Habité dès la préhistoire par des populations berbères, le territoire marocain a connu des peuplements phéniciens, carthaginois, romains, vandales, byzantins avant d'être islamisé par les Arabes.
De la conquête arabe aux troubles anarchiques
En 649, débute la conquête du Maghreb par les troupes arabes. C'est 35 ans plus tard que ces troupes pénètrent véritablement dans le territoire marocain. Les tribus berbères installées aussi bien dans les contreforts montagneux de l'Atlas et du Rif que dans les fertiles plaines atlantiques soutiendront dans un premier temps les Byzantins installés sur les côtes méditerranéennes qu'ils préféreront aux Arabes notamment à cause d'erreurs diplomatiques. La destruction des installations byzantines aux alentours de l'an 700 aura finalement raison de la résistance berbère qui se convertira dès lors à l'islam apporté par les conquérants arabes.
Dès les débuts de la conquête musulmane du Maghreb, les Kharijites originellement basés en Irak envoient des représentants au Maghreb pour tenter de rallier les populations berbères. Les Berbères accoutumés au système de communauté égalitaire et supportant mal la domination arabe, finissent par trouver dans le kharijisme un redoutable moyen de contestation politique. En 739 Maysara, mandaté par les populations du Maghreb Al Aqsa, conduit à Damas une délégation auprès du calife Hicham pour présenter les doléances des Berbères : égalité dans le partage du butin et arrêt de la pratique qui consiste à éventrer les brebis pour obtenir la fourrure des fœtus (le mouton étant un élément essentiel de l'économie pastorale des tribus berbères).
Les plaintes parviennent au calife omeyyade qui ne donne pas suite, ce qui déclenche une insurrection à Tanger. Maysara s’empare de la ville, tue le gouverneur Omar Ibn Abdallah et se proclame calife. Il réussit à empêcher le débarquement d’une armée arabe envoyée d’Espagne. Le gouverneur d'Espagne Uqba ibn al-Hajjaj intervient en personne mais ne parvient pas à reprendre Tanger, tandis que Maysara s'empare du Souss dont il tue le gouverneur. Puis Maysara, se conduisant comme un tyran, est déposé et tué par les siens, et remplacé par Khalid ibn Hamid al-Zanati. Sous son commandement, les Berbères sont victorieux d’une armée arabe sur les bords du Chelif, au début de 740.
Les troupes arabes ayant été battues, Hichām envoie des troupes de Syrie dirigées par le général Kulthum ibn Iyad. Elles sont battues par les Berbères sur les rive du Sebou en octobre 741. Le gouverneur égyptien Handhala Ibn Safwan intervient à son tour et arrête les deux armées kharidjites au cours de deux batailles à Al-Qarn et à El-Asnam (actuelle Algérie) alors qu'elles menaçaient Kairouan (actuelle Tunisie) (printemps 742). Quand survient la chute des Omeyyades de Syrie (750), l'ouest de l'Empire échappe totalement au pouvoir central damascène. L'Espagne revient aux émirs omeyyades de Cordoue et le Maghreb se morcelle en plusieurs petits États indépendants (de 745 à 755).
L'histoire des Idrissides est indissociable de la personne d'Idriss Ier, descendant d'Ali et de Fatima, gendre et fille du prophète de l'islam Mahomet, qui fuyant les massacres dont était victime son entourage et sa famille vint se réfugier dans le Moyen Atlas, à Volubilis, ancienne cité romaine déchue. Obtenant l'aval des tribus locales, il fonda en 789 la ville de Fès dans la plaine du Saïss dont il fit la capitale de son nouveau royaume, le Maroc, proclamé en 791. Assassiné par un envoyé du calife Haroun ar-Rachid, son fils Idris II lui succède après une régence. Il étend sa capitale ainsi que son royaume et avance au-delà de Tlemcen, pris par son père dès 789 et assujettit de nombreuses tribus Zenata. Son successeur Mohammed fera construire la prestigieuse mosquée Quaraouiyine, une des toutes premières universités de l'Histoire. À cette période, Fès devient un des principaux centres intellectuels du monde arabe et attire d'éminents scientifiques et théologiens. Le royaume du Maroc étend régulièrement ses frontières mais se retrouve menacé par la puissante dynastie des Fatimides à l'est. Indiqués califes de Cordoue au début du Xe siècle, les Idrissides subiront également au nord la pression des Omeyyades. En 985, les Fatimides et leurs vassaux d'Algérie poussent les Idrissides à se réfugier en Andalousie.
Dès le milieu du Xe siècle, l'affaiblissement des Idrissides du fait non seulement des pressions externes mais surtout des dissensions internes entraîne un regain d'activité des grandes tribus berbères qui fondent et conquièrent de nombreuses cités. Les états de Sijilmassa dans le sud et de Nekor dans le nord se maintiennent et gagnent de l'ampleur durant cette période.1
Le règne des Dynasties
La dynastie idrisside (789-995)
Les Idrissides sont communément considérés comme les fondateurs du premier état marocain. Pendant la seconde moitié du Xe siècle, le pouvoir idrisside s'effondre sous l'effet des incursions et des interventions des Omeyyades d'Espagne, des Zirides –vassaux des Fatimides– et des Zénètes ; ils achèvent de perdre leur pouvoir effectif en 972. Ils sont définitivement écartés en 985, après l'échec de la restauration du dernier émir en exil, Al-Hasan ben Kannun, qui est assassiné.2
La dynastie almoravide
Les Almoravides sont une dynastie berbère sanhajienne, qui constitue du XIe au XIIe siècle une confédération de tribus puis un empire englobant la Mauritanie, le Maroc, l'ouest de l'actuelle Algérie ainsi qu'une partie de la péninsule Ibérique (actuels Espagne, Gibraltar et Portugal).
Le mouvement almoravide est né vers 1040 sur l'île de Tidra parmi des Sanhadjas originaires de l'Adrar mauritanien et qui nomadisaient dans l'ouest saharien entre le Sénégal et le Maroc, sous l'impulsion du prédicateur malékite Abdullah Ibn Yassin et d'un chef local.
En peu de temps, les Almoravides s'emparent d'Aoudaghost, d'Awlil et de Sijilmassa. C'est à partir de cette dernière qu'ils entament la conquête du nord. Éliminant les pouvoirs locaux et annexant les principautés limitrophes, ils font l'unité d'une grande partie du Maghreb et d'Al-Andalus. Transformant la base politique tribale et urbaine marocaine en un pouvoir théocratique, éliminant les pouvoirs locaux et annexant les principautés limitrophes, les Almoravides sont ainsi présentés par certains historiens comme les véritables fondateurs du Maroc, à l'opposé de la thèse communément admise qui attribue cette fondation aux Idrissides.
Youssef Ibn Tachfin, premier sultan et troisième émir de la dynastie, prend Marrakech pour capitale. Il conquit l’Espagne en 1086 avec 15 000 hommes. Son empire est alors délimité par l’océan Atlantique à l’ouest, par le royaume de Castille, le royaume de Navarre, le royaume d'Aragon, le comté de Barcelone et le comté d'Urgell au nord, par les Hammadides et les Zirides à l’est, et de facto au sud par le Sahara (royaumes du Bambouk, Bure, Lobi, empire du Mali et empire du Ghana).3
La dynastie almohade
Les Almohades sont un mouvement religieux fondé au début du XIIe siècle, dont est issue la dynastie éponyme d'origine berbère qui gouverne le Maghreb et al-Andalus entre le milieu du XIIe siècle et le XIIIe siècle.
Le mouvement religieux des Almohades est fondé vers 1120 à Tinmel par Mohammed ibn Toumert, appuyé par un groupe de tribus du Haut Atlas marocain, principalement des Masmoudas. Ibn Toumert prône alors une réforme morale puritaine et se soulève contre les Almoravides au pouvoir à partir de son fief de Tinmel.
À la suite du décès d'Ibn Toumert vers 1130, Abd al-Mumin prend la relève, consolide sa position personnelle et instaure un pouvoir héréditaire, en s'appuyant sur les Koumyas de la région de Nedroma ainsi que les Hilaliens. Sous Abd al-Mumin, les Almohades renversent les Almoravides en 1147, puis conquièrent le Maghreb central hammadide, l'Ifriqiya (alors morcelée depuis la chute des Zirides) et les Taïfas. Ainsi, le Maghreb et l'al-Andalus sont entièrement sous domination almohade à partir de 1172.
À la suite de la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, les Almohades sont affaiblis et leur empire se morcelle au profit des rois des Taïfas en al-Andalus des Zianides du Maghreb Central et des Hafsides, et voit l'émergence des Mérinides au Maghreb al-Aksa qui prennent Fès en 1244. Les Almohades, qui doivent désormais payer tribut aux Mérinides et ne contrôlent plus que la région de Marrakech, sont finalement éliminés par ces derniers en 1269.4
La dynastie mérinide
Les Mérinides constituent une dynastie d'origine berbère zénète qui règne au Maghreb al-Aqsa (Maroc) entre le XIIIe et le XVe siècles et qui contrôle, épisodiquement, d'autres parties de l'Afrique du Nord et de la Péninsule Ibérique pendant le XIVe siècle.
Installés dans le bassin de la haute Moulouya pendant le Moyen Âge, ils sont au service des Almohades avant de se rendre maîtres d'un fief au nord du Maroc et de prendre le contrôle de Fès en 1248.
En 1269 ils renversent les Almohades en prenant Marrakech et forment, jusqu'en 1465, un empire, imposant temporairement leur pouvoir sur le Maghreb et une petite partie de la côte andalouse. Le centre de leur empire se situe entre Taza et Fès, ses frontières, qui évoluent avec le temps, sont l’océan Atlantique à l’ouest, la mer Méditerranée au nord, le domaine des Abdalwadides à l’est et le Sahara au sud.
Entre 1275 et 1340, les Mérinides soutiennent activement le royaume de Grenade contre les attaques chrétiennes, mais leur défaite à la bataille de Tarifa devant la coalition castillano-portugaise marque la fin de leurs interventions dans la péninsule ibérique.
En 1358, la mort d’Abu Inan Faris, tué par l'un de ses vizirs marque le début de la décadence de la dynastie qui ne parvient pas à refouler les Portugais et les Espagnols, leur permettant, ainsi qu’à travers leurs continuateurs wattassides, de s’installer sur la côte. La résistance s’organisera autour des confréries et des marabouts, dont est issue la dynastie saadienne.5
La dynastie wattasside
Les wattassides forment une dynastie ayant succédé aux Mérinides dès 1472. Ils seront évincés par les Saadiens en 1554. Comme les Mérinides, Ils sont issus d'une coalition de tribus zénètes.
De leur forteresse de Tazouta, entre Melilla et la Moulouya, les Wattassides ont peu à peu étendu leur puissance aux dépens des Mérinides régnants. Les deux familles étant apparentées, les Mérinides ont recruté de nombreux vizirs chez les Wattassides ; ces derniers prirent peu à peu le pouvoir, que le dernier sultan mérinide perdit complètement en 1465. La chute des Mérinides est suivie par une période de confusion qui dura jusqu'en 1472, au terme de laquelle les Wattassides deviennent sultans.
À partir de 1528, les princes Saadiens, qui contrôlent le sud du Maroc depuis 1509 et Marrakech depuis 1524, cessent de reconnaître le pouvoir central wattasside. De ce fait, le Maroc se trouva divisé en deux entités. À l'issue du conflit opposant Saadiens et Wattassides, ces derniers sont définitivement vaincus en 1554, permettant aux premiers de réunifier le pays.6
La dynastie saadienne
Les Saadiens sont une dynastie chérifienne ayant régné au Maroc entre 1554 et 1660.
Princes de Tagmadert à partir de 1509, ils gouvernent à partir de 1511 une principauté s'étendant sur le Souss, le Tafilalet et la vallée du Drâa.
Reconnaissant d'abord l'autorité centrale des Wattassides, les deux dynasties entrent en confrontation dès 1528 et, à la suite d'une bataille à l'issue indécise, se voient confirmer leur autorité sur le Sud du Maroc par le Traité de Tadla. La paix retrouvée permet aux Saadiens de concentrer leurs efforts contre les possessions portugaises et de les en expulser par la suite, ce qui leur confère une plus grande popularité et les pousse à contester aux Wattassides leur trône.
À la suite de la reprise du conflit interne, 19 ans plus tard, les Saadiens finissent par chasser les Wattassides en 1554. Ils règnent par la suite sur l'ensemble du Maroc avant d'étendre leur empire jusqu'à Tombouctou et Gao à partir de la fin du XVIe siècle.
Affaiblis par des querelles dynastiques et des conflits armés entre différents prétendants dès le début du XVIIe siècle, les Saadiens perdent progressivement le contrôle du pays au profit de chefs locaux et des confréries religieuses ; ils perdent tout pouvoir politique à partir de 1659 alors que le Maroc sombre dans l'anarchie en l'absence de pouvoir central, et ce jusqu'en 1666 avec la montée en puissance des princes alaouites du Tafilalet, qui réunifient le Maroc.7
La dynastie alaouite (de 1664 à nos jours)
L'un des plus illustres Alaouites est le sultan Moulay Ismaïl, deuxième souverain de la dynastie, à qui les chroniqueurs et les témoins d'époque s'accordent à donner 26 ans lors de son avènement (1672). Il est le demi-frère de Moulay M'hammed et de Moulay Rachid, né d'une esclave noire dont il gardera un teint mat prononcé. Son règne se situe entre 1672 et 1727. Moulay Ismaïl succède à son demi-frère Rachid, mort accidentellement à Marrakech.
Le sultan impose son autorité sur l'ensemble de l'Empire chérifien grâce à une armée composée de milices d'esclaves originaires d'Afrique occidentale et du pachalik marocain de Tombouctou (les Abid al-Bukhari de la Garde noire sultanienne, soldats d'élite dévoués exclusivement à la personne du souverain et comparables aux janissaires de l'Empire ottoman, aux gholams de l'Iran séfévide ou aux mamelouks du Caire et de Bagdad). Les troupes de Moulay Ismail incluent aussi des tribus arabes guich (Oudayas, Cherrardas, Cheragas) cantonnées aux abords des villes impériales et des points stratégiques importants.
Dans le système guich, les tribus bénéficient d'exonérations fiscales et de terres agricoles en échange de leur service dans l'armée du sultan, cela aboutissant à la formation d'une caste militaire toute puissante au sein de laquelle le makhzen recrute également une grande partie de son personnel administratif. L'État ismaïlien est donc un pouvoir très solidement établi qui contrôle le pays depuis Meknès, nouvelle capitale impériale en remplacement de Fès et de Marrakech. Sous le règne d'Ismaïl Meknès se dote d'une "cité interdite" à la manière marocaine (dont l'organisation et la fonction présentent des similitudes avec la cité palatiale des empereurs chinois à Pékin), avec ses ensembles de palais (Dâr-el-Kbira, Dâr-al-Makhzen), de bassins (Agdal), de mosquées, de jardins, de forteresses et de portes monumentales. Cette structure gigantesque est destinée à abriter le souverain, sa Cour, son harem, sa garde personnelle et l'ensemble des hauts fonctionnaires et dignitaires de son administration.
Ismaïl est souvent comparé à son alter ego européen Louis XIV ; par ailleurs le sultan marocain entretient une correspondance suivie avec le roi de France, auquel il demande la main de sa fille, Marie Anne de Bourbon, princesse de Conti, néanmoins sans succès. L'ambassadeur marocain en France en 1699, l'amiral des « mers marocaines » Abdellah Benaïcha, est l'auteur du premier essai en langue arabe décrivant Versailles et les splendeurs de la Cour royale française. Il suivait de quelques années (1693) le baron François Pidou de Saint-Olon, ambassadeur de France à Meknès, auteur d'une relation (rapport diplomatique) sur l'Empire de Fez et de Maroc.
Les rapports entre les deux pays connaissent une phase de déclin en raison de l'échec des rachats des captifs chrétiens par les missions religieuses, et en raison également du sort des galériens musulmans retenus en France. Le rapprochement franco-marocain avait été motivé par l'opposition des deux pays envers l'Espagne de Charles II, mais l'accession au trône espagnol de Philippe V (Philippe de France, comte d'Anjou), petit-fils de Louis XIV, met fin à cette entente. Par conséquent les liens diplomatiques officiels sont rompus entre Meknès d'une part et Paris et Madrid d'autre part en 1718. Ils ne seront rétablis qu'en 1767. Ismaïl considère en effet la monarchie hispano-française des Bourbons comme désormais entièrement hostile aux intérêts du Maroc. La France est donc supplantée dans l'Empire chérifien par l'Angleterre, ce qu'illustre la brillante ambassade britannique du commodore Stewart (en) et de John Windus à Meknès en 1721, qui est l'occasion de resserrer les liens d'amitié et de coopération avec Londres.
De 1727 à 1757 le Maroc connaît une grave crise dynastique au cours de laquelle les Abid al-Bukhari font et défont les sultans, tandis que les tribus guich se soulèvent et razzient les villes impériales. Les autres tribus profitent de l'anarchie pour entrer en dissidence (siba). De cette période troublée émerge la personnalité de Moulay Abdallah, renversé et rétabli à plusieurs reprises entre 1729 et 1745. Il doit subir les sécessions de ses demi-frères qui fondent de véritables royaumes dans chacune des provinces, avec l'appui de différentes factions armées des Abids ou des guich. Les habitants de Salé et de Rabat renouent avec l'autonomisme corsaire, et dans le Nord marocain les pachas de la famille Rifi établissent une véritable dynastie qui contrôle Tanger et Tétouan. Les confédérations tribales berbères des Moyen et Haut-Atlas, naguère soumises au makhzen ismailien (comme les Aït Idrassen et les Guerrouanes), se constituent en blocs politiques et s'emparent du trafic caravanier qui relie les centres commerciaux de l'Empire chérifien aux oasis sahariennes et au Soudan marocain. Les gouverneurs de Tombouctou profitent également de la crise dynastique pour se comporter en princes indépendants et traiter avec les Touaregs et les Peuls, ce qui affaiblit considérablement l'autorité marocaine dans la région de la boucle du Niger.
