Antiquité
Le premier véritable royaume du Yémen est le premier royaume sabéen de Mareb vers -1500. Selon les spécialistes, l'épisode biblique de la visite de la reine de Saba à Jérusalem auprès du roi Salomon (fin Xe siècle av. J.-C.) tendrait à montrer sa puissance. L'identification du royaume de Sabé à celui de Saba n'est pas certaine, puisque la première réelle mention de celui-ci provient d'inscriptions assyriennes de -750. Du XIIe siècle av. J.-C. au Xe siècle av. J.-C. apparaissent les premières inscriptions monumentales dans les cités littorales qui connaissent vers -750 un essor architectural remarquable basé sur la pierre. Remarquable corrélation entre cette évolution, qui pourrait avoir nécessité un pouvoir central organisé, et l'apparition concomitante dans les inscriptions du titre de « Mukkarib » (unificateur).
L'ère de Qataban
Cet âge de prospérité semble se terminer au Ve siècle av. J.-C. avec une violente période de guerre et d'instabilité. Les royaumes sudarabiques de Saba, Qataban, Maïn et Hadramaout luttent les uns contre les autres pour asseoir leurs dominations sur la région, et provoquent un abandon massif des sites de Kuhâl, Arârat, Kutal, Inabba, ce qui prouve l'importance de cette lutte violente. Finalement, le royaume Qataban l'emporte et fonde une hégémonie, qui dure de ‑500 à -110.
Durant l'ère Qataban, période d'apogée artistique pour le Yémen, une nouvelle monnaie est fabriquée au milieu du IVe siècle av. J.-C., ce qui tend à montrer la vitalité des échanges commerciaux caravaniers entre le Yémen et l'ensemble de la péninsule arabique. Mais la puissance de Qataban doit composer avec les autres royaumes certes assujettis mais relativement autonomes, et qui entretiennent des relations complexes entre eux. Cela limite leur efficacité face à des périls extérieurs. Ainsi, vers -200, le royaume de Haram est détruit par l'invasion de plusieurs tribus arabes, notamment celle d'Amîr. Ces tribus, rapidement soumises sous la tutelle sabéenne, introduisent et imposent de nouveaux cultes, comme le montre le temple principal de Haram dans lequel le culte de Matabnatiyân est remplacé par celui de Halfân, divinité des nouveaux venus.
Finalement, au IIe siècle av. J.-C., s'unifient réellement les royaumes yéménites, sous la domination de Saba. Bien qu'incapable d'empêcher l'intrusion de nouvelles tribus arabes dans le Jawf, Saba impose peu à peu son pouvoir. Avec la disparition en -120 du royaume de Ma'in, l'ensemble du Jawf est sous le contrôle de Saba. L'aristocratie sabéenne s'approprie les régions de Nashan, Nashq et Manhiyat ; le reste est abandonné aux tribus nomades. Qataban sombre et éclate avec la sécession de Himyar en -110, qui le supplante et met fin à son hégémonie.
L'hégémonie d'Hadramaout
La chute de Qataban entraîne de nombreux bouleversements importants, dont la destruction de nombreux sites majeurs, comme celle de Raybun au Hadramaout, mais aussi l'éclosion du petit royaume d'Awsan.
Finalement, une nouvelle ère de prospérité commerciale et caravanière s'ouvre, grâce à deux facteurs majeurs : l'expansion croissante de l'Empire romain qui, avec la prise de l'Égypte et de l'Asie Mineure, offre un débouché commercial gigantesque, et, d'autre part, le développement de la Chine et de l'Inde. De fait, le Yémen se découvre une place de carrefour central majeure qui dynamise ses villes.
Dès lors, le royaume d'Hadramaout se lance dans une politique hégémonique, au début du Ier siècle ap. J.-C., sous le règne de Yashurîl Yuharish, qui étend son pouvoir désormais jusqu'au Zafâr omanais. Devant sa puissance, les petits royaumes encore indépendants s'unissent, à l'instar de Himyar et de Zafâr. Cette hégémonie se fait dans une certaine violence, avec des destructions dans le Jawf : seuls Nashan, Nashq et Manhiyat sont encore habités de manière permanente. De plus, Himyar se lance dans une politique de colonisation, en fondant en Érythrée des colonies sur la côte vers 45 ap. J.-C. qui ne subsistent guère.
Le premier signe d'affaiblissement d'Hadramaout semble apparaître en 74 avec la fondation de la principauté de Radmân, suivi vers 100 ap. J.-C. de la restauration du Royaume de Saba. Les conflits sont violents, d'autres sites sont abandonnés comme Haram et Kaminahû.
Mais Hadramaout reprend son contrôle en détruisant définitivement en 175 le Qataban. Seul Himyar semble avoir été suffisamment puissant pour contrer son hégémonie. Sous le règne d'Ilî'azz Yalut, Hadramaout connaît son apogée politique et culturel.
Ensuite, c'est un long déclin : en 230, le roi de Saba Sha'r Awtar rompt son alliance avec le Hadramaout, et s'empare de Shabwa et de Qâni, puis lance les premières expéditions contre les Arabes du désert. Mais le retour en force de Saba est éphémère, et brisé définitivement par les rois himyarites Yâsir Yuhan'm et son fils Shammir Yuharish qui annexent Saba. Ensuite, l'Hadramaout ne peut empêcher l'Abyssinie d'occuper de 200 à 275 les côtes du Yémen occidental. Enfin, le conflit inévitable d'Hadramaout contre la puissance montante d'Himyar voit l'anéantissement du premier. Le souverain himyarite, Shammir Yuharish, conquérant l'Hadramaout, unifie pour la première fois la totalité de l'Arabie méridionale, formant ainsi l'Empire himyarite au début du IVe siècle.
Le Yémen préislamique
L'Empire himyarite inaugure la grande période faste du Yémen préislamique tant du point de vue de l'étendue du territoire, recouvrant une grande partie du sud de la péninsule d'Arabie, que culturel ou commercial.
Économiquement, il est certain que les échanges se poursuivent même s'il y a de sévères revers. En effet, au IVe siècle, le monnayage sud-arabique cesse. Pire, le système d'agriculture irriguée pluriséculaire qui permettait de stopper la désertification croissante de la région tend à être moins bien entretenu : la première rupture de la digue de Mareb eut lieu sous le règne de Tharan Yuhanim en 360 ; la seconde en janvier 456 sous le règne de Sharahbi'îl Ya'far, fils d'Abîkarib As'ad. Mais les contacts diplomatiques et commerciaux avec Rome se multiplient comme l'ambassade de 339-344 de Théophile envoyé par l'empereur romain Constance II.
Politiquement, l'Empire s'étend de 440 à 450 avec les expéditions d'Abîkarib As'ad, fils de Malkîkarib Yuhanim, et son fils Hassân Yuhanim qui étendent le pouvoir de Himyar sur l'Arabie centrale. Pour mieux assurer leur contrôle, ils y fondent une principauté confiée à Hujr, prince kindite.
La question religieuse montre combien le Yémen fut le théâtre de multiples influences. D'abord, en 380, Abîkarib As'ad et ses corégents se convertissent au judaïsme. Cette première révolution met un terme définitif au polythéisme ancestral ; les grands temples sont non seulement abandonnés mais détruits. Puis, peu à peu se diffuse le christianisme qui est vu comme une secte et combattu comme tel. Ainsi, vers 470 a lieu le martyr d'Azqir sous le règne de Sharahbi'îl Ya'far. Une lutte religieuse éclate entre chrétiens et juifs sur fond de guerre civile. Dès 519, le roi d'Éthiopie Caleb Ella Asbeha soutient activement le coup d'État du chrétien Madîkarib Yafur sur le trône. En juin 522, il sera exécuté par le monarque juif Yusuf As'ar Yath'ar qui s'empresse d'asseoir son pouvoir en lançant une grande persécution des chrétiens dont le comble se situe en novembre 523 avec le martyre de saint Aréthas à Najrân.
