Époque précoloniale
Pour G. W. Huntingford, le Périple de la mer Érythrée, communément daté du début du IIe siècle, mentionne clairement la côte somalienne entre le Ras Hafun et le Siyu, ce qui attesterait de la connaissance de la région par les Grecs, les Romains et les commerçants indiens. Les Égyptiens antiques appelaient la Somalie Punt et leurs habitants les Berbères noirs.
Le Moyen Âge vit la formation de la structure clanique actuelle, alimentée par la fuite de musulmans persécutés en Arabie. Au cours du XIVe siècle, Mogadiscio gagna en influence et devint l’escale privilégiée des marins arabes. Le commerce se développa également avec les voisins de l’Ouest, Oromos, Afars et les habitants de l’actuelle Érythrée.
Les relations entre la côte musulmane et l'intérieur chrétien furent cordiales pendant plusieurs siècles. Un hadith de Mahomet interdisait aux musulmans d’attaquer l’Éthiopie car cette dernière avait donné refuge aux premiers convertis à l’islam qui fuyaient La Mecque. Une partie du Nord-Ouest de la Somalie, l’actuel Somaliland, fit partie de l’Éthiopie salomonique sous le règne d’Amda Seyon Ier (1314 – 1344).
En 1415, Yeshaq Ier prit des mesures contre le royaume d’Adal, dont les raids rebelles occasionnaient des troubles dans les régions alentour. Le roi Sa'ad ad-Din II fut emprisonné et exécuté. Une fois la guerre terminée, Yeshaq Ier fit composer une chanson narrant sa victoire, où apparaît pour la première fois le terme Somali.
La région resta sous contrôle éthiopien pendant encore un siècle. Mais vers 1527, mené par le charismatique imam Ahmed Gragne, l’Adal se révolta et envahit l’Éthiopie avec le soutien de l’Empire ottoman. L’usage des armes à feu permit de conquérir rapidement la moitié de l’Éthiopie jusqu’au Tigré. Les événements sont relatés par l’expédition portugaise de Christophe de Gama, fils de Vasco de Gama, qui se trouvait alors dans la région. Après avoir vainement tenté une médiation entre les deux pays, le Portugal soutint l’Éthiopie chrétienne et lui envoya une expédition militaire. L’Adal fut battu le 21 février 1543 à la bataille de Wayna Daga, où Ahmed Gragne trouva la mort.
La veuve de Gragn épousa Nur ibn Mujahid en échange de sa promesse de venger le roi défunt. Mujahid monta sur le trône et poursuivit les hostilités contre ses ennemis du Nord jusqu’à sa mort en 1567. Entre temps, le Portugal installa une colonie en Somalie. Le sultanat éclata en une multitude d’États indépendants, dont beaucoup avaient un chef somali à leur tête. Saylac devint dépendant du Yémen et fut incorporé à l’empire ottoman.
La région côtière orientale, sur l'Océan Indien, ou Côte de Bénadir, dépend longtemps de l'Empire d'Oman, puis du Sultanat de Zanzibar. La région côtière du nord, sur le golfe d'Aden est davantage en relation avec le Yémen et l'Éthiopie.
Au XIIIe siècle, la dynastie Ajuran fonde un État centralisé dans la vallée du Shebelle. Pour Said Samatar, il s’agit de l’un des rares épisodes de centralisation d’un État pastoral de l’histoire de la Somalie, qui fut plus grand et plus puissant que les villes-États côtiers de Mogadiscio, Merca et Baraawe réunis. Le sultanat Ajuran se désintègre à la fin du XVIIe siècle, sous les attaques portugaises, les dissensions internes et les imitions des tribus nomades du nord. Plus d’un siècle est nécessaire à l’émergence d’un nouvel état, le Sultanat Geledi, autour de la ville d’Afgooye. Entre temps, le sultanat d'Oman repousse les Portugais hors de Somalie, pour prendre le contrôle de la côte de Benadir. Les villes somaliennes restent assez libres de s’autogérer tant qu’elles respectent l’autorité du sultan et paient leur tribut; le rôle du gouverneur omani à Mogadiscio, Merca et Baraawe reste largement honorifique.1
La corne de l'Afrique : un territoire convoité par les puissances impérialistes
Cette péninsule de l’Afrique de l’Est s’étend de la côte sud de la mer Rouge jusqu’à la côte ouest de la mer d’Oman, en passant par le golfe d’Aden et englobe des pays aussi différents - par leur poids démographique, économique et militaire - que l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie et Djibouti. Le Soudan et le Kenya sont parfois considérés comme faisant partie de la Corne.
Par sa situation géographique, la Corne de l’Afrique commande l’entrée de la mer Rouge, le canal de Suez et l’ensemble du trafic commercial qui passe encore par cette route maritime. La découverte de pétrole dans la région vient aiguiser encore l’intérêt économique de la Corne de l’Afrique. Mais cette dernière est aussi un avant-poste et une zone carrefour, où chaque grande puissance considère de son intérêt politique majeur de s’en assurer le contrôle par gouvernements et dictateurs locaux interposés. C’est ainsi que les puissances impérialistes française, anglaise, italienne et américaine n’ont jamais cessé de viser à y assurer leur influence politique, avec un succès variable selon les périodes. Celles-ci ont divisé les populations. Elles ont créé des fossés de sang et généré des haines profondes entre les peuples de l’Est africain. Tout comme dans le reste du continent d’ailleurs. Les conflits qui ensanglantent la Corne de l’Afrique aujourd’hui sont les produits directs de l’intervention des grandes puissances impérialistes.
Depuis la colonisation à la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe, les grandes puissances impérialistes rivales se sont affrontées sur le terrain pour contrôler cette Corne de l’Afrique considérée comme la clé de l’océan Indien et le verrou de la mer Rouge. Français et Britanniques s’implantèrent dans cette partie de l’Afrique pour surveiller la route de l’Extrême-Orient. En 1887, la Grande-Bretagne fut la première à accaparer une partie de la côte des Somalis en y établissant un protectorat : le Somaliland, le nord de la Somalie actuelle. Puis la France occupa l’actuel Djibouti. L’Italie enfin s’attaqua à l’Éthiopie, l’un des seuls États africains, avec le Liberia, à ne pas avoir été colonisé au XIXe siècle. Elle pensait ne faire qu’une bouchée des troupes de l’empereur Ménélik II. Mais en 1896, à Adoua, l’armée italienne subit une écrasante défaite.
