au cours de son mandat, Lacalle doit notamment faire face à une crise importante relative à l'affaire Eugenio Berrios (en), un biochimiste chilien de la DINA, demandé par la justice chilienne dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat d'Orlando Letelier en 1976. L'affaire, au cours de laquelle le public apprend que la coopération entre les services de renseignement uruguayens et chiliens se poursuivait en pleine démocratie, réminiscence de l'opération Condor, conduit à la démission de plusieurs hauts responsables de la police et des militaires.

En 1994, Julio María Sanguinetti (colorado) sort à nouveau en tête des élections présidentielles, le Parti colorado ne l'ayant emporté toutefois que de 30 000 voix contre le Front large (coalition de gauche), à la tête duquel se trouve Tabaré Vazquez. Les manifestations du 24 août 1994 devant l'hôpital Filtro, en défense du droit d'asile et contre l'extradition de trois Basques accusés d'appartenir à l'ETA, et qui furent brutalement réprimées par la police (tirant à balles réelles, celle-ci tua au moins un manifestant), ont peut-être été une raison de cette courte défaite du Front.

L'affaire Berrios rebondit sous son mandat : celui-ci est en effet retrouvé mort en 1995 en Uruguay, assassiné probablement pour éviter qu'il ne témoigne dans l'affaire Letelier et dans l'affaire Frei Montalva, voire qu'il ne dévoile des opérations de trafic de cocaïne liées à Pinochet, qui se rend en Uruguay en 1993.

Les élections de 1999 sont remportées par Jorge Batlle (colorado), qui poursuit la politique néolibérale de ses prédécesseurs. Par ailleurs, il établit une Commission pour la paix visant à éclaircir les violations des droits de l'homme commises sous la dictature. Batlle effectue aussi plusieurs nominations au sein de l'armée, qui conduisent notamment, pour la première fois, à ce qu'aucun général ne soit membre de la loge d'extrême droite des lieutenants d'Artigas. L'influence de l'armée sur la vie politique décline ainsi fortement sous son mandat, bien qu'elle demeure présente.

En 2002, à la suite de la demande de Jorge Zabalza, ex-Tupamaro qui fut président de l'Assemblée départementale de Montevideo, la dépouille de l'ancien chef Vaimaca Pirúdes, l'un des derniers charrúa, est ramenée depuis la France, avec l'accord du président Chirac, jusqu'au Panthéon National.

 

 

La crise bancaire de l'Uruguay

La crise de la fièvre aphteuse secoue l'économie de l'élevage sur laquelle l'Uruguay et ses pays limitrophes s'appuient, environ 20 000 animaux sont tués pour endiguer l'épizootie et des campagnes massives de vaccination sont mises en place dans les élevages. Par conséquent les pays de la région sont fortement touchés dès 2001.

Pour contrer cette fièvre aphteuse venant de l'Argentine (pays le plus touché) et sauvegarder le cheptel uruguayen, le gouvernement interdit l'importation depuis ce pays, les exportations vers l'Argentine diminuent très vite pour devenir quasiment nulles. Entre janvier et février 2002, les Argentins retirent leurs devises des banques uruguayennes (le gouvernement argentin s'en excusa publiquement le 4 juin de cette même année). L'économie uruguayenne s'écroule alors et l'impact le plus visible est le taux de change du peso s'écroule en moins d'un an.

Le 30 juillet, un nombre important de banques annoncent leur faillite mais le gouvernement réussit à repousser la fermeture définitive des établissement au 2 août.

Depuis plusieurs mois, les syndicats tentent de soulever l'opinion publique contre le gouvernement accusé d'avoir une politique trop libérale, ce qui fit que le 16 avril les Uruguayens expriment leur colère lors d'une manifestation de grande ampleur d'environ 100 000 personnes. Le 12 juin, les syndicats démarrent une grève générale de 24 heures, paralysant tout le pays.

Enfin, le 4 août, les États-Unis conscients de la crise accordent une aide d'urgence d'1,5 milliard de dollars américains (l'équivalent des retraits effectués par les Argentins) en attendant l'aide du FMI. Ce qui permit de désamorcer petit à petit la crise.