Le VIe siècle voit donc se développer des troubles religieux d'importance mais aussi un déclin politique de l'Empire. Déjà, dès 500, les sites de Nashan, Nashq et Manhiyat sont peu à peu abandonnés, signes d'un déclin manifeste. Puis, le chrétien Madîkarib Yafur doit lancer une expédition punitive en Arabie centrale pour châtier la révolte en juin 521 du Kindite juif Al-Hârith qui refusait de reconnaître son usurpation. Avec le roi juif Yusuf As'ar Yath'ar, c'est Najrân qui refuse de se soumettre en juillet 523. Enfin, l'Empire demeure impuissant à contrer la grande invasion par les Abyssins mandatés par le Basileus en 525. Le roi Yusuf se suicide.
Le christianisme s'implante ainsi grâce aux forces étrangères, balayant les derniers foyers judaïques forcés à se convertir ou à partir. Le roi Sumûyafa Ashwa est intronisé. Les troubles poussent ce dernier à fortifier dès 531 Qâni (Bir-Ali) mais il est renversé en 535 par le chef du corps expéditionnaire Abyssin toujours présent, Abraha, qui transfère la capitale de Zafâr à Sanaa.
Le règne d'Abraha semble marquer une pause dans le long déclin de l'Empire, très éprouvé par la guerre civile et religieuse. De nouveaux travaux d'ampleur sont mis en œuvre qui attestent du renouveau de l'Empire Himyarite : on répare en mars 549 le barrage de Marib avant d'effectuer un curage complet de la vieille digue en 558.
L'occupation abyssine n'est cependant pas bien acceptée. Ainsi, en 570, un prince juif yéménite, Sayf Ibn Dhi-Yaz'an, fait appel aux Perses pour chasser les Abyssins, ce qui entraîne l'invasion perse sassanide du pays, qui renverse le roi abyssin Masrûq.
De 571 à 632, c'est la grande période de la domination perse sassanide. Celle-ci semble contrôler même nominalement le pays, qui ne connaît plus de révolte, mais son déclin perdure. La catastrophe de 620 marque la rupture définitive du barrage de Mareb, qui met fin à l'agriculture irriguée à grande échelle. Le pays subit de plein fouet en quelques années la désertification longtemps interrompue par l'ingénieux réseau de canaux qui le rendait verdoyant.
Le califat (632–897)
Ayhala le Noir est un dirigeant yéménite, dans les débuts de l'islam, considéré comme imposteur, parce que rejetant l'umma. Il s'empare, à la tête d'une partie de sa tribu des Madhhij, de Sanaa, et constitue une chefferie, plus qu'un État, allant d'Aden et Tâ'if à Najran, pour peu de temps.
Les Ayyoubides (1175–1229)
En 1174, l’Ayyoubide Saladin se révolte plus ou moins ouvertement contre Nur ad-Din, et envoie son frère Shems ad-Dawla Turan-Shah faire la conquête du Yémen, pour pouvoir disposer d’une position de repli en cas de défaite face à Nur ad-Din. Ce dernier meurt opportunément juste avant d’envahir l’Égypte, mais le Yémen reste une possession ayyoubide, qui permet à Saladin de contrôler les routes menant à la Mecque. À la mort de Shems ad-Dawla, Saladin confie le Yémen à un autre frère Saif al-Ishim Tughtebin. Ce dernier meurt en 1202, pendant l’annonce de la venue d’une nouvelle croisade et les luttes entre Al-Adel, frère de Saladin, et les fils de ce dernier, et le Yémen passe aux deux fils de Tughtebin, qui meurent peu après, puis à Ghazi ibn Jebail, marié à la veuve de Tughtebin. Bien que le Yémen soit ainsi passé à un non-Ayyoubide, il ne semble pas qu’Al-Adel ait tenté une action pour reprendre le Yémen, bien qu’il soit alors en paix avec les Francs.
À la mort de Ghazi, sa veuve se remarie avec Suleyman, un Ayyoubide d’une branche cadette, mais Al-Kamil, alors gouverneur d’Égypte au nom de son père, envoie son fils Malik al-Ma’sud Yusuf pour reprendre le contrôle du Yémen. Il semble qu’à sa mort en 1229, son fils ait continué à y régner, mais les Rassoulides commençaient alors à contrôler le sud du pays et Yusuf, le dernier émir, ne devait contrôler que le nord du Yémen.1
Les Rassoulides (1226–1454)
Les Rassoulides, ou Banû Rasûl sont une dynastie musulmane sunnite qui a régné sur le Yémen et l'Hadramaout de 1229 à 1454. Les Rassoulides ont dominé cette région après le retrait des Ayyoubides de toutes les provinces de l'Arabie du Sud.
Les Rassoulides sont les descendants d'un Turkmène, Oghuz, envoyé comme messager (en arabe : Rasûl) par un calife abbasside.
Les Tahérides (1446–1717)
Vers 1454, après une période d'anarchie complète, la dynastie des Tahirides du Yémen prend la succession des Rassoulides.2
Les Ottomans (1872–1918)
Au cours du XIXe siècle on assiste à des affrontements entre Zaydites et Ottomans. En 1872, Sanaa est prise par les troupes du sultan Abdulaziz, le Yémen entre en tant que province au sein de l'Empire ottoman. Cependant, de 1904 à 1911 des guérillas entre Ottomans et Zaydites se perpétuent.
Le Yémen du Nord indépendant (1918–1990)
La partie septentrionale du Yémen est soumise nominalement à l'Empire ottoman jusqu'en 1918. L'imam des zaïdites, Yahya Muhammad Hamid ed-Din, qui dirige de fait le nord du pays depuis 1904, crée le royaume mutawakkilite du Yémen. Il affirme l'indépendance du pays en signant des traités avec l'Italie, et parvient à maintenir les frontières malgré une défaite militaire contre l'Arabie saoudite. Après son assassinat en 1948, son fils Ahmad bin Yahya devient roi et se rapproche du bloc soviétique. En 1949, une importante émigration des juifs du Yémen vers Israël se produit.
Après l'assassinat d'Ahmad bin Yahya, l'arrivée de son fils Muhammad al-Badr en 1962 sur le trône marque le début de la guerre civile. La monarchie chiite (imamat) y est abolie le 27 septembre 1962, date à laquelle le pays prend le nom de République arabe du Yémen (communément nommée « Yémen du Nord »), dirigée par des sunnites et soutenue par les forces armées égyptiennes qui emploient entre autres l'arme chimique contre les royalistes. La guerre de procuration entre l'Égypte et l'Arabie saoudite s'arrête de fait avec la reconnaissance du gouvernement rebelle en 1970 par l'Arabie saoudite, suivie par les puissances occidentales.
Décolonisation du Yémen du Sud (1967–1990)
La partie méridionale correspond à l'ancien hinterland britannique, et se forme progressivement à partir de 1839 autour du port d'Aden. Après le départ des troupes britanniques, la Fédération d'Arabie du Sud et le Protectorat d'Arabie du Sud se regroupent, officiellement le 30 novembre 1967, pour former un nouvel État indépendant, la République populaire du Yémen du Sud (communément nommée « Yémen du Sud »). Trois ans plus tard, celle-ci adopte le nom de République démocratique populaire du Yémen. Le régime marxiste mis en place entraîne un appauvrissement du pays et une fuite des bourgeois commerçants, mais les systèmes tribaux restent en place.3
Réunification du Yémen
La réunification du Yémen eut lieu le 22 mai 1990 lorsque la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud) fut intégrée à la République arabe du Yémen (Yémen du Nord). Cette réunification marque la fin de la guerre froide dans le monde arabe alors qu'en Europe se déroulait progressivement la chute du bloc de l'Est.
Contexte
Contrairement, par exemple, aux deux Allemagnes (Allemagne de l'Est et Allemagne de l'Ouest), ainsi qu'aux deux Corées (Corée du Nord et Corée du Sud), les relations entre les deux Yémen étaient plutôt amicales, bien qu'elles fussent parfois tendues. De plus, les deux Yémen étaient séparés historiquement, et non du fait de la guerre froide.