L'ordre est rétabli par Mohammed III (1757-1790) qui restaure l'unité du sultanat et et réimpose tant bien que mal l'autorité du makhzen sur l'ensemble de l'Empire. (Le Makhzen était l'appellation du gouvernement du sultan du Maroc). La politique de Mohammed III se caractérise par l'ouverture diplomatique et commerciale de l'État marocain qui entend percevoir les taxes douanières afin d'alléger la pression fiscale intérieure. Des traités sont conclus avec les principales puissances européennes, qui entretiennent des consulats et des maisons de commerce dans les nouveaux ports marocains fondés par Mohammed III. L'exemple le plus connu de ces nouvelles places économiques est Mogador (Essaouira), conçue par l'ingénieur français Théodore Cornut pour le compte du souverain chérifien. Les ports d'Anfa (Casablanca) et de Fédala (Mohammédia) sont également aménagés et symbolisent le développement du littoral atlantique, libéré de toute occupation étrangère après la reconquête de Mazagan sur les Portugais qui marque la fin définitive du Maroc portugais en 1769. Mohammed III est également le premier chef d'État à reconnaître l'indépendance de la jeune république américaine des États-Unis en 1777. Le sultan établit une amitié épistolaire avec George Washington, ce qui vaut aux États-Unis, en vertu de la « politique de la porte ouverte », de conclure avec le Maroc un traité de paix, d'amitié et de commerce le 16 juillet 1786 (pour une durée de cinquante ans, renouvelé par le traité de Meknès de 1836).
Sur le plan intérieur, le règne est marqué par des mutineries suscitées par le corps des Abids (à Meknès en 1778), et par une grave sécheresse de six ans (1776-1782) qui génère des conséquences économiques et démographiques désastreuses. Cette conjoncture négative va en s'accentuant sous le règne de Yazid Ier (1790-1792) dont la réputation s'entache de persécutions, de déprédations et d'une guerre catastrophique contre l'Espagne. Sa disparition entraîne le retour des troubles de la guerre dynastique et de l'anarchie tribale. L'Empire se scinde en deux makhzens rivaux, l'un à Fès avec Sulayman Ier, l'autre à Marrakech avec Hisham. C'est Sulayman qui l'emporte et réunifie le sultanat en 1797.
Moulay Sulayman (1792-1822) mène une politique isolationniste. Le sultan ferme le pays au commerce étranger, notamment européen, et supprime les postes de douane créés par son père. Sur le plan interne ses dahirs d'inspiration ouvertement salafiste provoquent des révoltes tribales et urbaines, liées à sa décision d'interdire les moussems et le maraboutisme. Les Berbères du Moyen-Atlas, notamment les Aït Oumalou, se regroupent sous la direction du chef de guerre Boubker Amhaouch et forment une grande coalition tribale à laquelle se joignent les Rifains et la puissante zaouïa d'Ouezzane. Durant les années 1810, l'armée makhzen essuie ainsi de lourdes défaites entraînant la chute de Fès et le repli du sultan sur les villes côtières demeurées sous son autorité. Les tribus insurgées et la ville de Fès vont jusqu'à essayer d'imposer le propre fils de Sulayman sur le trône, mais finissent par échouer.8
Sur le plan extérieur, le sultan parvient à écarter les tentatives de pression exercées par Napoléon Ier et par son frère Joseph Bonaparte intronisé roi d'Espagne à Madrid, proches voisins de l'Empire chérifien depuis l'occupation de la péninsule Ibérique par les troupes françaises en 1808, et affiche une neutralité bienveillante à l'égard des Britanniques qui occupent les présides espagnols du Maroc depuis 1808. Sulayman noue des relations diplomatiques avec Saoud ben Abdelaziz, prince de l'Émirat saoudien du Najd en Arabie, manifestant un intérêt certain pour le salafisme wahhabite en pleine progression. Ce rapprochement stratégique s'explique par les affinités anti-ottomanes communes au souverain alaouite et à l'émir saoudien, ainsi que par les sensibilités religieuses salafistes du sultan chérifien. Profitant de sa campagne militaire contre les Ottomans d'Algérie, Moulay Sulayman parvient à expulser définitivement les troupes turques du bey de Wahran qui occupaient le Maroc oriental depuis 1790, et à rétablir ainsi son pouvoir sur le Touat et les autres oasis du Sahara central, en y nommant des caïds représentants du makhzen.
Le sultan finit néanmoins par abdiquer en 1822 au profit de son neveu Abd ar-Rahman ibn Hicham, après la lourde défaite infligée à l'armée makhzen par la zaouia Cherradia près de Marrakech. Moulay Abd ar-Rahman (1822-1859) essaie de sortir l'Empire chérifien de son isolement extérieur, mais ses volontés sont contrecarrées par les premières agressions du colonialisme européen moderne. Le règne de ce sultan correspond en effet à la conquête de l'Algérie par la France, dans laquelle le Maroc se trouve impliqué en apportant son soutien à l'émir Abd el-Kader mais se retrouve défait à la bataille d'Isly (campagne militaire française du Maroc de 1844), ainsi qu'à la guerre hispano-marocaine de 1859-1860 qui s'achève par l'occupation espagnole de Tétouan jusqu'en 1862.
À la suite de ce conflit catastrophique pour le makhzen, qui doit payer à l'Espagne une indemnité de guerre de plusieurs millions de livres sterling empruntées auprès des banques britanniques, Mohammed IV (1859-1873) successeur de Moulay Abd al-Rahman amorce une politique de modernisation de l'Empire chérifien. L'armée est le premier champ de ces réformes structurelles. Le système des tribus guich est aboli et remplacé par un recrutement au sein de toutes les tribus « nouaïbs » (soumises à l'impôt régulier) qui doivent fournir des tabors (unités) d'askars (soldats). L'instruction de ces troupes est confiée à des conseillers militaires européens, à l'instar de l’Écossais Sir Harry Mac-Lean (qui obtient le titre de caïd pour l'organisation des Harrabas, régiment d'élite du sultan formé sur le modèle britannique), et l'armement est acheté auprès d'entreprises étrangères telles que la firme allemande Krupp (ce qui marque le début de l'ingérence allemande dans les affaires marocaines), quand il n'est pas fabriqué localement. En 1871 le sultan envisage de demander la protection politique et militaire des États-Unis du président Ulysses S. Grant sortis de leur guerre de Sécession, afin de se soustraire aux pressions anglo-espagnoles.
Parallèlement à cette modernisation de l'armée, des industries sont créées, comme l'arsenal de Dar al-Makina fondé à Fès par des Italiens, des progrès techniques sont enregistrés comme l'installation de la première imprimerie arabe du Maroc, également à Fès depuis 1865.
Mais cette politique entraîne de considérables dépenses qui nécessitent d'importants financements. Le makhzen, ruiné par les conséquences de la guerre de 1860 contre l'Espagne et par les emprunts bancaires contractés auprès des Anglais se voit donc contraint de lever des taxes supplémentaires non conformes à la Loi islamique, rapidement impopulaires et désapprouvés par les oulémas et l'ensemble des corps sociaux et professionnels. Les tensions liées à cette décision éclatent au lendemain de la mort de Mohammed IV et à l'avènement de son successeur Hassan Ier en 1873. Elles prennent dans les villes la forme d'émeutes sociales violemment réprimées, dont la révolte des tanneurs de Fès est un exemple illustratif.
Le règne de Hassan Ier correspond à la volonté du sultan de concilier les exigences d'une modernisation de l'État aux complexités sociales et politiques du Maroc. Ce règne s'inscrit de plus dans la perspective des rivalités impérialistes européennes qui deviennent plus pressantes encore à la suite de la Conférence de Madrid de 1880, qui préfigure le futur partage de l'Empire chérifien sur l'échiquier international. À l'instar de la Turquie, de l'Iran ou de la Chine de cette époque, le Maroc devient un « homme malade » selon l'expression consacrée dans les milieux colonialistes et expansionnistes européens du XIXe siècle.
Par le biais des concessions économiques et du système des emprunts bancaires, chacune des puissances européennes intéressées, notamment la France, l'Espagne, le Royaume-Uni puis l'Allemagne, espère préparer la voie à une conquête totale du pays. L'habileté du makhzen est de savoir tenir à distance les convoitises conjuguées de l'impérialisme européen et de jouer des rivalités entre les puissances. Mais le décès de Hassan Ier, survenu au cours d'une expédition dans le Tadla en 1894, laisse le pouvoir au très jeune Abd-al-Aziz, fils d'une favorite circassienne du harem impérial du nom de Reqiya et originaire d'Istanbul, qui par ses intrigues et son influence favorise l'ascension du grand-vizir Ahmed ben Moussa dit Bahmad.
Une véritable régence est alors exercée jusqu'en 1900 par le grand-vizir Ben Moussa, issu de l'ancienne corporation des Abid al-Bukhari du Palais impérial. Le grand-vizir sait continuer intelligemment la politique pragmatique de Hassan Ier, mais sa disparition entraîne une aggravation de l'anarchie et des pressions étrangères, de même qu'une rivalité entre Moulay Abd al-Aziz et son frère Moulay Abd al-Hafid, qui finit par éclater en guerre de course au pouvoir. Après la victoire d'Abd al-Hafid, de jeunes intellectuels réformateurs et progressistes influencés par la révolution des Jeunes-Turcs dans l'Empire ottoman et dont les idées sont exprimées par le journal tangérois Lisan Al-Maghrib tentent de lui soumettre un projet de Constitution chérifienne le 11 octobre 1908. Cependant la crise profonde des institutions du sultanat et la pression européenne accrue empêchent l'aboutissement du projet constitutionnel.
La faiblesse du makhzen permet en outre à un aventurier du nom de Jilali Ben Driss plus connu comme étant le rogui Bou Hmara de se faire passer pour un fils de Hassan Ier, et de se faire reconnaître comme sultan dans l'ensemble du nord-est du pays et de mettre en déroute l'armée chérifienne pendant quelques années avant d'être finalement capturé et exécuté à Fès en 1909. Un autre chef rebelle, el-Raisuni, établit son fief dans la région des Jebalas et Asilah d'où il rejette l'autorité officielle et provoque par ses enlèvements de ressortissants américains l'intervention personnelle du président des États-Unis Theodore Roosevelt, qui menace le makhzen d'envoyer des vaisseaux de guerre de l'US Navy à Tanger, par mesure de représailles.9
La pression coloniale
Durant le XIXe siècle, les puissances coloniales européennes tentent d'asseoir leur influence en Afrique du Nord. Lors de la conquête de l'Algérie, la France obtient du Maroc une promesse de neutralité (1832). Mais en 1839, le sultan Abd el-Rahman soutient l'action de l'émir algérien Abd el-Kader, le conflit algérien s'étend dans les provinces marocaines. L'armée marocaine est défaite par les troupes françaises du maréchal Bugeaud à l'Isly le 17 août 1844. Le traité de Tanger, du 10 septembre 1844, met hors la loi Abd el-Kader et définit la frontière entre les deux pays, de la Méditerranée jusqu'à l'oasis de Figuig.
Le Royaume-Uni cherche à accroître sa puissance économique et signe, en 1856, un traité commercial très à son avantage. L'Espagne pousse son désir de reconquête. Répondant aux succès des colonisations accomplies par la France, elle prend possession des îles Jaafarines, îlots méditerranéens, en mai 1848. Elle déclenche et gagne la guerre de Tétouan en 1859-1860. Cette défaite impose au Maroc de lourdes pertes humaines ainsi qu'une importante indemnité de guerre empruntée auprès des Britanniques, ce qui aggrave une situation économique déjà fragile.
La France quant à elle, désireuse de constituer en Afrique du Nord un territoire homogène signe, en 1863, une convention franco-marocaine. Les avantages accordés à la France et le Royaume-Uni sont élargis à tous les pays européens lors de la conférence de Madrid (1880).
Le sultan Moulay Hassan à la tête du pays durant cette période (1873 - 1894) tente de le moderniser et joue sur les rivalités européennes pour conserver son indépendance. Mais à son décès, et encore plus à la mort du grand vizir régent Ahmed ben Moussa dit « Ba Ahmad » en 1900, les manœuvres coloniales reprennent de plus belle autour du Maroc. Si l'Espagne est présente dans une partie du Sahara atlantique (Rio de Oro) à partir de 1884, la France quant à elle occupe et annexe un grand nombre de régions marocaines orientales et surtout sud-orientales au département d'Oran et aux territoires sahariens de l'Algérie française entre 1902 et 1904. C'est ainsi que Lalla Maghnia et le Sahara central touchant la frontière du Mali, le Touat, Tidikelt, la Saoura, Béchar, Jorf Torba, Abbadia, Métarfa, Hassi Regel, N'khaila, El Hamira, Kenadsa et Timimoun, passent peu à peu sous contrôle français. En effet, depuis sa conquête et sa colonisation de l'Algérie, la France entreprend de sécuriser les confins algéro-marocains et lorgne sur l'Empire chérifien qui est alors l'un des derniers États indépendants du continent africain au même titre que l'Éthiopie et le Liberia. Les commerçants et entrepreneurs français établis au Maroc se montrent très actifs et en concurrence avec les Allemands, notamment à Casablanca, un port au développement récent qui sera promis à une grande expansion au temps du protectorat.
La politique menée par Abd al-Aziz conduit le pays à une quasi-faillite, et accélère le processus de domination précoloniale puis coloniale qui sera confirmé durant le court règne de Moulay Abd el-Hafid entre 1908 et 1912.
Crise de Tanger
En 1904, un accord conclu entre les partenaires de l'Entente cordiale, la France et le Royaume-Uni, laisse à la France le Maroc comme zone d'influence, le Royaume-Uni se concentrant sur l'Égypte ; le nord du Maroc est concédé à l'Espagne. Grâce à cet accord, la France a toute liberté d'agir au Maroc, en échange, elle concède à la Grande-Bretagne le droit d'instaurer sa tutelle sur l'Égypte où la France conservait de fortes positions économiques et financières, dont la présidence de la Compagnie du Canal de Suez. Un accord similaire avait été conclu avec l'Italie en 1902, qui accordait une totale liberté d'action aux Italiens en Libye en échange de leur désintéressement du Maroc. L'empereur Guillaume II et le chancelier Bülow protestent contre les ambitions de la France au Maroc. Conformément à sa nouvelle doctrine de Weltpolitik, l'Allemagne veut avoir sa part des conquêtes coloniales, notamment en Afrique subsaharienne, en Chine, dans l'Empire ottoman, et au Maroc où réside une colonie germanique influente
Le 31 mars 1905, en vue de prévenir la mainmise de la France sur le Maroc, Guillaume II débarque théâtralement à Tanger, traverse la ville à cheval, à la tête d'un imposant cortège, va à la rencontre du sultan Abd al-Aziz pour l'assurer de son appui et lui faire part de son désaccord face aux droits concédés à la France sur le Maroc. Il est prêt à entrer en guerre si la France ne renonce pas à ses ambitions marocaines. Le sultan Abd el-Aziz impressionné par ce discours décide de refuser toutes les réformes préconisées par l'ambassadeur Eugène Regnault.
La France hésite, mais ne s'estimant pas prête pour la guerre, accepte la demande de réconciliation de l'Allemagne. Ce « coup de Tanger » entraîne une poussée de germanophobie en France et la démission du ministre français des Affaires étrangères, Théophile Delcassé.
Conférence d'Algésiras
Du 7 janvier au 6 avril 1906, à la suite de l'affaire de Tanger, se tient à Algésiras, au sud de l'Espagne, une conférence internationale sur le Maroc afin d'apaiser les tensions entre les différentes puissances qui se disputent le pays. Elle rassemble les principaux pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Autriche-Hongrie, Espagne, Russie, Suède, Belgique, Portugal, Pays-Bas) ainsi que les États-Unis. Cette conférence confirme l'indépendance de l'Empire chérifien, mais rappelle le droit d'accès de toutes les entreprises occidentales au marché marocain, et reconnaît à l'Allemagne un droit de regard sur les affaires marocaines. Toutefois, au grand dam de Guillaume II, la France et l'Espagne se voient confier la sécurité des ports marocains et un Français est chargé de présider la Banque d'État du Maroc. La police franco-espagnole des ports, dirigée par un officier helvétique, est créée officiellement pour assurer l'ordre dans l'ensemble des ports marocains ouverts au commerce extérieur. En 1909, l'Espagne étend sa zone d'influence à tout le Rif, afin de contrôler ses mines de fer. Les troupes du général Diaz-Ordonez se heurtent néanmoins à une résistance efficace des tribus locales menées par le Chérif Améziane.
Incident d'Agadir
En juillet 1911, l'Allemagne provoque un incident militaire et diplomatique avec la France, appelé coup d'Agadir (ou crise d'Agadir), en envoyant une canonnière (navire léger armé de canons) de sa marine impériale de guerre dans la baie d'Agadir. Aux termes d'âpres négociations, les Allemands renoncent à être présents au Maroc en échange de territoires du Congo en Afrique-Équatoriale française cédés au Cameroun allemand. Un traité franco-allemand est signé le 4 novembre 1911, entérinant cet accord et laissant définitivement les mains libres à la France dans l'Empire chérifien. Tout est désormais en place pour que la France puisse installer son protectorat conjointement avec l'Espagne sur le Maroc.10
Ce bras de fer franco-allemand, qui annonce la Première Guerre mondiale, permet à la France d'éprouver son alliance avec la Grande-Bretagne et accentue l'hostilité de l'Allemagne à l'égard du Royaume-Uni. La guerre de 14-18 aurait pu éclater trois ans plus tôt sans l'habileté de Joseph Caillaux et la panique boursière en Allemagne dont le président du Conseil, spécialiste des finances, s'attribue la responsabilité.
C'est aussi pour la France l'occasion, pour la première fois depuis la défaite de 1870, de s'opposer avec succès à l'Allemagne qui occupe toujours l'Alsace et la Lorraine.
La presse nationaliste allemande de l'époque dénonça le fait que l'Allemagne ait risqué une guerre pour des « étangs congolais ». Cependant, pour Henry Kissinger, le principal problème allemand résidait dans le fait qu'en intimidant ou en menaçant plusieurs pays de guerre en l'espace de quelques années, sans même être capable de formuler un objectif réfléchi, l'Allemagne avait intensifié les peurs à son égard et fait émerger une coalition contre elle, sans gain substantiel en retour, sans consolider sa propre coalition. Une conséquence indirecte d'Agadir est que les Britanniques et les Français se répartissent les zones maritimes à protéger : les premiers ont l'Atlantique, les seconds la Méditerranée, situation qui accroitra l'obligation du Royaume-Uni à entrer dans la Première Guerre mondiale.11
Les protectorats français et espagnol (1912-1956)
Depuis 1902, la pénétration économique et militaire européenne s’est intensifiée au point que le sultan Moulay Abd al-Hafid, frère de Moulay Abd al-Aziz, est contraint de signer en 1912 le traité de protectorat qu’est la convention de Fès.