Cette première défaite d’une armée européenne moderne en Afrique stoppa net les velléités de conquêtes coloniales de l’Italie de Crispi, qui se contenta de gérer une colonie en Érythrée (1890) et d’asseoir un protectorat au sud de la Somalie (1905). En 1935-1936, l’Italie fasciste de Mussolini entreprit une nouvelle guerre sanglante de conquête contre l’Éthiopie, qui devint alors l’empire italien d’Éthiopie ou encore l’Africa Orientale Italiana (AOI), l’Afrique orientale italienne. Son dirigeant, l’empereur Haïlé Sélassié, se réfugia en Europe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’impérialisme britannique profita des revers de l’armée italienne pour mettre la main, en 1941, sur les colonies de l’Italie et pour les placer sous l’autorité de son administration militaire.
De la seconde guerre mondiale à la guerre froide
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique contrôlait donc l’ensemble de la région. Il entendait fonder une Grande Somalie, regroupant les territoires de la Somalie britannique, de la Somalie italienne et de l’Ogaden, une province éthiopienne peuplée en majorité de Somalis. Il se heurta à l’opposition de l’empereur Haïlé Sélassié qui, de retour sur son trône, reçut le soutien des États-Unis, intéressés par le pétrole trouvé en Ogaden et qui voyaient là également la possibilité de s’installer dans une région stratégique. Les États-Unis firent obstacle au projet britannique. En 1948, les troupes anglaises durent évacuer l’Ogaden, qui demeura province éthiopienne. En 1950, elles durent aussi quitter les territoires de l’ex-Somalie italienne pour laisser la place à l’Italie - l’ancienne puissance coloniale - à qui l’ONU venait d’accorder le soin d’administrer la Somalie pendant dix ans sous prétexte de la préparer à son indépendance, prévue pour 1960 ! Peu de temps après avoir accédé à l’indépendance, en 1964, la Somalie déclenchait une guerre contre l’Éthiopie afin de récupérer la province de l’Ogaden, guerre qui se solda par un échec suivi, en octobre 1969, par un coup d’État portant au pouvoir le général Siyaad Barre. Tournant désormais le dos aux États-Unis, celui-ci instaurait sa dictature sur la Somalie avec l’appui et l’aide - financière et militaire - de l’URSS qui, à l’époque, cherchait à accroître son influence dans la Corne de l’Afrique.
Fortes de ce soutien, les troupes somaliennes envahirent de nouveau l’Ogaden en 1977, menaçant cette fois le tout nouveau régime éthiopien du dictateur Haïlé Mariam Mengistu. Celui-ci était enlisé dans une guerre meurtrière contre les forces sécessionnistes de l’Érythrée. Trois ans plus tôt, en septembre 1974, Mengistu avait en effet renversé le vieil empereur Haïlé Sélassié et privé ainsi les États-Unis d’un allié de poids dans la région. Car Mengistu décidait lui aussi de rechercher les appuis militaires dont il avait besoin du côté de la bureaucratie soviétique, qui envoya alors en Éthiopie plusieurs milliers de conseillers militaires.
Retournement spectaculaire d’alliances et dérive mafieuse de la Somalie
Dans le conflit qui opposait désormais deux de ses protégés, la bureaucratie soviétique fit le choix de soutenir Mengistu à la tête de l’Éthiopie, le pays le plus puissant de cette partie du continent africain, le plus peuplé aussi et dont le rôle s’avérait capital pour toute la région. Elle lâcha donc Siyaad Barre et apporta son soutien à l’Éthiopie, qui put chasser les troupes somaliennes de l’Ogaden en 1978. Siyaad Barre se retourna alors vers les États-Unis, avec lesquels fut signé un accord militaire en 1980.
Peu à peu, la dictature en Somalie de Siyaad Barre subit une dérive mafieuse et clanique qui n’avait pas d’autre objectif que de s’enrichir sur la misère de la population grâce au pouvoir. À la tête du pays, la corruption devint générale tandis que l’État accordait des concessions à de grands propriétaires fonciers, spoliant et ruinant la paysannerie. Tortures et assassinats d’opposants devinrent la règle, tandis que la paysannerie était maintenue dans un état de terreur et d’oppression par les militaires au pouvoir. Le pays fut mis en coupe réglée par les clans proches du dictateur, qui n’hésitaient pas à détourner en particulier l’aide alimentaire internationale pour leur compte.
La chute du dictateur somalien Siyaad Barre
Au cours des années quatre-vingt, nouvelle guerre civile. Les clans du Nord, réunis dans un Mouvement national somalien (MNS), engagèrent une guérilla contre la dictature de Siyaad Barre. Cette rébellion fut suivie bientôt par une autre, au sud de la Somalie, dirigée par d’autres clans regroupés au sein du Congrès de la Somalie unifiée (CSU). Les milices de ce Congrès s’emparèrent de Mogadiscio en janvier 1991, entraînant la chute du dictateur. Mais dès mai 1991, le nord du pays se déclara indépendant et prit le nom de Somaliland, dans le cadre des anciennes frontières coloniales. Toujours au nord, à l’extrême pointe de la Corne de l’Afrique, d’autres clans, contestant la suprématie de ceux qui étaient au pouvoir au Somaliland, créèrent le Puntland indépendant. Le Sud fut mis en coupe réglée par les seigneurs de la guerre. Ces derniers, criminels et trafiquants, rackettaient les populations, pillaient les villages et semaient la désolation dans les campagnes, tout en s’enrichissant du trafic du qat (la drogue locale), du bétail, ou de la piraterie. Le pays sombra dans le chaos et la guerre civile, entraînant l’exode de milliers de personnes.
