La Côte d'Ivoire

 

 

Histoire précoloniale

Parmi les populations les plus anciennes on compte les Krus au Sud-Ouest, (venus de l'actuel Liberia) ainsi que les Sénoufos au Nord-Est (venus de l'actuel Mali). Le nord du pays sera sous l'influence des royaumes sahéliens (Songhai, Ghana). C'est dans ce contexte que s'implantera l'Islam, répandu soit par des commerçants, notamment des colporteurs dioula, soit par le djihad mené par des armées à cheval. Des villes commerçantes comme Kong ou Bondoukou deviendront par la suite de véritables cités-États, liens entre la savane et la forêt. Toutefois les populations ne connaissaient pas la propriété privée et ne cherchaient pas à délimiter leur territoire. Leurs cultures étaient marquées par une tradition théâtrale, orale, musicale, de danse et la croyance à la magie.

 

L'entrée des Européens

Les premiers Européens à pénétrer le pays sont les navigateurs portugais, longeant les côtes africaines, à la recherche de la route vers l'Inde. Les européens sont d'abord frappés par la force démographique des Noirs. Le commerce de l'ivoire, des fusils et la traite des Noirs se mettent vite en place. Les ports de San-Pédro, Sassandra ou encore Fresco ont conservé les noms de marins ou de vaisseaux portugais. Les négriers britanniques sont également présents. Le premier contact avec la France date de 1637, lorsque des missionnaires débarquent à Assinie, près de la Côte-de-l'Or (actuel Ghana).1

En 1687, deux ans après le code noir, des missionnaires et des commerçants français s'installent sur le site d'Assinie, à l'extrémité est du littoral, vers la Côte de l'or, mais ils repartent en 1705 après avoir construit et occupé le fort Saint-Louis, de 1701 à 1704, car le commerce des esclaves contre des céréales ne rapporte pas assez. Parmi eux, le chevalier d'Amon et l'amiral Jean-Baptiste du Casse, directeur de la Compagnie du Sénégal, principale société de la traite négrière française, débarquent, intéressés par le trafic de l'or, et sont reçus à la cour du roi Zéna. Dans le rapport que Jean-Baptiste du Casse remet aux autorités françaises, il insiste sur l'impérieuse nécessité de créer des établissements fixes dans la région, citant trois lieux pour élever trois forteresses : Assinie, Commendo et Accra.

Mais les Français sont plutôt à Ouidah, l’un des deux ports, avec Lagos, qui ont concentré 60 % des deux millions d'embarquements d'esclaves de la baie du Bénin. Ils ramèneront en France le jeune « prince » Aniaba et son cousin Banga, lesquels seront présentés au roi de France Louis XIV et se convertiront au catholicisme (Aniaba sera baptisé par Bossuet, évêque de Meaux). Ils deviendront officiers dans le Régiment du Roi, avant de retourner à Issiny vers 1700. Aniaba serait devenu en 1704 conseiller du roi de Quita (actuel Togo), se faisant appeler Hannibal.

Ces Européens entretiennent des relations religieuses, parfois politiques mais surtout commerciales avec les populations du littoral ivoirien. L’abondance de l’ivoire donne à cette partie du territoire africain le nom de Côte de l’ivoire également appelée, à cause des relations difficiles avec les habitants, Côte des mal gens. Le commerce concerne divers produits tropicaux, mais il est surtout dominé par la traite négrière. L’esclave est le produit des guerres tribales, le fruit d’une mise en gage ou le résultat d’une décision judiciaire. Certaines personnes sont esclaves de naissance, héritant ainsi du statut de leurs ascendants.

La traite négrière constitue au XVIIIe siècle l’essentiel des échanges entre les populations côtières et les marchands européens. La Côte d’Ivoire qui reste jusqu’au XIXe siècle, un espace de traite d’importance moindre comparativement au Bénin ou au Nigeria, subit également les conséquences négatives du phénomène dans les différentes sociétés. L’on enregistre de nombreux morts, une diminution de la natalité, la rapide diffusion d’épidémies et des famines qui n’épargnent ni les sociétés lignagères, ni les empires ou royaumes établis sur le territoire. La traite négrière strictement interne perdurera en Côte d'Ivoire jusqu'à la fin du XIXe siècle.

La zone forestière est le siège par excellence de sociétés où l’autorité du chef de lignage s’exerce généralement au niveau d’une tribu. Elle connaît une mutation sociale significative caractérisée par la multiplication et le développement de diverses alliances d’où naissent des confédérations tribales, claniques ou régionales. Une telle évolution diffère du cheminement constaté au nord, dans les différentes branches du groupe sénoufo. Conçu à l’origine sur un schéma proche des sociétés lignagères, le groupe sénoufo se constitue par la suite, peu à peu, en chefferies sur le modèle du « Kafu » malinké et se consolide pour faire face notamment à l’expansionnisme de l’empire de Kong. Les autres sociétés vivant au nord, mais également celles du centre et de l’est, se présentent de manière encore plus hiérarchisée avec une organisation confortée par le renforcement de pouvoirs monarchiques ou l’apparition de nouvelles structures traditionnelles de type étatique.

C’est le cas du royaume Abron de Gyaman dont l’autorité s’étend sur de nombreux peuples de l’est du territoire (Koulango de Nassian, Goro, Gbin, Ligbi, Huela, Agni et Dioula de Bondoukou) et qui s’affranchit du pouvoir Ashanti en 1875. Après une période d’expansion, ce royaume est cependant affaibli par des dissensions internes qui le fragilisent face aux conquêtes de Samory Touré et à l’impérialisme européen. Le Royaume du Sanwi tire le meilleur parti de ses relations avec l’extérieur et consolide son pouvoir sur les peuples du littoral du sud-est.

La monarchie Baoulé est dominée par les Warébo et les Faafoué jusqu’à la dislocation de son unité après 1850, lorsque plusieurs groupes se constituent en entités indépendantes ou en nouvelles confédérations militaires aux contours plus ou moins précis. Dans le nord, les conquérants se multiplient mais sont tour à tour vaincus par Samory Touré qui soumet également tous les royaumes (Kong, Bouna, Koulango, Gyaman...). Ces conquêtes et guerres tribales sont fortement exacerbées par la traite négrière qui accentue la déstructuration des systèmes politiques et sociaux traditionnels en raison notamment de l’apparition de nouvelles hiérarchies sociales constituées par des personnes qu’elle enrichit.

Le XIXe siècle apporte ainsi de profondes mutations au niveau des organisations sociales traditionnelles et la création de nouvelles valeurs fondées sur la richesse, qui s’apprécie à la quantité de produits détenus (produits vivriers, cheptel, vêtements, poudre d’or, armes à feu) et au nombre d’individus sur lesquels l’autorité est exercée. Ainsi, les femmes, les enfants et les esclaves qui dépendent d’une même personne constituent pour celle-ci, non seulement des ouvriers agricoles et des défenseurs du lignage, mais également une possibilité d’accroissement des alliances avec les autres familles, par le mariage.

L’abolition de l’esclavage en 1815 au Congrès de Vienne, réaffirmée en 1885 au Congrès de Berlin, ouvre la voie au développement de nouvelles relations commerciales entre les populations ivoiriennes et les nouveaux acteurs européens qui font leur apparition. En dépit d’une concurrence anglaise tenace et parfois l’hostilité des populations locales, des comptoirs français sont installés à Assinie et Grand-Bassam (Côte du Sud-Est) en 1843 et, en 1857, le fort de Dabou est édifié.

 

La France crée une colonie, la Côte d'Ivoire

Après la signature de divers traités de protectorat, un décret, le 10 mars 1893, crée la Côte d’Ivoire en tant que colonie française autonome. La France qui y est déjà représentée par Arthur Verdier (1878) puis Treich-Laplène (1886) en qualité de Résidents, désigne Louis-Gustave Binger comme Gouverneur avec résidence à Grand-Bassam. L’autorité française commence à s’instaurer dans l’ensemble du pays au moyen d’un système de quadrillage hiérarchisé qui comprend les villages, les cantons, les subdivisions et les cercles. Elle établit des liens de subordination à travers l’instauration de l’impôt de capitation, la prestation gratuite de travail (travail forcé), le service militaire obligatoire, l’application d’un code de l’indigénat et l’exercice d’une justice indigène.

Pour sa part, l’Administration française doit procéder à la mise en valeur du territoire, à la mise en place de services sociaux de base, à garantir la libre circulation des personnes et des biens en mettant un terme définitif là où elle s'exerce à l'esclavage.

 

La résistance locale s’exprime dès la phase d’exploration (guerre de Jacqueville et de Lahou en 1890, guerre de Bonoua en 1894 et 1895, guerre en pays adioukrou en 1897 et 1898). Paris décide une guerre ouverte avec Samory en 1896, qui est enfin vaincu à Guéouleu (Guélémou) en 1898. Quelques années plus tard, pour asseoir rapidement et définitivement l’autorité de la France sur le territoire, le gouverneur Gabriel Angoulvant opte pour l’accélération forcée de la colonisation :

 

« Je désire qu’il n’y ait désormais aucune hésitation sur la ligne politique à suivre. Cette ligne de conduite doit être uniforme pour toute la Colonie. Nous avons deux moyens de les mettre en pratique : ou attendre que notre influence et notre exemple agissent sur les populations qui nous sont confiées ; ou vouloir que la civilisation marche à grands pas, au prix d’une action... J'ai choisi le second procédé. »

 

De nouvelles résistances apparaissent notamment dans l’ouest forestier (siège de Daloa en 1906, siège de Man en 1908, siège de Sémien en 1911) ou chez les Akan du Sud (attaques des postes d’Agboville et d’Adzopé en 1910). Elles sont longues en pays Baoulé (1893-1912) en pays Gouro (1907-1914) et en pays Lobi (1898-1920). En dépit de quelques défaites françaises, toutes les résistances sont définitivement vaincues en 1920. Les chefs de la résistance sont tués ou déportés et les pertes en vies humaines sont importantes pour les populations locales. Une nouvelle économie s’installe progressivement. De 1905 à 1930, des maisons de commerce dont le siège est en Europe (SCOA, CFAO, CCAF, Peyrissac) s’installent et réalisent la collecte des produits locaux et l’écoulement des produits importés. De même, les Européens encouragés par la politique française et aidés par le recrutement pour des travaux forcés dans les plantations, développent des exploitations agricoles privées et notamment des plantations de café et de cacao à partir de 1930. Ces cultures d’exportation supplantent très rapidement les produits de cueillette (Kola, graines de palmes, bois, caoutchouc). Parallèlement, des infrastructures et des équipements sont réalisés pour soutenir l’exploitation économique. Le réseau routier se met en place et un chemin de fer est construit grâce au recrutement obligatoire des jeunes. Des écoles et des postes médicaux sont également ouverts. Cependant, cette option de mise en valeur de la colonie est freinée de 1930 à 1935 par la crise économique. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale accroît les difficultés économiques et financières locales. Outre l’impôt de capitation, les prestations obligatoires se multiplient et les populations versent des « dons pour la défense de la Côte d’Ivoire et de la France ». Mais l’effort de guerre est surtout militaire avec des milliers de recrues mobilisées et envoyées sur les champs de bataille en Europe et en Afrique du Nord. Après la défaite de juin 1940, ce sont de nombreux volontaires ivoiriens qui s’engagent aux côtés du général Charles de Gaulle dans la Résistance.

 

En quête d'émancipation

Avant la fin de la guerre 1939-1945, les populations encore inorganisées commencent assez timidement une lutte pour l’émancipation politique, sociale et économique. Mais à partir de 1945, en Côte d’Ivoire comme dans toutes les colonies françaises d’Afrique, la vie politique s’organise en prenant appui sur la Conférence de Brazzaville. Les Ivoiriens participent à leurs premières élections municipales (Abidjan et Grand-Bassam) et législatives, les territoires d’outre-mer devant désormais, par décision de l’autorité coloniale, être représentés à l’Assemblée nationale constituante française. En dépit de l’opposition de l’administration locale, Félix Houphouët-Boigny se porte candidat en Côte d’Ivoire devant le collège des non-citoyens. Il devance son adversaire de plus de mille voix et, au deuxième tour le 4 novembre 1945, est élu député avec 12 980 voix sur 31 081 suffrages exprimés. À la seconde Assemblée nationale Constituante, il est réélu plus facilement au Parlement français avec 21 099 voix sur 37 888 suffrages exprimés. Plusieurs partis politiques (souvent soutenus par des syndicats) sont créés à partir de 1946. Ils sont de simples prolongements de la diversité des formations politiques de France ou la concrétisation de la liberté d'initiatives locales.

