Antiquité
Le nom grec de Tylos (en grec ancien Τήλος) est donné par les Grecs de l’Antiquité au pays nommé Dilmun que l’on s'accorde à localiser sur l’île de Bahreïn, jusqu’à la conquête musulmane du VIIe siècle. Les Arabes y vivent de commerce avec l’Inde, commerce dont Alexandre le Grand souhaite s’emparer. Pour cela, il envoie des expéditions dont une, celle d’Archias de Pella, atteint Tylos vers -323. Androsthène de Thasos, Théophraste, Strabon et Pline ont parlé de Bahreïn.
La mort du conquérant met un terme à ce projet et l’histoire de cette période est mal connue. Tylos semble-t-il reste sous la suzeraineté, toute relative, des Séleucides puis des Parthes. Shapur II, empereur de la dynastie sassanide en Perse, s’en empare au IVe siècle ; aux Ve, VIe et VIIe siècles, on appelle « Bahrein » la majeure partie de la côte sud du Golfe Persique, autour de Bahrein - Qatif compris ou non. La population y est mêlée, d'appartenances diverses (mazdéens, juifs, chrétiens, puis partiellement musulmans).
Luttes entre Ottomans et Portugais
De par sa position stratégique au milieu du golfe Persique, l'île fait l'objet d'âpres luttes d'influence entre les Ottomans et les Portugais au milieu du XVIe siècle. Les premiers sont établis à Bassorah à l'entrée du golfe Persique depuis 1546 ainsi qu'à Qatif dans la province d'Al-Hasa, non loin de Bahreïn. Les Portugais possèdent quant à eux une forteresse sur l'île d'Ormuz leur permettant de contrôler les mouvements commerciaux du golfe Persique. La dynastie de Bahreïn est souveraine de celle d'Ormuz, la puissance européenne a donc un contrôle indirect sur l'île.
En juillet 1559, le gouverneur ottoman d'Al-Hasa lance une campagne pour prendre l'île depuis le port de Qatif. Il s'agit d'une initiative personnelle faite sans l'assentiment d'Istanbul. Il fait appareiller pour Bahrein 73 bateaux, principalement des navires de transport, chargés de 800 hommes. Le 2 juillet, les troupes entament le siège de Manama. Le souverain de l'île, un Arabe nommé Murad Shah défend la ville avec une garnison de 400 soldats en majorité Perses. Alerté de l'incursion ottomane, le commandant portugais d'Ormuz fait partir des renforts pour Bahrein, y compris des navires chargés de patrouiller la zone. Les envahisseurs finissent par manquer de vivres et de munitions en raison de leur incapacité à organiser un approvisionnement depuis la côte. Ils choisissent en conséquence de lever le siège et de se retrancher dans une palmeraie. Les belligérants finissent par négocier un accord, les Ottomans acceptent de se replier en laissant armes et chevaux aux forces adverses et en acceptant de payer une indemnité d'un million d'akçe, à charge pour les Bahreïniens d'organiser leur retour sur le continent.
Domination Perse
Après le départ des Portugais, Bahreïn est sous domination perse jusqu’en 1782. Ils s’installèrent durablement et donnèrent aux habitants une culture arabo-persane et ils apportèrent l’Islam chiite qui représente 70 % de la population actuelle. En 1783, la famille Al-Khalifa, de confession sunnite, renversa la dynastie persane et constitua un émirat indépendant, mais l’Iran n’a pas abandonné ses revendications sur l’île.
Règne des al-Khalifa
Depuis la fin du XVIIIe siècle, Bahreïn a été gouverné par la famille Al Khalifa qui a maintenu des liens étroits avec le Royaume-Uni en signant un traité de paix et de protection en 1820, renouvelé depuis plusieurs fois. Cet accord stipule que le tuteur a un droit de regard sur la politique extérieure de l'émirat et a obligation de lui venir en aide en cas d'agression.
Après la Seconde Guerre mondiale, Bahreïn est devenu le centre régional pour le golfe Persique des opérations britanniques. Lorsque la Grande-Bretagne annonça en 1968, et réaffirma en mars 1971, son désengagement de Bahreïn. Bahreïn intégra l'alliance des Émirats arabes unis, puis en devint indépendant le 15 août 1971.
Selon la Constitution de 1971, Bahreïn élit son premier parlement en 1973, mais seulement deux années plus tard il est dissous par l'émir car il s'opposait à une loi introduite par l'émir selon laquelle pouvait être arrêtée et emprisonnée pour trois ans toute personne portant atteinte à la sécurité de l'État. Il y eut des manifestations en décembre 1994 avec des troubles qui menèrent au premier changement ministériel, puis l'émir augmenta le nombre des membres du conseil consultatif de 30 à 40 pour avoir des suggestions sur la législation. Devenu émir après le décès de son père en 1999, le cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa a pris le titre de roi en 2002 et a instauré une monarchie constitutionnelle.1
Soulèvement bahreïni
Le soulèvement bahreïni est une vague de contestations populaires, sociales et politiques, commençant le 14 février 2011, qui sont marquées par un pacifisme à toute épreuve malgré une répression féroce, une forte grève générale de 10 jours et une intervention extérieure conservatrice. Le mouvement de contestation, qui a perdu en intensité, perdure plus de trois ans après.
