Le Niger

 

Le Niger hérite de l'histoire de plusieurs grands empires et royaumes africains, qui étaient établis partiellement ou complètement sur l'étendue de son territoire actuel.

 

Les empires

Ce fut d'abord l'empire songhaï, qui naquit et s'étendit dans la région du fleuve, vers l'actuelle frontière nigéro-malienne. La ville de Gao est décrite depuis le VIIIe siècle par les chroniques arabes comme un centre d'échanges entre l'Empire du Ghana et l'Égypte. Il connut son apogée entre le XVe siècle et le XVIe siècle, sous Sonni Ali Ber qui étendit ses frontières jusqu'à Oualata. Il succomba en 1591, sous les coups d'une expédition marocaine.

Ce fut ensuite le royaume du Kanem-Bornou, un des plus vastes d'Afrique qui, sous le règne d'Iriss Alaoma à la fin du XVIe siècle, englobait tout le Kanem, montait jusqu'au Kaouar et à l'Aïr et s'étendait à l'est jusqu'au Ouaddai (Tchad). Après avoir contenu les ambitions Songhaï au XIVe siècle, puis résisté au XIXe siècle aux attaques des Peuls établis dans le Nord de l'actuel Nigeria, il tomba en 1893, après près de dix siècles d'existence, sous les coups de Rabah qui rêvait alors de se tailler un domaine entre le Soudan et le Tchad.

Les territoires constituant le Niger actuel établissent des relations transsahariennes vers le Maroc, par la vallée du Niger et Tombouctou (empires du Mali et du Songhaï), vers la Tunisie (Ifriqiya), à travers le Sahara central, et vers la Libye et l'Égypte par le Fezzan et le Tchad (États haoussas). Cette diversité explique la permanence des deux grands pôles de développement culturel et économique du pays : la vallée du Niger (Niamey) et le bassin du Tchad (Zinder). Chacun de ces royaumes constituait un centre commercial et intellectuel très prospère et était ouvert, dès le XIIIe siècle, à l'islam et à l'écriture arabe. Les Songhaïs exercent une forte influence sur la vallée du fleuve durant la dernière partie du Moyen Âge, tandis que l'empire de Kanem-Bornou domine la frontière orientale.

Le commerce régional porte sur l'échange sel-mil entre le Sahara central riche en gisements de sel et la savane productrice de mil, et sur la noix de cola produite dans les zones forestières. Ses voies de communication sont très tôt pénétrées par les missionnaires musulmans, puis contrôlées par les nomades islamisés (Touareg, Toubou).

À partir du XIe siècle, les Touaregs arrivent par vagues dans l'Aïr, se répandent dans l'Azawak et commencent à lancer des raids sur les sédentaires du sud.

Au début du XIXe siècle, les États haoussas islamisés, grands centres commerçants, dominent le Niger central méridional alors que les descendants des songhaï réfugiés après l'effondrement de l'empire, avec leurs alliés les zarma ou djerma, installés entre le fleuve Niger et les dallols bosso et maouri se déchirent entre de nombreuses petites principautés et chefferies, dont la principale est dosso (le chef de cette principauté se nomme le zarmakoye ou chef des zarmas). Toutes sont sous la domination ou la terreur de pouvoirs peuls ou touaregs qui y multiplient les rançons et razzias en particulier en enlevant les femmes et les enfants. Du côté Haoussa, les régions du Niger correspondantes sont les frontières méridionales des grandes cités-États que sont par exemple Kano, Zaria ou Katsina.

Ces dernière villes sont progressivement conquises par Usman dan Fodio lors de guerre sainte, majoritairement appuyé par les Peul. Toutes les cités-États tombent les unes après les autres et seules résiste le Damagaram ou sultanat de Zinder perdu dans le Nord sec et limitrophe du Kanem Bornu alors au faîte de sa puissance. Avec l'appui de nombreux réfugiés issus des familles royales des cités conquises, ce sultanat va se maintenir. Plus à l'ouest, ce qui n'était qu'un camp de réfugiés dans les bosquets du Goulbi'n'Maradi (vallée sèche du Maradi) va recevoir une partie de la famille royale du sultanat de Katsina et va tenir malgré quelques occupations du Sokoto contre le nouvel empire théocratique. Encore plus à l'ouest le royaume Maouri du Kebbi sera aussi maintenu, tout en reconnaissant la suzeraineté de l'empire, pourtant à La frontière du Sokoto et très proche de sa nouvelle capitale. La frontière entre Niger et Nigeria est celle qui séparait ces divers royaumes et l'empire du Sokoto.

 

La colonisation

Les premiers Européens à entrer dans cette région sont les explorateurs britanniques Mungo Park (sur le fleuve Niger, 1806), Hugh Clapperton et Dixon Denham (traversée du Sahara de Tripoli à la ville de Koukaoua, capitale du royaume du Bornou, à l'ouest du lac Tchad, par le Kaouar, 1824) et l'explorateur allemand Heinrich Barth (qui traverse les régions de l'actuel Niger pour se rendre à Kano et Tombouctou, de 1850 à 1854). Ces expéditions, toutes organisées et financées par la Grande-Bretagne, visaient officiellement à combattre la Traite négrière et à ouvrir ces régions au commerce européen, sans objectif immédiat de conquête.

Vers 1890, les Français entrent dans la région, atteignent le lac Tchad et luttent contre Rabah dont l'influence s'étend sur le Bornou ; ils mettent longtemps à réduire la résistance des Touaregs de l'Aïr. En 1900, les Français font du Niger un territoire militaire administré à partir de l'ancien sultanat de Zinder. Il devient une colonie française en 1922.

En 1927, le Niger devient une colonie administrée à partir de Niamey pour rééquilibrer les pouvoirs économiques et politiques locaux, diminuer le poids de la communauté haoussa de Zinder ainsi que l'influence du nord du Nigeria, une région riche et peuplée.

Le 18 décembre 1958, le Niger devient une république autonome au sein de la Communauté, malgré une campagne pour le « non » au référendum par le leader sawaba Djibo Bakary, opposé au chef du gouvernement Hamani Diori.

 

 

L'indépendance

Le Niger devient indépendant le 3 août 1960 et Hamani Diori (1916-1989) est élu président par l'Assemblée nationale.1

Pendant son gouvernement, Diori a favorisé les Samaria (des structures traditionnelles regroupant des jeunes filles et garçons) dans l'intérêt du parti et a conservé des liens économiques étroits avec la France. Sans opposant, il est réélu en 1965 et 1970.

Il a gagné le respect de l'Afrique pour son rôle en tant que porte-parole des affaires africaines et arbitre populaire dans les conflits impliquant d'autre nations africaines. Cependant son administration est entachée d'une forte corruption.

Il cherche par ailleurs à reprendre en main l’uranium du Niger toujours aux mains de la France.

Lors de la sécheresse du début des années 70, une famine catastrophique se répand dans tout le pays. Les désordres civils ont suivi des allégations à propos de détournements des stocks d'aide alimentaire par quelques ministres. En outre, le gouvernement ne peut pas appliquer les réformes nécessaires à l’allégement de la famine.

 

Coup d'État contre le régime de Diori

Le 15 avril 1974, un coup d'État réussit contre le gouvernement de Diori, mené par le lieutenant-colonel Seyni Kountché, alors chef d'état-major. Tous les responsables du gouvernement ont été maintenus. La première dame Aïchatou Diori fut assassinée, et Diori fut emprisonné 6 ans à Zinder, puis maintenu en résidence surveillée à Niamey (1980-1987).2

 

Un régime militaire d'exception

Des tentatives de coups d'État marquent les cinq premières années du régime de Kountché, en août 1975, puis en mars 1976 et en octobre 1983. Les instigateurs de ces putschs manqués sont le commandant Bayere Moussa et Ahmed Moudour, secrétaire général de l'Union des Travailleurs nigériens. La tentative de coup d'État de 1983 est perpétrée par son homme-lige, Amadou Oumarou dit "Bonkano". Tous échouent.

Kountché, désireux d'ouvrir le gouvernement aux civils, permet à quatre d'entre eux de devenir secrétaires d'État au gouvernement lors du remaniement de juin 1975. Il augmente également leur nombre au sein du CMS en 1981. En 1982, des préparations sont entreprises pour former une constitution du gouvernement. Le 23 janvier 1983, un Premier ministre civil, Oumarou Mamane, est nommé.

En janvier 1984, il établit une commission pour rédiger un document pré-constitutionnel nommé Charte nationale, qui a été éprouvé plus tard dans le référendum national. La Charte prévoit la création d'établissements non-électifs et consultatifs aux niveaux national et local. Malgré l'ouverture de l'État aux civils, le régime reste fortement militaire, "policier" et les droits de l'homme sont souvent violés.

Grâce à la manne de l'uranium, les salaires des travailleurs connaissent une légère augmentation. Malgré tout, des efforts d'ajustements économiques sont empêchés par la répétition de la sécheresse en 1984-1985 et par la fermeture de la frontière avec le Nigeria de 1984 à 1986. La dépendance du pays à l'égard de l'aide alimentaire et financière extérieure augmente et des relations importantes se nouent avec les États-Unis.