 

 

La gauche au pouvoir : le gouvernement de Tabaré Vázquez

Le 31 octobre 2004, le socialiste Tabaré Vázquez (Parti Progressiste-Front Élargi-Nouvelle Majorité) est élu président dès le premier tour avec 50,45 % des suffrages : c'est la première fois depuis 174 ans qu'un président élu n'appartient pas aux partis traditionnels, désormais les deux de droite, colorado ou blanco.

Depuis son élection, Tabaré Vázquez tente de stabiliser l'économie en ramenant le peso à un taux plus favorable et en diminuant la dette extérieure du pays. Son gouvernement échange la dette envers le FMI contre une dette sur les marchés financiers, ce qui a permis d'une part de se libérer des contraintes du FMI sur l'économie uruguayenne, d'autre part de faire passer la dette brute, en pourcentage du PIB, de 113 % à 57 %. Entre 2005 et 2008, le salaire minimum passe de 1 350 pesos à 4 150 pesos (70 à 200 dollars), tandis que la pauvreté passe de 30,9 % de la population à 21,7 % , succès qui font de Vázquez le président le plus populaire des dernières décennies

Son gouvernement, qui intègre en tant que ministres deux ex-Tupamaros, José Mujica (Agriculture) et Eduardo Bonomi (Travail), réforme la législation sur le travail afin de protéger davantage les droits syndicaux. Par ailleurs, il met en place le plan Ceibal (es), équipant les 380 000 élèves du pays d'ordinateur XO-1 à cent dollars, ainsi qu'un plan d'urgence économique, équivalent du Plan Fome du président brésilien Lula, visant à donner à manger à tous.

Enfin, ayant nommé ministre de la Défense l'avocate socialiste Azucena Berruti, militante des droits de l'homme au sein du SERPAJ, Vázquez ouvre la voie aux procès contre certains militaires inculpés de violations des droits de l'homme sous la dictature, sans toutefois abroger la loi d'amnistie (1986) qui subordonne ces poursuites à l'accord de l'exécutif. En 2006, plusieurs militaires uruguayens, liés à la Loge des lieutenants d'Artigas, sont extradés au Chili, inculpés pour l'assassinat d'Eugenio Berrios (en).

Sur le plan international, Vázquez maintient la présence de l'Uruguay au sein de la MINUSTAH, la force de l'ONU en Haïti, et reçoit le président George W. Bush en 2007, suscitant des manifestations houleuses. Un traité de libre-échange avec les États-Unis, importateur important de viande uruguayenne, n'est finalement pas signé, malgré le soutien initial du ministre de l'Économie Danilo Astori. Une partie de la gauche s'oppose en effet à certaines conditions de ce traité, jugées contre-productives pour l'Uruguay et en contradiction avec l'intégration régionale au sein du Mercosur. Vázquez est confronté à une crise importante avec l'Argentine, au sujet d'usines de fabrication de cellulose en face de la frontière, sur le Río Uruguay : les médias évoquent une « guerre du papier », les manifestants écologistes, en particulier du côté argentin, bloquant le pont reliant les deux pays à plusieurs reprises.11

 

Bilan de Tabare Vasquez

D’après la perception majoritaire, le pays va « un peu mieux ». Il n’y a pas eu de « réformes structurelles » (comme celles proposées autrefois par le Fronte Amplio (Front Elargi), telles la réforme agraire, l’étatisation des banques, le monopole du commerce extérieur, un système national de la santé, etc.), ni de « salariazo » [augmentation massive des salaires] comme le réclamaient autrefois les syndicats.

Il n’y a pas non plus eu de progression substantielle dans la justice sociale. Les riches sont toujours plus riches, au point que le gouvernement reconnaît que la « redistribution de la richesse » reste à faire. Entre 2005 et 2009, d’après les organismes officiels, les « salaires réels » ont augmenté de 22 %. Néanmoins ce n’est que récemment qu’ils ont approché le niveau de 1998, et le pouvoir d’achat pour les biens alimentaires est 20 % plus bas que son niveau d’avant la crise de 2002. Le chômage est descendu en dessous de la barre de 8 %, mais le 40 % des 200 000 nouveaux emplois créés se trouvent dans la catégorie de « mauvaise qualité » parce qu’ils sont en sous-emploi et sans couverture sociale. Et malgré toutes « les avancées », il y a la pauvreté : 640 000 pauvres l’étaient déjà en 2005 et continuent à l’être, soit 140 000 pauvres de plus que dans la période entre 1996 et 2001.

