Le Qatar est un émirat du Moyen-Orient d'une superficie de 11 586 km2, soit un peu moins que la région Île-de-France. Le Qatar est situé sur une petite péninsule s'avançant dans le golfe Persique et reliée à la péninsule Arabique au sud, où elle a une frontière terrestre avec l'Arabie saoudite. Sa capitale est Doha.
Portugais et Ottomans
Malgré un climat aride et difficile, le Qatar a toujours connu une présence humaine durant des milliers d'années. Cette présence est le fait de plusieurs tribus nomades ou sur les côtes avec de petits villages de pêche. Les tribus se sont longtemps combattues pour les terres les plus lucratives, formant et cassant ainsi des coalitions entre elles.
Les Portugais occupent le détroit d'Ormuz, puis Mascate et Bahreïn. En 1517, ils prennent le Qatar et imposent leurs contrôles maritime et commercial dans le Golfe. En 1538, ils sont chassés de la région par les Ottomans, qui dominent le Qatar durant quatre siècles. Les Ottomans n'imposent pas la langue turque aux habitants, cette langue restant le seul apanage de l'administration. Au cours du XVIIe siècle, le pays est marqué par de violentes rivalités entre les tribus désirant contrôler le territoire. Les conflits entre tribus se poursuivent jusqu'au début du XIXe siècle, quand les Britanniques décident d’intervenir.
Protectorat britannique
Les Britanniques considèrent tout d'abord le Qatar et le golfe Persique comme une position intermédiaire stratégique pour leurs intérêts coloniaux en Inde, mais la découverte de pétrole et d'hydrocarbures cent ans plus tard change cette vision.
Pendant le XIXe siècle, période de développement des entreprises britanniques, la famille Al Khalifa règne sur la péninsule qatarienne et l'île de Bahreïn. Bien que le Qatar soit une possession légale, des contestations naissent, le long du littoral oriental dans les villages de pêche de Doha et d'Al Wakrah, envers la domination des Bahreïniens Al Khalifa.
En 1867, les Al Khalifa lancent une offensive massive contre les rebelles qatariens en envoyant une force navale à Wakrah. Malgré le succès de l'opération, l'agression bahreïnie viole un traité de 1820 entre le Royaume-Uni et les Bahreïniens. La réponse diplomatique britannique ne se fait pas attendre, le colonel Lewis Pelly, responsable du protectorat, commence des pourparlers avec un responsable du Qatar. Ces pourparlers aboutissent à une séparation tacite du statut du Qatar d'avec celui de Bahreïn. L'homme choisi pour négocier avec le colonel Pelly est un entrepreneur respecté et un résidant de longue date de Doha : Muhammed Ben Thani. La famille Al Thani a jusqu'alors été relativement inactive dans la politique du Golfe, mais cet événement lui assure l'ascendant sur le Qatar en tant que famille régnante, une dynastie toujours en place à ce jour.1
Pétrole
En 1935, une concession d'une durée de 75 ans est accordée à la Compagnie Pétrolière du Qatar, filiale de la Compagnie Pétrolière d'Irak, détenue par des intérêts Anglo-Néerlandais, Français et des États-Unis. Du pétrole de haute qualité est découvert en 1940 à Dukhan sur la côte ouest de la péninsule Qatarie. L'exploitation en est retardée par la Seconde Guerre mondiale, et l'exportation de pétrole ne commence qu'en 1949.
Durant les années 1950 et 1960, l'accroissement graduel des revenus du pétrole apporte la prospérité, une immigration rapide, de substantiels progrès sociaux, et marque le commencement de l'histoire moderne du Qatar.2
Le Qatar indépendant
La Seconde Guerre mondiale remet en cause l'emprise des Britanniques sur leur Empire, particulièrement quand l'Inde devient indépendante en 1947. L'incitation à un retrait semblable des émirats du Golfe s’accélère pendant les années 1950, et les Britanniques accueillent bien la déclaration d'indépendance du Koweït en 1961.
Sept ans plus tard, ils annoncent officiellement qu’ils se désengagent (politiquement, mais pas économiquement) du Golfe dans un délai de trois ans. Le Qatar, Bahreïn et sept autres États forment une fédération. Néanmoins, des conflits régionaux amènent le Qatar à déclarer son indépendance vis-à-vis de la coalition qui devient les Émirats arabes unis. 1971 marque la naissance du Qatar comme État souverain, qui devient membre de l'Organisation des Nations unies.3
En 1988, le Qatar établit des relations diplomatiques avec l'Union soviétique et la République populaire de Chine. Il est l'un des premiers membres de l'OPEP, et l'un des membres fondateurs du Conseil de Coopération du Golfe. Les revenus du pétrole et du gaz naturel permettent au Qatar d'atteindre un des plus hauts revenus per capita dans le monde.4
De 1995 à 2013, le Qatar est dirigé par l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani, qui a pris les commandes du pays en renversant son père Khalifa bin Hamad Al Thani, alors que celui-ci était en vacances en Suisse (il vit en exil en France puis en Italie jusqu’en 2004, date de son retour au Qatar).
Sous l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani, le Qatar enregistre de nombreuses réformes sociales (droits des femmes) et politiques ; le nouvel émir apparaît comme beaucoup plus libéral que son père. Il dote aussi le pays d'une nouvelle constitution, et il crée Al-Jazira, la CNN arabe, qui est pour beaucoup dans la notoriété du pays.
En 2004, un attentat tue le président tchétchène, exilé au Qatar. En 2005, un attentat-suicide visant un petit théâtre à Doha tue un ressortissant britannique, professeur d'anglais et de théâtre. Cet événement choque le pays, qui n'avait jamais auparavant connu d’acte terroriste.
En 2009, les autorités qataries refusent d'arrêter le président soudanais Omar el-Béchir, en visite officielle dans le pays, malgré un mandat d'arrêt émis à son encontre par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et génocide.
Le 2 décembre 2010, le Qatar est désigné pour organiser la Coupe du monde de football 2022, et, le 27 janvier 2011, il est désigné pour organiser le Championnat du monde de handball masculin 2015.
Politique intérieure
Le gouvernement qatarien garde un certain nombre de restrictions sur la liberté d'expression et les mouvements pour l'égalité.
La famille souveraine Al Thani continue à détenir seule le pouvoir à la suite de la déclaration d'indépendance du pays en 1971. L'émir, qui est le chef de l'État, gère le Qatar en s'appuyant sur sa famille.
En 1970, la base des lois du Qatar institutionnalise les coutumes locales enracinées dans l'héritage conservateur wahhabite (son influence a diminué aujourd'hui) du Qatar, conférant à l'émir un très grand pouvoir. Le maintien des traditions de consultation, gérées par consensus, et du droit du citoyen de faire appel personnellement à l'émir, influencent le rôle de l'émir. L'émir, tandis qu'il n'est soumis à aucun individu, ne peut violer la charia (la loi islamique) et, en pratique, doit prendre en compte les opinions des dirigeants notables et de l'autorité religieuse. Le Conseil consultatif, un groupe aux membres désignés qui assiste l'émir dans l'élaboration de nouvelles politiques, institutionnalise la position de ces genres de groupes d'influences. Aucun parti politique n'existe dans le pays.
En février 1972, le Premier ministre, Khalifa bin Hamad Al Thani, destitue son cousin, l'émir Ahmad ben Ali Al Thani, et assume tous les pouvoirs. Les membres importants de la famille Al-Thani soutiennent sa décision, exécutée sans aucune violence ni signe d'agitation politique.
Le 27 juin 1995, le Premier ministre, Hamad bin Khalifa Al Thani, destitue son père, l'émir Khalifa, sans violence, et s’est fixé pour objectif la visibilité du Qatar sur la scène régionale et, autant que possible, internationale. L'émir Hamad et son père se réconcilient en 1996, mais le souverain renversé ne revient au pays qu'en 2004 après avoir séjourné en France puis en Italie. La liberté de la presse s'est étendue, et la station de télévision Al Jazeera située au Qatar, a acquis une réputation unique en tant que source libre et non-censurée de l'information dans les pays arabes. En 1999, les premières élections pour un Conseil communal sont organisées, candidature pour tous les adultes, femmes comprises, et en avril 2003 le pays se dote d'une constitution, dont la rédaction a duré quatre ans. Sa principale nouveauté : l'institution d'un "Majlis Al-Choura" (conseil consultatif) dont trente des quarante-cinq membres seront élus au suffrage universel direct, les quinze autres étant nommés par l'émir (article 77). La première élection de ce Parlement a eu lieu en 2004. La nouvelle Constitution n'autorise pas pour autant la formation de partis politiques. L'un des articles les plus novateurs est celui qui garantit la liberté de culte, sans la restreindre aux religions monothéistes dites « du Livre ». Lors de la guerre contre l'Irak le pays a servi de base à l’état-major américain (commandement central américain de Tampa, Floride (« Centcom ») responsable des opérations de guerre en Irak).
Le 11 décembre 2002, est signé, avec les États-Unis, un accord de coopération militaire relatif à l’utilisation de la base aérienne d’Al-Eideïd par les forces américaines. En 2011, le Qatar a envoyé ses avions Mirage combattre les forces libyennes du colonel Kadhafi aux côtés des troupes occidentales, il a quitté le terrain de la médiation pour celui de l'action.
Après avoir progressivement préparé sa succession pendant deux ans en l’impliquant dans les dossiers les plus importants, l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani, de santé fragile, abdique le 25 juin 2013 en faveur de son fils Tamim ben Hamad Al Thani qui devient, à 33 ans, le plus jeune chef d'État du monde arabe.