Alors que le Yémen du Nord était devenu un État indépendant après la chute de l'Empire ottoman en 1918, le Yémen du Sud devint une colonie britannique, qui obtint à son tour l'indépendance en 1967 suite au retrait des troupes britanniques qui devaient faire face à deux grands partis nationalistes : le Front de libération de l'occupation du Yémen du Sud (FLOYS) et le Front de libération nationale (FLN). En 1972, un plan de réunification fut réalisé mais fut uniquement proposé en 1979 dans le cadre d'une réunion entre les deux chefs d'États respectifs au Koweït en mars 1979. Le Yémen du Sud refusa cette proposition et une guerre faillit éclater mais fut empêchée grâce à l'intervention de la Ligue arabe. Par la suite, le gouvernement sud-yéménite commença à armer les guérillas marxistes du Yémen du Nord afin de mener une lutte clandestine contre le Yémen du Nord et son armée.
En mai 1988, les négociations reprirent entre les deux Yémen afin de réduire considérablement les tensions. Elles permirent de reprendre les accords sur la réunification, d'établir une zone commune d'exploitation pétrolière près de la frontière, de démilitariser la frontière et de permettre à la population yéménite le libre passage de la frontière par le biais d'une carte d'identité nationale commune aux deux États. En novembre 1989, le président du Yémen du Nord, Ali Abdallah Saleh et le président du Yémen du Sud, Haider Aboubaker al-Attas, se mirent d'accord sur un projet de réunification établi initialement en 1981, le Yémen du Sud étant touché également par une baisse de l'aide soviétique.4
Réunification
Le 22 mai 1990, la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) et la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud) fusionnent pour former un seul État, la République du Yémen. Ali Abdallah Saleh en devient le président, la Constitution instaure un multipartisme et la liberté de la presse : c'est la naissance de la première démocratie dans le monde arabe, mis à part Israël.
Lorsque, le 2 août de la même année l'Irak envahit le Koweït, le Yémen réunifié est très dépendant du commerce et de l'aide irakienne, de plus l'opinion populaire est majoritairement favorable à Saddam Hussein.
Mais le pays reçoit aussi beaucoup d'aide de l'Arabie saoudite. Il fait son choix lorsqu'en août, au Caire, lors d'un sommet des dirigeants des pays membres de la Ligue arabe, il vote contre l'envoi de troupes militaires arabes au sein d'une coalition multinationale pour protéger l'Arabie saoudite face à l'Irak. En novembre, au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), le Yémen vote contre la résolution permettant l'intervention militaire à l'encontre de l'Irak si celui-ci n'a pas quitté le Koweït d'ici le 15 janvier 1991, sans pour autant valider son annexion du Koweït. En décembre, présidant alors le Conseil de sécurité de l'ONU, le Yémen multiplie ses tentatives de médiation.
Le 14 janvier 1991, reçu par Saddam Hussein, le premier ministre du Yémen propose à ce dernier, sans succès, un plan de paix pour éviter la guerre (évacuation du Koweït par l'Irak, et remplacement des troupes occidentales par des troupes arabes) qui fut pourtant accepté par l'Égypte, la France et les États-Unis.
À la fin de la guerre, le rétablissement de bonnes relations avec les puissances occidentales se révèle plus facile qu'avec les pays arabes. Ainsi, dès août 1991, les États-Unis autorisent la vente de 300 000 tonnes de blé subventionné au Yémen. Comme punition, l'Arabie saoudite expulse, en quelques semaines, entre 500 000 et plus de 800 000 travailleurs yéménites de son territoire, suspend son aide au développement de 600 millions de USD et impose désormais l'obligation aux ressortissants du Yémen d'avoir un visa pour effectuer le haj.5
Guerre civile
Bien que la réunification soit pacifique, une guerre civile éclate en mai 1994 suite à la détérioration des relations entre marxistes et unionistes. Les dirigeants sud-yéménites proclament la création de la République démocratique du Yémen, dirigé par Haider Aboubaker al-Attas, État reconnu par aucun pays de la communauté internationale, correspondant au territoire de l'ancien Yémen du Sud. Les Sud-Yéménites étaient soutenus par l'Arabie saoudite qui était inquiète d'avoir à ses frontières un Yémen unifié alors que les États-Unis demandèrent à plusieurs reprises un cessez-le-feu, sans succès. (À noter que le Sud était en 1994 peuplé de 3 millions d'habitants contre 12 millions d'habitants au Nord, en raison des migrations massives de la population fuyant le régime marxiste pour rejoindre le Nord ).6
Contexte de la guerre
Tensions politiques
Les dissensions entre El Bid (le vice-président) et Saleh duraient depuis le 19 août 1993, lorsque, au retour d’une tournée à l’étranger, El Bid avait regagné son fief d’Aden et refusé de se rendre dans la capitale, Sanaa. La découverte de pétrole dans le sud du pays a attisé les dissensions car la réunification en 1990 avait été acceptée sous le poids de la pauvreté.
En septembre 1994, Ali Salim El Bid publia une liste en dix-huit points qui était autant de conditions à son retour à Sanaa. Ce programme prévoyait une large décentralisation économique et administrative et de facto une modification de la Constitution dans un sens fédéral, la mise en œuvre d’une série de mesures visant à assainir l’économie du Yémen et les finances de l’État, la lutte contre la corruption, le retrait des bases militaires des principales villes, et l’arrestation des auteurs des attentats qui ont coûté la vie à environ cent cinquante cadres du Parti socialiste yéménite. Ce dernier point était l’un des plus sensibles dans la mesure où ces meurtres sont notoirement commandités par l’entourage du président Saleh.
Après des transactions, la signature du document intervint le 20 février 1994 à Amman en Jordanie car la confiance ne régnait pas entre les parties mais Ali Salim El Bid exigea de Ali Abdallah Saleh l’arrestation immédiate de ses frères. Quant au cheikh Abdallah El Ahmar, président du Parlement et chef du parti Islah, il conditionnait sa signature au retour de M. El Bid à Sanaa. Mais au lieu de rentrer dans la capitale yéménite, Ali Salim El Bid et ses principaux lieutenants entamèrent aussitôt une tournée diplomatique dans le monde arabe. Le 21 février 1994, au lendemain de cette réconciliation avortée, ont lieu les premiers combats, dans la province d’Abyan, à l’est d’Aden, opposant la brigade nordiste Al Amaliqa (signifiant « les géants ») à la brigade sudiste Al Wahda (signifiant « l’unité ») basée en Hadramaout.
Le vice-président Ali Salim El Bid n’a rien fait pour faciliter le compromis. À chaque exigence acceptée, il en ajoutait une nouvelle, faisant perdre la face au président Saleh. Selon les milieux nordistes, cette stratégie de la tension visait à provoquer un refus dont il aurait tiré argument pour proclamer la sécession. En accédant à toutes ses demandes, Ali Abdallah Saleh aurait privé son adversaire du prétexte qu’il recherchait. Des sources indépendantes à Sanaa partagent cette analyse, mais la complètent : en acceptant formellement les concessions demandées, le président Saleh n’avait aucune intention de les respecter, cherchant seulement à gagner du temps, persuadé qu’il ne parviendrait pas à résoudre politiquement la crise qui l’opposait à son vice-président. Selon ces sources, Ali Abdallah Saleh aurait, dès décembre 1993, choisi l’option militaire, alors même qu’il acceptait publiquement les projets de réforme constitutionnelle qui, mis en œuvre, l’auraient privé de l’essentiel de ses prérogatives. L’impréparation de l’armée sudiste lors des premières semaines de combat semble confirmer cette thèse.
Déroulement de la guerre
La guerre commence le 4 mai 1994 lorsque l'armée de l'air sudiste bombarde Sanaa, la capitale du Yémen du Nord. L'armée de l'air nordiste répond à ces actes en bombardant Aden, la capitale du Yémen du Sud. Ce sont les premiers combats de la guerre.
Après deux mois de combats, l'armée nordiste entre dans Aden le 4 juillet 1994. Les poches de résistance tombent une par une au fur et à mesure que l'armée nordiste entre dans la ville, elle est finalement sous contrôle le 7 juillet 1994, marquant la fin de la guerre alors que des milliers de combattants et les dirigeants sudistes partent en exil, notamment en Arabie saoudite mais également en Syrie.
