L'Irak

 

L'histoire de l'Irak commence avec la Mésopotamie ; la région abrite quelques-unes des plus anciennes civilisations du monde, Sumer, Assyrie, Babylone.

Les vallées du Tigre et de l'Euphrate appartiennent ensuite à une succession d'empires qui lui sont étrangers : empires perse achéménide, grec (Alexandre le Grand suivi des Séleucides), Parthes, Sassanides. À l'époque pré-islamique, cette région porte le nom de Khvarvaran, qui est une des provinces de l'empire Sassanide. Le nom Irak dérive du terme persan Erak, qui signifie "bas-Iran".

 

La conquête arabe

La Mésopotamie est une des premières régions conquises par les Arabes musulmans au VIIe siècle. Disputée entre les Omeyyades et les Alides, elle reste au pouvoir des premiers après la sanglante bataille de Kerbala : c'est le point de départ de l'opposition entre sunnites et chiites.

 

L'Âge d'or abbasside

L'Irak devient ensuite le centre du califat abbasside de Bagdad.

Affaibli par la révolte des esclaves Zanj au IXe siècle, le califat ne domine plus directement que l'Irak central et méridional. Le nord, autour de Mossoul, appartient à des émirs indépendants, Hamdanides puis Zengides.

Le califat reste cependant le symbole de l'unité de l'islam sunnite. Les Turcs seldjoukides lui rendent hommage, de même que la plupart des princes musulmans.

 

Le déclin

Ravagé par les Mongols de Hülegü, puis par les Turcs orientaux de Timour, l'Irak perd son rôle central lorsque les derniers califes abbassides transfèrent leur résidence au Caire.

Aux XVIe et XVIIe siècles, l'Irak est un champ de bataille entre l'Iran des Séfévides et l'Empire ottoman. Le premier renforce l'implantation du chiisme autour des villes saintes de Kerbala et Nadjaf. Mais c'est le second qui reste maître du terrain, en s'appuyant sur les Turkmènes et les Arabes sunnites.

L'Irak, divisé en trois vilayets (Mossoul, Bagdad et Bassorah), est une portion plutôt pauvre et marginale de l'espace ottoman. Le détournement de la route des Indes par les Portugais et les autres européens lui a fait perdre ce qui lui restait d'importance économique.1

 

L'Irak sous l'Empire ottoman

Au cours de la fin du XIVe siècle et au début du XVIe siècle, la tribu Kara Koyunlu règne sur la région actuellement connue comme étant l'Irak. En 1466, la tribu Ak Koyunlu défait la tribu Kara Koyunlu et prend le contrôle du pays. Au XVIe siècle la plus grande partie du territoire de l'Irak moderne est envahie par l'Empire ottoman. Pendant l'essentiel de la domination ottomane (1533-1918), le territoire de l'Irak moderne est une zone tampon entre les empires rivaux régionaux, la Perse et l'Empire ottoman, et les alliances tribales. La dynastie séfévide de Perse affirme brièvement son hégémonie sur l'Irak de 1508 à 1533 puis de 1622 à 1638.

Au XVIIe siècle, les conflits fréquents avec les Séfévides sapent l'Empire ottoman et affaiblissent son contrôle sur ses provinces. La population nomade s'agrandit avec l'arrivée des bédouins de Nejd dans la péninsule Arabique.

Pendant les années 1747 à 1831, l'Irak est gouverné par des officiers mamelouks d'origine géorgienne qui parviennent à obtenir l'autonomie vis-à-vis de la Grande Porte. Des révoltes tribales s'ensuivent et sont réprimées par les mamelouks. Le pouvoir des janissaires est limité lorsque l'ordre est rétabli et un programme de modernisation économique et militaire est mis en place. En 1831, les Ottomans parviennent à renverser le régime mamelouk et imposent leur souveraineté sur l'Irak.2

 

Dès le 19e siècle, au centre des rivalités entre puissances coloniales

L’Irak d’aujourd’hui a une frontière commune avec six autres États : au nord la Turquie, à l’est l’Iran, au sud le Koweit et l’Arabie Saoudite et, à l’ouest, la Jordanie et la Syrie.

Comme la plupart des pays du Moyen-Orient, l’Irak est une construction artificielle récente, issue du démantèlement de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque les puissances impérialistes rivales se partagèrent les dépouilles de l’empire vaincu.

Au 16e siècle, l’Empire ottoman en pleine période ascendante intégra cette région en son sein. Le territoire actuel de l’Irak coïncide avec trois grandes provinces distinctes de cet empire. Au sud, la province de Bassorah était peuplée d’Arabes musulmans d’obédience chiite, en partie issus de populations venues de Perse. Au centre, celle de Bagdad avait également une population essentiellement arabe, mais partagée entre chiites et sunnites. Et au nord, la province de Mossoul avait une majorité kurde.

Au 19e siècle l’Empire ottoman, déjà dans une phase de déclin, devint la proie des bourgeoisies européennes montantes, qui commencèrent à mettre en pièces cette région qu’il avait unifiée.

La Grande-Bretagne fut la première puissance occidentale à investir l’économie ottomane en général et irakienne en particulier. Ce fut elle qui, en achetant la loyauté d’un certain nombre de clans féodaux basés le long des côtes du golfe persique et de la péninsule arabique, donna naissance à la fin du 19e siècle à une série de « protectorats » - en fait de véritables colonies.

Ce sont ces protectorats côtiers qui finirent par donner naissance aux micro-États artificiels que l’on désigne collectivement aujourd’hui sous le nom d’ « émirats arabes » - des États où des clans féodaux insignifiants ont pu continuer à régner, d’abord grâce à la protection de l’impérialisme anglais, puis grâce aux dollars qu’ils ont gagnés en protégeant les bénéfices des trusts du pétrole.

Le cas de l’un de ces micro-États, le Koweit, vaut une mention particulière, puisque son intégrité territoriale servit de prétexte à la guerre du Golfe, en 1991. Au 19e siècle, Koweit n’était qu’un petit port de pêche au fond du golfe persique, dans la province ottomane de Bassorah. Mais il occupait le seul emplacement de la côte permettant la construction d’un port pour les navires de haute mer. La Grande-Bretagne réussit à en accaparer l’usage en gagnant l’appui d’un clan féodal local, les Al-Sabah. En 1899, un accord fut signé transformant la région entourant Koweit en protectorat anglais sur lequel Londres reconnaissait la souveraineté de ce clan. Huit ans plus tard, malgré les protestations impuissantes de l’Empire ottoman, la première base militaire occidentale permanente au Moyen-Orient devait y être construite.

Les Britanniques ne restèrent pas longtemps seuls dans la région. À partir du milieu du 19e siècle les banques françaises réussirent peu à peu à s’emparer des finances de l’Empire ottoman. Vers 1870, la Banque Impériale Ottomane, qui servait de banque centrale à l’empire, était contrôlée par la Banque de l’Union Parisienne.

Néanmoins, en 1887, pour secouer le joug de la haute finance française, le sultan ottoman se tourna vers les banques allemandes pour obtenir les fonds nécessaires à la construction d’une ligne de chemin de fer Istanbul-Ankara-Bagdad-Bassorah. Ce projet déclencha des rivalités homériques entre les grandes puissances rivales. Il fallut à la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Russie impériale plus de vingt ans d’arguties et de coups tordus pour arriver à un accord. Elles se répartirent avec le dernier des cynismes toutes les sources de profits que l’Empire ottoman pouvait leur offrir.