 

La Constitution de la Quatrième République (France) et les lois anticoloniales (suppression du travail forcé, suppression du Code de l'indigénat ou extension de la citoyenneté française), sans changer véritablement le système colonial local, provoquent à la fois la colère des colons et la déception des populations colonisées qui durcissent leur lutte pour l’émancipation, à travers des actions de plus en plus violentes conduites par les partis politiques.2

 

À la suite de l’adoption, le 23 juin 1956, de la loi-cadre Defferre donnant l'autonomie aux colonies africaines, une élection territoriale est organisée en Côte-d’Ivoire le 3 mars 1957, au cours de laquelle le PDCI remporte une victoire écrasante.

Houphouët-Boigny, qui occupait déjà les fonctions de ministre en France, de président de l'Assemblée territoriale depuis 1953 (ayant succédé à Victor Capri Djédjé) et de maire d’Abidjan depuis novembre 1956, décide de placer à la vice-présidence de la Côte d’Ivoire Auguste Denise, même s’il reste, pour Paris, le seul interlocuteur de la colonie.

Le 7 avril 1957, le chef du gouvernement du Ghana, Kwame Nkrumah, en déplacement en Côte d’Ivoire, appelle toutes les colonies d’Afrique à prendre leur indépendance ; Houphouët-Boigny lui rétorque alors :

« Votre expérience est fort séduisante… Mais en raison des rapports humains qu’entretiennent entre eux Français et Africains et compte tenu de l’impératif du siècle, l’interdépendance des peuples, nous avons estimé qu’il était peut-être plus intéressant de tenter une expérience différente de la vôtre et unique en son genre, celle d’une communauté franco-africaine à base d’égalité et de fraternité. »

Contrairement à de nombreux dirigeants africains qui réclament une indépendance immédiate, Houphouët-Boigny souhaite une transition en douceur au sein de l’« ensemble français » car, selon lui, l'indépendance politique sans l'indépendance économique ne vaut rien. Aussi, donne-t-il rendez-vous à Nkrumah dans dix ans afin de voir lequel des deux eut choisi la meilleure voie. Tout naturellement, il fait campagne pour le « oui » lors du référendum pour la Communauté franco-africaine, proposé par de Gaulle le 28 septembre 1958. Seul son protégé guinéen, Ahmed Sékou Touré ose dire « non » préférant, à l’inverse d’Houphouët-Boigny, « la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage ». Malgré ce succès, la communauté franco-africaine s'écroule peu de temps après, poussée par la fédération du Mali qui souhaite l’indépendance.

Le 7 août 1960, Houphouët proclame à contrecœur, l’indépendance de la Côte d’Ivoire.3

 

L'ère Houphouët-Boigny

Les 30 premières années de son « règne » sont souvent présentées comme une période faste, celle du « miracle ivoirien ». Le système colonial a irrémédiablement transformé les divers espaces autochtones de commerce et d’échanges et réorienté l’économie vers l’exportation de produits agricoles non transformés et l’importation de produits européens manufacturés. Dès le début des années 1960, le pays axe sa politique de développement sur l’expansion des exportations de matières premières et la substitution aux importations reposant sur quelques industries. Tout en accordant à l’État un rôle central, le pouvoir favorise également très activement les investissements privés et les capitaux étrangers. Le pays affiche alors des taux de croissance record, et connaît un développement économique et social.

D’environ 4 millions en 1960, la population atteint les 12 millions d’habitants en 1980. Cette augmentation est due à l’amélioration des conditions de vie mais aussi à l’immigration, encouragée par Houphouët-Boigny. De nombreux Maliens, Burkinabés et Sénégalais s’installent dans le pays en quête d’une vie meilleure, fournissant une main-d’œuvre bon marché à l’économie rentière de plantation et contribuant à la production de richesses dont ils ne seront par contre que très peu à bénéficier largement. Les fruits de ce travail sont en effet entièrement détournés à la fois par la classe dirigeante nationale et par ses alliés internationaux aux premiers rangs desquels la France dont les entreprises forment l’essentiel du tissu économique et rapatrient 90 % de leurs bénéfices.
Peu diversifiée, l’économie souffre structurellement d’une forte dépendance extérieure et de déséquilibres importants entre ses différents secteurs d’activités. Et lorsque les termes de l’échange lui sont défavorables, elle vacille et s’effondre. La chute des cours des produits agricoles de base survenue à la fin des années 1970 a ainsi provoqué une dépression d’autant plus grave qu’à la faveur du « boum du café et du cacao », la Côte d’Ivoire s’était engagée dans une politique monétaire et fiscale expansionniste appuyée sur les revenus des exportations en forte croissance. L’augmentation de l’endettement extérieur a alors été immédiate autant que la montée de l’inflation. Confronté à une croissance économique fortement ralentie, le pays s’engage dans un Programme d’ajustement structurel (PAS).4

 

L'apparition de tensions sociales

Du temps de la croissance économique, un climat général d’enrichissement et de satisfaction permettait à Houphouët-Boigny de maintenir et de maîtriser les tensions politiques intérieures ; sa dictature est relativement bien acceptée par la population. Mais, à la fin des années 1980, la crise économique entraîne une sévère dégradation des conditions de vie des classes moyennes et des populations urbaines défavorisées ; selon la banque mondiale, la population vivant en deçà du seuil de pauvreté passe de 11 % en 1985 à 31 % en 1993. Malgré la prise de certaines mesures telles que la réduction du nombre de coopérants français qui passe de 3000 à 2000 en 1986, libérant ainsi mille postes pour de jeunes diplômés ivoiriens, le gouvernement ne parvient pas à endiguer la montée du chômage et la faillite de nombreuses entreprises.

De fortes agitations sociales secouent alors le pays, créant un véritable climat d’insécurité. L’armée se mutine en 1990 et 1992, et le 2 mars 1990 des manifestations contestataires sont organisées dans les rues d'Abidjan avec des slogans, jusque là inédits, tels que « Houphouët voleur » et « Houphouët corrompu ». Ces manifestations populaires obligent le président à lancer une démocratisation du régime aboutissant, le 31 mai, à l’autorisation du pluralisme politique et syndical. Lors de l’élection présidentielle du 28 octobre 1990, Boigny est confronté, pour la première fois, à un adversaire, Laurent Gbagbo. Cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être réélu pour un septième mandat avec 81,68 % des suffrages, au grand dam de son opposant du FPI qui, dénonçant une manipulation du Code de la nationalité, réclame la différenciation nette entre nationaux et étrangers émigrés, dans la mesure où ces derniers disposent pratiquement des mêmes droits civiques, politiques et sociaux que ces premiers, et offrent quasi-automatiquement leurs suffrages à leur protecteur : Houphouët-Boigny. Gbagbo va même plus loin, en revendiquant une reconnaissance juridique des droits des nationaux sur la terre, remettant en cause les propriétés acquises, depuis des décennies, par les planteurs burkinabés dans l’Ouest et le Sud-Ouest forestier.

Les tensions vont atteindre leurs paroxysmes en 1991 et 1992. Lassé de devoir supporter une nouvelle manifestation étudiante, Houphouët-Boigny, qui avait déjà déclaré « Entre l’injustice et le désordre, je préfère l’injustice », envoie dans la nuit du 17 au 18 mai 1991, ses para-commandos occuper le campus de la cité universitaire de Yopougon. De nombreuses exactions y sont perpétrées par l'armée. Devant ces violences restées impunies, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire organise à Abidjan, le 13 février 1992, une manifestation qui se termine par l’interpellation d’une centaine de personnes. Le 18, c’est au tour du FPI d’organiser à Abidjan, une manifestation qui dégénère en émeute, avec l’arrestation de 300 personnes dont Laurent Gbagbo et René Dégni-Ségui, président de la Ligue ivoirienne des droits de l'homme. Les deux hommes, condamnés le 6 mars à deux ans de prison ferme, sont amnistiés par Houphouët-Boigny le 24 juillet.

 

Les fastes du régime

Dès 1977, une affaire de malversation, au sujet de la « surfacturation » de trois sucreries, ébranle le gouvernement. Aucun procès n’a lieu mais des mesures sont immédiatement prises. Le 23 juin 1977 une loi anti-corruption est adoptée, le 20 juillet 1977 neuf ministres sont limogés, et, en vue de moraliser la vie publique, Houphouët-Boigny fait don à l’État de ses plantations de Yamoussoukro. Lors des élections législatives de 1980, il permet aux électeurs de choisir parmi une multitude de candidats afin d’éliminer un certain nombre de barons du régime.

La corruption n'en est pas pour autant endiguée. Elle se fait même de plus en plus visible lors de la crise économique. En 1983, un nouveau scandale financier secoue la classe dirigeante au sujet de la LOGEMAD, un organisme d’État chargé de reverser à des particuliers les loyers des logements occupés par des fonctionnaires ; lors de cette affaire, il s’avère que cet organisme profite essentiellement aux responsables politiques qui, après avoir fixé des baux administratifs, récupèrent l’argent versé par l’État par le biais de logements leur appartenant.

Le président est, lui-même, impliqué dans cette affaire puisque sa famille touche, de cette manière, 6 700 000 Francs CFA par mois de l’État. D’ailleurs, durant sa présidence, il profite très largement des richesses de la Côte-d’Ivoire puisqu’à sa mort en 1993, sa fortune personnelle est estimée entre sept et onze milliards de dollars. Au sujet de cette colossale fortune, il déclare en 1983 : « Les gens s’étonnent que j’aime l’or. C’est parce que je suis né dedans ».

Ainsi, le dirigeant ivoirien acquit une dizaine de propriétés en région parisienne (dont l'hôtel de Masseran dans le 7e arrondissement de Paris, rue Masseran, avec un parc de 8 590 m²), une propriété à Castel Gandolfo en Italie, et une maison à Chêne-Bourg en Suisse. Dans ce pays, il détient également des sociétés immobilières telles que SI Grand Air, SI Picallpoc ou Interfalco, et de nombreuses actions dans des bijouteries et horlogeries prestigieuses comme Piaget et Harry Winston. C’est aussi en Suisse qu’est placée sa gigantesque fortune dont il ne cache pas l'existence, bien au contraire :

« Quel est l’homme sérieux dans le monde qui ne place pas une partie de ses biens en Suisse. »

Outre cette corruption endémique et cette immense fortune, Houphouët s'adonne à des dépenses somptuaires. En 1983, la capitale est transférée dans son village natal à Yamoussoukro, officiellement pour soulager Abidjan. Il y construit, aux frais de l’État, de nombreux édifices jugés démesurés par certains à l'époque, tels qu'un Institut Polytechnique, fréquenté par des étudiants de toute l'Afrique de l'Ouest, ou bien un aéroport international. Le plus pharaonique projet est la Basilique Notre-Dame de la paix, de béton et d'acier, employant le plan classique de Saint-Pierre du Vatican, plus grand lieu de culte chrétien au monde. Financée sur ses fonds personnels, elle est réalisée entre 1985 et 1989 par le Libanais Pierre Fakhoury et la société française Dumez pour un coût total de 1 à 1,5 milliard de francs français. Il l’offre au pape Jean-Paul II qui la consacre le 10 septembre 1990.

Le déploiement d’un tel faste, alors même que l’économie nationale s’effondre, n'a pas l'effet escompté par Houphouët, sinon alimenter le mécontentement de la population.

