Les Comores

 

Les Comores se composent de quatre îles : la Grande-Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte.

 

Le peuplement originel

Les premières traces de peuplement datent du VIe siècle, il s'agit probablement de Bantous provenant de la côte africaine, appelé Antalotes (abusivement dénommés bushmen par les européens). Ces premiers habitants mettent en place une organisation politique et sociale proprement africaine. On suppose que les Austronésiens qui contribuent au peuplement de l’île de Madagascar sont passés par les Comores entre le VIIe siècle et le XIIe siècle mais ne s’y sont pas établis sauf à Mayotte. Initialement, les villages sont régis par les doyens que sont les chefs des familles les plus influentes ou les chefs de villages. Ils portent le titre de mafé, mfaume ou mafani à Anjouan ou Mohéli (Mfalume en kiunguja). Les mafés laissent la place assez rapidement à des Mabedja qui forment une chefferie dirigeante dans chaque village.

 

L'arrivée des perses et l’islamisation

L'islam y apparaît dès le IXe siècle comme en témoignent les sépultures de rite musulman découvertes à Mayotte dans la nécropole de Bagamoyo. Il s'agit vraisemblablement de marchands perses de passage, originaires de Chiraz dans le sud de l'Iran actuel, qui constituent les premières communautés musulmanes de l'archipel. Ces lignées princières Chirazi, les Qabilas, originaires de la côte swahili fondent en effet les premiers sultanats, s'établissant dans les villes côtières fortifiées (Mutsamudu et Domoni à Anjouan, Fomboni à Mohéli, Moroni, Itsandra et Iconi à la Grande Comore), unifiant sous leur autorité les communautés villageoises alors commandées par des Mafani (Anjouan, Mohéli et Mayotte) et Bedja (Grande Comores). Ils font main basse sur les terres des cultivateurs autochtones, les Walatsa, qui sont alors contraints de travailler pour eux. Ceux qui s'y refusent sont refoulés à l'intérieur des terres.
C'est au contact de ses dynasties chiraziennnes que les élites comoriennes vont progressivement s'islamiser. On considère le XIIe siècle comme l'époque pendant laquelle l'aristocratie comorienne est totalement islamisée.

 

Installation du Chaféisme

En 1506, une flotte d'arabo-chirazie commandée par Mohamed ben Haïssa aborde l’archipel et en bouleverse la vie économique et sociale. Dès lors, des manuscrits en caractères arabes, notent l'arabe, le comorien ou le swahili, et permettent de reconstituer les généalogies des clans et des sultanats, au demeurant particulièrement complexes. Par la subjugation et par le jeu d'alliances, ils contribuent ainsi à l'établissement de nouveaux lignages matrimoniaux, surtout à la Grande Comore et à l’île d’Anjouan. L'installation des sultanats chirazis contribue à l'adoption puis à la généralisation de la doctrine chafiite aux Comores comme en témoigne la description de l'archipel par l'amiral turc Piri Reis en 1521.

La mosquée chirazie de Tsingoni, longtemps interprétée comme la plus ancienne, date en réalité de 1538 comme en témoigne l'inscription conservée dans son mihrab.

Cependant, le caractère élitiste de l'islam aux Comores et l'existence d'une écrasante majorité d'esclaves dans la population expliquent la faible diffusion de l'islam dans les sociétés comoriennes jusqu'au XIXe siècle. On comprendra pourquoi les mosquées, notamment les mosquées royales chirazies, sont faites pour abriter un petit nombre de fidèles. L'abolition de l'esclavage et le succès des confréries à partir de la fin du XIXe siècle expliquent la large conversion des comoriens à l'islam à cette date.

Durant cette époque, le pouvoir est aux mains des nombreux sultans locaux dit batailleurs. Finalement Anjouan, qu'on dit la plus arabe des îles, finit par prendre contrôle, peu ou prou, de Mohéli.

 

Structure sociale

Les systèmes issus de cette union superposent des coutumes africaines et arabo-musulmanes mais ne sont pas à même de fournir au détenteur du pouvoir les moyens de contrôler de grandes surfaces. Ainsi à la Grande Comore, cohabitent plusieurs sultanats dirigés par différents chefs (sultans) qui décident d'accorder une importance honorifique à l’un d’entre eux, le sultan Tibé. À Anjouan, trois lignages royaux implantés dans les trois principales villes (Mutsamudu, Ouani et Domoni) se partagent le pouvoir.

Un tel système doit tenir compte des avis d’un Grand Conseil (Mandjelissa) qui réunit les principaux grands notables. Le sultan est aussi secondé par des vizirs qui sont des relais du pouvoir dans certaines régions. On trouve aussi sur le plan local d’autres agents administratifs : naïbs (assimilables à des chefs de canton), chefs de la police, collecteurs d’impôts, chefs de village (nommés par le sultan) et chefs religieux. C’est de cette époque que datent les documents écrits et les manuscrits en langue arabe, en swahili ou en comorien, le tout présenté en alphabet arabe. Par la suite les Comoriens cherchent aussi à instaurer leur langue étant comme un moyen communication au niveau de l'enseignement.

 

Les invasions malgaches

À partir du XVIe siècle, les Malgaches Sakalavas effectuent des raids dans les îles et raflent des esclaves. Les Comoriens, à cette époque, sont eux-mêmes déjà esclavagistes, trafiquant pour le monde arabe et européen. Les arabo-persans ayant commencé à introduire eux-mêmes des esclaves africains dans l'archipel, les Makoas dont descendent les Wadzakiya. Les Malgaches finissent par s'installer dans les îles et plus fermement à Mayotte. On parle encore malgache à Mayotte pour cette raison.

Durant cette période, au cours de l'exploration systématique de toute cette région, les Portugais abordent les îles de la Lune (K'm'r en arabe signifie lune) en 1505. En 1529, les Français, par l'intermédiaire d'un frère de Parmentier, visitent ces îles ainsi que la côte nord de Madagascar. L'archipel constitue pendant plusieurs siècles, pour les Européens et les pirates une escale sur la côte est de l'Afrique. Les relations entre ces Européens et les souverains locaux reposent pour l'essentiel, sur le rapport des forces. Une tradition rapporte ainsi qu'un chef de la Grande Comore a dû se soustraire, par la fuite, au pouvoir des Portugais en se réfugiant avec une partie des siens à Mayotte. Anjouan est soumise, elle, à un seul pouvoir durant ce siècle.

Au XVIIe siècle, l’archipel devient un point de relâche pour les navires européens, hollandais, anglais ou français, en route pour le Golfe Persique, les Indes ou l’Extrême-Orient. Anjouan devient également populaire pour les pirates et corsaires qui pillent les navires occidentaux qui doivent passer le Cap de Bonne-Espérance. Le Combat d'Anjouan fait référence à ces événements.

À partir d'une date inconnue, Mohéli se trouve soumise au sultanat d'Anjouan jusqu'en 1830. En 1830, des migrants de Madagascar conduits par Ramanetaka, qui plus tard prend le nom de Abderemane, envahissent l'île et établissent le sultanat de Mohéli.

Ces raids, restés dans les récits populaires, sont courants jusqu'au XVIIIe siècle. Des sources estiment le nombre des envahisseurs à plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Ces raids sont facilités par l'absence de pouvoir central fort sur ces îles (sauf pour Anjouan). Domoni sur Anjouan est détruite en 1780.

 

La mainmise coloniale

Le sultan d'Anjouan Abdallah Ier se rend, en 1816, sur l’île Bourbon pour solliciter la protection de Louis XVIII. Les divisions internes et la menace malgache permettent aux puissances coloniales (France, Portugal, Angleterre, l'Allemagne qui rivalisent pour imposer leur hégémonie dans cette zone stratégique contrôlant le commerce vers l'Orient) d'intervenir dans les affaires politiques des souverains locaux. Le 25 avril 1841, à la suite de la signature d'un traité, Mayotte devient protectorat français et le sultan Adrian Tsouli, qui avait conquis l'île 9 ans plus tôt, reçoit, alors qu'il était en train de perdre le pouvoir réel, en compensation une somme d'argent et les paiements des frais de scolarité de ses enfants à la Réunion. La France, trouve avec cet accord, qui constitue une véritable vente forcée pourtant présentée comme un accord commercial, un port stratégiquement important. Le roi Louis-Philippe entérine cette acquisition en 1843. L’esclavage y est aboli dès 1846.

En 1851, par l'Expédition d'Anjouan, les États-Unis impose à Anjouan un traité de commerce privilégié.

En 1866, la France établit un protectorat sur Anjouan, et utilise même la marine pour s'imposer face au sultan Saidi Abdallah bin Salim réticent. Le 24 juin 1886, le Sultan de Grande Comore qui a réussi à unifier l'île, grâce aux Français, accepte, sous la pression, de passer sous protectorat français. Il est ensuite exilé pour ne plus revenir. Mohéli est également placée sous protectorat cette même année. Même si les îles gardent une certaine indépendance du fait de la rivalité des grandes puissances, elles sont bien soumises et les sultans locaux n'ont pas les moyens de s'y opposer. À partir de 1892, le pouvoir sur les îles des Comores est exercé par les Résidents subordonnés aux gouverneurs de Mayotte, qui peu à peu ont pris le pouvoir. Les exploitations coloniales constituent près de la moitié de la Grande Comore, 40 % d'Anjouan, 20 % de Mohéli. Les îles deviennent alors colonie de « Mayotte et dépendances ». Alors que la main-d'œuvre devient de plus en plus chère à la Réunion, les Comores, oubliées par l'administration centrale, offrent aux colons et aux sociétés coloniales (comme la Bambao) des perspectives et une main-d'œuvre peu chère dans les plantations de plantes à parfums et de vanille. Durant cette période, les colons dépossèdent entièrement les paysans comoriens de leurs terres, et emploient ceux-ci dans les plantations coloniales à titre d'« engagés ». La langue officielle devenu le français, l'enseignement passe de l'arabe au français. L'usage du swahili se poursuit cependant dans le milieu du commerce.

En 1904 le rattachement juridique officiel se fait entre les îles. Il est suivi, le 9 avril 1908, d’un second décret rattachant officieusement Mayotte et ses dépendances à Madagascar.

 

Le rattachement à Madagascar

Après plusieurs exactions et abus, mais désirant néanmoins poursuivre la colonisation, la France se résout à faire surveiller les résidents par les Administrateurs de Mayotte. Pour ce faire la colonie de « Mayotte et dépendances » est rattachée par la loi du 25 juillet 1912 à la colonie de Madagascar. Peu à peu, les terres sont rétrocédées aux Comoriens. Une révolte importante a lieu en 1915 en Grande Comore. La France envoie des gardes malgaches, puis un détachement de tirailleurs sénégalais, et dans le même temps demande à son administration de s'appuyer sur les notables locaux pour ramener la paix. Peu à peu, le mouvement s'effrite, et l'administration exile certains meneurs. En 1940 à Anjouan, éclate une grève lorsque l'administration fait savoir qu'elle va réquisitionner la main d'œuvre pour les exploitations coloniales. Des violences éclatent lorsque la grève échoue, les notables finissent par appeler au calme. Du 6 juin 1940 à 1942, l'administration coloniale est exercée par le régime de Vichy. Après 1942 celui-ci échoit, comme celui de Madagascar, au Royaume Uni jusqu'au 13 octobre 1946.1

 

La déclaration d'indépendance

Aux Comores comme dans de nombreux pays africains, la question de l'indépendance se pose ouvertement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, pour la première génération de leaders comoriens à obtenir des postes dans l'administration française, lorsqu'ils y sont favorables, l'heure n'est pas venu dans les années 1960 pour la réclamer. Le pouvoir, partagé entre ces leaders et le pouvoir central français, éloigne initialement les plus indépendantistes du Molinaco par exemple à Zanzibar. Ces leaders, députés ou sénateurs français, réclament à de nombreuses reprises une aide plus importante pour les Comores, la création d'école et de lycée, la création d'infrastructure, etc. Ils soulignent également la disparité des aides entre les Territoires d'outre Mer. Said Mohamed Cheikh le plus important de ces leaders, homme qui exerce autoritairement, témoigne même d'un certain désabusement. Les Leaders de Grande Comore et d'Anjouan travaillent à davantage d'autonomie, les leaders mahorais en revanche prônent le contraire. Cheick et le prince Said Ibrahim, le principal opposant de ce dernier, prônent « pas d'indépendance sans indépendance économique ». Ils obtiennent cette autonomie en 1961, et davantage encore en 1968. Les leaders grand comoriens et anjouanais plus jeunes, en revanche, sont plus revendicatifs. Cheikh meurt en 1970, Ahmed Abdallah obtient le leadership du parti Vert. Said Ibrahim devient président du conseil en avril 1970, mais Abdallah arrive à le mettre en difficulté début 1972. Devant l'impossibilité de former un nouveau gouvernement en octobre, la dissolution du conseil général est prononcée mi-novembre 1972. Le nouveau conseil est majoritairement favorable aux thèses d'Abdallah. Celui-ci prône un accompagnement rapide de la France vers l'indépendance.

 

D'un commun accord en 1973, dans un objectif d'indépendance concerté, un referendum est prévu.2

Si le suffrage obtient dans son ensemble plus de 90 % pour l'indépendance du territoire, Mayotte se singularise en votant en petite majorité pour le maintien des Comores au sein de la République française (65 % pour le maintien, 35 % contre le maintien.)

Plusieurs explications sont données pour expliquer ce choix :

  • la craintes des Mahorais de se sentir marginalisés dans un système politique dominé par la Grande Comore ;
  • la crainte de voir les libertés des femmes diminuées, épisode des mamies chatouilleuses ;
  • une partie de la population est d'origine malgache, utilisant le malgache comme langue première, et est relativement moins islamisée (pratique animiste sakalave) ;
  • un certain nombre d'élus locaux d'origine comorienne (Anjouan, Mayotte) et les descendants des familles créoles, peu nombreux, mais marqués par une éducation républicaine, militent en faveur du statu quo ;
  • les relations entre Mayotte et Madagascar étant plus grande, la désillusion apparue après l'indépendance était bien mieux connue.