Dans un contexte révolutionnaire dans les pays arabes, les réussites de la révolution tunisienne et de la révolution égyptienne jouent un rôle déterminant dans le déclenchement de la révolte, mais aussi dans la détermination des dirigeants bahreïniens à conduire une répression forte et rapide. Comme dans les autres révolutions arabes, la jeunesse connectée joue un rôle essentiel ; certains de ces jeunes, membres de la Bahrain Youth Society for Human Rights, ont reçu une formation du groupe Otpor, comme certains révolutionnaires égyptiens. Les manifestants demandent plus de liberté et de démocratie, un meilleur respect des droits de l'homme, mais portent aussi des revendications socio-économiques. Le régime monarchique est lui-même remis en cause. Après une semaine d’escarmouches meurtrières entre policiers et manifestants, ceux-ci parviennent à s’installer au cœur de la capitale, sur la symbolique place de la Perle. Après trois semaines de forte mobilisation populaire, la famille royale fait intervenir l’armée, renforcée par des troupes saoudiennes et émiraties du Bouclier de la Péninsule — la branche militaire du Conseil de coopération du Golfe — qui permettent au roi d’écraser l'opposition. La monarchie saoudienne impose ainsi son hégémonie sur la région mais cette répression accentue les antagonismes entre communautés et classes à l’intérieur du pays.
La répression est essentiellement tournée contre les chiites, bien que le facteur confessionnel n'ait joué qu'un rôle secondaire dans le soulèvement : c'est par simplification qu'on oppose une monarchie et une minorité sunnites à la majorité chiite de la population, les lignes de front à l'intérieur de la population étant situées ailleurs. Les procès des manifestants arrêtés par des tribunaux militaires commencent au mois d’avril. Bien que le gouvernement lève l'état d'urgence le 1er juin, les opposants continuent de se rassembler pour manifester.
Contexte des manifestations
La dynastie au pouvoir au Bahreïn est de confession sunnite. Elle a peu d'éléments communs avec la majorité de la population de l'archipel, qui est chiite.
Économie et situation politique
Bahreïn est un petit royaume du golfe Persique et gouverné par la famille Al-Khalifa. Le pays a presque épuisé son pétrole. Il est ainsi sous quasi-protectorat de l’Arabie saoudite, dont la compagnie pétrolière, l’Aramco, exploite le seul champ pétrolier encore en activité de Bahreïn, celui d’Abou Safaa. La majeure partie des revenus de l’État bahreïni provenant de ce champ, le régime dépend donc de la bonne volonté de son voisin à lui reverser sa part des bénéfices. L’exploitation du pétrole est complétée par le raffinage, Bahreïn étant un raffineur important du pétrole saoudien. L’économie bahreïnie s’est diversifiée dès les années 1970 :
- dans les services bancaires : avec 470 établissements financiers présents à Bahreïn (25 % du PIB), le royaume est la principale place financière du Golfe ;
- l’industrie de l’aluminium (avec la fonderie Alba) ;
- l’immobilier de luxe et le tourisme, mais cette diversification a moins bien fonctionné que dans les Émirats arabes unis.
Manama est le port d'attache de la Cinquième flotte américaine, qui sécurise les approvisionnements pétroliers des États-Unis : 1 500 soldats américains sont déployés en permanence à Bahreïn. Ce petit royaume est aussi un rempart contre l'influence et l'activisme de l'Iran.
Bien qu’officiellement le chômage ne concerne que 3 % de la population active, le taux de chômage réel doit se situer entre 15 et 30 % de la population active, les chiites et les jeunes (40 % de chômeurs) étant plus particulièrement touchés. Cette question sociale est le principal enjeu de la révolution bahreïnienne, même si la famille royale tente de confessionnaliser le conflit. La famille royale est de confession sunnite, mais la communauté chiite, majoritaire (environ 70 % de la population), est victime de discriminations dans l'accès au logement, aux soins et aux emplois dans la fonction publique (les emplois dans la sécurité lui sont interdits, par exemple). Le régime privilégie les immigrés de religion sunnite, y compris dans les naturalisations, afin de se renforcer la communauté sunnite censée le soutenir et encourage la discrimination, selon le Monde diplomatique.
Historique de la situation politique interne
Une intifada a été menée pour obtenir le retour à une monarchie constitutionnelle, de novembre 1994 à 2001. La répression fait des dizaines de morts. L’accession au trône de Hamad bin Isa Al-Khalifa semble l'occasion d'une certaine ouverture démocratique. L'intifada se termine avec la signature de la Charte d'action nationale, qui contient d'importantes réformes politiques. Cette charte est approuvée par référendum à 98 %. Mais un an après le référendum, l’émir se proclame roi et impose des réformes constitutionnelles qui lui permettent de garder le contrôle (il nomme la moitié des 80 parlementaires). La famille royale semble ouverte à une libéralisation du régime (c’est elle qui pousse à libérer les prisonniers politiques), mais le premier ministre, cheikh Khalifa (oncle du roi), est opposé à toute négociation. Cheikh Khalifa est lui aussi contesté : il est premier ministre depuis plus de quarante ans, et c’est aussi l’une des personnalités les plus riches et les plus corrompues du Golfe. Alors que la famille royale conserve l’essentiel des pouvoirs, la vie politique est animée par la présence de deux partis d’opposition puissants, un de gauche radicale (Al Waad) et l’autre islamiste (Al Wefaq), le seul qui participe aux institutions.
Depuis deux ans, le régime est redevenu très répressif, et les élections de 2010 sont boycottées par Al Haq. Les manifestations de début 2010 se soldent par l’arrestation de 25 opposants. Fin 2010, l'opposition légale recueille 64 % des voix, mais seulement 45 % des sièges au parlement. Un courant d'opposition républicain se développe.