Cette guerre civile fit 300 000 morts et provoqua le départ de 100 000 personnes qui se réfugièrent au Kenya, à Djibouti, en Érythrée, voire même en Éthiopie. La Somalie est aujourd’hui découpée en plusieurs territoires respectant les limites des anciennes frontières coloniales. Le Somaliland et le Puntland, deux pays dépourvus de reconnaissance internationale, survivent sous la férule de dictateurs locaux.
La politique de l’impérialisme américain en Somalie : de l’intervention directe en 1992…
En décembre 1992, prenant prétexte de la famine qui menaçait, le gouvernement américain lança sous l’égide de l’ONU une opération prétendument humanitaire appelée Restore Hope, c’est-à-dire Rétablir l’espoir. Ce fut en fait une intervention militaire. Se considérant en terrain conquis, les 22 000 Marines semèrent la terreur parmi la population sans inquiéter vraiment les chefs de guerre qui contrôlaient Mogadiscio. L’état-major américain chercha à se concilier les bonnes grâces de ceux d’entre eux qui étaient susceptibles de devenir des gouvernants à sa botte. C’est ainsi que les seigneurs de la guerre continuèrent à faire la loi dans les quartiers de Mogadiscio comme dans le reste du pays, tandis que la population somalienne devenait de plus en plus hostile à l’occupation militaire américaine. En juin 1993, des soldats de l’ONU furent massacrés par le général Mohammed Aïdid, l’un des principaux chefs de guerre qui contrôlaient la capitale. En octobre de la même année, l’armée américaine tenta de le capturer mais l’opération tourna au fiasco, causant la mort de plusieurs centaines de Somaliens, de quelques dizaines de casques bleus malaisiens et de dix-huit Marines. Quand les images des premiers cadavres de soldats américains traînés par une foule hostile parvinrent aux États-Unis, l’opinion publique américaine bascula : l’opération de Bush père tournait au désastre, y compris aux États-Unis où il ne fut pas réélu à la présidence. L’administration de son successeur à la Maison-Blanche, Clinton, retira l’essentiel des troupes de Somalie, tout en ménageant certains seigneurs de la guerre qui pourraient lui être utiles plus tard.
… au soutien de l’intervention éthiopienne en 2007
Ce que l’on appelle les Tribunaux islamiques - dont les milices opposent désormais une résistance aux troupes éthiopiennes - sont nés en réaction aux meurtres et aux exactions des seigneurs de la guerre, à la fin des années quatre-vingt-dix. Ces Tribunaux islamiques sont une véritable nébuleuse politique car ils regroupent à la fois des bandes armées islamistes proches d’Al-Qaïda, des chefs en concurrence avec les seigneurs de la guerre traditionnels, mais aussi des mafieux en tout genre, armés et préoccupés de s’enrichir dans tous les trafics. Cheik Sharif Cheikh Ahmed chercha à unifier ce conglomérat disparate pour en faire une force politique. C’est ainsi que naquit l’Union des Tribunaux islamiques (UTI) dont il prit la tête en 2002.
Armées par l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Érythrée, ces milices islamistes lancèrent une guerre de reconquête de la Somalie. La crainte du gouvernement américain était de voir ces milices islamistes hostiles s’installer à Mogadiscio et constituer une menace pour l’ordre régional. Pour s’opposer à leur avance, les États-Unis et la CIA firent le choix de s’appuyer sur les seigneurs de la guerre qu’ils avaient combattus en 1992. La CIA finança et approvisionna en armes ces bandits regroupés au sein de l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT). Cette Alliance avait officiellement pour but de combattre les terroristes d’Al-Qaïda ; officieusement, il s’agissait d’écraser militairement les milices islamistes qui gagnaient du terrain.
Parallèlement, le gouvernement américain gardait en réserve une autre carte à jouer si les choses tournaient mal : le Gouvernement fédéral de transition, présidé par Abdullahi Yusuf Ahmed, un homme à la botte des États-Unis. Installé à Baïdoa, une ville somalienne proche de la frontière éthiopienne, ce gouvernement bénéficiait d’une double protection : américaine et éthiopienne.
Remis en selle de façon inespérée par la CIA, les seigneurs de la guerre tentèrent cependant de tirer leur propre épingle du jeu et cherchèrent à se frayer une voie entre un gouvernement somalien sans réel poids politique et des adversaires islamistes, bien plus coriaces. Mais, honnis par la population somalienne pour leurs exactions, les seigneurs de la guerre de l’ARPCT furent définitivement écrasés par les milices islamistes, en juin 2006. Contrôlant alors la majorité du pays, les forces armées des Tribunaux islamiques lancèrent une offensive sur Baïdoa. Le chef des islamistes somaliens imposa la charia à la population (la loi islamique), proclama la « guerre sainte » contre les États-Unis et l’Éthiopie, et annonça sa ferme intention de récupérer l’Ogaden, province éthiopienne peuplée de Somalis, pomme de discorde entre les deux pays depuis des décennies.
Cette victoire des milices des Tribunaux islamiques inquiéta sérieusement l’administration Bush par les conséquences qu’elle pouvait entraîner en Somalie d’abord, et, ensuite, auprès de ses alliés éthiopiens et kenyans. Le gouvernement américain tenta alors un rapprochement avec ces mêmes dirigeants islamistes qu’il avait combattus la veille, organisa à plusieurs reprises des négociations entre les différents belligérants, mais sans succès. Se refusant à prendre le risque d’un fiasco comparable à celui subi en 1992, le gouvernement américain opta pour l’envoi en Somalie de supplétifs éthiopiens à qui il donna son aval pour intervenir. Le régime éthiopien de Méles Zenawi, qui tire de substantiels bénéfices, financiers et militaires, de la protection américaine, ne se fit pas prier pour régler leur compte aux islamistes somaliens. Fin décembre 2006 et début janvier 2007, chars et soldats éthiopiens envahirent donc la Somalie, appuyés par l’aviation américaine qui bombarda à plusieurs reprises les positions islamistes. Après de violents combats qui firent plusieurs milliers de morts, l’armée éthiopienne mit en déroute les Tribunaux islamiques, reprit le contrôle des principales villes de Somalie, et surtout de la capitale Mogadiscio, où elle installa le gouvernement fédéral de transition somalien.