Droits de l'homme
La situation des droits de l'homme au Qatar est une préoccupation importante de plusieurs organisations non gouvernementales, bien que des améliorations significatives aient été enregistrées depuis que Sheikh Hamad s'est emparé du pouvoir, au milieu des années 1990. Sous son gouvernement, l'émirat a connu une période de rapide libéralisation et de modernisation, tout en conservant néanmoins son identité islamique. Entre autres choses, le Qatar est connu pour être le premier pays des États arabes du golfe Persique à donner aux femmes le droit de vote. La possibilité pour les femmes d'occuper des postes qualifiés s'est également accrue, y compris celle de briguer et de tenir des mandats électifs.
Cependant, la situation de la très nombreuse population de travailleurs migrants est très préoccupante. Selon Human Rights Watch, en juin 2012, des centaines de milliers de travailleurs migrants, pour la plupart en provenance d'Asie du Sud et employés au Qatar sur des chantiers de construction, courent le risque d'une grave exploitation et de maltraitance, au point que l'on peut parfois parler de travaux forcés ou d'esclavage. Les fortes réactions suscitées dans le monde par les morts sur les chantiers de la Coupe du monde de football de 2022 et la crainte que les conditions de travail sur ces chantiers n'occasionnent la mort de plus de 4 000 travailleurs étrangers avant même le début de la Coupe du monde ont amené le gouvernement du Qatar à promettre une nouvelle législation qui abolirait le système de « parrainage », le kafala, au cœur des problèmes constatés.
La liberté d'expression a subi une atteinte grave avec la condamnation à la prison à vie du poète qatarien Mohammed al-Ajami du fait des critiques qu'il avait formulées contre le gouvernement du Qatar lors de la Conférence de Doha, en 2012. Une certaine liberté de culte est admise en faveur des travailleurs étrangers et des touristes, à condition que la pratique de leur religion reste discrète et s'abstienne de tout signe extérieur lié à cette religion.
Dans le domaine de la vie privée, la charia interdisant toute relation sexuelle hors mariage, les relations extraconjugales sont interdites, et l'homosexualité peut être punie de mort au Qatar.
Accusations de financement de l'extrémisme islamiste
Selon deux articles, l'un paru dans le Daily Telegraph en septembre 2014, et l'autre dans Le Monde le 17 novembre 2015 (ce dernier étant un point de vue écrit par les historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi), le Qatar serait, avec l'Arabie saoudite et la Turquie, l'une des principales sources financières et militaires de l'extrémisme islamiste.
Le 4 mars 2014, David Cohen, sous-secrétaire américain au Trésor, chargé du combat contre le financement du terrorisme, a révélé que le Qatar, pourtant un allié américain de longue date, finance depuis de nombreuses années le Hamas.
Le 8 mars 2014, Nouri al-Maliki, ancien Premier ministre irakien, a accusé l'Arabie saoudite et le Qatar de fournir un soutien politique, financier et médiatique aux groupes d'insurgés comme Daesh, Front al-Nosra, Al-Qaïda, etc., allant même jusqu'à « acheter des armes au bénéfice de ces organisations terroristes » pour conclure en droit international que : « Ils attaquent l'Irak, via la Syrie, et de manière directe, et ils ont déclaré la guerre à l'Irak ».
Le 8 octobre 2012, Yves Bonnet, ancien patron de la DST a affirmé : « On n'ose pas parler de l'Arabie saoudite et du Qatar, mais il faudrait peut-être aussi que ces braves gens cessent d'alimenter de leurs fonds un certain nombre d'actions préoccupantes [...] Il va falloir un jour ouvrir le dossier du Qatar, car, là, il y a un vrai problème. Et je me fiche des résultats du Paris-Saint-Germain. »
Selon un article paru dans La Pravda (organe proche du pouvoir) en novembre 2015, le président russe Vladimir Poutine n’exclurait pas de recourir à une intervention militaire contre l'Arabie saoudite et le Qatar qu’il accuse de servir de base arrière pour les groupes islamistes armés dont ils financent les activités. Pour la Russie, l’Arabie Saoudite et le Qatar représentent une menace pour sa sécurité et seules des frappes directes contre ces groupes dans ces deux monarchies du Golfe pourraient stopper la déferlante de Daech et des autres mouvements terroristes de même obédience. Aussi, la Russie s’acheminerait vers un élargissement du champ d’action de son armée de l’air en visant la matrice même du terrorisme islamiste, au cœur des deux pays qui en sont les principaux bailleurs de fonds depuis les années 1980. Si aucun lien direct n’est prouvé entre les régimes saoudien et qatari avec Daech, les experts s’accordent à dire que des institutions « indépendantes » dans ces deux richissimes monarchies du Golfe concourent, depuis plusieurs années déjà, au renforcement des groupes islamistes armés en Irak, en Syrie, en Libye et dans la région Sahel. La décision de mener des frappes aériennes hors de Syrie serait intervenue, selon le quotidien russe, ensuite d'un énième attentat qui a ciblé un avion civil battant pavillon russe en Égypte. Et ce, en application de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui considère comme « droit naturel » la « légitime défense ».
Par ailleurs, selon le Times of Israël, le FC Barcelone serait décidé à désolidariser son image de celle du Qatar, à effet de restaurer son maillot vierge de tout sponsor.5
Mourir au travail
On a souvent les amis qu’on mérite. François Hollande semble avoir choisi les siens. Le 17 octobre 2013, le président de la République a mis les insignes d’un Commandeur de la Légion d’Honneur à l’ancien ambassadeur de l’émirat du Qatar à Paris, Mohamed Jaham Al-Kuwari, avant que ce dernier ne parte pour une nouvelle affectation à Washington. La cérémonie a lieu en petit comité, en présence du PDG de Total, Christophe de Margerie, mais aussi de deux anciens ministres, Jack Lang (PS) et Renaud Donnedieu de Vabres (UMP). Au moment même où du monde entier, des regards interrogateurs étaient tournés vers cette monarchie du Golfe arabo-persique. De nombreuses voix se posant la question de savoir si les autorités internationales du football avaient vraiment bien fait d’attribuer l’organisation de la Coupe de monde 2022 à l’émirat.
Cela pour plusieurs raisons. La FIFA, instance mondiale du football, s’inquiète de savoir si un événement sportif peut vraiment être organisé dans un pays où, en été, les températures peuvent atteindre ou dépasser les 50° C... Certains protagonistes ont donc proposé de changer la date du mondial et de l’organiser pour la première fois pendant l’hiver. Donc, hors période des grandes vacances dans beaucoup de pays, comme objectent d’autres.
Immigration, exploitation
Les fonctionnaires du sport auraient mieux fait de se poser une question autrement plus existentielle pour des millions de personnes… qui risquent tout simplement de mourir d’ici 2022. Des experts de la Confédération syndicale internationale (CSI), venus enquêter au Qatar au début du mois d’octobre 2013, ont pronostiqué que 4 000 travailleurs immigrés perdraient leur vie d’ici l’ouverture de la Coupe du monde, si le taux de mortalité alors observé perdurait au même niveau. Il est dû au travail en plein désert, sous un soleil de plomb, onze heures par jour et six jours par semaine. La loi qatarie prévoit officiellement une pause quotidienne de 11h30 jusqu’à 15 heures afin d’éviter les plus grandes chaleurs… mais elle n’est tout simplement pas respectée.
Les travailleurs meurent donc de déshydratation, d’hyperthermie, d’épuisement et/ou d’arrêt cardiaque, alors qu’ils ne sont souvent âgés que d’une vingtaine d’années. Le 26 septembre 2013, le journal britannique The Guardian a publié une enquête concluant que le Qatar était un État pratiquant l’esclavagisme. Ainsi, du 4 juin au 8 août, pas moins de 44 ouvriers népalais sont morts sur les chantiers de construction mis en place pour la construction des sites de la coupe du monde.
Officiellement, les conditions de travail sur les chantiers ne sont pas si mauvaises que ça… pour les salariés directement recrutés par les principales firmes. Or, comme souvent, c’est chez les sous-traitants que se cachent les pires conditions d’exploitation. Par ailleurs, le royaume possède très peu d’inspecteurs du travail (les contrôles sont donc quasiment absents), et chaque salarié a besoin d’un « tuteur légal » pour entrer au pays, auquel il est soumis dans un rapport interpersonnel de type féodal. Sans son accord, le travailleur ne peut pas quitter le pays, et souvent les « tuteurs » confisquent les passeports. Aucune protestation contre des conditions souvent proches de l’esclavage n’est ainsi possible...6
Le gaz, les dollars et les USA
Le Moyen Âge à l'heure de la mondialisation financière
Le Qatar, ce n'est pas que le PSG ou les fantasmes sur le financement des islamistes dans les banlieues. Presqu'île de 11 000 m2, ce micro État féodal, troisième producteur mondial de gaz est une puissance financière de 50 milliards de dollars par an...
Il est sous la domination autocratique d'un émir rentier à la tête d'un État rentier où vivent moins de 2 millions de personnes, dont la grande majorité sont des étrangers, travailleurs immigrés, esclaves des temps modernes. Il y règne un wahhabisme plus soft qu'en Arabie saoudite, et les femmes y ont plus de liberté. La rente permet d'intégrer les 200 000 Qataris au système et de maintenir une certaine stabilité sociale qui fait que l'émirat est resté hors du Printemps arabe, tout en y jouant un rôle de premier plan par l’intermédiaire de sa chaîne officielle, Al Jazeera, chaîne satellitaire panarabe.
La politique de l'émirat est déterminée par la contradiction d'une énorme puissance financière entre les mains d'un émir à la tête d'une nation qui n'a pas de réalité mais qui utilise sa force de frappe financière pour jouer un rôle. Cette contradiction s'exprime dans une diplomatie financière au service d'un étrange jeu d'intermédiaire entre les États-Unis et les Frères musulmans, une diplomatie qui ne craint pas le double langage...