 

La succession et l'après Houphouët

Cette crise économique, sociale et politique englobe également le problème de sa succession à la tête de la Côte-d’Ivoire. Depuis l’élimination en 1980 de son « dauphin » Philippe Yacé, qui était président de l’Assemblée nationale et donc « de plein droit président de la République » en cas de vacance du pouvoir, Houphouët-Boigny retarde autant qu’il peut la nomination officielle de son successeur. Sa santé, de plus en plus fragile, attise les convoitises entre ses différents « héritiers » potentiels qui se mènent, entre eux, une véritable guerre. Finalement, le Premier ministre Alassane Ouattara, qui assure l’essentiel du pouvoir depuis 1990 du fait des hospitalisations répétées du président à l’étranger, est écarté au profit de son protégé Henri Konan Bédié, président de l'Assemblée nationale. En décembre 1993, en phase terminale d’un cancer, Boigny est ramené d’urgence dans son pays afin qu’il y meure. Il est maintenu en vie artificiellement pour que les dernières dispositions soient mises au point concernant sa succession. En accord avec la famille, Félix Houphouët-Boigny est débranché le 7 décembre.

À la mort du Président, l'unité du pays, symbolisée par ses obsèques grandioses et consensuelles le 7 février 1994, est toujours maintenue. Une importante délégation française y assiste, composée de son ami le président François Mitterrand, du Premier ministre Édouard Balladur, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Philippe Séguin et René Monory, de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac, de son ami Jacques Foccart et de six anciens Premiers ministres.

Pour commémorer sa mort, le 7 décembre 1993, deux rues ont pris le nom de 7 décembre à Abidjan. Le boulevard du Sept-Décembre, à Koumassi, et son prolongement, la rue du Sept-Décembre à Marcory Zone 4.

 

L’homme de la France en Afrique

Tout au long de sa présidence, Houphouët-Boigny s’entoure de conseillers français dont l’influence s’étend à tous les domaines, notamment politiques avec Guy Nairay, chef de cabinet du président de 1960 à 1993, et Alain Belkiri, secrétaire général du gouvernement ivoirien. Cette diplomatie spécifique, la « Françafrique » comme il la nomme lui-même, lui permet de conserver des liens très privilégiés avec l’ancienne métropole, faisant de lui le principal allié de la France en Afrique. Ainsi, à chaque nouvelle « aventure » africaine où s’implique l'un des deux pays, ils s’apportent, mutuellement, un soutien inconditionnel ; Houphouët-Boigny nouera même, avec le « Monsieur Afrique » de l’Élysée, Jacques Foccart, de véritables liens d’amitié.5

 

Henri Konan Bédié et le replis nationaliste

En octobre 1995, Henri Konan Bédié remporte à une écrasante majorité (95,25 % contre 3,75 % ou 4,75 % pour le candidat Francis Wodié) contre une opposition fragmentée et désorganisée qui appelle au boycott actif, la première élection présidentielle organisée après le décès de Félix Houphouët-Boigny. Il resserre son emprise sur la vie politique, obtient assez rapidement une amélioration des perspectives économiques, une diminution de l’inflation et engage des mesures pour réduire la dette extérieure.

Contrairement à Félix Houphouët-Boigny, qui a su avec prudence éviter tout conflit ethnique et a même permis l’accès aux postes de l’Administration publique à certains immigrants venus de pays voisins, Henri Konan Bédié met en exergue le concept de l’ivoirité.

La Côte d'Ivoire abrite plus de 64 ethnies regroupées en grands ensembles. Chaque groupe ethnique se distingue par un ensemble de codes, d'us et de coutumes traditionnels.6

L'ivoirité est un concept visant à définir la nationalité ivoirienne dans un processus de démocratisation et d'unification nationale d’une société en manque d'imaginaire « globalement national ». Il s'appuie sur des notions culturelles et vise à promouvoir les cultures et productions nationales. L'ivoirité se manifeste par des appels à l'élan national via des spots publicitaires (radio, affichage public, télévision et journaux de presse) avec un slogan simple : « Consommons ivoirien » le message se veut clair et simple7. L’ivoirité est ainsi définie comme l’affirmation de la souveraineté et de l’autorité du peuple ivoirien face aux menaces de dépossession et d’assujettissement, notamment dans les domaines de l’immigration ou des pouvoirs économique et politique. Par la suite, le concept a la réputation d’être destiné à exclure l’opposant Alassane Dramane Ouattara de l’élection présidentielle. La nationalité de ce dirigeant fait ainsi l’objet de vives polémiques et de nombreuses controverses tant au sein de la classe politique que de l’ensemble de la société ivoirienne, une partie de la population lui reconnaissant la nationalité ivoirienne, tandis que l’autre la lui dénie. La Cour suprême de Côte d’Ivoire n’a pu trancher sur ce sujet8. Ce rejet de Ouattara est facilité par le contexte de "méfiance identitaire". À une différence ethnique, s'ajoute en effet une différence de religion : les Ivoiriens du nord, musulmans, sont soupçonnés d'être de mauvais Ivoiriens, et sont donc rejetés par les Ivoiriens du sud. Mais il aboutit à un sentiment d'exclusion des populations du nord, notamment les Malinkés dont les patronymes ont plus facilement une consonance étrangère.9

L'apparition du concept d'ivoirité s'explique essentiellement par la crise économique que connaît la Côte d'Ivoire depuis le milieu des années 1980. En effet, cette réaction xénophobe est apparue lorsque l'économie du pays a cessé de créer massivement des emplois. Cette situation n'a pas sensiblement réduit les flux migratoires provenant des pays musulmans pauvres et surpeuplés du Sahel. Le but de l'ivoirité semble être avant tout d'empêcher les populations étrangères, qui peuvent rentrer dans le pays sans visa, de participer à la compétition pour le pouvoir politique et d'accéder aux emplois de la fonction publique. En effet, les étrangers représentaient 26 % de la population en 1998.

Le 22 octobre 1995, contre un seul candidat (les autres candidats sont refusés par la Cour suprême ou ont boycotté l'élection), Henri Konan Bédié est élu président de la Côte d'Ivoire avec 96,44 % des voix. Fort de ce succès, il effectue en 1998 une réforme de la propriété foncière avec l'appui de tous les partis politiques, y compris celui d'Alassane Ouattara. Avec cette réforme, seuls les Ivoiriens de souche peuvent détenir des terres.

 

Coup d'État militaire

Le 24 décembre 1999, suite à une mutinerie qui se transforme en coup d'état, Henri Konan Bédié est renversé par l'armée. Le concept d'ivoirité disparaît mais la tentation xénophobe persiste.

Le général Robert Guéï est placé au pouvoir jusqu'à la tenue de nouvelles élections, l'ivoirité reste utilisée dans la politique du pays pour limiter la vie sociale des « Ivoiriens d'origine douteuse ». C'est dans ces conditions que le 23 juillet 2000, une nouvelle Constitution est adoptée par référendum, tous les partis politiques ayant appelé à voter pour. Elle stipule que seuls les Ivoiriens nés de parents ivoiriens peuvent se présenter à une élection présidentielle. Le débat se focalise notamment sur la mention "et" de l'article 35 ("Le candidat à l'élection présidentielle [...] doit être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine") supposée viser Alassane Ouatara qui déclare pourtant pouvoir être candidat que la conjonction retenue soit "et" ou "ou". Une vaste « campagne d'identification », destinée à définir la véritable citoyenneté des Ivoiriens, est entamée.

 

Dégradation du climat politique

Après quatre années de dictature, le coup d'État du général Robert Guéï est légitimé par la reconnaissance du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire (RDR) d'Alassane Ouattara. L'échec de plusieurs tentatives de coup d’État oblige les partisans d'Alassane Ouattara au sein de l'armée à fuir au Burkina Faso.

Les six candidats présentés par le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), dont Henri Konan Bédié, à l'élection présidentielle du 22 octobre 2000, sont éliminés par la Cour suprême. Il en est de même pour le candidat du RDR, Alassane Ouattara, jugé non-Ivoirien. Au total, quatorze des dix-neuf candidatures à l'élection présidentielle présentées par des partis sont rejetées par la Cour suprême. Le décompte des bulletins de vote place Robert Gueï en seconde position derrière Laurent Gbagbo le 22 octobre ; il s'autoproclame néanmoins président de la République ce qui déclenche d'importantes manifestations de la population, bientôt suivie par la gendarmerie. Les affrontements opposent la garde prétorienne du général Gueï à la population. Les premiers sont rapidement vaincus mais les affrontements se prolongent entre partisans de Ouattara et partisans de Laurent Gbagbo. Le 26 octobre, Laurent Gbagbo est proclamé président sur décision de la Commission électorale. Le 27 octobre, un charnier de 57 corps est découvert à Yopougon qui va longtemps hanter les mémoires. Le bilan officiel des violences de la fin de l'année 2000 est de 303 morts, 65 disparus et 1 546 blessés. Les élections municipales de mars 2001 se traduisent par une victoire relative pour le RDR et une victoire incontestable de la démocratie ; pour la première fois de son histoire, la Côte d'Ivoire assiste à une défaite électorale du parti au pouvoir.10

 

Laurent Gbagbo (2000-2011)

Une fois arrivé au pouvoir, Laurent Gbagbo met en œuvre une politique dont l'objectif initial est de permettre l'enrichissement de l'ensemble des Ivoiriens, et pas seulement certaines catégories aisées, très minoritaires, de la société ivoirienne. Il s'agit, en outre, de tourner la page de la croissance sans développement, caractéristique de l'ère de Félix Houphouët-Boigny. Cette politique, dite de refondation, est fortement teintée de socialisme, de nationalisme identitaire et d'anticolonialisme, particulièrement à l'égard de la France.

 

Parmi les réformes majeures, le nouveau gouvernement de Laurent Gbagbo met en place en décembre 2000 l'école primaire et secondaire gratuite, supprimant les uniformes scolaires et les frais de scolarité (pour les enfants du primaire), et permet la distribution de matériel scolaire pour les familles démunies. Malgré le fait que ces mesures n'ont pas été étendues à l'ensemble du territoire et la pénurie d'enseignants, elles ont contribué à augmenter le taux d'alphabétisation et d'éducation des Ivoiriens en encourageant les parents à envoyer leurs enfants à l'école.

 

Lambert Feh Kessé, en tant que directeur général des impôts, impose peu de temps après la normalisation des factures, afin de lutter contre l'économie informelle, et ce malgré de nombreuses manifestations de mécontentement.

 

Le nouveau gouvernement entame également l'abolition du délit de presse et de toute censure à l'égard des médias et des journalistes. Si cela permet aux journalistes d’exprimer pleinement leurs opinions et leurs analyses, ceci a en réalité eu pour effet de dégrader le climat de l'information dans le pays et de développer un fort partisanisme au sein des médias. Ceux-ci ont commencé à se faire le relais de rumeurs, de diffamations et d'attaques politiques plus violentes, à tel point que les attaques contre les journalistes ont par la suite sensiblement augmenté.

 

Les universités publiques ivoiriennes deviennent rapidement le lieu de violences et d'exactions, en particulier de la part de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire, devenue une milice au service du pouvoir en place avec à sa tête Charles Blé Goudé. Ce dernier encouragea des pratiques violentes, voire meurtrières tels que l'officieux « article 125 ». Professeurs, élèves et journalistes sont de plus en plus violentés dès lors que le syndicat étudiant ou le pouvoir fait l'objet de remarques ou de critiques. La tricherie, la facilité, la corruption deviennent progressivement le mode d’admission aux examens et aux concours. D'après Human Rights Watch, Laurent Gbagbo a, pendant son mandat, considérablement favorisé les groupes ethniques lui étant loyaux, au détriment des autres groupes ethniques du pays. Il use des concepts d'ethnicité et de citoyenneté dans le but de stigmatiser les Ivoiriens du Nord ou les immigrés d’Afrique de l’Ouest, qui sont alors considérés comme des « étrangers » dangereux par les partisans de Laurent Gbagbo, alors même que ces personnes ont passé toute leur vie en Côte d’Ivoire, souvent dans des villes du Sud comme Abidjan, très éloignées de leur région ethnique d’origine.

Pendant l'ensemble du mandat de Laurent Gbagbo, les infrastructures du pays cessent peu à peu d'être entretenues : la plupart des bâtiments, appartenant essentiellement à l'État, se dégradent au fil du temps.