Prémices du printemps arabe à Bahreïn
Alors que le « printemps arabe » secoue l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 1 300 ouvriers indiens du bâtiment de l’entreprise GP Zachariades, font grève pendant une semaine, à partir du 5 février. Pour prévenir l’arrivée du « printemps », le roi Hamad de Bahreïn annonce le 11 février, la distribution de 1 000 dinars bahreïnis (environ 2 000 euros) à toutes les familles du pays. Pour la chaîne satellitaire Al Jazeera, c'est une tentative d'apaisement, les autorités redoutant une « contagion » après les révolutions en Tunisie et en Égypte. Cette mesure s’accompagne de la baisse de 25 % des remboursements des bénéficiaires de programme d’accès au logement et de la promesse de la création de 20 000 emplois.
Outre la présence américaine, l’Arabie saoudite fait peser une menace d’intervention, qui serait facilitée par le pont reliant l’île au continent. L’armée est commandée par cheikh Hamad, prince héritier.2
Printemps arabe
Depuis le 14 février 2011, le pouvoir en place fait face à des manifestations populaires et politiques dans la lignée du printemps arabe. Le royaume a alors décidé de recourir à la violence en usant de la torture, des assassinats et des arrestations arbitraires à l'encontre des manifestants.
Cela n’a pourtant pas empêché de nouvelles manifestations de l’opposition, même si le gouvernement aurait réprimé les manifestants avec l’aide de l’armée du pays ainsi que d'une aide militaire provenant de son alliée l'Arabie saoudite, causant la mort de plusieurs personnes. Il est à noter que le pays a toujours eu des forces de protections étrangères sur son sol, notamment saoudiennes et américaines.
En 2013, des manifestations de la majorité chiite contre le clan sunnite au pouvoir continueraient. Après deux ans de répression, le bilan s'établit à plus de 82 morts, dont 9 enfants.3
Répression et résistance
Assassinats, torture, loi martiale, condamnations à mort de manifestants, censure et poursuite des journalistes, licenciements massifs d'ouvriers, prisonniers politiques par centaines, répression sauvage des manifestations, voilà comment la dynastie des Al Khalifa veut se maintenir, vaille que vaille, au pouvoir. Mais malgré cette répression sans précédent dans ce petit royaume, le peuple de Bahreïn résiste et continue à se battre, d'une manière différente, pour la démocratie et la dignité. Il s'agit d'un combat exemplaire mené par un peuple, armé de sa détermination et de son courage, contre une dictature cruelle utilisant les engins de mort les plus sophistiqués. Dans ce combat inégal et injuste, le régime est soutenu par les États du Golfe et surtout par l'impérialisme américain et européen. Les révoltes des peuples arabes ont démontré d'une manière éclatante, une fois encore, la complicité directe ou indirecte des États-Unis et de l'Europe avec les dictatures les plus féroces.
Les crimes et les atrocités commis par la dynastie des Al Khalifa contre le peuple de Bahreïn n'ont pas de limites. Même les médecins et les infirmières, qui ont eu le tort de tenter de sauver des vies humaines et de soigner les blessés, n'échappent pas à cette folie répressive. Au mépris de toutes les conventions internationales notamment celle de Genève, les manifestants blessés, ne méritent aucun soin ! Ainsi l'assistance médicale est refusée à tous les blessés ! La dictature pense aussi que les médecins et l'ensemble des soignants, qui sont parfois arrêtés par l'armée à l'intérieur même de l'hôpital, disposent « de preuves des atrocités commises par les autorités, les forces de sécurité et la police anti-émeute » .
Les mosquées ne sont pas épargnées non plus. Toute une campagne de destruction de ces lieux de culte est menée par les autorités. Le monument de la place de la Perle, haut lieu de la contestation populaire, a été détruit. La dictature veut effacer tous les symboles de la résistance. Cette place rappelle également la fameuse place Attahrir du Caire témoin éloquent de la chute d'une autre dictature, celle de Moubarak.
Les journalistes qui tentent de dénoncer la répression sont arrêtés et traduits devant les tribunaux, lorsqu'ils sortent vivant de la détention ! Karim Fakhrawi, membre du parti d’opposition Al-Wefaq et du directoire du quotidien Al-Wasat, est mort en détention après son arrestation. Les circonstances de son décès n'ont jamais été élucidées. Le correspondant de l'Agence Reuters Frederik Richter a été expulsé. Il faut que cette féroce répression se déroule à huis clos.
Après les arrestations et les tortures dans les centres clandestins du régime où quatre personnes ont déjà trouvé la mort, les tribunaux militaires prennent la relève pour juger des civils. Les procès expéditifs qui vont parfois jusqu'à la condamnation à mort des manifestants pacifiques, ont brisé des familles entières . Bref, tous les moyens, dont les plus abjects et les plus infâmes, sont utilisés pour briser cette magnifique volonté de changement du peuple de Bahreïn.
Cette répression et cette brutalité contre une population qui manifeste pacifiquement sont pratiquées sous le regard bienveillant des États-Unis et de l'Europe. Le silence des médias bourgeois sur ces exactions dans l'occident civilisé, n'a d'égal que le bruit assourdissant de la propagande qu'ils distillent chaque jour comme un venin dans les cerveaux des citoyens sur les droits de l'homme, la démocratie, la liberté etc.