 

La France prend acte mais n'entend pas traiter toutes les îles de la même manière : Mayotte doit pouvoir rester française.3

 

La prise d'indépendance

Devant la volonté de la France de traiter Mayotte d'une façon particulière, l’Anjouanais Ahmed Abdallah, président du gouvernement, proclame unilatéralement l'indépendance de l'archipel le 6 juillet 1975. Les membres mahorais de l'assemblée territoriale font savoir qu'ils ne veulent pas siéger à l'assemblée des Comores. Le 17, Abdallah demande l'évacuation des forces militaires françaises, qui s'exécutent. Le gouvernement français prend acte de cette décision en faisant adopter la loi du 31 décembre 1975 relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores, qui stipule que les îles de la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli cessent de faire partie de la République française, tout en prévoyant l'organisation d'un nouveau référendum à Mayotte.

Alors que tous les leaders comoriens dont Ali Soilih émettent aussi des critiques vis-à-vis de cette prise d'indépendance, Said Ibrahim « ne décolère pas », considérant que l’attitude d'Abdallah ne pouvait que rendre la relation avec la France difficile. Il considérait également qu'Abdallah ne respectait pas les termes de la consultation qui proposait une indépendance accompagnée et que dès lors il trompait la population.

Quelques jours après l'indépendance, le 3 août 1975, un mercenaire français impliqué dans de nombreux coups d'État en Afrique, Bob Denard, envahit la Grande Comore, organise un coup d'État avec cinquante hommes ; Ali Soilih prend le pouvoir. Bob Denard a probablement agi sous les ordres directs de l'ancien secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974 Jacques Foccart.

Ahmed Abdallah est délogé de l'île d'Anjouan par une centaine de mapinduzi (militaires militants) encadrés par des mercenaires. Il part alors en exil en France. En février 1976, Mayotte vote à nouveau pour le maintien dans la république française. Les trois îles sont sous la responsabilité d'Ali Soilih, un révolutionnaire qui instaure un régime socialiste et indépendantiste. Les relations entre la jeune république et l'ancienne puissance coloniale se tendent rapidement.

Vers la fin du mois de décembre 1976, un pogrom se déclenche à Majunga et à Diego-Suarez, perpétré par les Betsimisaraka et des Antandroy, deux tribus malgaches, contre toute la population d'origine comorienne de Madagascar, par identification de leur nom à résonance musulmane ou de leur front noirci par la génuflexion lors des prières. Il serait parti d'un banal différend de mœurs et de voisinage. Les premières évacuations ont eu lieu début janvier 1977 par des bateaux Ville de Tuliéar et Ville de Manakara, enfin par la ligne aérienne belge Sabena. Ces Comoriens, bien souvent métissés, installés sur la côte nord-ouest de Madagascar depuis des générations, forment le cinquième groupe culturel constituant la population comorienne et sont appelés les « Sabénas ».

 

La RFIC

Le 13 mai 1978, Denard renverse le président Ali Soilih et Ahmed Abdallah accède au pouvoir le 21 mai. Ali Soilih est exécuté dans son bureau. Abdallah est accueilli de façon triomphale et proclame à des journalistes occidentaux médusés : « Il faut que je me refasse ». Il est élu le 23 octobre 1978 président de la République fédérale islamique des Comores. Il est le seul candidat. Denard crée pour lui la « garde présidentielle », force de police et militaire de près de 600 hommes dont 17 officiers français. En 1981, avec l'élection de François Mitterrand, Denard perd le soutien de la France et crée la SOGECOM. En 1982, Abdallah dissout tous les partis politiques et crée le parti unique Union comorienne pour le progrès. Peu à peu, le régime devient dictatorial, encadré par les mercenaires de Denard qui contrôlent le pays et évitent plusieurs tentatives de coup d'État. Le Front démocratique de Moustoifa Cheikh tente pourtant d'exister. Le parti sera démantelé, accusé d'activités subversives. Ses militants sont jetés en prison et torturés. Réélu le 30 septembre 1984 le parti bleu remporte la totalité des sièges à l'Assemblée fédérales le 22 mai 1987. Il ouvre son pays aux investisseurs étrangers, surtout sud-africains, dans les domaines du tourisme et de la pêche, mais aussi des armes, contournant les embargos. En échange Moroni devient une base arrière pour des opérations contre le Mozambique notamment. Entretenant des rapports ambigus avec les mercenaires, à la fois fidèles serviteurs et maîtres, la corruption se développe de façon considérable.

En 1989, pressentant un nouveau coup d'État, Abdallah demande à Denard de désarmer. Abdallah est tué, dans son bureau par un militaire de la garde. Denard est blessé. Denard, impopulaire et soupçonné de meurtre dans le pays, est évacué quelques jours plus tard par les troupes parachutistes françaises. Said Mohamed Djohar, le demi-frère de Soilih devient président et le reste jusqu'au 28 septembre 1995, lorsque Denard le renverse. Une nouvelle garde est créée.

Le 3 octobre, a lieu l'opération Oside. Les autorités françaises déploient 600 hommes contre une force de 33 mercenaires et 300 dissidents. Denard demande à ses soldats de ne pas tirer, le lendemain, ils se rendent. Denard est fait prisonnier et est placé en résidence surveillée en France.

Le 27 novembre 1989, Djohar, alors président de la Cour suprême, devient président par intérim et est ensuite élu le 11 mars 1990 président, dans des élections contestées face à Mohamed Taki Abdulkarim. Il chasse les mercenaires mais est finalement renversé par Denard avec l'appui de la France et exilé de force à la Réunion, présenté comme fou. L'intérim est exercé par Ibrahim Ahmed Alidi, puis il revient au pouvoir. Les années qui suivent sont marquées par les scandales financiers, et la chute de l'économie du pays. La dette croît, les salaires ne sont pas payés…

Dans la nuit du 27 au 28 septembre 1995 se déroule l’opération Azalée, Denard renverse Said Mohamed Djohar avec une trentaine d'hommes débarqués de Zodiacs. Une fois la mission terminée, ce dernier est ensuite rapatrié vers la métropole par les services secrets français.

Après un court intérim, les premières élections libres sont organisées et Mohamed Taki Abdulkarim, candidat qui semble avoir le soutien de la France, est élu en mars 1996. Sa présidence est marquée par la proclamation d'indépendance faite d'abord par Mohéli, puis par Anjouan. Mohéli, dont certains habitants avaient déjà publiquement réclamé son rattachement à la France avant de proclamer son indépendance, le réclament à nouveau par un grand mouvement de foule. Cette démarche est suivie par Anjouan le 3 août 1997, l'île la plus densément peuplée de l’archipel. Les îles se trouvaient désavantagées dans la République, face à la Grande Comore, siège du pouvoir.

 

La crise indépendantiste de 1997

La déclaration d'indépendance a lieu à Anjouan le 2 août 1997, Mohéli suit le 11 août 1997.

Taki décède en cours de mandat en novembre 1998. L'intérim est brièvement exercé par Saïd Saïd Hamadi puis par l'Anjouanais Tadjidine Ben Said Massounde. Alors que les Grand Comoriens et la communauté internationale souhaitent un rapprochement, les séparatistes refusent de négocier. Une intervention militaire échoue. Les élections ne peuvent avoir lieu, la situation semble bloquée, d'autant que le pouvoir à Anjouan n'est pas stable. Le colonel Azali Assoumani exécute un coup d'État en avril 1999 sans violence et prend le pouvoir. Très critiqué par la communauté internationale notamment sous l'auspice de l'Union africaine et de Thabo Mbeki le président sud-africain renoue le dialogue avec l'indépendantiste Mohamed Bacar. Le colonel Azali tente d’abord de faire appliquer un accord conclu à Tananarive le 23 avril 1999, mais les responsables d'Anjouan le refusent. Les Anjouanais le rejettent également massivement dans une consultation organisée le 23 janvier 2000, préférant montrer leur volonté d'avoir un État indépendant. L’Union Africaine (UA), opposée par principe à toutes modifications de frontière, fait décréter à titre de sanction, un embargo sur les carburants, les denrées alimentaires, les communications maritimes et aériennes ainsi que sur les télécommunications, à partir du 21 mars 2000 et pour une durée indéterminée. Le blocus rend la vie très difficile aux Anjouanais qui s'expatrient alors en grand nombre vers Mayotte. Le 24 août 2000, le Colonel Azali et le lieutenant-colonel Saïd Abeid Abdéramane, responsable anjouanais posent les principes d'un nouvel accord, c'est la « Déclaration de Fomboni ». Cet accord ne satisfait pas l'UA qui s'oppose à la disparition de l'ancien État et maintient les sanctions contre Anjouan.

Finalement des négociations difficiles permettent de parvenir à un accord-cadre de réconciliation nationale, dit « Accord de Fomboni » (17 février 2001). L'UA s'incline. Un comité de suivi est mis en place, dans lequel siègent les partenaires des Comores ; U.A., l'OIF… Les sanctions sur Anjouan sont levées.

 

L'Union

La nouvelle Constitution de « l’Union des Comores » est adoptée par référendum le 23 décembre 2001. Cette Constitution crée un État fédéral composé de trois îles dotées d’une très large autonomie, avec une présidence tournante entre les îles de quatre ans.

Le colonel Azali est élu président de l’Union en avril 2002, en même temps que les présidents des îles d’Anjouan (Mohamed Bacar), de Mohéli (Mohamed Saïd Fazul) et de la Grande Comore (Abou Soulé Elbak).

Chaque étape de la mise en œuvre de l’accord de Fomboni donne lieu à des conflits sur la répartition des compétences entre l’Union et les îles (portant sur le contrôle des douanes, des sociétés publiques génératrices de recettes, des forces de sécurité). L’accord de Moroni conclu le 20 décembre 2003 sous l’égide de l’Afrique du Sud, précise les conditions d’application du « processus de Fomboni ». Les élections législatives au niveau des îles et de l’Union ont lieu dans de bonnes conditions en mars et avril 2004. Les opposants au président Azali, favorables à une plus grande autonomie des îles, remportent ces élections et détiennent la majorité à l’Assemblée de l’Union, qui est installée en juin 2004.

Le président Azali s’efforce néanmoins de contrebalancer l’influence des îles autonomes, qui souhaitent faire adopter des lois organiques allant vers une plus grande décentralisation de l’État comorien et refuse même de promulguer certaines lois, telle que la loi organique sur les Forces de sécurité intérieure, adoptée en mai 2005. Celle-ci prévoit la création de forces de police dotées de compétences similaires à celles de la gendarmerie et placées sous l’autorité des présidents des îles autonomes.

Le pays organise, conformément à la constitution, des élections en 2006, la présidence devant revenir, comme la constitution l'exige, à un Anjouanais. Cependant, Azali prétendant ne pas contrôler suffisamment Anjouan, fait appel à la communauté internationale pour organiser les élections dans des conditions acceptables. Malgré des irrégularités identifiées au premier tour, ces élections sont gagnées par Ahmed Abdallah Sambi (élu avec 58 % des voix), un religieux sunnite surnommé l'« Ayatollah ». Sambi rencontre les mêmes difficultés que Azali dans la gestion de l'Union.

En 2007, chaque île doit élire à nouveau son président. Quelques semaines avant ces élections, le président d'Anjouan, Mohamed Bakar, est invalidé par le président de l'Union des Comores, arguant du fait que la date de validité de son mandat est dépassée.

Mohamed Bakar entre en sécession, et plusieurs épisodes d'intimidation réciproque aboutissent à un affrontement entre les gendarmes d'Anjouan et les forces militaires de l'Union des Comores. Les élections ont lieu en juin 2007 dans les trois îles, sans que les observateurs internationaux (notamment l'UA) puissent contrôler leur validité à Anjouan. Mohamed Bakar se déclare réélu mais cette élection est contestée par le gouvernement de l'Union. Les tensions entre Grande Comores et Anjouan persistent.4

À partir de 2007, et plus encore après les annonces de débarquement de l'armée comorienne, en février 2008, le régime de Bacar se rend responsable d'un certain nombre d'exactions et de violations des droits de l'homme (incluant des actes de torture, d'arrestations arbitraires, d'exécutions extra-judiciaires, etc.), visant en particulier des civils anjouanais soupçonnés de soutenir l'Union des Comores.5

 

Le calvaire d'Anjouan

Les Comores se composent de quatre îles : la Grande-Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. Résumons la situation : Les Comores devinrent un territoire français d'outre-mer en 1947, jusqu'à ce que, aux élections de 1972, les partisans de l'indépendance obtiennent la majorité, sauf à Mayotte. En juillet 1975, la Chambre des députés des Comores proclama l'indépendance. L'île de Mayotte, ayant en majorité voté de rester française, se sépara alors du reste de l'archipel qui forma un nouvel État : la République fédérale islamique des Comores.

Dès lors, la vie de cette république a été marquée par une succession de coups d'État dans lesquels s'illustra à plusieurs reprises le tristement célèbre mercenaire français Bob Denard. Avec 22 coups d'État en 10 ans, les Comores détiennent certainement un record en la matière. Misère de la population, corruption, répression ; dans ces conditions, l'opposition qui s'est développée dans les îles de Mohéli et surtout d'Anjouan a pris un caractère séparatiste par rapport à la plus importante des îles, la Grande-Comore, où se trouve la capitale, Moroni, siège d'un pouvoir exécré. De là à proposer un rapprochement avec l'île française de Mayotte, sur laquelle bien des habitants d'Anjouan viennent travailler clandestinement, il y avait un tout petit pas, vite franchi par les indépendantistes.