Ce gouvernement fantoche ne devait sa survie qu’à la bienveillance de ses puissants protecteurs éthiopiens et américains. Sur fond de combats permanents, la conférence de réconciliation nationale - orchestrée par les États-Unis - s’est soldée par un échec, à Mogadiscio du 15 juillet au 30 août 2007. En marge même de cette conférence, un puissant chef de clan a été assassiné. Quelques mois plus tôt, c’était le Premier ministre du gouvernement somalien, Ali Mohammed Gedi, qui échappait de justesse à un attentat. C’est dire le chaos qui régnait dans la capitale somalienne et dans tout le pays.2
Le 29 décembre 2008, le président Abdullahi Yusuf Ahmed annonce sa démission, déclarant qu'il regrette n'avoir pas pu mettre fin au conflit somalien. Le Parlement, réuni à Djibouti en raison du désordre en Somalie, élit alors Sharif Sheikh Ahmed, ancien dirigeant de l'Union des tribunaux islamiques, à la présidence de la République3. Mais aujourd'hui, tous les territoires restent morcelés en fonction des rapports de force entre les seigneurs de guerre, islamistes ou pas.
Depuis 2007, Al-Shabaab, qui a introduit la tactique des attentats-suicides en 2008, est le principal groupe radical qui lutte contre les institutions de transitions. Il est allié à la coalition Hizbul Islam (en), formée en février 2009 et qui comprend l'Alliance pour la relibération de la Somalie de Hassan Dahir Aweys, et qui a déclaré la guerre au gouvernement de Sharif Ahmed.4
Une zone d’intervention des États-Unis
Bien qu’il ait connu plus d’un revers dans la région, le gouvernement américain maintient coûte que coûte sa présence dans une zone qu’il n’a jamais vraiment quittée et où il n’a de cesse de renforcer sa présence sous couvert, cette fois, de lutter contre le terrorisme international et les réseaux d’Al-Qaïda, présents en Somalie. Selon le gouvernement Bush et la CIA, la Somalie serait un nouvel Afghanistan et abriterait les auteurs des attentats antiaméricains de Nairobi, au Kenya, en 1998 et de Dar-Es-Salaam en Tanzanie, la même année. En installant une base militaire en République de Djibouti, la seule sur le continent africain, le gouvernement américain piétine certes au passage le principal pré carré de son allié français dans la Corne de l’Afrique, mais entend ainsi être à pied d’œuvre pour mieux contrôler la région et surveiller les routes maritimes du pétrole, avoir un regard sur la mer Rouge, la péninsule arabique, le golfe Persique et l’océan Indien. Et intervenir militairement le cas échéant.
Le conflit somalien peut à tout moment se propager à l’ensemble de la Corne de l’Afrique. Cette région du monde est une véritable poudrière, dans laquelle les barils de poudre ont été entassés par les grandes puissances impérialistes concurrentes depuis plus d’un siècle. Ces dernières années, l’Égypte et le Yémen ont armé le Gouvernement fédéral de transition somalien, qui a fait allégeance à l’Éthiopie et aux États-Unis. Pour leur part, les Tribunaux islamiques ont reçu le soutien financier et militaire de l’Iran, de l’Arabie saoudite et surtout de l’Érythrée. Pour s’opposer à l’Éthiopie pro-américaine avec qui elle est en conflit permanent, l’Érythrée a armé les Tribunaux islamiques à plusieurs reprises.
Une poudrière mise en place par les puissances impérialistes
Les grandes puissances impérialistes portent l’entière responsabilité du conflit somalien. La situation actuelle est le résultat conjugué du poids des interventions du passé - anglaises, italiennes et françaises - et présentes - américaines mais aussi françaises à Djibouti. Dernière puissance arrivée sur le continent africain, la Chine s’illustre par une politique agressive tous azimuts à la conquête des richesses pétrolières du sous-sol africain, soutenant politiquement et militairement (en vendant des armes) les dictatures de la région, de l’Éthiopie au Soudan. Ravagée par la guerre civile depuis plus de quinze ans, la Somalie a été - et est toujours - le théâtre de toutes les manœuvres politico-militaires de l’administration américaine qui, tour à tour, a soutenu les dictatures les plus sanglantes de Siyaad Barre à celles des seigneurs de la guerre, s’alliant avec tel clan, combattant tel autre, finançant tel chef de guerre lui ayant fait allégeance, combattant les Tribunaux islamiques pour ensuite chercher à négocier avec eux en fonction du rapport de forces sur le terrain, bien sûr toujours au gré des intérêts économiques américains et de calculs politiques sur la région.
Créant des frontières artificielles entre les populations, jetant les armées les unes contre les autres, instillant la haine entre les peuples, entretenue ensuite par les cliques nationalistes au pouvoir, l’impérialisme américain ne fait que continuer une politique initiée bien avant lui par les anciennes puissances coloniales, anglaise, française et italienne, au XIXe puis au XXe siècles. L’état de pauvreté endémique et de guerre permanente entre les États de la Corne de l’Afrique laisse le champ libre à la politique interventionniste des puissances impérialistes rivales. Ces dernières voulaient asseoir leur domination dans la région, afin de contrôler cette zone stratégique, carrefour de toutes les routes commerciales puis pétrolières, de la fin du XIXe siècle à la seconde moitié du XXe. Puis avec les années soixante-dix vint l’heure des affrontements violents entre la bureaucratie soviétique et l’impérialisme américain. Aujourd’hui, ce dernier renforce sa présence dans la Corne de l’Afrique, toujours pour les mêmes raisons stratégiques. À chaque fois, les populations de l’Est africain ont payé au prix fort la politique d’intervention des grandes puissances impérialistes dans la région : un prix fait de larmes et de sang.5
Crise alimentaire de 2011 dans la Corne de l'Afrique
La famine de 2011 dans la Corne de l'Afrique est une famine qui concerne plusieurs régions de la Corne de l'Afrique suite à une sécheresse affectant la région est-africaine. La sécheresse, dite « la plus sèche depuis 60 ans », engendre une crise alimentaire en Somalie, en Éthiopie ainsi qu'au Kenya, et menace la vie de plus de 10 millions d'individus. D'autres pays, dans et en dehors, de la Corne de l'Afrique, incluant Djibouti, le Soudan, le Soudan du Sud et quelques régions de l'Ouganda, sont également affectés par la crise alimentaire.