C'est à cette période que des tensions s'installent entre le Niger et la Libye, le Niger accusant Mouammar Kadhafi, d'encourager et d'aider les Touaregs à prendre les armes contre le régime de Kountché. En mai 1985, des incidents éclatent entre l'armée nigérienne et des Touaregs à Tchin-Tabaraden.

Jusqu'à sa mort, malgré plusieurs tentatives de coups d'État, le général Seyni Kountché aura régné en maître absolu de l'État et des Forces armées, concentrant les trois fonctions les plus importantes du pays puisqu'il était : président de la République, ministre de l'Intérieur et ministre de la Défense.

Vers la fin de l'année 1983, il commence à avoir des problèmes de santé qui s'aggravent. Il meurt le 10 novembre 1987 dans un hôpital parisien, la Pitié Salpétriere, d'une tumeur au cerveau. Son chef d'état-major, le colonel Ali Saibou lui succède.3

 

Démocratisation du régime

Ali Saibou relâche certains prisonniers politiques, libéralise la législation et la politique nigérienne et promulgue une nouvelle constitution. Toutefois, les efforts du président Ali Saibou en faveur de ces réformes échouent face aux demandes de la société civile en faveur de l'institution d'un régime démocratique et multipartite, le régime finit par les accepter à la fin 1990. De nouveaux partis et mouvements civiques font leur apparition et une conférence nationale pour la paix civile est réunie en juillet 1991 pour préparer la transition vers des élections libres et transparentes. Ce débat contradictoire permet l'émergence d'un consensus pour la formation d'un gouvernement de transition en novembre 1991 dirigé par Amadou Cheiffou, gouvernement qui se maintient jusqu'à la fondation des institutions de la Troisième république, en avril 1993 Mahamane Ousmane devient président après son élection démocratique. Alors que durant cette période l'économie allait en se dégradant, certaines réalisations sont à souligner, comme l'organisation réussie d'un référendum constitutionnel, l'adoption d'un code électoral et celle du code rural et la tenue, d'une série d'élections libres, dans un climat pacifié à l'échelle nationale. La liberté de la presse permet alors l'éclosion de nombreux journaux indépendants.

Les résultats des élections législatives de 1995 forcent à la cohabitation entre le président et son rival, ancien premier ministre ; cette paralysie gouvernementale mène le colonel Ibrahim Baré Maïnassara à l'abandon de la Troisième République en 1996. L'autorité militaire qu'il mène, le Conseil de Salut national, le temps d'une transition de 6 mois, rédige une nouvelle constitution pour une Quatrième République, en 1996. Baré organise l'élection présidentielle en juillet de la même année. Mais alors que le processus de vote est en cours, il remplace les membres de la Commission électorale et la nouvelle Commission le déclare vainqueur. Les élections législatives truquées de novembre suivant lui donnent une majorité de 57 % des sièges. Ce déni de démocratie fait reculer les donateurs étrangers et limite les possibilités de restauration de l'aide internationale, poussant le président Baré à rechercher l'aide de la Libye pour soutenir l'économie nigérienne. Parallèlement, on assiste à des violations répétées des droits de l'homme les plus élémentaires, les dirigeants de l'opposition sont arrêtés pendant que des journalistes sont souvent arrêtés et déportés par une milice officieuse composée de policiers et de militaires. Enfin, les bureaux des médias indépendants sont pillés et brûlés.

Cependant, il reste un point positif de ces journées de conférence nationale de 1991. L'initiative entamée alors pour rechercher la paix avec la première rébellion touarègue et touboue permet la signature d'un accord de paix en avril 1995. Les Touaregs revendiquent une plus grande autonomie sur leur territoire, ainsi que des retombées économiques des activités minières qui s'effectuent sur leur territoire. Ils réclament des emplois dans ces mines par exemple. Il s'agit également de revendications sociales et politiques. Les Touaregs dénoncent leur marginalisation et demandent une plus grande autonomie au pouvoir en place. Le gouvernement nigérien répondit par les armes, via l'armée nationale.

Le 9 avril 1999, Baré est tué dans un coup d'État mené par le commandant Daouda Malam Wanké, qui établit un régime de transition pour un retour à la démocratie. Lors des élections législatives et présidentielle d'octobre et novembre 1999, la coalition du Mouvement national pour la société du développement (MNSD) et de la Convention démocratique et sociale (CDS) menée par Mamadou Tandja gagne les élections.

La nouvelle Constitution du Niger est approuvée en juillet 1999. Elle restaure le régime semi-présidentiel de la Constitution de 1992 où le président est élu au suffrage universel pour 5 ans et nomme le premier ministre avec lequel il partage le pouvoir exécutif. L'Assemblée nationale, pour suivre l'évolution démographique du pays, voit ses effectifs monter à 113 députés, également élus pour 5 ans selon un scrutin majoritaire.4

 

La présidence de Mamadou Tandja

Mamadou Tandja donne des priorités à son mandat : d'abord rétablir les contacts avec les bailleurs de fonds internationaux et leur offrir des garanties de stabilité et de libéralisme économique ; le Niger est alors parmi les pays plus pauvres du monde et dépend en grande proportion des aides internationales. Mais les coupes de Tandja dans les budgets de l'éducation et de la santé, la réduction des effectifs de la fonction publique nigérienne, les retards dans le traitement des fonctionnaires (jusqu'à 18 mois) et des militaires entraînent une contestation sociale généralisée qui se transforme en manifestation d'étudiants sur le campus de l'Université de Niamey en 2001 et sur une mutinerie d'unités de militaires en 2002. De peur que la contestation ne s'étende, Tandja mate la mutinerie et contrôle la presse pour qu'elle n'en parle pas.

Lors de l'élection présidentielle de novembre 2004, Tandja se représente. Au premier tour, il arrive largement en tête avec 40,7 % face à cinq autres candidats, et au second tour, il bat Mahamadou Issoufou avec 65,5 % des voix, obtenant ainsi un second mandat. Le candidat Issoufou dénonce des fraudes électorales dans les régions désertiques du nord, mais il est peu probable que l'ampleur de ces fraudes soient de nature à changer le résultat de la présidentielle.5

 

La crise alimentaire de 2005

 

Une crise annoncée

L’affaire commence fin 2004. Le résultat de la récolte de mil et de sorgho présente un déficit de 223.000 tonnes sur un total de plus de 3 millions de tonnes les dernières années, c’est-à-dire environ 7,5 %. La récolte 2004 n’en est pas moins la quatrième de toute l’histoire du pays en quantité. Ce déficit aurait pu être pallié par une hausse de 3 % des importations de céréales.

La faible pluviométrie et l’invasion acridienne sont données comme cause d’une crise alimentaire annoncée. L’invasion des criquets aurait détruit ce qui aurait poussé malgré l’arrêt avancé des pluies de l’hivernage. Le déficit le plus sensible concerne le fourrage pour les animaux (moins 4,6 millions de tonnes).

Cette invasion avait été annoncée bien en amont. Le gouvernement Tandja avait alors déclaré pouvoir y faire face avec des quantités suffisantes de produits insecticides. Lorsque les criquets sont arrivés, les traitements promis étaient insuffisants et les avions pour les pulvériser... absents.

Dès l’automne, le pays savait donc que l’hivernage 2005 serait difficile. Et c’est là qu’une des causes réelles de la crise intervient. Les commerçants, souvent alliés du pouvoir en place, ont conservé leurs réserves, achetées à bas prix, en attendant une hausse des prix qui ne pouvait que se produire. Ou, au pire les ont vendues au Nigeria voisin qui connaît un pouvoir d’achat plus important. On estime à 13.000 tonnes la quantité de mil restée dans les hangars de la seule ville de Maradi.
L’année précédente le sac de mil de 100 kg, la base de l’alimentation nigérienne, se vendait entre 8.000 et 12.000 francs CFA (de 12 à 18 euros). Au cœur de l’été, il est monté jusqu’à 30.000, voire 35.000 francs CFA (45 à 50 euros). Rappelons que le salaire minimum, qui ne concerne qu’une minorité de la population, s’élève à 20.000 francs CFA. 63 % de la population vit sous le seuil de grande pauvreté (moins de 1 dollar par jour).

Les étals de Maradi, cœur agricole du pays, étaient et sont toujours fournis en céréales, arachides, volailles qui sortent des stocks. Ce qui manque, ce sont les moyens pour les acheter à de tels prix dans les zones agro-pastorales (Maradi, Zinder, Tahoua, Tillaberi en particulier). Dans ces zones, la hausse des prix des produits de base se combine à la chute du prix du bétail.

Les éleveurs Peuls et Touaregs descendent en effet, après l’hivernage, vers les zones de culture pour y faire paître leurs troupeaux. Les agriculteurs leur laissent les tiges de mil et de sorgho. La brièveté de la saison des pluies 2004 et les dégâts causés par les criquets pèsent alors sur eux : les animaux n’ont pu se nourrir comme d’habitude. Les troupeaux seront décimés, parfois jusqu’à 90 %. De cela découle une baisse du prix des animaux. Traditionnellement, une belle génisse se vend 85.000 francs CFA (130 euros), de quoi acheter 5 sacs de mil et tenir le temps de la « soudure » entre les deux récoltes. Cette année, l’état des animaux a entraîné une chute de leur prix de vente : 5.000 francs CFA parfois pour une bête décharnée, à peine de quoi acheter une mesure de mil (une tia).