Au début des années 2000, dans cette île d'Anjouan composée de 260 000 habitants, des enfants meurent de faim chaque semaine. Dans les hôpitaux, les médecins travaillent à la bougie par manque de gasole pour alimenter les groupes électrogènes. Il n'y a plus de fil à suture ni de produit anesthésiques. Les vaccins ne peuvent plus être conservés, ce qui expose de nombreux enfants aux épidémies. Plusieurs centaines de cas de choléra ont d'ailleurs été recensés. Du fait de l'embargo qui les a privés de pétrole, note un journaliste réunionnais, les gens se sont mis à couper les arbres. Ce déboisement des collines pouvait avoir des effets catastrophiques en appauvrissant les terres et en asséchant les cours d'eau. Faute de vaccins, le cheptel a été décimé par une épidémie de charbon. Les ressources de la pêche ont aussi diminué du fait des pillages des coraux pour produire de la chaux, qui remplace le ciment dans les constructions. Aux dires des responsables de l'association Languedoc-Comores, le riz, nourriture de base des plus démunis, ne se trouvait plus qu'au marché noir. Les Anjouanais étaient au bord de la famine. Dans cette île où tout s'importe mais où rien n'arrive, la situation était catastrophique.

 

La complicité de l'impérialisme français

Pour leur part, les autorités françaises participent à cette misère. Elles font même du zèle. En août 2003, le préfet de Mayotte a publié une circulaire interdisant aux Français de se rendre directement à Anjouan, en les obligeant à passer par la Grande-Comore. Les relations étant alors interrompues entre les deux îles, l'accès d'Anjouan se trouvait de ce fait interdit à des amis ou de la famille qui pouvaient apporter quelques aides.

Un tel climat vis-à-vis d'Anjouan a eu bien d'autres répercussions à Mayotte, où près d'un millier d'immigrés clandestins anjouanais ont été littéralement chassés après qu'un maire eut menacé de poursuivre toute personne aidant au séjour d'étrangers en situation irrégulière. Il n'en a pas fallu plus pour que les employeurs qui utilisaient des travailleurs anjouanais les expulsent sans ménagement, et pour beaucoup sans payer les salaires de ces étrangers devenus subitement embarrassants. Ainsi, au début du mois d'octobre 2003, a-t-on pu voir des centaines de personnes expulsées, encadrées par la police, sur les routes de Mayotte.

Dans l'île de la Réunion, située elle aussi dans l'océan Indien, tous ces faits rapportés par la presse ont indigné à juste titre. Un sénateur de droite s'est même fait accusateur public, soulignant les responsabilités du gouvernement dans la situation des Anjouanais, et fustigeant au passage ceux qui se montrent insensibles aux sentiments pro-français des habitants d'Anjouan. Comme si le gouvernement français et avec lui la bourgeoisie qu'il représente pouvaient déterminer ainsi leur politique, et non en fonction de leurs intérêts économiques, voire stratégiques. Et dans une telle optique, que représente Anjouan, ce bout de terre où ne poussent que des plantes à parfum et un peu de vanille ?

Les Anjouanais ne doivent certes rien attendre de l'ancienne puissance coloniale, qui se garde bien de tout geste pouvant susciter la moindre illusion. D'ailleurs, n'est-ce pas le colonialisme français qui porte une responsabilité écrasante dans la situation actuelle des Comores, ne serait-ce que pour les avoir maintenues dans la pauvreté ? Et n'est-il pas aberrant de voir s'instaurer des frontières dans un petit archipel dont le passé des populations a longtemps été commun ? Si un avenir existe pour les Comoriens, il serait plutôt à rechercher dans la coopération et non la division, et surtout dans le combat commun contre les couches dirigeantes locales, relais de l'ancienne puissance coloniale.6

 

L'invasion d'Anjouan

L'invasion d'Anjouan a lieu le 25 mars 2008. L'assaut est mené par les Comores avec le soutien de l'Union africaine, du Soudan, de la Tanzanie et du Sénégal, ainsi que l'appui logistique de la Libye et de la France.

L'objectif de l'invasion est de renverser le colonel Mohamed Bacar suite à son refus de démissionner après une élection perdue en 2007, au mépris du gouvernement fédéral et de l'Union africaine. L'invasion a lieu principalement dans la matinée du 25 mars 2008 ; les principaux villages sont rapidement saisis et l'île est déclarée sous contrôle le jour même par les forces d'invasion. Bacar réussit à s'enfuir sur Mayotte le 26 mars et demande l'asile politique à la France.

Le 15 mai, sa requête est refusée mais l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) juge qu'il ne peut pas être extradé vers les Comores en raison des risques de persécutions à son encontre. Certains analystes suggèrent que l'Union africaine espérait gagner facilement contre Anjouan afin de gagner un peu de prestige international pour compenser les échecs de ses missions de maintien de la paix au Soudan et en Somalie.7

Bacar est transféré par les autorités françaises à la Réunion où il demande l'asile politique. Le gouvernement de l'Union réclame Bacar pour le juger, et pour faire pression annonce le mercredi 2 avril que dorénavant les Comores interdirait tout rapatriement de leurs ressortissants entrés clandestinement sur l'île de Mayotte, ce qui met sous pression les autorités mahoraises, où la maîtrise de l'immigration illégale est devenue un enjeu politique.8

 

Élection présidentielle de 2010

Ikililou Dhoinine est élu président le 26 décembre 2010. Il était le vice président de Sambi pendant quatre années.

Les résultats publiés par la Commission électorale nationale le créditent de 61 % des suffrages exprimés. Son principal adversaire, Saïd Mohamed Fazul, le candidat de l’opposition, a récolté 33 % des voix. Le taux de participation à ce scrutin avoisine les 53 %. En dépit de nombreuses irrégularités constatées, la mission internationale a estimé dans un communiqué que « les élections du 26 décembre 2010 ont été globalement libres et régulières ».

Suite à un compromis avec son prédécesseur, conformément aux accords sur la période intérimaire, Ikililiou Dhoinine est investi chef de l'État comorien le 26 mai 2011, le premier Mohélien à diriger l'Union des Comores.9

 

Élection présidentielle de 2016

Aux termes de la constitution des Comores, adoptée en 2001, le président de l'Union des Comores est élu pour un mandat de quatre ans. La présidence de l'Union est tournante entre les îles du pays. Au grand-comorien Azali Assoumani (2002-2006) ont ainsi succédé Ahmed Abdallah Sambi, anjouanais (2006-2011) puis Ikililou Dhoinine, mohélien et président investi en 2011. En 2016, la présidence devait constitutionnellement échoir à un mahorais. En effet, l’île de Mayotte, l’une des îles de l’archipel des Comores, fait partie de l’Union des Comores selon la constitution du pays et reste revendiquée par celui-ci. Néanmoins, Mayotte reste jusqu'à ce jour administrée par la France, situation confirmée lors d'un référendum en 2009. Ainsi, c’est de nouveau à un Grand-Comorien que revient la présidence.

Au premier tour, seuls les Grand-Comoriens votent. Les trois candidats arrivés en tête sont présents au second tour, pour lequel l’ensemble des Comoriens est appelé aux urnes.

Le second tour a eu lieu le 10 avril 2016.

Le 15 avril, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) déclare Azali Assoumani vainqueur avec 40,98% des voix mais Mohamed Ali Soihili, deuxième avec 39,87% des votes, ne reconnaît pas les résultats, affirmant que certains bureaux de l’île d'Anjouan ne se sont pas exprimés, et demande l'organisation d'une élection partielle sur cette île.

Le 30 avril, la Cour constitutionnelle des Comores ordonne la reprise d'une élection partielle dans 13 bureaux d'Anjouan en raison d'irrégularités constatées lors du scrutin du 10 avril.

Le 6 mai, Mouigni Baraka Said Soilih renonce et appelle à voter pour Mohamed Ali Sohili ; néanmoins, il ne se retire pas dans les faits, car ceci est interdit par la loi comorienne.

Le scrutin partiel se déroule le 11 mai.

Le 15 mai, la Cour constitutionnelle déclare Azali Assoumani président des Comores avec 41,43% des voix contre 39,66% pour Mohamed Ali Soihili ; l'investiture a lieu le 26 mai.10

 

 

Économie

L'économie des îles de l'archipel des Comores était prospère avant la colonisation, c'était une économie rurale et de transport où l'esclavage était largement utilisé. Les îles étaient, il est vrai, très peu peuplées. La situation économique et sociale allait se dégrader suite aux razzias malgaches puis à la colonisation. Une société coloniale, la société Comores Bambao va dominer l'économie et la politique locale durant toute son existence. Ce sera un des facteurs qui poussera les habitants des îles vers l'indépendance.

Déjà en 1960, les Comores n'étaient pas auto-suffisants au niveau alimentaire, les biens alimentaires représentait 30 à 35 % des importations en 1963. L'héritage colonial, l’instabilité chronique des institutions, une certaine négligence des autorités locales et l'aide, pour le moins maladroite, de l'ancienne puissance coloniale, la France, n'ont pas permis, une fois le pays indépendant, de créer les conditions d’un décollage économique. Les Comores connaissent un fort taux de croissance, 6 % en moyenne, pendant 10 ans, soutenue par un programme d'investissements en infrastructures de base. La situation économique des comoriens se dégrade après le 1er janvier 1994, lorsque le franc comorien subit une dévaluation de 33 % (1 FF = 75 FC).

Après le milieu des années 1980, la république s'enfoncent dans une grave crise, à la fois économique et politique. La baisse du prix des matières premières aggrave la situation et le pays s'endette fortement. Le PIB réel n'a plus progressé que de l'ordre de 1,2 % par an de 1986 à 1992. Le revenu réel par habitant tombe à environ 520 US$ en 1994, ce qui correspond à une baisse d'environ 2 % par an. Par ailleurs la population croît fortement. La période suivante est marquée par les blocus et l'arrêt de l'aide internationale et la crise indépendantiste. Depuis la création de l'Union, la situation s'améliore. Le taux de croissance est en 2006 à près de 3 %.

L'Union des Comores fait partie des rares pays dont le revenu national par habitant reste inférieur à celui des années précédant la crise de 1929.

La difficulté de recouvrement des recettes publiques et le manque de maîtrise de la dépense publique sont chroniques. En raison des arriérés de dette vis-à-vis de plusieurs bailleurs de fonds et de la situation politique instable, notamment l'Association internationale pour le développement et du Fonds international de développement agricole, les décaissements de fonds en faveur des projets d'investissements ont été suspendus de 1999 à 2005. Cela a beaucoup affecté le niveau de vie des Comoriens.

L'Union a signé un accord avec le FMI en février 2005 pour la mise en place d’un programme d'aide technique de gestion et de bénéficier d’une réduction de leur dette extérieure dans le cadre de l’Initiative pays pauvres très endettés qui perdure en 2006 devant l'échec de la maîtrise des dépenses. Les retards de salaires des fonctionnaires sont de plusieurs mois (plus d'une dizaine), c’est-à-dire que les salaires ne sont pas toujours versés.

Les Comores souffrent de leur morcellement géographique et manquent d’infrastructures qui pourraient désenclaver les îles. Le seul port pouvant accueillir des navires de gros tonnage se trouve à Anjouan. Les Comores font face à un problème réel de surpeuplement (450 hab/km² à Anjouan) qui accroît la demande de services sociaux et d'emplois et fait peser sur un éco-système déjà fragile, une pression croissante. La croissance démographique importante. On estime que la population des Comores sera de 2,3 millions dans 50 ans.

Le manque de ressources et la pression importante sur l'environnement (déboisement, glissement de terrain, lessivage et épuisement des sols) ne rendent guère optimiste. Cependant les leçons du passé (disparition des plages et des mangroves, destruction du corail donc la perte de ressources halieutiques, etc.) et l'espoir de voir se développer un tourisme vert pousse les responsables locaux à prendre des mesures.

Seule la pêche bénéficie d'un potentiel important de développement, cependant cela passe par une augmentation de la production et un dérèglement du marché à certaines époques de l'année.11

 

 

Le drame de l’immigration

C’est en permanence que des drames ont lieu au large des côtes de Mayotte. Le 7 mars 2010, le naufrage d’un « kwassa-kwassa » a fait neuf morts, quatre femmes et cinq nourrissons.
L’embarcation de fortune, en provenance des Comores, transportait 33 passagers.

Avant l’instauration des visas par le gouvernement Balladur en 1995, les habitants des trois autres îles de l’archipel des Comores, situé dans l’océan Indien près des côtes malgaches, pouvaient se rendre librement dans l’île de Mayotte, sous administration française. Mais depuis la mise en place de cette absurde barrière, ces populations sœurs y sont devenues étrangères.

Parce que n’ayant pas ce précieux sésame qu’est le visa, des centaines de pauvres des Comores, surtout ceux de l’île d’Anjouan, la plus proche de Mayotte, bravent en permanence le danger que représente la périlleuse traversée à bord de bateaux branlants, non sans avoir auparavant déboursé des sommes importantes pour payer les passeurs.

Ces personnes fuient la misère de leur pays avec l’espoir de trouver du travail, de se faire soigner ou de faire naître un bébé dans les hôpitaux de Mayotte. Des femmes enceintes figurent d’ailleurs souvent parmi celles qui tentent la traversée.

Près de 7 500 bébés naissent chaque année à Mayotte dont 5 000 dans l’hôpital de Mamoudzou, la capitale. Une femme accouchant à Mayotte peut en effet espérer que son enfant obtienne la nationalité française et puisse vivre à Mayotte, à La Réunion, voire venir en France métropolitaine.