Un nouvel élément brûlant avait fait son apparition en cours de route : le pétrole, découvert dès les années 1870 près de Mossoul. Tant que sa seule utilisation commerciale se limitait à l’éclairage, cela n’intéressait personne. Mais en 1901, l’Amirauté britannique décida que l’avenir de sa flotte nécessitait à terme le remplacement du charbon par le fioul.

Dès lors le contrôle de la production et des réserves pétrolières devint un enjeu stratégique vital pour les impérialismes rivaux dans la région et il devait l’être de plus en plus par la suite. La question du chemin de fer de Bagdad prit une tout autre importance. D’autant que l’Allemagne exigeait l’exclusivité des droits minéraux, et donc pétroliers, le long des voies dont elle finançait la construction - chose évidemment inacceptable pour la France et la Grande-Bretagne.

À la veille de la Première Guerre mondiale, il y eut finalement un accord sur ce fameux chemin de fer, qui obligea l’Allemagne à renoncer au contrôle des deux tiers de la ligne, ainsi qu’aux droits minéraux qu’elle revendiquait, en échange d’une simple participation minoritaire dans l’exploitation future du pétrole de Mossoul.

 

La mise en pièces de l’Empire ottoman

Mais la Guerre mondiale rendit rapidement tous ces marchandages caducs. D’abord neutre, l’Empire ottoman finit par rejoindre le camp de l’Allemagne. Trois jours exactement après son entrée en guerre, un corps expéditionnaire britannique venu des Indes débarqua à Koweit pour occuper le terrain aussi loin que possible vers Bagdad et Mossoul. La tâche se révéla plus difficile que prévu. Et il fallut aux Anglais un deuxième contingent de troupes pour parvenir à Bagdad en 1917, puis occuper Mossoul en 1918, après l’armistice avec les troupes ottomanes.

Pendant ce temps, pour paralyser les troupes ottomanes dans l’ouest du Moyen-Orient et, en particulier, protéger l’Égypte, les services secrets britanniques montaient l’opération que l’on allait identifier plus tard au personnage d’aventurier romantique du fameux « Lawrence d’Arabie », cherchant à provoquer un soulèvement arabe contre les Ottomans. L’opération s’appuyait sur les forces de Hussein, un émir qui régnait déjà sur le Hedjaz, c’est-à-dire la région entourant La Mecque dans l’Arabie Saoudite d’aujourd’hui. En échange, la Grande-Bretagne, en accord avec la France, promit à Hussein un grand État arabe indépendant, une fois la victoire obtenue.

Mais en même temps, les diplomates français et anglais s’occupaient fiévreusement à préparer l’après-guerre, c’est-à-dire un repartage du Moyen-Orient et, cette fois-ci, sans l’Allemagne. L’accord auquel ils arrivèrent en 1916, dit « plan Sykes-Picot », du nom de ses signataires, ne fut pas rendu public tant son contenu était peu avouable. Mais il fut publié peu de temps après par les Bolcheviques qui en avaient trouvé une copie après la révolution d’octobre 1917.

Ce plan divisait le Moyen-Orient en quatre zones. La France s’attribuait une zone d’occupation, recouvrant le Liban et une partie du sud-est de la Turquie actuelle, et une zone d’influence englobant la Syrie et le nord de l’Irak actuels. La Grande-Bretagne recevait une zone d’occupation comprenant la région fertile irakienne allant de Bagdad à Bassorah, et une zone d’influence comprenant le reste de l’Irak et la Jordanie d’aujourd’hui. Un protectorat commun devait être établi sur l’équivalent actuel d’Israël et des Territoires Occupés. Nulle part il n’était question de l’État arabe indépendant promis à l’émir Hussein.

Finalement, à la sortie de la guerre, la France obtint un « mandat » de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, couvrant la Syrie et le Liban, tandis que la Grande-Bretagne obtenait un « mandat » sur un territoire correspondant à ceux qu’occupent aujourd’hui l’Irak, la Jordanie, Israël et les Territoires Occupés, et l’Égypte. La formule du « mandat » ne faisait que cacher un statut colonial. La soi-disant « communauté internationale » servait ainsi déjà de couverture aux exactions de l’impérialisme - preuve que Bush père et fils n’ont vraiment rien inventé !

Par ailleurs, en guise de dédommagement pour la perte de la région de Mossoul, que le plan Sykes-Picot lui avait initialement attribuée, la France s’attribua la part allemande de la compagnie pétrolière exploitant le pétrole de Mossoul, soit 25% du capital. De ces 25% devait naître quelques années plus tard la CFP (Compagnie Française des Pétroles), l’ancêtre de Total puis de TotalFinaElf.

Dans ce règlement, le troisième et principal partenaire du camp allié, les USA, était laissé sur la touche. Mais les deux décennies suivantes allaient voir la pénétration croissante du capital américain dans la région, avant que la Seconde Guerre mondiale vienne réduire définitivement le rôle des impérialismes européens.

La principale victime de ce règlement était le monde arabe. Les liens historiques qui l’unissaient, et qui avaient survécu sous la domination ottomane subie en commun, auraient pu servir de fondations à une entité arabe indépendante. Même constituée sur une base bourgeoise, une telle entité aurait constitué un progrès. En particulier elle aurait été en meilleure position pour s’opposer au pillage par les puissances impérialistes. Et c’est pourquoi, par-delà les rivalités entre les divers protagonistes, l’intérêt global de l’impérialisme était cette balkanisation de la région, afin de mieux l’affaiblir.

 

De l’occupation anglaise à la mise sous tutelle

Entre-temps, en ce lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est tout le Moyen-Orient qui s’était engouffré dans une vague d’agitation nationaliste.

Le mouvement commença en Égypte en 1919, par des grèves et des manifestations pour l’indépendance. Puis il se propagea en Syrie, pour culminer l’année suivante simultanément en Syrie et en Irak, exprimant l’aspiration des peuples à se débarrasser une bonne fois de la tutelle des grandes puissances.

En Irak, l’occupation britannique nourrissait le mouvement. Une violente opposition s’exprimait contre l’administration britannique, dont les représentants étaient de purs produits de l’administration coloniale indienne, avec leur morgue imprégnée de racisme. Mais Bagdad n’était pas Calcutta. Comme dans toutes les grandes villes arabes, on y trouvait une riche bourgeoisie financière et marchande et une petite bourgeoisie relativement nombreuse, qui n’avaient pas eu l’habitude d’un tel traitement sous la domination ottomane. La population était déterminée à en finir avec toute forme d’occupation étrangère. Lorsqu’elle prit conscience que la promesse d’un État arabe indépendant n’avait été qu’un leurre et que l’occupation britannique allait continuer, de violentes émeutes éclatèrent aux quatre coins de l’Irak. Il fallut plus de trois mois à l’armée britannique pour écraser cette révolte, sans parler des expéditions punitives qui continuèrent jusqu’au milieu de l’année 1921.

