Le premier contact avec les populations autochtones est établi par les explorateurs portugais en 1461 qui désignent le pays sous le nom de Costa da Pimenta. En 1602 les Néerlandais créent un poste de traite à Grand Cape Mount, détruit l'année suivante. C'est en 1663 que les Anglais installent un comptoir.1
Une ligne de front entre empires coloniaux
L’Afrique de l’Ouest est morcelée en d’innombrables États dont les frontières sont aussi aberrantes sur le plan géographique qu’ethnique, plus particulièrement le long de sa côte océanique. Ces frontières sont les cicatrices laissées par le commerce triangulaire des esclaves, à l’époque où toutes les puissances européennes se battaient pour un morceau de cette côte afin d’avoir leur part de ce butin sanglant.
Par la suite, ce sont ces parcelles côtières qui ont été étendues vers l’intérieur des terres en fonction des rapports de forces entre puissances coloniales et de la localisation des ressources naturelles qu’elles cherchaient à s’approprier. Inutile de dire que le tracé de ces frontières fut l’objet de manœuvres et d’intrigues incessantes, débouchant parfois sur des accrochages armés entre les puissances coloniales. Ce processus entraîna la division d’ethnies entières entre deux ou plusieurs colonies, sans aucun égard pour leurs aspirations.
Parmi les pays d’Afrique de l’Ouest, le Liberia partage avec son voisin, la Sierra Leone, des caractéristiques historiques communes. Les deux pays ont été initialement peuplés par des esclaves noirs affranchis venus des métropoles impérialistes dans le cadre de programmes philanthropiques - « philanthropie » doublée de racisme d’ailleurs, puisqu’elle était en grande partie motivée par la peur qu’éprouvaient ses promoteurs devant la croissance de la population noire aux États-Unis comme en Grande-Bretagne. Inutile de dire que ces programmes reçurent le soutien des gouvernements de ces pays qui y virent un moyen vertueux, et surtout peu coûteux, d’acquérir de nouvelles colonies. La première ville de la future Sierra Leone, Freetown, fut ainsi établie au milieu du XVIIIe siècle tandis que Monrovia, la capitale du futur Liberia, fut construite à partir de 1822.
Ce n’est qu’après 1850 que ces avant-postes britanniques et américains commencèrent à étendre leur emprise vers l’intérieur, sous la pression des puissances coloniales qui voulaient contenir la progression des armées françaises dans la région (le tracé final de leurs frontières ne fut néanmoins formalisé qu’au début du XXe siècle). Une mince couche de Noirs privilégiés, dont le mode de vie et l’éducation devaient tout à l’Occident (les familles riches du Liberia envoyaient leurs enfants dans les meilleures universités américaines), instaura ainsi son contrôle sur la population africaine locale, avec laquelle elle n’avait rien de commun, hormis la couleur de la peau. En fait, cette élite se montra tout aussi sanguinaire envers les populations colonisées que les colonisateurs européens dans le reste du continent.
Alors que la Sierra Leone était administrée par des institutions locales directement contrôlées par Londres jusqu’à son indépendance en 1961, le Liberia devint formellement indépendant en 1847 - même si sa constitution fut rédigée par un professeur de Harvard. Mais, indépendants ou pas, les deux pays restèrent dans les faits partie intégrante du pré-carré de leur métropole respective.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le Liberia resta une tête de pont américaine en Afrique sans jouer de rôle significatif dans la politique de Washington. Mais à la suite de la hausse du prix du caoutchouc sur le marché mondial, le fabricant américain de pneumatiques Firestone loua en 1926 525 000 hectares de terrain au Liberia pour 99 ans à raison de 15 cents l’hectare. Mais en contrepartie, Firestone exigea du gouvernement libérien qu’il lui emprunte 5 millions de dollars pour construire les routes et les équipements portuaires nécessaires au fonctionnement des futures plantations d’hévéa. Et en guise de garantie que ce prêt lui serait remboursé, Firestone prit le contrôle de la collecte de tous les impôts et taxes du pays.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Liberia devint la seule base militaire américaine en Afrique, tandis que l’industrie américaine se fournissait en caoutchouc dans les plantations Firestone pour un coût dix fois inférieur à celles d’Amérique du Sud. À partir de 1944, le Liberia adopta le dollar comme monnaie officielle. Le pays devint un paradis fiscal pour ceux qui voulaient faire discrètement des affaires en dollars, rôle que le Liberia continuait à remplir lors de la guerre civile. C’est aussi en 1947, que fut mis en place le registre naval de complaisance du Liberia, registre qui permettait à n’importe quel armateur de faire enregistrer un navire sous pavillon libérien, échappant ainsi aux taxes et aux réglementations sur la sécurité et les conditions de travail et de salaire des marins en vigueur dans les pays industrialisés ! Tout au plus le pavillon libérien est-il passé au second rang mondial en tonnage, derrière celui du Panama, très loin devant ceux de pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France !
Au début des années cinquante, d’immenses gisements de minerai de fer furent découverts au Liberia. Ces gisements étaient d’autant plus intéressants pour les géants de la métallurgie que le coût de la main-d’œuvre était et reste très bas dans le pays. Les deux premières mines, situées dans le nord du pays, commencèrent à être exploitées par des entreprises américaines. Puis, dans les années soixante, un consortium américano-franco-suédois commença l’exploitation d’une mine plus importante sur les flancs du mont Nimba, à la frontière guinéenne. Depuis, des gisements encore plus importants ont été découverts par des prospecteurs français sur la face guinéenne du mont Nimba. Mais l’exploitation en a été repoussée car aucun investisseur ne se portait candidat, suite à la fermeture de la seule ligne de chemin de fer qui aurait pu assurer le transport du minerai au littoral libérien, en raison de la guerre civile. Inutile de dire que de nombreux groupes internationaux lorgnaient sur ces gisements, attendant impatiemment la fin du conflit, comme le géant anglo-australien RTZ.
Malgré ces richesses naturelles, le Liberia resta dans un État d’extrême sous-développement. En 2003, par exemple, le pays ne compte que deux lignes de chemin de fer, toutes deux construites pour acheminer le minerai de fer extrait de ses mines, et moins de 800 kilomètres de routes goudronnées.