Ceux qui tentent le voyage vers Mayotte en connaissent les dangers, mais ils les prennent néanmoins, pour eux-mêmes et leurs enfants, choisissant de risquer leur vie et celle de leurs proches pour espérer un mieux-être hypothétique, comme le font des centaines de milliers de migrants qui de par le monde fuient une misère intolérable. Arrivés à destination, leur sort est souvent peu enviable. Ils vivent clandestinement, dans des conditions difficiles, avec la peur d’être arrêtés et expulsés.

Chaque année, à Mayotte, plus de 15 000 prétendus clandestins sont expulsés, dont des parents de jeunes scolarisés qui ont été désignés aux autorités par des responsables de l’Éducation nationale. Il est même arrivé que des élèves l’aient été aussi, au mépris d’une circulaire de mars 2002 qui stipule que « l’inscription dans un établissement scolaire d’un élève de nationalité étrangère, quel que soit son âge, ne peut être subordonnée à la présentation d’un titre de séjour ».

Concernant des parents sans papiers, Hortefeux, le ministre de l’Intérieur en 2010, est intervenu pour rappeler que « les services de l’Éducation nationale ne sont pas chargés de contrôler la situation des parents d’élèves au regard de la législation sur le droit de séjour des étrangers ». Qu’un ministre ayant pour objectif d’afficher un nombre important d’expulsions se sente ainsi obligé de réfréner l’ardeur de sous-fifres en dit long sur la situation faite aux migrants.

L’État français porte une lourde responsabilité dans les drames de l’immigration. Une double responsabilité en fait : celle d’avoir érigé une barrière meurtrière entre des populations qui durant des siècles avaient vécu ensemble, mais aussi celle de maintenir les Comores sous sa domination économique. Les autorités comoriennes n’ont par exemple aucun contrôle sur leur monnaie, dont la valeur liée à l’euro est fixée par la Banque de France. Qui plus est, la seule banque commerciale comorienne, la Banque pour l’Industrie et le Commerce, est majoritairement possédée par la BNP.

Maintenir des populations dans la misère et leur interdire la moindre lueur d’espoir, voilà tout ce dont ce système est capable.12

 

 

Mayotte

 

 

TOM et indépendance comorienne

En 1946, les Comores sont séparés de Madagascar et deviennent un territoire d'outre-mer (TOM). Après avoir refusé d'accéder à l'indépendance lors du referendum de 1958 organisé par le Général De Gaulle, les Comores obtiennent le 22 décembre 1961 (loi no 1412) un statut d'autonomie interne (qui sera élargie en 1968 par la loi no 6804). Ce statut d'autonomie interne donne jour à un Gouvernement comorien élu par l'Assemblée Territoriale. De 1961 à 1970, l'ancien député Said Mohamed Cheikh est élu Président du Conseil de gouvernement jusqu'à sa mort le 16 mars 1970. C'est durant cette période, en 1966, que la capitale Dzaoudzi (Mayotte) est transférée à Moroni, huit ans après la décision du transfert.

Au cours de cette période naissent les premiers mouvements politiques qui contestent le pouvoir de Saïd Mohamed Cheikh et pour certains, réclament l'indépendance. D'autres, comme le Mouvement populaire mahorais réclament au départ plus d'autonomie vis-à-vis des autres îles.

Le 25 août 1972, le Comité spécial de la décolonisation de l'Organisation des Nations unies inscrit l'archipel des Comores à sa liste des territoires devant accéder à l'autodétermination. Le 15 juin 1973, la France et les Comores signent des accords relatifs à l'accession à l'indépendance. Le 22 décembre 1974, la France organise aux Comores un référendum. Si le suffrage obtient dans son ensemble plus de 90 % pour l'indépendance du territoire, Mayotte se singularise en votant à 63,8 % pour le maintien des Comores au sein de la République française.

Un nouveau gouvernement français arrive au pouvoir en France et, conformément à une recommandation d'un groupe de parlementaires venus en voyage d'étude dans l'archipel, celui-ci envisage de respecter la volonté des Mahorais et de considérer le résultat « île par île ». Le président du Conseil de Gouvernement, Ahmed Abdallah, déclare alors unilatéralement l'indépendance immédiate des Comores, sans que le processus prévu par les accords ne soit mené à son terme. Mayotte reste cependant sous administration française au détriment de la déclaration du gouvernement comorien. L'Union des Comores revendique Mayotte et refuse cette séparation qui remet en cause l'intégrité territoriale de l'archipel. L'Union africaine considère ce territoire comme occupé par une puissance étrangère.

En pleine guerre froide, la France a le projet d’y implanter une base militaire navale dotée d’un port en eau profonde. Ce projet ne verra pas le jour, mais sera compensé par l’implantation d’une station d’écoute du réseau satellitaire français d’espionnage des communications (réseau Frenchelon), mise en service en 2000 sur l'île de Petite-Terre, le centre d'écoute militaire des Badamiers.

Le 6 février 1976, la France oppose son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour empêcher l'adoption d'un projet de résolution lui demandant d'engager des négociations avec le gouvernement comorien en vue de la rétrocession de Mayotte et de renoncer à la tenue d'un nouveau référendum. Une telle résolution, si elle avait été adoptée, aurait eu pour conséquence de placer de force les Mahorais sous domination de l'État comorien.

Ce second référendum a lieu le 8 février 1976 et confirme par un taux de 99,4 % (82,3 % des inscrits) le choix de la population de Mayotte de rester au sein de la République française. Par résolution no 31/4 du 21 octobre 1976, l'Assemblée générale des Nations unies, considérant ce référendum comme nul et non avenu, condamne la présence française à Mayotte, cependant que la France argue que cette résolution ne constitue qu'un avis dépourvu de force juridique. L'Assemblée générale de l'ONU s'appuie sur la déclaration du 14 décembre 1960, « sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples colonisés », point numéro 6 sur la préservation de l'intégrité territoriale, malgré le point numéro 2 sur le droit à l'autodétermination. Dans sa résolution du 6 décembre 1994, l'Assemblée générale de l'ONU a rappelé et confirmé l'appartenance de Mayotte à l'État comorien.13

Seule Mayotte vota en majorité pour le maintien dans le giron de la France car c'est dans cette île que résidait la mince couche politique locale qui avait servi d'appui au colonisateur et en avait tiré quelques privilèges, au détriment de la population des autres îles. L'État français entérina donc le fait par un second référendum, à Mayotte uniquement cette fois, mais ne se sentit pas redevable envers les habitants de l'île, dont le sort ne changea guère.14

 

L’enjeu économique et géostratégique

Comprendre l’acharnement français à garder cette petite île suppose de prendre en compte les contextes économiques et géostratégiques. Mayotte comme les autres îles comoriennes se situent à un verrou stratégique de l’Océan indien. Elles sont situées sur la route du Cap par laquelle est acheminé le pétrole du Moyen-Orient vers les pays occidentaux. La découverte au début de la décennie 2000 d’importants gisements de pétrole et de gaz dans le canal du Mozambique c’est-à-dire la partie de l’océan indien située entre Madagascar et le Mozambique renforce encore l’importance géostratégique des îles comoriennes. Le maintien de Mayotte sous domination française permet ainsi de disposer d’une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques.

Pour exactement les mêmes raisons l’Etat français refuse de restituer à Madagascar et à Maurice les « îles Eparses » qui se situent également dans le canal du Mozambique. Ces 5 minuscules îlots faisant ensemble à peine 43.2 km2 ouvrent droit à des eaux territoriales pour la France. Le cumul des eaux territoriales de Mayotte et des îles Eparses permet à la France de disposer d’une ZEE de 636 000 km2 soit une bonne moitié de la superficie du canal du Mozambique.15

 

 

Mayotte, collectivité française

Depuis 1975, l'île de Mayotte est toujours revendiquée par l'Union des Comores et l'Union africaine reconnaît ce territoire comme occupé par une puissance étrangère. En 1976, La RFI des Comores a saisi le Conseil de sécurité des Nations unies qui rejette la demande de reconnaissance de la souveraineté de la RFI des Comores sur Mayotte par 11 voix pour et une voix contre (« veto français »). Durant ce temps, les élus de Mayotte, fortement poussés par la population, tentent d'obtenir de la France le statut de département français afin d'assurer un ancrage définitif de l'île au sein de la République Française.

L'économie délabrée des Comores ainsi que les graves troubles causés par la restructuration étatique comorienne dès l'arrivée au pouvoir d'Ali Soilih le 2 janvier 1976 provoque un chaos et une anarchie épouvantable qui jettent des milliers de réfugiés à Mayotte, île qui s'obstine à rester française. Ces émigrés fuient l'action des comités politiques instaurés par le pouvoir comorien. Ceux-ci galvanisent les lycéens désœuvrés à détruire la vie traditionnelle (mariages, funérailles, vieilles croyances des plus pauvres, port du voile, libres signes de distinction religieux ou ethnique...). Ils s'efforcent d'humilier les notables et marchands qui ne soutiennent pas les actions du régime autoritaire et organisent des campagnes militaires contre les mosquées, supposés lieux de résistance au régime qui doit apporter le bonheur à tous. En 1978, 8000 réfugiés comoriens vivent à Mayotte qui ne compte encore que 47 000 habitants.

L'installation de la garnison et de la nouvelle administration préfectorale française, calquée sur celle de la métropole, provoquent un afflux monétaire sans précédent. Les meilleurs agriculteurs délaissent leurs champs pour prendre un emploi de service à faible qualification. Le passage du SMIC à 800 Francs détermine le retrait des sociétés coloniales : elles vendent leurs terres à la France. Ainsi échoit à l'autorité politique et administrative coup sur coup deux adaptations à l'économie moderne : la production de cultures vivrières et la mise en valeurs des ressources locales pour l'exportation.

En 1995 : face à la croissance de l'immigration en provenance des autres îles commoriennes, le gouvernement Balladur abolit la libre circulation entre Mayotte et le reste des Comores. Les Comoriens sont dès lors soumis au régime des visas. Le 27 janvier 2000, les principaux partis politiques de Mayotte signent « l’accord sur l’avenir de Mayotte » et sur son édification en collectivité départementale.

Le 11 juillet 2001, une nouvelle consultation électorale approuve à 73 % la modification du statut de l'île qui change pour un statut assez proche de celui des départements d'outre-mer : une collectivité départementale d'outre-mer. Le 28 mars 2003, la constitution française est modifiée et le nom de Mayotte est énuméré dans l'article 72 concernant l'outre-mer.

Du côté des Comores, la question de Mayotte perd peu à peu son importance. Ainsi, depuis 1995, la question de Mayotte n'a plus été inscrite à l'ordre du jour de l’Assemblée générale de l'ONU. En 2005, le colonel Azali Assoumani, président des Comores depuis 1999, a déclaré qu'« il ne sert plus à rien de rester figé dans nos positions antagonistes d’antan, consistant à clamer que Mayotte est comorienne, pendant que les Mahorais eux se disent Français ». Il autorisera donc Mayotte à se présenter aux jeux des îles de l'océan Indien sous sa propre bannière.

Depuis le rattachement à la France, l'immigration clandestine venant essentiellement d'Anjouan (l'île la plus proche) n'a fait que s'accentuer. En 2005, près de la moitié des reconduites à la frontière effectuées en France l'ont été à Mayotte.

Cette question de l'immigration crée aujourd'hui des tensions locales. Jusqu'à présent, les immigrés clandestins comoriens, venus chercher l'Eldorado, servaient souvent de main d'œuvre bon marché, dans des conditions de travail proches de la condition d'esclave, pratique courante depuis des années et exercée en toute impunité par certains entrepreneurs mahorais. Aujourd'hui, alors que la politique intérieure de la France s'est resserrée et que la démographie locale ne fait qu'augmenter, le désir de refouler ces clandestins vers les Comores se fait de plus en plus sentir. Aucune structure n'existe pour aider ces clandestins, aucun service social hormis la DDASS, et la coopération entre la France et les Comores reste embryonnaire sur la question de la santé, malgré la présence de coopérants français médicaux à Anjouan.16

 

Mayotte en ébullition

Mayotte fut plongée à partir de septembre 2011 dans le plus long conflit social de son histoire. Un conflit avec un mot d'ordre simple : halte à la « vie chère », mais qui ne cachait pas des malaises sociaux beaucoup plus profonds et dramatiques. Une lutte qui va être réprimée par le gouvernement français avec une violence que l'île n'avait jamais connu, digne des rassemblements internationaux... Mais la construction de ce mouvement social semait les graines de la contestation sur la situation de Mayotte et le statut de colonie toujours réel sur cette île, confetti de l'impérialisme français...

 

À partir du 27 septembre 2011, à l'appel de trois syndicats, d'associations de consommateurs et du collectif des citoyens perdus, un mouvement de grève générale et illimitée a été lancé pour protester contre la « vie chère » et réclamer ainsi la baisse des prix sur 11 produits de première nécessité. Ce alors même que l'intersyndicale et les associations de consommateurs ont pointé du doigt plus de 300 produits dont le coût est plus important qu'en métropole. Un mouvement qui n'a cessé de prendre de l'ampleur au fur et à mesure des jours et de la répression qui l'a accompagné.

 

Instantané de la situation mahoraise

Cette contestation n'est pas sans rappeler les mobilisations sur la même thématique qui ont secoué les Antilles en 2008. Mais si les similitudes semblent visibles, il reste important de préciser le cadre mahorais. Mayotte se lance depuis 1995 dans une politique drastique de fermeture des frontières qui va s'accompagner dans les années 2000 d'une lutte contre l'immigration qui ira crescendo. Le territoire totalise ainsi en 2010 26 000 expulsions dont 6000 mineurs expulsés et plus de 8000 mineurs isolés sur l'île. C'est-à-dire autant de mineurs isolés et d'expulsions que sur l'ensemble du territoire métropolitain ! Une lutte implacable qui n'a de cesse de précariser une large frange de la population, on estime ainsi la population de sans papier à plus de 65 000, une population qui représente en même temps la moitié des 36 000 actifs de l'île !