Pour les États-Unis comme pour l'Europe, la liberté, la démocratie, la dignité etc. ne sont que des mots vides de tout sens; mais qu'ils utilisent comme instruments de propagande pour mieux servir leurs propres intérêts. Faut-il rappeler que c’est à Bahreïn que se trouvent le quartier général de la Ve flotte et le port d’attache des bâtiments de guerre américains, et que l'Arabie Saoudite est le chien de garde local des intérêts des États-Unis dont elle représente un élément clé de leur sécurité énergétique ? Les dynasties locales qui règnent depuis des siècles sur cette région « bourrée » de pétrole utilisent toutes leurs forces pour briser la moindre velléité de changement qui risque d'emporter leurs immenses privilèges. L'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et Qatar regroupés au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) tentent d'écraser directement ou indirectement tout soulèvement populaire non seulement dans la région du Golfe mais aussi dans tout le monde arabe ; c'est la contre-révolution coalisée. Le Conseil cherche à attirer d'autres pays. La Jordanie et le Maroc feront peut-être bientôt partie de ce riche ensemble puisque les discussions sur leur adhésion sont en cours.
Le peuple de Bahreïn a été puni pour avoir osé relever la tête et réclamer un État moderne et démocratique. Le châtiment qui lui a été infligé, montre jusqu'à quel degré de cruauté dans la vengeance ces dictatures peuvent s'élever.
Cette folle cruauté dans la répression a nettement affaibli la lutte du peuple de Bahreïn, mais elle ne l'a pas écrasée.
Le soulèvement populaire à Bahreïn est le produit de décennies d'injustices, d'oppression et d'humiliations. On peut le réprimer, voire l'écraser, mais il renaîtra, tel un phénix, de ses cendres. Car il est né et a grandi sur le sol du despotisme et de l'arbitraire. Pour l'éradiquer, il faut que les gouvernements extirpent le despotisme et l'arbitraire qui sont les conditions qui leurs permettent de régner.4
Ce que Kadhafi n'a pas le droit de faire à Benghazi, l'Arabie saoudite peut le faire à Manama
Dès le 16 mars 2011, l'arrivée des troupes saoudiennes au Bahreïn a débouché sur une répression d'une grande violence contre les manifestants. La contestation a été frappée durement sur la place de la Perle, où elle se concentrait depuis le début.
L'arrivée des troupes saoudiennes et émirati avait été présentée comme une décision du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont l'Arabie saoudite est le chef de file, et comme ayant pour but de ramener « l'ordre et la stabilité ». L'Arabie saoudite n'a pas hésité à employer la manière forte pour faire rentrer dans le rang un mouvement de contestation qui mobilise une population en grande partie chiite, craignant sans doute que ce mouvement contribue à rapprocher le Bahreïn de l'Iran.
Comme si le régime en place au Bahreïn voulait effacer toute trace de ce mouvement d'opposition au cœur de sa capitale Manama, il a même fait abattre le monument de la place de la Perle, une perle géante juchée au sommet de six colonnes arquées de 90 mètres qui se voulait aussi un symbole de concorde entre les six pays du CCG.
Cette répression sauvage est intervenue au moment où, par ailleurs, les grandes puissances impérialistes prétendaient intervenir en Libye pour sauver les populations de la répression sanglante du régime de Kadhafi.
On a eu là, une fois de plus, un triste exemple de la double comptabilité des grandes puissances. Elles peuvent à la fois prétendre qu'elles volent au secours d'une population opprimée par un dictateur, et autoriser l'un de leurs alliés fidèles et un des régimes les plus réactionnaires dans la région, l'Arabie saoudite, agir à sa guise dans sa zone d'influence et réprimer violemment les manifestations d'une population dont les aspirations ne sont guère éloignées de celles de Benghazi. Le bruit des bombardements sur la Libye permet de couvrir les cris des populations du Bahreïn.5
La folie du monde capitaliste
Le dimanche 22 avril 2012, nous étions rassurés : la France citoyenne s’est mobilisée en masse pour aller voter. Cerise sur le gâteau : on pouvait même profiter, comme souvent le dimanche, du Grand Prix de Formule 1, cette fois au Bahreïn.
Décidément tout roule. D’ailleurs, à croire les journalistes, il ne s’est rien passé d’autre. Des chars à tous les carrefours, dans ce petit coin de désert modernisé à coup de pétrodollars ? Pas vu. Des manifestants arrêtés en masse, des blessés, des morts ? Apparemment rien entendu. Des militants torturés, en grève de la faim depuis des semaines : on ne va décidément pas l’ouvrir pour si peu.
Ce Grand Prix était déjà tout un symbole : au milieu de nulle part, il n’a de sens que du strict point de vue du monde des affaires.
La règle est simple : à partir du moment où il y a des milliardaires pour le financer et de la pub à négocier pour les chaînes de télévision du monde entier, la décision est rationnelle. Si ça pouvait être rentable sur la planète Mars, ce serait pareil.
Entre valeur d’usage et valeur marchande, le grand écart est parfois gigantesque…
La population, elle, n’a cessé de crier sa colère. D’abord contre le roi, et son Premier ministre en place depuis 1971, contre la répression aussi qui se poursuit depuis un an, et maintenant contre cette « Formule du sang ». En 2011 à la même époque, l’Arabie saoudite envoyait son armée, faisant des dizaines de morts. Déjà, les mêmes responsables politiques du monde occidental, la France en tête, se taisaient.
Il est vrai qu’après la Tunisie et l’Égypte, le plus urgent pour les gouvernants était de reprendre les choses en main, militairement. Que ce soit en soutenant la dictature au Bahreïn, ou contre elle en Libye. L’essentiel étant de ne jamais être débordé par la population elle-même.