Ce dénuement, que partagent à des degrés divers la plupart des pays de la région, a rendu l’Afrique de l’Ouest totalement dépendante des grandes entreprises impérialistes qui achètent leurs matières premières et produits agricoles. En même temps, les anciennes rivalités coloniales ont été remplacées par celles opposant les États impérialistes agissant pour le compte de leurs capitalistes respectifs et de leurs ambitions d’augmenter leur part du pillage de la région. Comme on pouvait s'y attendre, les anciennes puissances coloniales, la Grande-Bretagne et la France, restent les deux puissances impérialistes dominantes dans la région, tandis que les États-Unis font avancer leurs propres pions derrière elles, en tant que puissance dominante au niveau mondial.
L’effondrement des institutions
Comme dans la plupart des pays pauvres, la « démocratie » laissée par la colonisation au Liberia s’est résumée pendant plus d’un siècle, jusqu’en 1980, à la dictature d’un parti unique. Pendant toute cette période, le True Whig Party (« véritable parti libéral ») fut une machinerie corrompue qui régnait sur la mince couche d’Américano-Libériens en usant de népotisme et sur le reste de la population en pratiquant une répression féroce.
Cela n’empêcha pas Washington de chanter les louanges du régime, surtout durant la Guerre froide, lorsque Monrovia devint le quartier général de la CIA en Afrique, doté d’une station d’écoute radio (et par la suite d’une station d’observation de satellites) et d’un émetteur de la Voice of America, sans parler des installations militaires de l’armée américaine. Pour Washington, le régime de Monrovia était un rempart contre le « communisme » ou, plus exactement, contre la vague des nationalismes africains.
Au début des années soixante-dix, cependant, le président William Tolbert se trouva face à une opposition au langage « progressiste » qui réclamait des réformes politiques - notamment dans les rangs de la jeunesse privilégiée à qui le délabrement de l’économie laissait de moins en moins de débouchés. Cela amena Tolbert à faire quelques gestes nationalistes symboliques. C’est sans doute son refus, en 1979, de mettre des installations de ravitaillement en kérosène à la disposition de la nouvelle Force de déploiement rapide américaine qui lui valut l’ire de la CIA. Celle-ci commença à lui chercher activement un remplaçant possible, qu’elle finit par trouver en la personne du sergent Samuel Doe, l’un des leaders du putsch militaire qui renversa Tolbert en avril 1980.
Ce putsch marqua le début d’une décennie de dictature sanguinaire. Mais dans un premier temps, Doe prit soin d’amadouer l’ex-opposition « progressiste » au régime de Tolbert. Nombre de ses dirigeants furent nommés à des postes gouvernementaux ou dans l’appareil d’État, pour les neutraliser. C’est ainsi qu’un jeune Américano-Libérien du nom de Charles Taylor, déjà connu pour ses activités politiques parmi les étudiants libériens aux États-Unis, se retrouva dans l’administration des marchés de l’État. Et ces anciens oppositionnels, qui avaient jadis dénoncé la corruption de Tolbert, ne tardèrent pas à tirer profit de leur nouvelle position - comme Taylor qui, accusé d’avoir détourné 900 000 dollars, dut fuir aux États-Unis.
Ayant ainsi neutralisé l’ancienne opposition, Doe élimina tous ses rivaux potentiels dans les cercles de l’armée qui avaient participé au putsch de 1980. Puis, après avoir ainsi consolidé son pouvoir, il s’efforça de le rendre légitime en organisant en 1985 une élection présidentielle, qu’il remporta de peu, avec seulement 50,9% des suffrages. Le fait que le scrutin ait été manifestement truqué n’empêcha pas Washington de le saluer comme un « réel progrès vers la démocratie ». Il est vrai qu’à l’époque Doe était un allié utile pour la CIA et le Pentagone, en même temps que l’un des rares chefs d’États africains prêts à entretenir des relations cordiales avec Israël. Pour les dirigeants américains, la loyauté de Doe envers l’impérialisme américain valait bien de lui octroyer l’aide la plus élevée par habitant de toute l’Afrique sub-saharienne.
Doe sut faire bon usage de cette aide. Dans un pays où l’armée n’avait joué jusque-là qu’un rôle limité, il en fit le principal organe de l’appareil d’État. Mais il le fit en remplaçant le vieux système de népotisme reposant sur la caste américano-libérienne par un système de favoritisme à base ethnique. Doe attribua en priorité les postes de responsabilité dans l’armée et l’appareil d’État aux membres de sa propre ethnie, les Krahns du sud du pays. Puis, en 1986, Doe étendit ce système aux Mandingues, une ethnie musulmane venue de Guinée, dont le principal avantage à ses yeux était sa faiblesse : installés depuis peu dans le pays, souvent comme petits commerçants, ils n’avaient en effet ni territoire propre ni racines profondes dans la population, qui continuait à les considérer comme des « étrangers », au point que la reconnaissance officielle de l’ethnie mandingue conduisit à des émeutes dans le nord du pays.
Le système de favoritisme ethnique mis en place par Doe, qui faisait des Krahns les rivaux potentiels des Mandingues pour le contrôle de l’État, tout en laissant à l’écart toutes les autres ethnies, allait avoir des conséquences sanglantes dans la guerre civile à venir.
L’émergence d’un seigneur de la guerre
Les premières cartouches de la guerre civile libérienne furent tirées dès 1983, lorsque des partisans de Thomas Quiwonkpa, un ancien compagnon de Doe dans le putsch de 1980 que celui-ci avait contraint à l’exil, pénétrèrent au Liberia par la frontière ivoirienne et menèrent une série de raids armés dans la région minière du comté de Nimba. Les combats prirent immédiatement une tournure ethnique, les insurgés cherchant à se rallier l’ethnie locale gio (dont Quiwonkpa était issu) et appelant à lutter contre la mainmise des Krahns sur le pays. Il y eut d’horribles massacres qui devaient devenir la règle par la suite.
Après l’échec de sa première tentative, Quiwonkpa réessaya en 1985, cette fois à Monrovia, en infiltrant la capitale et en prenant le contrôle de la station de radio pour annoncer le renversement de Doe par un Front national patriotique du Liberia (NPFL). Mais Doe, prévenu par la CIA, put déjouer cette tentative. Dans les jours suivants, Doe fit parader le cadavre mutilé de Quiwonkpa dans la capitale pour montrer ce qu’il en coûtait de s’opposer à son pouvoir.
Tous les partisans de Quiwonkpa n’avaient pas été éliminés. Alors que la frontière ivoirienne dans le comté de Nimba, restait le théâtre de combats sporadiques mais persistants, quelques-uns des anciens associés de Quiwonkpa allèrent chercher de l’aide à l’étranger pour renverser le régime de Doe. Parmi eux se trouvait Charles Taylor qui, après un temps aux États-Unis, avait entrepris la tournée des capitales africaines et européennes pour collecter des fonds et des armes, recruter des partisans et obtenir des soutiens politiques. Sa tournée rencontra un certain succès puisque vers la mi-1989, il relança l’ancien NPFL de Quiwonkpa, qui devint très vite la plus importante des factions armées opposées à Doe.