Instrument des USA
Le Qatar a conquis cette position en moins de vingt ans sous la férule de l'émir Cheikh Hamad arrivé au pouvoir par un coup de force de palais en 1995. Alors pétromonarchie insignifiante, le Qatar s'est engagé dans une course effrénée vers le développement grâce à ses gigantesques réserves de gaz qui feront de lui, en 18 ans, un acteur fragile mais majeur dans les jeux de rapports de forces régionaux et internationaux, devenant un instrument de la politique des USA. Il est le siège d'une des principales bases militaires américaines.
Deux dates vont marquer cette évolution, le 11 septembre 2001 et les révolutions arabes. Après le 11 septembre, les USA commencent à chercher des alliés contre Al-Qaïda dans le monde arabe, puis les révolutions arabes mettront les Frères musulmans au premier plan.
En juin 2013, Hamad a abdiqué en faveur de son fils Tamim, héritier du trône, une passation de pouvoir pacifique qui ne changera rien.
Les difficultés viendront du développement des révolutions elles-mêmes. La défaite des Frères musulmans en Égypte et la continuation de la révolution met la politique du Qatar en grande difficulté. Il lui sera difficile de continuer à jouer un rôle dans le processus de transition dite démocratique voulu par les Américains dont il s'était fait le relais. Et Il n'est pas sûr que la Coupe du monde de football qui s'y déroulera en 2022 soit le couronnement attendu de la réussite de l'émirat.
En novembre 2012, la condamnation du poète qatari Mohammed Al-Ajami, alias Ibn Al-Dhib, à la prison à vie pour avoir critiqué l’émir, fait l’éloge du Printemps arabe, et incité au renversement du régime, manifestation de l'arbitraire autocratique, ne pourra suffire à inverser le cours des choses...
France-Qatar, un match gagnant-gagnant
Le roi a démissionné, vive le roi ! Le président de la République française a perdu les élections, le nouveau proclame : vive la continuité de l’État ! Ainsi pourraient se résumer les relations officielles entre la France et le Qatar. Et le soir du premier jour de sa visite officielle, les 22 et 23 juin 2013, François Hollande dînait avec l’émir et son successeur désigné, père et fils. Les relations bilatérales ne devraient souffrir d’aucune rupture.
La forte proximité affichée par la monarchie pétrolière avec la présidence Sarkozy avait, en retour, suscité quelques interrogations sur l’orientation du PS vis-à-vis de ce pays. Or, en 2011, le Qatar a su faire un geste « délicat » en investissant 17 millions d’euros dans le sauvetage de l’entreprise Le Tanneur, qui, avec ses 300 salariés, est l’une des plus grosses de la Corrèze (la circonscription de Hollande).
Par ailleurs, le 3 février 2012, le conseiller de François Hollande – et futur ministre des Affaires étrangères – Laurent Fabius se rendit à Doha pour totalement déminer le terrain. Une fois le candidat du PS élu président, la reprise des visites officielles n’allait d’ailleurs pas tarder. Le 7 juin 2012, le Premier ministre qatari, Jassim al-Thani, fut reçu à l’Élysée. À sa suite, l’émir Hamad vint à l’Élysée le 22 août 2012, officiellement pour parler du conflit syrien.
Investissements croisés
Sous Sarkozy, la France y est devenue le deuxième investisseur. En 2013, elle était le premier fournisseur de ses forces armées et voulait renforcer cette position en lui vendant le Rafale de Dassault, qui se trouvait alors en concurrence avec l’avion de combat Eurofighter produit (entre autres) par le groupe britannique BAE.
Le gouvernement et le patronat français s’attendent par ailleurs à de grandes opportunités d’investissement — et de bénéfices — en vue de la Coupe de monde de football. Si François Hollande était accompagné de cinq ministres lors de son voyage à Doha, il l’était aussi d’une quarantaine de patrons, et son séjour s’est clos par une réunion du « forum d’hommes d'affaires franco-qataris » qui sera désormais annuelle.
Le Qatar a investi 12 milliards d’euros dans l’hexagone entre 2008 et 2013, et s’apprêterait à y investir encore 10 autres milliards. Il est actionnaire de Total à hauteur de 4,8 %, de Vinci (7 %), de Lagardère (12 %) ou encore de Veolia environnement (5 %) ou de Vivendi (3 %). Mais il ne s’agit là que d’un mécanisme classique, analysé dès les année 1970 sous le terme de « recyclage de pétrodollars » : alors que les recettes des hydrocarbures ont apporté une certaine richesses aux élites de quelques pays jusqu’ici « sous-développés », celles-ci n’utilisent pas ces fonds pour libérer leurs pays de la mainmise des anciennes puissances coloniales, mais les réinjectent dans l’économie des pays impérialistes.
Les investissements qataris en France sont très largement exonérés d’impôts, grâce à une convention fiscale négociée sous Sarkozy. Ainsi, les résidents qataris y sont exonérés de l’ISF, et les plus-values immobilières ou encore les gains en capital réalisés en France sont aussi exonérés d’imposition...
Une diplomatie garante de l'ordre
Le Qatar fait tout pour devenir un acteur international de premier plan, grâce à une utilisation calculée de ses recettes pétrolières. Les événements sportifs de portée mondiale devraient fortement y contribuer...
Ainsi le pays organisera la Coupe du monde de football, en 2022, ce qui nécessitera de gigantesques investissements. Après avoir été candidat malheureux à l’organisation des jeux Olympiques de 2016 puis de 2020, le Qatar était par ailleurs candidat à l’organisation de ceux de 2024.
Soutien aux « Frères »
Dans le contexte des révoltes du Printemps arabe, le Qatar a surtout soutenu les partis et mouvements lié à l’internationale des Frères musulmans : l’organisation du même nom en Égypte, le parti Ennahdha en Tunisie, ou encore le PJD au Maroc.
Dans le cas égyptien, il était même leur principal appui. L’Arabie Saoudite, à laquelle se réfèrent aussi de nombreux mouvements islamistes comme « modèle », méprise en effet les Frères : ce mouvement a beau défendre des positions idéologiques réactionnaires, il est aussi anti-monarchique, et perçu par les wahhabites saoudiens comme un rival sérieux pour la direction idéologique des forces islamistes dans la région. Ainsi, l’Arabie Saoudite soutient plutôt les salafistes en tant que concurrents politiques des « Frères ».
Le Qatar est resté leur soutien, mais navigue prudemment depuis le renversement de Mohamed Morsi. Alors que l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont très vite promis plusieurs milliards de dollars d’ « aide » financière à l’Égypte, le Qatar n’a pas promis un nouveau soutien financier. Néanmoins, la monarchie a déclaré « continuer de soutenir l’Égypte », et a maintenu le programme financier annoncé le 10 avril 2013 (rachat d’obligations d’État égyptiennes pour trois milliards plus cinq milliards d’assistance financière).
Faire disparaître le Printemps arabe
Dans d’autres pays, en revanche, le Qatar a ouvertement soutenu des forces salafistes ou djihadistes armées. C’était le cas au Nord du Mali, où le Qatar est directement intervenu sous couverture « humanitaire » — à travers son Croissant-Rouge — en soutenant des forces djihadistes. Les services de renseignement français ont multiplié en 2012 les rapports alarmistes sur le rôle du Qatar au Mali. Lors d’une visite du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian à Doha les 9 et 10 février 2013, ces divergences ont été abordées et apparemment aplanies...
Le Qatar soutient aussi des forces djihadistes en Syrie, où il cherche à contribuer à la transformation de la révolte anti-dictatoriale en guerre confessionnelle (les sunnites contre la minorité alaouite au pouvoir).
Comme toutes les monarchies du Golfe, le Qatar vise avant tout à faire disparaître l’impulsion démocratique et sociale, née des révoltes dans le monde arabe depuis 2011, et à la remplacer par une mobilisation autour des forces islamistes. En même temps, le Qatar joue un rôle officiel dans le soutien international aux oppositions syriennes, ayant par exemple hébergé la réunion des onze pays « amis de la Syrie » à Doha le 22 juin 2013.
Al Jazeera, un paradoxe confronté aux révolutions
Paradoxal... Le Qatar possède depuis une quinzaine d’années une carte de visite attrayante, dirigée vers l’extérieur, la chaîne Al Jazeera qui avait innové dans le paysage médiatique arabe par la liberté des débats qui pouvaient y être menés.
Au cours des changements liés au Printemps arabe, la chaîne a, la plupart du temps, accompagné les forces islamistes liées aux Frères musulmans. La situation se retourne aujourd'hui avec une baisse considérable de l’audience de la chaîne, puisqu’une partie grandissante du public est en désaccord avec ce qui est vu désormais comme une « propagande ». Ainsi, le parti islamiste tunisien Ennahdha, qui dénonçait dans un communiqué virulent du 18 avril 2013 une « campagne de dénigrement contre le Qatar », a cité en modèle positif « le rôle de la chaîne Al Jazeera » en Tunisie.
Audience en berne
Début mars 2013, on apprit par le site d’information marocain lakome.com que l’audience d’Al Jazeera avait fortement baissé, passant par exemple en Tunisie de 950 000 spectateurs et spectatrices (en janvier 2012) à 200 000 (en décembre). Une baisse était aussi enregistrée en Libye et en Égypte, dans une moindre mesure également au Maroc.
À côté de l’orientation de l’information diffusée par Al Jazeera, le site marocain citait aussi comme motif de cette baisse l’émergence de nouvelles chaînes locales privées, comme ON-TV en Égypte. La censure diminuant, ces nouveaux médias locaux pouvaient désormais afficher une liberté de ton inconnue auparavant dans les chaînes nationales.
Derrière le mythe, la surexploitation
Derrière les façades rutilantes, l'envers du décor, les conditions de travail et de vie réservées aux travailleurs et travailleuses immigréEs est bien moins présentable. C’est en fait lui qui occupe bien plus de place que le décor officiel.