Le Grand Prix a donc eu lieu, mais la colère est partout. Les révolutions dans le monde arabe sont loin d’être terminées.6
Manifestations contre la « Formule 1 du sang » (2013)
Les dirigeants de la Fédération internationale de l'automobile et de la dynastie Al-Khalifa ont eu l'air satisfaits. La course de Formule 1 s'est bien tenue du 19 au 21 avril 2013 au Bahreïn, sous la protection de 8 000 militaires et policiers.
Pourtant, dans la capitale Manama et les villages de sa banlieue, des centaines de manifestants ont tenté de s'opposer à l'organisation du Grand Prix aux cris de « Non à la Formule 1 du sang » et « Votre course est un crime », voulant attirer l'attention sur les exactions et la dictature exercées par une dynastie qui règne sur l'émirat depuis l'indépendance de 1971.
En fait, c'est depuis février 2011 que des manifestants, jeunes et moins jeunes, s'opposent courageusement aux lacrymogènes, aux grenades assourdissantes et aux balles des forces de répression pour « pouvoir s'exprimer sans être tué, torturé ». Mais, dans un contexte de chômage qui touche 40 % des jeunes, ils réclament aussi la fin de la discrimination à l'emploi, particulièrement dans la fonction publique, premier employeur de l'île, et de la discrimination dans le logement, qui frappe la majorité chiite de la population. Ces derniers représenteraient environ 70 % de la population d'origine, soit 600 000 personnes, auxquelles s'ajoutent autant de travailleurs immigrés venus d'Iran ou d'Asie du Sud-Est. Ce sentiment d'injustice face à la dynastie tribale d'obédience sunnite est important, mais les raisons qui poussent la population dans la rue ne se résument pas à cela.
Le raffinage du pétrole, le gaz, la pêche et les perles assurent la continuité de la richesse de la dynastie Al-Khalifa. L'Arabie saoudite voisine est reliée à l'île par un pont, bien pratique pour faire intervenir ses troupes contre les manifestants. Son soutien et celui des États-Unis, dont Manama héberge la Ve flotte et 1 500 militaires, assurent la continuité de la dictature. Même le gouvernement français aurait envoyé à Bahreïn des experts pour aider à l'entraînement de la police antiémeute, c'est peut-être ce qui s'est discuté lors de la discrète rencontre élyséenne de juillet 2012 entre le roi Hamad et le président français.
Le soutien des grandes puissances, pas plus que les hypocrites promesses de « dialogue national » du prince héritier, n'ont réussi à faire taire la voix de la population qui exige ses droits.7
La formule 1 au service de la tyrannie
L’exploitation politique du sport ne date évidemment pas d’aujourd’hui. L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, deux faces hideuses du capitalisme, ont déjà instrumentalisé cette activité pour donner une certaine légitimité à leur pouvoir. L’Italie mussolinienne (1934) et l’Allemagne hitlérienne (1936) avaient organisé respectivement la seconde Coupe du monde de football et les Jeux Olympiques. La FIFA, elle, avait confié l’organisation du « Mundial » de 1978 à l’Argentine de la junte militaire dirigée par le général Videla. Le grand Prix de F1 se déroulait régulièrement en Afrique du Sud en plein régime d’Apartheid. Le cas de Bahreïn s’inscrit donc dans cette « tradition » où l’activité sportive est utilisée par les pouvoirs pour asseoir leur domination de classe.
Pendant ce temps-là, dans l’indifférence quasi-générale, sans les médias occidentaux ni Al Jazeera, le peuple de Bahreïn poursuivait son combat contre cette dictature d’un autre âge. Des manifestations quotidiennes furent organisées, dans des conditions difficiles, pour protester contre cette nouvelle humiliation que constituait le Grand Prix de Formule 1 ou comme l’appellent les bahreïnis « Formule du sang ». Le mutisme des médias bourgeois sur cette répression et cette résistance fut édifiant. Il fallait que la contestation du régime en place se passe à huis clos.
Le contraste entre le silence sur Bahreïn et l’hystérique propagande à ce moment là contre la Syrie par exemple de ces mêmes médias était éloquent. Il faut dire que les très « démocratiques » dynasties des Al Khalifa, des Al Saoud de l’Arabie Saoudite ou celle encore d’Al Thani du Qatar qui désirent ardemment installer la démocratie en Syrie, sont « nos amis » ; car elles nous sont totalement soumises. Il faut donc les protéger et les mettre à l’abri des tentations et des aspirations du peuple à la liberté et à la démocratie. Le CCG, l’impérialisme américain et européen savent pertinemment que la victoire du peuple sur la dictature dans un pays (Tunisie et Égypte), suscite d’immenses espoirs et encourage les autres peuples dans le monde arabe à se soulever à leur tour contre leurs propres tyrans.
Pendant que les émirs de Bahreïn assistaient au spectacle de Formule 1, et les médias occidentaux étaient occupés à transmettre les performances des pilotes du Grand Prix, un militant des droits de l’Homme, Abdel Hadi Al Khawaja, arrêté et condamné à la perpétuité était entre la vie et la mort. Il menait une grève de la faim depuis le 8 février 2012 contre sa détention arbitraire. Sa résistance et sa détermination était celles de tout un peuple qui se battait quasiment seul contre une tyrannie soutenue par les monarchies du Golfe et par toutes les « démocraties » capitalistes.8
Justice nulle part
La monarchie du Bahreïn, petit pays du Golfe, est plutôt bien vue des grandes puissances. C’est d’ailleurs elle qui allait organiser la prochaine conférence internationale sur la lutte contre l’État islamique. Fin août 2014, à l’occasion de la venue en Normandie d’un prince bahreïnien – Nasser Al-Khalifa –, pour une compétition hippique, la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme) a demandé à la justice française d’interroger le prince, accusé de s’être livré à des actes de torture sur des prisonniers politiques. Or, les autorités françaises ont préféré laissé partir l’intéressé. Et le président Hollande a reçu le 28 août 2014 le roi du Bahreïn en personne...