À Londres, le coût financier et politique de cette révolte apparut trop élevé. Il était difficile de justifier auprès de l’opinion anglaise la mort au combat de plusieurs centaines de soldats britanniques plus de deux ans après la fin de la Guerre mondiale. Avec un cynisme consommé, le directeur de l’administration coloniale indienne tira alors la conclusion suivante : « Ce qu’il faut mettre en place, c’est une administration basée sur des institutions arabes, à qui nous puissions laisser faire le travail tout en étant sûrs de pouvoir en tirer les ficelles ; un système qui ne nous coûte pas très cher et que le Parti Travailliste puisse avaler sans trahir ses principes, mais qui garantisse en même temps nos intérêts économiques et politiques. »

Mais en Irak, l’impérialisme anglais ne disposait pas, comme dans bon nombre de ses colonies plus anciennes, d’un personnel politique indigène formé par l’appareil colonial. À défaut, Londres se tourna vers l’un de ses alliés du temps de guerre. Ce fut Fayçal, l’un des fils de cet émir Hussein à qui Londres avait promis autrefois un « grand royaume arabe ». Ce Fayçal, qui venait d’être chassé de Syrie par les troupes françaises après avoir tenté d’y proclamer un État indépendant, fut accueilli à Bagdad et, en août 1921, il fut proclamé souverain d’Irak. Les Anglais était coutumiers de telles nominations, puisque quelques mois auparavant ils avaient créé le trône de Transjordanie pour y mettre un frère de Fayçal, Abdallah, inaugurant ainsi la dynastie qui règne encore aujourd’hui en Jordanie.

L’année suivante, en 1922, un traité anglo-irakien formalisa le contenu du « mandat » de la Grande-Bretagne en Irak. La politique extérieure de l’Irak et ses finances restaient aux mains des Anglais. La protection des intérêts britanniques en Irak devait être assurée par des escadrilles de la RAF et des troupes britanniques stationnées en permanence sur place, ainsi que par des milices supplétives recrutées parmi la minorité chrétienne assyrienne - ce qui, par la suite, valut à cette minorité de devenir la cible de pogroms. La Grande-Bretagne s’engageait bien à créer une armée irakienne, mais elle s’en réservait le commandement. Enfin, l’Irak était tenu de financer non seulement l’entretien des Britanniques et de leurs installations, mais aussi des grands travaux dont l’exécution devrait être attribuée à des entreprises britanniques. En plus, l’État irakien avait à charge de rembourser une partie de la dette de l’Empire ottoman aux banques franco-anglaises !

Restait à définir les frontières précises du nouvel État. Ce fut fait un beau jour de 1922, où en quelques heures les frontières de l’Irak furent tracées sur une carte à grand coups de règle, sans aucun égard ni pour les territoires traditionnels des clans nomades d’Arabie, ni pour la géographie.

En même temps les Anglais obtenaient du roi d’Arabie Ibn Séoud qu’il reconnaisse les protectorats anglais des « émirats arabes ». De plus, le territoire du protectorat anglais du Koweit était agrandi au point de ne laisser à l’Irak qu’une quarantaine de kilomètres de côte instable en guise d’accès au Golfe Persique. Le seul port de haute mer irakien se trouvait repoussé à Bassorah, à 150 km à l’intérieur des terres, au bout du Chatt el-Arab, un étroit chenal constamment menacé d’obstruction par les alluvions des fleuves qui s’y déversent, et que l’Irak devait de surcroît partager avec la Perse - ce qui allait être la source de bien des conflits entre les deux pays par la suite.

 

Les Kurdes, victimes du règlement politique et des intérêts pétroliers

Les accords de 1922 laissaient néanmoins en suspens la question du tracé de la frontière nord de l’Irak, question des plus épineuses car, d’une part, du tracé de cette frontière dépendait le contrôle du bassin pétrolifère de Mossoul et, d’autre part, le règlement de cette question se heurtait aux revendications nationales et à la mobilisation du peuple kurde.

Cette mobilisation avait commencé très tôt, encouragée par la défaite de la Turquie et le chaos politique qui régnait alors en Perse. Les troupes britanniques ripostèrent brutalement. Winston Churchill, alors ministre des Colonies, recommanda lui-même que la RAF - la Royal Air Force, armée de l’air britannique - fasse usage de gaz « moutarde » contre les insurgés - preuve qu’en Irak, les premiers à utiliser les « armes de destruction massive » furent bien les puissances impérialistes. Et elles ne firent pas de quartier !

Parmi la mosaïque de peuples qui avaient subi la domination de l’Empire ottoman pendant si longtemps, le peuple kurde était sans doute l’un de ceux qui attendaient le plus de son écroulement. En 1920, le traité de Sèvres proposa même, en même temps que le démantèlement de la Turquie, la formation d’un État kurde indépendant. Mais ce traité contre la Turquie entraîna dans ce pays un raz-de-marée nationaliste, sous la direction de Mustapha Kemal, qui le rendit caduc. Mais du coup il n’y eut pas non plus d’État kurde.

En Irak, les troupes britanniques menèrent de leur côté plus de deux ans d’une guerre sanglante contre les Kurdes. Une fois de plus les bombardiers de la RAF y jouèrent un rôle majeur, détruisant systématiquement les villages et camps de montagne où les maquisards kurdes irakiens trouvaient refuge, et même, en décembre 1924, la grande ville kurde de Suleimania elle-même.

Si la Grande-Bretagne était si déterminée à garder un contrôle total sur cette partie du Kurdistan, c’était parce que Mustapha Kemal en revendiquait le rattachement à la Turquie, pour pouvoir disposer du pétrole de Mossoul. En 1925, la Société des Nations trancha la question. Le pétrole de Mossoul resta sous contrôle britannique. Mais du même coup, la situation du peuple kurde s’en trouva singulièrement aggravée. Au lieu d’être coupé en deux comme auparavant, entre l’Empire ottoman et la Perse, il se trouva désormais écartelé entre quatre États - la Turquie, la Syrie sous mandat français, l’Irak sous mandat anglais et l’Iran !

D’autre part l’annexion de cette partie du Kurdistan créa, dans le nord de l’Irak, une poudrière comprenant un cinquième de la population et d’autant plus explosive qu’aucun régime irakien ne donna vraiment aux Kurdes les droits démocratiques, culturels et linguistiques qui leur furent si souvent promis.

 

L’offensive de l’impérialisme américain

L’arbitrage de la Société des Nations en faveur de la Grande-Bretagne à propos du Kurdistan et du pétrole de Mossoul devait beaucoup au soutien des États-Unis. Il y avait évidemment une contrepartie. On le vit dès l’année suivante, avec l’entrée d’un premier trust américain dans le capital de l’Iraki Petroleum Corporation, ou IPC, la nouvelle compagnie pétrolière irakienne. De sorte qu’en 1929 l’IPC, qui avait le monopole du pétrole irakien, était contrôlé par les ancêtres de BP, Shell, Exxon, Mobil et CFP-Total. De plus, un nouveau bassin pétrolifère d’une richesse considérable fut découvert à Kirkouk, toujours dans le Kurdistan irakien. La surface des concessions contrôlées par l’IPC passa de 500 à 90 000 km² !

Les compagnies pétrolières américaines passaient à l’offensive dans tout le Moyen-Orient et chaque fois la Grande-Bretagne était contrainte à des concessions.