La population métropolitaine de l'île représente quand à elle un peu plus de 10 000 habitants, dont plus de 70 % ont des revenus en moyenne cinq fois plus importants que les revenus locaux. Des revenus basés sur d'importantes primes et autres avantages liés à l'expatriation de ces français de métropole... Des français de métropole dont l'ancrage local est tout à fait particulier et qui n'est pas sans rappeler une implantation coloniale tant les échanges entre les deux cultures semblent difficiles et épars (une part importante de la population métropolitaine s'implante dans des quartiers peu mixtes qui rappellent les gated communities des États-Unis). Mais les tensions entre les communautés ne sont pas le seul apanage des relations entre métropolitains et locaux. La lutte contre l'immigration à l'instar de la métropole va se développer et favoriser des idées d'extrême droite, des phénomènes d'exclusion, de racisme voire de xénophobie, qui semblent se répandre toujours un peu plus à Mayotte.

Cette fermeture des frontières pour les hommes va donc être implacable, elle va s'accompagner également d'une fermeture des frontières économiques par la rupture des échanges traditionnels avec la région. La France lance à partir des années 90 un développement de l'île basé sur un isolement régional construit sur et par un pouvoir colonial. L'économie de l'île essentiellement vivrière jusque dans les années 90 va petit à petit se muer en une économie basée aujourd'hui à plus de 90 % sur les importations mondialisées et qui a vu progressivement disparaître une large partie des productions locales y compris les productions à forte valeur ajoutée telles la vanille et l'ylang...

Quand aux revenus de l'île, ils sont basés sur des inégalités criantes. Inégalités flagrantes avec la métropole coloniale puisque les aides sociales sont inexistantes sur l'île. Le Smic est inférieur de plus de 100 euros à celui de la métropole. Le RSA est prévu d'être mise en place à partir de 2012 mais seulement à hauteur de 25% du RSA de métropole soit à peine plus de 100 euros par mois. N'oublions pas que la population a un niveau de vie cinq fois inférieur à celui des habitants de la métropole et qu'un tiers de l'île se trouve exclu de fait de toutes hypothétiques prestations puisque sans autorisation de séjour...

 

Les origines de la contestation

Profitant de ce nouveau marché qui s'ouvre dans les années 2000, d'un développement éclair voulu par la France, et d'une population qui s'accroît rapidement, trois grandes plate-forme de distribution vont s'implanter sur l'île : SODIFRAM, SCORE et SOMACO. Tous trois vont se partager le marché en pleine expansion que représente Mayotte. Mais loin de jouer la carte de l'économie libérale capitaliste, ces trois derniers ne vont pas développer de concurrence et vont s'accorder sur les prix des denrées et produits vendus sur l'île. Ces prix vont bien évidement être tirés vers le haut sous prétexte d'éloignement du territoire et de l'origine des produits amenés. Étrange raisonnement dans un capitalisme mondialisé qui a su tirer les coûts des produits vers le bas en abaissant drastiquement les coûts de transport souvent au détriment de l'environnement et du bon sens. Des politiques économiques incohérentes à un point tel que les économies modernes se trouvent complètement délocalisées et les produits locaux en concurrence implacable avec des produits qui viennent de l'autre bout du monde à moindre frais et dont les coûts ne cessent de se réduire...

Mais la désinformation et la manipulation ne s'arrête pas là, autre argument avancé par les distributeurs et l'État pour justifier une flambée des prix implacable, l'origine des produits et le principe de précaution sanitaire... Ironique lorsque l'on sait que les viandes qui viennent du Brésil jusqu'à Mayotte sont interdites en Europe du fait d'un moratoire sanitaire portant notamment sur le bœuf aux hormones... Or, Mayotte n'est pas en Europe alors pas de moratoire possible mais par contre un principe de précaution avancé pour les viandes venues de Madagascar qui jusque dans les années 90 étaient allégrement consommées par la population locale... La grande distribution valorisant ses profits ici avec des marges pharaoniques et sur une crédulité fantasmée de la population...

Mais ces trois grandes sociétés de distribution ne sont pas les seules à se partager ce juteux gâteaux, Total a su s'imposer sur l'île et bénéficie d'un monopole sur les hydrocarbures et une forte présence sur le gaz, il est clair qu'à Mayotte l'on ne vient pas chez eux par hasard...

Dans les années 2000 la création du Conseil Général de Mayotte en vue d'une future départementalisation va s'accompagner de taxes douanières sur les produits importés. Cette institution voit ainsi l'intégralité de ses revenus basés sur les aides de l'État français et sur ces taxes douanières puisque la fiscalité foncière reste toujours inexistante sur l'île. Des taxes qui viennent s'ajouter aux taxes de l'État concernant l'introduction des marchandises sur l'île. L'ensemble de ces taxes atteignent parfois 30 % du prix des produits !

Dernier aspect de cette hausse des prix, cette fois ci beaucoup moins légitime mais s'intégrant parfaitement aux logiques néo libérales capitalistes, l'indexation des prix sur les revenus les plus hauts de l'île, en majorité ceux des mzungu (=métropolitain)... Revenus piégés par les systèmes de prime dont certaines sont dispensées, ironie du sort, du fait du coût de la vie sur l'île. Les prix s'adaptent à ces hauts revenus, créant inégalité et instabilité dans la population où une minorité dispose d'un pouvoir d'achat conséquent sur les denrées de première nécessité à l'inverse des trois quarts de la population de l'île...

 

Une contestation muselée et réprimée dès le début

Le 27 septembre 2011 sonnait le premier jour d'une contestation qui allait durer plus de six semaines. Le 27 septembre, en écho aux journées de mobilisation décidées en métropole, Mayotte emboîte le pas et se mobilise sur deux thématiques distinctes. La première de ces mobilisations en lien avec la métropole basée sur la crise au sein du système éducatif dont Mayotte reste l'un des symboles, et l'autre sur une problématique plus locale, la « vie chère ». La première manifestation réunira une centaine de personne dont une majorité de métropolitains, alors que la seconde réunira plus d'un millier de manifestants où cette fois ci la population mzungu boude la mobilisation. À noter également que cette deuxième manifestation va se voir encadrée par un imposant dispositif policier qui va apporter son premier lot de tensions. Fort du succès de ce premier rendez-vous et répondant à l'appel à la grève générale et illimitée, une seconde mobilisation est décidée pour le lendemain 28 septembre. Une fois encore cette action va être un succès réunissant plusieurs milliers de manifestants.

Les autorités coloniales face au succès de ces premières démonstrations de force du 27 et 28 septembre, vont déployer en ce second jour de manifestation des moyens policiers massifs allant même jusqu'à l'utilisation des deux blindés de la gendarmerie affectés à Mayotte depuis 2008 et de l'hélicoptère de la Gendarmerie pour protéger la principale zone économique de l'île. Un déploiement policier digne des manifestations altermondialistes, allant parfois jusqu'à rappeler une situation de quasi-guerre. Dès lors la colère des manifestants devant l'écoute et le traitement de leur revendications des autorités va croître et les premiers incidents vont survenir entre les forces de l'ordre et les manifestants. Les tirs de grenades lacrymogènes et de grenades assourdissantes, les arrestations massives vont pleuvoir et pleuvent sur l'île quasiment sans interruption sur les contestataires... Violences policières auxquelles les manifestants vont parfois répondre par des caillassages et des barrages routiers montés à la hâte en vue de blocage de l'île. Mais il faut rappeler que la plupart du temps les grévistes répondront aux provocations et intimidations policières par des mobilisations toujours plus massives...

Mais alors pourquoi un tel déploiement de forces lors des premiers jours de mobilisation ? Importante question, où plusieurs pistes de réponse peuvent être avancées. La première tient sans nul doute à l'inexpérience du préfet en place depuis seulement juillet 2011, même si ce dernier peut s'enorgueillir d'une expérience au sein de la préfecture de Guadeloupe en 2008. Le second axe de réponse tient quand à lui aux craintes soulevées par une telle mobilisation qui n'est pas étrangère à la population mahoraise, qui s'était déjà mobilisée en décembre 2009 sur la même thématique. Dernière piste de réflexion relative à l'usage démesuré des moyens répressif, ces mouvements rassemblent dans leur immense majorité la population locale, avec une quasi absence des métropolitains au sein des cortèges et ce même si la tendance s'inverse petit à petit. Un constat qui va laisser un goût amer aux manifestants considérant de plus en plus les actions des forces de l'ordre comme une répression au caractère manifestement colonial. Un sentiment entretenu par les manipulations médiatiques et politiques à destination de la communauté métropolitaine « invitée à rester chez elle et à ne pas se joindre au mouvement de contestation » parfois par le biais de SMS, mais aussi avec des médias qui ne cesseront d'attiser les tensions raciales en rapportant ce qu'il jugent être des manifestations d'hostilités envers les « blancs » (= les mzungus).

Ces premiers incidents vont très vite mettre le feu aux poudres et entretenir les tensions perceptibles sur l'île. Face à cette répression et ces tentatives de maîtrise du mouvement social, l'île va s'enflammer et la jeunesse va se joindre au mouvement. Une jeunesse que les vacances scolaires vont libérer. Les quartiers et les villes plongés dans la misère de l'île vont s'embraser et la jeunesse va affronter les forces de l'ordre plusieurs jours durant, mettant en place barrages, et affrontant les forces répressives à coup de pierres et de cocktail Molotov. Une révolte répondant sans nul doute à une violence quotidienne et un mal être flagrant sur cette île.

Quasiment une semaine d'affrontement après 7 jours de mobilisation, des affrontements et une répression dont les cortèges de grévistes vont être les premières victimes. Les arrestations et les gazages vont devenir quotidiens, et les forces coloniales répressives se renforçant dans le même temps. Lors de la fin de cette première semaine de mobilisation et au cours de la deuxième semaine, le préfet dépêche plusieurs escadrons de gardes mobiles et de policiers venus de la Réunion et de la métropole. Des renforts qui atteindront quasiment 5 escadrons soit 500 hommes, le gouvernement colonial allant même jusqu'à réquisitionner les cowboys du GIPN (Groupe d'Intervention de la Police National) de la Réunion, et déployant des moyens militaires et une surveillance aérienne quasi quotidienne.

Le summum des tensions et de la violences policière va être atteint le vendredi 07 octobre lorsque un enfant de neuf ans va être grièvement blessé à Longoni, principal port de commerce de l'île. Les policiers sont appelés ce jour là par le directeur du port qui craint une action envers les infrastructures portuaires. Les policiers interviennent alors sur une plage près du port où ils ont repéré un groupe d'enfants. Les fonctionnaires de police déclarent ensuite s'être sentis menacés, par des gamins de neuf ans face à des fonctionnaires surarmés censés « protéger et servir ». Le fonctionnaire cerbère a donc tiré à moins de quinze mètres sur cet enfant de neuf ans percuté en plein tête. L'enfant sera ensuite évacué vers la Réunion et les médecins ne pourront malheureusement sauver son œil... Paroxysme de la violence policière et de la répression dont est victime le mouvement social, cet incident va choquer et émouvoir, mais ne changera pas fondamentalement les actions entreprises par le pouvoir colonial pour mater la rébellion. Ainsi les opérations de maintien de l'ordre se poursuivent et les incidents se multiplient. Mais face à cette répression féroce les grévistes poursuivent inlassablement leur combat et semblent toujours plus déterminés. La stratégie des autorités françaises de l'île va changer alors que les négociations se poursuivent depuis la fin de la première semaine de mobilisation ; les forces de l'ordre vont cesser d'être dans la provocation et vont s'échiner à accompagner discrètement les rassemblements de plus en plus importants en nombre de participants.

 

Des négociations parfois houleuses malgré de fortes démonstration de force du mouvement social

La grève va atteindre son paroxysme les mercredi 12 octobre 2011 et jeudi 13 octobre 2011, avec des mobilisations sans précédent depuis le début du mouvement. Ces jours sont choisis afin de faire une démonstration de force du mouvement social, et le jeudi les grévistes parviennent à mobiliser plus de 12 000 personnes dans les rues de la capitale régionale Mamoudzou.

Même si les négociations sur les revendications basés sur la baisses des prix de 11 produits de première nécessité (dont le riz, la viande, les ailes de poulet ou encore les sardines...) ont débuté dès le début du mouvement, elles ne se déroulent pas sans difficultés. La violence des forces de répression et la politique de fermeté adoptée par la préfecture envers les grévistes ne sont pas étrangères à ces difficultés. Les intérêts soulevés par ces négociations vont de pair avec des effets d'annonce pilotés par les autorités avec l'appui des médias visant à achever rapidement la contestation voir à la discréditer. L'arrogance des autorités françaises dans la gestion de ces négociations va être flagrante le jeudi 13 octobre, jour du plus grand rassemblement des grévistes depuis le début du mouvement, lorsque le préfet de Mayotte suspend les négociations pour annoncer l'arrivée de la ministre en charge de l'Outre Mer Marie Luce Penchard. Son arrivée ne va que mettre une fois de plus le feu aux poudres. Au lieu d'apaiser la situation cette dernière développe un discours paternaliste aux relents coloniaux, n'hésitant pas à demander aux mahorais de dire merci pour le département que la France leur a octroyé en avril dernier ! Un discours qui va enflammer les esprits et planter de nouveaux les graines de la contestation dans le sentiment marqué de Mayotte assimilée à une colonie.