L’un des défenseurs des droits de l’homme les plus connus du pays est Abdulhadi Al-Khawaja, emprisonné depuis 2011 pour avoir « incité la population à manifester ». À partir du 26 août 2014, il a entamé une nouvelle grève de la faim. Sa libération immédiate a été demandée par Amnesty international9. « Sa fille Maryam Al-Khawaja, elle-même dirigeante du Centre des droits de l’homme du Golfe, a été condamnée en décembre 2014 à une peine de trois ans de prison pour "insulte au roi". Elle avait déchiré le portrait du souverain de Bahreïn dans un tribunal.
En octobre 2015, la Cour d'appel avait réduit sa sentence à un an de prison et une amende de 3.000 dinars (environ 7.000 euros). Mais elle a écopé de deux autres condamnations pour avoir "insulté" un officier de police et déchiré un autre portrait du souverain, selon le Centre du Golfe pour les droits de l'Homme. Sa peine totale était de trois ans et un mois. Le parquet de Bahreïn a annoncé sa libération en mai 2016 "pour des raisons humanitaires" ».10
Où en est le processus révolutionnaire aujourd'hui ?
Le régime monarchique des Al Khalifa continue de réprimer les principales organisations d’opposition et les militants, avec le soutien des monarchies du Golfe qui accusent, de manière mensongère, l’Iran de soutenir les manifestants et de vouloir faire un coup d’État.
La monarchie des Al Khalifa n’a cessé d’instrumentaliser les tensions communautaires contre les chiites, très grandement discriminés au niveau politique et social, pour diviser les classes populaires et décrédibiliser les manifestants hostiles au régime. Les services de sécurité du royaume continuent de réprimer violemment la plupart des manifestations populaires, tandis que des « élections » législatives ont eu lieu en novembre 2014, complètement boycottées par l’opposition dans son ensemble qui remettait en cause le manque de transparence et de démocratie.
Le nouveau parlement est donc complètement inféodé au pouvoir en place. Le chef du principal parti d’opposition chiite bahreïni (le parti conservateur al-Wefaq, qui demande une monarchie constitutionnelle et non la chute du régime), cheikh Ali Salmane, a été arrêté fin décembre 2014 et se trouve toujours en détention. Malgré des protestations très ponctuelles et peu audibles, les États occidentaux continuent de soutenir le régime des Al Khalifa, particulièrement les États-Unis dont la 5ème Flotte est basée sur place. Washington considère sa base militaire au Bahreïn comme le principal contrepoids aux efforts présumés de l’Iran pour développer ses forces armées et menacer le Golfe.11
L’ordre saoudo-américain règne à Bahreïn
Le 21 avril 2017, des dizaines de jeunes gens masqués envahissent les routes et avenues de Bahreïn, barrent les routes qui donnent accès au circuit de Sakhir avec des barricades de pneus enflammés, au sud de Manama, la capitale. Ils veulent empêcher la tenue d’un Grand prix de Formule-1, qu’ils ont baptisé la « Formule du sang ». Majoritairement chi’ite, la population se mobilise contre cette course automobile de la honte.
Les partis d’opposition réclament de substantielles réformes politiques et sociales. Via les réseaux numériques, le Collectif du 14 mars appelle à des manifestations pour faire chuter la monarchie sunnite et lance une marche en direction de la Place de la Perle, symbole du soulèvement violemment réprimé par le pouvoir deux ans auparavant. Une nouvelle fois, les forces de l’ordre – épaulées par les services de l’armée saoudienne et des barbouzes américaines – brisent le mouvement à coups de gaz lacrymogènes et de tirs à balles réelles : plusieurs victimes, des centaines d’arrestations. La pratique de la torture se généralise.
Le chef de la sécurité générale de Bahreïn, le général Tarek Al-Hassan peut assurer que le ministère de l’Intérieur a pris « toutes les mesures nécessaires » pour assurer le bon déroulement de la course et « protéger les participants et les spectateurs ». Nous voilà rassurés ! Dans une déclaration publiée par l’agence officielle BNA, il précise que les forces de sécurité sont « déployées en force autour du circuit ainsi que sur les principales routes y menant » et que la police effectue des patrouilles régulières. Ouf, l’ordre règne à Manama! Depuis ce grand prix du sang, la même séquence morbide ne cesse de se répéter…
Base stratégique américaine
Bahreïn, littéralement « les deux mers », est un petit pays insulaire d’Arabie situé près de la côte ouest du golfe Persique. L’essentiel de l’archipel est constitué par l’île de Bahreïn. Celle-ci est reliée à l’Arabie saoudite par un pont et l‘autoroute du roi Fahd à l’ouest. L’Iran se situe à environ 200 kilomètres au nord et le golfe de Bahreïn sépare l’île de la péninsule du Qatar au sud-est. En 2016, la population bahreïnienne est estimée à 1, 5 million personnes, dont plus de 700 000 expatriés, soit près de 50% de la population pour un territoire de seulement 694 km2.