Mais le véritable coup de maître de l’impérialisme américain eut lieu en Arabie Saoudite. Celle-ci avait pris sa forme moderne en 1926, après avoir annexé le Hedjaz, puis avait adopté le nom d’Arabie Saoudite en 1932. Elle avait la particularité, presque unique dans la région, de s’être formée indépendamment du colonialisme anglais et même, dans une large mesure, contre lui. C’est ce qui permit au trust américain Socal, l’ancêtre de Chevron, de remporter le monopole du pétrole saoudien au nez et à la barbe des compagnies anglaises, en 1933. Trois ans plus tard, une nouvelle compagnie, l’Aramco, était formée par les ancêtres de Chevron, Exxon, Mobil et Texaco, pour exploiter les 1,3 million de km² de concessions attribuées par le régime saoudien et qui devaient se révéler contenir les plus vastes réserves pétrolières de la planète.

En 1929, la Grande-Bretagne décida d’accorder son indépendance formelle à l’Irak, ceci à partir de son entrée à la Société des Nations, prévue pour 1932. Mais en réalité, cette indépendance irakienne ne changea rien à sa situation de dépendance vis-à-vis de l’impérialisme, donnant seulement les coudées un peu plus franches aux États-Unis par rapport à la Grande-Bretagne. Le traité anglo-irakien de 1930 modifia les apparences bien plus que le contenu des relations entre l’Irak et celle-ci. Le gouvernement de Bagdad devint seul responsable de sa politique financière et extérieure, mais les bases de la RAF britannique restèrent en place avec tout leur personnel sous prétexte, déclara Londres, de « maintenir les lignes de communications au sein de l’Empire ». Le dernier acte du gouvernement sous mandat britannique donna un avant-goût de ce que serait l’indépendance, en étendant les droits d’exploitation de l’IPC à la totalité du territoire national.

Voilà donc comment l’Irak commença son existence d’État indépendant : en tant que chasse gardée d’une compagnie pétrolière anglo-franco-américaine, et sous la surveillance vigilante de bombardiers anglais.

 

1936 - La mobilisation des masses pauvres

Mais dès ces années 1930, il y eut de nouveaux mouvements de révolte contre l’oppression impérialiste au Moyen-Orient. Ce fut le cas en Syrie, où on assista en 1936 à une grève générale qui dura 50 jours, mais aussi en Palestine et en Irak. L’effervescence politique se développait à l’échelle de l’ensemble du monde arabe, y compris dans le Maghreb alors dominé par le colonialisme français. Elle était marquée par une irruption des masses pauvres dans l’arène politique. Le creuset de cette effervescence fut les grandes villes, relativement importantes et anciennes dans l’ensemble du Moyen-Orient, où coexistaient une bourgeoisie riche, mais aussi une petite bourgeoisie intellectuelle avide d’idées nouvelles et également une classe ouvrière, encore peu nombreuse sans doute, mais ayant déjà ses propres organisations.

En Irak, les premiers syndicats étaient apparus à la fin des années 1920, essentiellement parmi les artisans et ouvriers à domicile, mais aussi dans les chemins de fer, à l’initiative de nationalistes. Ces syndicats furent à l’origine de plusieurs mouvements de grève importants, entre 1931 et 1934, contre des mesures d’augmentation des impôts ou encore pour imposer une baisse des tarifs prohibitifs pratiqués par les propriétaires anglais de la compagnie d’électricité de Bagdad.

Une nouvelle opposition politique émergeait, très différente des groupes d’opposition nationalistes traditionnels. Le parti Ahali, ou Parti du Peuple, créé par un groupe d’étudiants irakiens de l’université américaine de Beyrouth, à la fin des années 1920, apparut à la tête des grands mouvements sociaux des années 1935-36.

Tout commença en mars 1935, dans le sud du pays, lorsque les paysans pauvres se mobilisèrent. Pour la première fois en Irak on vit des manifestations paysannes pour la réforme agraire et la démocratie communale. Mais ce mouvement, réprimé dans le sang, n’était qu’un prélude.

En octobre 1936, il y eut à Bagdad un coup d’État militaire anti-monarchiste, dirigé par le général Hikmet Suleyman. Plusieurs ministres issus de la direction du parti Ahali furent admis au gouvernement. Une semaine plus tard, plus de 100 000 manifestants défilaient, derrière des banderoles réclamant du pain pour les affamés ou encore condamnant le fascisme. Des mouvements de grève se développaient parmi les dockers, les cheminots, les ouvriers du pétrole, etc.. Les ouvriers affluaient dans les nouveaux syndicats qui se créaient.

Le nouveau pouvoir chercha d’abord à s’appuyer sur cette mobilisation, en usant d’un langage socialisant. Mais l’armée n’était pas prête pour autant à se laisser entraîner trop loin sur le terrain des réformes. Les propriétaires fonciers rappelèrent la hiérarchie militaire à ses devoirs quand commencèrent à être publiés des propositions de réforme agraire. Bientôt le général Hikmet Suleyman se retourna contre les forces politiques qui le soutenaient.

Il y eut de puissants mouvements de grève pour tenter de riposter à la vague montante de la répression. Mais il était trop tard. Les masses pauvres n’avaient pas été préparés à faire face à cette volte-face de l’armée. Elles furent prises au dépourvu sans avoir pu se donner les moyens de se battre. En revanche, à cette occasion, l’armée avait fait la démonstration, à la bourgeoisie irakienne comme à l’impérialisme, de sa capacité à assumer le pouvoir politique, y compris face à une mobilisation populaire qui aurait pu menacer bien des privilégiés. Ce ne devait pas être la dernière fois.

 

De la Guerre Froide à la chute de la monarchie

Les années 1950, années de Guerre Froide, furent marquées par une intervention plus ouverte et plus brutale de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. Il y eut d’abord l’aide apportée par la CIA au coup d’État militaire qui renversa le Premier ministre libéral iranien Mossadegh, en 1953, pour avoir osé prétendre nationaliser les avoirs des trusts pétroliers en Iran. Puis en 1958, on vit un corps expéditionnaire américain intervenir au Liban pour sauver le pouvoir de la bourgeoisie maronite menacé par une insurrection populaire.

Mais ces années furent aussi marquées par l’essor du nationalisme arabe, dans le sens d’un nationalisme à l’échelle de tout le monde arabe, et pas seulement à l’échelle d’un des pays qui le constituaient. Du Maroc et de l’Algérie, en butte au colonialisme français, à l’Irak, en passant par l’Égypte, cela correspondait dans les masses à une certaine conscience d’une oppression commune exercée par les différents impérialismes. Sur le plan politique, cela prit la forme de ce que l’on appela le « panarabisme », un courant nationaliste visant à la création d’un État arabe unifié et qui fut incarné par des organisations et des politiciens divers.

Parmi ces derniers, le plus prestigieux fut le leader égyptien Nasser, qui montra les limites du panarabisme lorsqu’il chercha à s’en servir comme d’un levier démagogique au service de sa propre politique nationaliste.

En juillet 1952, le coup d’État des « Officiers Libres » égyptiens, qui devait bientôt amener Nasser au pouvoir, eut des répercussions immédiates en Irak. La jeunesse déferla dans les rues, exigeant des réformes démocratiques. Des grèves éclatèrent. Il y eut des centaines de morts et des milliers d’arrestations. Cela n’empêcha pas de nouvelles manifestations l’année suivante, cette fois contre le rôle de la CIA dans le renversement de Mossadegh en Iran. Le régime irakien accentua encore la répression. Mais ce n’était qu’une fuite en avant qui devait le conduire à sa perte.