 

Cette stratégie de lutte pour une baisse des prix des denrées de première nécessité adoptée à Mayotte est intéressante. En effet en réclamant une baisse des prix et non une hausse des revenus, les grévistes ont permis de développer la solidarité entre les habitants de Mayotte aux situations variées et parfois extrêmement précaires. Ainsi cette stratégie n'exclut en rien celles et ceux qui tirent leur revenus de l'économie informelle (en majorité les sans papiers) mais aussi celles et ceux qui ne peuvent plus travailler (le système des retraites est absent de Mayotte par exemple). Une lutte qui au fur et à mesure du développement de la situation et de la réaction répressive des autorités, va n'avoir de cesse de gagner en maturité. Une lutte qui s'inscrit sans nul doute dans la contestation d'une économie capitaliste mondialisée vecteur d'inégalités et de discriminations. Un mouvement social qui va également prendre la mesure de la perception de la métropole vis à vis de ce territoire perdu au milieu du canal de Mozambique. Pour bon nombre de grévistes le sentiment légitime est d'être perçu comme des colonisés et le territoire comme une antique colonie.

Mais attention, Mayotte était bien loin de s'être lancée dans une véritable lutte pour la décolonisation. Car si le réveil des consciences est intervenu sur la perception de Mayotte telle une colonie la perspective de changement avancée par les grévistes ne tenait pas à une décolonisation de Mayotte ou son rattachement aux Comores. C'est bien plus une volonté affichée d'être considéré avant tout comme un DOM comme un autre et un département comme un autre. Espérons que ce mouvement soit la première pierre d'un réel réveil des consciences dans ce confetti de l'empire, et qu'il y est réellement un développement de l'autodétermination réel de la population de Mayotte.17

 

 

 

Une terre d’émigration massive

« Le problème de Mayotte, c’est l’immigration massive.  » Cette antienne répétée à l’envi par les médias et les responsables politiques de l’île pour expliquer sa situation difficile et les mauvaises conditions de vie de ses habitants ne résiste pas à une analyse sérieuse. Et si le problème de Mayotte n’était pas tant l’immigration que l’émigration ?

Dans les médias métropolitains, Mayotte est un sujet à la mode. Les reportages se caractérisent par une forte compassion face aux situations humaines dramatiques mais ils sont aussi très superficiels, masquant une certaine paresse, ce qu’attestent d’ailleurs de nombreuses erreurs factuelles. Ils reprennent les clichés habituels soufflés par les responsables politiques et hauts fonctionnaires métropolitains quant aux raisons de la situation difficile de l’île. Sans se pencher sérieusement sur la situation réelle, ils ressassent toujours le même refrain  : le problème à Mayotte, c’est l’immigration, évidemment qualifiée de massive. Le Monde qui a consacré une enquête sur Mayotte, en offre une nouvelle illustration. Annoncé en première page par un «  Mayotte submergée par les migrants  », le dossier se poursuit par un article «  La catastrophe migratoire à Mayotte  » résumant le fil conducteur suivi par la journaliste. Dès sa parution, ce dossier a fait le miel des sites et blogs d’extrême droite car Mayotte concentre toutes ses phobies  : l’immigration et une île peuplée de musulmans, noirs, «  polygames  », pauvres, assistés, coûteux…

Dans la presse hexagonale, les Mahorais – les habitants de Mayotte ayant une carte d’identité française – sont la plupart du temps largement ignorés. Quand les reportages parlent des conditions de vie effroyables, de la pauvreté, des bidonvilles, c’est pour indiquer ou laisser entendre, contre toute évidence, que c’est le lot des seuls immigrés comoriens, voire des seuls «  clandestins  », que cette situation est finalement le résultat, pour ne pas dire la faute, de l’immigration. Or une majorité des Mahorais partagent aussi ces mauvaises conditions de vie, et ce, depuis très longtemps. Rappelons que dans cette île où, selon l’Insee, 92 % de la population vit sous le seuil de pauvreté métropolitain alors que le coût de la vie y est plus élevé, le niveau de vie moyen des Français nés à Mayotte (les Mahorais) est de 290 euros mensuels seulement (190 euros pour les étrangers) quand celui des Français non originaires de Mayotte est d’un montant «  métropolitain  », près de cinq fois supérieur. Et si la presse parle des Mahorais, c’est en général pour évoquer la seule minorité relativement plus aisée, celle des élites dirigeantes, élus et fonctionnaires locaux mêlés, présentées comme responsables de nombreux dysfonctionnements. Il est en effet parfois difficile de faire des immigrés comoriens la seule cause de tous les maux. Il ressort en définitive qu’à Mayotte, tous les habitants, Comoriens et Mahorais, posent problème, sauf les métropolitains envoyés sur l’île et notamment ceux qui dirigent les administrations. L’article du Monde s’attarde d’ailleurs sur les courageux métropolitains travaillant sur place pour assurer le service public (éducation, santé) et souvent découragés face à l’ampleur des difficultés rencontrées et à la faiblesse des moyens. Mais, imputer tous les maux de Mayotte aux Comoriens ou, éventuellement, aux «  locaux  » permet aux reportages de rester totalement a-critiques sur les actions et les politiques publiques menées sur cette terre placée sous la tutelle de la France depuis plus de 170 ans.

Les reportages, au contraire, manquent rarement de rappeler les bienfaits apportés par la France, les efforts de l’État qui injecterait désormais un milliard d’euros par an, sous-entendant que Mayotte serait un puits sans fond pour les finances publiques. Cette antienne est d’ailleurs abondamment reprise par l’extrême droite. Même si ce chiffre d’un milliard d’euros était réel, il confirmerait la discrimination subie par ce territoire et ses habitants puisque la dépense publique (État, collectivités locales, sécurité sociale) s’y élèverait à environ 4 700 euros par habitant alors que la dépense publique par habitant en France est de l’ordre de 17 300 euros, soit trois à quatre fois plus. Dit autrement, si la dépense publique par habitant était la même à Mayotte, elle devrait s’élever non pas à 1 milliard d’euros, mais à environ 3,7 milliards d’euros. Dans le même registre de la France généreuse avec une terre ultramarine qui coûte très cher, les reportages se complaisent à répéter les discours convenus sur les immenses efforts consacrés à Mayotte dans le domaine de l’éducation ou de la santé. C’est certes exact en comparaison d’il y a deux ou trois décennies quand l’État se moquait bien de scolariser et vacciner les enfants de Mayotte. Mais ce qui n’est pas dit c’est qu’on est très loin d’un traitement égalitaire. Ainsi le niveau des dépenses d’éducation par élève est encore moitié moins élevé à Mayotte en comparaison des autres régions de France. Et le constat est peu ou prou le même en matière de santé. Les habitants pâtissent bien toujours des dispositions discriminatoires applicables à Mayotte pour les services publics et les transferts sociaux.

Préférant les clichés, en particulier sur les «  clandestins  » causes de tous les soucis, la presse ignore d’autres réalités. Puisqu’elle insiste sur les questions de migration et de démographie, en particulier sur l’«  immigration massive  » ou l’«  invasion  » des Comoriens, elle devrait logiquement informer honnêtement, à partir des données également disponibles dans les recensements de l’Insee, sur la forte hémorragie de Mahorais fuyant les conditions économiques et sociales. Or, pas un mot ou presque n’est dit sur cette émigration, pourtant environ deux fois plus importante que l’immigration, signe d’un profond malaise et de problèmes économiques et sociaux qui ont peu à voir avec l’immigration. Le mouvement social massif qui a paralysé l’île pendant deux mois à l’automne 2011, autre sujet passé sous silence ou présenté comme une convulsion assez irrationnelle, est pourtant significatif. Les grévistes, manifestants et syndicalistes ne s’y sont alors pas trompés : à aucun moment, l’immigration n’a été présentée comme un problème par les habitants mobilisés, ce qui contrastait avec l’habitude prise depuis des années par les décideurs nationaux et locaux de désigner les étrangers comme de faciles boucs émissaires, comme pour mieux masquer leurs propres défaillances face aux aspirations de la population locale.

 

Solde migratoire négatif

L’Insee a communiqué les premiers résultats du recensement effectué en août et septembre 2012. Les résultats rendus publics à ce jour portent uniquement sur le comptage du nombre d’habitants et de logements, pour l’ensemble de l’île et pour chacune des communes séparément. Le premier objectif du recensement est en effet de fixer la «  population légale  » de l’ensemble des collectivités. L’enjeu est crucial pour les communes dont les dotations globales de fonctionnement versées par l’État sont fixées en fonction de cette «  population légale  ». Tous les habitants d’une collectivité locale sont comptés dans la population légale et finalement tous comptent lors de la détermination des moyens alloués par l’État. Le recensement ne se préoccupe pas de la situation administrative des personnes recensées. Un étranger en situation irrégulière au regard du séjour à Mayotte fait partie de cette population légale et rapporte autant qu’un autre habitant à sa commune et au département.

Dans la première publication de l’Insee sur le recensement, on y apprend que la population atteint désormais 212 645 habitants, en augmentation de 26 200 habitants depuis 2007, soit une croissance annuelle moyenne de 2,7 % par an. Cette croissance est forte, en comparaison de la métropole où elle est de 0,5 %, mais elle est en baisse très sensible en comparaison des périodes précédentes.

On peut déjà tirer un enseignement majeur, ignoré par la presse  : le solde migratoire de l’île est très important… mais il est négatif  ! La croissance de la population est imputable au solde naturel, c’est-à-dire aux surplus de naissances sur les décès, mais pas au solde migratoire, bien au contraire. L’émigration y surpasse l’immigration, ce qui était déjà constatable avec les résultats du recensement de 2007.

De ces résultats sur le solde migratoire et sur le nombre de personnes ayant immigré sur le territoire, l’Insee a pu en déduire le niveau de l’émigration de Mayotte, c’est-à-dire le nombre de personnes sur l’île en 2002 et l’ayant quitté en 2007 (sans y décéder), soit environ 22 000 personnes ou 13,9 % de la population de 2002. Si on écarte les métropolitains présents en 2002 et repartis en 2007, et qu’on peut estimer à environ un quart du total (en faisant l’hypothèse que le nombre d’arrivées a été égal aux départs), les chiffres du recensement de 2007 permettent de conclure qu’environ 16 000 habitants de l’île l’ont quittée entre 2002 et 2007, soit environ un dixième de la population présente en 2002. Un niveau près de deux fois plus élevé que l’immigration en provenance de l’étranger. Si la presse qualifie l’immigration de «  massive  », comment devrait-elle alors qualifier l’émigration ?

Ces résultats tirés des recensements sur la période 2002-2007 se confirment pour la période 2007-2012 même si, à ce jour, nous savons uniquement que le nombre d’habitants a crû de 26 000 personnes depuis 2007 pour atteindre 212 645 en 2012. Le service statistique dispose aussi des données d’état civil sur les naissances et les décès, mais elles n’ont pas été rendues publiques avec précision. À partir de sources diverses sur le nombre de naissances et de décès, le solde naturel (naissances – décès) peut seulement être estimé entre 28 000 et 34 000 sur la période, ce qui permet de déduire que le solde migratoire de Mayotte est resté négatif, entre – 2 000 et – 8 000 habitants entre 2007 et 2012. L’Insee n’ayant pas encore publié les résultats sur l’immigration (les personnes de plus de 5 ans en 2012 qui n’étaient pas résidentes en 2007), en déduire précisément le niveau de l’émigration n’est pas possible. Dans l’attente de ces données, si on fait l’hypothèse que l’immigration est restée au niveau atteint durant la période 2002-2007, alors l’émigration de Mahorais hors de l’île (hors départ de métropolitains) peut être estimée entre 12 000 et 18 000, c’est-à-dire que 7 à 10 % de la population locale présente en 2007 seraient encore partis depuis. Depuis 10 ans, environ un cinquième des habitants de l’île présents en 2002 aurait donc émigré, un peu comme si 12 millions de personnes avaient quitté la métropole en une décennie. La conclusion s’impose  : les départs hors de l’île sont toujours importants, bien plus «  massifs  » que les arrivées sur l’île.

Cet exode important, qu’il s’agisse de jeunes diplômés mahorais partis étudier et qui ne reviennent pas, ou de familles mahoraises allant chercher une vie meilleure, traduit un fort malaise auquel aucune réponse satisfaisante n’est réellement apportée. Pour beaucoup, l’espoir réside manifestement dans un départ vers la Réunion ou la métropole. En votant avec leurs pieds, ces personnes expriment leur manque de confiance dans un avenir meilleur face aux promesses des décideurs politiques locaux et nationaux. Et pour cause. Le développement économique partagé, l’égalité des droits avec la métropole et les autres DOM et l’amélioration des conditions de vie de la majorité de la population ne font pas partie des urgences.

On comprend dès lors mieux le rôle joué par les discours sur l’immigration massive. Les responsables politiques locaux et nationaux se trouvent ainsi dédouanés à bon compte de leurs responsabilités. Désigner le Comorien comme bouc émissaire de tous les maux permet de détourner l’attention des problèmes économiques et sociaux de l’île, des carences de l’État social, des discriminations systémiques, etc. La presse hexagonale participe de cette opération en relayant les clichés vendeurs sur l’immigration, présentée comme une «  catastrophe  ». Ainsi, les souffrances sociales vécues par la grande majorité des Mahorais restent ignorées, les aspirations des habitants de l’île sont passées sous silence, ce qui permet aux décisions les concernant de pouvoir continuer à se prendre loin d’eux, sans eux.18

 

 

Mayotte-Comores : des morts sur fond de misère

Le 8 janvier 2015, les corps de six Comoriens, quatre adultes et deux enfants, ont été retrouvés près de l'îlot M'Tsamboro au nord-ouest de Mayotte, suite au chavirement de leur embarcation. Ils ont été récupérés par la gendarmerie chargée de la surveillance des côtes mahoraises. Mais comme il y avait 36 personnes à bord du bateau, le bilan est sans doute bien plus lourd.

Un journaliste ayant eu connaissance de ce drame est venu photographier les corps des victimes. Des policiers sont venus l'interpeller et lui ont demandé d'effacer ses photos, ce que le journaliste a refusé. Il a été emmené au poste.