C’est donc bien à une crise du système de distribution que nous avons assisté, plutôt qu’à une crise de production. La sécurité alimentaire au Niger a été laissée depuis des années entre les mains des commerçants, en parallèle à la mise en place de politiques libérales. L’explication par les phénomènes naturels ou la fatalité permet de couvrir ces contradictions.

 

Un gouvernement incapable de faire face

Si l’alerte avait été lancée dès l’automne 2004, le gouvernement nigérien, occupé par les élections présidentielles de décembre, réagit tardivement. Il demande alors une aide au programme alimentaire mondial (PAM) de 78.000 tonnes de céréales. Moins de 10.000 arriveront à destination. Le tsunami en Asie du sud-est prend la place dans l’actualité humanitaire avec l’écho que l’on sait, puis le Darfour. En février, le PAM lance un appel de fonds pour 400.000 personnes, soit environ 3 millions de dollars. Rien n’arrive avant mai. En août, un nouvel appel est lancé, cette fois ci pour 3,6 millions de personnes, soit 57 millions de dollars. 28 millions arriveront, mais après la diffusion par la BBC d’images d’enfants affamés. Et la machine médiatique s’emballe...

Depuis les crises alimentaires des années 70, le Niger a mis sur pied des mécanismes de sécurité qui vont se montrer cette fois insuffisants et mal appliqués. 40.000 tonnes de réserves environ vont être vendues à prix réduits dans le cadre de programmes ‘vivres contre travail’ ou ‘vivres contre formation’, programmes financés par USAID et les principaux bailleurs européens. À 10.000 francs CFA le sac, bien des familles se retrouvent condamnées à manger des feuilles de tafasa venues du Nigeria ou à disputer les termitières. L’ambassadeur de France soutient fortement ces initiatives qui auraient l’avantage de ne pas ‘déstabiliser les marchés’, comme si les spéculations des gros commerçants n’existaient pas.

Michael Hess, administrateur de USAID, ira jusqu’à déclarer cyniquement : « Même s’il y a une bonne récolte, les difficultés persistent à cause de la mauvaise habitude des paysans qui vendent à bas prix une partie de leur production après les récoltes, alors qu’ils sont obligés de s’endetter pour racheter les mêmes céréales pendant la période de soudure ».

L’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui intervient depuis des années au Niger, critiquera violemment cette politique. Elle reproche au programme du PAM de ne toucher que 10 % de la population dans le besoin et de ne pas répondre aux besoins des principales victimes, les enfants en bas âge. Ce sont en effet les bébés de six mois à trois ans qui meurent, faute de farines spécialisées. Thierry Allafort-Duverger, responsable des urgences de MSF, déclarera à Libération : « Rien n’a été fait par les Nations Unies pour cibler les populations les plus à risque. Les zones actuellement ciblées sont uniquement identifiées en fonction de leurs problèmes de sécheresse et des ravages faits sur les récoltes par les criquets alors que la lecture du drame, sur le terrain, est beaucoup plus large que cela... La démographie galopante, les difficultés financières doivent également être prises en compte ».

Selon MSF, en 2002, 2003 et 2004, le nombre d’enfants traités pour malnutrition chaque mois à Maradi était en moyenne de 500. Depuis janvier 2005, ce chiffre a augmenté à plus de 1.000 enfants par mois.

Les difficultés financières des familles les plus fragiles sont aggravées par la mise en place en janvier 2005 d’une TVA à 19 % sur le lait, la farine, le sucre et les basses consommations d’eau et d’électricité. Il s’agissait d’une condition à remplir pour pouvoir bénéficier de l’aide budgétaire accordée par le Fonds monétaire international (FMI). Cette loi rectificative budgétaire va mobiliser les mouvements sociaux et syndicaux du pays. Plus de 100.000 personnes manifesteront à Niamey le 15 mars ; plusieurs « journées ville morte » seront organisées. La répression contre les organisateurs ne donnera rien, et le gouvernement devra reculer. Seul le sucre garde une TVA à 19 % et l’eau et l’électricité voit augmenter les consommations touchées par cette mise en place. Le gouvernement, afin de remplir ses caisses, crée une taxe sur la propriété foncière, ce qui était soi-disant impossible quelques semaines auparavant.
Le président Mamadou Tandja va souffler le chaud et le froid. En juin 2004, lors de sa visite aux États-Unis il déclare : « Si quelqu’un veut aider le Niger, nous sommes preneurs. Mais si ce donneur ou les journalistes trop bavards de son pays doivent montrer des images d’enfants souffrant de malnutrition, les promener dans le monde et faire une campagne néfaste et pernicieuse contre l’image du Niger, là, nous ne l’accepterons pas ».

Il ira même plus loin début août, niant la crise devant les micros de la BBC : « Le peuple du Niger a l’air bien nourri, comme vous pouvez le voir ».

Le pouvoir n’aime pas que l’on parle de cette crise. Le premier journal à en avoir parlé est un organe gouvernemental, Sahel Dimanche, dès le mois d’avril. La rédactrice en chef du journal, Tchirgni Maïmouna, auteur du reportage, s’est vue relevée de ses fonctions et mise en congé d’office pour trois mois. Une envoyée spéciale de RFI s’est vue dénoncée sur la chaîne de télévision publique pour ses reportages à Maradi. Le gouverneur de la région d’Agadez a porté plainte contre un journaliste d’une radio indépendante après que celui-ci l’a accusé d’avoir distribué des vivres aux responsables administratifs et coutumiers de la région. La corruption est pourtant de notoriété publique au Niger. Dès l’automne 2004, la région de Tillaberi, fief du parti présidentiel, a vu arriver les premiers stocks de céréales.

 

Une crise structurelle aux racines sociales

En temps normal, la malnutrition, modérée et sévère, touche un tiers des enfants. La mortalité maternelle reste très élevée, avec 1.600 décès pour 100.000 naissances. Un enfant sur cinq n’atteint pas l’âge de cinq ans. En 2005, à lui seul, le paludisme est responsable de 30 % des consultations ambulatoires et de 50 % des décès parmi les enfants de moins de 5 ans.

Avec une espérance de vie de 46 ans, un taux de scolarisation en primaire de 40 % et un illettrisme de 83%, le Niger se place à l’avant-dernière place du classement de développement humain du PNUD.

La sécheresse, la nuée de criquets pèlerins et l’indifférence, dans un premier temps, de la communauté internationale, expliquent en partie la grave crise alimentaire qui frappe le Niger en 2005. Mais les effets sociaux des politiques d’ajustement structurel menées depuis 20 ans ont créé une situation de précarité sociale extrême. Le service de la dette représente 30 % des dépenses de l’État. Les budgets sociaux atteignent difficilement 20 %.
Le pays est considéré comme un élève modèle des institutions financières internationales et à ce titre a pu « bénéficier » de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) mise en place par le FMI et la Banque mondiale. À ce titre, le pays devait bénéficier d’allégement de sa dette extérieure publique. Le résultat, derrière les effets d’annonce, est clair : le Niger a vu le service de sa dette passer de 26 millions de dollars en 2003 à 28,8 en 2004 et 29 millions de dollars en 2005 (source : CNUCED, « Endettement viable, oasis ou mirage ? »).

Le prix social à payer pour un si piètre résultat est colossal. Les « conditionnalités » imposées par les IFI pèsent directement sur les conditions de vie des populations. Les privatisations se sont traduites par des échecs retentissants. Les télécommunications, vendues à un groupe chinois, n’ont vu aucun investissement. L’eau, vendue à Vivendi en particulier, ne coule que quelques heures par jour et on peut voir dans les rues des enfants faire la queue pendant des heures devant les fontaines publiques. Mais leur présence à l’école n’est pas plus souhaitée pendant ce temps. Les bailleurs ont imposé une diminution des budgets sociaux, ce qui s’est traduit par le départ à la retraite de 75 % des enseignants, remplacés par des « volontaires de l’éducation », sans formation pédagogique, sous-payés et contraints au silence.

Jean Ziegler, rapporteur de l’ONU pour l’alimentation, va jusqu’à accuser le FMI d’avoir imposé une réduction des réserves d’urgence de céréales.