Presque tous les combats se déroulèrent dans la partie sud du pays, en dépit des attaques aériennes et de missiles Scud contre les villes et les grandes installations dans le Nord.
Les sudistes sollicitèrent l'appui des pays voisins : des équipements militaires et de l'aide financière estimés à une valeur totale de quelques milliards de dollars furent offerts par l'Arabie saoudite qui se sentait menacée par un Yémen unifié. Elle aurait en autre financé certains achats d'armement, comme des MiG-29 russes arrivés pendant le conflit ; elle accueillera d'ailleurs les principaux chefs sudistes une fois la défaite consommée. Oman, Bahrein, les Émirats arabes unis, la Syrie et l'Égypte penchent plutôt pour le sud, cette dernière pour s'opposer au Soudan qui est du côté du président Saleh.
Le Nord reçoit le soutien du régime bassiste de Saddam Hussein qui aurait offerts plusieurs pilotes, et de la Jordanie qui participe à l'entretien des chasseurs Northrop F-5 Freedom Fighter. Le Qatar, qui a connu des affrontements frontaliers avec l'Arabie saoudite en 1992, appuie également le président Saleh.
Les États-Unis, qui ménagent au départ l'allié saoudien, veulent finalement aboutir à un règlement et appuie l'offensive nordiste et appelèrent à plusieurs reprises à un cessez-le-feu mais ces demandes furent infructueuses, même par des envoyés spéciaux de l'ONU.
Les pertes totales du conflit sont estimées de 7 000 à 10 000 morts selon les sources.
Si cette guerre marque la réunification finale des deux États, le pays doit cependant faire face à de nombreuses reconstructions, suite aux dégâts provoqués par la guerre.
Après la réunification
Par la suite, le gouvernement yéménite engagea des poursuites judiciaires contre les dirigeants sudistes : Ali Salim al-Baidh, condamné à mort par contumace qui vit depuis en exil à Oman, Haydar Abu Bakr Al-Attas (premier ministre), Abd Al-Rahman Ali Al-Jifri (vice-président du conseil présidentiel) et Salih Munassar Al-Siyali, pour détournement de fonds publics. Les autres membres du gouvernement sudiste, dont les généraux d'armée, furent amnistiés par les autorités.
Au lendemain de la guerre civile, le conseil présidentiel créée lors de la réunification du Yémen fut supprimé par des amendements constitutionnels. Le président Ali Abdallah Saleh fut élu par le Parlement le 1er octobre 1994 pour un mandat de 5 ans. La Constitution du pays prévoit désormais que le président sera élu par le vote populaire à partir d'au moins deux candidats choisis par le législateur. Le Yémen tint ses deuxièmes élections législatives en avril 1997.
Le Congrès général du peuple (à majorité nordiste) est jusqu'à la révolution yéménite de 2011 le parti dominant et doit faire face à de nombreuses reconstructions suite aux dégâts provoqués par la guerre. Depuis 2007, un groupe armé, le Mouvement du Yémen du Sud (MYS, également appelé le Mouvement pacifique du Sud ou encore le Mouvement séparatiste du Sud), est fondé, appelant à la sécession du sud et le rétablissement d'un État indépendant au Sud. Ce mouvement a gagné en force dans de nombreuses régions dans le sud du pays, conduisant à une augmentation des tensions et parfois à de violents affrontements avec l'armée gouvernementale.7
Guerre du Saada
La guerre du Saada, également connue sous le nom d'insurrection au Sa'dah, a lieu lors de la troisième guerre du Yémen. Elle se déroule dans une zone montagneuse et pauvre au nord-ouest du pays, le gouvernorat de Sa'dah. Aussi appelée rébellion houthiste, du nom de ses dirigeants, Hussein al-Houthi et ses frères, elle a débuté le 18 juin 2004 lorsque des rebelles zaïdistes ont lancé une insurrection contre le gouvernement yéménite.
Contexte
Les houthistes se plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur le plan politique, économique et religieux, et demandent le rétablissement du statut d’autonomie dont ils bénéficiaient avant 1962.
Issus du courant religieux chiite zaydite, les houthistes sont présents sur les hauts plateaux yéménites et notamment la province de Saada, et présentent de nombreuses différences au niveau du dogme par rapport aux chiites duodécimains iraniens. De plus, ils partagent de nombreuses interprétations religieuses avec la majorité sunniste chaféite.
Au cours de la guerre civile des années 1960, la province a largement soutenu les royalistes. Après la défaite de ceux-ci, elle a donc très peu profité des différentes politiques de développement économique. La région a ensuite vu l'irruption de nouveaux courants religieux sunnites très rigoristes comme le salafisme et le wahhabisme. Cela va entraîner un regain du zaydisme à partir des années 1980 dans son berceau traditionnel de la province de Saada.
Ainsi, les zaïdites se retrouvent à rebours du reste de la population qui voit ses rites unifiés sous l'impulsion du gouvernement central. Malgré l'implication des zaïdites au niveau du pouvoir central yéménite, le président Ali Abdallah Saleh étant lui-même de cette confession, ils sont progressivement stigmatisés, notamment par les Salafistes. Pour faire face à ce qui est ressenti contre un ensemble de discriminations, les houthistes demandent donc une autonomie accrue. Ils représentent, en 2007, 30 % environ des 22,2 millions de Yéménites qui sont en majorité sunnites.
Selon Samy Dorlian, enseignant à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, l'origine du soulèvement remonte au 17 janvier 2002 lorsque dans la province de Sa'dah, Hussein al-Houthi, député de 1993 à 1997 du Hizb el-Haq, la principale expression organisationnelle du renouveau zaïdite, donne une conférence dans laquelle il incite ses compatriotes à combattre l'hégémonie américaine sur le monde arabe et musulman. Les autorités yéménites, engagées depuis le 11 septembre 2001 dans le partenariat de lutte anti-terroriste avec les États-Unis, ont récusé cette démarche et en conséquence, procédé à des centaines d'arrestations.
Les rebelles affirment être victimes de discrimination religieuse de la part d'intégristes sunnites qui ont gagné en influence en raison des liens entretenus par le président Ali Abdallah Saleh avec l'Arabie saoudite tandis que le gouvernement déclare que ceux-ci veulent établir un État religieux chiite.
Selon le département d'État des États-Unis, le gouvernement du Yémen, dans un effort pour freiner l'extrémisme et à accroître la tolérance, surveille les prêches incendiaires des mosquées et les déclarations menaçantes politiques et utilise la police et les agences de renseignement pour surveiller les activités des organisations islamiques liées à des organisations internationales.
Ce pays est confronté régulièrement à des vagues de violence politique depuis l'indépendance de la République démocratique populaire du Yémen et de la République arabe du Yémen dans les années 1960, ces États étant unis depuis le 22 mai 1990 dans l'actuel Yémen mais des mouvements séparatistes sont toujours présent (une guerre civile ayant éclaté en 1994) tandis que l'organisation terroriste Al-Qaïda est active dans l'est du pays visant entre autres les touristes étrangers. La révolte yéménite de 2011 pousse le président Ali Abdallah Saleh à signer un accord le 23 novembre 2011 le contraignant à quitter son poste.
Point de vue des gouvernements yéménites et saoudiens
Le gouvernement central de Sanaa et l'Arabie saoudite tiennent à présenter la rébellion comme un groupe soutenu par l'Iran, un peu au même titre que le Hezbollah libanais. Il les accuse aussi de vouloir restaurer l'imamat zaydite disparu en 1962 via un trafic d'armes par l'Érythrée soutenu par l'Iran. L'Iran chercherait ainsi à affaiblir ces pays producteurs de pétrole pour sécuriser ses propres exportations, face à la menace d'embargo américaine. Cela a pour but de chercher à obtenir le soutien de l'Arabie saoudite. De plus, d'un point de vue historique, comme pour le reste des Yéménites sunnites, les Houthistes revendiquent les régions saoudiennes de Najran, et de l'Asir, ou déjà, une grande partie de la population chiite ou sunnite se dit plus proche du Yémen, que de l'Arabie saoudite, car avant 1934, ces provinces étaient des parties intégrantes du Yémen.