Le traité institue, à partir du 30 mars 1912 le régime du protectorat français. En octobre de la même année, le sous-protectorat espagnol est mis en place sur le Nord du Maroc et inclut également les territoires sahariens de Tarfaya et du Río de Oro.
En zone française le pouvoir exécutif est incarné par le résident général, représentant de la France, qui dispose d'une assez large liberté de manœuvre. Le sultan et son makhzen sont maintenus comme éléments symboliques de l'Empire chérifien, l'autorité réelle étant exercée par le résident et ses fonctionnaires et officiers (contrôleurs civils et militaires). À la suite du départ de Lyautey en 1925, la résidence devient néanmoins sensible aux pressions exercées par les puissants lobbys coloniaux, représentés par les patrons de la grande industrie et par les chambres d'agriculture du Maroc.
Le Maroc connaît en effet une expansion économique importante, illustrée par le développement fulgurant de Casablanca et l'élaboration de nombreuses infrastructures (routes, voies ferrées, barrages, usines, urbanisation). Par conséquent, se forme un puissant milieu capitaliste européen qui dispose de groupes de pression parfaitement organisés, aussi bien à Rabat qu'à Paris. Un tel essor économique accroît évidemment le fossé des inégalités, et à l'exception d'une poignée de dignitaires locaux (tels que le célèbre pacha de Marrakech Thami El Glaoui, qui jouera un rôle primordial dans les événements de 1953), le peuple marocain subit le sort dramatique d'oppression et d'exploitation partagé par tous les autres peuples colonisés. Une politique de colonisation de peuplement inspirée par l'exemple des départements français d'Algérie se met également en place, encouragée par les résidents successifs et par les milieux d'affaire français. À la veille de l'indépendance en 1956, la population européenne du protectorat s'élève ainsi à plus de 500 000 personnes. C'est de cette époque que datent les grandes entreprises-clés de l'économie marocaine, tels que le groupe ONA et l'Office chérifien des phosphates et plus globalement d'importantes données sociales et politiques du Maroc contemporain.
La zone espagnole dispose d'une organisation assez semblable à la zone française, avec un haut-commissaire nommé par Madrid. Le sultan est représenté par un khalifa, lequel réside à Tétouan, capitale du protectorat hispanique. Ce territoire ne connaît pas de développement économique comparable à la zone française, mais joue un rôle décisif dans l'avenir de l'Espagne. C'est en effet depuis Tétouan et Melilla qu'éclate le coup d'État (pronunciamento) du général Franco, commandant des troupes coloniales du Maroc (Légion espagnole des tercios et unités regulares) contre la République espagnole le 17 juillet 1936. Cet événement marque le début de la guerre civile opposant les nationalistes et la phalange fasciste ibérique aux républicains, conflit particulièrement sanglant et dévastateur qui se solde par la victoire des partisans de Franco en 1939.
La ville de Tanger quant à elle constitue une zone internationale au statut particulier défini en 1923. Cette entité est régie par une commission de puissances étrangères parmi lesquelles États-Unis et les principaux pays européens. Le mendoub, haut fonctionnaire du makhzen, est le délégué du sultan, mais la réalité du pouvoir appartient aux membres de la commission internationale. La France, l'Espagne et la Grande-Bretagne sont les pays les plus influents dans la gestion de la zone internationale.
La Première Guerre mondiale
En 1915, Hubert Lyautey reçoit l'ordre de Paris de retirer les troupes de l'intérieur pour les envoyer en France. Cette évacuation semble prématurée dans la mesure où la pacification se heurte encore à des mouvements rebelles soutenus par les Allemands. L'amghar Mouha ou Hammou Zayani à la tête des Zayans parvient ainsi à anéantir toute une colonne de l'armée française dans la poche de Khénifra en novembre 1914 (bataille d'Elhri). Plus au sud en 1915, le cheikh Ahmed al-Hiba fils de Ma El Aïnin galvanise la résistance des tribus et parvient à tenir toute la zone du Souss et de l'Anti-Atlas malgré les offensives des forces coloniales. L'Allemagne leur fournit du matériel par l'intermédiaire de la zone espagnole (l'Espagne étant neutre durant le conflit). La campagne de pacification du Maroc ne s'achève définitivement qu'en 1934, avec d'une part la soumission des tribus Aït Atta du djebel Saghro (aux confins du Haut et de l'Anti-Atlas, et des vallées du Draâ et du Dadès), et d'autre part avec la prise de Tindouf (aujourd'hui située en Algérie).
La guerre du Rif
En 1921, la tribu berbère des Beni Ouriaghel de la région d'Al-Hoceïma, sous la conduite d'Abdelkrim al-Khattabi, se soulève contre les Espagnols. Le général Manuel Fernández Silvestre dispose alors d'une puissante armée forte d'environ 60 000 soldats pour réprimer cette révolte. En juin la presque totalité de cette armée espagnole est anéantie à la bataille d'Anoual. Cette défaite pousse le général à se suicider sur le champ de bataille.
En février 1922, Abdelkrim al-Khattabi proclame la République confédérée des Tribus du Rif. Les Rifains espèrent alors rallier les tribus de la zone française. Le gouvernement d'Ajdir bénéficie au niveau international du soutien symbolique du Komintern et de la neutralité bienveillante du Royaume-Uni. Le prestige d'Abdelkrim est célébré du Maghreb jusqu'au Machrek et en Turquie, où l'opinion le compare à Mustafa Kemal Ataturk. Il sera également cité comme référence par les plus célèbres leaders révolutionnaires du XXe siècle, tels que Mao Zedong, Ho Chi Minh et Che Guevara.
Les troupes d'Abdelkrim, équipées du matériel abandonné des Espagnols, menacent dès lors directement Fès, cœur spirituel du Maroc sous domination française. Face à leur avancée, la puissance coloniale française envoie le maréchal Philippe Pétain, rendu célèbre par la bataille de Verdun, mener l'offensive militaire sur le Rif à la tête de 250 000 soldats et auxiliaires et d'une quarantaine d'escadrilles d'aviation. Le résident général Lyautey, jugé trop attentiste, est contraint de démissionner puis est rappelé à Paris en 1925. S'ensuit une répression sur les Rifains, où bombardements terrestres et aériens, usage d'armes chimiques de fabrication allemande (y compris sur des populations civiles) et supériorité numérique obligent les troupes d'Abdelkrim à se rendre en mai 1926.
Abd el-Krim est exilé dans un premier temps à La Réunion jusqu'en 1948, puis s'établit en Égypte où il prend la tête du Comité de Libération du Maghreb (qui réunit également Allal El Fassi et Habib Bourguiba), et ce jusqu'à son décès en 1963, pour lequel le raïs égyptien Gamal Abdel Nasser fera organiser des funérailles nationales. Si la reddition de 1926 marque la fin de l'expérience rifaine, une résistance politique issue des milieux citadins marque le pas dès le début des années 1930 avec la création du Comité d'Action Marocain, embryon du mouvement nationaliste marocain. 12
Réaction nationaliste
Le « dahir berbère » du 16 mai 1930, réglant le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume berbère non pourvues de mahakmas pour l'application du Chrâa, est un dahi (décret royal), établi sous la résidence générale de Lucien Saint et scellé par le sultan Mohammed ben Youssef (futur roi Mohammed V), alors âgé de vingt ans et au début de son règne.
Quels que furent les objectifs, « réels ou cachés », du texte de ce dahir, qui s'inscrivait dans le cadre de la « politique berbère » rapidement engagée par la puissance coloniale française après le traité de Fès de 1912, son adoption fut perçue au Maroc comme un non-respect des statuts du protectorat ou une atteinte à l'unité du peuple marocain ; au point de susciter une réaction nationaliste de grande ampleur, devenue une étape essentielle du nationalisme marocain et ayant conduit, dans un premier temps notable, environ quatre ans après (8 avril 1934), à une quasi-marche arrière.
Les nationalistes ont vu dans ce dahir, une tentative de division du peuple marocain notamment à la lecture de l'article 6 et la volonté mal déguisée d'assimiler et de christianiser, à plus ou moins brève échéance, une composante essentielle de la population. Les manifestations pacifiques propagées à travers le pays grâce à l'appel au "latif" relayé par la Pétition du 28 août 1930 constituent la première réaction nationaliste organisée contre l’occupant et conduira la France au retrait du Dahir Berbère. Nombreux s’accordent aujourd’hui à reconnaître que cet important épisode historique et le recul de la France a conforté les nationalistes et constitue l’acte fondateur de la prise de conscience politique qui conduira une dizaine d’années plus tard à la signature le 11 janvier 1944 d’une nouvelle Pétition, cette fois appelée « Manifeste de l'indépendance ». Les signataires de la pétition contre le Dahir Berbère sont les symboles des marocains libres. Tous font partie du panthéon marocain : grands résistants avant l'heure de l'indépendance. L’abrogation du dahir dit berbère devient un thème de revendication du nationalisme dont toutes les organisations, embryonnaires dans les milieux citadins et jusque là sans contact entre elles, vont se rapprocher. Pour la première fois sont offertes, à ceux qui se veulent conducteurs d’hommes, des masses populaires prêtes à les suivre ; en effet une atteinte à la religion est alors une idée-force capable de tirer de sa passive indifférence la population.13
La Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale se déclenche en Europe alors que l'opposition nationaliste au Maroc est décimée par la répression. Il est à noter que ses dirigeants n'ont jamais appelé à pactiser avec les forces de l'Axe germano-italo-japonais contre l'occupant français. Mieux ils ont attendu, et profité du débarquement américain de 1942 au Maroc pour reprendre leur mouvement public de revendication.
La défaite de la France a pour conséquence de placer l'administration coloniale sous les ordres du régime de Vichy pro-hitlérien et collaborationniste qui veut obliger le sultan Mohammed Ben Youssef (Mohammed V), souverain chérifien depuis 1927, à appliquer les lois antisémites d'inspiration nazie aux Marocains de confession juive. Mais le sultan s'y refusera et cette attitude ainsi que son soutien indéfectible à la cause de la France libre lui vaudront la reconnaissance de Charles de Gaulle lors de la victoire alliée de 1945, reconnaissance symbolisée par la dignité de compagnon de la Libération conférée au sultan marocain.
En novembre 1942 a lieu le débarquement américain sur les côtes marocaines, à Port-Lyautey (Kénitra), Fédala (Mohammedia), Casablanca et Safi. Il s'agit de l'opération Torch, supervisée par les généraux Eisenhower et Patton. Les forces fidèles à l'État français sont rapidement mises en déroutes, et le Protectorat du Maroc quitte le camp de l'Axe pour celui des Alliés. Il s'ensuit en janvier 1943 la conférence de Casablanca, qui rassemble le président américain Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill, ainsi que le chef de la France libre, le général de Gaulle, et son rival en AFN (Afrique française du Nord) le général Henri Giraud. Cette conférence, malgré l'absence remarquée de Staline, marque un tournant dans le déroulement de la guerre. Les dirigeants alliés annoncent en effet la poursuite du conflit jusqu'à capitulation inconditionnelle de l'Allemagne nazie, de l'Italie fasciste et du Japon impérial, ainsi qu'une aide matérielle occidentale importante à l'URSS et l'ouverture d'un front en Europe avec le débarquement projeté en Sicile (opération Husky). Localement la conférence a également un impact déterminant. Le sultan Mohammed Ben Youssef est en effet invité à Anfa par Roosevelt et Churchill, et reçu avec tous les honneurs dus à un chef d'État à part entière. L'impact d'un tel événement influe sur la structuration forte du mouvement nationaliste marocain qui réclame désormais ouvertement l'indépendance et l'abrogation du traité de Fès
Le souverain chérifien, à la suite de la victoire alliée, donne son appui à la « France libre », et soutient l'organisation et le recrutement des forces françaises en Afrique du Nord. Le Maroc paie un lourd tribut à la guerre européenne : entre 25 000 et 30 000 hommes tombent pour la libération de la France. Les goumiers marocains s'illustreront notamment au cours de la campagne de Tunisie, de la campagne d'Italie, du débarquement en Provence, puis au cours de la campagne d'Allemagne.
Par conséquent un puissant esprit de contestation nationaliste se développe dans le pays. L'invasion de la France par les Allemands puis, en 1942, le débarquement américain sur les côtes marocaines, avaient atteint l'autorité de la métropole et jeté le discrédit sur le résident Charles Noguès, qui avait autorisé l'installation d'une délégation de la Commission allemande d'armistice à Casablanca en 1940, dans le cadre de la collaboration entre les autorités françaises de Vichy et le IIIème Reich. En 1943, le parti de l'Istiqlal (Indépendance) est créé par le principal courant nationaliste marocain qui publie le Manifeste de l'Indépendance le 11 janvier 1944.
Mohamed Hassan El Ouazzani, alors en exil intérieur au Sud marocain, rival d'Allal El Fassi depuis 1934, fonde son propre parti, le modeste PDI (Parti démocratique de l'indépendance). L'Istiqlal et, dans la mesure de ses moyens le PDI, vont organiser des réseaux clandestins à travers de nombreuses régions avec comme objectif ultime l'obtention finale de l'indépendance. Dans la zone espagnole s'active le Parti de la Réforme nationale d'Abdelkhalek Torrès, en liaison avec les mouvements nationalistes arabes du Moyen-Orient.
Lutte pour l'indépendance
À partir des années 1950, le mouvement national marocain prend la forme d'une lutte armée avec la création de l'Armée de libération nationale qui établit des foyers de guérilla dans les zones montagneuses. Dans les villes se développent des organisations de lutte adaptées au milieu urbain, comme le Croissant noir. Les actions combinées des organisations nationalistes aboutissent aux représailles des autorités françaises, qui s'enchaînent sur un cycle de violence qui culminera après la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef (Moahammed V) par le résident général Augustin Guillaume soutenu par les colons conservateurs, les grands notables marocains liés à la France, et le parti extrémiste Présence française qui assassine les personnalités françaises favorables à l'indépendance marocaine telles que Jacques Lemaigre Dubreuil.14
Le roi Moahammed V avait très tôt soutenu avec son fils, le prince Moulay Hassan (futur roi Hassan II), les mouvements nationalistes marocains fondés par Mohammed Allal El Fassi pour l'Istiklal 1937 et Bel Hassan El Ouazzani pour le PDI (Parti pour la Démocratie et l'indépendance) lesquels réclamaient par le manifeste signé le 11 janvier 1944 l’indépendance du Maroc. Il dénonça aussi la répression française des émeutes à Rabat, Salé, Casablanca, Fès et l’arrestation des leaders nationalistes de l’Istiqlal et du PDI.
En 1947, il alla plus loin dans ses revendications avec le discours de Tanger en 1947 où il réclama l’indépendance, l’union des arabes et l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe (fondée en 1945) dont il fit l’apologie insistant sur les liens étroits entre le Maroc et l’ensemble du monde arabe.
Dès lors, les relations se tendirent avec les autorités françaises, notamment avec le nouveau résident général, le Général Alphonse Juin qui appliqua des mesures sévères et fit pression sur le sultan pour qu’il désavoue l’Istiqlal et se démarque des revendications nationalistes. La rupture avec la France fut consommée en 1951 et Mohammed V conclut avec les nationalistes le pacte de Tanger pour lutter pour l’indépendance. La nomination d’un nouveau résident général, le général Augustin Guillaume, accentua les dissensions entre Mohammed V et la France. De nouvelles manifestations virèrent à l’émeute au Maroc en 1952, notamment à Casablanca tandis que Mohammed V donnait à la cause marocaine une audience internationale à l’ONU avec le soutien des États-Unis.
La déposition et l'exil
En 1953, le général Augustin Guillaume manœuvra alors avec d’autres élites marocaines, notamment le Glaoui, pacha de Marrakech, l’Ouléma de Fès et les tribus berbères et fit déposer Mohammed V pour placer son oncle, Mohammed Ibn Arafa, sur le trône tandis que Mohammed V refusait d’abdiquer. L’arrestation puis la déportation du sultan, d’abord en Corse, puis à Madagascar (à Antsirabé à partir de 1954), eut le contraire de l’effet escompté. Elle souda les Marocains derrière leur sultan et fédéra le mouvement nationaliste derrière Mohammed V. Une vague de violences et d’attentats dans les grandes villes et dans le Rif secoua le Maroc, tandis qu’éclatait dans le même temps la guerre d’Algérie en 1954 et que la même politique déclenchait les mêmes effets en Tunisie contre le Néo-Destour d'Habib Bourguiba.
L’aggravation de la situation en 1955 ; les nationalistes marocains bénéficiant de soutien en Libye, en Algérie (avec le FLN) et dans l'Égypte de Nasser (où vivait en exil Abd-el-Krim, ancien leader de la révolte du Rif dans les années 1920) força le gouvernement français à négocier et à rappeler le sultan.
Le retour et l'indépendance (1955-1956)
En septembre 1955, le général Georges Catroux rencontra Mohammed V à Madagascar. Du 2 au 6 novembre 1955, après son retour en France et l’abdication de Mohammed Ibn Arafa le 1er, Mohammed V signa avec le ministre des Affaires étrangères français, Antoine Pinay, les accords de La Celle Saint-Cloud qui mettait en place le processus de transition vers l’indépendance. Il pardonna aussi au Glaoui, venu se prosterner à Saint-Germain-en-Laye une semaine après avoir réclamé sa restauration.
Le 16 novembre 1955, il fit son retour au Maroc avec son jeune fils, le prince Moulay El Hassan et fut accueilli triomphalement à Rabat, mais c'est surtout dans tout le royaume que l'euphorie gagna le reste de la population fêtant le retour du roi avec les drapeaux marocains et des chants patriotiques à la gloire du Maroc, de son peuple et de son roi. Le 2 mars 1956 prenait fin le protectorat français tandis que l’Espagne mettait fin au sien le 7 avril. Le Maroc était indépendant et Mohammed V en avait été le principal artisan.15
Après l'indépendance (1956-1961)
Au cours des premières années d’indépendance, jusqu'en 1960, la politique marocaine consiste à reconstituer le « Grand Maroc » (ou du moins l'Empire chérifien dans ses frontières antérieures à 1912) englobant la Mauritanie, une partie de l'Algérie, le nord-ouest du Mali, voire l'archipel des îles Canaries, projet dans lequel le roi ne voulait pas être débordé par le parti de l’Istiqlal. Après le retrait d'Allal El Fassi, l'abandon de cette idéologie se confirme par la reconnaissance officielle par Rabat de la République islamique de Mauritanie nouvellement indépendante. Le gouvernement d'Abdallah Ibrahim (1958-1960), d'orientation socialiste, marque la volonté d'émancipation du Maroc qui se traduit diplomatiquement par son adhésion à la Ligue arabe et par son soutien au panafricanisme, et financièrement par l'abandon du franc marocain, indexé sur le cours du franc français, au profit du dirham. Le Maroc est en outre l'un des membres fondateurs de l'Organisation de l'unité africaine, et abrite en 1961 un sommet auquel participent le Mali, la Guinée, le Ghana, la République arabe unie et le GPRA, tous réunis au sein du groupe de Casablanca qui milite pour une unification avancée du continent.