Malgré tout, le « bilan est favorable » si on le compare à « l’héritage maudit » laissé par les gouvernements de droite. Différentes mesures et politiques d’atténuation de la crise sociale ont eu leur impact : des conventions salariales et des rapports de travail plus favorables, une augmentation des retraites et des allocations familiales, l’Hôpital des Yeux (10 000 opérations gratuites avec l’aide des médecins cubains), la réforme de la santé (qui ne couvre pas les couches sociales exclues de l’économie « formelle »), etc. Et surtout les programmes d’assistance focalisés comme Panes, Trabajo por Uruguay, Plan Equidad.12

 

 

Un ancien guérillero au pouvoir

Le 29 novembre 2009, l'élection présidentielle uruguayenne a été remportée par José Mujica, ancien dirigeant des Tupamaros, la guérilla urbaine des années soixante et soixante-dix, alors à la tête du Front élargi. Avec 51 % des voix, cette coalition de centre-gauche bat Luis Alberto Lacalle du Parti National, le parti conservateur qui n'a recueilli qu'un peu plus de 44 % des voix.

Âgé de 74 ans, José Mujica, qui a été blessé par balles, torturé et emprisonné pendant quatorze ans succède au président de centre-gauche Tabaré Vasquez, membre lui aussi du Front élargi mais venu du Parti Socialiste, élu en 2004.

Après l'élection à la présidence du Nicaragua du sandiniste Daniel Ortega, Mujica est le second ex-guérillero à se retrouver ainsi élu à la tête d'un État d'Amérique latine.

La politique économique de Tabaré Vasquez a été une sorte de compromis. Il a augmenté les bas salaires, diminué le chômage et lancé un plan d'urgence pour les plus démunis, proposant assistance alimentaire et soins de santé. Dans le même temps son ministre de l'Économie, Danilo Astori, très apprécié des milieux d'affaires, a défendu une politique traditionnelle de remboursement de la dette, qui a été sensiblement réduite.

Pour le cas où son passé de guérillero et son franc-parler auraient pu troubler les moins avertis parmi les membres des classes possédantes, Mujica a fait toute sa campagne présidentielle avec, à ses côtés, Danilo Astori. Et Mugica a déjà annoncé qu'il poursuivrait l'action de son prédécesseur.13

 

 

Le plus à droite possible

Quelques croque-mitaines se sont agités – sans trop insister, il faut le dire – en faveur des momies de la droite réactionnaire tels les ex-présidents Sanguinetti et Batlle. Les exposants politiques les plus lucides de la classe dominante, les corporations patronales, les puissances médiatiques, savent bien que le Front Elargi est une pièce maîtresse de la « loyauté institutionnelle », car son adhésion à l’ordre capitaliste est absolument sincère et elle ne va pas y renoncer.

Mujica, l’ancien gueriillero tupamaro, est un emblème de cette adhésion. L’adieu définitif aux armes a été effectué il y a longtemps, dans l’indifférence quasi générale. Ces années de démocratie libérale ont entraîné sa capitulation politique, idéologique, éthique. C’était son « passeport pour le pouvoir ». Ou, comme l’écrit la presse conservatrice, le « grand virage miraculeux » qui a permis la « résurrection des vaincus ». Au prix, bien sûr, d’une épouvantable « métamorphose identitaire ».

La conversion de Mujica à l’économie du marché est ardente. « Je sais que la propriété privée est sacrée », a-t-il dit devant un forum d’entrepreneurs. Il ne perd aucune occasion de réitérer l’importance des capitaux étrangers : « Ils jouent un rôle positif pour le pays. » C’est ainsi qu’il a à plusieurs reprises soutenu l’implantation de Botnia, la multinationale finlandaise de la cellulose. Car il faut préserver « l’image de sérieux » de l’Uruguay en tant que pays qui respecte la « sécurité juridique » et « attire les investissements ».

Il l’avait déjà avoué il y a quelques mois : « Je ne vais pas me déguiser en capitaliste, je dis ce que je pense, mais je vis dans un pays capitaliste, et le capitalisme est le moteur qui fait fonctionner l’économie, et chaque matin l’appât du gain de beaucoup de gens qui va les faire sortir pour multiplier [leurs bénéfices] est la force principale que pousse en avant l’économie, et celle-ci a ses règles ». S’il se trouvait encore un ultragauchiste pour penser que ce sont les salariés, obligés de vendre leur force de travail, qui constituent le principal moteur de l’économie, il se trompait certainement, tout comme Marx d’ailleurs.