Depuis l'instauration du « visa Balladur » en 1995 pour soi-disant contrôler les allers et venues entre Mayotte et les Comores, la liberté de se déplacer entre ces îles est restreinte et pousse de nombreux Comoriens à mettre leur vie en danger pour effectuer clandestinement des traversées par mer à bord de barques surchargées. Des milliers d'entre eux ont ainsi perdu la vie en voulant rendre visite à leurs familles à Mayotte, se soigner ou en cherchant à fuir la misère.

De cela l'État français est directement responsable. Mais ce n'est pas en muselant la presse qu'il occultera sa responsabilité.19

 

 

 

Grève générale, silence colonial et blindés pour la répression

Le 12 avril 2016, au 12e jour de grève générale illimitée pour « l’égalité réelle et la justice » démarrée au lendemain des deux journées de grève contre la loi travail des 30 et 31 mars, pas un seul média n’en parlait en France métropolitaine, pas une ligne, pas une seconde. Mayotte est pourtant un « département français »...

En réalité, c’est parce que les 213 000 habitantEs de Mayotte (et les dizaines de milliers de clandestinEs venant des Comores) vivent dans une des pires sociétés coloniales : 27% de la population y vit sous le seuil de pauvreté alors que le coût de la vie est le plus élevé de tous les territoires français ; le taux de chômage y est de 20 % (46,5 % pour les jeunes) auquel il faut ajouter les clandestins ; le taux d’illettrisme bat des records ; il n’existe qu’un seul centre hospitalier, soit moins de deux lits pour 1 000 habitantEs contre 6 en métropole ; le nombre d’écoles est tellement insuffisant qu’il leur faut parfois fonctionner par rotation ; tout cela sur le territoire le plus pauvre de la République et où 50 % de la population a moins de vingt ans. C’est explosif...

Le taux de chômage associé à la violence policière, la peur de perdre son emploi, la peur du chef, en particulier « blanc », la peur du préfet, sorte de gouverneur colonial, de sa police ou justice, est en train de voler en éclats dans la grève, les manifestations et les barrages.

Les grévistes et manifestants voulaient l’application immédiate et intégrale à Mayotte du code du travail de France métropolitaine, l’application immédiate des conventions collectives nationales, l’alignement immédiat des pensions minimum au niveau de la métropole, le reclassement avec reconstitution de carrière reprenant en compte la totalité de l’ancienneté des agents des fonctions publiques, l’alignement au niveau de la métropole de toutes les prestations sociales.

 

Contre la loi travail coloniale

Mais le slogan d’« égalité réelle » fait aussi référence au rapport du même nom du député PS, Victorin Lurel, déposé à la mi-mars auprès du gouvernement, qui devrait réglementer les 25 prochaines années des Dom-Tom. Il prévoit de supprimer la majoration de 40 % des salaires des fonctionnaires, d’augmenter les impôts et la TVA, de doubler l’octroi de mer de 2,5 à 5 %, une taxe sur toutes les marchandises qui rentrent et l’élargir aux services afin de financer la suppression des cotisations sociales et fiscales des patrons. Bref, le PS veut taxer plus les plus pauvres pour donner plus aux riches et créer des « zones franches globales », sans charges ni code du travail, qu’il baptise « plus grande autonomie locale »...

Pour défendre cette « loi travail coloniale » contre les barrages des manifestantEs, le pouvoir a sorti les blindés. Déjà en novembre, lorsque le mouvement avait débuté – interrompu par l’état d’urgence –sa police avait tiré à balles réelles sur les jeunes !
Rompre le silence sur la grève générale à Mayotte, c’était le minimum pour nous qui vivons dans la puissance coloniale.20

 

 

La violence, c’est la malnutrition, la tuberculose, la lèpre…

Après 15 jours de grève, l'accord passé entre syndicats et gouvernement prévoyait que les fonctionnaires auront droit à une prime de vie chère de 40 % du salaire le 1er janvier 2017. Mais il faudra attendre le vote d’une loi l'an prochain pour espérer - sous un autre gouvernement - l’application en 2018 du même code du travail qu'en métropole... alors que celui-ci est remis en cause par le projet El Khomri !

Pour le reste, il n'y a que la promesse d'un calendrier de discussions : rien ou presque, disaient les grévistes de base réunis en AG le lendemain, majoritairement contre l'accord. Mais pour ne pas se diviser entre la base et les directions syndicales, l'AG a décidé de suspendre la grève tout en demandant au gouvernement un geste fort immédiat sous peine de reprise d'une lutte encore plus dure.

 

Des gamins meurent de misère sur le territoire français

La moitié des Mahorais vivent avec moins de 348 euros par mois, près de 60 % ont moins de 18 ans et ils ne peuvent pas attendre. Après son silence, la presse métropolitaine a dénoncé les violences des jeunes. Mais pas un mot pour dire qu'ils ont faim, meurent de maladie, croupissent dans les plus grands bidonvilles de France, sans eau courante ni électricité, n'ayant parfois que les poubelles pour se nourrir, en particulier quand leurs parents en situation irrégulière sont renvoyés dans les îles des Comores. Car chaque jour, des Comoriens risquent leur vie pour rejoindre Mayotte. Beaucoup sont arrêtés, expulsés, avec parmi eux, des centaines d’enfants.

En métropole, les mineurs isolés sont protégés contre l’expulsion. À Mayotte, sitôt arrivé, ils sont rattachés d’office à un adulte - même inconnu - à bord du même navire. Aussitôt affiliés, ils sont rembarqués vers les Comores. Pour ceux qui restent, réfugiés ou Mahorais, tout manque : emploi, formations, transports publics, associations, stades… Bien des jeunes ne sont pas scolarisés. Les collèges et lycées sont sous-dimensionnés, les classes surchargées, sans matériel. Et la malnutrition empêche les enfants de se concentrer.

On ne parle pas français dans l'île, mais l'école se tient en français... pas enseigné. Il est interdit aux enseignants de parler leur langue avec les élèves. L'illettrisme explose, assorti d’un sentiment de mépris colonial : un vice recteur assimilait l'accent mahorais au « parler banlieue » et déclarait que le rythme de construction d'écoles ne pourrait jamais rattraper celui de « l'utérus des Mahoraises »...

Comme les jeunes de banlieue, les Mahorais sont français, mais se disent qu'ils n'auront jamais les mêmes chances que les autres.

 

 

Bientôt des étrangers chez eux

90 % des villages sont à proximité du rivage. L’État a déclaré la zone inconstructible. Il a commencé par détruire les maisons, puis a décidé de vendre leur propre terre aux habitants. Trop pauvres pour acheter, il ne reste que le bidonville.

En même temps, la plupart des métropolitains résident dans des zones protégées, « le pays des Blancs », dans lesquelles on déconseille de sortir seuls le soir. Mais hormis le conseil général, ils dirigent la quasi-totalité de l'économie et de l'administration.

La secrétaire d'État chargée de l'Égalité réelle (sic !), Ericka Bareigts, a présenté le 13 avril 2016 un projet de loi en même temps que le député Victorin Lurel, une loi cadre. Mais cette « égalité réelle » là, conçue conjointement par le gouvernement et le patronat, vise à transformer Mayotte en « zone franche » sans taxes pour les patrons... et sans droits pour les salariés. Cela déclenche l'enthousiasme patronal car attachées à Mayotte, figurent les îles Éparses de l’océan Indien, une zone pétrolifère prometteuse. Ségolène Royal y a accordé l'autorisation d'exploitation des énergies fossiles... au moment de la COP21 et de la répression des écologistes.

Cependant, malgré cette situation coloniale, peu de Mahorais veulent être replacés sous l’autorité des Comores, encore plus misérables. Du coup, dans ce département musulman et à tradition matriarcale, le sentiment de classe l'emporte, au cœur même du combat pour « l'égalité réelle » avec la métropole. Leur lutte, un instant « suspendue », est loin d'être finie, et c'est la nôtre.21

 

 

Des Comoriens pourchassés

Depuis le début de l’année 2016, des Mahorais regroupés en de prétendus « collectifs citoyens » organisent des expéditions punitives pour expulser des Comoriens en situation dite irrégulière ou supposée telle. Au moins un millier de « ces étrangers indésirables », des hommes, des femmes et des enfants venus des îles voisines, ont été jetés à la rue.

Des dizaines de villages du sud de Mayotte ont déjà eu à subir des opérations émanant de ces groupes de villageois. Ils arrivent en voiture, souvent armés de couteaux et de bâtons pour chasser les Comoriens de leur domicile en criant « Nawa lawé ! » (« Qu’ils partent ! », en langue locale). Les cases des victimes sont brûlées. Certaines familles, par crainte de violences, préfèrent quitter leurs foyers avant l’arrivée des convois punitifs. Sans toit, elles se retrouvent sur le bord des routes où elles sont accueillies par des Mahorais choqués par de telles situations. D’autres se réfugient dans des campements dressés par Médecins du monde, dans des conditions sanitaires désastreuses et avec peu de nourriture.

Face à ces exactions, des associations de Mahorais, de Comoriens, ou la Ligue des droits de l’Homme, ainsi que des élus de Mayotte et de La Réunion, en appellent aux autorités françaises pour qu’elles mettent fin aux violences en rétablissant « l’État de droit ». Mais si revendiquer « l’État de droit » peut revenir à demander à la police de stopper les agresseurs, cette demande conduit également à ce que soit menée la lutte contre l’immigration clandestine des Comoriens à Mayotte.

Sur une population de 230 000 habitants, 40 % seraient des étrangers, en grande majorité des Comoriens. Arrivant à Mayotte, ils fuient la misère qui règne dans les trois îles voisines qui, avec le département français, composent l’archipel des Comores. À Mayotte, qu’ils atteignent le plus souvent clandestinement en risquant leur vie à bord d’embarcations légères, et non sans avoir payé des sommes importantes à des passeurs sans scrupules, les migrants espèrent trouver du travail, bénéficier de soins médicaux et scolariser leurs enfants.

À Mayotte, devenue le 101e département en 2011, le chômage touche officiellement 20 % de la population active (46,5 % chez les jeunes), et plus de 27 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Dans une telle situation, et comme l’ont montré les grèves et manifestations, la colère de la majorité des Mahorais est dirigée contre l’État français qu’ils accusent, à juste titre, de les avoir oubliés en maintenant leur île et sa population dans un état de sous-développement chronique. Depuis 1974, date à laquelle la France a pris la décision de garder Mayotte dans son giron, l’île devenue française est restée à la traîne, même par rapport à La Réunion voisine.

Pour donner aux Mahorais l’illusion que des efforts ont été entrepris pour qu’ils puissent être considérés comme des citoyens à part entière, les gouvernements de France leur ont servi pendant 37 ans des changements successifs de statuts présentés comme des étapes pour accéder à la départementalisation. Mais loin d’améliorer de façon substantielle les conditions de vie des Mahorais, l’État français leur a surtout compliqué les relations avec les populations sœurs des Comores, notamment à partir de 1995 quand, sous le gouvernement Chirac-Balladur, la libre circulation a été interdite entre les îles, avec l’obligation d’un visa pour se rendre à Mayotte.

Devenus étrangers à Mayotte, la plupart des Comoriens sont aujourd’hui traqués par les autorités françaises, conduits manu militari dans le centre de détention de la capitale, avant d’être renvoyés dans les autres îles des Comores. Si des groupes réactionnaires de Mahorais s’attaquent aux plus pauvres, c’est aussi qu’ils prennent exemple sur les agissements des autorités françaises dans l’île. Dans les événements déplorables qui se produisent aujourd’hui à Mayotte, l’État porte une grand part de responsabilité.22

 

 

Macron dérape : racisme et mépris social

Le 3 juin 2017, lors d’une visite au Centre régional de surveillance et de sauvetage atlantique d’Étel en Bretagne, alors qu’il échangeait des propos avec des officiels lui présentant différents types de bateaux, le président Macron a voulu lancer ce qu’il pensait être un bon mot devant ses courtisans tout à l’écoute.

« Le kwassa-kwassa pêche peu, il ramène du Comorien », a-t-il déclaré. Cette blague crasseuse, frisant le racisme, révèle sans doute assez bien le fond du personnage. Les kwassa-kwassa sont des embarcations traditionnelles de pêche qu’utilisent aujourd’hui les migrants venus des îles des Comores pour chercher à rejoindre Mayotte, une île du même archipel de l’océan Indien contrôlée par l’impérialisme français. Les passeurs entassent les migrants par dizaines à bord de ces longues pirogues instables, leur extorquant au passage 300 à 500 euros. Ils les laissent ensuite essayer de franchir, à leurs risques et périls, au milieu des vagues, les soixante-dix kilomètres qui les séparent des côtes de Mayotte. Les chavirages, les noyades sont quotidiens. D’après un rapport du Sénat français, entre 7 000 et 10 000 personnes auraient perdu la vie en tentant la traversée depuis 1995, et même plus de 12 000 selon les autorités comoriennes, qui se sont indignées à juste titre des propos ignobles du président français.

Si ce dernier a cherché ensuite à apaiser les choses par des échanges téléphoniques avec ses homologues comoriens, il n’a rien dit du sort des miséreux qu’il avait désignés comme du bétail, des hommes qui tentent simplement d’améliorer leur sort au péril de leur vie.

Quand ils parviennent à atteindre Mayotte, ces migrants sont bien souvent réduits à survivre dans les bidonvilles de Mamoudzou, pourchassés sans ménagement par les forces de police. Près de 20 000 personnes ont ainsi été expulsées de Mayotte rien qu’en 2015, la France ayant même été condamnée cette année-là par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir emprisonné illégalement 4 378 mineurs, dont beaucoup sont livrés à eux-mêmes.