Le réseau routier a considérablement vieilli, faute d’entretien pendant plusieurs années, et ce malgré plusieurs initiatives (création de l'Ageroute et du Fond d'entretien routier, prolongement de l'autoroute du Nord, lancement de quelques chantiers par la suite interrompus, faute de crédits). Nombreux sont les nids de poule qui se forment sur les autoroutes et dans les centres-villes sans qu'ils ne soient réparés, tandis que certains carrefours ne sont plus praticables les jours de pluie à cause de la désaffection des évacuations d'eaux de pluie.

L'insalubrité urbaine augmente sensiblement, de par une très mauvaise gestion des déchets, et dû au fait que les entreprises de nettoyage et de collectes des ordures ne peuvent plus opérer de façon régulière, faute de paiements de la part de l'administration. Vers la fin du mandat, le secteur de l'énergie ne permet plus d'approvisionner l'ensemble du pays en électricité de façon satisfaisante. Les délestages deviennent fréquents, jusqu'à plusieurs fois par jour. Enfin, les services des hôpitaux publics se sont dégradés sensiblement et sont devenus incapables de faire face à la demande, occasionnant parfois des morts par manque de traitement. Les universités publiques ivoiriennes ne sont pas mieux loties, souffrant d'un état de délabrement plus avancé.

 

La corruption, implantée depuis longtemps dans le pays, s'amplifie sensiblement notamment dans la filière café-cacao, dont la libéralisation profite finalement aux « barons » et à leur entourage et non aux producteurs. De nombreuses actions sont entreprises sans aucun contrôle de la part de l'État ivoirien, tandis que le pays devient une destination de choix pour le blanchiment d'argent, la création de sociétés-écrans, ou les escroqueries à la Nigériane. Plusieurs milliards de francs CFA sont détournés dans plusieurs entreprises publiques tandis que les sommes perçues par les agents de ces entreprises ne sont pas toujours reversées à l'État. Les pots-de-vin sont également devenus monnaie courante au sein des services publics ivoiriens.

 

Crise politico-militaire

Le 19 septembre 2002, des soldats rebelles, disposant d'un armement de qualité dont le financement reste d'origine inconnue, et venant du Burkina Faso voisin attaquent des villes du pays pour réaliser un coup d'État alors que le président est à Rome. La situation tourne rapidement à un conflit entre le Sud (tenu par le gouvernement) et le Nord (tenu par les rebelles), qui s'opposent notamment à la politique d'« ivoirité » introduite sous la présidence Bédié, mais dont les dirigeants en place ont largement contribué au développement notamment dans l'administration et dans l'armée.11

 

Bien que le coup d'État ait échoué, une rébellion (qui prend le nom de Forces nouvelles) se forme dans le nord du pays, et occupe bientôt 60 % du territoire selon une ligne tracée d'avance par l'armée française en Côte d'Ivoire. La France s'interpose, officiellement en application d'accords de défense (envoi de la Force Licorne).12

Sans vouloir méconnaître les facteurs endogènes dans le déclenchement de la guerre civile ivoirienne, il faut noter cette première coïncidence troublante : la tentative de coup d’État de septembre 2002 survient au lendemain de l’annonce de la remise en cause d’énormes intérêts économiques français en Côte d’Ivoire, les marchés jusque là attribués de gré à gré aux firmes tricolores devant être soumis à la concurrence des entreprises chinoises. La position de Bouygues, par exemple, paraît particulièrement menacée. La version officielle veut que, lorsque les rebelles lancent leur attaque, les services secrets français aient été pris de court. Les rébellions se sont pourtant entraînées et armées au Liberia et au Burkina Faso, avec la complicité de Charles Taylor et Blaise Compaore, deux dirigeants alliés de l’impérialisme français et liés aux réseaux françafricains. Mieux, après la tentative avortée de coup d’État et alors que les rebelles continuent d’être approvisionnés depuis le Burkina, l’armée et les services secrets auraient été « aveugles et sourds pendant plus de trois semaines », selon Francis Blondet, alors ambassadeur de France au Burkina. On sait qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre... Si l’on ne peut prouver que des réseaux françafricains ont contribué directement au financement, à l’équipement et à l’entraînement des rebelles, force est de constater en revanche que ces derniers font l’objet d’un traitement de faveur de la part de l’armée française, au regard de situations analogues dans d’autres pays liés à la France par des accords militaires. La France refuse de faire jouer les accords de défense comme le réclame le président Gbagbo, et refuse même dans un premier temps tout soutien logistique, prétextant que ces accords sont « caduques », alors qu’ils continueront d’être invoqués, quelques années plus tard, pour justifier par exemple les interventions militaires françaises contre les rébellions centrafricaines. La France n’intervient officiellement que pour la protection de ses ressortissants, mais finit néanmoins par interdire aux rebelles, à leur grande surprise, de progresser au Sud du pays et permet un rééquilibrage militaire au profit des forces loyalistes. Dans le même temps, l’opération Licorne dessine une « ligne de non franchissement » qui consacre durablement la partition du pays et sanctuarise les territoires contrôlés par ceux qui se baptisent « Forces Nouvelles ».

 

Du militaire au politique... du politique au militaire

L’Élysée a-t-il changé son fusil d’épaule après l’échec de la tentative initiale de coup d’État ? N’a-t-il voulu donner qu’un avertissement au régime de Gbagbo et maintenir sur sa tête une épée de Damoclès ? Comme l’expliquent les généraux français, le gel de la situation militaire permet en tout cas à la France d’exercer de fortes pressions au plan diplomatique. Tandis que les militaires français se flattent d’avoir contribué à maintenir l’unité politique des rebelles, menacée par des rivalités politiques sanglantes sur fond de pillages des ressources et des banques, l’Élysée impose en janvier 2003 les accords de Marcoussis. Les représentants de la rébellion et des partis politiques ivoiriens (mais pas le gouvernement) sont « invités » par le président Chirac à élaborer, sous la houlette du juriste gaulliste Pierre Mazeau, un scénario de sortie de crise, dont certaines clauses ne seront jamais acceptées par Gbagbo. Les rebelles, qui n’ont d’autre légitimité politique que celle que leur confère la prise des armes (la gestion maffieuse du Nord du pays qu’ils contrôlent démontrera rapidement que les revendications initiales contre l’ivoirité et les exactions racistes du régime Gbagbo n’étaient que prétextes), doivent se voir attribuer, en vertu de ces accords et dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, les ministères de l’Intérieur et de la Défense, soit le contrôle de toutes les forces sécuritaires. Pas moins ! Parallèlement, il est prévu l’affaiblissement des prérogatives présidentielles au profit d’un premier ministre « de consensus », mais validé par l’Élysée. Mais ni Seydou Diarra, ni Konan Banny, désignés selon ces modalités, ne parviendront à supplanter Laurent Gbagbo, même après la mise en place d’un « Groupe de travail international » (GIT) piloté par la ministre de la coopération française, B. Girardin, sous couvert de l’ONU, qui tente vainement de placer les institutions ivoiriennes sous tutelle à l’expiration officielle du mandat présidentiel.

Le point culminant des tensions franco-ivoiriennes est atteint fin 2004. Début novembre, les forces loyalistes entament une opération de reconquête et bombardent le Nord du pays pendant trois jours, sans que ni les forces de l’ONU, ni les forces françaises, censées garantir le cessez le feu, ne réagissent. Officiellement, celles-ci ont été surprises par les événements. En fait, les services français en ont suivi minutieusement les préparatifs et les présidents français et ivoiriens, comme l’a révélé Le Canard enchaîné, s’en sont entretenus par téléphone. Comme le reconnaîtra le général Poncet devant la justice française, le président Ggagbo a pu se croire tacitement autorisé par la communauté internationale à mener cette opération militaire. Mais après trois jours de bombardement du Nord, un camp militaire français est pilonné par des mercenaires slaves à la solde de Gbagbo. En représailles, les militaires français procèdent, peut-être sur ordre de l’Élysée, à la destruction immédiate de la quasi-totalité de la flotte ivoirienne. Les milices pro-Gbagbo se livrent aussitôt à des pillages et à des menaces contre les nombreux ressortissants français, qui seront évacués vers la France. L’intoxication dans les médias français atteint alors son paroxysme et l’on parle par exemple à la Une du Monde de corps décapités à la machette. On ne déplorera en fait aucun mort parmi les ressortissants français, mais l’armée française procède en revanche, à deux reprises, à des massacres délibérés de manifestants ivoiriens désarmés qui protestaient contre la présence militaire française. Après avoir pris possession militairement de l’aéroport et de certains points stratégiques de la capitale, une colonne de blindés français se dirige en effet « par erreur » vers la résidence de Gbagbo, avant de prendre possession de l’hôtel Ivoire. L’ambassadeur français au Burkina reconnaîtra plus tard qu’une tentative de coup d’État a bien été envisagée par certains gradés français. Celle-ci sera finalement repoussée par l’Élysée, soit retour à la prudence, soit faute de prétendant crédible. Quant au bombardement initial de Bouaké, il demeure aujourd’hui inexpliqué. Côté français, certains journalistes avancent la thèse d’une manœuvre de Gbagbo pour masquer l’échec de son offensive militaire. Scénario plausible, mais c’est la France qui, au grand désarroi des familles des soldats français décédés, a saboté l’enquête judiciaire, s’opposant par exemple à deux reprises à l’arrestation des mercenaires biélorusses impliqués (qui avaient été fournis par Montoya, ancien de la cellule « antiterroriste » de Mitterrand) et refusant de lever le secret défense sur les documents dont elle dispose, malgré l’avis favorable de la commission de déclassification.

 

Les bons comptes font les bons amis

Comme dans le dossier rwandais, c’est sous la présidence de Sarkozy que s’amorce la détente diplomatique, le pouvoir politique français s’étant résigné à l’éventuelle réélection du leader du FPI, tout en maintenant des liens privilégiés avec les autres candidats Bédié et Ouattara. S’il s’agit incontestablement d’une victoire politique du président ivoirien contre l’ancienne puissance coloniale, celle-ci s’est accompagnée et a été facilité par une soumission économique renouvelée... Si la rhétorique anti-impérialiste fait toujours partie du fond de commerce politique du président Ggagbo, celle-ci ne trompe plus grand monde. Dès 2004, Bolloré avait récupéré de gré à gré la gestion du terminal à conteneur du port d’Abidjan et certains capitalistes français avaient tenté d’appuyer une détente franco-ivoirienne par le biais du Cercle d’amitié et de soutien au Renouveau Franco-Ivoirien (CARFI). La sortie de crise a coïncidé avec un retour en force des grandes entreprises françaises qui se sont empressées d’engranger des contrats avant la tenue des élections : Bolloré, Vinci, CFAO, Alcatel, Technip, Bivac, Bureau Veritas, France Telecom, Sagem, Aéroport de Paris, BNP Paribas, etc. Et bien sûr Bouygues, qui, déjà présent dans l’eau et l’électricité s’est implanté dans les hydrocarbures et a récupéré la construction du troisième pont d’Abidjan qui menaçait de lui échapper en 2002... Dernier en lice : Total, qui a fait son entrée dans l’exploitation du pétrole offshore.