En 1955, le régime irakien rejoignait le pacte de Bagdad, une coalition regroupant, outre l’Irak, l’Iran, la Turquie, le Pakistan et la Grande-Bretagne, destinée à assurer la protection militaire des intérêts pétroliers de l’impérialisme au Moyen-Orient, contre l’URSS sans doute, mais aussi et surtout contre les populations de la région. De sorte que ce pacte fut ressenti, aussi bien dans les rangs de l’armée irakienne que de toute une partie de la population, comme une humiliation de plus.

Or cette humiliation survint à un moment où la politique de Nasser marquait de plus en plus de points au Moyen-Orient. Après avoir obtenu de la Grande-Bretagne qu’elle retire ses troupes d’Égypte, il paraissait s’engager dans la voie du panarabisme, avec le projet qui devait aboutir à la formation de la République Arabe Unie avec la Syrie, qui fut il est vrai de courte durée. Nasser avait par ailleurs participé à la conférence des pays non-alignés de Bandoung, en 1955, où un certain nombre de pays pauvres avaient déclaré leur refus de se laisser annexer par l’un des deux camps de la Guerre Froide - déclaration qui avait suscité l’enthousiasme dans tous les milieux de l’opposition irakienne et jusque dans les rangs mêmes de l’armée. Et, bien sûr, la nationalisation du canal de Suez, en 1956, n’avait fait que rehausser le prestige du nassérisme, surtout après que les forces dépêchées sur place par la France, la Grande-Bretagne et Israël, eurent été contraintes de s’en retourner piteusement.

Ce fut dans ce contexte que, reprenant l’exemple nassérien, une organisation clandestine des « Officiers Libres » fut constituée dans l’armée irakienne. Le 13 juillet 1958, elle organisa un coup d’État qui ne rencontra aucune résistance. La famille royale fut exécutée et le lendemain le chef des « Officiers Libres », le général Kassem, entra dans la capitale, accueilli en héros. Dans l’après-midi il faisait une déclaration à la radio, proclamant la République et affirmant que désormais, les affaires du pays devaient être « prises en main par un gouvernement émanant de la population et exprimant ses aspirations. »

La royauté hachémite que l’impérialisme britannique avait installée au pouvoir en Irak avait donc vécu. Mais, comme cela s’était passé en 1936, les masses pauvres qui avaient aussitôt apporté leur soutien au nouveau régime, allaient être dépossédées de ce qu’elles considéraient déjà comme leur propre victoire.

 

La « révolution » de 1958

Cette révolution de 1958 avait été faite par un groupe d’officiers supérieurs dont les idées n’avaient rien de radical, ni sur le plan politique ni sur le plan social, et qui se situaient dans le cadre étroit du nationalisme irakien. Les premières mesures de la République des militaires furent d’abolir les vestiges de l’ancien régime, de rompre la parité fixe entre la monnaie irakienne et la livre anglaise, d’établir des relations diplomatiques avec la Chine, l’URSS et d’autres pays de l’Est et, enfin, de dénoncer le traité de Bagdad - dénonciation qui fut complétée l’année suivante par le départ des derniers techniciens anglais des bases irakiennes.

 

1963 - Le massacre des communistes

Le règne de Kassem tirait à sa fin. Les deux dernières années précédant son renversement furent marquées par quelques gestes spectaculaires pour redorer son prestige, comme sa tentative, déjà, d’annexer le Koweit après que cet État accéda à l’indépendance, en 1961. Après tout, cela n’aurait été qu’un juste retour des choses. Mais la marine britannique débarqua en force dans la principauté et Kassem dut faire machine arrière.

Quelques mois plus tard, après de vaines négociations pour obtenir de la compagnie IPC qu’elle augmente sa production de pétrole irakien, Kassem limita les droits de prospection et d’exploitation de l’IPC aux seules zones où celle-ci avait des puits en exploitation. Les compagnies occidentales virent s’évanouir d’énormes perspectives de profits, et cela fit un beau scandale dans les capitales concernées !

Malgré ces gestes, destinés à rehausser son image de dirigeant « anti-impérialiste », Kassem ne voulait en aucune façon s’appuyer sur les masses. Au contraire, il avait commencé à les réprimer. Finalement, le 8 février 1963, un coup d’État militaire renversa Kassem. Des milliers de manifestants déferlèrent dans les rues dans une tentative désespérée de protéger le régime, réclamant des armes que Kassem se refusa à leur faire donner. Nombre d’entre eux, dont beaucoup de militants et sympathisants du Parti Communiste, se firent massacrer par les tanks de l’armée en tentant de protéger de leurs corps les locaux du ministère de la Défense où Kassem s’était réfugié.

Malgré la facilité de leur victoire, les leaders du coup d’État ne prirent aucun risque. Se méfiant sans doute de la loyauté de leurs propres soldats, ils formèrent sur-le-champ une milice à leur dévotion, la Garde Nationale, dont beaucoup de recrues venaient des bas-fonds de Bagdad et dont un des hommes de main allait être encore une fois un certain Saddam Hussein. Le soir même un communiqué radiodiffusé par la junte appelait à l’« annihilation » des « agents communistes, partisans de Kassem, l’ennemi de Dieu ».

Ce fut un bain de sang. Dans les quartiers pauvres la population se défendit avec les quelques armes dont elle disposait. Ceux de Bassorah tombèrent en dernier, après quatre jours de combat de rue. Puis, pendant des semaines, les Gardes Nationaux firent le « nettoyage », armés de listes d’adresses. Ceux qui résistaient à l’arrestation furent liquidés sur-le-champ. Les autres furent rassemblés comme du bétail dans les stades. Beaucoup moururent sous la torture dans les locaux d’un ancien palais royal converti en centre d’interrogation de la Garde Nationale. Les plus chanceux, si l’on peut dire, furent condamnés à de longues peines de prison, dont beaucoup ne réchappèrent pas, tant les conditions carcérales étaient dures. Par la suite les victimes directes de cette boucherie furent estimées à 5 000 morts parmi les seuls militants communistes et plus de 30 000 pour l’ensemble de la population - sans parler de tous ceux qui « disparurent » dans les geôles du régime.

Tout indique d’ailleurs que ce coup d’État sanglant fut effectué avec l’assentiment, pour ne pas dire les encouragements actifs des services spéciaux occidentaux - en particulier de la CIA américaine et du SDECE français. Le fait que De Gaulle choisit justement ce moment pour rétablir des relations diplomatiques avec l’Irak - après sept ans de rupture consécutive à l’affaire du canal de Suez - ne pouvait être le fruit du hasard.

 

Le baassisme, un nationalisme arabe radical

La force motrice du coup d’État de 1963 et du massacre qui s’ensuivit avait été le parti Baas. Ce parti pan-arabiste n’avait jusqu’alors guère joué de rôle sur la scène politique irakienne, même si ses origines remontaient à 1944, en Syrie, alors encore sous mandat français. Son nom signifie « Résurrection » en arabe.

Le baassisme utilisait volontiers une phraséologie socialisante, prônant un certain dirigisme étatique inspiré du stalinisme. Mais en même temps il niait l’existence de la lutte des classes, considérée comme une diversion à la lutte nationale, et il combattait le communisme présenté comme une émanation néfaste de l’Occident.