Point de vue de l'Iran
L'Iran voit dans ce conflit une « attaque des Arabes sunnites contre les Arabes chiites » et son chef d'état-major parle de terrorisme d'État.
Autres intérêts mis en jeu
De nombreux intérêts économiques ou politiques se superposent désormais au conflit.
Tout d'abord, le commerce des armes et du carburant est devenu particulièrement lucratif dans une région voisine à la corne de l'Afrique. Les armes destinées à l'armée sont ainsi régulièrement détournées par les officiers et illégalement exportées. Une partie termine même entre les mains de la rébellion.
Politiquement, le conflit attise aussi les luttes de succession entre le fils du président et différents militaires de premier plan. Différents clans cherchent donc à s'emparer des ressources économiques du nord du pays ou à montrer leur force.
Enfin, le conflit se superpose aux conflits tribaux du nord du pays depuis que le gouvernement a cherché à recruter des alliés parmi les tribus locales. Ces solidarités tribales contribuent à entretenir le conflit via des cycles de violences et de vengeances. Ainsi, les deux principales confédérations tribales ont plus ou moins choisi un camp et soutiennent soit le gouvernement (plutôt le cas des Hached) soit les rebelles (plutôt le cas des Bakil). Ces luttes tribales tendent à se développer dans tout le Nord du pays.8
Déroulement de la guerre
Au début du mois d'avril 2005, les forces du gouvernement ont attaqué la position des rebelles dans les montagnes du nord-ouest du pays ; trois semaines de combats dans la province de Sa'dah ont provoqué la mort d'environ 200 personnes. En 2009, la guerre civile continue toujours et l'ONU compte 150 000 déplacés. Depuis le 4 novembre 2009, l'Arabie saoudite intervient militairement contre la rébellion. Malgré un ancrage officiel dans le camp occidental et une coopération pour le contrôle de ses côtes, le pays reste un foyer d'instabilité.9
En février 2010, le journal français Le Monde estime que la guerre du Saada a fait environ 10 000 morts, dont 130 soldats saoudiens.
Une mesure d'amnistie de 2 000 prisonniers partisans des rebelles chiites ainsi que de 800 détenus sudistes est annoncée le vendredi 21 mai 2010.
Enfants soldats
L'UNICEF et d'autres organisations dénoncent l'utilisation d'enfants-soldats par l'insurrection.
Une ONG locale rapporte le 22 février 2010 qu'au moins « 187 enfants ont été tués, 402 exploités comme soldats par les Houthis, et 282 autres recrutés par des milices locales pro-gouvernementales. »10
Au début de l'année 2011 survient la « révolte yéménite de 2011 ».
La révolution yéménite de 2011-2012
À l'aube du printemps arabe, le Yémen est un des pays arabes les plus pauvres, marqué par de fortes disparités sociales et un taux de chômage atteignant les 35 %. Selon les Nations Unies, 45 % des Yéménites vivent au-dessous du seuil de pauvreté et le Yémen est le pire pays du monde pour l'égalité entre hommes et femmes. Le taux d'analphabétisme est proche de 50 %. Dans ce pays marqué par la précarité et des incertitudes quotidiennes vient se greffer plusieurs autres :
- au sud du pays, un groupe séparatiste réclame l'indépendance du sud, celui ci a été, par intermittences, un État souverain jusqu'en 1990, et la guerre civile de 1994 au Yémen avait pour but de revenir sur la réunification du Yémen, et « La fin de l'occupation » du nord ;
- d’anciens partisans du président Saleh ont formé Al-Qaïda dans la péninsule arabique, qui affronte le régime ;
- le nord du pays est également une zone de tension depuis 2004, où les braises de la guerre du Saada ne sont pas tout à fait éteintes ;
- et certaines autres parties du territoire sont mal ou pas contrôlées par le pouvoir central.
Enfin, les élections au Parlement sont repoussées d’année en année depuis quatre ans quand le printemps arabe se déclenche. Conséquence de cette histoire marquée par les guerres séparatistes, le pays abrite entre cinquante millions, et soixante-dix millions d’armes. Cette situation n’empêche pas les protestations pacifiques : sans remonter à celles de l’époque coloniale ou des années 1990, en 2008, d’importantes grèves des dockers, enseignants et ouvriers ont donné lieu à des manifestations pacifiques dans tout le pays.
Le pays est dirigé par la famille du président Saleh, et par des membres de sa tribu, les Sanhân, qui font régner népotisme, clientélisme et corruption. Les tribus jouent encore un rôle social et politique important. Le Yémen est très dépendant des États-Unis, dont il reçoit 250 millions de dollars d’aide militaire par an. La publication par WikiLeaks de cables diplomatiques révéla que le dictateur Saleh avait annoncé que sa propre armée était responsable de bombardements sur d’hypothétiques bases d’Al-Qaïda, qui ont fait des dizaines de victimes civiles, alors que c’est l’aviation américaine qui en était responsable.
Déroulement des événements
Le mouvement de contestation part de l'université de Sana'a (la capitale). Débutée fin janvier 2011, la contestation ne cesse de s'amplifier en prenant la forme de sit-in et de manifestations massives, la jeunesse révolutionnaire (shabab al-thawra) étant rejointe par les femmes, les chiites, les sunnites, les houthistes, les socialistes, etc.. Malgré les dizaines de millions d'armes en circulation dans le pays, et la violente répression, un des mots d'ordre est sulamiya, pacifisme. Les formes d’action sont très variées : sit-in, poésie, théâtre, etc.. « Irhal ! » (Dégage !), le slogan commun aux révolutions arabes, est adopté progressivement.
Mais le président refuse de se plier aux exigences des opposants et promet des concessions pour gagner du temps : c'est d'abord le 2 février sa non-candidature au renouvellement de son mandat présidentiel en 2013, puis une réforme de la Constitution début mars, et des élections d'ici à un an. Le 20 mars, le président limoge son gouvernement et le 23 mars, il propose un référendum constitutionnel, des élections législatives et présidentielle et son départ avant la fin de 2011.
Pendant cette succession d’annonces, les manifestations de l’opposition continuent. Le gouvernement fait tirer sur les manifestants, faisant parfois de nombreux morts, notamment après la manifestation du 18 mars (52 morts). C'est après cette manifestation que l'état d'urgence est décrété, et que d'importants soutiens du régime passent à la contestation : l'opposition parlementaire, d'importantes tribus, et des généraux de l'armée.
Des affrontements entre loyalistes et rebelles armés ont également lieu, et sont régulièrement réprimés dans le sang. Après le 18 mars, des places sont occupées dans différentes villes. L’opposition est progressivement rejointe par des personnalités importantes, diplomates, militaires, chefs de tribus, dignitaires religieux. En face, le président Saleh multiplie les dépenses, par exemple pour payer des contre-manifestants (160 € la journée, soit plus que le salaire mensuel), au point de faire baisser les réserves de devises du Yémen de cinq milliards de dollars.
Les mois d'avril et de mai sont occupés par la tentative de médiation du conseil de coopération du Golfe soutenue par l'Union européenne et les États-Unis, qui est acceptée par l'opposition. Le dictateur gagne du temps pendant deux mois, puis attaque un de ses opposants fin mai, ce qui menace de déclencher une guerre civile. À la fin du mois de mai, le pays est secoué par de forts affrontement entre forces gouvernementales et tribus armées.