Au début du mois de juillet, Famine Early Warning Systems Network (FEWS-Net) déclare l'état d'urgence pour le sud de la Somalie, le sud-ouest de l'Éthiopie, ainsi que le nord-est du Kenya, pays dans lesquels les conditions actuelles sont très préoccupantes. Le 20 juillet, les Nations unies remarquent un manque grave de nourriture dans plusieurs régions de la Somalie, la première fois depuis la famine en Éthiopie de 1984. Une dizaine de milliers d'individus sont morts dans le sud de la Somalie avant que l'opinion publique occidentale ne prenne conscience de la catastrophe en cours. Un bon nombre d'appels locaux et internationaux pour une aide alimentaire ont été lancés mais la guerre civile somalienne ainsi que la lenteur de réaction de la communauté internationale compliquent son arrivée. Après six mois de crise, l'Organisation des Nations unies déclare la fin de la famine début 2012.6
Quelles sont les causes de la famine ?
Nous vivons dans un monde d’abondance. Selon les chiffres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), on produit aujourd’hui de la nourriture pour 12 milliards de personnes, alors que la planète compte 7 milliards d’êtres humains. De la nourriture, il y en a. Alors pourquoi dans ce cas une personne sur sept dans le monde souffre de la faim ?
La menace alimentaire qui touche plus de 10 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique remet en lumière la fatalité d’une catastrophe qui n’a pourtant rien de naturelle. Sécheresses, inondations, conflits armés... tout cela contribue à aggraver une situation d’extrême vulnérabilité alimentaire, mais ce ne ce sont pas les seuls facteurs explicatifs.
La situation de famine dans la Corne de l’Afrique n’est pas une nouveauté. La Somalie vit une situation d’insécurité alimentaire depuis 20 ans. Et, périodiquement, en cas de grande famine, les médias nous remuent de nos confortables divans en nous rappelant l’impact dramatique de la faim dans le monde. En 1984, près d’un million de morts en Éthiopie ; en 1992, 300.000 somaliens ont perdu la vie à cause de la faim ; en 2005, près de cinq millions de personnes au bord de la mort au Malawi, pour ne citer que quelques cas.
La faim n’est pas une fatalité inévitable qui affecterait seulement certains pays. Les causes de la faim sont politiques. Qui contrôle les ressources naturelles (terres, eau, semences) qui permettent la production de nourriture ? À qui profitent les politiques agricoles et alimentaires ? Aujourd’hui, les aliments sont devenus une marchandise et leur fonction principale, nous nourrir, est mise à l’arrière plan.
On pointe du doigt la sécheresse, avec les pertes de récoltes et de bétail consécutives, comme l’une des principales explications de la famine dans la Corne de l’Afrique. Mais alors comment expliquer que des pays tels que les États-Unis ou l’Australie, qui subissent régulièrement de graves sécheresses, ne souffrent pas de famines extrêmes ? Évidement, les phénomènes météorologiques peuvent aggraver les problèmes alimentaires, mais ils ne suffisent pas à expliquer les causes de la faim. En ce qui concerne la production d’aliments, le contrôle des ressources naturelles est la clé pour comprendre pour qui et pourquoi on les produits.
Dans plusieurs pays de la Corne de l’Afrique, l’accès à la terre est un bien rare. L’achat massif de sols fertiles de la part d’investisseurs étrangers (agro-industrie, gouvernements, fonds spéculatifs...) a provoqué l’expulsion de milliers de paysans de leurs terres, diminuant ainsi leur capacité à satisfaire leurs propres besoins alimentaires de manière autonome. Ainsi, tandis que le Programme Mondial Alimentaire tente de nourrir des milliers de réfugiés au Soudan, des gouvernements étrangers (Koweït, Émirats arabes unis, Corée...) y achètent des terres pour produire et exporter des aliments pour leurs propres populations.
Il faut également rappeler que la Somalie, malgré les sécheresses récurrentes, était un pays autosuffisant dans la production d’aliments jusqu’à la fin des années 1970. Sa souveraineté alimentaire a été mise en pièce au cours des trois décennies suivantes. À partir des années 1980, les politiques imposées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale pour que le pays puisse rembourser sa dette au Club de Paris se sont traduites par l’imposition d’un ensemble de mesures d’ajustement. En ce qui concerne l’agriculture, ces dernières impliquaient une politique de libéralisation commerciale et d’ouverture des marchés, permettant ainsi l’entrée massive de produits subsidiés - comme le riz et le blé - des multinationales agro-industrielles nord-américaines et européennes, qui ont commencé à vendre leurs produits en dessous de leur prix de production, faisant ainsi une concurrence déloyale aux produits autochtones.
Les dévaluations périodiques de la monnaie somalienne ont également provoqué une hausse des prix des intrants agricoles tandis que la politique en faveur des monocultures pour l’exportation a progressivement forcé les paysans à abandonner les campagnes. La même chose s’est produite dans d’autres pays, non seulement en Afrique, mais aussi en Amérique latine et en Asie.
La montée des prix des céréales de base est un autre des éléments désignés comme détonateurs des famines dans la Corne de l’Afrique. En Somalie, les prix du maïs et du sorgho rouge ont respectivement augmenté de 106 et 180% en un an. En Éthiopie, le coût du blé a augmenté de 85% par rapport à 2010. Et au Kenya, la valeur du maïs a augmenté de 55% en un an. Des hausses qui ont rendus ces aliments inaccessibles.
Mais quelles sont les raisons de cette escalade des prix ? Plusieurs indices pointent la spéculation financière sur les matières premières alimentaires. Les prix des aliments sont déterminés dans les Bourses de valeurs, dont la plus importante, à l’échelle mondiale, est celle de Chicago, tandis qu’en Europe les aliments sont commercialisés dans les marchés à terme de Londres, Paris, Amsterdam et Francfort. Mais, aujourd’hui, la majeure partie de l’achat et de la vente de ces marchandises ne correspond pas à des échanges commerciaux réels.