Pour le cas où il resterait le moindre malentendu, il explique d’ailleurs : « Dans le domaine de l’économie, je procéderai d’emblée le plus à droite possible, comme l’a fait Lula lorsqu’il est arrivé. Il s’agit de ne pas faire peur aux bons bourgeois, et ces signaux sont importants, sinon tu risques de tout déstabiliser d’emblée ». Son vice-président élu et ex-Ministre de l’Économie et des Finances, Danilo Astori, peut se sentir tout à fait rassuré : le « Pepe » apprend vite.

Aucun des « modèles » de référence de Mujica ne sont à gauche. C’est vers le Brésil, la Finlande, la Suède et la Nouvelle-Zélande qu’il se tourne. La « révolution bolivarienne » au Venezuela n’est mentionnée qu’avec des critiques : « J’ai dit à Chavez : tu ne construis aucun socialisme, seulement une bureaucratie pleine d’employés publics ». Sa philosophie se résume à un « je te dis une chose, mais je peux aussi te dire aussi une autre », car il ne faut pas s’enfermer dans des dogmes. On peut donc citer la social-démocratie suédoise, « qui élargit les espaces de l’État et s’appuie sur les syndicats » ; mais aussi le néolibéralisme de la Nouvelle Zélande, « qui remballe l’État à coups de pied et qui freine les syndicats ».

Lors de sa présentation devant la Chambre de l’Industrie, Mujica a proclamé de manière tranchante qu’un gouvernement du Frente Amplio présidé par lui parviendrait à mieux gérer les contradictions avec le PIT-CNT. Il aurait aussi pu dire que c’est lui qui parviendrait le mieux à mettre les syndicats au pas. Il n’a rien exclu, même pas la possibilité de « réviser la loi du travail (normativa laboral) » comme l’exigent les patrons.

 

 

En faveur du marché

Mujica a d’ailleurs des références pour démontrer la véracité de sa conversion, pour le cas où celles-ci feraient encore défaut. Au delà de ses gestes ou ses mots argotiques il donne des preuves de sa gestion en tant qu’« homme d’État » dans le Ministère de l’Élevage, de l’Agriculture et de la Pêche entre 2005 et 2008. C’est précisément pendant cette période que s’est déroulé un des plus importants processus de concentration et de passage en mains étrangères de la terre et de la production agrochimique. 150 entrepreneurs sont maintenant responsables de 70 % de la chaîne agricole. Le soja est en mains des capitaux argentins et chiliens ; la production forestière est le fief d’une poignée de grands conglomérats finlandais, états-uniens, espagnols et portugais ; l’industrie frigorifique appartient en majeure partie à des capitaux brésiliens. Soyez les bienvenus, Messieurs les investisseurs, vous êtes indispensables pour cette « phase d’accumulation ».

Toute suspicion de « violation de la propriété privée » – collée par quelques politiciens des partis Blanco et Colorado – a été éliminée. Lors de sa dernière comparution devant les correspondants étrangers, quelques heures avant l’élection, Mujica a assuré qu’il n’y aurait « aucune loi pour limiter la possession de la terre ». Cela n’est « ni dans le programme du Front Elargi ni dans celui du gouvernement ». Dans tous les cas, les initiatives dans ce domaine devront « rallier le consensus des autres forces parlementaires » ; autrement dit, celui des partis de droite. Ce qui signifie que rien ne changera en termes de latifundia, d’agriculture commerciale (agronegocios), de dénationalisation de la terre. La lutte pour la réforme agraire lancée par Raul Sendic et par le prolétariat de la canne à sucre dans les années 1960 n’est plus qu’un souvenir lointain (et gênant).

Les éditorialistes d’orientation néolibérale du pays se réjouissent de certifier le « grand tournant miraculeux » ; tout comme les porte-parole du capitalisme financier des États-Unis, des institutions financières internationales et des représentants politiques de la social-démocratie européenne. En voici quelques témoignages.

« Les changements conceptuels de Mujica, selon ses propres affirmations récentes, l’éloignent de l’extrême gauche ancien style, et le rapprochent de l’exemple du président Lula, avec son engagement avec la social-démocratie et l’état de droit ainsi que l’investissement privé sur le plan domestique et extérieur comme source primordiale de développement. »14

 

 

Politique du gouvernement Mujica

Mujica a renouvelé en avril 2010 avec le Venezuela de Chávez l'accord commercial de 2005, signé par Tabaré Vazquez, qui prévoit notamment l'approvisionnement en pétrole de l'Uruguay à des conditions favorables.