L'opposition à la France et à sa politique coloniale, notamment durant la guerre d'Algérie, conduit également le Maroc à abriter des bases et des camps d'entraînement du FLN algérien, ainsi que le commandement de la Wilaya V : il s'agit de l'état-major de l'armée des frontières, connu sous le nom de clan d'Oujda et regroupant les futurs dirigeants de l'Algérie indépendante, tels que Houari Boumédiène et Abdelaziz Bouteflika.
Le règne d'Hassan II
Le 3 mars 1961, à la mort de son père, Hassan II est proclamé roi du Maroc. Les années 1960 sont marquées par un climat politique particulièrement tendu. En 1965 disparaît à Paris Mehdi Ben Barka, chef de l'opposition de gauche issue de la scission avec l'Istiqlal (Union nationale des forces populaires), et qui en tant que leader du tiers-monde, devait présider la Conférence tricontinentale de La Havane en 1966. Toujours en 1965, Casablanca est agitée par de graves émeutes sociales violemment réprimées. Le régime instaure un état d'exception jusqu'en 1970. Cette décennie ouvre ainsi la période des années de plomb au Maroc.
La tension politique latente, consécutive à l'état d'exception, se manifeste par les tentatives de coups d’État militaires du général Medbouh et du colonel M'hamed Ababou contre le palais de Skhirat (1971), ainsi que par l'attaque du général Oufkir contre le Boeing royal en plein vol (coup d'État des aviateurs de 1972). En 1973, afin d'atténuer ces tensions politico-sociales, Hassan II procède à la « marocanisation » des derniers domaines agricoles et des entreprises à capitaux encore détenus par des colons français (près de 100 000 Français vivent encore au Maroc en 1971).
Il envoie également un corps expéditionnaire marocain combattre aux côtés des autres armées arabes durant la guerre du Kippour contre Israël, et qui s'illustrera sous les ordres du colonel Abdelkader El Allam au cours de l'offensive du plateau du Golan. Le Maroc assure aussi sa dimension géopolitique africaine en envoyant, en coordination avec les États-Unis, la France et la Belgique, des détachements de ses forces armées royales combattre au Katanga les rebelles pro-soviétiques du FLNC opposés au dirigeant zaïrois Mobutu Sese Seko pendant la première et la deuxième guerre du Shaba (1977-1978).
En 1969 suite à l'incendie criminel de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem les dirigeants des pays musulmans se réunissent à Rabat et décident de la création de l'Organisation de la coopération islamique. Le roi Hassan II devient par la suite président du comité Al Qods chargé de surveiller l'évolution de la situation de Jérusalem et de ses lieux saints musulmans soumis à l'occupation israélienne. Le Maroc s'implique dans les négociations secrètes entre les États-Unis, Israël et l'Égypte qui aboutiront aux accords de Camp David en 1978 et à la restitution du Sinaï occupé par les Israéliens depuis 1967 aux autorités égyptiennes.
Mais c'est surtout vers les territoires du Sahara occidental sous domination espagnole (que les Marocains revendiquent comme Provinces du Sud) que se porte l'attention du roi en 1975. En 1969, l'Espagne rétrocède l'enclave d'Ifni, onze ans après le territoire de Tarfaya, mais la décolonisation du Sahara est incomplète, puisque le Rio de Oro et le Seguia el-Hamra connaissent encore l'occupation coloniale et la répression militaire espagnoles. C'est au lendemain de la disparition de Francisco Franco, caudillo de l'État espagnol depuis 1939, que le Maroc entame une récupération planifiée de ces territoires, connue sous le nom de Marche verte.16
La "marche verte" de Hassan II
Fin octobre - début novembre 1975, le roi du Maroc Hassan II lançait 350 000 hommes et femmes à la reconquête des fameuses "provinces du Sud", à savoir le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole en passe de devenir indépendante. Orchestrée au plus haut niveau par le pouvoir, cette "marche verte", (pacifique parce que les marcheurs étaient armés du seul Coran), ouvrait la voie à l'occupation militaire du Sahara occidental quelques mois plus tard. Depuis, l'armée marocaine quadrille les territoires occupés, surveille les populations nomades sahraouies, participe au pillage des richesses du sous-sol saharien, emprisonne et assassine les militants indépendantistes.
Une "marche civile"...
Cette "marche de reconquête" portait bien son nom puisqu'elle visait à conquérir pour le compte du monarque dictateur, cette colonie espagnole, riche en phosphates et en fer, que l'ancien colonisateur était contraint de quitter à l'époque. Pour réussir son coup de poker diplomatique, et prendre de vitesse l'Espagne comme le jeune mouvement nationaliste sahraoui (le Front Polisario était apparu en 1973), la monarchie chérifienne joua la carte de "l'union nationale", et s'appuya sur une propagande nationaliste sans précédent. En suscitant les passions chauvines, Hassan II faisait ainsi d'une pierre deux coups, rétablissant derrière sa personne l'unité nationale afin de consolider son trône, tout en tentant de faire oublier à son peuple la misère dans laquelle il vivait. L'exemple venant d'en haut, cette propagande fut relayée, avec efficacité, par tout l'appareil d'État, des éléments zélés du ministère de l'Intérieur aux plus petits chefs de villages de l'Atlas.
Oubliant pour la circonstance leur opposition timide à l'une des dictatures les plus féroces du Maghreb, les partis de gauche comme l'Union socialiste des forces populaires (USFP) enfourchèrent alors le cheval de bataille nationaliste et se montrèrent encore plus guerriers que le roi lui-même. C'est ce qui permit à la monarchie de mobiliser des centaines de milliers de pauvres pour participer à une opération à laquelle ils n'avaient aucun intérêt.
... organisée par la monarchie chérifienne
Cette marche n'avait donc rien de spontané. Hassan II avait décidé que 350 000 personnes devaient y participer, 350 000 y participèrent ! Chaque ville dut envoyer son contingent de "volontaires" : 25 000 pour Marrakech, 20 000 pour Ouarzazate, 15 000 pour Tarfaya, 18 000 pour Tiznit etc. Plus favorables à la monarchie, les provinces du sud furent sollicitées en priorité. Le tout fut bien encadré par les hommes du pouvoir. Comme en témoigne un gouverneur qui participa à la Marche verte, l'appareil d'État intervint "depuis l'inscription des volontaires jusqu'au retour des marcheurs chez eux, en passant par leur départ vers le Sahara, leur stationnement sur les lieux de campement", sans oublier le ravitaillement organisé par l'administration centrale. L'état-major de la gendarmerie royale organisa les convois de marcheurs vers le Sahara. Ainsi les gouverneurs, les milliers d'officiers supérieurs des Forces armées et de la gendarmerie royale chapeautèrent la "marche pacifique" de centaines de milliers de personnes recrutées parmi les couches les plus déshéritées de la société pour le plus grand bénéfice politique du dictateur.
Après le départ des troupes espagnoles en 1976, le Maroc récupéra le nord et le centre du Sahara occidental dont la capitale ; la Mauritanie, le Sud. Le Front Polisario proclama alors une République arabe sahraouie démocratique (RASD) reconnue par l'Algérie qui convoitait, elle, un débouché maritime sur la façade atlantique. La guerre des sables commença alors entre le Front Polisario et l'armée marocaine. Puis lorsque la Mauritanie abandonna ses prétentions sur la partie du Sahara occidental qu'elle occupait, Hassan II envoya ses troupes annexer le sud des territoires sahariens.17
Culte de la personnalité
La « marche Verte » fournit à Hassan II l'occasion de refaire l'unité autour de sa personne, organisant, entre autres, une sorte de culte de sa personnalité.
Son portrait apparaît alors dans tout le pays, sur les avenues, chez les commerçants qui peuvent être inquiétés par la police s'il n'est pas bien mis en évidence.18
1980-90 : instabilité sociale
Depuis les dernières décennies post-coloniales, le Maroc penche pour une politique nationale agricole tandis que son voisin algérien se tourne vers l'industrialisation et la planification socialiste. Cette décision ne suffit pas à enrayer les inégalités sociales qui déclencheront la colère de la population à travers les émeutes de 1981 à Casablanca et de 1984 à Marrakech et dans le Nord (Tétouan, Al Hoceima, Nador). Les campagnes agricoles sont victimes d'une longue période de sécheresse, tandis que la chute des cours du phosphate et la politique de rigueur budgétaire imposée par le FMI assombrissent la conjoncture économique. Durant les années 1980, le roi Hassan II annonce la candidature marocaine à l'adhésion à la Communauté européenne, qui est déclinée par la Commission de Bruxelles. Le Maroc obtiendra en revanche un statut de partenaire avancé auprès des institutions européennes et sera un acteur incontournable du dialogue euro-méditerranéen.
En revanche, l'année 1988 est celle de la réconciliation officielle entre le Maroc et l'Algérie, concrétisée par le rétablissement des relations diplomatiques et la réouverture des frontières, cette dernière mesure prenant fin en 1994. En 1989 à Marrakech une réunion des cinq chefs d'État maghrébins marque la naissance de l'Union du Maghreb arabe, regroupant le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, et prévoyant à terme l'émergence d'un marché unique et la libre circulation des biens et des personnes. La crise latente entre Rabat et Alger via le conflit au Sahara empêche cependant la réalisation de ces objectifs.
En 1984 avait déjà eu lieu une tentative de fusion maroco-libyenne à la suite du traité d'Oujda pour compenser le retrait du Maroc des instances de l'OUA (à la suite de la reconnaissance officielle du mouvement sahraoui par l'organisation panafricaine). Mais cette union binationale échoue en 1986 à la suite de la visite au Maroc du Premier ministre israélien Shimon Peres, accueilli à Ifrane par le roi, et au bombardement aérien de la Libye par les États-Unis alliés du Maroc. L'hostilité de l'administration Reagan à l'égard du régime de la Jamahiriya de Mouammar Kadhafi entérine donc la fin de l'union maroco-libyenne.
1991 à 1999
Le Maroc se distingue comme faisant partie des pays arabes ayant envoyé un contingent au Koweït aux côtés des Occidentaux pendant la guerre du Golfe, malgré les fortes manifestations populaires dans les rues marocaines en faveur de l'Irak de Saddam Hussein.
Sur le plan intérieur, les années 1990 voient s'amorcer une relative libéralisation du régime par le roi Hassan II, politique qui culmine avec la tenue des élections démocratiques de 1997 et la formation d'un gouvernement dit d'alternance, présidé par Abderrahman El Youssoufi de l'USFP (socialiste), et qui succède aux gouvernements technocratiques de Mohammed Karim Lamrani et d'Abdellatif Filali. Les prérogatives royales restent néanmoins confirmées par les référendums constitutionnels de 1992 et 1996.
En 1994 Marrakech abrite la réunion internationale qui aboutit à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce.19
La fin de règne d'Hassan II
Redoutable manœuvrier, jamais aussi à l'aise que dans le jeu complexe de la diplomatie régionale et internationale, ce roi auquel rien n'était interdit - surtout pas les plaisirs d'une vie terriblement dispendieuse - décide de tout derrière les murailles de ses palais, véritables cités interdites. Cependant, pour préparer le règne de son fils, il engagea une politique d'ouverture démocratique.
Moderniste et traditionnel, féodal et politicien madré, fin stratège conciliant Occident et Orient, mais aussi capable d'arbitraire et d'extrême dureté, à sa mort le 23 juillet 1999, Hassan II laisse à son fils, Mohammed VI, un Maroc structuré et uni. Mais aussi un royaume où les disparités sociales et les inégalités demeurent criantes. Contrasté et contesté. Son héritage est lourd.20
Règne de Mohammed VI
Mohammed VI a hérité d'un pays placé au 130e rang dans le monde pour le développement économique et social. L'idée d'une « transition à l’espagnole », en référence à l’arrivée au pouvoir de Juan Carlos Ier, peut décrire l’espoir de tout un peuple. Mais les grands problèmes à résoudre (la question des islamistes et celle du Sahara occidental notamment) sont d'une tout autre nature. La dénonciation par le roi de « l’immobilisme » du Makhzen (l’administration toute puissante) et le limogeage du ministre de l'intérieur Driss Basri, trois mois après son accession au trône, ont marqué une volonté de changement. Ce message fut renforcé par l’autorisation du retour au Maroc de l’opposant historique au régime, Abraham Serfaty.
Les différentes forces politiques démocratiques de droite comme de gauche restent unies par un nationalisme intransigeant, qui s'exerce en faveur de la « marocanité du Sahara occidental » et face à l’Algérie voisine avec qui les relations ont toujours été aigres-douces.
Sur le plan des libertés, les espoirs nés de l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, en 1999, se sont progressivement évanouis.21
Forces et faiblesses de la monarchie
La monarchie absolue s’est consolidée en infligeant une défaite au mouvement national et à ses ailes radicales après l’indépendance, symbolisée par l’assassinat de Ben Barka et l’écrasement dans le sang de la révolte populaire à Casablanca en mars 1965.
Elle a su combiner l’appareil d’État moderne, hérité de la colonisation, et les structures locales de domination : le makhzen, pouvoir central mais aussi un mode de domination visant à centraliser les ressources et contrôler les territoires par le moyen de la force et de la cooptation. Elle a pu s’ériger comme une force sans concurrence et sans opposition réelle dans le champ politique institutionnel.
Derrière la façade pseudo-démocratique
Si Hassan II a été particulièrement brutal, il a consolidé, en fin de règne, une façade démocratique dont la fonction est de canaliser et corseter la contestation sociale et politique. Le multipartisme et les élections n’entament pas un système consensuel où ne sont remis en cause ni le cadre des politiques économiques, ni la suprématie du roi et de ses ministères de souveraineté, ni la gestion du Sahara occidental. Les scrutins dégagent des majorités et oppositions hétéroclites selon les circonstances et les besoins du pouvoir, quel que soit les résultats des urnes. La lutte des places permet de renouveler les élites, d’élargir le système de cooptation, de favoriser de nouveaux acteurs moins discrédités tout en maintenant un équilibre sous surveillance.
Ainsi, les élections régionales en 2015 montrent l’épuisement des partis historiques issus ou liés au mouvement national et la montée de nouvelles forces de substitution dans le paysage politique. C’est le cas du PAM (Parti de l’authenticité et de la modernité) crée par un proche du Palais et le PJD (Parti justice et développement ), courant islamiste intégré.
Le Parlement et le gouvernement n’ont pas d’autonomie réelle. Autour du cabinet royal, existe un « gouvernement parallèle » issu de « l’État profond » qui pilote les décisions stratégiques. Sans compter le poids des ministères de souveraineté (défense, politique étrangère, intérieur) qui échappent au gouvernement, malgré la réformette constitutionnelle de 2011. Les walis (équivalent des préfets), nommés par le roi, ont plus de poids que le Premier ministre.
Cette méthode d’intégration/cooptation sans partage du pouvoir a été élargie au mouvement syndical et à la société civile dont une large partie est liée au financement européen ou aux fonds royaux. S’est construit ainsi une architecture du pouvoir où la monarchie, en apparence au-dessus de la mêlée, s’est entourée de médiations multiples, de tampons et relais vis-à-vis de la société.
La délégitimation du pouvoir
À la différence d’autres dictatures, la monarchie n’a pas cherché à faire le vide autour d’elle et a su s’appuyer et favoriser des corps intermédiaires, eux-mêmes en concurrence et contrôlés, légitimant son pouvoir. Elle a pu aussi, à travers un clientélisme d’État, consolider des appuis sociaux divers et jouer sur des registres de légitimité multiples. Celle qui procède de l’univers précapitaliste mettant en avant une sacralité religieuse et symbolique du pouvoir, le roi, « commandeur des croyants » et descendant du Prophète, celle moderne, inauguré par le pluralisme formel, une alternance électorale, une politique d’« assistance sociale » par l’intermédiaire de fondations ad hoc.
Mais l’ensemble des rapports de domination use des cordes classiques du système makhzen : la crainte, l’allégeance et la dépendance, y compris sur le terrain économique. Et le maintien d’un appareil sécuritaire pléthorique.
Ce système a permis au pouvoir d’augmenter ses « ressources de domination », mais sa légitimité est restreinte. Les élections voient un boycott massif : les partis et syndicats sont discrédités. Les digues qui permettaient de maintenir une paix sociale ont largement volé en éclats. Nombre d’attributs de la monarchie sont contestés publiquement : le mélange du pouvoir et des affaires, le statut religieux, le maintien d’une politique répressive, la corruption institutionnalisée. La stratégie visant à récupérer les revendications sociales et démocratiques tout en les vidant de leur contenu ne fonctionne pas sur la durée.
L’ébranlement de l’autorité de l’État sous l’effet du M20F (le Mouvement du 20 février 2011) dans le cadre du processus régional, l’approfondissement de la crise sociale et de la façade démocratique, ont ouvert un processus souterrain de délégitimation du pouvoir et, en réponse, une fermeture des « marges démocratiques » tolérées jusque-là.
Paradoxalement, le pouvoir qui cherche à prévenir les risques d’un soulèvement populaire et démocratique plus radical, est en train d’en créer, par sa politique même, les conditions.22
Le roi, capitaliste absolu
Le nombre des pauvres « absolus » a doublé en dix ans, atteignant officiellement 19 % de la population en 2015. La majorité des marocains vit avec moins de 3 euros par jour et survit avec un seul revenu. Des millions de personnes n’ont pas accès aux besoins les plus élémentaires d’éducation (68 % d’analphabètes), d’eau potable (57 % de la population y a accès), d’électricité, de soins (1 médecin pour 2 200 habitants, 1 % du PIB), de logements salubres.