L’organe d’information de l’ONU, l’IRIN, soulève le problème de fond dans l’un de ses communiqués d’août 2005 : « Dans tout le Niger, les systèmes agropastoraux demeurent inchangés depuis des siècles, en dépit du changement climatique et d’une désertification de plus en plus rapides. Le peu de services médicaux disponibles, l’absence d’un système éducatif pour les enfants, et le statut traditionnel de la femme ne font qu’ajouter à la condition désastreuse des Nigériens ». S’il ne s’agit pas de nier les modifications liées à la diminution des précipitations moyennes ou aux risques naturels, leurs effets se trouvent très largement aggravées par les politiques menées depuis l’implication directe des IFI au Niger. Le premier plan d’ajustement structurel, en 1983, a ainsi imposé l’abandon de l’aide de l’État aux agriculteurs. Dans l’incapacité d’acheter des matériels et des intrants nécessaires pour accroître les rendements, ils sont de plus confrontés à une maîtrise de l’eau déficiente. La faiblesse des rendements a imposé sur les dernières décennies une augmentation sensible des terres cultivées d’où une dégradation des sols et un gaspillage des faibles ressources aquatiques.
Pour sortir de cette spirale infernale qui verra de nouvelles crises alimentaires annuelles, silencieuses celles-ci, les mouvements sociaux nigériens, les organisations paysannes exigent que les ressources du pays soient tournées vers la satisfaction des besoins de la population. L’annulation inconditionnelle de la dette extérieure du pays libérera des moyens qui pourront être utilisées à cela : aide aux agriculteurs pour augmenter leurs rendements, politique d’irrigation, politiques de santé et éducatives au service des populations. Les mobilisations sociales qui ont imposé l’abandon du projet de TVA sur les produits de première nécessité, qui ont imposé la distribution gratuite de céréales aux populations les plus touchées, peuvent faire naître l’espoir de voir le Niger rompre avec les politiques criminelles menées depuis des décennies par les institutions financières internationales et leurs alliés locaux.6

 

La crise Hama

Le 31 mai 2007, le gouvernement du Premier ministre Hama Amadou est renversé par une motion de censure déposée par l'opposition parlementaire. Comme l'exige la constitution Nigérienne le président a le choix entre 3 candidats au poste de Premier ministre proposés par les partis de la majorité. Ainsi le président Tandja a porté son choix sur l'ancien ministre de l'Équipement Seyni Oumarou proposé par le MNSD.

 

La rébellion touarègue

Depuis le mois de février 2007, le Niger connaît une résurgence de la rébellion touarègue. Le MNJ (un mouvement rebelle touareg), estimant que les accords de 1995 ne sont pas respectés, et que le pouvoir est trop corrompu a pris les armes contre le gouvernement et demande des négociations. Tandja refuse tout compromis avec les hommes du MNJ, qu'il qualifie de bandits et de trafiquants. Il a ordonné à l'armée le rétablissement de la sécurité au nord du Niger et pour ce faire, il décrète et renouvelle régulièrement tous les trois mois l'état de mise en garde dans cette région. Cette mise en garde renforce les pouvoirs de l'armée dans des zones de conflit.

 

La crise institutionnelle de 2009

L'élection présidentielle devait avoir lieu en octobre 2009 sans que Tandja puisse concourir de nouveau, la Constitution limitant à deux le nombre de mandats pour une personne. En juin 2009, le président Tandja souhaite une modification de la Constitution vers un régime complètement présidentiel, avec une extension exceptionnelle de son mandat de trois ans supplémentaires pour « achever les chantiers entrepris » (à savoir la négociation des contrats d'uranium et de pétrole). Face au rejet de ce changement par la cour constitutionnelle et de l'assemblée, Tandja dissout l'assemblée ce qui veut dire qu'il n'y a plus de pouvoir législatif au Niger, le président travaillant par décrets et arrêtés. Un référendum est lancé le mardi 4 août 2009 pour entériner cette modification. La presse, comme Le Sahel, presse du gouvernement, insiste sur « l'enthousiasme et la forte mobilisation des populations » et dénigre les opposants à cette modification comme des « agents de l'étranger ». Des élections législatives devaient être prévu avant la fin 2009. De nombreux partis de la coalition au pouvoir se sont ralliés au oui pour ce référendum.7

Mamadou Tandja bénéficie alors d'une extension exceptionnelle de son mandat de 3 ans pour « achever les chantiers entrepris ». La tenue du référendum est précédée et suivie de grandes manifestations et contestations.8

 

Coup d'État sur un gisement d'uranium

Le 18 février 2010, Mamadou Tandja a été renversé par une junte militaire dont le dirigeant, le chef d'escadron Salou Djibo, a ensuite été investi du titre de président de la République

Le Niger en est ainsi à son énième coup d'État depuis l'accession à l'indépendance, en 1960. Son régime en est à sa VIe République.

Le président déchu, Tandja, avait tout fait pour s'accrocher au pouvoir, modifiant la Constitution du pays de façon à ce qu'elle l'autorise à prolonger exceptionnellement son mandat pour « achever les chantiers entrepris ». Et il a fait entériner ce putsch légal par un référendum selon lequel une majorité de votants lui aurait donné 92,50 % de oui. Mais, selon un opposant, la participation n'aurait pas atteint 7 % des électeurs...

Tandja aurait également multiplié les cadeaux divers (villas, voitures, etc.) aux chefs militaires pour se prémunir... mais pas suffisamment, comme on le constate.

La junte qui a pris le pouvoir se déclare Conseil suprême pour le rétablissement de la démocratie (CSRD) et c'est sur ce vague programme qu'elle aurait, selon des observateurs, bénéficié de la bienveillante indifférence, voire d'un certain soutien de la population. Mais de toute évidence le principal n'est pas là : derrière cette agitation de clans putschistes, il y a la question de l'exploitation des ressources naturelles du pays.

Pour le moment, le principal « partenaire » du Niger est le trust nucléaire français Areva, qui bénéficie de la tutelle que l'État français exerce sur son ex-colonie et qui exploite depuis les années 1960 l'uranium du site minier d'Arlit (dans des conditions de pollution radioactive scandaleuses). Areva s'apprête à ouvrir en 2012 une nouvelle mine qui serait la seconde du monde et qui ferait du Niger le second producteur mondial d'uranium, alors qu'il est en 2010 le troisième.

En 2006-2007, l'ex-président Tandja avait renégocié avec Areva pour obtenir de meilleures conditions, sinon pour son pays, du moins pour son régime. Il faut dire que les accords signés en 1961 assuraient à Areva un accès exclusif à l'uranium nigérien jusqu'en 2007, et à un prix n'atteignant même pas le quart des cours du marché international. La négociation avait duré des mois, deux représentants d'Areva avaient même été expulsés en 2007, Tandja les accusant de vouloir fomenter un coup d'État contre lui. Finalement tout ce petit monde s'est officiellement réconcilié, Areva obtenant un droit d'exploitation pour quarante ans, le Niger une augmentation de 50 % du prix de l'uranium et 33,35 % des parts de l'exploitation de la nouvelle mine d'Imouraren.

Tandja n'en avait pas moins introduit la concurrence sur ce marché, accordant à partir de 2006 plus d'une centaine de permis de recherche à des compagnies étrangères, essentiellement chinoises, canadiennes, sud-africaines, anglo-australiennes et même iraniennes. Ce qui n'était évidemment pour plaire ni à Areva, ni au gouvernement français.

Alors, si on ne peut affirmer qu'Areva est derrière le coup d'État, les putschistes ne pourront agir contre les intérêts de cette société, qui assure une part importante des ressources de l'État nigérien... et des prébendes pour les militaires qui se succèdent au pouvoir. Une autre chose est sûre : la population, une des plus pauvres du monde, n'a rien de bon à attendre de ces manœuvres sur fond d'uranium.9

 

La VIIe République

Le lundi 1er mars 2010, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie présente un gouvernement de 20 membres parmi lesquels figurent cinq militaires. Mahamadou Danda est nommé Premier ministre. La 7e république est proclamée par le chef de la transition le 25 novembre 2010. Après des élections reconnues libres et transparentes par les différents observateurs, en mars et avril 2011, Mahamadou Issoufou a prêté serment le jeudi 7 avril 2011. Il nomme le même jour Brigi Rafini au poste de premier Ministre.10

 

Économie du Niger

Le Niger est un pays d'Afrique subsaharienne dont l’économie repose avant tout sur l'agriculture, qui représente 50 % du PIB. L'industrie y est peu représentée, l'extraction et le traitement du minerai d'uranium constituant sa principale source de revenu. Le pays connaît un taux de croissance moyen significatif sur les 10 dernières années, mais il reste l'un des plus pauvres du monde avec un PIB de 2 $ par jour par habitant.11

Les exportations vers la France de l'uranium des mines d'Arlit ont longtemps constitué une part importante du revenu extérieur du pays. En janvier 2009, le gouvernement du Niger et la présidente du directoire d'Areva signaient une convention minière stratégique accordant au groupe nucléaire français un permis d'exploitation sur le gisement d'Imouraren, présentée par Areva comme la « mine d'uranium la plus importante de toute l'Afrique et la deuxième du monde » derrière celle de McArthur River au Canada.

Les mines de charbon de la région de Tchirozerine sont exploitées à ciel ouvert. Le Niger dispose de quelques réserves de pétrole. Selon l'U.S. Energy Information Administration (EIA), la production a démarré fin 2011. En 2012 la production était de 20 000 barils par jour. En 2014 elle devait atteindre 80 000 barils par jour.

Par manque d'infrastructures de qualité et de masse, le tourisme est peu développé. Certaines routes « goudronnées » ne sont pas entretenues (accidents fréquents). Il n'existe aucune voie ferrée et seulement deux aéroports internationaux à Niamey et à Agadez. Seule la partie nord est un peu ouverte aux touristes recherchant le désert. Sans l'aide internationale, émanant de coopérations gouvernementales ou d'ONG, le pays ne pourrait pas subvenir aux besoins de sa population.

Bien que le Niger soit l'un des plus importants producteurs d'uranium au monde, il figure dans les derniers de la planète en matière de développement humain (source ONU).