À cette époque, le NPFL de Taylor se présentait comme un groupe panafricain dont le but était de renverser « la dictature du fantoche américain » Doe avec l’aide de tous les « combattants de la liberté » d’Afrique. Il comptait dans ses rangs d’anciens guérilleros de la Gambie, du Ghana, du Biafra nigérian, etc. Il avait déjà formé une alliance étroite avec un groupe d’exilés sierra-léonais, le Front révolutionnaire unifié (RUF) de Foday Sankoh. À en croire la démagogie grandiloquente de Taylor, le but que se fixait le NPFL était rien moins que de changer la face de toute l’Afrique de l’Ouest anglophone, en commençant par le Liberia.
Mais derrière cette rhétorique radicale, d’autres intérêts étaient en jeu. Bien entendu, il y avait la « libyan connection » de Taylor, que les gouvernements occidentaux n’ont cessé de ressasser pour le présenter comme un instrument de Kadhafi. Et sans doute Taylor a-t-il bien bénéficié d’armes et de fonds venus de Libye. Mais, quoi qu’en dise l’Occident en présentant Kadhafi comme la « tête pensante du terrorisme », la réalité est que celui-ci ne joue qu’un rôle relativement secondaire dans la politique africaine.
Bien plus décisive pour Taylor fut l’aide logistique, militaire et financière qu’il reçut de Côte d’Ivoire, alors dirigée par Houphouët-Boigny, et du Burkina-Faso, alors dirigé par Blaise Compaoré, l’allié d’Houphouët-Boigny. Or ces deux États étaient des auxiliaires de la politique impérialiste française en Afrique et il ne peut y avoir le moindre doute sur le fait que leur aide à Taylor a été sinon dictée, en tout cas autorisée par Paris. Ainsi, tout comme Doe était un pion dans le jeu impérialiste américain en Afrique, Taylor était un pion dans la stratégie impérialiste française dans la région.
En décembre 1989, le NPFL de Taylor lança ses premiers raids armés à partir de bases situées en Côte d’Ivoire dans le comté de Nimba, aidé par un contingent de l’armée burkinabé fourni par Compaoré. Taylor déclara aux journalistes de la BBC que ses hommes avaient déjà commencé à infiltrer Monrovia. C’était probablement du bluff, mais la réaction de Doe fut terrifiante. Des centaines de personnes soupçonnées de sympathiser avec les rebelles furent assassinées par ses escadrons de la mort. D’autres, plus nombreuses encore, furent sommairement exécutées, simplement parce qu’elles appartenaient aux ethnies gio ou mano, les deux ethnies dominantes dans l’est du pays où Taylor avait lancé son offensive. Pendant ce temps, dans le comté de Nimba, l’armée de Doe se déchaînait contre les villages gio et mano, forçant les habitants à s’enfuir afin de créer le vide autour du NPFL qui était tributaire de l’aide de la population.
Mais rien n’y fit. Six mois après le début de son offensive, le NPFL s’emparait de Buchanan, port commercial et deuxième ville du pays. Deux mois plus tard, en juillet 1990, le territoire encore contrôlé par Doe était réduit à une étroite poche autour de Monrovia. La progression du NPFL fut marquée par des purges sanglantes contre les Krahns et Mandingues, visant à forcer la population à prendre parti pour ce que les chefs de guerre du NPFL disaient être une lutte pour ses droits ethniques. Sur leur route, les forces du NPFL s’étaient considérablement renforcées, en recrutant les villageois plus ou moins de force. Quand elles eurent atteint Monrovia, une bataille sanglante commença. Pendant plus d’un mois, la capitale fut le théâtre de pillages systématiques et de milliers de meurtres aveugles commis par les deux parties. En septembre, le régime de Doe finit par s’écrouler et Doe lui-même fut sommairement exécuté.
Il faut noter qu’à l’époque, personne n’éleva la voix au Conseil de sécurité de l’ONU pour s’indigner du génocide déchaîné par la dictature de Doe. Il faut croire que la présence de « conseillers » américains avec les troupes de Doe constituait une garantie suffisante de respect du « droit international » !
Pourtant, le soutien américain ne sauva pas le régime de Doe, ne serait-ce que parce que Washington n’avait pas l’intention d’engager les moyens considérables qui auraient été nécessaires pour ramener l’ordre dans un territoire comme le Liberia, couvert par une jungle épaisse, pour ainsi dire sans routes bitumées, et qui plus est, contre la volonté de sa population. Les 2000 marines envoyés par Washington se bornèrent donc à organiser l’évacuation des ressortissants occidentaux sans prendre le risque d’un contact direct avec les combattants. Après tout, la Guerre froide était terminée, tout comme la vague de nationalisme radical en Afrique. Les dirigeants américains n’avaient aucun besoin de s’embarrasser d’un dictateur comme Doe, incapable de garantir la stabilité de son régime. Ils l’abandonnèrent donc à son sort - et le régime s’écroula.
Les « soldats de la paix » alimentent la guerre
Étant donné les liens de Taylor avec l’impérialisme français, les dirigeants anglo-américains étaient néanmoins déterminés à lui rendre la tâche aussi difficile que possible. Quant aux États de la région, ceux qui ne soutenaient pas Taylor craignaient que son exemple fasse des émules chez eux.
Londres et Washington eurent donc recours à l’aide de leurs alliés régionaux. Ils obtinrent du leader nigérian Babangida de proposer une importante force militaire de « maintien de la paix », baptisée éCOMOG, dans le cadre de la CéDéAO. Ce fut la première intervention militaire menée par cette organisation, en principe exclusivement économique, qui aille au-delà d’une simple mission de surveillance. La plupart des membres francophones de la CéDéAO s’y opposèrent, mais vu le poids du Nigeria dans l’organisation et le soutien unanime des pays anglophones, la proposition fut adoptée. Peu importait l’absurdité qu’il y avait à attendre de Babangida, dictateur sanguinaire, corrompu et expert en matière d’ethnisme, qu’il arrête les massacres au Liberia !
Le 25 août 1990, un contingent d’éCOMOG fort de 3000 hommes, majoritairement composé de Nigérians et sous commandement nigérian, prit pied à Monrovia. Sa mission était initialement de protéger la capitale où un gouvernement intérimaire avait été formé avec des politiciens d’avant 1980, afin de représenter l’autorité « légale » du Liberia lors des futures négociations avec le NPFL.