En contrepartie, la France a soutenu la Côte d’Ivoire auprès du FMI et de la Banque Mondiale dans le cadre du programme PPTE (Pays pauvre très endetté), lui permettant d’obtenir une restructuration de sa dette auprès du Club de Paris (groupe de créanciers). Enfin la coopération sécuritaire entre les deux pays a repris, et si la base militaire française est officiellement dissoute, il était peu vraisemblable que les soldats français quittent en totalité le pays, même après la fin de la période électorale.13

 

Élection présidentielle de 2010

Les élections présidentielles de Côte d’Ivoire n’auront pas joué le rôle que l’on attendait. Au lieu de permettre le dépassement de la crise, elles n’ont fait que refléter la réalité et accentuer la division du pays qui s’est manifestée jusqu’à la nomination du vainqueur. La Commission électorale indépendante où l’opposition est majoritaire, a déclaré Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix sous l’aile protectrice de la France, des États-Unis et de l’ONU. Quant au Conseil constitutionnel, il a annulé les votes dans le nord pour fraude massive et proclamé Laurent Gbagbo président de la République.
Cette division du pays remonte à 2002 où, après l’échec d’un coup d’État militaire, les rebelles dénommés ensuite Forces nouvelles ont réussi à s’emparer de la moitié nord du pays. Depuis cette date, des structures de pouvoir se sont installées au sud, celles de Gbagbo reconnues officiellement malgré la fin de son mandat en 2005, et qui a dû accepter un Premier ministre, Guillaume Soro, issu de la rébellion à la suite des accords de paix de 2007. Au nord, les « Com’zones », comme on les appelle, sont les hommes des Forces nouvelles qui dirigent les différentes provinces et par ce biais s’enrichissent.
La Côte d’Ivoire n’en finit pas de payer les effets dévastateurs de la politique impérialiste. Les ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale ont littéralement jeté la population dans la misère. Comme dans tous les pays, qu’ils soient africains ou non, plus la misère progresse, plus le racisme et la xénophobie gagnent du terrain. La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à ce constat. Les dirigeants comme Bédié ou Gbagbo n’ont pas hésité à utiliser la notion d’« ivoirité » pour garder le pouvoir, déclenchant des politiques de stigmatisation des populations du nord du pays, majoritairement musulmanes, issues pour certaines des vagues d’immigrations des pays du Sahel.
Huit ans après le déclenchement de la crise, on en est toujours au même point. Certes les deux candidats ont des parcours et des histoires différentes. Alassane Ouattara, ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny est l’homme des puissances occidentales. Il n’a pas hésité une seule seconde à appliquer les politiques du FMI qu’il a intégré par la suite comme directeur général adjoint. Au second tour des élections, il bénéficie du soutien de Bédié, celui-là même qui a contesté son « ivoirité » et son droit à se présenter aux élections de 1995. Gbagbo, fondateur du Front populaire ivoirien, a longtemps été un opposant de Houphouët-Boigny. Il a connu la prison et l’exil et a remporté des élections de 2000 qu’il qualifie lui-même de calamiteuses.
Le parcours de Gbagbo et sa rhétorique ne doivent pas faire illusion. Il n’a pas hésité à demander l’intervention de la France, dans le cadre des accords militaires, contre les Forces nouvelles. Sous son règne, les entreprises françaises ont fait des affaires florissantes.
Gbagbo a utilisé lui aussi le concept d’« ivoirité » pour renforcer son pouvoir. Ses partisans ont éliminé des opposants, des syndicalistes et militants communistes.
De nouveau tous les éléments sont réunis pour un scénario catastrophe où les populations iraient s’entredéchirer au profit de dirigeants corrompus des différents clans de la bourgeoisie.14

Alassane Ouattara bénéficiant de l'appui de nombreux états étrangers, ainsi que celui d'instances économiques et financières tant régionales qu'internationales, parvient à paralyser l'économie et assécher les finances de l'état ivoirien, notamment les zones encore contrôlées par Laurent Gbagbo.

Cependant, cette situation ne satisfait aucun des protagonistes et les esprits finissent par s'échauffer de nouveau. Les combats éclatent à Abidjan à la fin du mois de février 2011 entre le « Commando invisible » hostile à Gbagbo et l'armée régulière. Puis, début mars, la tension gagne l'ouest du pays, où les Forces nouvelles prennent le contrôle de nouveaux territoires. L'ensemble du front finit par s'embraser à la fin mars, et les forces pro-Ouattara, rebaptisées Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), prennent Yamoussoukro, la capitale politique du pays, le 30 mars. À partir de ce moment-là, tout va très vite : le sud du pays est conquis en quelques heures et les troupes pro-Ouattara entrent dans Abidjan, sans rencontrer de réelle résistance, et pour cause, l'armée régulière, la gendarmerie et la police font défection, abandonnent Gbagbo, et se rangent au côté d'Alassane Outtara dans les FRCI, tandis que le commandant de l'armée, le général Mangou, déserte et se réfugie avec sa famille à l'ambassade d'Afrique du Sud. Laurent Gbagbo et son épouse se retranchent à la Résidence présidentielle, protégés par un dernier carré de fidèles. La Résidence assiégée par les forces pro-Ouattara ne peut résister à l'assaut final contre le domicile, qui est lancé le 11 avril avec l'appui indirect des forces onusiennes et françaises sous mandat par l'application de la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l'ONU. À l'issue de cette opération, Laurent Gbagbo (accompagné de sa famille) est fait prisonnier, puis placé en état d'arrestation à l'hôtel du Golf. Il a ensuite été transféré à Korogho dans le nord du pays, où il est assigné à résidence (quelques jours plus tard son épouse, qui n'a pas été autorisée à le suivre, sera placée à son tour en résidence surveillée à Odienné, une autre localité du nord ivoirien). Laurent Gbagbo fut ensuite incarcéré à la Haye où il attendait un procès pour crimes de guerre.15

 

Ouattara imposé avec l'aide de l'armée française

Le 11 avril 2011, après plusieurs mois de résistance, Gbagbo a finalement dû céder la présidence de la Côte d'Ivoire à son rival Ouattara. « À aucun moment les forces françaises n'ont pénétré dans la résidence présidentielle », affirme l'état-major, pour démentir les rumeurs selon lesquelles les forces spéciales françaises auraient participé à l'arrestation de Gbagbo et de son entourage.

Les représentants officiels et les responsables militaires français soutiennent que les militaires de la force Licorne n'ont agi qu'« en soutien de l'opération ». Bel euphémisme pour dire que l'armée française, passée en quelques jours de 980 à 1 700 hommes, a joué un rôle majeur dans le dénouement de ce conflit, en faisant donner ses chars et ses hélicoptères pour pilonner les positions des partisans de Gbagbo et détruire en partie le bunker où ce dernier s'était retranché dans Abidjan.

Avec la complicité de l'ONU, l'impérialisme français a donc imposé le clan Ouattara, comme il avait durant une décennie, et plus particulièrement en s'interposant entre les rebelles du Nord et les forces gouvernementales en 2002, en soutenant finalement le clan Gbagbo, et avant lui tous les régimes qui se sont succédé à la tête du pays depuis l'indépendance. À commencer par Houphouët-Boigny, que l'ex-colonisateur a soutenu durant plus de trente ans, malgré son régime de parti unique où les opposants étaient emprisonnés, torturés, voire assassinés. Pas plus que la France n'a été gênée par Konan Bédié qui lui succéda à partir de 1993. Il fut pourtant l'inventeur en 1995 de l'« ivoirité », thèse raciste et xénophobe visant à dresser les « Ivoiriens de souche » contre les « Ivoiriens d'origine douteuse » et les « étrangers », pour discréditer l'ethnie dioula et Ouattara. Ce dernier sera d'ailleurs exclu de l'élection présidentielle de 2000.

C'est dire l'hypocrisie de Juppé quand il prétend que l'intervention française avait comme seul objectif de faire respecter la démocratie et l'élection de Ouattara à l'issue du scrutin de 2010. Tout comme il ment lorsqu'il prétend que le gouvernement français a agi dans le seul but de protéger les populations civiles. Car les troupes françaises n'ont jamais quitté le pays depuis son indépendance. À ce titre, elles ont aidé le pouvoir à se maintenir, en l'aidant par exemple à écraser les révoltes des minorités, comme celle des Bété dans l'ouest du pays en octobre 1970. Elles ont également fermé les yeux, tout comme la prétendue « force de paix » de l'ONU, lors des massacres organisés par les hommes de Gbagbo à proximité de la ligne de front en 2002, ou encore dans la région de Duékoué en juin 2005. Tout comme elles ont laissé Gbagbo et ses sous-fifres répandre, durant des mois, le poison de l'ethnisme et de la xénophobie dans la population, et armer leurs partisans, favorisant ainsi les assassinats d'immigrés burkinabés ou de membres de l'ethnie dioula suspects de sympathies pour Ouattara.

La présence des troupes françaises comme des casques bleus de l'ONU est bien davantage destinée à protéger les intérêts des entreprises occidentales implantées dans le pays qu'à assurer la protection des populations civiles ivoiriennes. Et ces intérêts sont nombreux dans le cacao et le café, dont la Côte d'Ivoire est l'un des premiers producteurs mondiaux, mais aussi dans les transports, les ports, le pétrole ou les travaux publics.

Quant à Ouattara, son passé aux côtés d'Houphouët-Boigny puis dans les hautes sphères du FMI, ses relations avec Sarkozy, « un ami de longue date », offrent peut-être des garanties quant à la défense des intérêts de l'impérialisme, et de l'impérialisme français en particulier. En revanche, il n'en offre aucune à la population pauvre ivoirienne. Cette dernière a même tout à craindre de l'arrivée au pouvoir du nouveau clan, et des règlements de comptes qu'il risque d'entraîner.16

 

Processus de réconciliation

Le 20 juillet 2011, Alassane Ouattara signe un décret créant une commission nationale d'enquête (« Commission dialogue, vérité et réconciliation ») sur les violences postélectorales de 2010-2011. Cette commission, qui disposera de six mois pour transmettre ses conclusions et recommandations, doit mener des enquêtes « non judiciaires » pour aider à comprendre « comment et pourquoi des violations aussi graves et massives » des droits de l'homme ont pu être commises. Présidée par l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny, la commission d'enquête devra travailler « en parfaite synergie avec toutes les organisations nationales et internationales de défense des droits de l'homme ». Mais rapidement, la commission piétine et souffre d’un déficit de consultation des citoyens dans la prise des décisions. Elle déplore une société profondément divisée, et se révèle impuissante par rapport aux violences armées qui interviennent encore régulièrement en Côte d'Ivoire.17

 

 

La situation des classes populaires trois ans après l'arrivée de Ouattara au pouvoir

L’exposé ci-dessous a été présenté par un membre de l’UATCI de Côte d’Ivoire lors d’un forum de discussion à la fête de Lutte Ouvrière, le 8 juin 2014. Il fait le point sur la situation des classes populaires en Côte d’Ivoire, trois ans après l’installation de Ouattara au pouvoir.

 

Cela fait trois ans que Ouattara a été installé au pouvoir grâce à l’intervention des troupes françaises. Depuis qu’il est au pouvoir, il se vante d’avoir apporté une stabilité et parle beaucoup de réconciliation avec ses anciens adversaires politiques, mais cette stabilité est toute relative. Les milices armées sont loin d’avoir disparu, de même que les massacres, notamment dans l’ouest du pays. L’insécurité règne toujours même si son intensité a baissé. Mais j’y reviendrai plus loin.

Ouattara se vante aussi de la croissance de l’économie ivoirienne et affirme qu’il veut faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent. Donc, pour les dirigeants au pouvoir et pour la classe capitaliste, les affaires vont plutôt bien. Mais pour les travailleurs et les classes populaires en général la réalité est plutôt dans la dégradation incessante des conditions d’existence.

Les dernières augmentations des salaires datent de 1985. Il y a donc de cela presque trente ans. Il y a vingt ans, la monnaie, le franc CFA, a été dévaluée de 50 %, avec comme conséquence la flambée des prix et donc une perte du pouvoir d’achat. Quelques années plus tard, en 2002, le pays a été coupé en deux, rendant la circulation des denrées beaucoup plus difficile entre le Nord et le Sud. Encore plus tard, début 2008, il y a eu la vague d’augmentations spectaculaires des prix des denrées alimentaires de base à cause des spéculations financières, entraînant des marches de la faim dans plusieurs pays d’Afrique, dont la Côte d'Ivoire. Deux ans après, fin 2010-début 2011, éclataient les violences préélectorales et postélectorales. Tout ça a eu des répercussions directes sur le coût de la vie. Autant dire que le pouvoir d’achat des plus pauvres s’est érodé au fil des ans. Depuis l’installation du nouveau pouvoir, les prix continuent régulièrement à augmenter.

Dans les entreprises, la situation des travailleurs a suivi la même dégradation. La même année où la monnaie avait été dévaluée, c’était en 1994, le code du travail a été aussi modifié en faveur du patronat. Ce nouveau code a permis aux patrons de recourir plus facilement au travail temporaire. Les anciens qui sont embauchés sont remplacés par des travailleurs journaliers à vie ! Désormais, les patrons n’avaient plus à se référer à personne pour renvoyer les travailleurs. Ceux-ci n’ont pas droit à la retraite. Il n’y a pas de prise en charge en cas de maladie ni même d’accident de travail. Pour éviter les amputations de salaire, les travailleurs malades n’osent pas s’absenter. Depuis cette époque, s’est aussi généralisé le travail à la tâche, ce qui vient aggraver encore plus les conditions des travailleurs.