En plus de l'uranium, des sociétés étrangères ont été autorisées à prospecter d'autres ressources dans le désert, comme le Canadien Semafo qui exploite une mine d'or. Depuis la fin des années 1990, les "compagnies juniors" canadiennes, qui ont investi dans plus de 8000 propriétés minières, dans plus de 100 pays, pour la plupart encore à l'état de projet multiplient les contrats avec des pays africains. La pauvreté minant le pays et le gouvernement refusant d'investir pleinement dans les zones sous le contrôle des Touaregs, les nomades se sont révoltés. En parallèle, des trafiquants de drogue et une branche d'Al-Qaïda se sont établis dans la région. Le gouvernement nigérien a accusé les Touaregs d'être en partie liée avec eux.12

En 2011, 50,3% des Nigériens vivent sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale.13

 

 

Areva au Niger : la Françafrique n’est pas morte

Dans les premiers jours de la guerre François Hollande affirmait : « La France n’a aucun intérêt au Mali. Elle ne défend aucun calcul économique ou politique. » Le 19 mai 2006, Sarkozy avait servi le même boniment à Cotonou : « La politique de la France en Afrique aurait pour seul objectif de s’approprier les ressources géologiques du continent. Où est la vérité ? À ceux qui pensent cela, je veux quand même rappeler qu’il n’existe plus de compagnie minière française. » Alors oui, « où est la vérité ? » Total, Bolloré, Bouygues n’auraient pas d’intérêts en Afrique ? Et Areva ?

 

Areva, entreprise à capitaux essentiellement publics, est née en 2001 de deux filiales du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique). C’est un groupe « intégré », de la production d’uranium à la construction de centrales.

L’industrie nucléaire produit 70 % de l’électricité en France (le plus fort taux du monde). Dès les années 1950, elle s’est tournée vers les colonies africaines pour se fournir en uranium. « L’indépendance énergétique de la France », qui serait assurée par l’industrie nucléaire, fut donc toujours un mythe. La dernière mine d’uranium française a d’ailleurs fermé en 2001. La France importe désormais la totalité de son uranium.

D’où l’importance vitale du Niger, qui fournit le tiers de son uranium à EDF, via Areva. Mais Areva est aussi une vendeuse de centrales à travers le monde, et comme le disait son ancienne présidente, Anne Lauvergeon : « Nous ne pouvons pas vendre de centrale si nous n’avons pas de minerai. » Or, Areva tire 25 % de son uranium du Niger.

Après avoir investi quatre milliards d’euros dans ses mines depuis 2007, Areva devait ouvrir en 2014 au Niger une des plus grandes mines du monde, sur le site d’Imouraren (1,2 milliard d’euros d’investissement). La production d’uranium du Niger devait ainsi doubler, faisant de ce pays le troisième producteur mondial. Areva aurait alors confirmé son rang de numéro 1 mondial, avec 17 % du marché.

Quand Anne Lauvergeon déclarait : « Quitter le Niger serait pour nous mais surtout pour ce pays une vraie catastrophe », on ne peut donc que lui donner raison… pour Areva. Mais pour le Niger ?

 

Quarante ans d’exploitation d’uranium… au profit de qui ?

La « catastrophe », en fait, a déjà eu lieu pour les populations et les travailleurs de la région des mines. Elle est écologique et sanitaire, les hommes, les sols, les eaux ont été empoisonnés par le minerai radioactif et les produits toxiques utilisés pour le transformer. Mais l’omerta règne, d’autant plus qu’Areva est à la croisée de deux grands tabous de la politique française : le nucléaire et la Françafrique.

Quant à l’argent de l’uranium… En 2013, Areva est la 36ème entreprise française. Son chiffre d’affaires était en 2008 de 13,2 milliards d’euros (+ 34 % en quatre ans). C’est cinq fois le PIB du Niger, dont l’État a un budget de seulement 320 millions de dollars. C’est la moitié des bénéfices annuels moyens d’Areva.

Le Niger est un des pays les plus pauvres de la planète. L’espérance de vie y dépasse à peine les cinquante ans. Les taux de mortalité infantile (163 pour mille) et d’analphabétisme (70 %) sont parmi les plus élevés du monde. La famine a encore frappé des millions de personnes en 2005.

Dans son livre sur Areva, Raphaël Granvaud fait ce constat accablant : « Si une lampe sur trois est éclairée en France grâce à de l’uranium nigérien, la plupart des nigériens n’ont pas l’électricité. »

Malicieusement, l’ambassadeur de Chine au Niger remarquait : « Si le Niger exploite l’uranium depuis 40 ans et que cela ne lui rapporte pas plus d’argent que ses exportations d’oignons, c’est qu’il y a un problème. »

Le « problème », un groupement d’associations nigériennes l’a chiffré ainsi : en 2003, l’uranium représentait 63 % des recettes d’exportation du Niger mais 4,3 % des recettes de l’État. La valeur totale de la production d’uranium entre 1967 et 2007 aurait été de 2 500 milliards de francs CFA. Mais seulement 292 milliards seraient revenus à l’État nigérien (en comptant tout : ventes directes de minerai, dividendes, impôts sur les bénéfices, taxes). Soit 12 % de la valeur de l’uranium exporté. Valeur en plus artificiellement basse, car très inférieure au prix normal de l’uranium sur le marché mondial.

 

Le droit de pillage françafricain

En 1967 un accord franco-nigérien crée la société des mines de l’Aïr (Somaïr). Le Niger obtient seulement 20 % des parts de la société, le reste va au CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Les conventions signées sont de longue durée (20 à 25 ans) et « de gré à gré », donc déconnectées du marché mondial. Ainsi, non seulement la part de l’État nigérien dans les mines et les impôts sont très faibles, mais en plus les prix resteront très bas par rapport au marché mondial. Les compagnies minières qui se constitueront ensuite sur ce modèle ne verseront qu’une infime partie de leurs revenus au Niger, de l’ordre de 5,5 % selon des ONG du pays.

Cette escroquerie est complétée par les « accords de défense » signés, après l’indépendance, par le Niger (comme la plupart des autres anciennes colonies) avec la France. Celle-ci promet son « assistance militaire » en échange d’une clause économique « d’approvisionnement préférentiel » de la France en « matières premières stratégiques ». C’est le pacte néocolonial : assurance-vie pour les dictateurs contre leurs propres peuples, en échange d’un droit de pillage des ressources naturelles.

 

Bras-de-fer et coups tordus

Les dictateurs nigériens vont parfois se rebiffer pour obtenir une plus grande part du gâteau.

En 1973 le prix du pétrole et par contrecoup de l’uranium flambe. Mais le Niger et le Gabon (autre producteur africain) ne peuvent en profiter à cause des accords passés avec la France. En mars 1974, lors d’une négociation à Niamey, le président nigérien Diori demande que celle-ci s’engage « sur les bases de l’apport énergétique du Gabon et du Niger à l’économie française » et d’une comparaison des prix de l’uranium et du pétrole. La France suspend les négociations. Diori est renversé le 14 avril. Son successeur, Kountché, officier formé par l’armée française, assure aussitôt que l’armée n’a « obéi à aucun ordre venant de l’étranger. » Les troupes françaises basées à Niamey n’ont pas bougé… Finalement, Paris consent à payer un tout petit peu plus cher son uranium.

En 2006, le président Tandja tente à son tour de renégocier le prix de l’uranium. En effet l’industrie nucléaire se développe à nouveau à marche forcée dans le monde. Les prix atteignent une moyenne de 186 euros/kg sur le marché mondial, alors qu’Areva paie 41 euros le kg au Niger… par une convention qui court jusqu’à 2007. Pour faire pression sur les Français, Tandja distribue des permis d’exploration à plusieurs compagnies étrangères, et surtout à la China Nuclear Uranium Corporation.

La France doit alors ruser, car il n’est plus aussi simple de faire respecter, « à l’ancienne », son pré carré africain. Moins parce qu’il serait délicat de faire renverser le régime par un quelconque galonné local, que parce que mondialisation oblige. La Chine n’est pas seulement une concurrente au Niger. C’est le grand marché nucléaire de l’avenir, capital pour Areva. Lors de la visite de Sarkozy en Chine en 2007, la firme chinoise CGNPC achète à Areva deux centrales EPR et une grande quantité d’uranium.

Reste le recours aux bonnes vieilles barbouzeries d’antan.

 

2007 : le double jeu français

En février 2007, une nouvelle rébellion des Touaregs du nord du Niger éclate. Ces populations sont spoliées et condamnées à une misère profonde, pendant que la compagnie française arrache des milliards à leur sol. L’État nigérien les opprime pour conserver la totalité des miettes que lui laisse la France. Le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ) réclame le transfert de 50 % des ressources minières aux collectivités locales, des mesures d’indemnisation pour les populations.

Or, cette fois, le gouvernement français dit s’inquiéter… pour les droits de l’homme ! Il laisse l’armée nigérienne s’enliser. Un responsable d’Areva, ancien colonel, se rend même au Niger pour négocier clandestinement la sécurité des sites. Furieux Tandja le fait expulser, ainsi que le directeur d’Areva Niger. Puis, le 1er août 2007, à la télévision nationale, il martèle que le Niger « n’a nullement l’intention » de chasser Areva, mais « en 2008 nous allons négocier ferme, l’uranium est notre produit, et il sera vendu à notre profit, car rien ne sera comme avant. »

Sarkozy et Tandja trouvent finalement un accord. Le Niger pourra vendre quelques centaines de tonnes d’uranium sur le marché mondial et le prix de l’uranium est relevé à 80 dollars le kilo, bien moins quand même que la moyenne mondiale des contrats pluriannuels de gré à gré (140 $/kg). En janvier 2008, l’accord pour l’exploitation de la mine géante d’Imouraren est signé par Areva et le Niger, qui obtient… seulement 33,5 % des parts. L’accord ne dit rien sur l’environnement, la santé, les droits des populations.