Pendant ce temps, Taylor consolidait son emprise sur le pays. Firestone et les entreprises américaines qui exploitaient les mines de fer du Nord conclurent avec lui des accords les autorisant à reprendre leurs exportations. Un autre accord fut conclu avec des entreprises françaises pour l’exportation du minerai de fer du mont Nimba, sous la supervision personnelle, dit-on, de Jean-Christophe Mitterrand, avec lequel Taylor avait des liens déjà anciens. Pendant trois ans, cet accord permit à d’importants tonnages de minerai de fer d’être transportés par bateau de Buchanan à Dunkerque. Il en alla de même pour le bois, dont l’exportation reprit via le port de San Pedro, en Côte d’Ivoire. Durant cette période, les zones sous le contrôle de Charles Taylor devinrent le premier fournisseur de bois rares de la France. Toutes ces activités, ajoutées à la production de diamant dans l’est et le nord du pays, étaient génératrices d’impôts et de revenus. Les montants perçus étaient conservés dans des comptes domiciliés à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et servaient, entre autres, à acheter des armes pour le NPFL.
Mais pendant ce temps, de nouvelles forces étaient apparues dans la relative accalmie de la guerre. En 1991, une nouvelle organisation armée se manifesta au nord du Liberia - le Mouvement unifié de libération du Liberia ou Ulimo. Fondé par deux anciens ministres de Doe qui cherchaient à regrouper d’anciens éléments de son régime et, surtout, de son armée, il prétendait représenter les intérêts ethniques des Krahns et des Mandingues. Dès sa création, Ulimo reçut des livraisons importantes d’armes de Sierra Leone et de Guinée (ancienne colonie française qui avait pris ses distances avec l’ancienne métropole) ainsi que... d’éCOMOG, dont les officiers ne se gênaient pas pour faire quelques profits en vendant leurs propres armes, d’autant plus volontiers qu’Ulimo aidait le gouvernement de la Sierra Leone à combattre la rébellion du RUF le long de la frontière avec le Liberia.
Mais la zone frontalière de la Sierra Leone étant riche en diamants, des rivalités apparurent très vite dans les rangs d’Ulimo et entre ses mentors sierra léonais et guinéens, qui avaient chacun leurs intérêts particuliers à défendre. Une scission se fit jour plus ou moins sur des bases ethniques, entre d’un côté Ulimo-K, qui rassembla les éléments mandingues soutenus par la Guinée, et Ulimo-J, qui rassembla les éléments krahns soutenus par la Sierra Leone. Il y avait donc désormais trois factions armées en présence, auxquelles il fallait ajouter les restes de l’armée de Doe, à Monrovia, qui continuaient à servir le gouvernement provisoire.
En 1992, en réponse à une offensive du NPFL sur Monrovia décidée par Taylor dans l’espoir d’accélérer les négociations et d’y renforcer sa position, éCOMOG abandonna son rôle officiel de « maintien de la paix » pour revêtir des atours plus guerriers. Utilisant ses forces aéroportées, le haut commandement nigérian soumit les environs de la capitale à des bombardements intensifs, tuant des milliers de civils. Puis éCOMOG avança au sud de la capitale et prit Buchanan, attaquant les zones rurales au napalm pour décimer les unités du NPFL, et détruisant par la même occasion un grand nombre de villages avec leurs habitants. Au cours des quatre années qui suivirent, les officiers d’éCOMOG remplacèrent le NPFL dans les régions qu’ils occupaient, en taxant la population et en pillant tout ce qui leur tombait entre les mains. L’affairisme et la corruption dans les rangs d’éCOMOG devinrent tels qu’en 1994, Washington convainquit la CéDéAO de sous-traiter toutes ses activités de transport militaire à une entreprise privée américaine liée au Pentagone, afin d’empêcher les chefs militaires d’utiliser les véhicules de l’armée pour leurs affaires privées.
Avec des activités aussi profitables, les commandants d’éCOMOG et leurs supérieurs au Nigeria, qui prélevaient aussi leur part de butin, n’étaient guère pressés de voir venir la paix. Quand un premier accord fut enfin signé à Cotonou, capitale du Bénin, en juillet 1993, ils firent tout pour rompre le cessez-le-feu, en multipliant les provocations, mais surtout en favorisant l’émergence d’une nouvelle bande ethnique, baptisée Conseil de paix libérien, qui commença à attaquer les positions du NPFL dans le sud du pays. Chacun des protagonistes finit d’ailleurs par recourir à ce genre de méthodes pour affaiblir ses rivaux, de sorte qu’en août 1995, lorsque l’accord final d’Abuja fut signé, il n’y avait pas moins de sept factions armées à la table des négociations, chacune réclamant sa part dans le futur Liberia !
Finalement, après une autre année de combats pendant laquelle les commandants d’éCOMOG essayèrent à nouveau de torpiller l’accord d’Abuja, des élections furent organisées, et en juillet 1997, Taylor fut élu président avec 75% des voix. L’élection largement truquée fut unanimement acclamée par les leaders occidentaux.
Après avoir alimenté la guerre civile pendant sept ans pour écarter Taylor du pouvoir, les puissances impérialistes avaient fini par lui donner leur soutien. Quels que fussent ses crimes, Taylor s’était montré le plus fort face à ses rivaux et cela seul comptait. Et personne ne trouva à redire au prix exorbitant qu’avait dû payer la population pour ces sept années de guerre !
Une nouvelle guerre civile inspirée par l’occident
On dit souvent que l’histoire se répète sous forme de farce ou de tragédie. Dans le cas du Liberia, ce fut à la fois sous forme de farce et de tragédie. Dans les années quatre-vingt, près de quatre années s’étaient écoulées avant que Doe ait eu à faire face à la première tentative limitée d’opposition armée. Dans le cas de Taylor, l’accalmie dura à peine un an. Les combats reprirent dans la capitale en septembre 1998, entre les forces du NPFL, désormais intégrées dans l’armée nationale, et la faction Ulimo-J. Dans le Nord, cela continua jusqu’à la fin de l’année suivante, cette fois avec des membres de la faction Ulimo-K, qui furent finalement vaincus malgré l’armement britannique dont ils bénéficièrent.