Pour se faire une idée de la paupérisation des classes pauvres, il faut savoir que, selon le gouvernement lui-même, les deux tiers des six millions d’habitants que compte la ville d’Abidjan habitent les bidonvilles. Avec la spéculation immobilière, les travailleurs sont obligés d’habiter de plus en plus loin. Or, plus on habite loin, plus le transport coûte cher. Cela fait que certains d’entre eux dorment sur leurs lieux de travail et ne rentrent chez eux que le week-end.

Dans ces conditions, nourrir sa famille, payer son loyer, scolariser ses enfants relève d’un casse-tête. Avant 1985, le salaire d’un travailleur pouvait tant bien que mal assurer les repas quotidiens. Aujourd’hui, les familles ouvrières se contentent d’un seul repas par jour. Il est constitué d’un peu de riz avec une sauce à base de légumes et un peu de poisson. La viande ne fait plus partie des menus des familles ouvrières depuis bien longtemps.

 

Cherté de la vie

Face au coût élevé de la vie, ce gouvernement tout dévoué aux intérêts des riches fait semblant de faire quelque chose.

Ses dernières trouvailles consistaient à exiger que les commerçants affichent leurs prix sur les différents étals comme si, en affichant les prix, cela les réduirait. L’autre trouvaille du même genre consiste à envoyer des équipes de contrôleurs sur les marchés pour vérifier si les balances de pesage ne sont pas truquées. Par ces mesures, le gouvernement rend responsables de la flambée des prix les petits commerçants qui sont pour la plupart des ressortissants des pays limitrophes. Ce même gouvernement qui prétend lutter contre la vie chère vient pourtant d’autoriser l’augmentation du prix des médicaments de l’ordre de 6 %.

 

La santé

Le secteur de la santé, il y a longtemps que ce n’est plus la priorité de l’État. Les hôpitaux publics sont en nombre insuffisant et laissés à l’abandon. Lorsqu’ils existent, ils sont sous-équipés. Les urgences n’existent que de nom. Quand tu es pauvre, le mieux pour toi, c’est de ne pas tomber malade. Parce que quand tu n’as pas l’argent et qu’on te dépose aux urgences, on te laisse par terre sans le moindre soin. Tout récemment encore, Awa Fadiga, jeune fille mannequin, est décédée par manque de soins aux urgences de l’un des CHU d’Abidjan. Après s’être fait agresser dans un taxi et jeter par terre pendant que le véhicule était en pleine marche, elle a été transportée dans ce CHU. Elle est restée à terre, sans soins jusqu’à ce que mort s’ensuive. La presse locale s’en est fait l’écho parce que cette fille était connue, mais c’est le quotidien des populations pauvres dans ces hôpitaux.

Et dire que la ville d’Abidjan est encore la moins mal lotie en matière d’infrastructures sanitaires ! Parce qu’à l’intérieur du pays, c’est pire.

 

L’éducation

Pareil pour le secteur de l’éducation, qui est lui aussi laissé à l’abandon par les pouvoirs publics. Les infrastructures scolaires publiques existantes sont débordées. On trouve dans la plupart des cas des salles de classe bondées, avec 100 à 120 élèves par classe. Et même en empilant les élèves de cette manière, ça ne suffit pas. Ils sont placés en double vacation. C’est-à-dire que le matin des élèves occupent une salle pour les cours et le soir d’autres élèves occupent la même salle.

Le surplus d’élèves, qui ne peuvent être tous absorbés par les établissements publics, est orienté dans des écoles privées. Certaines de ces écoles ressemblent plus à des boutiques qu’à autre chose. Dans ces écoles, les « fondateurs » (c’est comme cela qu’on appelle les chefs d’établissement) n’ont qu’un seul souci, gagner de l’argent, comme tout commerçant. Les salaires des enseignants dans ces écoles tournent autour de 50 à 60 euros. C’est moins qu’un salaire d’ouvrier. Vous pouvez alors imaginer la qualité de l’enseignement.

 

L’insécurité

Dans les quartiers populaires tels que Abobo, Yopougon, Attécoubé, la pauvreté est un terreau fertile à la recrudescence de l’insécurité. Les parents sont dans l’incapacité de prendre en charge leurs enfants, qui sont livrés à eux-mêmes. Ces enfants se débrouillent comme ils peuvent pour survivre. La nouveauté c’est que ces quartiers sont en proie à une nouvelle forme de banditisme, avec des noms bien évocateurs de « microbes » et autres « virus ». Ce sont des bandes de gamins dont l’âge varie entre 8 et 18 ans, armés de machettes et de couteaux, qui font des razzias dans les rues. Ils dépouillent tous ceux qu’ils trouvent sur leur passage sans faire de distinction. À la moindre résistance, ils n’hésitent pas à faire usage de leurs armes. Ils laissent souvent derrière eux des blessés et malheureusement des morts.

 

La reprise économique

Aujourd’hui, Abidjan donne l’impression d’une ville en construction. La demande de logements est très forte. Elle est estimée selon le gouvernement à 60 000 logements par an. Pour répondre à cette demande, des chantiers de construction de maisons d’habitation et d’immeubles sortent de terre en grand nombre. Il y a aussi la construction du troisième pont et de deux échangeurs qui sont en phase de finition. Abidjan est coupé en deux par la lagune. Au sud, il y a le port, l’aéroport et une concentration industrielle. Quant à la partie nord, il y a la zone industrielle de Yopougon. Mais il y a surtout des grandes zones d’habitation. Et pour relier les deux parties de la ville, il n’y a que deux ponts. Aux heures de pointe, ce sont des embouteillages à n’en pas finir. D’autant plus que c’est essentiellement par camions que s’évacuent les marchandises qui arrivent au port et qui doivent emprunter ces ponts pour se rendre vers le nord. Donc, ce nouveau pont vient en réponse à ce problème. Le chantier est exécuté et en grande partie aussi financé par Bouygues. Ce sera un pont à péage qui va être exploité par ce dernier durant trente ans.

Parmi les chantiers, il y a l’extension de l’autoroute du Nord jusqu’à la capitale politique, Yamoussoukro, située à quelque 250 km d’Abidjan, qui vient d’être achevée. Il y a aussi la construction d’une autre autoroute, qui reliera Abidjan à la ville côtière de Grand Bassam distante d’une cinquantaine de kilomètres, qui est en cours de réalisation.

C’est dire que le secteur du BTP redémarre après plusieurs années d’inactivité due à la guerre civile.

Parmi les autres chantiers à venir, il y aura la construction de l’extension du port d’Abidjan. Ce port est déjà aujourd’hui l’un des plus importants ports en Afrique. Si ce chantier se concrétise, c’est un très gros chantier à venir. Les entreprises Bouygues et Bolloré sont annoncées pour sa construction.

Autre chantier en vue : la construction d’un réseau de tramway reliant Abidjan et sa banlieue. Les travaux n’ont pas encore commencé. Il semblerait que c’est imminent. Trois entreprises sont en compétition, Bouygues et deux entreprises coréennes concurrentes, dont Hyundai.

Se déplacer à Abidjan n’est pas chose facile. Le transport public est défaillant. La société de transport public ne dispose pas de suffisamment de bus pour répondre à la demande. Pour pallier ce manque, il y a les Gbaka qui sont les mini-cars et il y a les woro-woro qui sont des petits taxis collectifs. Mais les tarifs sont élevés et les véhicules le plus souvent en mauvais état.

Dans la zone industrielle de Yopougon, de nouvelles usines ont été créées. Il y a notamment une cimenterie, une nouvelle brasserie, une usine de fabrication d’emballages biodégradables, et d’autres petites unités de production.

Fort de tout cela, le gouvernement ne rate aucune occasion pour se vanter d’avoir un taux de croissance de 8 à 10 %, qui se maintiendra selon lui durant les prochaines années.

À la fin de l’année dernière, le gouvernement, pour éviter que la situation ne soit explosive dans les usines, avait annoncé une augmentation du salaire minimum qui est passé de l’équivalent de 55 euros à 95 euros par mois. Même si ce salaire était respecté à la lettre par les employeurs, il ne compenserait même pas la perte de pouvoir d’achat de ces dernières années. Aux seuls endroits où ce salaire a été appliqué, il l’a été sous la menace des travailleurs. Mais les patrons trouvent toujours le moyen de récupérer de la main gauche ce qu’ils ont donné avec la main droite. À Filtisac par exemple, une entreprise de textile, juste après avoir accordé l’augmentation, le patron s’est débarrassé d’un grand nombre de travailleurs pour rattraper son manque à gagner. Et la direction exerce une pression sur ceux qui restent afin d’avoir la même production. Malgré l’augmentation annoncée, à Zénith par exemple, une usine de fabrication de sandalettes, tout a continué comme si de rien n’était jusqu’à ce que les travailleurs se mettent en grève pendant quatre jours avant que le patron n’accorde la petite augmentation.

Le gouvernement a aussi annoncé une augmentation de 8 % pour les retraités. Mais cela relève bien plus d’un effet d’annonce qu’autre chose. En Côte d’Ivoire, s’agissant des travailleurs, en tout cas des ouvriers, très peu perçoivent une retraite.

D’abord, pour toucher la retraite, il faut être déclaré à la CNPS, qui est la caisse de retraite du secteur privé, il faut avoir cotisé au moins pendant quinze ans. Selon la CNPS elle-même, la caisse des retraites aujourd’hui concerne environ 80 000 travailleurs, qui représenteraient 10 % du total des travailleurs du privé. L’écrasante majorité des travailleurs ne perçoivent aucune pension de retraite, après avoir été exploités durant toute leur vie.

Et même pour ceux qui en touchent une, parmi les ouvriers, cette pension tourne autour de 30 000 à 40 000 F par mois. C’est-à-dire 50 à 60 euros. Une augmentation de 8 % représente bien peu de chose à côté de la hausse actuelle du coût de la vie.

Aller à la retraite, pour un travailleur, lorsque retraite il y a, c’est une condamnation à la misère. Et comme la base de calcul des pensions de retraite est indexée sur le salaire, les retraités se retrouvent avec une pension dérisoire. Du coup, les travailleurs encore aptes à travailler continuent tant qu’ils trouvent du travail. Sinon, ceux qui ont encore des attaches avec le village y retournent pour finir leurs jours.

 

Situation politique

Ouattara et son gouvernement ne se gênent pas pour parler de faire de la Côte d’Ivoire un « pays émergent » en 2020. Cela ressemble plutôt à un simple slogan de campagne en vue des élections présidentielles de 2015. Mais ça pourra aussi leur servir contre les travailleurs en cas de lutte, présentant ces derniers comme des saboteurs, ceux qui mettraient en péril le développement à venir du pays.

Les élections de 2015, c’est déjà l’année prochaine. Les préparatifs et tractations vont bon train. Le principal parti d’opposition, c’est le FPI (Front populaire ivoirien), le parti de Laurent Gbagbo. Lui-même est, en ce moment, en train d’être jugé à la CPI (Cour pénale internationale).

Ouattara a besoin du FPI pour avoir une caution démocratique qu’il n’a pas, puisqu’il a été installé au pouvoir par la puissance militaire française. Or, en dehors du FPI, il n’y a presque rien ! Il y a bien une douzaine de partis politiques qui gravitent autour du FPI, mais ces partis ne représentent que leurs fondateurs et leurs petites familles respectives.

Comme aux élections de 2010, ces partis ont créé une alliance avec le FPI. Le nom a changé. Mais c’est tout. Au vu de cela, il semblerait que le FPI se prépare à jouer ce rôle. Nous ne sommes pas dans les secrets de ces gens pour savoir si c’est avec la caution de Gbagbo ou pas. En tout cas, les dirigeants du FPI ne jurent pour l’instant que par son nom. Tout ça, c’est aussi fait pour monnayer. Déjà, le FPI a obtenu la libération de nombreux prisonniers ; le déblocage des comptes bancaires, etc. En faisant cela, Ouattara cherche à apparaître comme un faiseur de paix et à s’ouvrir la possibilité de passer l’éponge sur les crimes de ses propres partisans.