Il annonce en mai 2010 le dépôt d'un projet de loi devant limiter le secret bancaire et ainsi l'évasion fiscale, conformément aux standards de l'OCDE. Selon la Banque centrale de l'Uruguay, près de 18 % des dépôts appartiendraient à des non-résidents, soit 2 500 millions de dollars, détenus pour la plupart par des Argentins.

En octobre 2012, le Parlement vote la légalisation de l'avortement. Contrairement à son prédécesseur, qui avait mis son veto à cette légalisation, Mujica fait approuver la loi. En avril 2013, les parlementaires approuvent définitivement une loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.

En juin 2012, le gouvernement propose de légaliser et réguler la vente de marijuana. Malgré des critiques venues dans le monde entier, la revue britannique Monocle a salué cette décision. Le magazine américain Time s'est ensuite demandé si ce n'était pas un exemple à suivre pour le reste du monde.

Le 6 mai 2014, Mujica signe une loi légalisant le cannabis et régulant toute sa chaîne de production sous l'autorité de l'État.

 

 

 

Un style présidentiel atypique

Mujica se distingue par son mode de vie, très éloigné du faste habituel de la fonction présidentielle. Délaissant le palais présidentiel, il habite la petite ferme de son épouse, « au bout d'un chemin de terre » en dehors de Montevideo. Il continue à y cultiver des fleurs avec son épouse, Lucía Topolansky, à des fins commerciales, et donne environ 90 % de son salaire présidentiel à des organisations caritatives ou pour aider des « petits entrepreneurs », conservant pour lui-même l'équivalent du salaire moyen en Uruguay (environ 900 € par mois). Le couple présidentiel bénéficie de la protection de deux policiers à la ferme.15

José Mujica Gordano, n’est donc pas un personnage comme les autres. Il se singularise par une indépendance vis à vis de l’addiction à l’argent contrairement à l’immense majorité de tous les autres potentats notamment arabes. Yann Arthus-Bertrand l’a rencontré, il lui donne la parole : « Mon nom est José Mujica Gordano, je suis le descendant d’immigrants. Je suis un genre de paysan, qui adore la nature… et j’ai dédié une part importante de ma vie à essayer d’améliorer la condition sociale du monde dans lequel je suis né. En ce moment, je suis président, je fais quelques trucs, j’en supporte d’autres et je dis merci à la vie. J’ai eu quelques déconvenues, de nombreuses blessures, quelques années en prison… Enfin, la routine pour quelqu’un qui veut changer le monde. C’est un miracle que je sois encore vivant. Et par dessus tout, j’aime la vie. J’aimerais arriver au dernier voyage comme quelqu’un qui arrive au comptoir et qui demanderait au tenancier une autre tournée ».

 

Une philosophie de la vie contre le consumérisme

« J’ai passé poursuit le président Mujica, plus de 10 ans de solitude dans un cachot, dont 7 ans sans lire un livre. J’ai eu le temps de penser et voilà ce que j’ai découvert : soit tu parviens à être heureux avec peu, sans bagages, parce que ce bonheur est en toi, soit tu n’accompliras rien. Ce n’est pas l’apologie de la pauvreté mais celle de la sobriété. Mais comme nous avons inventé une société consumériste, l’économie doit croître. Nous avons inventé une montagne de besoins superficiels ; nous vivons en achetant et en jetant. Mais ce que l’on dépense vraiment, c’est notre temps de vie. Parce que lorsque j’achète quelque chose ou que toi tu achètes quelque chose, tu ne l’achètes pas avec de l’argent, tu l’achètes avec le temps de vie que tu as dépensé pour gagner cet argent. À cette différence que la seule chose qui ne peut pas être achetée, c’est la vie. La vie ne fait que s’écouler et quel malheur de l’employer à perdre notre liberté. Car quand est-ce que je suis libre ? Je suis libre quand j’ai du temps pour faire ce qui me plaît et je ne suis pas libre quand je dois dépenser de mon temps pour acquérir des choses matérielles censées me permettre de vivre. De fait, lutter pour la liberté c’est lutter pour disposer de temps libre ».