Le gouvernement français peut donc retourner sa veste contre les « extrémistes » et les « trafiquants de drogue » que redeviennent soudainement les rebelles touaregs, et soutenir la nouvelle « sale guerre » au nord du pays. La boucle est bouclée. L’État français a retrouvé le bon vieux temps des colonies, ses amis (le « gouvernement légitime » du Niger), ses ennemis (les terroristes), et son droit de pillage.14

 

 

Abandonnés dans la poussière : l’héritage radioactif légué par Areva au Niger

Le Niger se classe actuellement au dernier rang de l’Indice de développement humain, établi par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Plus de 40 % des enfants nigériens présentent une insuffisance pondérale, le pays souffre de pénuries d’eau et près des trois-quarts de la population sont analphabètes. Pourtant, les ressources naturelles du Niger ont permis au géant français du nucléaire, AREVA, d’engranger des milliards de dollars de profits. La société classée au Fortune 500 extrait de l’uranium – minerai dont la grande valeur n’a d’égal que la dangerosité – tout en laissant derrière elle une pollution environnementale qui perdurera pendant des siècles, non sans risques pour la santé des Nigériens.

 

Résumé

Le géant de l’énergie nucléaire AREVA tente de lancer une nouvelle révolution nucléaire. Déjà implanté dans plus de 100 pays à travers le monde, le groupe français a adopté une stratégie agressive pour partir à la conquête de nouveaux marchés. Ses experts en communication redoublent d’efforts pour convaincre les gouvernements, les investisseurs et le grand public – désireux de disposer d’une énergie propre – que l’énergie nucléaire est désormais une technologie sûre, propre et « écologique ». Les effets dévastateurs engendrés par cette conception erronée et inquiétante se font d’ores et déjà sentir.

Pour produire de l’énergie, les centrales nucléaires doivent être alimentées en uranium. Or l’extraction de ce minerai fait appel à des procédés particulièrement polluants et destructeurs, dont les effets catastrophiques sur les communautés vivant à proximité des mines et sur l’environnement peuvent perdurer pendant des milliers d’années. Le Niger est l’un des pays où ces effets néfastes sont les plus prégnants.

Pays d’Afrique de l’Ouest enclavé par le Sahara, le Niger affiche l’Indice de développement humain le plus bas de toute la planète. Un désert aride, des terres cultivables rares et une grande pauvreté sont des facteurs extrêmement problématiques. Mais si le pays pâtit d’un taux de chômage élevé, d’un faible niveau d’éducation, de l’analphabétisme, d’infrastructures médiocres et d’une instabilité politique, il possède en revanche un sous-sol riche en ressources minérales, notamment en uranium.

 

Les activités d’extraction minière, lancées par AREVA dans le Nord du Niger il y a 40 ans, auraient dû augurer le sauvetage économique d’une nation qui figure parmi les plus démunies.Cependant, les activités menées par AREVA se sont avérées en grande partie destructrices. Les détonations et le forage dans les mines ont entraîné la formation de grands nuages de poussière, des déchets industriels et de la boue se sont entassés à ciel ouvert et le déplacement de millions de tonnes de terre et de roches pourrait contaminer les réserves d’eau souterraines, qui sont en train de s’épuiser rapidement en raison d’une exploitation industrielle abusive.

 

Au vu de la négligence dont fait preuve AREVA dans sa gestion du processus d’extraction, des substances radioactives peuvent être rejetées dans l’air, puis s’infiltrer dans la nappe phréatique et contaminer les sols avoisinant les villes minières d’Arlit et d’Akokan. Cette pollution endommage l’écosystème de façon permanente, tout en engendrant de multiples problèmes sanitaires pour la population locale.

 

En effet, l’exposition à la radioactivité peut causer, entre autres, des problèmes respiratoires, des malformations à la naissance, des leucémies et des cancers. Les maladies et les problèmes de santé sont nombreux dans cette région, et le taux de mortalité lié aux pathologies respiratoires y est deux fois plus élevé que dans le reste du pays. Cependant, pour aucun de ces impacts AREVA n’assume ses responsabilités. En réalité, les hôpitaux sous le contrôle de cette entreprise ont été accusés d’avoir commis des erreurs de diagnostic, attribuant au sida des pathologies cancéreuses. AREVA prétend qu’il n’y a jamais eu de cas de cancers imputables aux activités minières en quarante ans d’activité, passant sous silence le fait que les hôpitaux locaux n’emploient pas de médecins du travail, empêchant ainsi d’établir tout diagnostic d’une maladie liée au travail.

 

L’agence gouvernementale chargée de surveiller ou de contrôler les actions d’AREVA manque d’effectifs et de ressources. Depuis des années, des ONG et des organismes internationaux tentent de tester et d’évaluer les niveaux de radiation anormalement élevés auxquels est exposé le Niger. Mais les impacts de l’extraction d’uranium n’ont encore jamais fait l’objet d’une évaluation exhaustive et indépendante.

 

Toutefois, au mois de novembre 2009, Greenpeace, en collaboration avec le laboratoire français indépendant de la CRIIRAD et le réseau nigérien d’ONG ROTAB, a pu effectuer une étude scientifique succincte de la zone, mesurant la radioactivité de l’eau, de l’air et des sols à proximité des villes minières où opère AREVA. Si les résultats de cette étude ne sont pas exhaustifs, ils n’en demeurent pas moins alarmants :

 

  • Après quarante ans d’activités, un total de 270 milliards de litres d’eau ont été utilisés, contaminant ainsi les réserves d’eau et asséchant l’aquifère, qui prendra des millions d’années à se reconstituer.

 

  • Sur quatre des cinq échantillons d’eau prélevés par Greenpeace dans la région d’Arlit, la concentration en uranium était supérieure à la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’eau potable. Les données historiques indiquent une augmentation progressive de la concentration en uranium au cours des 20 dernières années, ce qui peut être révélateur de l’impact des opérations minières. Certains échantillons d’eau contenaient même du gaz radioactif dissous, le radon.

 

  • Une mesure effectuée au poste de police d’Akokan a révélé une concentration en radon dans l’air de trois à sept fois supérieure aux niveaux habituellement relevés dans cette zone.

 

  • Des particules de poussière fines ont révélé une augmentation de la concentration de la radioactivité deux à trois fois supérieure aux particules à gros grains. Les niveaux supérieurs d’uranium et de produits de décomposition décelés dans les petites particules qui se diffusent facilement sous forme de poussière sembleraient indiquer des risques supérieurs d’inhalation ou d’ingestion.

 

  • La concentration en uranium et autres matériaux radioactifs relevés dans un échantillon du sol, prélevé à proximité de la mine souterraine, était environ 100 fois supérieure aux niveaux normalement mesurés dans la région, dépassant les limites d’exemption fixées au niveau international.

 

  • Dans les rues d’Akokan, le niveau des taux de radiation était environ 500 fois supérieur aux niveaux normaux de fond. Une personne passant moins d’une heure par jour dans cet endroit serait donc exposée à une radiation supérieure au taux maximal annuel autorisé.

 

  • Même si AREVA prétend que, désormais, aucun matériau contaminé ne sort des mines, Greenpeace a trouvé plusieurs morceaux de ferraille radioactive sur le marché local d’Arlit, présentant des taux de radiation supérieurs à 50 fois les niveaux de fond habituels. Les populations locales se servent notamment de ces matériaux pour construire leurs habitations.

 

À la fin du mois de novembre 2009, suite à la publication par Greenpeace d’une partie des premiers résultats de l’étude, AREVA a dû agir. Certains endroits radioactifs indiqués par Greenpeace dans un des villages miniers ont été nettoyés. Cependant, ce « nettoyage limité » n’atténue en rien le besoin d’effectuer une étude exhaustive afin que toutes les zones soient sécurisées pour la population locale.

 

Greenpeace demande à ce qu’une étude indépendante soit réalisée autour des mines et des villes d’Arlit et d’Akokan, suivie d’un nettoyage et d’une décontamination complète. Il est indispensable de mettre en place des contrôles permettant de garantir que les activités d’AREVA respectent les normes internationales en matière de sécurité et l’environnement, et tiennent compte du bien-être des employés et des populations vivant à proximité des sites miniers. AREVA doit joindre le geste à la parole et agir comme l’entreprise responsable qu’elle prétend être. Elle doit informer ses employés ainsi que la population locale des risques liés à l’exploitation d’uranium, car bon nombre de personnes au Niger n’ont encore jamais entendu parler de radioactivité et ne comprennent pas que les mines d’uranium représentent un danger.