Le 2 juin, le bombardement du palais présidentiel blesse le président Saleh, qui est obligé de quitter le Yémen pour se faire soigner en Arabie saoudite, tandis que le pouvoir du président est disputé entre son fils Ahmad et le vice-président Abd-Rabbo Mansour Hadi. Après le retour du président de sa convalescence, le plan du CCG est finalement ratifié. Les élections anticipées qui suivent voient la victoire du seul candidat en lice, l'ancien vice-président Hadi, pour un mandat intérimaire de deux ans ayant comme priorité la réduction de l'influence d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), qui s'est décuplée pendant le conflit. Depuis, les manifestations visant à rejeter la clause d'immunité de l'ancien président Saleh se poursuivent, afin qu'il soit traduit en justice par les nouvelles autorités.11
La détermination du peuple yéménite lors de la révolution
Le peuple yéménite a démontré une détermination peu commune dans sa volonté de poursuivre sa lutte pacifique pour ses droits. Grâce à son courage, il a pu démontrer au monde entier la manière avec laquelle il défend sa dignité. Son extraordinaire sérénité et patience ont bousculé de nombreux stéréotypes et idées occidentales erronées – et profondément enracinés - sur les arabes et les musulmans.
Le caractère pacifique des protestations populaires a mis en relief, malgré les nombreuses provocations du gouvernement, la ferme résolution des yéménites à récupérer leurs droits civils légitimes sans recourir à la violence ou à des moyens illégaux. Comme l’illustre bien le slogan « salmiya ila nihaya » (« la paix, jusqu’au bout ») une telle attitude est significative à plus d’un titre. Cet aspect d’auto-contrôle collectif est d’autant plus admirable que le Yémen est probablement le pays le plus fortement armé (par habitant) au monde, et les affrontements autour du leader tribal Al Ahmar ne furent rien d’autre qu’une parenthèse dans un cadre bien plus vaste.
Ainsi, le soulèvement yéménite nous apporte une leçon inestimable sur le caractère inexact de préjugés anthropologiques et d’extrapolations sociologiques, qui n’ont aucun fondement empirique, existant chez bon nombre de chercheurs et universitaires occidentaux. Il a également révélé les limites et le manque de rigueur de certains instruments d’analyse, supposément scientifiques, qui prédominent dans de nombreux cercles académiques et autres « think tank » occidentaux.
Le réveil yéménite a démontré que, même dans une terre divisée par le sectarisme religieux, le tribalisme et le régionalisme, les peuples peuvent malgré tout s’unir sur une question commune et qu’ils sont disposés à transcender un sentiment limité d’identité quand ils peuvent s’identifier à un idéal commun. Ainsi, quand un idéal national apparaît clairement défini, ou qu’il semble cohérent pour la majorité, la solidarité tribale se transforme ipso facto en quelque chose dont l’importance devient secondaire. Les différences de clocher ou les sensibilités circonstancielles deviennent plus ou moins indifférentes. Autrement dit, elles ne constituent plus un quelconque obstacle pour la transformation démocratique.
D’autre part, la révolution populaire au Yémen a mis une fois de plus en évidence que l’idéologie meurtrière prônée par Al-Qaïda – et cela à l’extrême opposé de certaines suppositions orientalistes occidentales - n’attirent, ni n’inspirent, absolument pas la majorité des jeunes arabes. Bien au contraire, cette idéologie, à l’exception d’une poignée de suicidaires désespérés, était, et est un culte répugnant aux yeux de l’écrasante majorité. C’est cela qui compte réellement le plus à l’heure d’en finir avec les préjugés et les stéréotypes.
Sans sous-estimer l’importance de certains secteurs de la classe moyenne urbaine éduquée, qui jouent un rôle important dans la lutte pour la démocratie, il faut cependant mettre en évidence la leçon suivante de la révolte populaire au Yémen ; l’absence d’une grande classe moyenne (et la prédominance de la pauvreté) ne constitue absolument pas un obstacle au réveil politique de la population. Plus encore ; si, dans un pays écrasé par la pauvreté comme le Yémen, on constate que les gens ont soif d’exercer leurs droits politique, cela démontre bien que la conscience politique n’est pas une prérogative exclusive d’une classe sociale déterminée.
Depuis plusieurs décennies, le président Saleh a transformé ce qui aurait pu être un modèle de réussite au Moyen Orient en un État quasiment en faillite. Sous son mandat prolongé, le pays est devenu le prototype du « cas perdu » arabe. Cependant, le Yémen n’est pas dépourvu de ressources et ne manque pas de main d’œuvre. À la différences des autres pays du Golfe, il dispose d’autres atouts que le pétrole. La première d’entre elles est son capital humain dans une région, par ailleurs, très peu peuplée. C’est une terre ancestrale, dotée d’une classe commerçante entreprenante, avec un riche patrimoine culturel ; une vieille et prospère diaspora et le pays occupe une position géographique centrale dans une importante zone géostratégique.
Mais, au lieu d’utiliser ces atouts pour construire un État moderne et fonctionnel, Saleh s’est consacré à miner le processus de construction d’une nation dans le seul but de se maintenir au pouvoir. Et pour y parvenir, il n’a pas hésité à dresser les régions les unes contre les autres ; à exploiter cyniquement les tensions sectaires ou à tirer profit du désir des États-Unis et d’autres nations occidentales de combattre les islamistes radicaux en exagérant la menace d’Al-Qaïda au Yémen.
Saleh a fait pire encore en cultivant la corruption à des niveaux inégalés. Pour comprendre l’ampleur du népotisme sous son gouvernement, voici quelques exemples éclairants, bien que partiels : la garde républicaine a, à sa tête, le colonel Ahmed Ali Abdullah Saleh, le fils aîné du président. Le vice-président de l’organisme de sécurité nationale est le colonel Amar Mohamed Abdullah Saleh (un cousin). Le commandant des forces centrales de sécurité est le colonel Yahya Mohamed Abdullah Saleh (un autre cousin), également actionnaire important de la Almas Company for Petroleum Service et d’une compagnie chinoise de câbles électroniques, Huaiwai. Le beau-frère du président, Ali Saleh Al-Ahmar, dirige la force aérienne et est actionnaire de la Hashdi Petroleum Company..
Ce ne sont là que quelques exemples, car la domination des membres de la famille du président s’étend dans tous les domaines. Des hautes charges dans le secteur public à des postes importants dans le secteur privé (compagnies pétrolières, agriculture, télécommunications, etc.), leur avidité n’a pas de limites. Mais le président Saleh n’aurait pu se maintenir aussi longtemps au pouvoir sans l’aide étrangère.
La politique extérieure de l’Arabie Saoudite a rarement été bénéfique pour ses voisins. À l’exception probable du Qatar, les investissements des pays du Conseil de Coopération du Golfe au Yémen ont été pratiquement inexistants jusqu’à peu. L’Arabie Saoudite parle de la nécessité d’un Yémen uni et stable, mais il n’y a pas si longtemps elle faisait pression sur les principales compagnies pétrolières afin de les empêcher d’exploiter le pétrole du pays. L’Arabie Saoudite impose aussi un régime draconien de visas d’entrée aux citoyens yéménites qui souhaitent venir chez elle.
Au lieu de servir de médiateur entre le gouvernement et les rebelles Houthis (rebelles chiites du Nord du pays, ndlt) pendant les récents affrontements armés, l’Arabie Saoudite a préféré soutenir la stratégie catastrophique des Saleh, aggravant ainsi les tensions sectaires et l’instabilité. À cause de l’opposition de la population du Yémen à la Première guerre du Golfe, elle étouffa financièrement le pays pendant des années, empêchant le moindre investissement et expulsant des centaines de milliers de Yéménites en représailles. Les Soudanais, les Palestiniens et les Mauritaniens souffrirent de la même terrible expérience, comme tant d’autres nationalités, arabes ou non.
La dernière chose que souhaite la dynastie au pouvoir en Arabie Saoudite est de voir devant sa porte un peuple arabe capable d’exprimer librement sa volonté au travers de mécanismes démocratiques et d’autodétermination. Il n’y a pas de plus grande menace pour une telle monarchie théocratique, qui se proclame installée par Dieu, que le pouvoir souverain du vox populi.
L’aide que les États-Unis ont fourni dans le domaine de la sécurité au président Saleh a également contribué à son maintien au pouvoir.
Le président Saleh a été utile aux États-Unis en leur offrant une plateforme pour leur guerre contre Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), mais ce soutien avait un prix, et ce prix c’est l’épée à double tranchant utilisée par le régime de Sanaa afin d’écraser ses opposants politiques.