Selon les chiffres de la police le Baas irakien n’avait encore que 259 militants en 1955 et il ne réussit pas à profiter notablement de l’effervescence politique qui suivit le renversement de la monarchie en 1958. Il saisit sa chance lorsque les clans militaires qui étaient derrière le renversement de Kassem lui laissèrent la première place au lendemain de leur coup d’État. Il fournit au régime militaire des supplétifs pour l’aider à écraser les velléités de résistance dans la population. Mais une fois cette tâche sanglante accomplie, les généraux ne tardèrent pas à reprendre les choses en main.

Quatre mois après le coup d’État, l’ancien rival de Kassem, le général Aref, fut nommé président du nouveau régime. Et son premier geste fut de se débarrasser du Baas.

L’armée resta donc seule au pouvoir pour les cinq années suivantes, marquées par des rivalités entre factions militaires et civiles. La défaite du camp arabe face à Israël dans la guerre des Six-Jours, en 1967, et la participation purement symbolique du régime à cette guerre, aggrava son discrédit et fournit de nouvelles troupes au parti Baas. Après quatre ans d’une semi-illégalité celui-ci put se reconstituer une certaine virginité. De sorte qu’en juillet 1968, il se trouva en position de poser sa candidature au pouvoir.

 

1968 - Le Baas s’installe au pouvoir

Le 17 juillet 1968, un petit groupe d’officiers supérieurs, menés par les chefs de la Sécurité et de la Garde Nationale, occupaient les points stratégiques de Bagdad avec leurs troupes. Le général al-Bakr, qui avait été le porte-parole du baassisme au sein de l’armée lors du coup d’État de 1963, fut proclamé président et un Conseil de Commandement de la Révolution formé de sept militaires, dont trois baassistes, s’installa au pouvoir.

Une nouvelle Constitution vint institutionnaliser le régime issu du coup d’État. Elle faisait de l’Islam la religion d’État et de l’étatisme, baptisé de « socialisme » parce que c’était dans l’air du temps, le fondement de l’économie. Et l’ensemble des institutions du régime étaient subordonnées à la direction du Baas.

Restait au Baas à consolider sa mainmise sur l’ensemble de l’appareil d’État et le reste de la société.

Commença alors une période de terreur, visant tous les courants d’opposition sans distinction, en particulier dans l’armée et la fonction publique, assortie de nombreuses exécutions publiques pour l’édification de la population.

La consolidation de la mainmise du Baas sur l’ensemble de la société se fit également par la mise en œuvre de quelques mesures sociales, comme l’annulation des indemnités que les paysans sans terre bénéficiaires de la réforme agraire devaient verser aux propriétaires fonciers. Ou encore l’instauration d’un code du travail, la fixation d’un salaire minimum et la création d’un embryon de protection sociale.

Sur le plan économique, ces mesures amélioraient sans doute un peu la condition ouvrière. Mais en même temps elles aidaient le Baas à mettre en place tout un appareil syndical à sa dévotion, destiné à encadrer la classe ouvrière, prévenir les conflits sociaux et empêcher le développement de toute forme d’organisation ouvrière indépendante, notamment en poursuivant la répression contre les autres militants.

Car pendant ce temps les arrestations, les tortures, les « disparitions » et les assassinats de « suspects » anonymes continuaient. Et il y en avait d’autant plus que chacune des factions qui se disputaient le pouvoir au sein du Baas avait construit et perfectionné son propre appareil de répression.

La faction du président al-Bakr, par exemple, s’appuyait d’un côté sur la Garde Nationale, qui devint à la fois milice baassiste et garde personnelle du président, et de l’autre sur l’appareil du parti Baas, à la tête duquel al-Bakr avait fait nommer son parent, Saddam Hussein, dès 1966. C’est d’ailleurs cette faction qui devait finalement l’emporter, à la fin 1971, après avoir envoyé en exil, mis sur la touche ou fait « disparaître » toutes les personnalités du Baas susceptibles de lui faire de l’ombre. Entre-temps Saddam Hussein était devenu membre du Conseil de Commandement de la Révolution, où il avait la charge de la Sécurité Nationale et de la Garde Nationale. Ainsi, après dix ans de coups d’État et de répression contre les classes populaires, celui qui émergeait comme numéro deux du régime n’était autre qu’un des hommes de main les moins scrupuleux du parti Baas.

 

Un régime « progressiste » ?

Ce qui relativise cependant le radicalisme du régime, c’est que cette nationalisation, aspiration de l’Irak depuis longtemps, eut lieu dans un contexte où les grands trusts pétroliers eux-mêmes cherchaient à se dégager de la propriété des puits.

En effet, c’est à cette époque qu’eut lieu le premier choc pétrolier, c’est-à-dire une hausse brutale de 368 % du prix du pétrole brut entre octobre 1973 et septembre 1974. La décision vint des grands trusts du pétrole, mais politiquement ils préféraient en rejeter la responsabilité sur les pays producteurs. Et c’est pour cela qu’en l’espace de quelques années ils laissèrent un certain nombre de ces pays nationaliser tout ou partie de leurs puits, de l’Algérie à la Libye, en passant par l’Iran, jusqu’à la très pro-américaine Arabie Saoudite.

Il faut dire que ce ne fut guère un sacrifice pour les trusts car leurs profits gigantesques venaient du raffinage, du transport et de la distribution, et la production elle-même n’en représentait qu’une fraction infime.

 

La liquidation du Parti Communiste

Cela commença dès la fin de 1975 par des vagues d’arrestations où de nombreux militants furent torturés et emprisonnés. Lorsqu’au mois de mai de l’année suivante la direction du PCI finit par émettre une protestation officielle contre ces mesures de répression, le Baas répondit par une violente campagne anticommuniste dans tous les organes de presse. Et la répression commença à se doubler d’exécutions sommaires, rappelant de plus en plus les massacres de 1963.

En 1978 la répression prit un tour encore plus brutal. Tortures et mutilations devinrent le traitement standard pour ceux qui avaient le malheur de tomber aux mains de l’une ou l’autre des bandes armées chargées du nettoyage des quartiers pauvres. Commença alors le défilé interminable des familles cherchant leurs disparus sous les insultes des nervis du Baas dans des hangars réquisitionnés par la police où s’entassaient des centaines de corps mutilés.

Finalement, ce n’est qu’en mai 1979 qu’après avoir été interdit le PCI finit par se résoudre à quitter le Front Populaire National et passer officiellement dans l’opposition. Après cela, le PC en fut réduit à une existence précaire et coupée des masses, dans des maquis installés au Kurdistan ou dans l’émigration.

 

Vers la dictature personnelle

Ce fut également au cours de cette période que Saddam Hussein s’imposa comme le chef de file incontesté du régime et que sa dictature prit forme. Le processus, qui dura six ans, commença par l’élimination, en 1973, du chef des services de sécurité, Nazim Nazzar, un homme du clan de Saddam Hussein qui avait fini par avoir les dents trop longues. Saddam Hussein le fit remplacer par son propre frère cadet, et surtout profita de l’occasion pour renforcer encore plus les pouvoirs déjà dictatoriaux du Conseil de Commandement Révolutionnaire.