Du côté des partis au pouvoir, il y a essentiellement le RDR (Rassemblement des républicains) de Ouattara et le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) de Konan Bédié. Les autres partis membres de cette alliance dite RHDP (Rassemblement des houphouëtistes) ambitionnent quelques strapontins. Ici aussi, les tractations ont commencé pour avoir un candidat unique en 2015, qui sera Ouattara.

Si Bédié semble vouloir monnayer son soutien à Ouattara contre un poste de vice-président – c’est en tout cas le bruit qui court –, il faut dire que celui-ci a déjà grassement trouvé son compte en se trouvant dans le camp Ouattara. Mais au sein de la formation politique de Bédié, au PDCI, il y a des jeunes loups qui commencent à montrer leurs crocs, notamment un certain Kouakou Konan Bertin (KKB). Il y a aussi ce vieux crocodile qu’est Charles Konan Banny qui espérait succéder à Bédié et qui n’a pas envie de passer à la trappe.

 

La réconciliation

En ce qui concerne la réconciliation dont il est beaucoup question dans le pays, c’est plutôt une affaire entre les politiciens. Aujourd’hui, dans les quartiers populaires constitués de ce qu’on appelle « cours communes », c’est-à-dire des habitations de plusieurs familles regroupées dans une seule cour, les gens vivent en parfaite harmonie. Pour ne prendre qu’un exemple assez typique : dans cette cour, il y a deux familles dioulas, donc des gens du Nord ; il y a des familles Bété, de l’ethnie de Gbagbo ; il y a des Yacouba, de l’ethnie de feu le général Robert Guei qui a été brièvement au pouvoir avant d’être assassiné par le camp Gbagbo. Dans cette cour, il y a aussi d’autres groupes ethniques, les enfants se côtoient, fréquentent les mêmes écoles. Donc la Commission dialogue vérité et réconciliation présidée par Konan Banny, dont les membres sont payés à coups de millions, n’est qu’une affaire de postes pour des prétendants à la mangeoire.

 

Sur le plan sécuritaire

Sur le plan sécuritaire, même si dans le pays on peut constater visiblement une petite amélioration, ce n’est pas le cas partout. Les attaques à l’ouest du pays, en proie à des conflits fonciers sur fond d’ethnisme et de xénophobie, continuent. La dernière attaque dans la région de Tabou, une localité du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, date de quelques semaines. De temps en temps, pour faire semblant de faire quelque chose, le gouvernement lance des opérations dites de pacification. Mais cette région, qui a plus de 300 km de frontière avec le Liberia voisin, est difficile à contrôler. D’autant plus que les deux pays partagent les mêmes groupes ethniques : les Kroumen, les Guéré et les Yakouba. Ils sont de part et d’autre de la frontière artificielle créée par l’impérialisme. Avant même la crise ivoirienne, cette région était déjà en proie à des incursions de bandes armées venues du Liberia. Il y avait aussi des violences entre les populations venues de plusieurs horizons pour y cultiver le café et le cacao. C’est à cette situation déjà explosive que la politique d’ivoirité de Bédié (à l’époque où il était au pouvoir) et sa poursuite par les partisans de Gbagbo vont avoir des conséquences catastrophiques. La situation de tensions interethniques dans cette partie du pays se développait depuis les premiers conflits fonciers qui ont éclaté dans les années 1980. Ils n’ont pas été jugulés et là-dessus sont venus se greffer les problèmes de succession entre plusieurs protagonistes en compétition pour diriger le pays après la mort d’Houphouët.

Aujourd’hui, dans les villes, surtout dans les quartiers populaires comme Abobo, Attécoubé, Adjamé et Yopougon, il y a le développement de sortes de gangs d’adolescents appelés « microbes » ou « virus » dont il a été question plus haut.

Il y a aussi les coupeurs de route. Ici, ce sont des éléments du camp Ouattara appelés « ex-combattants » qui n’ont pas encore trouvé de point de chute. Certains sont cantonnés dans des cités universitaires, d’autres dans des casernes militaires. Par contre, un grand nombre sont dans la nature et avec des armes. Ce sont souvent ces derniers qui se muent en coupeurs de route, écumant les routes à l’intérieur du pays.

 

La lutte des travailleurs

L’année dernière, les enseignants du secteur public et les fonctionnaires de la santé avaient mené des luttes et obtenu des améliorations salariales. Cette année, il n’y a eu aucune lutte marquante. Les travailleurs du privé, ceux qui sont par exemple dans des usines, vivent une situation tellement précaire que, pour mener des luttes, ils ont peur d’être renvoyés et jetés dans la misère. De temps en temps, à force de trop pressurer les travailleurs, des luttes sporadiques éclatent. Ainsi, il y a quelques mois des travailleurs de Sotaci (qui est une des plus grosses usines de transformation de l’acier, de fabrication de fûts, de brouettes, de machettes, de clous, de grillages, tôles et fers à béton utilisés dans la construction) ont fait une grève qui a duré trois semaines. Il s’agit d’une soixantaine, travaillant à la tâche. Leur travail consiste à remplir des cartons de clous. Grâce à leur lutte, ils ont fini par obtenir une victoire morale mais très modeste sur le plan financier. Leur augmentation est de l’ordre de 30 centimes d’euro par jour.

Il y a eu aussi cette grève qui a touché une partie des dockers. Mais très vite, le mouvement a été brisé par les forces armées pour éviter qu’il contamine les autres. Il y a aussi des travailleurs de quelques usines qui luttent pour l’application du nouveau smig, comme ceux de Zénith, une usine de fabrication de sachets et autres produits en plastique.

Il y a aussi quelques luttes dans le secteur du BTP. Mais ici, les choses sont différentes des usines, du fait qu’un chantier a un début et une fin. Il est courant que, lorsque le chantier tire à sa fin, les ouvriers revendiquent des primes de fin chantier. C’est, par exemple, le cas actuellement des ouvriers du groupe Bouygues qui construisent le troisième pont. Ils réclament l’équivalent du salaire de base multiplié par le nombre de mois passés sur le chantier. En gros, les travailleurs demandent le doublement de la paie, dont la deuxième moitié à payer à la fin du chantier. La lutte a commencé il y a deux mois. Le patron et le gouvernement ont commencé par répondre en envoyant la police pour briser la grève. Il y a eu des blessés et quarante travailleurs arrêtés qui ont été par la suite relâchés. Comme Ouattara avait promis que ce pont serait terminé avant 2015, il a dépêché son ministre de l’Intérieur pour désamorcer les choses et faire reprendre le travail. Pour le moment, il a réussi à faire reprendre le travail et a tout juste promis de donner une suite dans quinze jours.

Sur un autre grand chantier de l’État, qui emploie 636 travailleurs, cela fait deux ans que des luttes se déroulent à répétition. Ces luttes sont sur plusieurs terrains de revendication : augmentation de salaire, mais aussi un certain nombre de droits sociaux comme par exemple la retraite. Cela provoque souvent des arrêts de travail qui durent un ou plusieurs jours. Souvent pour obliger les patrons à répondre vite, les travailleurs débrayent une fois le béton mouillé, car après plus de trois heures il n’est plus utilisable. C’est de cette façon que, cette année, l’entreprise chinoise qui a en charge la construction de 2 400 logements a été contrainte de déclarer tous les travailleurs à la caisse de retraite.

 

Organisation des travailleurs

Les organisations syndicales qui existent sont plus à l’écoute des patrons et du gouvernement que des travailleurs. Le secrétaire général de l’UGTCI, la vieille centrale syndicale créée au temps du parti unique d’Houphouët-Boigny, a déclaré, au nom des travailleurs, qu’après l’augmentation du smig, « 50 % des revendications des travailleurs sont réglées ».

Avec des chefs syndicaux de ce genre, les patrons font littéralement ce qu’ils veulent, ce qui fait que, même pour l’application du nouveau smig, les patrons font comme bon leur semble sans rencontrer de résistance venant des centrales syndicales.

La classe ouvrière de Côte d’Ivoire est très jeune, dans tous les sens du terme. Elle a peu de traditions héritées du passé. Elle est composée de travailleurs souvent jeunes en âge et combatifs. L’exploitation elle-même constitue une école, rude mais efficace. Malgré le recul politique général, marqué par l’ethnisme propagé pendant des décennies par des dirigeants politiques en rivalité pour la succession d’Houphouët, malgré une épuisante guerre civile, les idées de lutte de classe trouvent un écho. Le champ des possibilités est donc vaste.18

 

 

La croissance sans développement d’Alassane Ouattara

Les hommes politiques et les journalistes ne cessent de vanter le taux de croissance du pays. Parlant du pays d’Alassane Ouattara, la banque mondiale indique que « Le taux de croissance s’est établi à 10,7 % en 2012, puis 8,7 % en 2013 et les projections s’établissent entre 9 à 10 % pour 2014.

La croissance tant vantée en Côte-d’Ivoire repose essentiellement sur l’endettement public. Au quatrième trimestre de l'année 2015, la Côte d’Ivoire a évalué sa dette à 7804 milliards de FCFA. L’annonce a été faite par Bruno Nabagné Koné, porte-parole du gouvernement au terme d’un conseil de ministres. Cette ardoise est répartie comme suit : 4 772 milliards de FCFA pour la dette extérieure et 3031,9 F CFA pour la dette intérieure.

 

La dette de la Cote d’Ivoire atteint ainsi le niveau d’avant l’atteinte du Point d’achèvement de l’Initiative Pays pauvres très endettés en 2012. Or, selon les spécialistes, lorsque la Côte-d’Ivoire a atteint ce point sa dette extérieure a été réduite à 3,1 milliards de dollars (1500 milliards F CFA). On est donc passé de 1500 milliards F CFA à 4 772 milliards entre 2012 et 2015. Pourtant, le pays devrait disposer d’un matelas financier parce que la Trésorerie ne débourse plus les milliards à la fin du mois pour payer la dette extérieure. C’est tout le contraire.

Cela est d’autant plus inquiétant que sur le plan social, les indicateurs sont au rouge. Le taux de chômage augmente. La Banque mondiale reconnaît que la « Côte d’Ivoire a pris du retard dans la réalisation de la plupart des Objectifs de Développement pour le Millénaire (ODM), et presque tous les indicateurs ont stagné ou se sont dégradés ». À ce tableau déjà sombre, la Banque mondiale indique qu’en 2014 la Côte-d’Ivoire a été classé 171e sur 187 pays selon l’Indice de Développement Humain (IDH). Selon les statistiques de UN Comtrade, les produits manufacturiers représentent moins de 10 % des exportations totales du pays. En conséquence, ses matières premières étant exportées à l’état brut, la population locale n’en ressent pas les retombées en termes d’emploi. Bien plus, le manque d’intégration de l’économie ivoirienne entraîne la faiblesse des échanges intermédiaires entre les différents secteurs. Ce manque de complémentarité ou d’intégration ne favorise pas non plus la création d’emplois indirects dans d’autres filières. Or, il ne peut y avoir de réduction de pauvreté sans création de richesse ni d’emplois.

À cela, il faut ajouter la corruption et la mal-gouvernance. Dans son édition de septembre 2015, les journaux ont révélé les achats d’armes effectuées par le président Ouattara à travers les sociétés-écrans pour un montant de 60 milliards de FCFA. Ces achats avaient été faits en prélude à l’élection présidentielle du 25 octobre 2015. Le président a débloqué en catimini la somme de 60 milliards de FCFA pour se doter des armes de pointe afin d’éviter toute défaite dans une éventuelle crise postélectorale. Il n’a pas oublié 2011 et craignait d’être victime de la logique de l’arroseur-arrosé ! Pour son maintien au pouvoir, le président ivoirien ne lésine vraiment pas sur les moyens. Comme l’explique Théophile Kouamouo dans son article, Alassane Ouattara a débloqué la somme de 10 milliards de F CFA pour sa campagne électorale. Avec une telle mise, il ne pouvait que gagner l’élection. Et une fois élu, il faut bien sûr un retour sur investissement.