Mais à cette époque, une nouvelle faction était déjà apparue, appuyée sur des bases situées en Sierra Leone et en Guinée et formée par d’anciens membres d’Ulimo-K à dominante mandingue. Elle s’appelait « Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie » ou LURD. Son « conseiller militaire » était un ancien général de l’armée de Doe opérant depuis les États-Unis. Elle comptait parmi ses leaders l’un des neveux de Doe. Son président était un homme d’affaires qui avait des liens familiaux avec le président guinéen, Lasane Conté. Et cette nouvelle organisation avait conclu une alliance avec les Kamajors, la milice armée du président pro-britannique de la Sierra-Leone, Tejan Kabbah.
À la mi-2000, des unités du LURD traversèrent la frontière nord depuis ses bases en Guinée pour lancer des raids contre les forces de Taylor. Lorsque Monrovia organisa une contre-offensive et tenta de donner la chasse aux soldats du LURD en Guinée, plusieurs unités d’éCOMOG stationnées en Sierra Leone furent envoyées pour surveiller la frontière côté guinéen et empêcher toute incursion de troupes libériennes. En revanche, elles ne firent rien pour empêcher les forces du LURD de traverser la frontière, car, expliqua-t-on officiellement, c’eût été « s’ingérer dans les affaires intérieures libériennes » ! et bien entendu, éCOMOG ne mit aucun obstacle à l’occupation du nord du Liberia par les troupes du LURD. Quatre mois plus tard, le LURD répéta la même opération, cette fois dans le comté de Nimba, prenant ainsi le contrôle de la plus importante zone de minerai de fer du Liberia. Un an plus tard, le LURD contrôlait 30 % du Liberia et en février 2003, 50 %.
Mais une nouvelle faction armée avait émergé, cette fois dans le sud du pays. Le « Mouvement pour la démocratie au Liberia » ou MODéL, organisation à base ethnique krahn, avait été mis sur pieds par d’anciens membres d’Ulimo-J, avec le soutien de factions ivoiriennes opposées au régime du président Gbagbo. Cette nouvelle bande armée occupa rapidement Buchanan et le sud et l’est du pays, le long de la frontière avec la Côte d’Ivoire.
En juin 2003, le LURD et le MODéL avaient finalement atteint la banlieue de Monrovia et, bien que conservant le contrôle d’une partie encore significative du pays, l’appareil d’État de Taylor était au bord de l’effondrement. Le fait que le régime de Taylor ait été si facilement vaincu par les deux factions armées est d’autant plus notable que, d’après la plupart des observateurs, ces factions ne rassemblaient guère plus de 3000 soldats au total, à peine un dixième des forces combinées du NPFL et les deux branches d’Ulimo en 1994. Si cet écroulement rapide du régime indiquait quelque chose, c’était bien l’État de décomposition de l’appareil d’État de Taylor depuis 1997.
Outre la corruption du régime, d’autres facteurs jouèrent un rôle décisif dans cette décomposition, notamment les sanctions imposées par l’ONU. L’infrastructure économique du pays avait été presque entièrement détruite dans les années quatre-vingt-dix, alors que toutes les factions, y compris éCOMOG, s’efforçaient de démonter les installations industrielles pour les revendre à la ferraille. Mais même si Taylor avait voulu reconstruire cette infrastructure, il n’en aurait pas eu les moyens. Car, sous prétexte que les combats continuaient, les sanctions économiques contre le Liberia furent maintenues après 1997, non seulement sur l’importation d’armes, mais de tout produit hormis les produits de nécessité vitale.
Un rapport confidentiel rédigé en juin 2002 par une mission militaire de la CéDéAO au Liberia en souligne clairement les conséquences : « Les sanctions imposées par l’ONU affaiblissent de plus en plus le gouvernement de Taylor, au point qu’il est de moins en moins en État d’assurer son rôle de protection de la société et des personnes et de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires ». C’est ainsi que, par exemple, à la fin 2002, l’État devait encore entre sept et quatorze mois de salaires aux fonctionnaires.
Par ailleurs, la coalition anti-Taylor a bénéficié de l’aide occidentale. Comme le note le même rapport, comparant les capacités de combat des deux belligérants : « Le LURD semble être mieux armé et recevoir un appui discret des Kamajors, des États-Unis et de la Grande-Bretagne. (...) Le fait que des troupes kamajors aient été entraînées par l’armée britannique en Sierra Leone (...) ajouté à la découverte de munitions portant des inscriptions britanniques laisse penser que le LURD a bénéficié du soutien tacite de la Grande-Bretagne. »
Derrière le langage diplomatique, il apparaît clairement que, si cette deuxième phase de la guerre civile a bien été préparée par la première, le fait qu’elle ait eu lieu est, pour une bonne part au moins, dû à l’intervention indirecte de la Grande-Bretagne et des États-Unis dans les coulisses, sans le moindre égard pour les massacres ethniques et les souffrances qui en ont résulté pour la population.
Une menace permanente
Pour les dirigeants américains et britanniques, Taylor a toujours constitué une cible « légitime », d’abord parce qu’il s’est imposé au pouvoir sans leur assentiment et ensuite parce que, une fois au pouvoir, il a eu la prétention, intolérable aux yeux des leaders impérialistes, de jouer un rôle régional à leurs dépens, en particulier en fournissant une assistance militaire à la rébellion du RUF contre le régime de Kabbah, l’homme que Londres et Washington avaient choisi pour diriger la Sierra Leone.
La guerre civile en Sierra Leone a fait environ 120 000 victimes entre 1991 et 2000 et a laissé la plus grande partie du pays en ruines, tandis que les factions belligérantes se disputaient le contrôle des régions diamantifères. Les origines de cette guerre étaient fondamentalement les mêmes qu’au Liberia : le baril de poudre laissé par l’ère coloniale a fini par exploser sous la pression de la misère croissante de la population. En ce sens, les deux guerres civiles eurent une évolution parallèle, tout en s’alimentant l’une l’autre : l’alliance entre Taylor et le RUF fut le pendant de celle entre le LURD et les Kamajors.
Mais, dans la réalité, les manœuvres de Londres ont fait bien plus pour attiser la guerre civile en Sierra Leone que le soutien de Taylor au RUF.
Aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’est à l’abri de la menace d’une telle explosion, et donc de la guerre civile. D’autant moins que dans tous ces pays, les populations ont sombré dans une misère croissante au cours des dernières décennies. Et pour les politiciens véreux et autres aspirants dictateurs prêts à se servir de la démagogie ethniste pour arriver à leurs fins, le désespoir engendré par la misère est un levier incomparable.