Déjà, le culte de la personnalité battait son plein dans le pays. Au début, les portraits de Saddam Hussein côtoyaient ceux du président al-Bakr, bien plus connu dans la population. Puis al-Bakr se fit plus rare sur les murs et on se mit à faire réciter aux enfants des écoles des poèmes chantant les louanges de Saddam Hussein.

En 1976, Saddam Hussein, qui n’avait jamais été militaire, se fit attribuer le rang de général, ce qui lui permit de parler désormais également au nom de l’armée. L’année suivante il fit nommer un beau-frère à la tête de l’armée et un cousin à la Direction Générale des Renseignements, de sorte que tous les appareils de répression du régime se retrouvèrent sous le contrôle direct de ses parents et de ses proches.

Finalement, en juillet 1979, ce fut au tour du président al-Bakr d’être écarté. Cette fois-là, la mise en scène fut particulièrement soignée. Le président vint lui-même expliquer aux médias que son état de santé le contraignait à nommer Saddam Hussein pour le remplacer au poste suprême. Celui-ci était donc désormais numéro un du régime. Mais, redoutant sans doute une crise de succession, il ne prit aucun risque. Deux semaines plus tard, 22 hauts dignitaires du régime étaient exécutés, dont un quart des membres du Conseil de Commandement Révolutionnaire, sous prétexte d’avoir participé à un obscur complot orchestré par la Syrie. Ce ne devait pas être la dernière purge de ce type, d’ailleurs. Mais d’ores et déjà, Saddam Hussein se retrouvait seul à la tête du régime.

 

À la recherche des bonnes grâces de l’impérialisme

Pendant la décennie que dura la consolidation de la dictature, l’attitude des puissances impérialistes fut d’un cynisme total. Autant les capitales occidentales poussèrent des cris horrifiés à chaque atteinte que le régime porta aux privilèges des compagnies pétrolières et à chaque accord qu’il passa avec l’URSS, autant on n’y manifesta qu’une indifférence polie face aux massacres de Kurdes ou de communistes.

Mais les œillades du Baas vers Moscou et sa rhétorique anti-impérialiste n’étaient destinées qu’à mieux négocier une place dans le giron impérialiste. Ce type de politique n’avait rien d’original à l’époque : bon nombre de régime du Tiers Monde s’y étaient essayés.

D’ailleurs bon nombre des grands chantiers financés par les revenus pétroliers allèrent à de grandes entreprises américaines, et cela alors même que les États-Unis continuaient à refuser toute relation diplomatique avec le régime du Baas. Quant au commerce (hors armement), les principaux fournisseurs de l’Irak en 1979 étaient, par ordre d’importance décroissante : le Japon, l’Allemagne, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Sur le plan des ventes d’armes, ce fut la France qui occupa bientôt la place de deuxième pourvoyeur du régime irakien, après l’Union Soviétique. Depuis qu’elles avaient été rétablies en 1963, les relations franco-irakiennes avaient été des plus profitables, de part et d’autre d’ailleurs. La France était devenue le plus gros acheteur de pétrole irakien. Entre 1974 et 1980, Giscard d’Estaing et Saddam Hussein s’étaient rendu mutuellement visite à deux reprises chacun. Et puis, surtout, en 1976, Giscard d’Estaing avait été le premier dirigeant occidental à signer officiellement un contrat de ventes d’armes à l’Irak.

À cette occasion Chirac, alors Premier ministre, avait décrit Saddam Hussein comme « un dirigeant réaliste conscient de ses responsabilités, soucieux des intérêts de son pays et du bon équilibre de cette région du monde ». Sans doute faisait-il référence à la façon dont Saddam Hussein avait « équilibré » le Kurdistan irakien en le transformant en un immense camp de personnes déplacées ? Sans doute était-ce aussi pour le « bon équilibre de cette région du monde » que les grandes entreprises françaises avaient entrepris la construction de la centrale nucléaire irakienne de Tamuz, avec la bénédiction de Giscard d’Estaing ?

 

Le tournant de 1979

En 1979 les dirigeants impérialistes eurent de nouveau quelques craintes pour la stabilité de leur domination au Moyen-Orient. En effet en janvier 1979, le Shah d’Iran fut chassé par un soulèvement populaire. Même si celui-ci était sous la coupe des dirigeants islamistes, les événements d’Iran comportaient des risques de contagion dans toute la région. Il fallait donc trouver rapidement le moyen de contrer le nouveau régime, tout en faisant payer le plus cher possible le renversement du Shah aux masses pauvres iraniennes.

Et ce fut la dictature de Saddam Hussein qui apporta à l’impérialisme la solution qu’il cherchait. L’ancien homme de main du Baas, devenu dictateur, sentit que le moment était venu d’offrir ses services comme homme de main de l’impérialisme lui-même.

Saddam Hussein pouvait faire le calcul que le renversement du Shah laissait un vide, qui lui permettrait de devenir à son tour, à la place du Shah, l’homme fort de la région reconnu par l’impérialisme. Cela pouvait être aussi l’occasion de régler une fois pour toutes, au profit de l’Irak, les vieux problèmes frontaliers qui opposaient les deux pays. Qui plus est, la victoire de Khomeyni en Iran posait un problème à Saddam Hussein, comme à un certain nombre d’autres leaders arabes, dans la mesure où elle avait relancé brutalement les revendications des populations chiites. Or en Irak, les chiites étaient majoritaires.

Quoi qu’il en soit, lorsque les troupes irakiennes pénétrèrent en Iran, en septembre 1980, le président américain Carter se contenta de dénoncer l’Irak comme étant le « pays envahisseur », ce qui était de toute façon indéniable. Mais il se garda bien de pousser les hauts cris au nom du « respect du droit international », comme devait le faire Bush senior, dix ans plus tard, après l’invasion du Koweit par l’Irak.

Et pour cause, car cette guerre convenait finalement fort bien aux dirigeants américains. Même s’ils ne souhaitaient pas une victoire incontestée de l’Irak, Saddam Hussein pouvait leur servir à mettre l’Iran de Khomeyni au pas et à faire oublier aux populations le sentiment de victoire qu’elles avaient eu après le renversement du Shah.

Et si la diplomatie des puissances impérialistes n’encourageait pas ouvertement Saddam Hussein, les marchands d’armes n’avaient pas ces pudeurs. Il n’était pas question, alors, de boycotter l’Irak.

La déclaration de guerre accéléra les livraisons d’armes. Pour ce qui est de la France, tous les grands noms de l’industrie française eurent accès à cette manne : Dassault avec 328 Mirage, Aerospatiale avec 121 hélicoptères et plus de 4 000 missiles, Matra avec 3 000 missiles, Giat avec plus de 500 tanks, etc. Et pour justifier cette foire de la mort, le ministre des Affaires étrangères socialiste d’alors, Claude Cheysson, expliqua hypocritement en 1983 : « Chaque pays arabe insiste pour que notre soutien à l’Irak se poursuive, pour que les Iraniens, j’allais dire les Persans, ne se lancent pas comme dans le passé dans de grandes conquêtes vers l’Ouest. »

Les États-Unis furent, il est vrai, plus lents à prendre aussi ouvertement fait et cause pour l’Irak. Mais en 1984, face aux revers subis par l’armée irakienne, ils reprirent leurs relations diplomatiques avec l’Irak et autorisèrent les livraisons d’armes américaines. Au cours des cinq années qui suivirent, 750 entreprises américaines furent autorisées à livrer du matériel d’armement à l’Irak, y compris à la Commission de l’Énergie Atomique Irakienne. Et bien d’autres pays suivirent l’exemple américain, de l’Allemagne au Brésil, en passant par l’Italie et la Grande-Bretagne.