En exagérant la menace d’Al-Qaïda, Saleh a pu utiliser à son profit une aide hypothétiquement fournie pour combattre le terrorisme. Ainsi, il a pu compter sur le soutien étatsunien pour liquider l’insurrection des Houthis, combattre le mouvement sécessionniste dans le Sud et régler des vieux comptes avec des fractions tribales rivales. Cela a, à son tour, contribué à exacerber tous les problèmes d’où découle l’instabilité actuelle.
Les très timides appels adressés par Washington à Saleh afin qu’il démissionne n’ont d’ailleurs jamais eu la même force que ceux utilisés par la Maison Blanche face à ses alliés tels que l’ex-président tunisien Ben Ali ou l’ex-président égyptien Hosni Moubarak après les révoltes populaires en Tunisie et en Égypte.12
Guerre civile yéménite depuis 2014
Une guerre civile oppose depuis 2014 les rebelles chiites Houthis au gouvernement d'Abd Rabbo Mansour Hadi, élu en 2012 à la suite de la révolution yéménite et du départ du président Ali Abdallah Saleh. Le conflit s'est internationalisé en mars 2015 avec l'intervention de nombreux pays musulmans menés par l'Arabie Saoudite.
Il est une des conséquences de l'insurrection houthiste au Yémen débutée au nord-ouest du pays en 2004. Il découle d'une série de mouvements de protestations houthistes contre la fin des subventions sur les produits pétroliers, la corruption et la lenteur d'application des mesures prévues par la conférence de dialogue nationale de 2012. Ce coup d'état s’inscrit plus largement dans un contexte de guerre du Yémen, active depuis 2001.
Débordé en septembre 2014 par le mouvement venu de l'extrême nord du pays, et par certains éléments de l'armée, le président Hadi est contraint à la démission en janvier 2015, lorsque les houthistes s'emparent du palais présidentiel. Il se réfugie en février à Aden, port stratégique du sud du pays, qui plonge dans les violences inter-confessionnelles et les attaques terroristes.13
Un pays plongé dans le chaos des milices
Le 20 mars 2015, quatre kamikazes se sont fait exploser dans deux mosquées bondées de la capitale yéménite, faisant 142 morts et plus de 350 blessés. Cet attentat, visant la population de confession musulmane chiite est revendiqué par le groupe État islamique.
En septembre 2014, les milices Houthis venant du nord du pays, où la population est majoritairement de confession chiite, se sont installées dans la capitale Sanaa. En janvier 2015, elles ont chassé du pouvoir le président Hadi, qui s’est réfugié dans le sud du pays, à Aden, région où des milices sécessionnistes, elles de confession sunnite, cherchent à obtenir la partition du pays.
En plus de ces bandes armées qui s’ajoutent déjà à l’armée officielle, il y a les troupes d’Al-Qaïda en péninsule Arabique (AQPA) qui ont leurs bases dans l’est du pays, et celles du groupe État islamique. Par l’attentat du vendredi 20 mars, celles-ci cherchent à concurrencer AQPA, en attisant les haines entre populations de différentes confessions, chiites et sunnites.
Ces forces, toutes plus réactionnaires les unes que les autres, sont en partie soutenues par les puissances régionales locales qui les financent et contribuent à les armer. L’Arabie saoudite se retrouve derrière le président Hadi et les milices sunnites du sud, l’Iran soutient les Houthis du nord, et les deux luttent contre Al-Qaïda et l’État islamique.
Malgré l’état de décomposition avancée du pouvoir central, révélé encore le 19 mars 2015 par un coup d’État avorté d’une partie des forces spéciales, les grandes puissances continuent d’apporter leur soutien, au moins en paroles, au président Hadi. Mais au même moment les États-Unis viennent de retirer leurs forces spéciales qui étaient encore stationnées au Yémen. Ils préfèrent sûrement attendre de savoir quelles forces émergeront de ce chaos, pour chercher ensuite dans quel sens intervenir et aux côtés de qui, afin de sauvegarder leurs intérêts.
Cette nouvelle guerre civile a de terribles conséquences pour les populations de la région, mais pas seulement. Il faut se rappeler que les attentats du 7 janvier contre le journal Charlie Hebdo à Paris ont été revendiqués par AQPA, qui le même jour tuait 40 personnes à Sanaa dans un attentat contre l’académie de police de la ville.
Les grandes puissances utilisent, forment, financent des forces parmi les plus rétrogrades mais, tôt ou tard, celles-ci échappent à leur contrôle. Le chaos qu’elles ont provoqué est en passe de se généraliser, du Moyen-Orient à la péninsule Arabique et de la Libye à l’Afrique centrale.14
De la révolution confisquée à la guerre américano-saoudienne
À la tête d’une coalition militaire sunnite, le nouveau roi d’Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, s’est lancé dans une opération militaire à haut risque au Yémen.
À l’heure où les USA et l’Iran semblaient parvenir à un accord sur le nucléaire, il voulait ainsi réaffirmer le rôle clef de son pays comme gendarme du monde arabe face à l’Iran, accusé de déstabilisation en Syrie et en Irak, et désormais à sa porte au Yémen, avec la prise de Sanaa par les Houthis et la fuite du président Hadi. Un Yémen qui contrôle le détroit de Bab-el-Mandeb qui mène au canal de Suez, un passage stratégique sur la route des tankers Asie-Europe, gardé par les flottes américaines et la base française de Djibouti. Un Yémen où se développent Al-Qaïda, et maintenant Daesh.
2011, le printemps yéménite
L’opération « Tempête de fermeté » a reçu le soutien de l’impérialisme US, qui ravitaille en vol les avions saoudiens ou égyptiens et organise les frappes de la coalition, mais aussi de la France, à travers notamment le renseignement militaire. Mais la grille de lecture simpliste « sunnites contre chiites » ne doit pas faire oublier que la racine de l’explosion de l’État yéménite plonge surtout dans la manière dont la révolution de 2011 a été confisquée par les élites militaro-tribales qui s’affrontent aujourd’hui pour le pouvoir au Yémen. L’échec d’une transition pilotée par l’axe américano-saoudien.
En 2011, prenant modèle sur les printemps tunisien et égyptien, la jeunesse yéménite s’empare des places de Sanaa, Taez ou Aden. Elle veut « dégager » Saleh, qui monopolise le pouvoir depuis 32 ans, elle dit « non à la corruption, non aux tribus, non aux militaires », et porte à sa tête une femme, Tawakkul Karman, dans un des pays les plus rétrogrades au monde pour les femmes. Mais la révolution yéménite fut aussi une convergence de forces hétérogènes derrière la jeunesse progressiste et démocratique : les forces d’opposition, dont les Frères musulmans, les forces tribales, les Houthis de Saada, les régionalistes du Sud-Yémen, et jusqu’à certains secteurs de l’armée, jetant dans la rue jusqu’à un million de personnes.
Les USA et l’Arabie saoudite essayent d’organiser une « transition pacifique »... qui fit cependant plus de 2 000 morts. Ils s’appuient sur les Frères musulmans de al-Islah et les membres de l’appareil militaire pour négocier la formation d’un gouvernement d’union nationale où les proches de Saleh gardent beaucoup de places, notamment dans l’appareil militaire, source de futurs affrontements.
Pour le peuple, rien n’a changé
En échange de l’impunité et de quelques millions de dollars, Saleh quitte la présidence. Son vice-ministre, Abd Rabo Mansour Hadi, devient président à la suite d’une élection à un candidat, dénoncée par les révolutionnaires. Mais surtout les Houthis au nord et les forces d’opposition indépendantistes du sud sont écartés de ce fragile compromis.