Le chômage affecte la jeunesse d’une manière massive. Les salariés de la fonction publique sont soumis au gel des salaires, l’extension des contrats précaires, la baisse des effectifs et la dégradation des conditions de travail. Dans leur grande majorité, les salariés du privé n’ont pas accès aux droits les plus élémentaires. Plus de 43 000 entreprises déclarent des salaires inférieurs au salaire minimum garanti. Les allocations familiales sont de 20 euros par mois. Plus de 7 millions de retraités touchent une pension maximale de 60 euros par mois. 7,4 millions de personnes sont sans retraite.
Ce système de prédation organisée bénéficie au capital international mais aussi local. Le roi a le contrôle stratégique des institutions publiques, financières et économiques. Une des fonctions du secteur public est d’assurer l’accumulation privée de la famille régnante. Ainsi pour le domaine agricole, la pratique généralisée de la surfacturation et la sous-facturation permet le racket légal, la réduction des coûts de production, auxquels se combine un système de subventions et de commandes publiques taillés sur mesure. Et le recours à la Caisse de dépôt et de gestion pour « socialiser les pertes » des entreprises royales !
Holding royale
Le processus de privatisation, adossé au monopole du financement a permis l’émergence de monopoles privés liés aux intérêts de la famille royale. L’ONA/SNI (la holding de la famille royale) en est la colonne vertébrale : près du quart du PIB du Maroc, et 60 % de la capitalisation boursière ! Les lois budgétaires avalisent sans discussion l’entretien des palais et résidences (1 million d’euros par jour) et le budget royal (240 millions). Le monarque est le premier patron de l’agro-industrie, le premier propriétaire, banquier et investisseur, avec cette particularité que l’État est au service d’un capitaliste privé...
Ce système fonctionne parce qu’il s’appuie sur les lignées familiales historiques au service du makhzen, qui ont depuis lors intégré les couches supérieures de la bureaucratie civile et militaire et de la bourgeoisie de marché. Elles bénéficient d’un régime de faveur.
Ainsi, la réduction des impôts sur les grandes entreprises et hauts revenus a entraîné entre 2007 et 2015 un manque à gagner de 3 milliards de dirhams. Les vagues d’exonération/amnistie fiscale, en particulier dans le foncier et l’immobilier, ont généré une perte sèche de recettes de plus de 36 milliards. 431 milliards entre 2000 et 2009, et plus de 220 milliards pour la seule année 2011, ont été expatriés.
Des prébendes de divers ordres, sous formes d’agréments ou d’accès à des marchés, sont octroyées par le régime et peuvent être relevées par lui. Le droit à un statut donné dépend du degré d’allégeance et de fidélité. Une grande partie des dirigeants de groupes économiques privés-publics doit tout à la monarchie : leur statut d’entrepreneur par héritage, par cooptation ou nomination unilatérale. On doit aussi souligner le poids du secteur informel, en particulier dans les marchés de la contrebande et de la drogue qui bénéficient de la complicité des hauts sommets de l’État.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le « roi des pauvres »... apparaisse dans le magazine Forbes comme l’une des plus grandes fortunes mondiales23. En 2016, sa fortune personnelle est estimée à 1,5 milliard de dollars. Il possède un yacht, El Boughaz I, de 70 mètres. Au Maroc, il a la jouissance d’une trentaine de palais et de résidences, dont les frais de fonctionnement sont assumés par l'État. Il dispose notamment des palais royaux de Casablanca, Fès, Marrakech, Meknès, Agadir, Ifrane, Oujda, Rabat et Tétouan. Il possède également en France le château de Betz (Oise, Picardie), entouré par un vaste domaine de 70 hectares et l’hôtel de Broglie.24
Le Printemps arabe au Maroc
Le Maroc est touché en 2011 par les remous du Printemps arabe et connaît une série de manifestations populaires axées autour du mouvement du 20-Février. Le roi fait alors approuver une nouvelle Constitution par référendum, qui redéfinit entre autres le rôle du gouvernement et officialise l'usage de la langue amazigh au côté de l'arabe. Les élections législatives qui s'ensuivent sont remportées par les islamistes modérés du PJD. Abdel-Ilah Benkiran issu du PJD est nommé suite à ce scrutin chef d'un gouvernement de coalition avec le RNI, le Mouvement populaire et le PPS.
Le Mouvement du 20 février
À l'avant-garde se trouve cette fameuse génération Facebook, une « nouvelle race de marocains mutants », très jeunes (de 15 à 25 ans), qui n'ont pas connu les années de plomb, et osent s'exprimer haut et fort . « On n'a plus peur désormais, c'est fini. Mamfakinch ! »
Tahani et Montasser à Rabat, Nabil à Casablanca, Youssef à Oujda...
Ils sont parmi des centaines de milliers d'autres, acteurs et porte-paroles du Mouvement du 20 Février. Leurs revendications sont politiques et sociales.
Ils veulent un changement de Constitution dirigé par le peuple et la mise en place d'une monarchie parlementaire où le Roi règne mais ne gouverne pas.
La liberté des prisonniers politiques et la condamnation des tortionnaires, ainsi que des responsables de la situation économique désastreuse.
Ils se battent pour un accès pour tous aux soins de santé, à l'enseignement, à un emploi, à un logement abordable. Et pour lutter contre la cherté de la vie, ils revendiquent la hausse du salaire minimum et la baisse des prix pour les denrées alimentaires.
Tous parlent de la place de la femme, exploitée à tous les niveaux dans la société marocaine, et de la lutte pour la parité. Ils veulent la reconnaissance officielle de la langue berbère, l'Amazigh.
Enfin, ils osent demander la séparation de l'État et de la religion.
Leurs slogans parlent de pain, d'emploi et de logement, de dignité, d'égalité et de liberté, on a beau chercher on ne trouve aucun mot d'ordre religieux. On est loin de la caricature (imposée par la théorie du choc des civilisations) que l'on se fait en Occident des peuples arabo-musulmans.
Antécédents et Printemps Arabe
Ils expliquent que le Mouvement du 20 Février n'est pas arrivé comme par miracle, que bien des luttes existaient au niveau local dans de nombreuses villes. Des mouvements spontanés, des luttes dispersées mais bien réelles. Comme celle des chômeurs diplômés qui ont fondé l'association nationale des diplômés chômeurs (ANDCM), ou celle de Bouarfa contre la vie chère.
Là-bas, cela fait plus de 3 ans que les habitants boycottent les compagnies de gaz et électricité qui pratiquent des prix exorbitants. Ils refusent tout simplement de les payer. Les étudiants ont joué un grand rôle, qui au sein de l'UNEM (Union Nationale des Étudiants Marocains) ont mené des mouvements de contestations dans plusieurs universités du pays (Fès, Casablanca, Oujda, Rabat).
En l'absence d'un véritable parti de gauche crédible et légitime, l'Association marocaine des Droits de l'Homme (AMDH) fait office de refuge et de garde-fou. Elle effectue un travail de masse dans une centaine de localités du pays, et regroupe près de 10 000 membres ! Elle a joué un rôle essentiel dans l'organisation du mouvement.
Comme en Tunisie ou en Égypte, la révolte est bien l'aboutissement d'une lutte de classes intense.
Mais il fallait une étincelle. Et elle porte le nom de Mohamed Bouazizi.
« Les révoltes arabes nous ont montré que c'était possible dans des pays très opprimés comme la Tunisie et l'Égypte. Elles nous ont donné un cadre global pour avancer nos revendications. On était déjà en révolte mais là, on se dit c'est le moment ! » explique Tahani.
Nabil : « Les révoltes tunisiennes et égyptiennes ont joué un grand rôle pour notre mouvement au Maroc. Bouazizi a été le détonateur ! Pour tous, il était temps de s'exprimer et de réagir, de sortir et de lever la voix pour dire non aux injustices, à la corruption. On veut une nation nouvelle, un pays qui respecte tous ses citoyens. Comme ailleurs, nos slogans principaux parlent de pain, de liberté et de dignité ! »
Historique du mouvement
Montasser raconte comment les jeunes se sont organisés en utilisant les nouvelles technologies et réseaux sociaux sur le net pour mobiliser et coordonner le mouvement :
« Nous avons créé un groupe sur Facebook fin janvier appelant à une première marche qui a finalement eu lieu le 20 février. Puis des réunions concrètes nous ont permis de nous connaître et de nous organiser en sections locales. Des assemblées générales ont lieu chaque semaine. La réaction du Makhzen ne s'est pas fait attendre, notamment via Internet pour salir le mouvement et ses porte-paroles, et même acheter l'un d'eux. L'un des jeunes les plus en vue a retourné sa veste, il est passé le 19 février, la veille de la première mobilisation, à la télévision et à la radio pour annoncer que tout était annulé ! Et pourtant nous avons marché le lendemain. Malgré le mauvais temps et le blocage des moyens de transports, trains et taxis collectifs. Au début de la manif, des flics en civils se sont mis devant et ont même été jusqu'à lancer des slogans acceptables par le Makhzen, mais ils se sont vite fait submerger. À la fin, des jeunes agitateurs et des casseurs ont commis des actes de vandalisme pour nous discréditer mais ça n'a pas pris non plus ».
Résultat : près de 400 000 personnes dans une soixantaine de villes du Maroc. Le mouvement est lancé, la génération Facebook fait trembler les puissants ! « Nous mêmes avons été surpris de la participation massive des citoyens, c'était du jamais vu ! » ajoute Tahani.
Le 9 Mars 2011, Mohamed VI réagit dans une allocution télévisée étonnante.
Il propose une réforme constitutionnelle et plus largement un nouveau pacte entre le Roi et son peuple. Mais la commission nommée pour réécrire la Constitution est illégitime de par sa composition puisque ses membres sont nommés par le Roi seul et sont des hommes de l'appareil décrié par la population. Les quelques mesures annoncées (augmentation du salaire minimum, du salaire des fonctionnaires, ainsi que des petites retraites) sont trop tardives et limitées et ne sont pas suffisantes pour arrêter le mouvement.
Le fait que Mohamed VI ait du réagir montre le poids du mouvement social. Toutefois il ne semble pas avoir pris l'ampleur du mécontentement profond exprimé par sa population.
Les actions continuent de plus belle (manifs, sit-in, flash-mobs) et pour la première fois à cette échelle, la répression policière s'abat sur les participants, le 13 Mars.
Et elle ne fait que décupler la volonté des contestataires. Youssef s'enthousiasme : « À partir de là, le mouvement va s'adresser à tous les secteurs exploités du pays et connaîtra une progression constante tant qualitative que quantitative en développant sa capacité d'organisation et sa faculté de mobilisation. J'ajoute que le Mouvement du 20 Février a toujours été pacifique. »
Les jeunes se répartissent les tâches entre différents comités (communication, organisation des manifs, sécurité, coordination...).
Nabil : « Les médias dominants ne font pas leur travail pour informer la population de ce qui se passe. Ils ne diffusent pas l'information telle qu'elle est. C'est pourquoi nous avons une commission médiatique au sein du Mouvement qui livre une véritable guérilla médiatique ».
Les dimanche 20 Mars et 24 Avril, nouvelles mobilisations monstres. À chaque fois, près de 600 000 personnes marchent dans une centaine de localités. Alors que les contre-manifestations organisées par le pouvoir ne rassemblent que quelques dizaines de manifestants monarchistes.
Entre temps, le 14 avril Mohamed VI avait libéré 190 détenus politiques, sahraouis et islamistes, la plupart en fin de peine.
L'attentat de Marrakech
Le jeudi 28 avril 2011 vers 12h, un attentat frappe le haut-lieu du tourisme au Maroc, la place Jamaâ El Fna à Marrakech. Une bombe éclate à la terrasse du café-restaurant Argana, faisant 17 morts, dont de nombreux touristes français. Le Maroc était épargné par le les attaques terroristes depuis le sanglant précédent des attentats simultanés à Casablanca le 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts. La lumière n'a jamais été vraiment faite sur ce qui s'était passé ce jour là. Mais tous les marocains se souviennent de ces conséquences avec la mise en place de lois anti-terroristes très contraignantes pour l'ensemble de la population et pour les défenseurs des libertés.
Après avoir pointé du doigt Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) les autorités auraient mis la main sur le coupable : un malade mental qui aurait agi isolé. Depuis, 6 autres suspects ont été arrêtés. Mais l'écrasante majorité des marocains interrogés sont sûrs d'une chose : « c'est le Makhzen derrière ». Pour les jeunes « une chose est claire, cela vise le mouvement ! ». C'est le meilleur moyen pour briser l'élan du 20 Février et pour justifier un retour à l'ordre et au tout-sécuritaire.
La menace terroriste pourrait servir de justificatif pour annuler les réformes, restreindre le champ des libertés et réprimer les mobilisations de masse.
Le Makhzen avait tout essayé pour stopper l'élan populaire, même si la répression directe reste encore très modérée, les autorités redoutant une explosion de colère comparable aux tsunamis humains qui ont déferlés dans les rues en Tunisie et en Égypte. « Nous avons été systématiquement harcelés et diabolisés dans les médias -accusations d'athéisme, de communisme, d'homosexualité, d'appartenance au Front Polisario, d'influence de l'étranger-, mais, poursuit Tahani, les gens ne sont pas dupes. Aujourd'hui, on tente de récupérer le Mouvement par l'entremise de jeunes, membres de certaines formations politiques, on tente de fomenter des luttes internes entre les forces progressistes et la contre-révolution qui s'infiltre. »
Une composante réactionnaire à l'intérieur de la société marocaine, très liée aux intérêts occidentaux, qui se sentirait menacée par la révolution démocratique qui a démarré, aurait-elle commandité l'attentat ? Est-ce une tentative de diviser le Mouvement et de briser l'unité entre la gauche et les islamistes ? Autant de questions laissées pour le moment en suspens.
Depuis le 28 avril, les barrages policiers se multiplient dans tout le pays. Quoi qu'il en soit les actions continuent. Ni la répression policière, ni les bombes des terroristes n’ont entamé la mobilisation populaire. Le 01 mai, journée internationale des travailleurs, de nombreux jeunes du Mouvement sont sortis dans la rue pour renforcer les cortèges syndicaux.
Unité du Mouvement
Selon Youssef, « ce qu'il faut désormais, c'est unifier les luttes ». La génération Facebook n'est pas déconnectée des luttes sur le terrain. Au contraire, les jeunes veulent se politiser davantage et renforcer leur lien avec le monde ouvrier. « Nous faisons un travail dans les quartiers, sur les marchés, dans les usines...» explique Montasser. Au Maroc, les syndicats sont très divisés et corrompus, mais la base est combative. Avec le 20 Février, nous avons entrepris à leurs côtés une importante campagne contre la multinationale française Veolia (eau-électricité-assainissement), très impliquée au Maroc. »
Non seulement, le Mouvement du 20 Février a levé l'obstacle de la peur, mais a aussi réussi à unifier divers courants idéologiques. En effet, il est frappant de constater la diversité des composantes du Mouvement. Sympathisants de partis politiques de gauche, les syndicats, l'UNEM, Attac-Maroc, des militants de l'AMDH, du mouvement islamiste réprimé Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance, du Cheick Yassine), ou du mouvement berbère. Surtout beaucoup de jeunes révoltés « indépendants », qui forment le gros des troupes. L’action les a réunis dans un front commun contre le même ennemi.
Nabil explicite l'alliance tacite entre progressistes et islamistes : « Le Mouvement du 20 Février est un mouvement de citoyens et les islamistes également manifestent en tant que citoyens. Tous doivent respecter les mots d'ordre. Jusqu'à présent, les islamistes sont très disciplinés et travaillent dans l'unité. Nous autres, en tant que progressistes, prenons en compte leur point de vue. Nous nous réunissons chaque semaine en assemblée. »
Montasser juge que les islamistes sont « présents dans la rue mais pas tellement dans les réunions durant lesquelles on met en avant, des slogans unitaires et des revendications légitimes pour tous ». Il insiste sur le « rôle important du noyau organisé du 20 Février. On doit faire attention aux récupérations et au noyautage de l'organisation par des éléments du Makhzen. Il faut s'organiser le plus possible et gagner les masses populaires, devenir encore plus large, mais quoi qu'il en soit le bond en avant de la conscience collective est énorme. On récolte toujours les fruits de se que l'on sème pendant des années de militantisme parfois décourageants. »25
Le 20 février 2011, des manifestations ont ainsi eu lieu dans 53 préfectures pour exiger des réformes politiques, la limitation des pouvoirs du roi, la fin des injustices et de l’affairisme, y compris au palais royal. La police a compté 37 000 manifestants, les organisateurs en revendiquent 370 000 personnes. Ces manifestations sont les plus importantes de l’histoire du Maroc.26
Mais « contrairement aux autres mouvements révolutionnaires qui réclamaient un départ du chef du pays, le "Mouvement du 20 Février" n’a jamais demandé le départ de Mohammed VI et n’a jamais considéré l’existence d’un Maroc sans structure monarchique. Les Marocains, profondément musulmans, conservent un attachement très important à la personne du roi, véritable père spirituel en sa qualité de Commandeur des Croyants et de descendant du Prophète. Ces manifestants demandaient ''seulement'' une modification de ses prérogatives afin d’obtenir un système plus juste et démocratique : un roi qui ''règne mais ne gouverne pas'' comme l’expliquèrent banderoles et slogans. Ainsi, la rue réclama la modification des articles 19 et 23 de la Constitution de 1966, afin que le roi soit responsable de ses actions devant la justice. Les manifestants souhaitaient lui enlever ses attributs ''extra légaux''. Le statut de Mohammed VI d’homme d’affaire le plus riche du Maroc était également critiqué, ainsi que toutes les formes de clientélisme et d’affairisme économique gravitant autour de lui et du Makhzen. Ce sont plutôt les proches du roi et le Makhzen qui écopèrent de l’ensemble des critiques de la rue. »27
Le mouvement de protestation a débuté le 20 février 2011 (20 2 2011).
20x2x2011 = 80440
Le code postal 80440 est celui des communes de HAILLE et FOUENCAMPS.
Le Mouvement du 20 février 2011 ne réclamait pas le départ du roi, mais désormais, Dieu appelle les Marocains à se révolter afin que Mohamed VI s'en AILLE, qu'il « FOUTTE LE CAMPS », car la nouvelle Alliance de l'EAU impose à tous les peuples de renverser le pouvoir de César.