Le sourire de jeune premier de Macron, ses propos humanistes sur l’ouverture des frontières tenus pendant la campagne électorale pour se distinguer des appels au repli nationaliste de ses concurrents, cachent le même mépris profond des travailleurs et des pauvres, ceux d’ici, qu’il avait traités d’analphabètes après sa visite de l’abattoir Gad en septembre 2014, ceux des pays pauvres réduits à l’exil. Les traits d’humour douteux de Macron s’inscrivent avec le plus grand naturel dans la tradition colonialiste de la bourgeoisie française qu’il s’apprêtait à servir avec zèle au pouvoir.23

 

 

Macron à Mayotte : démagogie xénophobe et promesses électorales

Le 22 octobre 2019, en visite éclair sur l’île de Mayotte, Emmanuel Macron n’a pas annoncé de hausse des salaires ni des pensions de retraite misérables (300 euros par mois en moyenne).

Plus de 60 % de la population en âge de travailler était au chômage et le marché du travail local allait croître de 80 000 personnes dans les prochaines années, mais le président n’a rien eu à leur dire. Rien non plus sur les conditions de travail des fonctionnaires, ni sur la titularisation des précaires. Il n’a pas déclaré la construction de milliers de logements pour en finir avec les bidonvilles. Dans l’éducation et la santé, il n’a pas évoqué l’embauche de personnel en nombre suffisant. Rien non plus pour répondre aux pompiers de l’aéroport en grève à son arrivée.

Évidemment, on a eu droit à la mascarade médiatique des effusions populaires avec le président, même si on a pu constater qu’il n’y avait pas tant de monde que cela aux bains de foule, hormis les clientèles macronistes locales.

Macron a en revanche insisté sur la lutte contre les migrants ; une politique qui a transformé en cimetière le bras de mer entre Mayotte, Anjouan et Madagascar, comme l’est devenue la Méditerranée. C’était bien là le motif de sa visite…

Dans la grande tradition du colonialisme, quelques millions virtuels ont été distribués. Des projets attendus de longue date ont été évoqués : piste longue de l’aéroport, modernisation du port, le tout dans un futur indéterminé et surtout post-électoral. De quoi enrichir les multinationales et certains patrons locaux à défaut de résoudre les problèmes de la population.

À Mayotte, on n’attendait pas grand-chose de la visite du président des riches et on n’a pas été déçu.24

 

 

L’ignoble opération Wuambushu

Approuvée en par le président de la République Emmanuel Macron et orchestrée par Gérald Darmanin, à la fois ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, cette opération de grande envergure avait pour objectif de déloger une majorité d'étrangers en situation irrégulière, provenant essentiellement des Comores voisines, et de raser de nombreuses cases en tôle exposées à des risques naturels — opération décrite comme un « décasage de bangas »

Or le 24 avril 2023 le tribunal judiciaire de Mamoudzou a suspendu provisoirement la destruction d’habitations insalubres sur la commune de Koungou, qui devait être le point de départ de l’opération policière dite Wuambushu.

Le tribunal a jugé que ce « décasage » violent aurait privé de logement, non seulement des personnes n’ayant pas de papiers en règle, mais aussi leurs voisins et des membres de leur famille ayant la nationalité française. Ce sursis obtenu par les habitants qui voulaient résister à la brutalité de l’État mettait en évidence que la pauvreté et l’habitat indigne ne frappaient pas que des immigrés, clandestins ou pas, mais aussi des Mahorais reconnus français. Il n’en reste pas moins que ce distinguo de nationalité n’existe que pour l’administration française, car tous sont des pauvres de culture comorienne, contraints de vivre sans électricité ni eau courante dans des bidonvilles qu’ils ont eux-mêmes construits avec les moyens du bord.

Devant la misère qui se généralise et les conditions de vie qui s’aggravent à Mayotte, le président, le ministre de l’Intérieur, le préfet et bien des notables locaux n’ont qu’une seule cible : les Comoriens considérés comme clandestins et accusés de tous les maux. La frange de voyous livrés à eux-mêmes qui rendent la vie difficile, et encore plus aux pauvres, a été fabriquée par la misère et surtout par les lois et règlements privant des enfants de leurs parents expulsés vers les Comores.

Nulle part les compagnies de CRS n’ont mis fin à la délinquance. La surveillance accrue des barques « kwassa-kwassa », qu’empruntent les Comoriens en quête d’une vie un peu moins dure à Mayotte, par des radars et des avions de surveillance financés par l'augmentation du budget militaire, ne rendra pas les rues de Mamoudzou plus sûres. 1 800 gendarmes et CRS ne feront pas couler de l’eau potable dans les canalisations, n’éclaireront pas les quartiers à électricité intermittente, ne donneront pas des cours dans des salles de classe insuffisantes, ne soigneront pas les malades dans des infrastructures de santé sous-dimensionnées.

Ralenti par la décision judiciaire et par le refus de l’État comorien de laisser accoster des bateaux qui transporteraient des expulsés de Mayotte, le gouvernement français ne désarmait pas. Il prévoyait des semaines de répression qui ne mèneront qu’à plus de misère et de désarroi en désorganisant la vie sociale et les solidarités qui permettent de survivre dans les quartiers les plus pauvres.

Les politiciens locaux ont abondé dans la démagogie anti-immigré, tel le vice-président du conseil départemental qui est allé jusqu’à comparer les jeunes Comoriens à des terroristes, ajoutant : « Il faut peut-être en tuer. » Devant le tollé soulevé, il a dû se rétracter, mais ce propos infâme souligne l’impasse dans laquelle conduit la politique gouvernementale.

La mise en scène orchestrée par Darmanin, accessoirement pour sa propre promotion, visait à dédouaner l’État et ses relais locaux de leur incurie et à embrigader une partie de la population derrière les forces de répression. Il serait dangereux de croire qu’elles agiront pour protéger les braves gens contre les délinquants. L’objectif est de faire accepter l’exploitation et la misère à tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité.25

 

L’opération anti-pauvres s’intensifie

Le 19 juin 2023, 80 gendarmes ont cerné le site de Barakani dans la commune de Koungou, avant que les bulldozers entreprennent la destruction de 80 cases. Fin mai, c’était 162 cases dans un autre quartier de la même ville, Talus 2, que la préfecture avait fait détruire.

À Barakani, la destruction est intervenue après que la justice eut rejeté le recours d’une famille de neuf personnes à qui la préfecture avait proposé un relogement temporaire dans 50 m2 ! Ce n’est pas un hasard si personne de Barakani, en situation régulière ou pas, n’a été relogé. Devant un tel mépris, les expulsés ont démonté les cases, récupéré les matériaux, qui valaient cher, et reconstruit quelque chose d’autre ailleurs dans l’île.

Depuis le 17 mai 2023, les expulsions vers les Comores avaient repris, et les personnes expulsées étaient de plus en plus nombreuses, 150 certains jours. Le président des Comores, Azali, qui avait dit qu’il ne tolérerait que le retour de volontaires, s’est de toute évidence incliné devant les pressions de la France, suscitant aux Comores indignation et protestations.

Wuambushu était une grossière opération de diversion. Alors qu’il y avait déjà des coupures d’eau quatre nuits par semaine de 17 h à 7 h, la préfecture a annoncé qu’il y en aurait jusqu’à six en août. La préfecture faisait passer l’idée que, s’il n’y avait pas assez d’eau, c’était parce qu’il y avait trop de Comoriens. Mais les Mahorais ou les Comoriens chassés de chez eux n'étaient pour rien dans les infrastructures sous-dimensionnées. Au total, les usines de fourniture d’eau n’arrivent à délivrer que 38 000 m³ par jour, alors qu’il en faudrait 42 000.

C’est le même message que les politiciens font passer dans le secteur de la santé. Ainsi, la chambre régionale des comptes indiquait le 20 juin que 40 % des centres de la protection maternelle et infantile (PMI) avaient été supprimés en quinze ans, alors que depuis 2012 la population avait augmenté probablement de 40 %.

Avec pour résultat un taux important de malnutrition des enfants, des IVG médicamenteuses et des consultations obligatoires de femmes enceintes non réalisées. Le conseil départemental de Mayotte, en charge de la PMI, se défausse sur l’État, qui en a effectivement bloqué le financement, au niveau de celui de 2015.

Pour toute réponse, la responsable au département qui en avait la charge a affirmé que, « si nous n’accueillions que des Français, notre budget suffirait largement » et menaçait de ne plus accueillir, à partir du 1er juillet, les « non assurés sociaux », c’est-à-dire les femmes et enfants qui n'étaient pas en situation régulière, en les renvoyant sur les structures hospitalières qui étaient déjà débordées. À Mayotte, l’État et les politiciens locaux s’entendent pour faire monter la haine.26

 

« Azali nalawe »

C’est par une fraude électorale de grande ampleur qu’Azali Assoumani à entamé son troisième mandat alors que des émeutes ont éclaté dans l’archipel contre son coup de force.

Le 14 janvier 2024, des élections présidentielles et gouvernorales étaient organisées dans l’archipel des Comores regroupant Anjouan, Grande Comore et Mohéli, la quatrième île, Mayotte, restant sous domination française. 

 

La grande triche

Azali Assoumani, le président sortant, a recueilli autour de 63 % tandis que son rival un peu plus de 20 %. Les cinq candidats de l’opposition ont dénoncé des fraudes à grande échelle et ils ne manquaient pas d’arguments. Ils ont soulignent l’écart problématique de la participation, 16 % pour la présidence mais 63 % pour les gouverneurs.

Une vidéo a circulé largement sur les réseaux sociaux montrant des urnes d’un bureau de vote chargées dans un camion par des militaires accompagnés par le président et les assesseurs. Des cas similaires se sont produits ailleurs. Les partisans du candidat Mohamed Daoud ont arrêté un camion militaire transportant aussi des urnes. Des habitantEs ont témoigné qu’arrivés à la première heure pour voter, les urnes étaient déjà remplies. Les représentantEs des listes d’opposition n’ont pas eu accès à un grand nombre de bureaux de vote malgré leur accréditation, arrivée pourtant bien tardivement. Par contre les gendarmes étaient présents dans maints lieux de vote de l’île de la Grande Comore, exerçant des pressions sur les votants. Précisons que le responsable de la gendarmerie n’était autre que Loukman Azali, le fils du président.

Les Observateurs de l’Union africaine (UA) ont considéré que la présidentielle s’est « globalement déroulée de manière libre et transparente ». Une mansuétude qui s’explique peut-être par le fait qu’Azali Assoumani est le président de l’UA.

 

Misère et dictature

Ancien chef d’État-major de l’armée, Assoumani est arrivé au pouvoir en 1999 par un coup d’État. Il s’est fait élire en 2016, puis en 2019 lors d’élections truquées. Que retenir de son bilan si ce n’est qu’il est catastrophique. Les coupures d’eau et d’électricité sont incessantes et l’inflation précarise une population dont déjà la moitié vit en deçà du seuil de pauvreté. L’autre fait marquant est le changement de Constitution qui abroge le système d’une présidence tournante entre les trois îles. Ce qui lui permet incidemment de briguer un troisième mandat.

Dès le début de la campagne électorale, il avait affirmé qu’il gagnerait au premier tour. À cette fin, il a démis Harimia Ahmed, la responsable électorale de la Cour suprême, et s’est opposé au vote des ComorienNEs vivant à l’étranger. Pourtant les transferts de fonds de la diaspora représentent 20 % du PIB. Son seul défaut est celui d’être très majoritairement acquise à l’opposition, dont la plupart des dirigeants sont exilés ou en prison.

Cette répression n’empêche pas les mobilisations contre ce coup d’État électoral. Dans l’archipel, des manifestations et des blocages de routes ont été organisés avec comme seul mot d’ordre : « Azali nalawe » (Azali dégage!) 27

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'archipel_des_Comores
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Comores_%28pays%29
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'archipel_des_Comores
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Comores_%28pays%29
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Bacar
(6) Georges Lattier http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1699/dans-le-monde/article/2003/10/12/2537-comores-une-situation-catastrophique-dans-lile-danjouan.html
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Invasion_d'Anjouan_de_2008
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Comores_%28pays%29
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Ikililou_Dhoinine
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_comorienne_de_2016
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_des_Comores
(12) http://www.lutte-ouvriere.org/en-regions/la-reunion/mensuel/article/comores-un-nouveau-drame-de-l
(13) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mayotte
(14) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1669/dans-le-monde/article/2003/10/12/1608-mayotte-lheritage-du-colonialisme.html
(15)
(16) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Mayotte
(17) Tibo http://www.npa2009.org/content/mayotte-en-%C3%A9bulition
(18) Antoine Math http://www.gisti.org/spip.php?article3047
(19) https://www.lutte-ouvriere.org/en-regions/la-reunion/mensuel/article/mayotte-comores-des-morts-sur-fond
(20) Jacques Chastaing https://npa2009.org/actualite/international/mayotte-greve-generale-silence-colonial-et-blindes-pour-la-repression
(21) Jacques Chastaing https://npa2009.org/actualite/international/mayotte-la-violence-cest-la-malnutrition-la-tuberculose-la-lepre
(22) Émile Grondin http://journal.lutte-ouvriere.org/2016/06/08/mayotte-des-comoriens-pourchasses_68515.html
(23) Giles Boti https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/06/07/macron-derape-racisme-et-mepris-social_93412.html
(24) https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/10/23/macron-mayotte-demagogie-xenophobe-et-promesses-electorales_135291.html
(25) Lucien Détroit https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/04/26/mayotte-lignoble-operation-wuambushu_634282.html
(26) Serge Benham https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/06/21/mayotte-loperation-anti-pauvres-sintensifie_721326.html
(27) Paul Martial https://lanticapitaliste.org/actualite/international/aux-comores-azali-nalawe