Basée au Japon, la VIIème Flotte américaine fait face à la Chine et travaille activement à la montée en puissance d’une marine japonaise hauturière supplétive. Pour le Golfe persique, Washington aligne sa Vème Flotte dont l’état-major est, justement, basé à Bahreïn. Ses missions sont multiples, englobant le détroit d’Ormuz, mais aussi le Canal de Suez, le golfe d’Oman et les marches de l’Océan Indien, en liaison avec la grande base interarmées de Diego Garcia. Situé dans la zone hermétiquement fermée d’Abudaya à Bahreïn, le complexe militaire américain accueille en permanence une dizaine de bâtiments (porte-avions, sous-marins nucléaires d’attaque et frégates de premier rang).
Cette implantation précède l’indépendance du pays en 1971. En effet, la marine américaine était déjà sur place sous le protectorat britannique. À l’indépendance, Washington a offert quatre millions de dollars à Manama pour conserver son implantation. Malgré un certain refroidissement à la suite de la guerre du Kippour en 1973, Américains et Bahreïnis se sont néammoins entendus sur un compromis financier. La base d’Abudaya s’est avérée particulièrement utile lors de la Guerre du Golfe en 1990, accueillant quelque 20 000 soldats. À la suite de cette guerre – en février 1991 -, les deux parties ont signé un nouvel accord pour dix ans. Quatre ans plus tard, la présence américaine s’est renforcée avec l’installation officielle de l’état-major de la Vème Flotte et de NAVCENT. L’accord a été renouvelé en 2001.
Depuis le 14 février 2011, le pouvoir en place fait face à des manifestations populaires et politiques dans la lignée des révoltes arabes de janvier 2011. Le royaume a alors décidé de recourir à la violence en usant d’arrestations arbitraires, de la torture et d’assassinats ciblés à l’encontre des opposants, majoritairement chi‘ites. Cela n’a pourtant pas empêché de nouvelles manifestations, même si le gouvernement a violemment réprimé le mouvement avec l’aide des forces armées du pays, d’unités spécialisées saoudiennes et des services américains, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes. Car, comme il a déjà été noté, le pays a toujours accueilli des forces armées étrangères sur son sol, principalement saoudiennes, britanniques et américaines. En 2013, les manifestations de la majorité chi‘ite contre le clan sunnite au pouvoir se sont multipliées. Après deux ans de répression, le bilan s’établissait alors à plus d’une centaine de morts, dont une vingtaine de femmes et d‘enfants.
Cette situation préoccupante n’a pas empêché le nouveau président américain Donald Trump de s’afficher aux côtés du roi de Bahreïn Hamad ben Issa al-Khalifa, pour le féliciter et lui serrer chaleureusement la main lors du sommet d’une cinquantaine de pays sunnites à Riyad, le 20 mai 2017.
Quelques jours plus tard, dans le village de Duraz (banlieue de Manama), les partisans du chef spirituel des Chi’ites – cheikh Issa Qassem poursuivaient un sit-in pacifique. Sans sommation, la police a ouvert le feu sur la foule, causant la mort de plusieurs manifestants, blessant grièvement des dizaines d’autres. Justifiant la répression, le ministère bahreïni de l’Intérieur a expliqué que le lieu de cette protestation était devenu « un refuge pour des personnes fuyant la justice, recherchées pour des questions de sécurité nationale et de lutte anti-terroriste ». Circulez, y’a rien à voir !
Tirs à la chevrotine et tortures
Les forces de l’ordre ont fait usage d’armes de guerre et tiré à la chevrotine contre les manifestants qui ripostaient en lançant des pierres et des cocktails molotov. D’après plusieurs témoins, des descentes des forces de l’ordre ont été effectuées dans les habitations privées entourant celle du guide chi’ite Issa Qassem. Avant de lancer son opération, les forces de répression ont encerclé le village afin de l’isoler complètement par un cordon de blindés et de tanks, ont indiqué les habitants. Les partisans du cheikh Qassem sont déchus de la nationalité bahreïnie depuis le mois de juin 2016. Ils sont régulièrement accusés par les autorités d’ « abuser de leurs positions pour servir des intérêts étrangers (…) et inciter au sectarisme et à la violence terroriste ».
Dimanche 21 mai 2017, Issa Qassem est condamné à un an de prison pour « blanchiment d’argent et levée de fonds publics sans obtenir d’autorisation ». Cette accusation est liée au fait qu’il a reçu des khums, obligation religieuse pour les musulmans chi‘ites de verser un cinquième de leurs revenus annuels à leur guide spirituel ou son représentant qui, à son tour, le redistribue aux pauvres. C’est une coutume pratiquée par la communauté chi’ite de Bahreïn depuis des siècles. Issa Qassem est le guide spirituel du parti d’opposition al Wefaq, dissous en juillet 2016.
Ces dernières années, des centaines d’opposants chi‘ites ont été ainsi condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement et victimes de « tortures aggravées » selon plusieurs ONGs régionales et internationales dont Amnesty International. Pourtant, le pouvoir continue à nier toute espèce de discrimination envers les Chi’ites et accuse régulièrement l’Iran de s’ingérer dans les affaires de Bahreïn, ce que dément formellement Téhéran. Lors de son entretien avec Donald Trump, le roi de Bahreïn s’en est pris violemment à l’Iran, accusé d’attiser les conflits dans la région. Le président américain lui a donné raison en rajoutant qu’il fallait isoler l’Iran, soutien du terrorisme… Le président américain a – de fait – « signé un chèque en blanc au roi Hamad afin de poursuivre la répression de la population » ont souligné les mêmes ONGs.