À l'instar des Tunisiens en 2010-2011, les Marocains doivent dire à Mohamed VI : « DÉGAGE ! » ; « FOUS LE CAMP ! »
Dieu appelle le peuple marocain à se débarrasser de ce roi parasite qui a accaparé une fortune estimée à 5 milliards de dollars, alors que 8 millions de Marocains vivent sous le seuil de pauvreté. Mohammed VI « concentre tous les pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire, économique et religieux). Le gouvernement, le parlement ainsi que les partis politiques (mis à part quelques exceptions) sont soumis au bon vouloir du palais royal. Et certains thèmes sont absolument tabous, comme la légitimité sacrée de la monarchie alaouite, intouchable jusqu'à ses choix de gouvernance, ou la souveraineté nationale sur le Sahara Occidental. La clé de voûte du pouvoir est le tout-puissant appareil sécuritaire du Makhzen, dont la simple évocation suscite la crainte au Maroc. La répression y est dure (arrestations, cas de disparitions forcées, tortures) particulièrement contre les activistes progressistes, les étudiants et syndicalistes contestataires, les islamistes et les sahraouis. Bien que des espaces de liberté et d'expression pour la contestation existent (balisés et sous contrôle), il s'agit d'un système mafieux et autoritaire incapable d'apporter des solutions face aux urgences de la situation socio-économique du pays. Le Maroc connaît un chômage de masse, y compris chez les doctorants. Beaucoup de paysans émigrent dans les villes et le secteur informel représente une part importante de l'économie nationale. »28
Le slogan du « Printemps arabe » était « DÉGAGE ! ».
Les peuples arabes ont ainsi repris en cœur le slogan des Tunisiens qui avaient écrit « BEN ALI DÉGAGE ! » sur leurs pancartes.
Mohamed VI appartient à la dynastie alaouite, qui règne au Maroc depuis la seconde moitié du XVIIe siècle.
Le fondateur et le premier souverain de la dynastie alaouite est Chérif BEN ALI.
« BEN ALI DÉGAGE ! »
Dieu demande aux Marocains de s'unir pour combattre l'héritier actuel de la monarchie alaouite, en écrivant à l'unisson sur leurs pancartes le message : « FOUS LE CAMP ! ».
BEN ALI = 2x5x14x1x12x9 = 15120
Le code postal 15120 est celui de la commune de LEUCAMP.
Dieu multiplie les signes afin que Mohammed VI « FOUTE LE CAMP » ; à l'instar de BEN ALI qui a dû quitter le pouvoir suite à la révolte du peuple tunisien.
MAROC = 13x1x18x15x3 = 10530
10 5 = JE
Le département 30 est celui du GARD.
10530 = JE GARDE
Dieu demande ainsi aux Marocains de choisir LE CAMP auquel ils veulent appartenir : LE CAMP des valets dont le slogan est « JE GARDE le roi en place » – ou LE CAMP des révolutionnaires dont le mot d'ordre est : « FOUS LE CAMP ! ».
MAROC = 10530
10 5 = 10 mai
En France, le 10 mai est le jour de la commémoration de l'abolition de l'esclavage.
Le département 30 est celui du GARD dont le chef-lieu est la ville de NIMES.
NIMES = MINES
Dieu montre aux Marocains qu'ils se libéreront de leur dictature en prenant le pouvoir politique en main pour écrire une nouvelle Constitution avec les MINES de leurs stylos, et ainsi redistribuer équitablement les richesses entre chaque citoyen de la future démocratie marocaine.
Alors ne GARDE pas le roi en place mais prends-lui le pouvoir des mains afin d'écrire TON futur.
LE MAROC = 12x5x13x1x18x15x3 = 631800
63180 est le code commune de JOZE dans le Puy-de-Dôme.
Tu dois choisir ton CAMP : soit J'OZE prendre le pouvoir en main ou alors JE GARDE le roi en place, mais sache que Dieu n'acceptera que des révolutionnaires humanistes dans son royaume car les valets n'iront plus au paradis, son message est universel.
Pour l'instant, face à un pouvoir central et armé, les luttes n’aboutiront pas sans une accumulation continue d’expériences et la création des ponts solides entre elles : le chemin sera long. C’est un défi pour la gauche radicale au Maroc de jouer ce rôle de centralisation et de coordination des différents combats dans une guerre de classe pour conquérir la démocratie et la justice sociale.29
Chez nous, en France, nous devons dénoncer le soutien à la monarchie et la continuité des politiques néo-coloniales. Nous devons affirmer nos solidarité avec les mobilisations populaires et démocratiques et les luttes visant à mettre fin au despotisme, en exportant par exemple l'économie révolutionnaire au Maroc. Nous devons condamner la répression et apporter tout notre soutien aux militants démocratiques et de la gauche radicale, à ceux et celles, nombreux, qui résistent avec détermination dans les prisons, à ceux et celles qui disent tout haut que leur seule allégeance va au peuple. Nous devons appeler l’ensemble des organisations démocratiques et sociales en France à amplifier la campagne de solidarité internationale pour la libération et l’amnistie générale des prisonniers politiques, et à exiger la fin de toute bienveillance envers la dictature de Mohammed VI. 30
Dieu change désormais le dogme car en laissant le pouvoir politique entre les mains de César, les rois ont pu construire des MURS entre les hommes.
Selon certains sources, Chérif Ben Ali, le fondateur de la dynastie alaouite du Maroc, est né le 9 novembre 1589.
Le MUR de Berlin est tombé le 9 novembre 1989, soit 400 ans après la naissance de Chérif Ben Ali.
Dans la Bible, le chiffre 40 ans symbolise le nombre d'années durant lesquelle les juifs ont erré dans le DÉSERT.
En 1980, le roi du Maroc a fait construire un MUR dans le DÉSERT du Sahara.
Le mur marocain, également appelé mur des sables, mur de défense, mur de sécurité (par les Marocains), ou mur de la honte (par ses opposants), est une barrière de séparation érigée au Sahara occidental par le Maroc à partir d'août 1980 et achevé en 1987. Il sert, au moins officiellement, au Maroc à se protéger d'attaques, cela allant de pair avec l'affirmation de sa souveraineté sur l'ancienne colonie du « Sahara espagnol », en opposition aux revendications d'indépendance portées par le Front Polisario. Ce mur est gardé par environ 100 000 soldats marocains.31
Il coûte pour son entretien entre deux et quatre millions de dollars par jour.32
Dieu estime désormais que nous sommes assez MÛRS pour remplacer l'Alliance du VIN par celle de l'EAU, il nous demande ainsi de détruire les MURS qui séparent les hommes sur Terre.
Pour détruire ces MURS, nous devons renverser le pouvoir de ceux qui les construisent : les rois, les dictateurs, les hommes politiques, les capitalistes, les riches.
Il faut qu'il s'en « HAILLE » tous, afin que la liberté, l'égalité, la fraternité, la justice, l'amour, la paix, puissent enfin régner sur la Terre.
Regards croisés sur la révolution
Par Hind Aissaoui Bennani, le 16 février 2011.
Lorsque je suis arrivée à Casablanca, le 20 janvier 2011, Ben Ali venait de tomber sous la pression populaire. Le monde entier venait de prendre une leçon de refus de l’oppression et d’organisation collective. Simple, chirurgical et inespéré, cet événement allait en inspirer d’autres. Le 11 février, Moubarak tombait après 33 ans de pouvoir. Aujourd’hui même, alors qu’à Bahreïn, en Libye et en Jordanie, malgré la répression furieuse de l’archaïsme, les gens se battent pour arracher leurs droits les plus élémentaires, de jeunes Marocains préparent une journée de protestation. Le « mouvement du 20 février » est en marche pour exiger le changement. Le Maroc a une image plutôt positive en France. Il est, dans l’imaginaire de nombre d’entre nous, un pays où il fait bon vivre, où le pouvoir est certes ferme, mais bienveillant avec ses sujets. Pour mieux comprendre les revendications de la jeunesse marocaine et le Maroc de Mohammed VI, j’ai réuni Omar Radi, Aziz El Yaakoubi, Souad Guennoun et Hind Dadssi, journalistes pour les uns et militants altermondialistes pour les autres. Discussion croisée à Casablanca, mercredi 16 février 2011.
Omar et Aziz, je vous ai vus intervenir lors d’une table ronde sur les violences politiques au Maghreb dans la toute nouvelle école de gouvernance à Rabat. Vous étiez bien remontés. Pourtant, à lire la presse marocaine, le Maroc est une référence dans la région en matière de démocratie et à lire la presse française, ici on pratique un islam modéré. Alors, pourquoi vous crachez dans la soupe comme ça ?
Omar Radi : Au Maroc, non seulement la situation sociale est catastrophique, mais il y a une absence totale de règles démocratiques, aussi bien au niveau de l’État que dans le secteur privé. Et la presse n’y échappe pas. Je ne peux pas parler pour la presse française, mais je peux affirmer que la presse marocaine ne peut en aucun cas traduire ou refléter ce qui se passe réellement ici. Et ce qui se passe ici, ça ressemble tout à fait à ce que les révolutions ont révélé des sociétés tunisienne et égyptienne.
Aziz El Yaakoubi : J’ajouterais que le problème c’est le système politique marocain qui repose sur une sacralité complètement absurde. Il tire sa légitimité première de la religion puisque le roi est le Commandeur des croyants et représente dieu sur terre. Ce qui permet de faire diversion sur la responsabilité du pouvoir, dont la légitimité ne peut être remise en cause.
Mais je croyais que Mohammed VI était mieux que son père... Il a apporté des améliorations, non ?
O.R. : Ce qui est fondamentalement différent entre le père et le fils, c’est la méthode. Sous Hassan II, les méthodes étaient directes et frontales. Mohammed VI a plutôt misé sur des facteurs psychologiques, notamment sur le marketing en se donnant la fameuse image du « Roi des pauvres » dès le début de son règne. Il s’est tout de suite fait passer pour un roi de bonne volonté, et entretient l’idée d’un système pourri qui serait la cause des problèmes du Maroc. Mais la réalité, c’est que la prédation du business royal est énorme et qu’on est en train de revenir carrément aux méthodes de Hassan II en matière de répression, de censure, etc. Au début du règne de M6, il y a eu une tentative de retour sur le passé et les années de plomb. Mais là encore on était dans le marketing. Pour preuve, la non-application des recommandations de l’Instance Équité et Réconciliation. La seule et unique recommandation de ce processus qui a été appliquée est une indemnisation pécuniaire des familles des victimes. Aucune des autres promesses du régime n’a été tenue, alors qu’elles étaient minimes. Il n’y a eu aucune remise en cause fondamentale ni de punition des crimes commis, tout particulièrement en matière financière, et de monopole sur le foncier et l’immobilier. Il y a eu des hold-up énormes au Maroc ! Et il continue d’y en avoir, sous le contrôle direct de Mohammed VI. Mais personne ne parle de ça. On ne peut pas parler de démocratisation sans rentrer précisément dans ces détails.
A E Y : L’ouverture qui s’est opérée au Maroc a été initiée sous le règne de Hassan II. À la fin des années 80, tous les pays du tiers monde qui bénéficiaient de la dualité Est-Ouest ont été obligés de mener des réformes. Ça a commencé au Maroc par la libération de détenus politiques. Mais cette justice transitionnelle était de façade, comme tout ce qui touche à la démocratie dans ce pays. Au même moment, on a assisté à la mise en place des agences de régulation, qui ont activement contribué à libéraliser l’économie. La main-mise du pouvoir sur l’économie du pays n’en a été que renforcée. Et c’est exactement la même logique qui perdure. Il n’y a pas de différence entre le père et le fils. D’ailleurs, et c’est ce qui est le plus important ; les textes n’ont pas changé. La constitution est toujours la même que sous Hassan II, la peine de mort est toujours en vigueur...
Souad Guennoun : Pour bien comprendre la situation, notamment de l’étranger, il faut préciser deux ou trois choses. Le Maroc a subi une colonisation « douce », qu’on a appelé protectorat. Lyautey, monarchiste convaincu, a gardé le pouvoir en place mais tirait les ficelles. De tout temps, la France a légitimé le pouvoir au Maroc en lui fabriquant une image. Je me rappelle qu’à l’enterrement de Hassan II, Frédéric Mitterrand faisait l’éloge de la beauté du protocole. Cette espèce de fascination pour la monarchie marocaine lui donne une dimension traditionnelle et culturelle profonde dans notre histoire, alors que cette monarchie était au plus mal au moment de la colonisation. Et cette méthode a été efficace. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Américains se sont inspirés de Lyautey pour ce qu’ils font en Irak...
L’autre chose très importante, c’est que Mohammed VI est arrivé à un tournant de la mondialisation. En 1999, il a remplacé son père avec de nouveaux outils. Il a intégré les élites, encore plus que son père ne l’avait fait. Et cette élite a profité des privatisations et s’en est foutu plein les poches. Le régime est non seulement despotique, mais il a aussi surfé sur la vague de la mondialisation.
D’un point de vue géostratégique, il faut aussi comprendre que les Américains se reposent aussi sur le pouvoir marocain. Avec sa politique du « Grand Moyen Orient » et la guerre en Irak, les États Unis considèrent le Maroc comme l’un de leurs bastions, notamment d’un point de vue militaire et en terme de sous-traitance de la torture.
On dit que le peuple marocain n’est pas mûr pour la démocratie, qu’il est moins « éduqué » que le peuple tunisien...
E. Y. : La démocratie, tout le monde la mérite, même les analphabètes. Ce discours sur la maturité ne devrait même pas exister. L’éducation, elle, favorise la capacité à s’insurger. Alors que la démocratie, elle, est méritée par tout le monde.
Hind Dadssi : Sur la question de l’éducation, il faut quand même préciser qu’il y a eu une dégradation de l’enseignement public. Jusque dans les années 80, l’enseignement public était de qualité. Nos parents avaient un très bon niveau quand ils sortaient du bac. La dégradation de l’enseignement public est à mettre en relation directe avec les premiers plans d’ajustement structurel du FMI.
S.G. : Personnellement, j’ai filmé beaucoup de mouvements sociaux dont aucun média ne parlait. J’ai filmé des mineurs, des ouvrières dans le textile, dans l’agriculture, la lutte de Sidni Ifini en 2008, etc. Je suis allée dans des régions où il n’y a rien, pas d’infrastructure, pas de logement, pas de cinéma. Rien ! Il y a des jeunes avec rien devant eux. Donc, leur temps ils le passent devant internet. Je suis sûre que c’est dans ces petits patelins que le potentiel de la révolution internet est le plus fort. La télé est merdique, la radio n’existe pas, la presse ne parle pas. C’est comme ça que du fin fond de ces petits patelins, les jeunes se sont faits eux-mêmes, par défiance vis à vis de la société qui ne les représente absolument pas. Pour la comparaison, on pourrait les comparer aux No Vox européens.
O.R. : En fait, depuis les événements tunisien et égyptien, nous sommes passés de l’exception arabe à l’exception marocaine (Rires). Avant, dans ce qu’ils appellent le monde arabe, on disait que ce qui est arrivé ne pouvait pas arriver pour des considérations géopolitiques. Maintenant, le mythe a été cassé. Tant que ça n’avait touché que des républiques, on a développé le mythe de l’exception marocaine en disant que le Maroc, c’est une monarchie qui date de 4 siècles, que c’est le pays le plus stable de la région, etc. Tout ça c’est de la foutaise !
S.G. : D’ailleurs, maintenant ça bouge à Bahreïn, qui est une monarchie ! Preuve que ce sont les mêmes effets qui produisent les mêmes causes.
O.R. : Tout à fait. Par contre, si on doit parler d’exception marocaine, appelons la par son vrai nom : l’économie de la rente. Au Maroc, quand le roi passe quelque part, on ramène des gens qui crient l’expression suivante : « que Dieu donne la baraka à notre seigneur » (« llah i berk fi amr sidna »). Et cette expression n’a rien de gratuit, il y a une contrepartie ! Le Maroc est le seul pays où on distribue des agréments d’activités génératrices de revenu pour des secteurs entiers de l’économie : les taxis, les parkings, le transport, la pêche, ... Je crois aussi que la plupart des artistes marocains en profitent. Alors que ces activités devraient faire l’objet d’appels d’offres, elles sont distribuées sous forme d’agréments par l’entourage du roi. On a donc toute une catégorie socio-économique, dont on achète le silence et qui ne répond même pas à ce principe de méritocratie, aussi discutable qu’il soit. Toute l’économie naît grâce au roi. Celui qui ose prétendre le contraire peut voir son activité anéantie du jour au lendemain. Le problème, c’est que ces gens là sont censés former une petite bourgeoisie, ou une classe moyenne, pour reprendre la terminologie libérale, et donc représenter une opinion. Alors que la plupart du temps, la voix du changement vient de cette classe moyenne, toute tentative de représentation de ses intérêts est réduite à zéro. La société marocaine ; c’est donc une classe moyenne achetée, beaucoup de riches et encore plus de pauvres. Et ces pauvres n’ont pas d’autre choix que la lutte pour la survie.
S.G. : J’aimerais ajouter quelque chose d’important sur cette notion d’exception marocaine. Le Maroc est un des pays où la société civile a été la plus testée. À propos des femmes, des jeunes, des associations de quartier, etc. Au détriment des partis politiques qui étaient en perte de vitesse. Il y a eu beaucoup de fric injecté dans la société civile.
L’exemple le plus flagrant est celui du féminisme. C’est un des secteurs qui a été vraiment le plus financé, au point que ce ne sont plus des gens, des militants, qui posent le débat. C’est un féminisme inventé, tenu par l’argent, par des dames patronnesses avec leurs secrétariats, leurs bureaux, etc. Et c’est elles qui sont invitées à l’international pour parler au nom des femmes, alors qu’elles ne les connaissent même pas. On peut se poser des questions sur ce féminisme là ! Et ça ce sont des trucs qui ont participent au fait qu’en France, le Maroc a l’image du pays le plus avancé de la région sur la question des femmes.
Tu vas voir que si on appelle à des contre manifestations, ces associations féministes descendront dans la rue pour soutenir le gouvernement.
Alors, qu’est ce que vous proposez ? Par quoi doit commencer le changement ? Quelles sont les priorités ?
S.G. : Pour moi, en dehors du problème marocain, l’urgence se situe au niveau régional. Depuis 1975, on a un gros problème avec cette histoire de Sahara et de frontières. En ce moment, le peuple algérien est en train de bouger aussi. Alors on devrait en profiter pour faire converger nos luttes, notamment pour collaborer.