Survenant dans ce contexte, la guerre civile du Liberia, et dans une moindre mesure celle de la Sierra Leone, n’ont fait qu’aggraver les menaces qui pèsent sur la stabilité politique de l’ensemble de la région. Par leur durée, ces guerres ont engendré un flot considérable de réfugiés dans toute la région, souvent eux-mêmes d’anciens combattants, qui sont réduits à la pire des déchéances, et deviennent de ce fait des proies idéales pour les agents recruteurs des seigneurs de la guerre. C’est ainsi que d’anciens combattants de la guerre civile libérienne ont participé à l’émergence de factions armées, notamment en Gambie, au Ghana et en Côte d’Ivoire.
Mais l’un des facteurs essentiels dans ces guerres civiles, et en particulier dans leur durée, a été les manœuvres incessantes des puissances occidentales, sous couvert d’« intervention humanitaire » ou de tout autre « honorable » prétexte, directement ou par procuration, pour préserver leur mainmise sur des pays qu’elles considèrent toujours comme faisant partie de leur chasse gardée. Et tout cela dans le seul but d’assurer à une poignée de grands trusts, les Bolloré, Republican Steel et autres RTZ, qu’ils pourront continuer à piller le continent africain, tandis que la population sombre inexorablement dans la misère la plus totale.2
Transition politique
Après le départ de Charles Taylor, une transition politique débute de par la tenue d'élections législatives et présidentielles. La campagne électorale s'est déroulée sans incidents notoires, notamment grâce à la présence de 15 000 Casques bleus de l'UNMIL, présents dans le pays depuis octobre 2003.
Le 11 octobre 2005, les Libériens sont appelés aux urnes pour élire leur président. Parmi les vingt-deux, George Weah (un ancien footballeur reconverti dans la politique) et Ellen Johnson-Sirleaf (une économiste et ancienne responsable au sein de la Banque mondiale), sont les favoris dans les sondages.
Le 21 octobre, la Commission nationale électorale (NEC) annonce que George Weah a obtenu 28,3 % des voix, devançant Ellen Johnson-Sirleaf qui a obtenu 19,8 %. Ces derniers participent donc au second tour qui a eu lieu le 8 novembre. Les résultats définitifs de ce premier tour sont rendus public le 26 octobre, après l'examen des vingt réclamations concernant des fraudes éventuelles.
Le taux de participation a été de 74,9 %.
Le 8 novembre a lieu le second tour qui voit la victoire d'Ellen Johnson Sirleaf avec 59,4 % des votes, contre 40,6 % pour George Weah.3
Elle devient alors la première femme à accéder à la tête d'un État sur le continent africain. Certains commentateurs veulent voir dans ce changement une chance pour l'avenir de ce petit pays de l'Afrique de l'Ouest, sorti exsangue de quatorze années d'une guerre civile particulièrement meurtrière.
Pourtant, rien n'est moins sûr. Âgée de 67 ans et issue de l'élite afro-américaine descendant des esclaves affranchis qui au milieu du 19e siècle fondèrent le pays, Ellen Johnson-Sirleaf a derrière elle un passé qui ne laisse entrevoir que peu d'espoir d'améliorations pour la population. En effet, après des études supérieures aux États-Unis et un passage à la Banque mondiale, elle débuta sa carrière politique comme ministre des Finances du président William Tolbert à la fin des années 1970. Ce dernier ayant été renversé et assassiné par le sergent Samuel Doe en 1980, elle s'engagea aux côtés de Charles Taylor, lorsque celui-ci revint d'exil en 1989 et déclencha la guerre civile pour chasser Samuel Doe du pouvoir. En dépit de tous les massacres commis par les bandes armées de Taylor, Ellen Johnson-Sirleaf attendit 1997 pour rompre avec le dictateur, se posant en concurrente lors des élections présidentielles de cette année-là.
Après quatorze années d'une guerre civile qui a fait 200 000 morts et provoqué le déplacement de centaines de milliers d'habitants sur une population d'un peu plus de trois millions, le Liberia est un pays dévasté. Toutes les infrastructures et les services publics, tels que les réseaux d'eau potable et d'électricité, les routes, les écoles, les hôpitaux y sont à construire ou reconstruire. Mais le pays est pris à la gorge par le remboursement d'une dette publique atteignant 3 milliards de dollars. Quant au taux de chômage, qui dépasse 80 %, il ne facilite pas la réinsertion des 100 000 jeunes ex-combattants, réduits à l'inactivité depuis 2003 avec la fin de la guerre civile et faisant peser une lourde menace sur l'avenir du pays. De plus, la guerre n'a fait qu'aggraver la corruption qui gangrène tous les rouages de la société.
Le Liberia n'est pourtant pas un pays dénué de ressources. Le pays regorge entre autres de diamants, de minerai de fer, de caoutchouc et de bois. Mais toutes ces richesses profitent bien plus aux trusts, en particulier aux trusts américains, qu'à la population locale, car depuis sa fondation, le pays n'a jamais cessé d'être sous leur tutelle. La guerre civile n'y a rien changé, sinon apporté son lot de destructions. Et ce n'est pas non plus avec Ellen Johnson-Sirleaf que les choses risquent de changer vraiment.4
Procès de l'ex-président Charles Taylor : un dictateur sanguinaire... soutenu par l'impérialisme
Le 4 juin 2007 s'est ouvert devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) le procès de l'ex-dictateur du Liberia Charles Taylor, accusé de crimes de guerre, crimes contre l'humanité, en particulier viols, meurtres, enrôlement forcé d'enfants soldats et pillages. Ces accusations reposent sur son rôle dans les atrocités commises durant la guerre civile sierra-léonaise qui fit près de 350 000 morts.
L'itinéraire de Charles Taylor est celui d'un homme de main de l'impérialisme. Lorsqu'il déclencha la guérilla en 1989 au Liberia pour renverser le régime de Samuel Doe, il trouva l'aide logistique de la Guinée et de la Côte-d'Ivoire voisines, aide qui ne pouvait s'obtenir qu'avec l'accord de l'impérialisme français, qui voyait là un moyen de mettre un pied dans la région.
La guerre civile qu'il déclencha pour se hisser au pouvoir opposa différentes bandes armées, qui se partageaient le territoire et les richesses naturelles qui allaient avec, ce qui eut des conséquences terribles pour la population. Ces bandes armées, formées sur des bases ethniques, mutilèrent, violèrent, massacrèrent. 200 000 morts furent recensés au Liberia sur une population de 3 millions d'habitants. La guerre s'étendit en 1991 à la Sierra Leone, pays voisin regorgeant entre autres de diamants. Et durant les dix années d'horreurs qui suivirent pour la population de ce pays, les différents camps impérialistes armèrent chacun en sous-main leurs " favoris ", parmi ces bandes armées.