Le pays a une population globale d’environ 1,9 million d’habitantEs. Mais seulement 200 000 à 250 000 personnes sont comptées comme des Qataris, possédant la nationalité du pays. Près de 90 % de la population active sont considérés comme « des étrangers ». Originaires notamment d’Asie du Sud (Pakistan, Inde, Bangladesh, Népal, Sri Lanka) et d’Asie du Sud-Est (surtout des Philippines) et dans une moindre mesure de pays arabes plus pauvres, ces immigréEs n’ont strictement aucune chance d’acquérir un jour la nationalité qatarie.
Pour travailler dans le richissime pays du Golfe arabo-persique, ils doivent d’ailleurs avoir un « garant » qatari, titulaire d’une carte nationale d’identité et qui se porte caution pour le migrant. Cela crée un rapport de dépendance étroit vis-à-vis de la personne du « garant » ou « parrain ». Afin d’être sûr de récupérer ses dépenses éventuelles, ou tout simplement pour profiter un maximum des migrantEs, ces Qataris confisquent la plupart du temps le passeport de la personne ainsi placée sous leur tutelle, privant cette dernière de toute liberté de mouvement, mais aussi de la possibilité de quitter le pays.
Rapport de dépendance
Une enquête de la presse locale a confirmé que, selon 88 % des migrantEs interrogés, les passeports étaient ainsi systématiquement retenus. Ce qui peut créer les conditions d’une situation de quasi-esclavage ou d’une sorte de servage, surtout dans le secteur du travail domestique où les dangers sont encore renforcés. Une telle situation pouvant s’accompagner du risque de mauvais traitements infligés à la personne placée en situation de dépendance.
Dans un rapport publié le 12 juin 2012, l’organisation Human Rights Watch a ainsi réclamé un changement de la législation sur « les parrainages ». Un footballeur français, Zahir Belounis, a d’ailleurs lui aussi été victime de ces pratiques. Recruté par un club au Qatar, il s’est trouvé retenu comme un prisonnier, son passeport étant confisqué, et son employeur lui faisant du chantage : il n’était prêt à lui restituer son passeport que s’il retirait une plainte qui faisait suite à un différend financier... Si un sportif français de niveau international devient la victime de telles pratiques, à quoi faut-il s’attendre pour les ressortissants « anonymes » de pays plus pauvres ?
Les salariéEs immigréEs travaillent dans des secteurs bien déterminés, dont le bâtiment (506 000 selon un rapport de juillet 2012), les services à la personne à domicile (dont 132 000 employées de maison féminines), et le petit commerce. Et cela alors que les « nationaux » sont la plupart du temps embauchés dans le secteur financier ou encore dans des structures publiques. La perspective de voir le Qatar organiser la Coupe du monde de football en 2022 devrait conduire, selon un site syndicaliste allemand, au recrutement d’un million de travailleurs migrants supplémentaires.
La loi qatarie permet de s’organiser dans un syndicat (affilié à la General Union of Workers of Qatar) dans une entreprise employant au moins 100 Qataris... Mais toutes les personnes de nationalité étrangère sont exclues de ce droit.7
Les esclavagistes des temps modernes
Une organisation humanitaire a déposé plainte contre le groupe du BTP français Vinci et sa filiale QDVC (Qatari Diar Vinci Construction) pour travail forcé et réduction en servitude. Car, sur les chantiers où se construisent les futurs stades et autres infrastructures ultramodernes de la Coupe du monde de 2022, les multinationales du BTP savent recourir aux méthodes d’oppression éprouvées.
Les grandes multinationales du BTP attendent d’énormes bénéfices des milliards de dollars d’investissements pour la Coupe du monde de football dans ce richissime émirat gazier de la péninsule Arabique.
Mais les profits, comme les stades de football, ne tombent pas du ciel par miracle. Ces groupes ont dû aller chercher de la main-d’œuvre à l’étranger, en Inde, au Pakistan ou au Népal. En 2012, plus d’un million de travailleurs immigrés travailleraient sur les chantiers. Et ce chiffre pourrait monter jusqu’à 2,5 millions d’ici à 2022.
Les ouvriers travaillent au minimum dix heures par jour, sans compter le temps de transport qui peut être de deux heures. Le seul jour de repos officiel est le vendredi… quand il est respecté. Et, même si le travail est censé s’arrêter aux heures les plus chaudes de la journée, des centaines d’ouvriers sont déjà morts victimes de crise cardiaque à cause de l’effort et de la chaleur.
Le salaire de base est officiellement de moins de 180 euros par mois. Mais, pour empêcher des travailleurs d’aller se faire embaucher sur un chantier concurrent pour un salaire plus élevé, les groupes du BTP confisquent les passeports des ouvriers. Et ils s’appuient sur le régime traditionnel dit du kafala ou tutorat, qui lie un employé à son patron et l’oblige à avoir le consentement de ce dernier pour quitter un emploi.
La directrice de l’ONG Sherpa, qui a porté plainte pour travail forcé chez QDVC, affirme que Vinci ne « respecte même pas les lois sociales locales, pourtant assez peu protectrices pour les travailleurs ». Elle dénonce aussi la complicité du gouvernement français, qui a « pris la décision de protéger les multinationales (…) pour qu’elles conservent un avantage compétitif sur leurs concurrents internationaux ». En réponse à ces accusations, le directeur de la filiale qatarie de Vinci s’est justifié en déclarant : « Nous gardions les passeports des ouvriers étrangers pour des raisons de sécurité, (…) pour éviter que les ouvriers ne se fassent voler leurs papiers. »
Pour la bourgeoisie, la seule loi qui vaille est celle de la jungle des profits. Et, quand elle fait des affaires dans un pays aux lois moyenâgeuses, elle n’a aucun scrupule à les utiliser.8
Hollande ou la diplomatie des affaires et de la guerre
« Canons à vendre », l’apostrophe de Boris Vian dans sa chanson Le petit commerce va comme un gant à François Hollande parti début mai 2015, en bon voyageur de commerce à l’échine souple, marchander sa diplomatie contre des contrats du Qatar à Cuba en passant par l’Arabie saoudite et les dernières colonies de la France aux Antilles...
Les affaires...
Doha, la capitale du Qatar, a été la première étape du périple pour assister à la signature du contrat de vente de 24 Rafale. Ce contrat de 6,3 milliards d’euros portait à 80 le nombre de Rafale vendus depuis le début de l’année. Hollande a, au passage, souligné les motivations de la diplomatie française au Moyen-Orient : « Si nous sommes présents ici au Qatar (...) c’est d’abord parce qu’il y a une longue tradition, et ensuite parce que la France est regardée comme un pays fiable, à qui il est possible de donner sa confiance pour un pays partenaire. Et c’est cette constance, cette fiabilité, cette crédibilité qui nous permet d’avoir maintenant, avec nos partenaires – aujourd’hui le Qatar, hier d’autres pays, l’Égypte, l’Inde, demain d’autres pays encore – une confiance qui se traduit par un contrat important pour le Rafale. » Dans la foulée, d’autres contrats suivront sur la formation de 36 pilotes et d’une centaine de mécaniciens ou l’instruction d’officiers de renseignement... Avec aussi des contreparties favorables au Qatar, en particulier « pour l’attribution de lignes aériennes ».
D’autres contrats sont attendus avec l’Arabie saoudite, où Hollande était invité pour participer au sommet des six pays du Conseil de coopération de Golfe rassemblant les dirigeants arabes sunnites des pétromonarchies, Arabie saoudite, Qatar, Oman, Koweït, Emirats arabes unis et Bahreïn. Ces alliés traditionnels des USA sont alors en froid avec leur maître. Ils craignent un changement de politique de sa part parce qu’il cherche à associer l’Iran à sa stratégie en Irak et en Syrie. Les USA ont besoin d’un nouvel allié pour maintenir l’ordre dans la région face au chaos provoqué par leurs propres interventions et celles de leurs alliés. Les pétromonarchies font monter les enchères pour s’imposer comme principales puissances contre l’Iran.
Des armes pour les guerres
La France les soutient pour pouvoir négocier sa place dans le jeu des grandes puissances et… des contrats pour Dassault, Thalès & Co... Il y aurait en perspective vingt contrats dont le montant est évalué par Laurent Fabius à « plusieurs dizaines de milliards d’euros ».
Au Moyen-Orient, « nous travaillons à trouver des solutions politiques, à appuyer également des opérations lorsqu’elles sont nécessaires sur le plan militaire », dixit Hollande. Oui, la diplomatie de la France vend des armes pour mener des guerres dans lesquelles elle s’implique directement ou indirectement. Les avions de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite pour intervenir au Yémen, un des pays les plus pauvres du monde, répandent la terreur et la mort contre les Houthis. Plus de 1000 morts civils depuis le début de son offensive commanditée en sous-main par Washington.
Et bien sûr, pas un mot de critique de la part de Hollande sur ces monarchies théocratiques qui appliquent la peine de mort, au sabre et sur la place publique – 78 décapitations de janvier à mai 2015 en Arabie saoudite où le gouvernement a passé une annonce pour recruter huit bourreaux –, sanctionnent le blasphème de 1000 coups de fouet, nient les droits les plus élémentaires des femmes comme des travailleurs.9
Péninsule arabique : les pétromarchies, un concentré des contradictions du capitalisme
Le choix de Dubaï pour accueillir l’Exposition universelle 2020 et celui du Qatar pour la Coupe du monde de football 2022 ont contribué à faire apparaître ces monarchies pétrolières comme des puissances émergentes, courtisées en tout cas par nombre de chefs d’État occidentaux et de membres d’institutions comme la FIFA. Pourtant ces États, au-delà d’un essor économique tangible, ont une puissance d’autant plus limitée qu’ils sont petits et faiblement peuplés : leur dépendance vis-à-vis des pays impérialistes est ancienne et profonde.