 

Les habitants d’Arlit et d’Akokan continuent à vivre entourés d’air empoisonné, de terres contaminées et d’eau polluée. Jour après jour, les Nigériens sont exposés aux radiations, à la maladie et à la pauvreté, pendant que leurs ressources naturelles permettent à AREVA de réaliser des profits gigantesques. La population nigérienne mérite de vivre dans un environnement sûr, propre et sain et de partager les bénéfices provenant de l’exploitation de ses terres.

Les efforts accomplis par AREVA pour impulser une « renaissance du nucléaire » empoisonnent et risquent de faire disparaître les éléments essentiels à la vie-même des populations locales : leur air, leur eau et leur terre.

 

Ce rapport montre que l’énergie nucléaire joue avec nos vies, notre santé et notre environnement, et ce dès le début du cycle nucléaire, à savoir l’extraction minière d’uranium. Le nucléaire est une source d’énergie dangereuse et sale qui n’a pas sa place dans un avenir énergétique durable. Greenpeace appelle à la mise en marche d’une révolution énergétique, fondée sur l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, abordables et sûres.15

 

 

Areva licencie déjà (2015)

La filiale d’Areva chargée du chantier de la mine d’uranium géante d’Imouraren, au Niger, va quasiment mettre la clef sous la porte. 180 de ses 220 salariés ont été licenciés au 31 janvier 2015, suite à la décision prise par le groupe d’interrompre les travaux de la mine. Il en sera forcément de même pour les 1 100 travailleurs employés par les entreprises chinoises sous-traitantes.

Imouraren devait être la seconde mine du monde, à un moment où les cours de l’uranium montaient et où la demande augmentait régulièrement. Les émissaires d’Areva avaient recruté dans tout le nord du pays des jeunes en leur promettant un emploi pour des dizaines d’années. Depuis, avec la catastrophe de Fukushima, la tendance s’est inversée, et Areva s’est mis à traîner les pieds pour mener le chantier à son terme. En mai 2014 la compagnie avait déjà signé un accord avec le gouvernement nigérien prévoyant la suspension du projet, en échange de quelques postes de direction à la tête des mines pour des personnalités nigériennes. La société avoue avoir pris en août 2014 la décision d’arrêter le chantier, même si elle n’en a informé les salariés qu’à la fin de l’année. Cette fermeture lui permet d’économiser 600 millions d’euros.

Pour tous ceux qui travaillent sur le site, c’est une catastrophe. Les travailleurs désormais licenciés avaient dû quitter leur village et prendre des crédits pour se faire construire une maison près de la mine. Ils vont ainsi se retrouver sans ressources. Tout ce que leur propose Areva, en plus des indemnités légales, est une prime correspondant à cinq mois de salaire et une assurance santé pour la même durée. Même la prime de dix mois de salaire réclamée par les syndicats, pourtant bien faible, a été pour l’instant refusée.

Les multinationales comme Areva exploitent les salariés sur tous les continents pour faire des profits, et les jettent dehors quand cela les arrange.16

 

 

Élections présidentielles de 2016

Alors que le président sortant Issoufou Mahamadou pensait l'emporter dès le premier tour, porté en cela par son slogan de campagne « Un coup KO », il obtient à l'issue de celui-ci 48,41 % des voix, ce qui le contraint à un second tour. Le premier tour est marqué par des irrégularités et des pressions importantes exercées sur l'opposition au président Mahamadou dont l'adversaire principal est malade et tenu emprisonné.

 

L’opposition ayant boycotté le scrutin du second tour de l'élection présidentielle, celui-ci s’est déroulé sans grand suspens : Mahamadou Issoufou fut réélu haut la main pour un second mandat en récoltant 92% des voix. L'opposition n'a pas accepté ces résultats et a réagi.17

 

 

Drame migratoire et menaces terroristes

Le 15 juin 2016, un drame migratoire s'est déroulé loin des projecteurs des grands médias internationaux. 34 migrants, dans le désert du Niger, ont péri sur la route vers l’Algérie, parmi eux 20 enfants. Cet horrible drame met les responsables des politiques publiques nationaux et internationaux face à leurs responsabilités.

Quelques jours plus tôt, le 6 juin, des attaques terroristes menées par la secte de Bokko Haram dans le pays ont causé la mort de 26 Nigériens et 2 Nigérians, ainsi que 112 blessés, dont 111 militaires.

Malgré l’effroi causé par ces deux drames, on ne peut faire l’économie d’analyser les causes profondes des drames migratoires et de la montée des menaces terroristes.

Le drame migratoire du 15 juin illustre, une nouvelle fois, l’échec du tout sécuritaire dans la gestion de ce dossier. L’externalisation de la gestion des frontières promue par l’Union européenne et ses partenaires au Niger et dans les autres pays de la région, poussent les candidats à la migration à prendre des risques démesurés, au péril de leur vie.

Ce sont les interventions des forces armées étrangères visant à imposer des changements politiques dans certains pays sur la base d’orientations politiques contraires aux valeurs démocratiques, à la stabilité et à la paix, qui sont à l’origine des conflits, des instabilités de toutes sortes avec des conséquences tragiques à l’exemple de la Libye, la Syrie ou de l’Irak.

Pour les mouvements sociaux sur le continent, la lutte contre le terrorisme comporte trois risques. En premier, elle s’accompagne d’un recul des libertés publiques et le vote de lois liberticides. En deuxième lieu, le budget de l’armement se trouve automatiquement gonflé au détriment des budgets consacrés aux secteurs sociaux, déjà réduits. En troisième lieu, cette lutte contre le terrorisme est un argument servant le retour en force de l’ancien colonisateur, la France, qui dans la pratique n’a jamais quitté ses bases en Afrique de l’Ouest. Le cas le plus emblématique est le Mali. Quatre ans après l’intervention française au Mali, le pays est toujours aux prises avec ces groupuscules intégristes. La seule progression enregistrée est celle sur le front de la dette. Cette nouvelle guerre contre le terrorisme est un danger pour tous les peuples au Nord comme au Sud.
Une nouvelle dynamique s’impose donc pour la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière avec pour principaux acteurs tous les pays qui se réclament de la communauté et du droit international, un droit au service des peuples du continent.18

 

 

Élections présidentielles 2020-2021

Les élections ont eu lieu le avec un second tour le Elles ont été saluées par les grandes puissances, au premier rang desquelles la France, comme un exemple de démocratie. Fait exceptionnel dans les anciennes colonies françaises, le président en exercice, Mahamadou Issoufou, avait accepté de ne pas se représenter.

Le ministre de l’Intérieur et dauphin désigné, Mohamed Bazoum, a été élu. Il avait organisé en mars 2020 la répression contre des manifestants qui dénonçaient le détournement par le ministère de la Défense de fonds destinés à la lutte contre les djihadistes. À la suite de surfacturations de matériel militaire, 100 millions d’euros avaient atterri sur les comptes en banque de proches du président.

Le Niger est l’allié de la France dans le G5 Sahel et sert de base aux drones américains. C’est aussi la principale voie d’accès des migrants d’Afrique subsaharienne vers les côtes de la Méditerranée, une route que l’Union européenne s’efforce de contrôler. Mais le pays reste surtout l’un des premiers producteurs de l’uranium destiné aux centrales nucléaires françaises. Cela vaut bien un label de démocratie, quel que soit le régime.19

 

 

L’impérialisme veut continuer son pillage

Le 26 juillet 2023, le président nigérien, Mohamed Bazoum, grand allié de la France, a été renversé par un putsch militaire, mené par le chef de la garde présidentielle, Abdourahamane Tchiani. Macron et le gouvernement français ont immédiatement réagi par des menaces.

Il s’agissait du troisième coup d’État au Sahel, après celui du Mali en août 2020 et celui du Burkina Faso en janvier 2022. Il faut rappeler que depuis 2012, l’armée française est en guerre dans cette région de l’Afrique, pour, selon Hollande, qui en a pris la décision, combattre les milices islamistes présentes au Mali. Dix ans plus tard, malgré cette intervention, les massacres de civils se succédaient, en particulier dans la région dite des « trois frontières », entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Depuis 2013, plus de trois millions d’habitants du Sahel ont dû fuir, selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU.

L’armée française, loin d’apporter une aide, n’a fait que contribuer au chaos. Comment pourrait-il en être autrement ? Son seul véritable but était de permettre la perpétuation du pillage de son ancien pré carré africain par les entreprises françaises, au premier rang desquelles Orano, l’ex-Areva, qui alimente en partie les centrales nucléaires hexagonales. Mais si le Niger est le quatrième exportateur mondial d’uranium, c’est aussi l’un des pays les plus pauvres du monde : au classement mondial du FMI, il est 182e sur 187 pays. En 2010, la part du revenu des ventes d’uranium revenant au Niger était d’à peine 13 %, le reste revenant à Areva. C’est fondamentalement cette domination économique qui alimente la colère plus que légitime de la population contre la France et les régimes qu’elle protège sous prétexte de défendre une démocratie factice.

Le 30 juillet 2023, une manifestation s’en est prise au drapeau tricolore et à la plaque de l’ambassade de France à Niamey, la capitale. Le gouvernement et les médias français ont prétendu que les manifestants étaient manipulés par la junte, voire par la Russie. Mais les manifestations aux cris de « À bas la France » n’ont rien d’une nouveauté. En novembre 2021, à Téra, dans l’ouest du pays, la colère de la population était déjà telle qu’elle avait bloqué un convoi de militaires français, qui avaient répondu en tirant, faisant deux morts et dix-huit blessés.