« Je sais que j’appartiens à une civilisation dans laquelle beaucoup de gens diront : « comme il a raison, ce monsieur » mais qui ne me suivront pas. Parce que nous sommes comme pris dans une toile d’araignée, prisonniers. Mais, au moins, il faut commencer à y réfléchir. J’ai appris, pendant mes années de prison, à regarder la vie où elle se voit à peine. Les fourmis… les fourmis crient, elles ont un langage… Les rats prennent des habitudes, ils s’habituent à un horaire… Les grenouilles remercient un verre d’eau dans lequel elles pourront se baigner. J’ai appris la valeur des choses vivantes. J’ai aussi appris à converser avec celui que j’ai en moi.(…) C’est un personnage que tu oublies souvent face à la frivolité de la vie. Et je recommande de regarder vers l’intérieur de soi-même. Et de moins regarder la télévision, vers l’extérieur, et de parler avec celui qui est en nous, avec ses interrogations, ses défis, ses reproches, ses blessures, … Je crois que les gens parlent très peu avec eux-mêmes ».

« Lutter, ajoute le philosophe président, rêver et aller contre le sol en se confrontant à la réalité, c’est tout ça qui donne sens à l’existence, à la vie. Notre nature est telle que nous apprenons beaucoup plus de la douleur que de l’abondance. Cela ne veut pas dire que je recommande le chemin de la douleur ou quelque chose de ce genre. Cela veut dire que je veux transmettre aux gens qu’il est possible de tomber et de se relever. Et ça vaut toujours le coup de se relever. Une fois ou mille fois – tant que tu es vivant. C’est le message le plus grand de la vie ». Sont défaits ceux qui arrêtent de lutter, et arrêter de lutter, c’est arrêter de rêver ». Lutter, rêver et aller contre le sol en se confrontant à la réalité, c’est tout ça qui donne sens à l’existence, à la vie. Pour les nouvelles générations, c’est une sorte de formule pour affronter l’existence. Des défaites, il y en a quand tu as une maladie et que tu as du mal à la vaincre ; des défaites il y en a quand tu perds ton travail et que tu as des problèmes économiques. Mais on peut toujours recommencer. Et c’est là, dans le fond, une expression psychologique d’amour à la vie. Il faut être reconnaissant parce qu’être vivant est un miracle ».

 

Le révolutionnaire désabusé mais heureux de la vie

En réalité, conclut-il : « humblement, je suis un Don Quichotte, toujours défait. Nos succès sont très éloignés des rêves que nous avions… et des idées que nous faisions. Il y a 40 ans, c’était assez simple : on croyait qu’il était possible d’arriver au pouvoir et de construire une société meilleure en changeant le système de production, blablabla, etc. Cela nous a coûté beaucoup de défaites et puis nous avons compris qu’il était plus facile de changer une réalité économique qu’une culture. Et le problème est que si toi tu ne changes pas, rien ne change. La chose la plus transcendante pour nous tous sur Terre, c’est celle à laquelle nous pensons le moins ! Et c’est d’être vivant ! C’est un miracle ! Il y a des millions de probabilités contre ce fait miraculeux qu’être vivant pour un humain. Comment ne pas aimer ça ? Comment ne pas y faire attention ? Comment ne pas lutter pour donner du sens à ce miracle ?(…) En ce moment, je suis dans une étape de président et demain, comme n’importe qui, je serai un tas de vers qui s’en va ».

 

Le sacerdoce de Pepe Mujica : Humilité et Sobriété en tout

Chloé de Geyer d’orth, nous résume en quelques phrases le bréviaire d’une vie simple : « Malgré son élection à la Présidence, Pepe Mujica n’en a pas pour autant changé son style de vie. Il a refusé de s’installer dans le palais présidentiel, préférant rester dans sa ferme située en banlieue de Montevideo, dans laquelle il travaille et vit depuis vingt ans avec sa femme Lucía Topolansky, qui partage son passé de guérillero. Pepe Mujica a fait le choix de vivre avec le salaire mensuel moyen de son pays, l’équivalent de 900 euros par mois. Il fait don de 90 % du salaire qu’il reçoit pour sa fonction de Président et Commandant en chef de l’armée, soit 9 300 euros, à des organisations caritatives, notamment d’aide au logement et d’éducation. En parallèle de sa charge présidentielle, Mujica continue avec sa femme la culture et la vente de fleurs, un petit commerce qu’ils ont ouvert il y a déjà longtemps. Peu porté sur les limousines et autres bolides, ce Président se déplace toujours dans sa coccinelle Volkswagen achetée en 1987, sauf pour les déplacements officiels au cours desquels il utilise une simple Chevrolet Corsa. « J’ai vécu comme ça la plupart de ma vie. Je peux vivre avec ce que j’ai » explique-t-il. Sur la déclaration de patrimoine, un devoir pour chaque élu uruguayen, ses seules possessions sont sa Coccinelle bleue, la ferme dans laquelle il vit et qui appartient à sa femme, deux tracteurs et du matériel agricole. Ce président ne possède ni dettes, ni compte bancaire ».