On estime, d’après Mike Masters, responsable du fonds de pension Masters Capital Management, que 75% des investissements financiers dans le secteur agricole sont de caractère spéculatif. On achète et on vend des matières premières dans le but de spéculer avec elles en faisant un profit qui se répercute finalement dans l’augmentation du prix de la nourriture pour le consommateur final. Les mêmes banques, fonds à hauts risques, compagnies d’assurances, qui ont provoqué la crise des “subprimes” sont celles qui spéculent aujourd’hui avec la nourriture, profitant de marchés globaux profondément dérégulés et hautement rentables.
La crise alimentaire à l’échelle globale et la famine dans la Corne de l’Afrique en particulier sont les fruits de la globalisation alimentaire au service des intérêts privés. La chaîne de production, de distribution et de consommation des aliments est entre les mains d’une poignée de multinationales qui placent leurs intérêts particuliers au dessus des nécessités collectives. Tout au long de ces dernières décennies, elles ont miné, avec le soutien des institutions financières internationales, la capacité des États du sud à décider sur leurs politiques agricoles et alimentaires.
Revenons au début. Pourquoi la faim existe-t-elle dans un monde d’abondance ? La production d’aliments a été multipliée par trois depuis les années 1970, tandis que la population mondiale n’a fait que doubler depuis lors. Nous ne sommes donc pas face à un problème de production de nourriture, mais bien devant un problème d’accès à la nourriture. Comme le soulignait le rapporteurs de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, dans une interview au journal “El Pais” : “La faim est un problème politique. C’est une question de justice sociale et de politiques de redistribution”.
Si nous voulons en finir avec la faim dans le monde, il est urgent d’opter pour d’autres politiques agricoles et alimentaires qui mettent au centre de leur préoccupation les personnes et leurs besoins, ceux qui travaillent la terre et l’écosystème. Il s’agit de parvenir à ce que le mouvement international Via Campesina appelle la “souveraineté alimentaire”, et de récupérer la capacité de décider sur ce que nous mangeons. En reprenant un des slogans les plus connus du Mouvement du 15-M : “une démocratie réelle, maintenant” dans l’agriculture et l’alimentation est nécessaire.7
L’ONU et les 250 000 morts somaliens
Par Thomas C. Mountain. Le 29 mai 2013.
L'ONU a annoncé qu'au moins 250 000 Somaliens étaient morts de faim entre 2010 et 2012, notamment au cours de la grande sécheresse qui a sévi dans de la corne de l'Afrique.
Les victimes se comptent surtout parmi les déplacés internes, qui pour la plupart ont fui devant l'invasion militaire et l'occupation du sud de la Somalie par l'Armée éthiopienne, avec le soutien de l'ONU, puis par les "soldats de maintien de la paix" de l'Union africaine, actuellement au nombre de 25 000.
Dans mon dernier article consacré à la famine en Somalie, j'ai mentionné les 10 cents par jour et par réfugié somalien prévus par l'ONU. C'est ce que l'on appelle une insuffisance budgétaire, synonyme de "nous souhaitons aider, mais n'en avons pas les moyens".
Or, pendant la grande famine qui s'est abattue sur le peuple somalien, l'ONU et ses grands patrons occidentaux ont consacré plus d'un milliard de dollars aux opérations militaires de "maintien de la paix" dans ce qui reste du pays.
Un milliard pour la guerre et 250 000 personnes qu'on laisse mourir de faim ?
Pour mieux comprendre, peut-être faut-il savoir que l'UNICEF, la plus grande "ONG" d'aide alimentaire de l'ONU en Somalie, est dirigée par Anthony Lake, ancien conseiller américain à la sécurité nationale et candidat à la direction de la CIA. C'est lui qui a déclaré en 1994, alors qu'il était en charge du dossier en tant que bras droit de Bill Clinton, avoir entière connaissance des meurtres commis en masse au Rwanda, mais regretter de ne rien pouvoir y faire. De la CIA à l'UNICEF ? Doit-on s'étonner d'une grande famine en Somalie sous sa présidence ?
Aujourd'hui (en mai 2013), les médias occidentaux relaient la propagande en commentant que "la paix et de la démocratie réapparaissent pour la première fois depuis une génération en Somalie". Ils oublient que les Somaliens ont eux-mêmes ramené la paix à Mogadiscio en 2006 avant de voir l'invasion éthiopienne la faire voler en éclats avec le soutien de l'ONU.
Les chaînes d'information télévisées focalisent sur quelques Somaliens rassurants qui débitent une rhétorique selon laquelle les Somaliens tiennent les rênes, mais si elles tournaient légèrement les caméras, on pourrait voir les "gardiens de la paix" armés jusqu'aux dents par une ONU, avec la collaboration d'États placés sous la dictature des banques.
Le fait est qu'aucun pouvoir, aussi fort soit-il, ne peut ramener la paix en Somalie. Seuls les Somaliens eux-mêmes en sont capables, sans parler de leurs propres problèmes. En 2006, l'Union des tribunaux islamiques y est parvenue pour la première fois en 15 ans, bien en vain pourtant au vu de l'intervention armée ordonnée par les États-Unis et à leurs sbires de l'ONU. Financé et dirigé de l'extérieur, ce conflit armé continue à arracher des centaines de milliers de Somaliens à leurs terres pour les laisser mourir de faim avec les 10 cents par jour de l'ONU.
Pendant ce temps, les armes en provenance de l'Occident continuent d'affluer en Somalie et la Pax Americana cherche même à faire lever toutes les restrictions au nom de la "guerre contre le terrorisme". Il s'agit plutôt d'une guerre de la terreur, une guerre contre le peuple somalien, dont la principale malchance est de vivre coincé à la pointe même de la Corne de l'Afrique, pile en face de la "porte des lamentations", Bab-el-Mandeb, où l'Océan Indien communique avec la Mer Rouge en un couloir de navigation à travers lequel les principales puissances économiques mondiales acheminent leurs marchandises.