Mohamed Kazem Mohsen Al-Deen et les autres
« Les événements inquiétants de la fin mai témoignent, une nouvelle fois, des conséquences de l’impunité endémique dont jouissent les forces de sécurité de Bahreïn. Il faut une enquête rapide et indépendante, en vue de poursuivre les responsables présumés de l’homicide illégal et d’un recours systématique à la force arbitraire et disproportionnée. Les autorités doivent maîtriser leurs forces de l‘ordre, leur ordonner de respecter strictement les normes internationales relatives à l’usage de la force et garantir le droit de manifester pacifiquement » , a déclaré Samah Hadid, directrice des Campagnes au sein d’Amnesty International pour le Moyen-Orient.
Au moins cinq personnes ont été tuées dont un homme – Mohamed Kazem Mohsen Zayn al-Deen – défenseur de l’environnement, âgé de 39 ans, qui a succombé à ses blessures. Il avait reçu des grenailles dans la tête. D’après un témoin, il aurait tenté de bloquer les forces de sécurité qui cherchaient à pénétrer dans la maison d’Issa Qassem avant de se faire tirer dessus. Un autre homme a été conduit à l’hôpital et son pronostic vital est engagé. Sa blessure à l’estomac a été causée par des grenailles. Plusieurs centaines de personnes ont été blessées, dont quatre grièvement. Selon d‘autres sources de terrain, ceux qui ne sont pas grièvement blessés ne vont pas à l’hôpital par peur d’être arrêtés et préfèrent recevoir l’aide de bénévoles formés aux premiers secours.
Selon d’autres témoins, des hélicoptères ont tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants dans le village voisin de Bani Jamra et plusieurs manifestants de ce village ont été également grièvement blessés. Au moins sept autres villages ont été le théâtre du même engrenage manifestations/répression. En outre, Amnesty International a analysé des images où l’on peut voir un membre des forces de l‘ordre à Duraz qui tient une mitraillette Heckler & Koch MP-5 9 mm, tandis que d’autres sont armés de fusils d’assaut. Différentes séquences montrent des policiers portant des armes automatiques alors qu’ils enfoncent les portes d’habitations privées de Duraz.
Le pays connaît une crise profonde des droits humains depuis janvier 2017, suite à l’exécution de trois hommes qui a déclenché des manifestations dans plus d’une trentaine de villages, dont celui de Duraz ; des mouvements qui mobilisent plusieurs milliers de villageois. Amnesty International a également visionné des images vidéos où l’on peut voir des hommes armés portant des cagoules noires tirer avec des fusils semi-automatiques Benelli lors des affrontements de Duraz. Ce matin-là, Mustapha Hamdan, 18 ans, a été touché à la tête par une balle réelle, non loin de la maison d’Issa Qassem. Il a succombé à ses blessures le 24 mai 2017.
Démantèlement de l'opposition
Au-delà de cette répression sanglante à laquelle Riyad et Washington participent directement, les autorités bahreïnies poursuivent actuellement une stratégie de démantèlement de toute espèce d’opposition politique. Le 31 mai 2017, un tribunal a prononcé la dissolution de l’Action démocratique nationale, localement appelée Waad. Cette formation de gauche représentait la dernière organisation populaire autorisée dans le pays. Comme dans les autres monarchies du Golfe, c’est au nom de la protection de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme que Waad a été interdit.
Et c’est le 20 mai, le lendemain même de l’élection présidentielle iranienne (...) que Donald Trump a affirmé au roi Hamad Ben Issa al-Khalifa son plein soutien en déclarant que son pays ne ferait plus « l’objet de pressions de la part de Washington au sujet des droits de l’homme ainsi que des libertés civiles et politiques ».
Le même président américain, qui expliquait – larmoyant – avoir commandé les bombardements en Syrie après avoir vu les images d’une « attaque chimique » survenue dans la région d’Idlib, ferait bien de visionner celles qui sont en possession d’Amnesty International, constituant autant de preuves accablantes à l’encontre de la répression armée que le roi Khalifa mène contre son peuple. Ne parlons pas des images des bombardements que la chasse saoudienne effectue quotidiennement sur les villes et villages du Yémen. Images et indignations sélectives… la grande presse occidentale si prompte à dénoncer le « boucher Bachar al-Assad » reste, le plus souvent, étrangement muette sur la destruction de l’un des pays les plus pauvres de la planète, comme sur la répression sanglante qui continue à sévir à Bahreïn.
Dans son Dépeupleur, Samuel Beckett décortique le fonctionnement de la répression moderne. Il décrit avec une rigueur toute scientifique – more geometrico – un microcosme totalement clos, un « cylindre surbaissé » peuplé d’êtres captifs. Il y fait régner des castes, des hiérarchies très précises et des lois extrêmement rigoureuses, soutenues par des alliés très puissants. Beckett savait-il alors qu’il anticipait de manière tellement visionnaire la dictature qui prévaut aujourd’hui à Bahreïn avec l’aide des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite ?
Ce qui est encore plus choquant est de voir le président américain prétendre s’appuyer sur de telles dictatures pour lutter contre … le terrorisme ! À jouer ainsi les pompiers-pyromanes, Washington – qui veut isoler un pays, l’Iran, qui n’a rien à voir avec le développement du terrorisme aujourd’hui – met clairement en danger, non seulement l’ensemble des pays des Proche et Moyen-Orient, mais aussi les nôtres à commencer par la France…12
Sources