En 1997, Taylor devint président du Liberia, aidé en cela par les impérialismes américain et français, entre autres, qui avaient fermé les yeux sur ses crimes. Ils furent bien entendu " récompensés ". Le dictateur du Liberia déclarait par exemple en 1998 : " Les hommes d'affaires français (...) ont pris des risques. Ce qui explique qu'ils aient aujourd'hui (au Liberia) une longueur d'avance. " Et effectivement, quelques mois plus tôt, le groupe Bolloré rachetait une plantation de 150 000 hectares d'hévéas contrôlée par Taylor durant la guerre civile. D'après François-Xavier Verschave, auteur d'un livre intitulé Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ? : " Vendue sur le marché parallèle, la récolte de caoutchouc contribua à l'effort de guerre, tout comme la vente du bois exotique cédé en grande partie à des négociants français ".
Si Taylor dut finalement abandonner le pouvoir en 2003, ce ne fut pas sans demander et obtenir des garanties pour son " avenir ". Il vécut un exil paisible dans une station balnéaire du Nigeria. Malgré tout, trois ans plus tard, il fut extradé.
Le secrétaire général des Nations unie Ban Ki-Moon s'est félicité à plusieurs reprises de l'ouverture du procès de Taylor. Belle hypocrisie ! Un tel procès a surtout pour but de faire oublier les responsabilités des grandes puissances, qui ainsi se donnent bonne conscience à bon compte. Leurs représentants seront absents du banc des accusés, tout comme les marchands d'armes, les multinationales qui profitèrent, et profitent encore, des diamants, du bois précieux, du caoutchouc, des minerais, et autres richesses du Liberia.5
Le verdict du procès
Le 26 avril 2012, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone le reconnaît coupable de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Il devient le premier ex-chef d'État à être condamné pour crimes contre l'humanité et crime de guerres depuis le procès de Nuremberg. Le 30 mai 2012, le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone le condamne à une peine de 50 ans de prison.
Cette condamnation est confirmée en appel le 26 septembre 2013, faisant de Charles Taylor le premier ex-chef d'État a être définitivement condamné par un tribunal international depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme prévu dans un accord confidentiel conclu en 2007, il purge sa peine dans une prison britannique.6
Élection présidentielle de 2011
Ellen Johnson Sirleaf remporte l’élection présidentielle de 2011, alors que son opposant, Winston Tubman, a appelé au boycott, ce qui provoqué un faible taux de participation aux votes de 37,4 %.
Elle est investie le 16 janvier 2012 pour un second mandat à la tête de son pays. La Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton et plusieurs présidents de la région sont présents à la cérémonie.
Le 19 mars 2012, elle défend les lois criminalisant l'homosexualité au Liberia.
En 2014, elle est interpellée sur le fait que les femmes n'ont toujours pas accès à la propriété foncière dans son pays, malgré des promesses exprimées via Reuters un an plus tôt.
En octobre 2014, elle lance un appel à l'aide international pour lutter contre la propagation du virus Ebola. Deux mois plus tôt, elle limoge les ministres de son gouvernement qui ne sont pas revenus dans le pays pour aider à combattre le virus.7
Virus Ebola : un prétexte pour installer les bases militaires US en Afrique
En septembre 2014, alors que les Africains ont besoin de médecins pour lutter contre la fièvre hémorragique à virus Ebola, Washington a, contre toute attente et à la surprise générale, décidé d’installer un centre de commandement militaire au Liberia (l’un des pays les plus touchés par Ebola). Ce centre est placé sous les ordres du général Darryl Williams et sera composé de 3 000 militaires étasuniens. Les USA sont prêts à tout pour s’accaparer des ressources africaines !
Face à l’« épidémie sans précédent d’Ebola, qui se répand de façon exponentielle en Afrique occidentale », le président Obama a annoncé que « à la demande du gouvernement libérien », les États-Unis établiront « un centre de commandement militaire au Liberia ». Il s’agit d’un « quartier général de commandement de la force conjointe » spécifie le Commandement Africa des États-Unis (dont l’« aire de responsabilité » couvre tout le continent, sauf l’Égypte). Le quartier général, aux ordres du général Darryl Williams (déjà sur le terrain au Liberia) disposera d’au moins 3000 militaires étasuniens, d’un pont aérien et d’un centre de tri au Sénégal. C’est ce quartier général qui exercera la fonction de « commandement et contrôle » de l’opération internationale anti-Ebola, qui prévoit l’envoi de personnel médical et d’hôpitaux de campagne. Selon Obama, c’est « un exemple de ce qui se passe quand l’Amérique prend le leadership pour affronter les plus grands défis mondiaux ». Qu’il a listés dans son discours urbi et orbi, affirmant que seule les États-Unis ont « la capacité et la volonté de mobiliser le monde contre les terroristes de l’Isis », de « battre le rappel mondial contre l’agression russe », et de « contenir et anéantir l’épidémie d’Ebola ».
Même si la possibilité qu’Ebola se diffuse aux États-Unis est extrêmement basse, a souligné Obama dans le discours qu’il a prononcé au Centre de contrôle et de prévention des maladies à Atlanta (Géorgie), en Afrique occidentale il a provoqué la mort de « plus de 2400 hommes, femmes et enfants ». Événement certes tragique, mais limité si on le rapporte au fait que l’Afrique occidentale a une population d’environ 350 millions d’habitants et toute la région subsaharienne presque 950 millions. Si l’on pense que chaque année meurent dans la région à cause du sida plus d’un million d’adultes et d’enfants ; que la malaria provoque chaque année plus de 600 mille morts, en majorité chez les enfants africains ; que dans l’Afrique subsaharienne et dans l’Asie méridionale la diarrhée tue chaque année environ 600 mille enfants (plus de 1600 par jour) de moins de cinq ans. Ces maladies et quelques autres, toutes « maladies de la pauvreté », qui provoquent chaque année en Afrique subsaharienne des millions de morts prématurées et de cas d’invalidité, sont dues à la sous-alimentation et à la malnutrition, au manque d’eau potable, aux mauvaises conditions hygiéniques-sanitaires dans lesquelles vit la population pauvre, qui (selon les données de la Banque mondiale elle-même) constitue 70 % de la population totale, dont 49 % se trouve en conditions de pauvreté extrême. La campagne d’Obama contre l’Ebola semblait donc instrumentale.