Relater les crimes massifs perpétrés par l'ONU en Afrique de l'Est devient insupportable. Pourtant, lorsque celle-ci envoie ses représentants annoncer au monde que 250 000 Somaliens sont morts de faim au cours des trois dernières années, il n'est plus possible de fermer les yeux et de ne rien dire.8
Piraterie autour de la Corne de l'Afrique
La piraterie autour de la corne de l'Afrique essentiellement composée de pirates Somaliens a pris la forme d'attaques de navires, de pillages et d'enlèvements en mer à partir de 2005 . Elle est devenue une menace pour le transport maritime international et de nombreuses organisations internationales, l'Organisation maritime internationale (IMO) et le Programme alimentaire mondial notamment, ont exprimé leur préoccupation devant l'augmentation de la fréquence des actes de piraterie. En réponse à la fréquence de ces actes, des bâtiments militaires de l'OTAN, russes, indiens, chinois et sud-coréens ont été mobilisés. Ils sillonnent la zone et escortent certains navires tandis que des gardes armées sont embarqués sur des navires civils.
Les pirates justifient leurs actions en se présentant comme des « gardes-côtes » protégeant le littoral somalien des prédations des chalutiers occidentaux et des pollutions toxiques.
Selon les estimations de la banque mondiale, les rançons ont rapportés aux pirates et leurs commanditaires entre « 339 et 413 millions de dollars d'avril 2005 à décembre 2012 ».
Les causes
La piraterie maritime en Somalie fait intervenir une pluralité de facteurs explicatifs reposant chacun sur un modèle d’interprétation théorique.
- Une première lecture politique avance la thèse que la piraterie somalienne s’appuie sur l’absence d’État, celui-ci ne pouvant lutter contre la criminalité s’exerçant sur son territoire.
- Une deuxième lecture économique considère de son côté que la piraterie en Somalie aurait pour origine la surpêche étrangère de laquelle découlerait la pauvreté des populations locales.
- Une troisième lecture géographique montre que la piraterie somalienne existe car elle bénéficie d’une route commerciale maritime facilement accessible.
- Une quatrième lecture culturelle défend la thèse selon laquelle la piraterie somalienne serait une pratique déterminée par la tradition du pays.
Après l'effondrement de l'état somalien en 1991, les eaux de ce pays privé de marine et de garde-côtes ont été l'objet de pêche illégale par des chalutiers (notamment italiens, français, grecs, espagnols et japonais) intéressés par des eaux riches en thons et crustacés. Des entreprises ont déversé dans ces eaux, et aussi sur les terres, des déchets toxiques, dont le tsunami de 2004 a ramené sur les côtes des fûts. Dénoncés en sourdine par le PNUE en 1992, ces faits ont été avérés par un rapport du PNUE de 2005.
Organisation et modus operandi de la piraterie
En 2011, on estime à 2 200 le nombre de pirates répartis en une quinzaine d'investisseurs, une cinquantaine d'organisateurs et une centaine de chefs d'équipe qui dirigent 2 000 hommes.
Les pirates sont initialement généralement issus de l’ancienne marine ou des gardes-côtes somalienne ou sont souvent d'anciens pêcheurs et disposent d'un armement individuel relativement puissant (fusil d'assaut AK-47 et RPG-7 le plus souvent). Ils appartiennent souvent à des clans ou des villages, comme Eyl, qui leur donnent refuge. Avec l'augmentation de l'activité des groupes, on note la présence d'étrangers parmi les équipages des navires pirates (yéménites, Kenyans ou disant être des anciens militaires britanniques).
Ils utilisent de petites embarcations rapides pour se lancer à l'abordage de leur cibles, lancées, lors d'attaques en haute mer depuis un navire-base. Dans la plupart des cas, la cible, si elle n'a pas réussi à s'échapper est détournée vers la côte et son équipage pris en otage jusqu'à ce qu'une rançon soit versée par l'armateur ou sa compagnie d'assurance. Selon le Major-General Buster Howes, commandant la mission Atalanta, les pirates torturent leurs otages et les utilisent comme boucliers humains.
Jusqu’en 2007, les bases de départ de la piraterie somalienne se concentraient essentiellement dans la région côtière de Mogadiscio. Un rapport des Nations Unies indique même que des responsables du port de Mogadiscio auraient transmis à des pirates des informations visant à faciliter des abordages de navires. Mais il semble que les combats continus dans cette région nuisent à leur activité. D’où un déplacement de l’activité de piraterie plus au Nord, principalement dans la région semi-autonome du Puntland. C’est le cas notamment des ports de Boosaaso, de Eyl et de Garacad.
Leur zone d'activité est en 2009 de plus en plus étendue, les pirates frappant jusqu'à 1 000 kilomètres des côtes de la Tanzanie et dans la Zone économique exclusive des Seychelles. En 2010, l'attaque la plus à l'est a eu lieu le 27 octobre 2010, à 350 milles à l’ouest du district de Dakshina Kannada en Inde et une attaque le 3 novembre 2010, semble être la plus sud enregistrée.
Depuis septembre 2011, on assiste à des attaques à terre pour enlever des ressortissants étrangers au Kenya.
L'activité des pirates a chuté de 60 % dans les six premiers mois de 2012 par rapport à la même période de 2011, passant de 163 incidents à 69. En 2009, l’année la plus fructueuse pour les pirates somaliens, un navire attaqué sur 3 était capturé et son équipage retenu en otages. À la fin de 2011, ce chiffre était tombé à un sur 20 pour les prises les plus grosses, dont la plupart embarque désormais des équipes de sécurité privées.9
La Somalie ravagée
Une fois de plus Mogadiscio a été le théâtre d’attentats barbares : le 14 octobre 2017, deux camions piégés ont décimé deux quartiers populaires. Le bilan fait état d’au moins 276 morts et 300 blessés. Les auteurs de ces attentats seraient les shebab, une nébuleuse djihadiste proche d’Al Qaida.
La Somalie est régulièrement le théâtre d’attentats perpétrés par les shebab faisant des milliers de victimes. La répression du gouvernement somalien et l’intervention des Etats-Unis à ses côtés n’y ont rien changé, au contraire.