Pendant des années on a financé une guerre pour tuer des gens qui demandaient une autodétermination, au lieu de collaborer, de construire une économie complémentaire. Et il est temps aujourd’hui, qu’on pose la question des frontières. C’est une région qui doit être unifiée, solidaire, socialiste, républicaine, avec des jeunes qui sont à l’avant garde des luttes. En priorité, on doit arrêter le chauvinisme. Autrement, on va tous être broyés. Aujourd’hui, on n’a rien à perdre. C’est l’occasion où jamais. Il faut qu’on fasse des ponts, et pas qu’au niveau maghrébin. Les peuples ont les mêmes aspirations au Maroc, en Algérie, qu’en Amérique Latine.
L’émancipation des peuples, la souveraineté alimentaire, la reconnaissance des identités locales : nos revendications sont les mêmes. Et nos problèmes sont aussi les mêmes ! Notre agriculture est pillée, nos eaux sont mises en bouteille par les mêmes multinationales, nos terres sont achetées les unes après les autres,... Il est urgent de créer des ponts. D’ailleurs, les questions que la lutte de Sidi Ifni posait dépassaient largement le cadre d’un petit village de pêcheurs. Elle posait des questions mondiales. Sidi Ifni aurait pu être le Sidi Bouzid marocain. Il s’agissait d’une lutte pour un autre monde. C’est pas un slogan fait par des intellectuels, ce sont des revendications formulées par ceux qui n’ont pas droit à la parole.
Mais tu fais quoi de la propagande que l’on subit depuis des années et de l’idée que le roi du Maroc est victime, tout autant que le peuple, du système pourri ?
O.R. : Quand on est dans un régime de terreur, on dit « vive le régime ». Quand on enlève cette terreur, les gens finissent par s’exprimer. Et on le sent en ce moment dans la rue. Une anecdote, pour illustrer tout ça.
Hier, un chauffeur de taxi me disait que si c’était uniquement le système qui était pourri, le roi aurait pu l’éradiquer, ce système. Ces choses là ne se disaient pas aussi directement avant.
E. Y. : On ne peut pas nier qu’il y a une ignorance ambiante, nourrie par la propagande. Mais est ce que les marocains savent que la plus grande banque africaine (Attijari Wafabank) appartient au roi ? Personne ne sait que c’est le roi qui tire toutes les ficelles de l’économie marocaine. Personne ne sait que le roi c’est une des plus grandes fortunes royales au monde. Il faut mener un travail d’information, parce que les gens changent d’avis lorsqu’ils apprennent que des pans entiers de l’économie lui appartiennent. On commence d’ailleurs à parler de la fortune royale sur Facebook.
Les révolutions tunisienne et égyptienne font elles peur au régime marocain ?
O.R. : Pour dire les choses clairement, la contagion est un fait, et le régime marocain a peur. Dès qu’il y a eu cet appel pour le 20 février, une cellule de crise s’est formée entre les ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et les services secrets marocains. Sur sa page Facebook, le ministre de la jeunesse et des sports a mené une campagne de diffamation à l’encontre des jeunes du mouvement du 20 février en les traitant de traîtres de la nation et de membres du Polisario.
Hier, il s’est passé un truc extraordinaire. Le gouvernement marocain a pris deux grosses mesures. Il a injecté 15 milliards de dirhams dans la caisse de compensation. Cette caisse permet à l’État de financer le maintien des prix des produits de première nécessité à un prix relativement bas à la vente. Ce qui est marrant, c’est qu’en juin 2010, le pouvoir avait refusé d’injecter 10 milliards de dirhams dans cette caisse en expliquant que de toute façon, il fallait la réformer parce qu’elle bouffait trop de fric. La deuxième mesure prise hier, c’est 10 % du budget de l’État qui vont être déployés pour recruter du monde dans la fonction publique, notamment au sein des diplômés chômeurs. C’est une mesure historique !
On sait aussi que depuis 3 jours, les moqqaddem, qui sont les représentants du pouvoir distribuent des terres aux bidonvillois de Casablanca. Le pouvoir et ses serviteurs ne parlent plus d’exception marocaine, là, il agissent ! Ils prennent des initiatives pour répondre à des revendications restées lettres mortes depuis une dizaine d’années, sous la pression d’un appel formulé par des jeunes dans les réseaux sociaux.
Le régime marocain est devant une impasse. Il n’est pas mieux loti que Moubarak ou Ben Ali. Il est même moins bien loti que Moubarak face aux grandes puissances. Si cette protestation a un long souffle, je crois qu’on franchira le seuil de la peur du régime et que la conscience de la nécessité de la lutte sera d’autant plus forte.
Vous me parlez du mouvement du 20 février ?
E. Y. : Le « 20 février », c’est une initiative qui a été lancée sur internet par des jeunes apolitisés qui ont entre 20 et 24 ans. Ils ont commencé par diffuser des vidéos sur internet, pour demander le changement de la constitution et l’instauration d’une démocratie au Maroc. Plusieurs centrales syndicales ont annoncé leur participation, mais aussi l’écrasante majorité des organisations des droits de l’homme (dont l’AMDH, la plus grosse association de ce type en Afrique) et l’Adl oua l’Ihsan, le mouvement islamiste le plus important. Et ce qu’il y a de très intéressant, c’est que la Confédération Démocratique du Travail, la deuxième centrale syndicale du pays, parle d’une grève générale les 21 et le 22. février.
O.R. : Bien qu’on ne puisse pas vraiment prévoir, je pense que la surprise pourrait venir des petites villes et de Rabat. Maintenant ce que je sais, c’est que le ministère de l’éducation nationale a donné quelques jours aux lycéens et collégiens pour éviter qu’ils se mobilisent. Mais ce qu’ils n’ont pas encore compris, c’est que si les lycéens ne sont pas au lycée, ils seront sur Facebook. Les syndicats d’enseignants disent que tous les élèves, même ceux qui ne sont pas sur Facebook, parlent du 20 février. C’est énorme ! S’il y a sortie de casseurs pro gouvernementaux le 20 février, et s’il y a affrontement, si une seule personne est blessée parmi nous, ça sera la mobilisation permanente.
Merci à vous, les amis. Bonne lutte !
S.G. : Je voudrais ajouter un message tout particulier à la France. Ce mouvement est un mouvement de fond, il ne s’arrêtera pas demain. Ceux qui nous exploitent sont les mêmes partout et ils ne vont pas lâcher aussi facilement. Nous devons appeler à la solidarité et tout le monde doit nous soutenir. Si ça ne réussit pas, le retour de manivelle, on va tous se le prendre en pleine figure, et même en France ! Si en France vous ne nous soutenez pas, ça sera grave, et pour nous, et pour vous.33
Les suites du printemps arabe : un régime toujours plus despotique et répressif
Confronté à la montée de la contestation sociale et démocratique, dans un contexte marqué par l’approfondissement de la crise et les effets du Mouvement du 20 février (M20F), le pouvoir révèle de plus en plus ouvertement sa nature dictatoriale.
Depuis 2011, les « marges démocratiques » arrachées après des décennies de lutte se ferment les unes après les autres.
Interdictions, emprisonnements et grèves de la faim
De nombreux mouvements n’ont toujours pas reçu d’agrément légal : c’est le cas par exemple de l’Association nationale des diplômés chômeurs, d’Attac Maroc, de l’association « Freedom Now » tournée vers la défense de la liberté de la presse, de l’Union marocaine du travail/courant démocratique et bien d’autres.
D’autres, bien que reconnues, voient maintenant leurs activités publiques interdites. Ainsi, l’Association marocaine des droits humains s’est vue refuser toute activité, à commencer par ses colonies de vacances et la tenue de réunions publiques. C’est aussi le cas d’Amnesty International-Maroc ou de La ligue marocaine de défense des droits de l’homme. Des initiatives, comme les caravanes de solidarité envers les migrants subsahariens, sont harcelées ou refoulées. Les journalistes indépendants, les artistes critiques sont bâillonnés et traduits en justice sous des prétextes fallacieux.
À leur tour, les « résistances ordinaires » des habitants des quartiers populaires qui refusent la démolition de leur logement, celle des « farachas » qui survivent du petit commerce dans la rue, des habitants des régions marginalisées privés de droits ou des travailleurs qui luttent contre la précarisation de leurs conditions de travail, sont quotidiennement réprimées.
Les prisons regorgent par centaines de militants étudiants, chômeurs, activistes du M20F, Sahraouis, syndicalistes et grévistes, et de simples citoyens qui un jour ou l’autre ont protesté. Et lorsque ces activistes portent plainte contre les mauvais traitements subis, ils sont condamnés lourdement.
Signe de ce durcissement global, la recrudescence des « grèves de la faim ». C’est le cas de militants de l’Union nationale des étudiants marocains, qui luttent pour l’amélioration de leurs conditions de détention, le droit de poursuivre leurs études et leur reconnaissance comme « prisonniers politiques » et dont les demandes sont ignorées par le pouvoir. Après 72 jours de grève de la faim, Mustapha Meziani, est mort « sous observation médicale » au CHU de Fès, ainsi que Hassana Elouali Aaleya, militant sahraoui, membre du Comité contre la torture de Dakhla, décédé lui aussi « sous observation médicale ».
La liste des exactions commises par ce régime est bien longue... alors qu’il se prépare à organiser le Forum mondial des droits de l’homme en novembre 2014, après avoir été élu l’année précédente au conseil des droits de l’homme des Nations unies !
Un tournant répressif assumé
Le gouvernement s’était donné pour tâche de « rétablir l’autorité de l’État » après les secousses produites par le M20F. Le ministère de l’Intérieur a accusé nombre d’organisations de « ternir la réputation du pays, d’entraver l’action des forces de sécurité dans leur lutte contre le terrorisme et d’œuvrer pour des agendas extérieurs ».
En réalité, il y a un épuisement de la « façade démocratique » et des mécanismes d’allégeance et de cooptation qui servaient d’amortisseur de la crise politique. Le système politique apparaît à une échelle de masse comme un espace despotique, parasitaire, corrompu et où rien n’a changé. Cette perception s’est renforcée avec le M20F qui a ouvert un espace de contestation plus ample où la monarchie n’est plus un tabou.
À son tour, l’agenda des politiques antipopulaires se resserre : démantèlement de la caisse de compensation des prix, réforme radicale du régime de retraite, remise en cause du droit de grève, nouvelles vagues de compression des dépenses publiques, etc. alimentant un ras-le-bol déjà profond. Le pouvoir cherche à fermer les espaces de contestation car il sait que la mèche peut s’allumer n’importe quand.
Se greffe aussi la question du Sahara occidental : la pression internationale pour l’extension des missions de la Minurso ( Mission de Nations unies pour le référendum au Sahara occidental) au contrôle des droits humains constitue une difficulté majeure pour le pouvoir, compte tenu du niveau de répression que subissent les Sahraouis.
Dans ce contexte, une large campagne de solidarité internationale contre la répression contribuerait à isoler le régime. L’enjeu est la création d’un vaste mouvement d’opinion solidaire des combats sociaux et démocratiques du peuple marocain, mais aussi contre l’impunité encouragée par l’État français qui voit dans la dictature un allié fidèle pour le maintien de la Françafrique et une chasse gardée pour les entreprises du CAC 40.34
Fidèle relais de l’impérialisme
Le Maroc est un enjeu majeur pour l’impérialisme et l’Union européenne : le régime marocain a été partie prenante de la guerre contre le terrorisme et bien des détenus, avant d’arriver à Guantanamo, ont été « interrogés » sur le sol marocain.
Le pays mène une lutte « exemplaire » contre la migration dite clandestine, érigeant un mur de barbelés à Melilla, et a été partie prenante des expéditions coloniales du Golfe au Yémen. C’est une pointe avancée dans la normalisation implicite avec l’État d’Israël, allant jusqu’à voter avec lui contre la déclaration de la Commission de décolonisation de l’ONU sur l’octroi d’indépendance aux pays et peuples coloniaux.
Terre d’accueil pour les multinationales
La signature des accords de libre échange avec l’Union européenne et les États-Unis s’est traduite par l’extension de projets visant à assurer la promotion des investissements privés : aide aux promoteurs immobiliers, création de parcs industriels et soutien à ce que les officiels appellent les « métiers mondiaux ». Ces derniers sont en réalité de la sous-traitance dans les filières automobiles, électroniques, aéronautiques, dans le tourisme, l’agro-industrie et les technologies d’information et de communication.
Les aides publiques et les fonds européens visent à massifier les investissements pour créer des pôles de compétitivité et optimiser les zones franches. Ainsi, Renault s’est presque fait financer la moitié de son usine par le Maroc : gratuité du terrain et bénéfice grâce à la zone franche d’un taux d’impôt sur les sociétés nul pendant cinq ans et réduit à 8,75 % pendant vingt ans... L’usine devrait employer 6 000 salariés... avec un salaire minimal inférieur à 200 euros pour quarante-cinq heures par semaine. Et les employés suivent une formation spécifique gérée par Renault dans une infrastructure payée par l’État.
Les entreprises du CAC40 sont installées de longue date, mais doivent faire face au retard sur l’Espagne qui a pris la moitié des parts de marché. Sans compter l’arrivée croissante des capitaux du Golfe. La diplomatie du gouvernement français vise à remporter la deuxième tranche de la centrale solaire d’Ouarzazate, et la gestion du plus grand parc éolien à Tarfaya et des contrats dans le domaine ferroviaire, du tramway, du métro, de l’agro-alimentaire et de l’épuration des eaux ! Sans compter « les chantiers en cours » : développement possible des centrales nucléaires et prospection/exploitation éventuelle du gaz de schiste...
Consolidation de la Françafrique
Cette dernière décennie, des banques marocaines, filiales des maisons mères françaises, ont consolidé leurs affaires en Afrique. Sans oublier le soutien du régime marocain aux dictatures amies de la France.
C’est un régime qui a su à son tour nouer des fidélités, des relations historiques, entre les élites françaises et les cercles du pouvoir marocain construites sur des réseaux anciens auxquels s’agrègent en permanence de « nouveaux venus ». Ces cercles de connivence se retrouvent auprès des élites médiatiques, des grands patrons de presse, du show business, des élus et du patronat. Des avantages en nature ou financiers personnalisés sont distribués à ceux qui apportent des affaires ou soutiennent le pouvoir.
La « diplomatie Mamounia » (en référence à une résidence luxueuse à Marrakech) est faite de corruption active et passive. De la « gauche » au FN ! Jean-Claude Martinez, proche des Le Pen a sorti un livre Mohamed VI : le roi stabilisateur...« À travers cette diplomatie se cachent des intérêts particuliers personnalisés, où on donne des avantages en nature ou financiers à ceux qui apportent ces affaires. Najat Vallaud-Belkacem, l'ancienne ministre de l'Éducation nationale, était membre du Conseil royal consultatif de la diaspora marocaine, une makhzenienne déclarée. Manuel Valls était un des principaux Ouissamistes du gouvernement français (l’ordre du Ouissam el Alaouite, la plus haute distinction du Maroc, est décerné aux personnalités qui ont rendu des services éminents au royaume) et la liste est longue… C'est la raison pour laquelle on n’entend jamais de critiques émanant du gouvernement français contre le pouvoir marocain. »35
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner du soutien à l’ONU des positions marocaines, dont le refus d’étendre les missions de la Minurso à l’observation de la situation des droits de l’homme au Sahara occidental... Ni des louanges sur la pseudo-transition démocratique et stabilité politique qui sert le régime, voulant en faire un argument d’attractivité économique et un point d’appui à sa politique répressive. Significatif de ce point de vue, le rétablissement des accords judiciaires qui permettent l’impunité de tortionnaires et l’impossibilité de les poursuivre en France, et tout aussi significatif, le soutien apporté au roi dans l’organisation de la COP22 à Marrakech en 2016.36
Dynamiques et limites des luttes sociales
Les luttes au Maroc s’inscrivent dans une nouvelle configuration sociale et politique...
L’intégration à la mondialisation capitaliste, la prédation comme système d’accumulation, la généralisation des politiques d’austérité ont élargi leur champs. Avec une montée des luttes dans les régions marginalisées autour de l’accès aux services de base et contre la prédation de leurs ressources. La fermeture de l’immigration a privé d’une aide importante dans certaines régions.
Soulèvements sociaux
La plus vieille ZAD (zone à défendre) du monde est à Imider, village auto-organisé contre l’exploitation des minerais (par une société du roi) et le détournement des ressources en eau. Durant ces quinze dernières années, dans les villages reculés ou les petites et moyennes villes à ancrage rural ont eu lieu des soulèvements sociaux contre l’absence d’emploi, d’équipements collectifs, d’investissements publics, de détournement des richesses et des ressources locales. Une rupture avec le silence des campagnes et des montagnes sur laquelle s’est historiquement appuyé le pouvoir pour domestiquer la ville.
Ces nouvelles forces sociales, sans liens avec les forces politiques et mouvements traditionnels, entrent de plein pied dans la contestation. Les femmes, en particulier dans le Sud, ont organisé un mouvement autonome contre les politiques de spoliation des microcrédits. La lutte prend racine dans les quartiers populaires des grandes villes, contre la démolition des logements, la dégradation des services publics et le coût de la vie. À Tanger, des mobilisations ont lieu contre Amendis, filiale de Veolia, pour protester contre la hausse des factures d’électricité avec pour seul mot d’ordre : « Dégage ! »
Mouvement ouvrier en crise
Si la lutte des diplômés chômeurs fait partie du paysage social depuis plus de vingt ans, se constitue, malgré des difficultés, le mouvement des « farachas », prolétaires de l’économie informelle vivant des petits boulots et du petit commerce ambulant. Une dynamique extérieure au mouvement ouvrier traditionnel, en crise, qui connaît notamment sur le plan syndical un émiettement et un recul historique (moins de 5 % d’adhérents). La domination de mafias bureaucratiques, la stratégie du dialogue social ont mené à une longue agonie, même si persiste dans certains secteurs une tradition de lutte et des équipes oppositionnelles. Les bastions historiques ont été déstructurés mais de nouveaux secteurs émergent dans les zones franches autour de l’industrie automobile, des centres d’appel ou des services, regroupant une force de travail jeune, qualifiée et concentrée, point d’appui à une renaissance combative du syndicalisme.
Dans la jeunesse, la crise de l’UNEM (l'Union nationale des étudiants du Maroc) handicape les possibilités de mobilisation contre la privatisation de l’enseignement. Mais la jeunesse scolarisée s’est retrouvée, hors de la fac, dans la dynamique du M20F.