« Cet ascétisme peu commun poursuit- elle, lui a valu le titre de « Président le plus pauvre du monde » par de nombreux médias. Interviewé par les journalistes sur le sujet, la réponse de Pepe Mujica est surprenante : « on m’appelle le président le plus pauvre, mais je ne me sens pas pauvre. Les pauvres sont ceux qui travaillent uniquement pour avoir un style de vie dépensier, et qui en veulent toujours plus… ». De cette philosophie de vie qu’il a développée pendant ses années d’emprisonnement, Pepe Mujica se soucie peu des protocoles liés à la fonction présidentielle. Député, il choquait déjà son entourage quand il sortait de sa ferme pour se rendre au Parlement en Vespa, ou au Congrès chaussé de ses bottes en caoutchouc pleines de terre. (…) Son style vestimentaire ? Pepe Mujica est toujours habillé très simplement, même lors des sommets mondiaux. Il aborde un style décontracté, sans cravate et toujours avec ses vieilles bottines en cuir usées. (..) »

Durant l’hiver 2011, cinq Uruguayens sont décédés d’hypothermie car ils n’avaient pu être accueillis dans les refuges mis à disposition pour les sans-abris à Montevideo. Pour éviter que ce type de situation ne se reproduise, le président de l’Uruguay, Jose Mujica a décidé que le Palais présidentiel figurerait dorénavant dans la liste des édifices publics servant au logement des personnes sans domicile fixe. Actuellement, le président Mujica n’occupe pas la résidence présidentielle « Suárez y Reyes » ne servant que pour les réunions. Le 24 mai 2012, une mère sans-abris et son fils avaient demandé à être réfugiés dans le palais présidentiel mais ils avaient pu finalement être logés ailleurs. En 2011, lors de la pénurie de refuges, la ministre du Développement social, Ana Vignoli, avait été démise de ses fonctions ».

Dans un discours poétique à l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2013 citant le poète Enrique Santos Discépolo qui peint un monde de décadence, Mujica a livré aux leaders mondiaux réunis à New York une vision obscure des temps à venir : « Nous avons sacrifié dit-il les vieux dieux immatériels et occupons le temple avec le dieu argent. Si l’humanité aspirait à “à vivre comme un Nord-Américain moyen” “trois planètes” seraient nécessaires. Nous avons besoin de nous gouverner nous-mêmes ou nous succomberons ; Parce que nous ne sommes pas capables d’être à la hauteur de la civilisation que dans les faits nous avons développée. C’est notre dilemme ».

 

Le développement durable de la planète ; Le combat des justes

Pepe Mujica dénonce la société de consommation, qui selon lui incite l’homme à « vivre pour travailler » et non « travailler pour vivre ». C’est ce qu’il qualifie « d’esclavagisme » moderne. « C’est une question de liberté » Si Pepe Mujica critique la société de consommation, c’est avec la même ferveur qu’il dénonce « l’hypocrisie des sociétés modernes et de leurs dirigeants » sur des questions telles que l’avortement ou encore la toxicomanie. (..) « Il y a toujours eu de la drogue, les drogues sont bibliques » déclare-t-il.

En juin 2012, lors de la conférence sur le développement durable des Nations unies Rio + 20, le président de l’Uruguay a fait un discours qui a été repris des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. Extraits.