On le voit, l’OTAN et la France de Sarkozy ont fait la guerre en Côte-d’Ivoire pour y installer un président issu de leur rang. Quatre ans après, le pays ne s’est pas relevé. Il est dans un cycle d’endettement qui compromet ses chances de développement. Ce n’est pas seulement le quotidien des Ivoiriens qui est compromis. Leur avenir est hypothéqué. Ils devront travailler pour rembourser une dette qui ne leur a pas profité.19

 

 

La situation politique depuis 2015

À la suite des élections présidentielles du 25 octobre 2015 qui l’ont réélu pour cinq ans, le président Ouattara a procédé à un remaniement ministériel le 6 janvier 2016. Le chef d’État ivoirien souhaite consolider les efforts de réconciliation nationale et rédiger une nouvelle Constitution.20

 

 

Un bien beau « processus démocratique »...

Le président en exercice, Alassane Dramane Ouattara, n’y voit que des côtés positifs : « La Constitution, c’est la garantie, une assurance-vie pour la paix. » Par ces mots, le chef d’État a évoqué le texte constitutionnel qu’il a fait soumettre aux votes de 6,3 millions d’électeurEs le 30 octobre 2016.

Manuel Valls, qui avait choisi de rendre visite à la Côte d’Ivoire précisément ce jour-là, a de son côté évoqué « le soutien de la France aux processus démocratiques » qui seraient selon lui en cours... En réalité, rien n’est moins sûr.

À commencer par le résultat : le pouvoir évoque officiellement un taux de participation de 42 %, avec une proportion de Oui de 93 %, ce qui n’est pas difficile à imaginer dans la mesure où toute l’opposition avait appelé au boycott et quasiment personne au vote Non. Du côté de l’opposition, le Front du refus, émanation de l’opposition plus radicale – 23 partis d’opposition et/ou organisations se réclamant de la société civile – parle, lui, d’une participation de l’ordre de 3 à 5 %.

Tous ces chiffres sont invérifiables. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’approbation pour la nouvelle Constitution, censée ouvrir la voie vers une « IIIe République » selon le président, est bien moindre que celle de la Constitution précédente. Celle-ci avait été adoptée le 1er août 2000, suite à un référendum avec 56 % de participation et 86,5 % de Oui, marquant la transition démocratique après un coup d’État militaire intervenu à Noël 1999.

 

Une Constitution taillée sur mesure

La nouvelle Constitution a été lancée par Ouattara avec une déclaration le 7 juin 2016. Il avait alors nommé un « comité d’experts » composé de dix personnes, qui n’ont fait en réalité qu’avaliser ses propres projets. Le nouveau texte crée un Sénat... dont un tiers des membres sera nommé par le président lui-même… Il introduit aussi un nouveau poste de vice-président, qui pourra remplacer le président en cas d’empêchement. Un dispositif qui servira avant tout à Ouattara à introniser un dauphin et à préparer, le moment venu, sa succession.

Mais le président, alors âgé de 74 ans, n’est pas pressé. Ainsi a-t-il fait supprimer la limite d’âge pour une candidature présidentielle, jusqu’alors placé à 75 ans. Alors que la Constitution limitait le nombre de mandats à deux, Ouattara pourra se représenter à l’élection prévue en 2020, au nom de l’idée qu’il s’agira d’un nouveau scrutin dans une nouvelle République... Et la CEI (Commission électorale indépendante), qui fut jusqu’ici une institution relativement indépendante, est transformée en administration... sous contrôle du ministère de l’Intérieur. Voilà qui annonce de beaux trucages et manipulations…21

 

 

Les criminels djihadistes… et la situation qui les engendre

15 personnes ont été tuées et 33 blessées dans l’attentat terroriste qui a eu lieu le 13 mars 2016 à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire. Dans cette station balnéaire située à 40 kilomètres de la capitale ivoirienne, un commando d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a ouvert le feu sur tous ceux qui se trouvaient sur la plage, avant de pénétrer dans les hôtels les plus proches pour continuer sa tuerie.

C’est la première fois que la Côte d’Ivoire est atteinte par de tels actes, mais cela ne constitue pas une surprise. L’évolution de la situation a montré que les groupes djihadistes ont choisi de frapper partout dans la région, et qu’ils y parviennent. Lorsque l’armée française est intervenue en janvier 2013 au Mali, Hollande prétendait éradiquer le terrorisme. Ces groupes ont bien été chassés des villes du nord du Mali où ils faisaient régner la terreur, mais ils ont pris pour cible des zones jusque-là épargnées. Le centre et le sud du Mali ont été visés d’abord, avec les attentats commis à Bamako en novembre 2015, où vingt personnes ont trouvé la mort à l’hôtel Radisson Blu, puis le Burkina Faso, où les djihadistes ont mitraillé les terrasses de Ouagadougou, la capitale, avant de se retrancher dans l’hôtel Splendid.

À chaque fois, ce sont des lieux fréquentés par les Européens qui sont symboliquement pris pour cible, des endroits où se retrouvent touristes, salariés d’entreprises travaillant sur place ou expatriés. Mais à chaque fois aussi le plus lourd contingent de victimes est fourni par les Africains, employés des hôtels et des restaurants ou simples passants. Les attaquants ouvrent le feu sur tous ceux qu’ils rencontrent, montrant ainsi leur mépris de la population, quelle que soit la couleur de sa peau ou sa religion, dans le seul but de faire régner la terreur. Cela a été encore une fois le cas à Grand-Bassam, où les gens présents sur cette plage se sont enfuis comme ils pouvaient pour échapper aux balles, protégeant leurs enfants, quand ils ne les perdaient pas dans la cohue.

La généralisation de tels actes montre bien la vanité des prétentions de Hollande à mettre fin au terrorisme djihadiste en déployant l’armée française en Afrique. La politique menée par les puissances impérialistes dans le monde, au Moyen-Orient ou en Afrique, a créé un terreau sur lequel de tels groupes surgissent sans cesse. Les dirigeants qui pilotent cette politique, à Paris, Washington ou Londres, entretiennent cette situation, créant partout de nouveaux foyers de tension pour défendre les profits de leur impérialisme. Ils sont les ennemis mortels de la population, au même titre que les djihadistes.22

 

 

Les fauteurs de guerre civile

L’élection présidentielle du 31 octobre 2020 a donné lieu à des affrontements dans lesquels, selon l’opposition, une trentaine de personnes ont perdu la vie. C’était le résultat de plusieurs mois de campagne au cours desquels les principaux prétendants ont tout fait pour entraîner la population dans des heurts sanglants.

L’actuel président, Alassane Ouattara, a été proclamé élu avec 94 % des voix. Il ne devait pas se représenter et avait lui-même révisé la Constitution en 2016 pour limiter à deux le nombre de mandats présidentiels, ce qui l’excluait du prochain scrutin. Son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, devait lui succéder pour préserver les intérêts du clan. Tout était donc prévu, sauf la mort subite de Coulibaly, victime d’un infarctus le 8 juillet 2020. Ouattara a alors invoqué un cas de force majeure pour se présenter.

Les leaders de l’opposition, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, ont aussitôt crié à l’imposture et appelé au boycott actif de ces élections, sans pour autant retirer leur candidature. Le 31 octobre, ils ont appelé leurs partisans à empêcher physiquement la tenue du vote. Le pouvoir avait de son côté déployé 35 000 policiers, gendarmes et militaires pour que le scrutin se tienne envers et contre tout.

De nombreux habitants d’Abidjan, la capitale économique, avaient préféré quitter la ville à la veille du scrutin. Ceux qui ne sont pas partis ont souvent fait le choix de rester chez eux et de ne pas aller voter, que ce soit par crainte des violences ou pour suivre l’appel de l’opposition. Certains bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir, isolés par des barricades tenues par des jeunes. Dans d’autres, c’est le matériel électoral qui avait été dérobé. Quant aux bureaux ouverts malgré tout, beaucoup sont restés pratiquement déserts.

Cela n’a pas empêché Alassane Ouattara, au soir des élections, de se déclarer satisfait de la tenue du scrutin, où la participation aurait été de 54 %. L’opposition de son côté déclarait que ces élections ne valaient rien et affirmait que la participation n’avait été que de 10 %. Elle appelait à une « transition civile » et à de nouvelles élections. Tout cela a un air de déjà-vu et laisse augurer le pire.

Depuis plus de vingt ans, la rivalité de ces principaux prétendants pour accéder à la mangeoire gouvernementale a régulièrement abouti à des affrontements meurtriers. Ils se sont opposés, réconciliés, puis à nouveau désunis et, dans ce combat motivé par leurs seuls intérêts, ils n’ont jamais hésité à jeter une partie de la population contre l’autre et à susciter des haines tenaces en son sein.

À la mort de Félix ­Houphouët­-­Boigny en 1993, Alassane Ouattara était Premier ministre et Henri Konan Bédié président de l’Assemblée nationale. Pour triompher de son rival dans la course à la succession, Konan Bédié avait lancé le concept d’ivoirité, qui exigeait d’un candidat à la présidence qu’il soit né de père et de mère de nationalité ivoirienne, ce qui n’était pas le cas d’Ouattara. Cette discrimination fit des ravages lorsque, aux élections de 1999, Ouattara fut interdit de candidature et qu’un ancien opposant à Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo, devint président.

En 2020, on retrouvait les mêmes : Ouattara, Konan Bédié, et Affi N’Guessan, lui-même ancien Premier ministre de Gbagbo. Il faut y ajouter Gbagbo lui-même et Guillaume Soro, cet ancien chef des Forces nouvelles pro-Ouattara pendant la guerre civile, dont on ne compte plus les exactions. Tous deux étaient en exil et ont vu leur candidature invalidée, mais ils ne se privaient pas pour autant de mobiliser leurs partisans au pays et ont rejoint le camp des opposants au troisième mandat de Ouattara.

Tout cela se faisait sous l’œil attentif du gouvernement français, dont Ouattara, comme l’opposition, sollicitaient le soutien. La Côte d’Ivoire est depuis l’indépendance la tête de pont de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest. Les capitalistes français, comme Bouy­gues ou Bolloré, y jouissent d’une situation privilégiée, et tous les candidats aspirent aujourd’hui à les servir, comme ils l’ont toujours fait, en même temps qu’ils tiennent à se servir eux-mêmes.23

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_C%C3%B4te_d'Ivoire
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%B4te_d'Ivoire
(3) http://www.wikirouge.net/Imp%C3%A9rialisme_en_C%C3%B4te_d'Ivoire
(4) Groupe de travail « Afriques » du NPA http://www.npa2009.org/content/comprendre-la-crise-ivoirienne
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9lix_Houphou%C3%ABt-Boigny
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%B4te_d'Ivoire
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivoirit%C3%A9
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%B4te_d'Ivoire
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_politico-militaire_en_C%C3%B4te_d'Ivoire
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_politico-militaire_en_C%C3%B4te_d'Ivoire
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Gbagbo
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_C%C3%B4te_d'Ivoire
(13) Robin Guébois http://www.npa2009.org/content/retour-sur-une-crise-franco-ivoirienne
(14) Paul Martial http://www.npa2009.org/content/la-c%C3%B4te-d%E2%80%99ivoire-de-nouveau-dans-la-tourmente
(15) https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%B4te_d'Ivoire
(16) Roger Meynier http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2228/dans-le-monde/article/2011/04/13/24593-cote-divoire-ouattara-impose-avec-laide-de-larmee-francaise.html
(17) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alassane_Ouattara
(18) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/cote-d-ivoire-pendant-que-le
(19) http://www.michelcollon.info/Cote-d-Ivoire-guerres-coloniales.html?lang=fr
(20) https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%B4te_d%27Ivoire
(21) Bertold du Ryon https://npa2009.org/actualite/international/cote-divoire-un-bien-beau-processus-democratique
(22) Daniel Mescla http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2016/03/16/cote-divoire-les-criminels-djihadistes-et-la-situation-qui-les-engendre_66486.html
(23) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/11/04/cote-divoire-les-fauteurs-de-guerre-civile_152633.html