Quant au sort qu’ils font, eux et les autres pétromonarchies de la péninsule Arabique, aux travailleurs immigrés, tenus sous tutelle et parfois massivement expulsés, comme en Arabie saoudite, il révèle une autre forme de dépendance de leur part, vis-à-vis de la classe ouvrière celle-là.
Des pièces sur l'échiquier des grandes puissances
On entend beaucoup parler de l’implication de l’Arabie saoudite et du Qatar dans le conflit syrien, de leur financement de groupes djihadistes. Ces deux pays tentent concurremment d’exercer une influence sur la région, chacun avec une chaîne de télévision qui émet vers tout le monde arabe (Al Arabiya et Al Jazeera). De fait, leur rivalité sert l’impérialisme, qui se tient au calcul fait depuis plus d’un siècle par les Britanniques de diviser le monde arabe. Ne pas avoir affaire à un État unique, ne serait-ce qu’au niveau de la péninsule, qui aurait la mainmise sur l’ensemble des colossales ressources, est déjà un avantage. De plus, l’existence d’une demi-douzaine de dynasties et d’appareils d’État avec des intérêts en partie divergents permet à la diplomatie américaine d’avoir plusieurs fers au feu. Elle peut jouer les uns contre les autres, inspirer à chacun une politique, et même différentes politiques suivant les moments, pour rester maîtresse du jeu.
L’Arabie saoudite est le plus grand pays de la région, le plus riche et la seule puissance militaire conséquente. Le Qatar, surtout riche au regard de sa petite taille et de sa faible population, avec le premier PIB par habitant au monde, a cherché à se faire une place un peu autonome depuis le coup d’État d’un émir moderniste contre son père, en 1995. Il a cherché à se distinguer de l’Arabie saoudite et à se protéger en proposant aux Américains la base d’El Oudeid, dont il finance le fonctionnement. Les attentats du 11 septembre 2001, dont 15 des 19 auteurs étaient saoudiens, puis des attentats meurtriers en Arabie saoudite même ont pu inquiéter le gouvernement américain. Il a décidé de transférer de l’Arabie vers le Qatar sa base aérienne et son centre de commandement avancé pour tout le Moyen-Orient et l’Asie Centrale (Centcom).
L’émir qatari et sa famille ont des relations suivies avec Israël. Mais en même temps le Qatar soutient les Frères musulmans et tous les groupes qui leur sont liés dans les différents pays – les gouvernants en Tunisie et en Turquie, le Hamas à Gaza –, alors que la branche qatarie des Frères musulmans a été dissoute. La contradiction n’est qu’apparente : soutenir les Frères musulmans qui critiquent la monarchie saoudienne et qui ont une influence internationale, c’est essayer d’accroître son rayonnement. Dans la même veine, l’émir qatarien a offert un bureau aux talibans afghans tout près de l’aéroport dont les avions américains décollaient pour bombarder les mêmes talibans en Afghanistan. D’ailleurs les services américains n’étaient pas contre ces gestes, espérant que l’émir puisse jouer un rôle de médiateur qui leur est, à eux, impossible. Anecdote parmi d’autres, il s’était entremis auprès de Khadafi pour la libération des infirmières bulgares en 2007, rendant service à Sarkozy, qui le lui a rendu en exemptant d’impôt les investissements qataris en France.
L’aspect religieux de l’influence des monarchies pétrolières entre aussi dans le cadre de leurs divisions. Toutes se réclament d’un islamisme strict, voire intégriste, avec des lois se référant à la charia, loi islamique. Et, par l’intermédiaire de fonds charitables ou de fortunes privées, ces États financent les courants intégristes à travers le monde. Les Saoudiens et les Qataris, tout en se réclamant du même courant religieux, le wahhabisme, se font concurrence sur ce terrain. Ils ont publié chacun des éditions concurrentes du Coran. Et le Qatar va jusqu’à essayer de se trouver des villes de pèlerinage. Ils aident des courants intégristes rivaux. La monarchie saoudienne s’oppose aux Frères musulmans et soutient les salafistes. Elle soutient aussi l’armée égyptienne. Par contre, elle craint l’Iran et son influence, et s’oppose au rapprochement des États-Unis avec l’Iran sous l'ère Obama.
Mais une autre monarchie du Golfe, Oman, milite au contraire pour ce rapprochement et a abrité les négociations qui ont secrètement commencé dès mars 2013 entre le ministre des Affaires étrangères iranien et le Département d’État américain.
Le morcellement de la région entre États différents, avec l’anachronisme de leurs castes dirigeantes, bien intégrées par ailleurs dans le beau monde de la grande bourgeoisie internationale, leur position dans une région stratégique, en font des instruments qui permettent à l’impérialisme bien des manœuvres, des doubles, des triples jeux vis-à-vis des courants terroristes islamistes, vis-à-vis des foyers de tension dans la région (l’Irak avant, la Syrie aujourd’hui, l’Iran, la Palestine). Ce sont, pour la plupart, des monarchies d’opérette certes, mais usant de la violence moyenâgeuse avec des armes d’aujourd’hui. Ils sont, dans toutes leurs contradictions, produits autant que symboles de la domination impérialiste sur le monde.
Une expansion rapide basée sur les hydrocarbures, une intégration dans la mondialisation...et l'exploitation d'un prolétariat en majorité immigré
Avec l’essor du pétrole, les pays du Golfe se sont énormément enrichis. Les cheikhs koweitiens et saoudiens sont devenus une image d’Épinal du milliardaire, en tout cas du milliardaire nouveau riche. Ils sont passés en quelques années du chameau et de la tente à la Rolls Royce et au château climatisé. Dans les années 1970, ils ont investi des milliards, les « pétrodollars », aux États-Unis et en Europe. Mais certains ont aussi commencé à développer des infrastructures dans leurs pays. D’une part il fallait répondre aux besoins d’une population croissante et plus riche, d’autre part il fallait préparer l’après-pétrole, certains gisements s’épuisant rapidement.
Dès 1970, les dirigeants de l’Arabie saoudite ou de Dubaï ont fait de gigantesques travaux pour édifier des oléoducs, des ports, des villes modernes et des aéroports (celui de Djeddah fut un temps le plus grand du monde, en particulier pour l’accueil des pèlerins musulmans). Ces monarques despotiques se sont voulus éclairés et planificateurs quant au développement économique. Il est de rigueur d’avoir ce qu’ils nomment une « vision », des projets volontaristes pour aménager le pays et diversifier l’économie. Les trente dernières années ont vu les réalisations se multiplier dans la finance, l’immobilier, le commerce et le transport. L’Arabie saoudite, pourtant soumise à un climat très aride, a même un temps développé une agriculture exportatrice.
Les compagnies aériennes du Golfe, Emirates airlines ou Qatar airways surtout, sont devenues des poids lourds. En plus des dollars du pétrole qui ont permis de payer les travaux, la région bénéficie de sa situation de carrefour entre l’Asie du Sud et de l’Est, l’Europe et l’Amérique. Et contrairement aux régions proches, les six pétromonarchies connaissent une stabilité politique, gage de sécurité pour les affaires.
Les complexes touristiques et industriels surgissent du désert, parfois de la mer. Une frénésie de construction se poursuit, malgré l’impact de la crise financière de 2008 et des conditions naturelles difficiles. Dubaï est peut-être l’exemple le plus spectaculaire. Ce petit émirat, un des sept Émirats arabes unis, est devenu un grand centre mondial de réexportation après Hongkong et Singapour. La découverte tardive de pétrole à partir de 1966 donna de gros moyens. Les réserves s’avérant d’emblée limitées, l’émirat décida d’investir dans les infrastructures. L’aéroport international fut construit en 1972, ainsi qu’un premier grand port à conteneurs, puis en 1983 un grand chantier naval qui a tourné à plein du fait de la guerre Iran-Irak.
Ensuite il y eut surtout le gigantesque port artificiel de Jebel Ali, aujourd’hui neuvième au monde pour le trafic de conteneurs (et par ailleurs la plus grande base navale américaine hors États-Unis). Jebel Ali est aussi une zone franche, où les entreprises étrangères ne sont soumises à aucun impôt sur le revenu, à aucun droit de douane, peuvent être propriétaires à 100 %, sans tuteur émirati, et rapatrier tous leurs bénéfices. La zone, aujourd’hui la plus vaste au monde, a compté jusqu’à 150 000 travailleurs au plus fort des chantiers. Il faut dire que le golfe Arabo-persique est très fréquenté, plus de 20 000 navires empruntent chaque année le détroit d’Ormuz. Dans les zones industrielles de Dubaï, les activités de stockage et de transit l’emportent, mais plus de 35 % des entreprises se consacrent tout de même à la production manufacturière.
De même, de nombreuses usines sont construites dans d’autres pays de la péninsule, comme les indispensables usines de dessalement d’eau de mer et toute la gamme de la pétrochimie, mais aussi des aciéries, des cimenteries, des usines de céramique (avec le premier fabricant mondial de carrelage). Il y a aussi des usines de pharmacie, d’agroalimentaire, des verreries, parfois françaises. Ainsi Soverglass, entreprise de bouteilles et flacons basée dans l’Oise, a mis en service début 2013 une usine de 180 personnes dans l’émirat de Ras El Khaïmah, où se trouve déjà une usine de 1 800 ouvriers d’Arc International, cristallerie du Nord. L’une comme l’autre trouvent là-bas, avec de faibles coûts administratifs et fiscaux, la proximité d’un grand port et de nouveaux marchés, ainsi que du gaz bon marché pour leurs fours. L’industrie mondiale de l’aluminium s’est largement déplacée autour du Golfe, profitant de l’électricité à bas coût fournie par les hydrocarbures, mais aussi de la relative proximité de marchés en expansion comme l’Asie et l’Australie.