Bien plus fondamentalement, rien ne change pour le peuple yéménite, d’autant que la rente pétrolière s’effondre et que le nouveau régime refuse d’en renégocier les termes, comme le dénoncent les manifestations début 2014 contre Total et la France, qui selon Tawakkul Karman « ne paient le pétrole yéménite qu’à 10 % du prix du marché mondial et ne reversent que 21 % de la somme à l’État ». Profitant de l’arrêt des subventions aux produits pétroliers en septembre 2014, qui alimente la colère sociale contre le nouveau pouvoir de Hadi et des Frères musulmans, les Houthis s’emparent facilement de Sanaa, avec la complicité des unités de l’armée de l’air favorables à l’ancien président Saleh, celui-là même qui les bombardait depuis 2004 !
Les premières victimes des bombardements massifs sont les populations civiles. Contre cette guerre qui oppose différentes fractions du complexe militaro-tribal et qui risque de favoriser le développement d’Al-Qaïda, notre solidarité va à la jeunesse révolutionnaire yéménite et aux associations de la société civile, qui depuis le début refusent un Yémen aux mains des tribus ou des militaires, alliés ou pas, hier ou aujourd’hui, de l’axe Arabie saoudite-USA.15
Pour une gorgée d’or noir
Avions larguant des bombes sur des civils, population exsangue, assiégée et affamée, enfants déchiquetés, routes, ponts, écoles, hôpitaux, zones résidentielles, cimetières, aéroports détruits, patrimoine archéologique dévasté. Non, cette fois, ce n'est pas de la Syrie qu'il s'agit mais d'une nation oubliée, le Yémen.
Depuis le 25 mars 2015, le Yémen est agressé et envahi par l’Arabie saoudite, ce pays ami qui nous livre du pétrole et qui achète nos armes.
D’après l’ONU, en moins de 200 jours de guerre, le régime wahhabite a tué près de 5.000 fois au Yémen dont près de 500 enfants.
Le nombre de victimes civiles de la guerre du Yémen est proportionnellement supérieur au nombre de civils tués dans la guerre de Syrie.
En effet, la moitié des morts sont civils au Yémen pour moins d’un tiers de victimes civiles en Syrie.
Pourtant, personne parmi les humanistes professionnels conspuant Assad n’élève la voix contre le Roi Salmane.
La Syrie s’est vue imposer une guerre par terroristes interposés, une politique d’isolement et de sanctions économiques. En revanche, l’Arabie saoudite reçoit nos salamalecs et nos satisfecits.
"Notre ami le Roi" Salmane ne fait pas que détruire par ses bombes. Il impose un blocus terrestre, maritime et aérien qui selon Médecins Sans Frontières (MSF) tue autant les civils que la guerre. 20 millions de Yéménites risquent en effet de mourir de faim et de soif à cause de la guerre et de l’embargo saoudiens.
On a rarement vu une politique de deux poids deux mesures aussi contrastée entre une Syrie qui déchaîne les passions et un Yémen qui laisse de marbre.
Cette politique de deux poids de mesures ressemble à un match de boxe entre un poids lourd et un poids mouche où le poids lourd peut frapper le poids mouche sous la ceinture mais pas l’inverse.
Le pot de fer contre le pot de terre
L’agression saoudienne contre le Yémen revêt une dimension mythique.
C’est l’histoire du pays arabe le plus riche du monde en guerre contre le pays arabe le plus pauvre du monde.
Une fois encore, nous nous sommes soumis à la loi du plus fort.
Nous avons laissé le Yémen redevenir l’arrière-cour du Roi Salmane alors que cette nation rêvait d’indépendance.
Nous avons détourné le regard quand les hommes de main du Roi Salmane (Al-Qaïda et Daech) ont brûlé l’église Saint-Joseph à Aden et bombardé la mosquée chiite d’Al Moayyad à Jarraf.
Nous n’avons pas versé une seule larme pour les enfants du Yémen brûlés vifs par les bombardiers de notre ami le Roi Salmane.
Le Yémen est un pays si lointain que ses réfugiés ne nous atteignent pas.
Le Yémen est un pays si méprisé que ses complaintes ne nous atteignent pas.
Si Jean de la Fontaine avait été témoin de la guerre du Roi d’Arabie saoudite contre son misérable voisin, il aurait peut-être repris l’extrait suivant de la fable du pot de fer contre le pot de terre :
"Que par son Compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu’il eût lieu de se plaindre".
Le mouvement international pour la paix a laissé faire le pot de fer contre un pays fragile comme un pot de terre.
C’est comme si un pot de fer nous était tombé sur la tête.
Pas de sang pour du pétrole
Il n’y a pas si longtemps, en 1991 et en 2003, les USA ont utilisé le sol saoudien pour mener leur guerre contre l’Irak.
À l’époque, nous étions des millions à crier "Pas de sang pour du pétrole" (No Blood for Oil).
Aujourd’hui, ni l’Empire US, ni l’Arabie saoudite, ni les motifs de la guerre n’ont changé.
Qui plus est, le sang continue de couler pour du pétrole.
Seul le mouvement pour la paix a changé.
Il n’est même plus un mouvement, juste une masse inerte et silencieuse bercée par des illusions comme la "révolution arabe", le "droit d’ingérence" et la "responsabilité de protéger"... à coups de bombes de l’OTAN.
Entre-temps, le peuple du Yémen est victime d’une guerre, une guerre qui ne nous est pas étrangère, une guerre bien saignante à laquelle nos gouvernements ont donné leur feu vert pour une gorgée d’or noir.16
Les terroristes alliés de la France
Le 8 octobre 2016, un raid aérien a bombardé une cérémonie funéraire, dans la ville de Sanaa, au Yémen. On a compté 140 morts et plus de 500 blessés. Les autorités saoudiennes ont commencé par nier l’évidence, pour finir par admettre que c’est bien l’aviation de la coalition arabe qu’elles dirigent qui a commis ce massacre.
C’est un nouvel épisode de la guerre menée par l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe pour rétablir un régime à leur convenance au Yémen. Depuis un an et demi que dure leur intervention, il y aurait eu 10 000 victimes et trois millions de personnes déplacées. L’aviation saoudienne a bombardé des écoles, des infrastructures, des hôpitaux, au point de pousser les organisations humanitaires à quitter le pays. La coalition arabe mène une politique délibérée de terreur contre la population.
Cette guerre est menée avec l’assentiment des puissances occidentales, États-Unis, Grande-Bretagne, France, et avec le matériel qu’elles vendent aux Saoudiens. Il est même plus que probable que l’aviation saoudienne utilise des données fournies par les satellites occidentaux et par les navires américains qui croisent en permanence au large du Yémen.
Ce pays est devenu l’un des multiples théâtres où s’affrontent les deux puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran, soutenant chacune une des factions aux prises au Yémen. Les États-Unis jouent une sorte de double jeu, tentant de se concilier l’Iran sans rompre avec leur allié traditionnel saoudien. Aussi, tout en continuant à être le premier fournisseur d’armes de la monarchie saoudienne, le gouvernement américain a condamné cette énième bavure.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, n’a pas eu de ces pudeurs. Devant un journaliste soulignant qu’il avait l’indignation sélective, condamnant le bombardement d’Alep par les Syriens et tolérant celui de Sanaa par les Saoudiens, le ministre a soutenu le droit de l’allié et excellent client saoudien à bombarder qui il voulait.
Pour Ayrault, raser une ville avec du matériel russe, c’est un génocide. Faire la même chose avec du matériel français, c’est la promesse d’un nouveau contrat.17
Mort de Saleh
Ali Abdallah Saleh, l’ex-dictateur yéménite, a été tué le 4 décembre 2017 peu après avoir rompu son alliance avec les milices houthistes, avec lesquelles il s’était allié contre l’Arabie saoudite en 2015. Cette alliance réunissant deux anciens ennemis était plus que fragile.
Lorsqu’il était au pouvoir, dans les années 2000, Saleh avait mené plusieurs guerres contre les Houthistes, causant une dizaine de milliers de morts et 200 000 déplacés. Le 2 décembre 2017, Saleh avait décidé d’appeler la population de Sanaa, la capitale yéménite, à se soulever contre les Houthistes, offrant par ce retournement ses services à l’Arabie saoudite. La mort de Saleh risque de lui fermer cette porte de sortie, alors qu’elle est enlisée dans cette guerre depuis mars 2015.18
Sources