Depuis des années les bandes djihadistes et les foyers de guerre se multiplient. Les populations sont, du coup, prises en étau entre les milices islamistes et les troupes d’intervention militaire des grandes puissances. La barbarie des uns alimente la barbarie des autres.10
Éthiopie et Somaliland, l'accord de la discorde
Le nouvel accord entre l’Éthiopie et le Somaliland, signé le 1er janvier 2024, attise les discordes récurrentes dans la corne de l’Afrique, accentuant l’instabilité du trafic sur la mer Rouge.
Abiy Ahmed, dirigeant de l’Éthiopie, a choisi le premier jour de l’année pour annoncer la signature d’un mémorandum d’accord avec le Somaliland, une entité de la Somalie qui a fait sécession en 1991 et non reconnue par la communauté internationale.
Préoccupations convergentes
Cet accord non publié offre à l’Éthiopie l’accès au port de Berbera ainsi que l’installation d’une base navale. En échange, le Somaliland bénéficie d’une reconnaissance officielle d’État. Cet accord tend à répondre aux préoccupations des deux entités. Pour l’Éthiopie, pays enclavé, la question du débouché sur la mer est considérée comme existentiel. Sa séparation avec l’Érythrée en 1993 l’a privé de l’accès à la mer. L’Éthiopie dépend donc à 95 % du port de Djibouti, d’où sa volonté de diversification. Pour le Somaliland, être reconnu comme État par un grand pays d’Afrique est une victoire diplomatique.
Cet accord a été fortement critiqué par la Somalie qui dénonce une atteinte à sa souveraineté, et par l’Union africaine. Cette dernière a pour principe intangible la reconnaissance des frontières issues de la période coloniale afin d’éviter les conflits incessants entre pays. S’il y a eu des sécessions, c’est le cas de l’Érythrée et du Sud Soudan, elles ont été le fruit d’une entente avec les pays de rattachement.
Nouvelles alliances
Devant la forte opposition, l’Éthiopie tente de modérer la portée de ce traité. Elle souligne qu’elle est disposée à étudier positivement la demande de reconnaissance du Somaliland. Certes ce n’est pas le premier contrat entre le Somaliland et l’Éthiopie ou d’autres pays. Le changement est l’installation d’une base navale militaire éthiopienne.
L’Afrique de l’Est est frappée par une série de conflits internes, au Sud Soudan, au Soudan, en Somalie, en Éthiopie dans lesquels s’immiscent d’autres pays. Cet accord redessine les alliances qui s’étendent au-delà de la corne de l’Afrique en intégrant les puissances du Golfe. Si les États arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite sont ensemble dans la guerre contre les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen, leur concurrence reste vive. Elle porte entre autres sur l’accès aux terres arables africaines, le leadership sur la mer Rouge et la diplomatie. Ainsi l’Arabie saoudite a choisi de signer un accord avec l’Iran et joue les médiateurs dans le conflit soudanais alors que les EAU soutiennent un des belligérants. Le risque est que les tensions dans cette partie de l’Afrique soient exacerbées sous la pression des pays du Moyen-Orient. Déjà des alliances se forment avec d’une part les EAU, l’Éthiopie, le Somaliland, la milice soudanaise de Hemedti, et de l’autre l’Arabie saoudite, la Somalie et l’Égypte.
Ces rivalités créées par les dirigeants entraînent les populations dans des conflits fratricides aux conséquences humanitaires désastreuses au détriment d’un vrai combat : celui contre la famine provoquée par les guerres et le changement climatique.11
Économie de la Somalie
Depuis le début des années 1990, la guerre civile entrave le développement économique du pays.
Cette économie repose sur l'agriculture et en complément sur l'exploitation des mines de sel. Le pétrole est convoité par de grandes compagnies qui négocient avec les gouvernements en place. Entre 8 et 15 milliards de barils de pétroles sont sous le sol Somalien, d'après les recherches12. Le Somaliland dispose de richesses minières et pétrolières, toutes exploitées par Invicta Capital. Cette société est dirigée par Mohammed Yussef et administrée par Lord John Stevens, le conseiller spécial pour le renseignement de l'ancien Premier ministre britannique, Gordon Brown13. L'économie est assistée par l'aide internationale et les rentrées de devises de la diaspora, rentrées évaluées à plus de 60 % du PIB en 2007. En 2001, la Somalie était classée dernière sur la liste des pays par indice de développement humain. Elle n'est plus classée depuis.
Le réseau routier, très important pour le développement de l'économie, est dans un état catastrophique. Les routes, ou ce qu'il en reste, sont dangereuses, et truffées de nids de poules, ou trous. Il est aussi dangereux de s'aventurer sur les routes de Somalie ou sévissent des bandits encadrés par des chefs de guerre. Désormais, pour les déplacements de véhicules, les routes laissent places à de grandes pistes de terre. Au Somaliland, le réseau routier est mieux entretenu, et plus dense, mais avec le manque de devises, il est difficilement entretenu. Il y a des échanges économiques entre le Somaliland et l'Éthiopie, et des camions partent en grands nombres d'Hargeisa vers l'Éthiopie, dont certains pour le commerce du quat ou kat (plante considérée comme une drogue).
Éducation
Depuis 1991, il n'y a plus d'État pour encadrer le système éducatif, l'université de Mogadiscio ne fonctionne plus. Les écoles publiques sont fermées depuis janvier 1991. Quelques écoles privées fonctionnent, surtout à Mogadiscio. Mais le nombre des élèves est limité, les prix des inscriptions sont prohibitifs pour le plus grand nombre des Somaliens. En conséquence, l'analphabétisme reste très élevé, surtout dans l'intérieur du pays, et hors de Mogadiscio, ou sont concentrées les rares écoles. Depuis 1991, au moins 96 % des enfants en âge d'êtres scolarisés ne le sont pas, car le pays est passé à un système de subsistances, où le monde agricole et pastoral compte beaucoup. L'industrie, qui était florissante avant 1991, avec l'aide de l'URSS et de la Chine n'existe presque plus. Il n'y a plus de système d'assurances en Somalie depuis 1991. Au Somaliland le système éducatif reste limité, surtout en milieu rural.
Corruption
En 2010, selon l'enquête de Transparency International, la Somalie avait le plus mauvais indice de perception de la corruption de tous les pays du monde, avec un IPC de 1,1.14
Sources