Cela dit, à partir des années 1990, la famille de l’émir de Dubaï a parié sur le tourisme de luxe. C’était une gageure, Dubaï ne disposant guère d’attraits naturels ou historiques et souffrant de températures très élevées l’été. La capitale s’est couverte de gratte-ciel et d’immenses centres commerciaux qui sont au cœur de ce tourisme. Il s’agit d’attirer des touristes européens, dont un certain nombre de vedettes qui y achètent des appartements, de faciliter la vie aux cadres expatriés, mais aussi de permettre à de riches Iraniens ou Saoudiens de venir s’y encanailler. Les autorités sont peu regardantes sur les lois islamiques, et l’alcool est toléré dans les lieux privés et dans de nombreux établissements. Les premiers succès ont amené des projets de plus en plus pharaoniques. La ville abrite depuis 1999 l’hôtel Burj al Arab : en forme de voilier de 321 mètres de haut, il a exigé 250 piliers de béton de 40 mètres de profondeur pour assurer les fondations dans le sable et dans la mer et résister aux vents du désert. Autre réalisation destinée à frapper les esprits, un des immenses centres commerciaux a aménagé en 2005 Ski Dubaï, un immense dôme abritant des pistes enneigées, alors qu’il fait parfois largement plus de 40°C à l’extérieur. La population de Dubaï City avait doublé en sept ans et les plans les plus fous étaient dans les cartons, comme une tour qui devait être immense, Burj Dubaï. Seulement la crise de 2007-2008 est passée par là, beaucoup de chantiers ont été annulés ou reportés, des dizaines de milliers d’ouvriers immigrés ont dû partir, servant de variable d’ajustement. Burj Dubaï n’a pu être terminée en 2010 que revue à la baisse (mais mesurant tout de même 828 mètres) et grâce au refinancement pour 10, puis 20 milliards de dollars des chantiers de Dubaï par l’émir d’Abou Dhabi. Depuis, la croissance de Dubaï a repris. C’est la septième ville touristique du monde, avec 10 millions de visiteurs, et son aéroport est le deuxième au monde pour le trafic international de passagers.
Les pétromonarchies ont toutes ce type de développement pour ambition, telle Abou Dhabi avec ses musées prestigieux (Le Louvre ou Guggenheim), ou le Qatar qui prévoit d’investir particulièrement dans le tourisme d’affaires et dans « l’économie du savoir ». Sa capitale, Doha, veut devenir la principale ville organisatrice de conférences et dépense des fortunes à attirer des orateurs de renom, sans parler de son omniprésence dans le domaine du sport et des médias. Ce petit pays a connu un essor plus tardif, surtout à partir des années 1990, parce que ses gisements sont surtout gaziers. Or le gaz a longtemps été négligé par les compagnies pétrolières, qui ne savaient guère le transporter. Commercialisé sous forme liquéfiée depuis 1964, le gaz est très prisé depuis le début des années 2000 : à cause de la cherté du pétrole, mais aussi parce que beaucoup moins polluant. Le Qatar possède les troisièmes réserves mondiales, après la Russie et l’Iran. Il profite de l’embargo que subit l’Iran, en pompant en grande partie la même nappe, North Dome.
Il reste que, si le pétrole et le gaz font une part de la richesse de cette région, ils ne seraient rien sans ceux qui les extraient, les traitent, les transportent. Il n’y aurait pas d’immeubles, de ports ou de ponts gigantesques sans les millions de travailleurs qui les construisent. Il n’y aurait pas d’immenses centres commerciaux et aéroports achalandés et propres, sans toutes celles et ceux qui les approvisionnent et les nettoient, ni bien sûr d’usines et d’entrepôts sans les ouvriers. Les hydrocarbures ont amené une quantité colossale d’argent, surtout quand leur prix a fortement augmenté dans les années 1970, à l’instigation des grandes compagnies. Mais l’argent ne suffit pas, même s’il est le catalyseur de l’économie capitaliste. Pour qu’il se transforme en capital, il a fallu trouver un prolétariat. La richesse des pays du golfe Arabo-persique est due à la concentration et au travail acharné de millions d’exploités venus de nombreux pays.
Dès le début de l’essor pétrolier, la main-d’œuvre a été fournie par les immigrés, parce que les pays de la péninsule étaient peu peuplés et que leurs dirigeants ont acheté la paix sociale parmi leur population par la large distribution de places de fonctionnaires bien payés et d’avantages sociaux. On peut parler de populations rentières. Au Qatar, pays où le PIB par habitant est le plus élevé au monde, le salaire moyen des Qatariens, qui ne sont que 250 000 des 2,2 millions d’habitants, est estimé à 8 500 euros mensuels. Ceux-ci bénéficient de surcroît de l’électricité et de l’éducation gratuites. En Arabie saoudite (30 millions d’habitants), c’est moins vrai : un tiers des 20 millions de Saoudiens seraient pauvres. Cela peut signifier toucher à peine quelques centaines d’euros par mois pour une famille nombreuse. Mais même dans ce cas les nationaux ne sont pas prêts à accepter ce qui est imposé aux simples ouvriers immigrés.
Il y a toutes sortes d’étrangers dans les pays du Golfe, de riches commerçants indiens ou iraniens, des entrepreneurs, des cadres supérieurs ou des techniciens de pays occidentaux, des prostituées de pays d’Europe de l’Est, des soldats mercenaires de Jordanie, du Pakistan ou de Colombie. Mais les pétromonarchies ont la particularité de tous les soumettre à un régime de tutorat, la kafala. Un étranger n’a aucun espoir d’intégration définitive, il est quasi impossible d’obtenir la naturalisation même après plusieurs générations. Tout étranger doit avoir un tuteur local, responsable de lui, de son éventuelle entreprise, de son passeport. Dans la pratique, cela pèse différemment sur les simples travailleurs. Pour eux le kafil (tuteur) est souvent le patron ou l’agent qui les a placés, souvent lui-même étranger, parfois du même pays que les ouvriers. En tant qu’entreprise locale il peut parfois être kafil, ou agit de fait à la place du kafil local, qui n’est alors qu’un prête-nom. Il peut empêcher les travailleurs de quitter l’entreprise et en tout cas le pays. Certains patrons ne manquent pas d’en profiter pour baisser le salaire prévu par le contrat, imposer des horaires déments, surtout dans le bâtiment et même par grande chaleur, sans guère de mesures de sécurité. Les salaires avoisineraient les 150 ou 200 euros mensuels pour la plupart des métiers non qualifiés. Beaucoup de bonnes (un tiers d’après les associations) sont brutalisées, voire violées, tenues à des journées interminables.
Divers reportages ont montré la dureté des conditions que les travailleurs immigrés peuvent subir au Qatar ou à Dubaï, les baraquements sordides et non climatisés où sont entassés nombre d’entre eux, loin des centres-villes ; les horaires de travail jusqu’à 13 ou 15 heures quotidiennes, même quand la législation n’en prévoit que 8 ; les payes bien plus faibles que promis et parfois retenues pendant des mois. Les ouvriers sont très majoritairement issus de pays d’Asie du Sud ou de l’Est ou africains. Suivant les cas, les plus mal lotis sont éthiopiens, malgaches, philippins, népalais, chinois… plus rarement arabes.
À partir de la première guerre du Golfe (1991) les patrons ont massivement fait venir des Indo-pakistanais pour remplacer les Palestiniens ou les Égyptiens. Saverglass ou Arc International payent 300 à 500 dollars par mois leurs ouvriers recrutés en Asie, indiens ou philippins, logés dans des bâtiments construits à côté de l’usine.
Les autorités de la plupart des pétromonarchies interdisent toute activité syndicale aux étrangers et répriment toute grève par des vagues d’expulsions. Cela n’a pas empêché un certain nombre de mouvements au fil des années. En mai 2013, Arabtec, entreprise de construction de Dubaï, a ainsi connu une grève de plusieurs milliers d’ouvriers indiens, pakistanais et bangladais, pour une aide alimentaire et la fin des heures supplémentaires non rémunérées. Déjà en janvier 2011, 5 000 grévistes y avaient tenu deux semaines pour une augmentation de 50 dollars par mois et un aller-retour payé pour leur pays, mais la grève avait été brisée par l’arrestation et l’expulsion de 71 Bangladais. En 2008 ils étaient des milliers pour exiger d’Arabtec une forte hausse de salaires, deux allers-retours annuels et le remboursement des médicaments. Cette même société avait été affectée en 2007 par le mouvement le plus connu, qui avait entraîné entre 10 000 et 40 000 migrants durant dix jours et obtenu 20 % d’augmentation. En 2006, une grève sur le chantier de la tour Burj Dubaï a été marquée par des émeutes. Les ouvriers qui ne touchaient que 100 à 200 euros par mois avaient déferlé en cassant voitures, bureaux, et équipements de chantier.
S’il est régulièrement question de prendre des mesures en faveur de ces travailleurs, de supprimer la kafala, d’embaucher bien plus d’inspecteurs du travail… pour l’instant le statut des immigrés se dégrade. Les pays du Golfe ont un besoin vital de ces travailleurs. Aucun d’entre eux ne survivrait sans les travailleurs immigrés, qualifiés comme non qualifiés. Mais cela ne les empêche pas, au contraire, de mettre en avant des règles tatillonnes. Il s’agit de précariser sans cesse les travailleurs, pour les terroriser, les empêcher de s’organiser. Il s’agit parfois aussi de paraître répondre au malaise d’une partie de la population nationale.