L’Afrique occidentale, où le Pentagone installe son propre quartier général avec la motivation officielle de lutter contre l’Ebola, est très riche en matières premières : pétrole au Nigeria et Bénin, diamants en Sierra Leone et Côte d’Ivoire, phosphates au Sénégal et Togo, caoutchouc, or et diamants au Liberia, or et diamants en Guinée et Ghana, bauxite en Guinée. Les terres les plus fertiles sont réservées aux monocultures de cacao, ananas, arachides et coton, destinées à l’exportation. La Côte d’Ivoire est le plus grand producteur mondial de cacao. De l’exploitation de ces grandes ressources quasiment rien n’arrive à la population, car les revenus sont partagés entre multinationales et élites locales, qui s’enrichissent aussi grâce à l’exportation des bois précieux avec de graves conséquences environnementales dues à la déforestation.
Les intérêts des multinationales étasuniennes et européennes sont cependant mis en danger par les rebellions populaires (comme celle du delta du Niger, provoquée par les conséquences environnementales et sociales de l’exploitation pétrolifère) et par la concurrence de la Chine, dont les investissements sont pour les pays africains plus avantageux. Pour conserver sa propre influence dans le continent les USA ont constitué en 2007 le Commandement Africa qui, derrière le paravent des opérations humanitaires, recrute et forme dans les pays africains des officiers et des forces spéciales locales par l’intermédiaire de centaines d’activités militaires. Une base importante pour ces opérations est celle de Sigonella (Sicile), où a été déployée la Task force du Corps des Marines qui, dotée d’avions hybride Ospreys, envoie en rotation des escadrons en Afrique, notamment occidentale.8
Élection de George Weah : la volonté de changement
Le Liberia, pays d’Afrique de l’Ouest, a une histoire singulière qui continue à marquer sa vie politique. Un contexte qui permet de comprendre la victoire, lors de l’élection présidentielle, de l’ex-footballeur George Weah, les attentes qu'il suscite et les défis auxquels il est confronté.
Fondé par une société philanthropique US à la fin du 19e siècle dans le but d’installer les esclaves libérés, ces nouveaux colons, une fois installés, vont accaparer le pouvoir et se comporter en maîtres par rapport aux autochtones majoritairement mandingues. Ils vont organiser le travail forcé au profit des grands groupes industriels étatsuniens. C’est ainsi que des milliers de LibérienEs vont mourir à la tâche dans les champs de plantation de caoutchouc au profit de Firestone. Aujourd’hui encore, l’essentiel du pays est contrôlé par les descendants des Américano-Libériens qui représentent à peine 5 % de la population.
Victoire sans appel
L’élection de George Weah représente un espoir pour les populations. En effet il ne fait pas partie de la caste dirigeante. D’origine kru, composante principale de la communauté autochtone, il est né dans les bidonvilles de la capitale Monrovia, et a survécu comme tant d’autres avec des petits boulots dans l’économie informelle avant de devenir une star du football professionnel.
Sa trajectoire personnelle explique largement son score électoral de 61,5 % des votes et rend crédible pour la population ses promesses de « travailler pour les plus démunis et pour une transformation sociale du pays » en promettant notamment d’améliorer l’accès aux soins, et de rendre l’école gratuite, car ce service est devenu payant en 2016 en raison de la politique de libéralisation qu’a connue le pays. Revendication d’autant plus importante que les adultes n’ont pu accéder à l’école du fait de la guerre civile et qu’ils se considèrent, à juste titre, comme une génération sacrifiée. La gratuité de l’école, c’est permettre de rompre avec le cycle de l’illettrisme qui ronge le Liberia. La très grande majorité de la jeunesse a été sensible à la volonté affichée de George Weah de créer des milliers d’emplois. Face à lui, Joseph Boakai, le vice-président, a largement pâti du bilan du gouvernement sortant d’Ellen Johnson Sirleaf. En menant une politique libérale, elle n’a fait qu’augmenter la pauvreté : plus de 64 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et plus d’un tiers de la population est dans l’extrême pauvreté.
Ne pas décevoir ses supporters
Mais la joie qui s’est emparée de la rue aussitôt les résultats connus risque d’être de courte durée. Après des décennies de pillage par les multinationales de ce pays au sous-sol riche, une guerre civile d’une quinzaine d’années, la crise sanitaire d’Ebola et une politique ultralibérale, le pays est exsangue et l’inflation galopante mine un pouvoir d’achat qui déjà ne permet pas de vivre décemment.
À l’exception de Charles Taylor, qui purge une peine de cinquante années de prison pour crime contre l’humanité, aucun des chefs de guerre qui ont sévi de 1989 à 2003 n’a eu à rendre compte de ses actes. Pire : la plupart occupent des postes électifs. Il n’est pas sûr que George Weah soit disposé à changer cet état de fait puisqu’il s’est allié avec Jewel Taylor, l’ex-femme du dictateur. Au second tour il a bénéficié du soutien de Prince Johnson, un autre seigneur de la guerre rendu célèbre par une vidéo où on le voit, une bière à main, assister à la torture de l’ancien président Samuel Doe.
Cette impunité est évidemment une offense aux 250 000 victimes de la guerre civile, et elle plombe aussi le pays en permettant à la minorité des Américano-Libériens et des anciens seigneurs de la guerre de maintenir leur pouvoir. Améliorer le sort des populations implique de s’opposer à cette caste, George Weah le fera-t-il ? La balle (ou le ballon) est dans son camp…9
Économie du Liberia
La situation économique du Liberia est devenue critique dans les années 1980, avant d'être encore aggravée par la guerre civile : destruction des axes de communication, pillage des ressources naturelles... Aujourd'hui, la corruption, les tensions sociales et l'insécurité sont légion. Le Liberia possède de nombreuses ressources naturelles : diamant (le Liberia en est le 16ème producteur mondial), bois, latex (Firestone exploite des plantations, notamment à Harbel), café, cacao, mais surtout fer. Le secteur secondaire est représenté par le raffinage du pétrole brut importé, l'industrie du caoutchouc et la brasserie.
Le Liberia est un paradis fiscal et fait partie des pavillons de complaisance, ce qui rapporte d'importants revenus à l'État et qui donne au Liberia la 2ème flotte du Monde.
Le pays fait partie des PMA ; c'est l'un des plus pauvres de la planète. La durée de vie y est de 57 ans en 2011, le taux de mortalité infantile tutoie les 15 %. Tout comme en Sierra Leone, la question de la réintégration des anciens enfants-soldats se pose.10
En 2007, mesure la Banque mondiale, 68,6 % de la population locale vivait en dessous du seuil de pauvreté.11
Sources