Créer les conditions d’un front de lutte
Si l’urgence sociale cristallise la majorité des mobilisations, les questions démocratiques ne sont pas absentes. Aux luttes contre la détention politique, les pratiques systématiques de torture, pour la liberté d’information, de manifestation et d’organisation, on peut rajouter l’émergence d’une nouvelle génération au Sahara occidental qui mène la lutte pour le droit à l’autodétermination, la persistance d’un mouvement culturel berbère, qui percute la vision centraliste du pouvoir et sa légitimation arabo-islamique et revendiquent pour certains de ses courants une laïcité radicale.
Ces mobilisations témoignent de l’instabilité sociale et politique, d’un ras-le-bol général. Elles butent néanmoins sur une répression systématique et une guerre d’usure qui visent à empêcher extension et victoires partielles. Elles restent souvent isolées et sans jonction entre les combats démocratiques et les combats sociaux.
Outre le contexte d’un rapport de forces dégradé, la gauche radicale et indépendante peine à créer les conditions d’un front de lutte, social et démocratique, en mesure de relancer un nouveau cycle de mobilisations de masse capable de porter l’exigence démocratique de la chute du despotisme et de l’arrêt des politiques d’austérité et de paupérisation ouvrant les possibilités d’un nouveau mouvement populaire qui aille jusqu’au bout.37
Femmes au Maroc : entre patriarcat et exploitation
Des avancées minimes des droits des femmes ont été obtenues à travers leurs luttes, mais elles continuent à subir des inégalités structurelles liées à un ordre fondé sur la domination masculine et la division sexuelle du travail. Et les retours en arrière sont fréquents.
Davantage exposées à la pauvreté, en raison de la répartition inégale des richesses et de la surexploitation capitaliste, les femmes subissent une précarité spécifique, sous-tendue par des soubassements culturels entretenus par le pouvoir politique. La religion et le conservatisme en sont les principaux vecteurs. Le décrochage scolaire des filles, surtout dans le monde rural, en raison de l’absence d’infrastructure de base et de la crise du système éducatif, renforce leur exclusion sociale et leur précarité.
Les jeunes filles et les femmes forment une part importante de la main-d’œuvre agricole et de l’industrie textile. Elles y travaillent dans des conditions inhumaines, qui ne respectent guère un code du travail pourtant archaïque. Elles sont victimes de discriminations et de harcèlement sexuel et moral. Selon un rapport de 2014 du Conseil économique, social et environnemental, « 73,2 % des femmes rurales sont employées à un âge précoce (avant 15 ans), 78,9 % des ouvrières du textile n’ont pas bénéficié d’un congé maternité payé, 87,5 % des femmes travaillent sans contrat dans le monde rural. » Quant à l’indice du Forum économique mondial sur la parité, en 2016 le Maroc est classé 137e sur 144 pays. Cet indice se base sur quatre critères : l’accès à la santé, celui à l’éducation, l’égalité économique et l’égalité politique.
La mortalité maternelle demeure un problème de taille : des femmes accouchent en-dehors des hôpitaux, avec l’absence d’infrastructures sanitaires et la difficulté d’accès aux soins prénatals, ou avortent clandestinement. Cette question est érigée comme un tabou immuable.
De plus, les violences à l’égard des femmes augmentent considérablement, ainsi qu'un sexisme sans complexe dans l’espace public et sur les lieux de travail. Selon un rapport de l’Observatoire national de la lutte contre la violence à l’égard des femmes, en 2015 neuf femmes se sont immolées par le feu, 244 se sont pendues et 372 se sont automutilées, ne supportant plus l’humiliation.
Le code de la famille et du statut personnel maintient les inégalités face à l’héritage, tolère les mariages arrangés, ne reconnaît pas le viol comme une atteinte aux droits des femmes. On en arrive à forcer des femmes à épouser leur violeur, légalement. Comme dans le cas d’Amina Filali, violée à 15 ans : Amina n’a pas supporté l’humiliation et l’injustice, elle s’est suicidée (en 2012). Le gouvernement, comme les précédents, promeut un ordre moral réactionnaire renvoyant les femmes à un statut d’objet, de mineure et de maîtresse du foyer.
À leur tour, les personnes LGBT subissent les lois qui pénalisent les relations entre personnes adultes de même sexe. Malgré un début de visibilité publique, acquis grâce au combat pour les libertés individuelles ou en raison de la constitution d’associations spécifiques, toujours non reconnues, la tendance générale est celle d’une stigmatisation très forte et d’une grande violence sociale et institutionnelle, avec des condamnations à de lourdes peines et amendes, des agressions physiques, l'ostracisme.
Une force motrice contre l'Etat despotique
Au niveau politique, les femmes sont toujours sous-représentées et exclues des postes de prise de décisions. Cela est vrai en particulier dans les institutions publiques, les instances élues, les organismes des partis. Au Maroc, le rôle des femmes dans les mobilisations a été nié ou sous-évaluée. Les histoires officielles ignorent leur rôle dans les luttes pour l’indépendance et dans les combats politiques qui ont suivi. Cela tient en partie à la faiblesse historique d'un mouvement féministe organisé et autonome. Dans leur grande majorité, les associations féministes se sont institutionnalisées ou ont cantonné leur combat à des modifications juridiques.
Pourtant, dans l’ensemble des résistances populaires, la présence combative des femmes est notable : dans le mouvement des chômeurs et chômeuses, dans les mouvements récents contre la casse sociale (lutte des stagiaires de l’éducation nationale, du personnel médical en formation...), dans les luttes des coordinations contre la vie chère, ou contre les démolitions des bidonvilles et les expropriations des terres.
Des femmes du milieu rural se sont organisées contre les microcrédits dans le sud du Maroc. Les femmes d’Imider se battent depuis 2011 pour leurs droits bafoués par Managem, filiale de la holding royale, qui exploite les mines d’argent et spolie les habitants de ressources en eau. Plus largement, les femmes ont été une force motrice dans le combat contre l’Etat despotique dénonçant l’accaparement des richesses et les liens avec les intérêts impérialistes. Elles ont été à l’avant-garde de toutes les luttes du peuple pour une société émancipée fondée sur la répartition équitable des richesses, la reddition des comptes, l’égalité et un État qui préserve la dignité.
Il est impossible de penser à l’égalité entre les sexes en-dehors d’une société égalitaire. Au Maroc, on est très loin du compte ! Il reste beaucoup de chemin à parcourir. L’une des premières tâches dans cette voie est la création d’un front féministe laïque, populaire et combatif, soutenu par les différentes forces progressistes, qui place la libération des femmes au cœur des luttes de classe.38
Mobilisation dans le Rif contre le chômage et la pauvreté
Le 11 juin 2017, une manifestation a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes à Rabat, en soutien aux protestations des habitants de la région du Rif, qui duraient depuis plusieurs mois.
Les manifestants, appelés par l’organisation islamiste Justice et bienfaisance ainsi que par des partis de gauche et d’extrême gauche, demandaient la libération de militants arrêtés lors des dernières manifestations à el-Hoceima, dans cette région située au nord-est du Maroc, et en particulier du plus connu d’entre eux, Nasser Zefzafi.
Celui-ci se voyait reprocher d’avoir dit à un imam, qui venait de prononcer un prêche pour empêcher les manifestations, que les mosquées sont faites pour dieu et pas pour le makhzen (l’administration du roi). Près de 90 autres manifestants d’El Hoceima ont passés les derniers jours dans les locaux de la police, plusieurs dizaines d’entre eux ont été gardés à vue ou en attente de leur procès pour le motif grave d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État.
Le vrai motif de ces arrestations est la participation au mouvement de contestation du régime qui s’est développé dans le Rif depuis la fin de l’année 2016. Nasser Zefzafi en est l’un des dirigeants. Le mouvement a commencé après la mort en octobre 2016 de Mouhcine Fifri, un vendeur d’el-Hoceima broyé dans une benne à ordures en voulant sauver sa marchandise, des espadons, confisquée par la police car leur pêche était illégale. La vidéo où on le voit être broyé avait fait le tour des réseaux sociaux et provoqué la colère d’une grande partie de la population. Des manifestations ont été organisées pour exiger que justice soit faite. Des dizaines de milliers de personnes ont assisté à l’enterrement.
En début d’année 2017, les manifestations ont continué dans les villes de la région, à Nador ou el-Hoceima. Malgré la répression, la participation a augmenté. Les manifestants ont commencé par demander une vraie enquête concernant la mort de Mouhcine Fikri. Puis ils ont manifesté contre l’injustice de l’État et pour la création d’emplois, avec un salaire qui permette de vivre. Ils exigent aussi la construction d’un hôpital et d’une université dans cette ville de 200 000 habitants. Cela faciliterait l’accès aux soins des familles de milieu populaire et donnerait plus de chances d’étudier aux jeunes, et en particulier aux filles, car beaucoup de familles n’acceptent pas, par conservatisme ou par peur, d’envoyer leurs filles seules dans une grande ville.
Dans cette région connue pour d’anciens mouvements de rébellion contre les autorités coloniales, puis contre le pouvoir royal, les drapeaux amazigh (berbères) et les portraits d’Abdelkrim al-Khattabi (qui avait tenu tête aux forces armées coloniales dans les années 1920) ne sont pas rares dans les manifestations. Mais les motivations des manifestants sont avant tout sociales : le chômage est particulièrement fort dans cette région quasiment dépourvue d’industrie, où la pêche est en forte diminution, et qui n’offre souvent comme seule perspective que la culture du cannabis ou la contrebande. La pauvreté touche la majorité de la population, de même que le mépris des autorités. Les manifestants sont conscients que leurs revendications sont celles de bien d’autres Marocains, dans bien d’autres régions, et tiennent à s’adresser aussi à eux.
Les manifestations ont continué durant le ramadan, où elles ont eu lieu la nuit, à el-Hoceima ou dans la ville voisine. Des rassemblements ont aussi été organisés dans d’autres villes comme Rabat, Casablanca, Marrakech ou Fès. Le roi Mohamed VI, riche à milliards, laisse une grande partie de la population dans la pauvreté, et il est plus que légitime qu’il récolte la colère.39
20 ans de prison pour les contestataires !
Nasser Zefzafi et trois autres leaders du mouvement de protestation Hirak, qui a secoué la région du Rif en 2016 et 2017, ont été condamnés à 20 ans de prison ferme par la Cour d’appel de Casablanca au Maroc.
Au total, les peines cumulées atteignent 360 années de prison... et cela pour avoir manifesté pour demander du travail, un hôpital et une université.
Les militants du Hirak sont accusés de « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État », de « tentative de sabotage, de meurtre et de pillage » et d’« atteinte à l’unité et à la souveraineté du royaume ». Ces mensonges et ces peines, complètement disproportionnées, sont dignes des procès des « années de plomb » sous Hassan II. Ils révèlent la peur du régime face au mouvement de contestation du Rif, qui a duré des mois malgré la répression et qui s’est adressé aux classes populaires de tout le pays.40
Des femmes contre le harcèlement
Le 23 août 2017, plusieurs centaines de femmes ont participé à des rassemblements dans diverses villes du Maroc pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles dans l’espace public.
Ces sit-in faisaient suite à l’émotion causée par une vidéo, postée sur Internet, qui montrait l’agression sexuelle d’une jeune femme par plusieurs adolescents à l’arrière d’un bus. Le lendemain, le chef du gouvernement promettait « une stratégie contre les violences faites aux femmes » qui serait « bientôt annoncée ». Le problème ne date pourtant pas d’hier, et un projet de loi sur le sujet est en discussion depuis plus de dix ans !
La même hypocrisie règne dans tous les milieux dirigeants du Maroc. La chaîne de télévision 2M, par exemple, a relayé l’indignation suscitée par l’agression dans le bus mais, quelques mois auparavant, ses dirigeants avaient programmé une émission sur des astuces de maquillage permettant aux femmes de camoufler les traces de coups sur leur visage… et ceci à l’occasion de la journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes !
Au Maroc, en France et partout ailleurs, les violences faites aux femmes sont toujours d’actualité. Si la situation s’est un peu améliorée dans certains endroits du monde, c’est parce que des femmes se sont battues pour leur droit à l’égalité. Et même là, rien n’est acquis définitivement. Les manifestantes marocaines poursuivent cette lutte.41
Élections sous influence
Les élections du 8 septembre 2021, législatives, régionales et communales, ont entraîné l’effondrement du PJD, le parti islamiste qui était à la tête du gouvernement depuis 2011, ainsi que le succès d’un des partis de la monarchie, le RNI.
En perdant 90 % de ses députés, le parti islamiste (PJD, Parti de la justice et du développement) a payé sa gestion loyale des affaires de la bourgeoisie et du roi pendant ses années à la tête du gouvernement, de 2011 à aujourd’hui. C’est lui qui a démantelé les subventions sur les produits de première nécessité, ce qui a conduit à d’importantes hausses des prix. C’est lui encore qui a instauré le remplacement systématique des employés de la fonction publique par des contractuels. Ses partisans ne lui ont pas non plus pardonné la récente normalisation des relations avec Israël, que le chef PJD du gouvernement, El Otmani, a avalisée sans discuter.
C’est un parti très proche de la monarchie, le Rassemblement national des indépendants (RNI), qui a remporté les élections législatives, en obtenant 102 députés sur 395. Il faut dire qu’il a mis les moyens pour convaincre les électeurs et n’a pas été gêné par le pouvoir dans ses activités de campagne. Il était en service commandé, avec pour mission de dégager le PJD du gouvernement.
Comme d’habitude lors des élections au Maroc, il a d’abord mobilisé son réseau de notables, en particulier dans les campagnes, qui sont bien plus allées voter que les villes (aux alentours de 75 % de votants pour une moyenne nationale de 50 %). L’argent a coulé à flots, de la part du RNI mais aussi d’autres partis, pour « convaincre » les électeurs de bien voter, ou même pour trouver des candidats pour les listes locales. Plus recherchées que les hommes pour compléter les listes électorales, certaines femmes auraient pu obtenir jusqu’à 4 000 dirhams (380 euros) pour accepter d’être candidates.
Pour le RNI, les mesures Covid n’ont pas non plus été trop strictes. Alors qu’elles étaient censées interdire les rassemblements de plus de 25 personnes, le RNI a pu sillonner le pays avec ses caravanes de voitures et faire de vrais meetings. Il a aussi saturé les médias de sa présence.
Dans la foulée des élections, le roi a nommé comme Premier ministre le chef du RNI, son grand ami Aziz Akhannouch. Milliardaire, deuxième fortune du pays après le roi lui-même, c’est un vieux routier de la politique, qui a été à la tête du puissant ministère de l’Agriculture durant quatorze ans. Possédant les stations d’essence Afriquia, nombreuses au Maroc, il a étendu son empire à la distribution gazière, au tourisme, au nouveau port à conteneurs Tanger Med, ou encore à la production d’oxygène, si précieuse en ces temps de Covid.
Akhannouch est bien représentatif du capitalisme à la marocaine, autant basé sur l’exploitation des travailleurs que sur les facilités dues à la proximité avec le pouvoir royal. Sans remonter à son père, déjà lié à Hassan II, Aziz Akhannouch s’est vu reprocher d’avoir bien profité de la libéralisation des prix des carburants décidée en 2015 par un gouvernement auquel il participait. Les stations d’essence Afriquia ont été ciblées par le mouvement de boycottage de 2018, qui a duré des mois, comme celui des produits laitiers de Danone et de l’eau Sidi Ali, ces trois groupes étant accusés d’être en situation de quasi-monopole et de pratiquer des prix excessifs.
Un milliardaire à la tête du royaume, un autre à la tête du gouvernement et d’une Assemblée fantoche, où le PJD a été remplacé par le RNI : il n’est pas étonnant que tous les dirigeants impérialistes se soient félicités du bon déroulement des élections. Quant au peuple marocain, il n’avait comme d’habitude rien à en attendre.42
Les pauvres paient le prix fort
Le bilan du tremblement de terre survenu le 8 septembre 2023 est tragique : 2 900 morts recensés le 13 décembre. Des villages entiers ont été quasiment rasés : 300 000 personnes sans logis et dans un dénuement total.
C’est aussi, et avant tout, le bilan de la misère et de l’abandon par les pouvoirs publics des populations vivant dans cette zone.
Dans la ville de Marrakech, c’est la médina (la « ville ancienne ») qui a été la plus touchée, et en particulier le quartier populaire du Mellah. Il avait pourtant fait l’objet de travaux de réhabilitation, pour un coût de 20 millions d’euros d’argent public, il y a huit ans. Mais ses habitants n’ont pu que constater que les habitations « réhabilitées » se sont fissurées et effritées comme les autres lors du tremblement de terre. Résultat de la corruption et de la gabegie, la prétendue réhabilitation n’a consisté pour l’essentiel qu’en un coup de badigeon destiné à créer un joli décor pour les touristes.
Les villages de montagne des provinces d’Al Haouz, de Taroudant et de Chichaoua ont été encore plus durement touchés. Les maisons anciennes en pierres sèches ou en briques de terre crue se sont littéralement effondrées sur leurs occupants. Mais, là encore, ce drame est avant tout le résultat de la pauvreté et de la marginalisation de ces régions.
Les risques de séisme sont bien connus au Maroc. Depuis 1960, date d’un précédent tremblement de terre qui avait quasiment détruit la ville d’Agadir et tué le tiers de sa population, les constructions de bâtiments devraient théoriquement se faire aux normes antisismiques. Mais, dans ces villages, les habitants ont dû se débrouiller comme ils pouvaient pour construire les habitations nécessaires, se contentant souvent d’ajouter un nouvel étage, porté par une dalle de béton, au-dessus de la maison ancienne, ce qui a contribué à la fragiliser.
L’électricité et l’eau potable ont fini par être installées, dans les années 1990, mais la piètre qualité des installations et les fuites d’eau qui en découlent ont aussi dégradé l’habitat ancien, en altérant ses fondations.
Enfin, alors que la rapidité des secours est fondamentale dans ce type de catastrophe, ceux-ci ont été considérablement ralentis par le manque de routes et l’état déplorable de celles qui existent.
Finalement, comme d’habitude, les habitants n’ont pu compter pour les premiers secours que sur eux-mêmes et sur la solidarité massive des Marocains des régions épargnées et de la diaspora.
En 2004, une catastrophe similaire avait touché la région d’Al Hoceïma, dans le Rif, elle aussi montagneuse et pauvre. La gestion de la crise, lente et inefficace, avait donné lieu à des manifestations de colère des sinistrés, qui avaient alors défié le régime. C’est tout ce qu’il mérite, aujourd’hui encore, lui qui déploie des moyens sophistiqués et ultramodernes pour surveiller et réprimer la population mais n’en met qu’une infime partie au service des sinistrés.43
Sources