Fin 2014, début 2015, l’Arabie saoudite devient même le terrain d’une véritable chasse aux étrangers. Face au fort chômage qui touche les jeunes nationaux de ce pays, peut-être 30 %, le gouvernement a beaucoup accentué une politique de « saoudisation » dont il est question depuis… plus de vingt ans. En 2011 une loi a obligé les entreprises de plus de dix travailleurs à employer entre 5 et 30 % de Saoudiens. En avril 2013, le gouvernement a décidé son application stricte et la vérification des kafala, alors que nombre d’étrangers, ayant changé d’employeur, n’en avaient plus. On a donné trois mois aux étrangers illégaux pour régulariser leur situation, puis quatre de plus. Mais depuis novembre 2014, c’est la répression systématique. Les étrangers représentent environ un tiers de la population, soit dix millions de personnes, dont peut-être six millions d’illégaux. Depuis avril, quatre millions auraient été régularisés, souvent au prix de milliers de dollars versés à un nouveau parrain. 900 000 autres ont quitté le pays après avoir obtenu un visa de sortie, et des dizaines de milliers ont été expulsés sans ménagement, tels les Éthiopiens qu’on a vu manifester contre ces mesures. Le ministre de l’Intérieur dit vouloir débusquer et expulser le million d’illégaux qui restent. Cette politique a rendu la vie des immigrés bien plus difficile encore, avec des amendes et des mauvais traitements de la part des policiers, on parle même de lynchage par certains groupes de Saoudiens. Les immigrés les plus précaires se cachent, ce qui a interrompu des chantiers ou des lignes de bus.
C’est la contradiction qui affecte dans des proportions diverses les pays du golfe Arabo-persique : ils ont absolument besoin des immigrés, mais ce prolétariat exploité sans fard, qui n’a que ses chaînes à perdre, représente un danger permanent. En 2008, le ministre du Travail de Bahreïn s’en rendait bien compte en déclarant que la présence de 17 millions de travailleurs étrangers dans le Golfe constituait « un danger plus grand qu’une bombe atomique ou une attaque israélienne ».
Il avait raison, les travailleurs ne peuvent escompter aucune amélioration spontanée de leur situation. Leur émancipation ne viendra que de leurs propres luttes, mais leur force potentielle est considérable. Ils seront bientôt 30 millions et sont ultra-majoritaires au Qatar, au Koweït et à Dubaï. Dans l’ensemble de la péninsule Arabique, ils sont proches géographiquement, comme par leurs conditions de vie. Ces travailleurs ont bien peu de droits, mais la classe ouvrière du 19e siècle n’en avait pas plus. La différence est peut-être que ceux des pétromonarchies sont contraints de vivre dans les conditions d’alors, mais à proximité du luxe bourgeois du 21e siècle. Le contraste est d’autant plus flagrant qu’ils se côtoient sur des territoires assez petits.
Ce qui manque aux ouvriers du Golfe, c’est la conscience sociale et politique, la conscience de leur propre force par-delà leur diversité ethnique. Quand ils trouveront les voies pour dépasser, par leur organisation, la crainte que leur impose la précarité entretenue, ils seront capables de luttes plus impressionnantes que les plus hautes tours qu’ils ont contribué à construire, car autrement porteuses d’avenir.10
Réforme en trompe-l’œil
Les autorités qatariennes ont annoncé en décembre 2016 qu'elles abandonnaient la « kafala ». Ce serait un progrès, car ce système oblige les travailleurs étrangers, plus de 80% de la population, à avoir l'autorisation de leur employeur pour changer de travail ou quitter le pays.
Mais cette décision est une supercherie. Si l'appellation kafala va disparaître, l'entrée comme le départ du pays des immigrés resteront étroitement contrôlés par les patrons. Les travailleurs bloqués auront tout juste le droit de saisir une commission d'appel gouvernementale. Si ce n'est pas une forme d'esclavage, ça y ressemble.11
Après l’Iran, offensive anti-qatari dans le Golfe
La mesure a été coordonnée et semble avoir pris tout le monde par surprise. Le 5 juin 2017, l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Yémen, les Emirats Arabes Unis (EAU), l’Egypte et les Îles Maldives ont annoncé la suspension de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils accusent ce dernier de financer des groupes islamistes radicaux, dont Al Qaeda et même Daesh, et ainsi présenter un danger pour la sécurité de ces pays. Au Yémen, le Qatar est accusé de soutenir la rébellion Houthi, liée à l’Iran, rival régional de l’Arabie Saoudite.
Cette suspension des relations avec le Qatar implique le rappel de leurs diplomates dans le pays du Golfe, la suspension des communications par voie terrestre et aérienne (six compagnies aériennes régionales ont déjà annoncé la suspension de leurs vols vers et depuis le Qatar), la fermeture de l’espace aérien de ces pays pour les compagnies qataries, l’interdiction des ressortissants de ces pays de se rendre au Qatar et la demande aux ressortissants du Qatar, visiteurs ou résidents permanents des cinq, de partir dans un délai de 14 jours.
En plus de l’impact diplomatique, cette décision a eu des conséquences sur les marchés financiers qui se sont effondrés.12
Pourquoi Riyad place-t-il Doha en quarantaine ?
Entretien avec Bichara Khader, spécialiste du monde arabe.
MEE: La rupture des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn avec le Qatar signe-t-elle la fin du soft power instauré par Obama, dont le Qatar était justement un des instruments?
B.K: Le Qatar, à travers la chaîne Al Jazeera, créée en 1996, et grâce à ses ressources financières, a essayé de mener une diplomatie active, d’accroître son autonomie, et de devenir un acteur géopolitique dans une région volatile. Or, la liberté de ton de la chaîne satellitaire et l’accueil qui a été réservé à tous les opposants arabes aux régimes en place, ne pouvaient que déplaire à l’Arabie saoudite et à d’autres Emirats. Pour briser le monopole d’Al Jazeera, l’Arabie Saoudite a créé sa proche chaîne satellitaire : Al Arabiyyah.
Cette compétition médiatique vient aggraver des différends qui opposent les deux pays depuis longtemps, notamment un différend frontalier qui a donné lieu à des affrontements limités le 30 septembre 1992 qui ont fait trois morts. Le Qatar a aussi un différend frontalier avec le royaume de Bahreïn sur des îlots proches de Qatar, mais le différend a été depuis résolu grâce à un jugement de la Cour internationale de La Haye – et non grâce à une médiation saoudienne.
Les relations entre le Qatar et l’Arabie se sont tendues en 2002 lorsque la chaîne Al Jazeera a projeté un documentaire, peu flatteur, sur Al-Saoud, le fondateur du royaume d’Arabie saoudite. Celle-ci a rappelé son ambassadeur de Doha, qui n’a regagné son poste qu’en 2008.
Lors des événements liés au Printemps arabe en 2011, le Qatar a été accusé d’incitation aux révoltes, de soutien aux « jeunes révolutionnaires arabes » qui ont défenestré Ben Ali de Tunisie, Moubarak d’Egypte et Ali Saleh du Yémen.
Pour l’Arabie saoudite, le Qatar devenait un trouble-fête car, par le truchement d’Al Jazeera, il bouleversait « l’ordre régional ». La tension a atteint son paroxysme lorsque le général Sissi a repris les rênes du pouvoir en Egypte, le 3 juillet 2013, en mettant le président Morsi des Frères Musulmans en prison.
L’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Emirats qui partagent une égale détestation des Frères musulmans s’en sont réjouis. Mais le Qatar a considéré cela comme un coup d’État et a pris fait et cause pour les Frères musulmans.
La césure entre les pays du Golfe devenait une brèche béante. En 2014, l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats rappelaient leurs ambassadeurs de Doha. Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) connaît alors une crise existentielle. Grâce à une médiation koweïtienne, les relations se sont apaisées et la crise fut contenue. Mais ce ne fut qu’un répit.
Après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, en 2015, les désaccords resurgissent. L’Arabie saoudite et Bahreïn manifestent leur mécontentement face à l’accord et ne manquent pas de le faire savoir au parrain américain. En revanche, les autres Émirats, surtout le Qatar s’en réjouissent.
L’Arabie saoudite accuse dès lors le Qatar de jouer un jeu double, de ne pas coller au consensus des pays du Golfe, de soutenir les chiites saoudiens, voire même les Houthis du Yémen qui ont pris le contrôle de la capitale yéménite et chassé le président légitime.
C’est dans ce climat assombri entre les pays du Golfe, que le président américain, D. Trump, entame sa première visite à l’étranger en Arabie saoudite : cette visite se solde par la signature de contrats juteux de plus de 300 milliards de dollars. En échange, le président Trump adopte un ton plus dur à l’égard de l’Iran et menace même de remettre en cause l’accord sur le nucléaire iranien.
L’Arabie saoudite se réjouit que le président américain s’aligne sur ses positions anti-iraniennes. Mais les petits Emirats s’en inquiètent, notamment le Qatar, qui ne veut pas de cette polarisation Arabie-saoudite-Iran qui, à la longue peut menacer leur stabilité et les entraîner dans des conflits aussi futiles que coûteux.
L’Arabie saoudite s’offusque d’un rapprochement entre le Qatar et l’Iran. Tandis que l’ambassadeur des Emirats arabes Unis, à Washington, selon des fuites, se serait engagé dans une campagne de dénigrement du Qatar, appelant même les Etats-Unis à fermer leur base au Qatar.
Ainsi la tension allait crescendo. Accusé de soutenir les Frères musulmans, considérés comme « une organisation terroriste » par l’Egypte, l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis et soupçonné de reprendre langue avec les Iraniens, le Qatar est cette fois-ci puni.
Non seulement les relations diplomatiques sont rompues, mais l’espace aérien, maritime et terrestre est fermé. Le Qatar qui n’a qu’une seule frontière terrestre avec l’Arabie saoudite, se voit dès lors isolé, assiégé.