“Nous ne pouvons pas déclare- t-il, continuer, indéfiniment, à être gouverné par les marchés ; nous devons gouverner les marchés. […] Les anciens penseurs Epicure, Sénèque ou même les Aymaras disaient : ‘Celui qui est pauvre n’est pas celui qui possède peu, mais celui qui a besoin de beaucoup et qui désire toujours en avoir plus.’ (…) Mes compatriotes se sont battus pour obtenir la journée de travail de huit heures. Aujourd’hui, ils travaillent six heures. Mais celui qui travaille six heures doit cumuler deux boulots ; donc il travaille encore plus qu’avant. Pourquoi ? Parce qu’il accumule les crédits à rembourser : la moto, la voiture… toujours plus de crédits. Et, quand il a fini de payer, c’est un vieillard perclus de rhumatismes, comme moi, et la vie est passée. Je vous pose la question. Est-ce que c’est cela la vie ? Le développement ne doit pas être opposé au bonheur, il doit favoriser le bonheur des hommes, il doit favoriser l’amour, les relations humaines, permettre de s’occuper de ses enfants, d’avoir des amis, d’avoir le nécessaire. Parce que c’est précisément la chose la plus précieuse. Et, dans notre combat pour l’environnement, n’oublions pas que l’élément essentiel, c’est le bonheur des hommes ».

Pepe Mujica nous incite à ne pas perdre de vue les besoins fondamentaux de la vie. Nous sommes sur Terre pour servir, et non pas se servir et encoure moins asservir. Déjà Alexandre Le Grand sur son lit de mort, mettait en garde contre les tentations qui nous font oublier la finalité première de la vie. Cette leçon de vie est à méditer par les princes qui gouvernent.16

 

 

À venir...

 

Élections générales de 2014

Le candidat du Frente Amplio (Front Large), Tabaré Vazquez, a remporté en novembre 2014 le deuxième tour de l’élection présidentielle. Avec plus de 55% des suffrages, le successeur de José « Pépé » Mujica qui ne pouvait pas se représenter, élargit l’assise électorale de la gauche, malgré une fin de campagne haineuse de la droite revancharde.

Les partis de la droite ripolinée, progénitures honteuses pour beaucoup de la dictature, ont tenté de vendre une politique néolibérale comme une « marée rebelle et conquérante » allant jusqu’à prôner une « révolution positive ». Avec pour phare de la contestation, l’insécurité, les impôts et une volonté raffinée : « dire merde à la gauche ». Du très lourd du côté de Montevideo.17

 

 

Victoire de l’opposition

Le 24 novembre 2019, après 15 années au gouvernement conduit par Tabaré Vazquez (à deux reprises) et José “Pepe” Mujica, le Frente Amplio a perdu au deuxième tour des élections présidentielles.

Avec 100 % des votes dépouillés, Luis Lacalle Pou, candidat conservateur du Partido Nacional, a obtenu 48.71 % des voix, contre 47.51 % pour Daniel Martinez, candidat du Frente Amplio qui avait remporté le premier tour, avec une différence de 28 000 voix. Les résultats ont été confirmés par les autorités électorales après que le “scrutin secondaire”, ainsi est-il nommé, a validé les résultats.

La victoire de Lacalle ouvrait les portes à de nouvelles mesures néolibérales de réduction des investissements publics et de progression des bénéfices pour les chefs d’entreprise. Sur la scène internationale, l’Uruguay a insisté pour promouvoir le dialogue et la non-ingérence. Cette position allait désormais pouvoir s’inverser.18

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Lorenzo_Latorre
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Terra
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Uruguay
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Uruguay
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Uruguay
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Uruguay
(12) Ernesto Herrera http://npa2009.org/content/uruguay-la-victoire-du-frente-amplio%E2%80%A6-%E2%80%A6-version-social-d%C3%A9mocrate-par-ernesto-herrera
(13) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2157/dans-le-monde/article/2009/12/02/21248-uruguay-ancien-guerillero-et-prochain-president.html
(14) Ernesto Herrera http://npa2009.org/content/uruguay-la-victoire-du-frente-amplio%E2%80%A6-%E2%80%A6-version-social-d%C3%A9mocrate-par-ernesto-herrera
(15) https://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Mujica
(16) Chems Eddine Chitour http://www.mondialisation.ca/pepe-mujica-le-president-normal/5383116
(17) José Fort http://josefort.over-blog.com/2014/12/large-victoire-du-frente-amplio-en-uruguay.html
(18) Jessica Dos Santos / Ricardo Vaz https://www.investigaction.net/fr/amerique-latine-en-resistance-coup-en-bolivie/