Lors des putschs au Mali et au Burkina Faso, l’impérialisme français s’était vu obligé de déménager ses troupes. Mais face au coup d’État nigérien, il semblait que la donne n'était pas la même. Non seulement Macron a agité la menace de « répliquer de manière immédiate et intraitable », mais le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, est intervenu pour défendre Mohamed Bazoum, ce qui tranchait avec la posture que maintenaient les États-Unis jusque-là. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), regroupement de chefs d’État liés à l’impérialisme, a brandi la menace d’une intervention militaire, en fixant un ultimatum d’une semaine à la junte nigérienne pour rendre le pouvoir à Bazoum.20

 

Coup d'État et calculs impérialistes

À l’expiration de l’ulti­matum, le 6 juillet 2023, les putschistes dirigés par le général Tiani étaient toujours là, leur popularité semblant renforcée. Les dirigeants de la Cedeao, présidée par le Nigeria, pays anglophone de 220 millions d’habitants aux côtés de pays francophones dont le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, annonçaient un sommet le 10 août pour décider de leurs actions.

Derrière la Cedeao, la France, ancienne puissance coloniale, et les États-Unis pour qui le Niger est « le pivot de la stabilité du Sahel », étaient à la manœuvre. Sous prétexte d’aider les pays du Sahel à traquer les djihadistes mais surtout pour défendre les intérêts de leurs industriels présents dans cette vaste région, ces deux pays disposent d’une base militaire au Niger.

Les troupes françaises, rapatriées au Niger après avoir été chassées du Mali puis du Burkina Faso voisins, étaient haïes par la population. Présentes depuis 2013 au Sahel, elles n'étaient pas plus capables d’éradiquer les bandes djihadistes que les armées régionales. Par contre, elles multipliaient les bavures vis-à-vis des civils et étalaient leur coûteux arsenal militaire dans un pays parmi les plus pauvres du monde. Au Niger, ces troupes ne pouvaient que raviver la sinistre mémoire de l’époque coloniale où les massacres et le travail forcé ont marqué les esprits pour des générations.

L’exigence du départ des troupes françaises, formulée par le général Tiani après le putsch, a donc visiblement trouvé du soutien parmi la population, en particulier dans la capitale Niamey. Les putschistes étaient pourtant des piliers de l’appareil d’État présidé par le pro-occidental Mohamed Bazoun, aussi corrompus que leurs homologues dans la région. Tiani était le chef de la garde présidentielle, et des rivalités internes ont pu être la motivation initiale du putsch. Mais en imposant des sanctions qui frappaient d’abord les classes populaires et en affirmant que les manifestants hostiles à la France étaient manipulés par Poutine, les dirigeants de la Cedeao et leurs parrains occidentaux ont permis aux putschistes d’avoir un soutien populaire.

Le Niger fournit de l’uranium aux centrales nucléaires occidentales mais importe 80 % de son électricité. En coupant ses livraisons, le Nigeria a plongé le Niger dans le noir. La Cedeao a bloqué les transactions bancaires et fermé des frontières par lesquelles transite l’essentiel des échanges. Comme toujours, ces sanctions frappent d’abord les classes populaires qui n’ont aucun moyen de les contourner, ne reçoivent plus les mandats de leurs proches et subissent les pénuries et la flambée des prix engendrées par les sanctions.

Quant aux manifestations contre la présence française, il fallait tout le mépris colonial des politiciens français pour y voir la main de Moscou. Si des drapeaux russes sont apparus au Niger, si des mercenaires de Wagner étaient effectivement présents au Mali et au Burkina Faso, présenter les putschistes nigériens comme des agents de la Russie était une opération politique. Au moment où les États-Unis et la Russie se faisaient la guerre par Ukraine interposée, tous les conflits régionaux tendaient à s’exacerber et à prendre leur place dans l’affrontement entre les puissances impérialistes et leurs rivaux russes ou chinois.

En poussant la Cedeao à menacer d’une intervention militaire, les dirigeants américains et français voulaient obliger les dirigeants des pays voisins du Niger à se ranger dans leur camp. Si le président du Nigeria s’est porté à la tête de la coalition, le Sénat de ce pays s’est opposé à l’intervention. Quant au président de l’Algérie Tebboune, il a « catégoriquement rejeté toute intervention militaire au Niger ». Tous savaient qu’une opération militaire pourrait tourner au carnage et avoir de graves conséquences dans une région ravagée par les bandes armées et où des politiciens exacerbent les divisions ethniques. Mais ce n’est pas cela qui arrêtait les dirigeants impérialistes.21

 

L’armée française forcée de plier bagage

L’annonce par Emmanuel Macron du départ des troupes françaises du Niger et du retour de son ambassadeur à Paris a déclenché des manifestations d’enthousiasme à Niamey. L’arrogance du président français, qui prétendait depuis deux mois ignorer les injonctions de la junte à la tête du pays, n’a fait qu’exacerber le ressentiment de la population et de la jeunesse contre l’ancienne puissance coloniale.

Lorsque les militaires dirigés par le général Tiani ont renversé le président Mohamed Bazoum, Macron avait aussitôt déclaré qu’il ne reconnaissait pas les nouvelles autorités du pays et ne recevrait de consignes que de Mohamed Bazoum, retenu prisonnier. Dans le même temps, il activait les dirigeants des pays africains alliés de la France, comme la Côte d’Ivoire, pour que la Cedeao, l’organisation régionale, prenne des mesures en vue d’une intervention militaire et déclenche des sanctions économiques contre le Niger. 

Cette attitude s’est soldée par un fiasco. Le président du Nigeria, Bola Tinubu, dirigeant de la Cedeao, initialement chaud partisan de l’intervention militaire, s’est rapidement calmé devant la levée de boucliers que cette perspective déclenchait dans son propre pays. D’autres pays voisins du Niger, comme l’Algérie et le Tchad, se sont déclarés opposés à toute aventure militaire. Dans le camp des grandes puissances, les États-Unis, épargnés par la junte, ont pris langue avec les nouvelles autorités que la France boudait et tentaient désormais de faire accepter par la Cedeao un compromis avec celles-ci. Au sein même de l’Union Européenne, la France s’est retrouvée totalement isolée.

Ce bras de fer déclenché par Emmanuel Macron aura finalement eu pour seul effet d’accroître les souffrances de la population nigérienne. Les sanctions économiques imposées par la Cedeao, ont eu des conséquences dramatiques. Les prix des produits de base ont explosé, quand ceux-ci ne disparaissaient pas purement et simplement de la circulation. Les médicaments faisaient défaut. L’électricité, en provenance du Nigeria, était quasiment coupée. Contrairement à ce que pensaient sans doute les dirigeants français dans leurs calculs criminels, ce blocus n’a pas dressé la population contre la junte, mais a aggravé son hostilité à la présence française.

Cet échec cuisant subi au Niger, après ceux intervenus au Mali et au Burkina Faso, ne changera certainement rien à la politique des dirigeants de l’impérialisme français. Après avoir dit une fois de plus qu’il n’y avait plus de Françafrique, Macron n’a rien eu de plus pressé que de montrer comment il allait persister dans la même voie. Il a affirmé contre toute évidence que l’opération Barkhane avait été un succès alors que, pendant les huit ans qu’elle a duré, le djihadisme s’est répandu du seul Mali à tous les pays de la région. Il a dit que la France continuerait à travailler avec les pays qui en font la demande, ce qui veut dire en premier lieu avec ceux où l’armée française possède des bases, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon ou le Tchad. Il a même laissé entendre que le Niger regretterait la présence des troupes françaises, alors que sa population descendait dans la rue pour applaudir leur départ.

Cette politique de présence militaire ne prendra pas fin avec le départ des troupes françaises du Niger, pas plus que le pillage de l’Afrique par les trusts capitalistes français. Comment s’étonner si elle continue de susciter une haine farouche ? 22

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Niger
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Hamani_Diori
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Seyni_Kountch%C3%A9
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Niger
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mamadou_Tandja
(6) Claude Quémar http://cadtm.org/Niger-vraie-crise-fausses-reponses
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mamadou_Tandja
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Niger
(9) André Victor http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2169/dans-le-monde/article/2010/02/24/21786-niger-coup-detat-sur-un-gisement-duranium.html
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Niger
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_du_Niger
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Niger
(13) http://www.journaldunet.com/economie/magazine/1164746-pays-pauvres/1164798-niger
(14) Yann Cézard https://npa2009.org/node/36756
(15) http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/rapport-niger-areva-resume-fr.pdf
(16) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/03/11/niger-areva-licencie-deja_36599.html
(17) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_g%C3%A9n%C3%A9rales_nig%C3%A9riennes_de_2016
(18) CADTM Afrique http://www.cadtm.org/Le-CADTM-Afrique-exprime-sa,13680
(19) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/02/24/niger-le-pillage-continue_154884.html
(20) Thomas Baumer https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/08/02/niger-limperialisme-veut-continuer-son-pillage_725878.html
(21) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/08/09/niger-coup-detat-et-calculs-imperialistes_725970.html
(22) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/09/27/niger-larmee-francaise-forcee-de-plier-bagage_726780.html