Naturellement le Qatar dénonce les allégations saoudiennes et dit vouloir préserver son autonomie, refuser la tutelle de quiconque et avoir une politique étrangère qui préserve les intérêts de l’Emirat. Derrière ce discours rassurant se cache néanmoins une grosse inquiétude. L’Emirat ne pourra résister trop longtemps. Certes il dispose de moyens financiers importants grâce à des fonds souverains estimés à plus de 400 milliards de dollars lui permettant d’amortir le choc.
Mais il faut trouver une sortie de la crise assez rapidement. C’est la tâche du Koweït et d’Oman qui devront jouer les médiateurs entre les pays frères. C’est aussi la tâche des Etats-Unis et de l’Europe qui ont des intérêts considérables dans la région. Si la médiation ne débouche sur rien et si les protagonistes s’enferment dans une posture d’affrontement, alors le Qatar n’aura qu’une seule porte de sortie : se mettre sous les ailes de l’Iran. S’il arrive à cet extrême, cela signifierait que le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) vole en éclats et que l’Arabie saoudite aurait remporté une victoire à la Pyrrhus en renforçant le camp qu’elle cherchait à affaiblir.
MEE: Vous ne voyez donc pas dans cette crise diplomatique un effet Trump?
BK: Il ne faut pas confondre l’étincelle et les causes qui ont amené à cette crise. Les tensions ne sont pas nouvelles. Nous en sommes à la troisième crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar.
Cette troisième crise n’a pas été déclenchée par Trump. Certes il s’est aligné sur la position saoudienne en la confortant dans sa position anti-iranienne. Mais Trump n’a été que la brindille qui a brisé le dos du chameau.
En réalité, le conflit Arabie saoudite-Qatar se nourrit de différends historiques, des problèmes internes au CCG, et du rapport aux Frères musulmans et à l’Iran.
MEE: Est-ce qu’il n’y a pas aussi une volonté de revenir à l’ordre pré-Printemps arabe avec un axe fort Le Caire-Riyad?
BK: Depuis le Printemps arabe, le Qatar est perçu comme un facteur de déstabilisation de l’ordre régional établi, autoritaire et conservateur. Il est vrai que le Qatar a toujours considéré les Frères musulmans comme une composante essentielle du spectre politique dans le monde arabe. Cette opinion n’est pas partagée par l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis qui ne veulent pas entendre d’un mouvement politique tel que les Frères musulmans, qui arrive au pouvoir par les urnes. Cela pourrait faire des émules.
Quant à l’Egypte du général Sissi, elle est engagée dans une lutte sans merci contre les Frères musulmans dont les principaux chefs sont en prison. Ainsi, pratiquement aucune opposition légale n’est autorisée. Cela produit une polarisation dramatique de la société égyptienne et conduit certains éléments des Frères musulmans à rejoindre des mouvements radicaux. Ainsi, le Qatar est accusé, par son soutien aux Frères musulmans, d’être un facteur de division de l’Egypte.
On voit donc se mettre en place un axe Ryad-Le Caire anti-Qatar anti-Iran. Mais l’Egypte est aujourd’hui empêtrée dans des problèmes économiques et de sécurité d’une rare gravité, tandis que l’Arabie saoudite se trouve, quant à elle, enlisée dans une guerre au Yémen qui ne règle rien. Il est donc peu probable que cet axe puisse, sans le soutien de l’Amérique, stabiliser la région et endiguer l’influence iranienne.
L’Arabie saoudite a le sentiment d’être encerclée et elle cherche des alliés en réactivant les vieilles rivalités chiites-sunnites. Mais pour convaincre, elle doit être elle-même au-dessus de tout soupçon.
MEE: Cette crise pourrait donc affaiblir les Frères musulmans dans l’ensemble du monde arabe, et peut-être, peser sur les négociations israélo-palestiniennes via le Hamas?
BK: Oui, si la médiation régionale ou internationale parvient à réconcilier le Qatar avec les autres pays, cela pourrait se faire au détriment des Frères musulmans. Ceci dit, si aujourd’hui les Frères musulmans sont en si mauvaise posture, c’est parce qu’ils ont commis de multiples erreurs, notamment en Egypte, après l’élection de Morsi. Grisés par leur victoire électorale, ils se sont affranchis de toutes les règles en voulant « frériser » toute la société égyptienne, en imposant leurs normes et leurs codes. C’était manquer d’intelligence politique et refuser la légitimité de la différence. Ce fut une erreur colossale dont se sont emparés les militaires pour porter Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir.
Pour ce qui est du Hamas Palestinien, il cherche désespérément un parrain, et surtout une ouverture sur le monde et des moyens financiers pour subvenir aux besoins d’une population assiégée. Donc il est forcé de faire prévaloir le réalisme sur l’idéologie. Après avoir été soutenu par le Qatar et l’Iran, il s’est rapproché de l’Arabie saoudite un certain temps. Il est à parier qu’il fera tout pour se rapprocher de l’Egypte avec laquelle il partage une frontière commune, celle de Rafah.
Ceci dit, en cas de réconciliation entre l’Egypte et l’Arabie saoudite d’un côté, et le Qatar, de l’autre, ce dernier devra tempérer son discours médiatique concernant les régimes en place et veiller à ce que ses fonds n’aillent pas vers des organisations accusées de vouloir déstabiliser la région. Même si dans cette histoire, il n’est pas le seul à soutenir des organisations soupçonnées d’être radicales en Syrie ou ailleurs.
MEE: L’Iran s’inquiète de cette crise, mais on peut aussi imaginer que Bachar al-Assad, autre cible de l’Arabie saoudite, va se retrouver dans une situation critique…
BK: L’Iran se réjouit au contraire de cette crise au sein du Conseil de coopération du Golfe. Il pourrait en tirer profit en volant au secours du Qatar, en lui promettant de lui fournir tout dont il a besoin et en mettant ses ports à sa disposition pour ses approvisionnements. Mais il est clair que si la crise devait perdurer, c’est la Coupe du Monde de 2022 qui pourrait être mise à mal. Ce serait un coup sévère porté à la crédibilité du Qatar qui fait tout pour braquer les feux des projecteurs sur l’Emirat.
Cette crise ne changera pas la donne en Syrie où de toute manière les Iraniens et les Russes font aujourd’hui la pluie et le beau temps. Le régime de Bachar al-Assad devrait également se réjouir des tensions actuelles au sein des pays du Golfe. Cela pourrait les détourner du dossier syrien.13
La Coupe du monde de la honte
Le 20 novembre 2022, le Mondial de football a démarré avec son accumulation de scandales. Les infrastructures ont été construites par des salariés immigrés en semi-esclavage : conditions de travail désastreuses, salaires pas toujours payés, des milliers de morts… Sur le plan écologique, malgré les déclarations, la compétition restait un scandale : des centaines d’avions ont transporté chaque jour les 1,5 à 1,7 million de supporters, les stades climatisés à ciel ouvert ont libéré des fluides et consommé de l’énergie pour refroidir les stades à 20°C… Tout cela sans parler du régime du Qatar, une dictature où les droits démocratiques, les droits des LGBTI et des femmes sont bafoués.
Beaucoup d’intérêts en jeu pour les capitalistes
Des voix se sont élevées, y compris dans le monde sportif, pour critiquer cette Coupe du monde. Mais les intérêts en jeu étaient immenses. Pour la FIFA, les télévisions, les annonceurs, il fallait absolument amener le plus de spectateurs devant les écrans pour maintenir les recettes des droits de retransmission, de la publicité ou des produits dérivés. Elle exerçait donc une pression sur les joueurs qui voulaient par exemple, pourtant de façon assez modeste, dénoncer les discriminations en portant un brassard arc-en-ciel.
Pour les États alliés du Qatar, il est impensable de gêner leur partenaire, et la France est au premier plan. Sarkozy a manifestement appuyé la candidature du Qatar en échange de financements personnels. Le rachat du PSG et les centaines de millions dépensés par celui-ci font apparemment partie d’un arrangement global… en plus de la corruption habituelle dans le choix des pays accueillant les coupes du monde ou les jeux Olympiques.
La France au premier rang des magouilles
Une pression a donc été exercée, notamment par Macron, pour légitimer cette Coupe du monde. Il prétendait que le régime du Qatar allait changer… Comme si la Russie ou la Chine avaient changé après les compétitions organisées dans ces pays. On nous demandait d’être tolérants avec une culture différente… alors qu’en réalité, ce sont les grandes puissances occidentales qui contribuent à maintenir des dictatures réactionnaires. Ainsi, en 2018, la France a vendu au Qatar pour 2,37 milliards d’euros d’hélicoptères et d’avions Rafale !
Le pouvoir et les médias dominants appellaient à se rassembler pour la grande fête du sport. Ils tentaient aussi de nous convaincre que nous devions, pour le plaisir des matchs, oublier les attaques antisociales comme la réforme de l’assurance chômage, le projet d’attaque contre les retraites ou les baisses de salaires.
Le Qatar aurait dépensé 220 milliards d’euros pour organiser le Mondial.
Ce que nous a montré cette compétition, c’est que l’argent existe, mais qu’il est gaspillé ou capté par les capitalistes, et jamais redistribué aux salariéEs… ou aux petits clubs sportifs. Ainsi, la FIFA devait engranger plusieurs milliards de profits dans l’opération du Mondial.(...)
Il est clair que politiquement, il faut rejeter cette vision du sport et ces magouilles faites pour engraisser d’immenses entreprises, tout autant qu’il faut reconstruire des mobilisations de masse pour le climat. Des mobilisations qui ne pourront faire l’impasse sur la nécessité d’exproprier tous les groupes capitalistes qui menacent nos vies et la planète chaque jour un peu plus.14
Sources