Au total on estime aujourd’hui que 100 milliards de dollars d’armes furent vendues par les puissances occidentales à l’Irak durant cette guerre.

Mais les marchands de canons ne se contentèrent pas du marché irakien. Ils allèrent aussi vendre leurs armes à l’autre camp. Ainsi le scandale dit de l’Irangate révéla comment la CIA avait vendu des armes secrètement à l’Iran, avec l’aval de l’administration Reagan, d’abord en échange de l’intervention iranienne pour libérer des otages américains, puis pour financer une guérilla d’extrême droite au Nicaragua. En fait, de très grandes quantités d’armes américaines furent ainsi vendues à l’Iran, par l’intermédiaire d’Israël, pendant pratiquement toute la durée de la guerre. Mais les USA ne furent pas les seuls. La France connut elle aussi son Irangate, lorsqu’il fut révélé que la société Luchaire avait livré plus de 400 000 obus d’artillerie lourde à l’Iran, en utilisant de faux certificats de destination.

 

Le prix de la guerre pour les populations

Cette guerre dura finalement huit longues années. Pour les populations irakiennes et iraniennes, ce fut une boucherie sans nom. Par bien des aspects elle fut comparable à la Première Guerre mondiale en France, avec des combats de tranchées interminables et un usage intensif d’armes chimiques, particulièrement du côté irakien. Mais en plus on y fit également usage de quelques-uns des « progrès techniques » apportés par l’impérialisme au cours de ses guerres coloniales, en particulier des mines antipersonnel et autres engins à fragmentation. Le nombre des morts fut estimé à plus d’un million.

Si la guerre dura aussi longtemps et fut si meurtrière, ce fut donc en partie du fait de l’avidité au profit des trusts occidentaux de l’armement. Et si Saddam Hussein put bâtir au cours de cette guerre une machine militaire si formidable qu’elle lui permit de tenir face à un pays dont la population était deux fois plus nombreuse, ce fut avant tout grâce aux choix politiques de l’impérialisme et à ses livraisons d’armes.

Sur le plan intérieur irakien, comme on pouvait le prévoir, la guerre ne fit qu’aggraver le caractère répressif et dictatorial du régime. Pendant toute sa durée, les exécutions d’individus « suspects » d’appartenir à des organisations illégales se poursuivirent à un rythme soutenu. Périodiquement on apprenait que, dans telle ou telle prison, les prisonniers politiques avaient « disparu », ce qui laissait supposer des exécutions en masse.

Mais c’est surtout au Kurdistan, la seule région du pays où il restait une opposition organisée au régime, que la répression fut particulièrement sanglante.

Les partis kurdes cherchaient en effet à profiter de la guerre pour s’enraciner dans des régions où l’armée, trop occupée, ne viendrait pas les déloger. Mais en 1988, dans les derniers mois de la guerre, Saddam Hussein lança une opération de grande envergure. 4 000 villages et bourgades furent totalement détruits à l’artillerie lourde ou par l’aviation, de façon à ce qu’il soit impossible de les reconstruire. Dans un cas au moins, la petite ville de Halabjah, l’aviation irakienne fit usage d’armes chimiques qui tuèrent instantanément une partie de la population. Parfois les habitants étaient regroupés au préalable pour être ensuite escortés dans des « villages protégés ». Mais pour gagner du temps, il n’en était pas toujours ainsi, auquel cas, ceux qui n’avaient pas eu le temps de s’échapper dans la montagne étaient voués à une mort certaine.

Cette opération, ou plutôt ce massacre organisé, dura plus de trois mois. Elle fit au moins 100 000 morts et sans doute beaucoup plus puisque 182 000 disparus furent dénombrés. Un demi-million de Kurdes furent parqués dans les « villages protégés » du régime, en plus de ceux qui y étaient déjà. Moyennant quoi, une fois que la guerre avec l’Iran eut pris fin, le 20 août 1988, l’armée irakienne put lancer une offensive victorieuse, cette fois, contre les maquis kurdes, désormais privés de la possibilité de se fondre dans les villes et villages de la région.3

 

Système de pouvoir de Saddam Hussein

Durant les vingt-quatre années de son pouvoir, il utilise tous les moyens pour contrôler la population et régner sans partage. Comme tous les régimes totalitaires, la propagande est omniprésente à travers les différents médias et les affiches représentant le portrait du raïs alimentent un culte de la personnalité. La presse est censurée, tandis que la peur d'être arrêté et exécuté paralyse les opposants (une simple offense faite au chef d'État étant même légalement passible de la peine capitale), puisque les agents des services de renseignements sont partout, et la délation étant également monnaie courante.

Saddam Hussein use aussi de népotisme pour asseoir son pouvoir personnel. Ainsi plusieurs proches issus de son « clan » (fils, frères, demi-frères, oncles, cousins, etc.) nés souvent dans la même ville que lui à Tikrit, sont placés à des hauts postes de responsabilité, notamment au sein de l'armée et des services secrets (la Mukhabarat).

Néanmoins, cela n'empêche pas le dictateur de faire régner un véritable climat de terreur au sein même de sa propre famille. Ainsi, il n'hésite pas à faire exécuter à leur retour d'exil de Jordanie, ses deux gendres qui étaient alors entrés en dissidence, les frères Hussein et Saddam Kamel, époux respectifs de Raghad et Rana.

Saddam commande un film au réalisateur égyptien Tawfiq Saleh intitulé Les Longs Jours : on y découvre un Saddam Hussein héroïque, qui tente d'assassiner le président Abdel Kerim Kassem, en 1959.

La prison d'Abu Ghraib est symbolique de l'arbitraire du régime. Les témoins rapportent que les cellules étaient de dimensions réduites (4 × 6 mètres). Elles n'étaient dotées ni d'eau courante, ni de toilettes. Les prisonniers, des opposants au régime, majoritairement des islamistes chiites pro-iraniens, s'entassaient à plusieurs dans ces pièces sans confort. Certains furent exécutés pour « activités religieuses ».

Saddam Hussein a échappé à plusieurs attentats ou tentatives de renversement par la force.

 

 

Économie

L'Irak disposait d'une économie planifiée, adoptée en 1968 par des plans quinquennaux (en cinq ans) hérités du régime précédent.

Le gouvernement baasiste nationalise la compagnie pétrolière Iraq Petroleum Company en 1971 et les revenus pétroliers augmentèrent de 219 millions de dinars en 1972 à 1,7 milliard en 1974, 3,7 milliards en 1978 et 8,9 milliards en 1980. Avec la révolution islamique en Iran, l'Irak devient le deuxième pays exportateur mondial de pétrole. De 1970 à 1980, l'économie irakienne enregistre une croissance de 11,7 %.

 

Modernisation de l'Irak

Dans le même temps, d'énormes progrès au niveau social auront été accomplis sous sa présidence. L'Irak s'industrialise rapidement et devient l'un des pays arabes où le niveau de vie est le plus élevé, avec comme résultat l'émergence d'une véritable classe moyenne.

En 1973, Saddam lance la « Campagne nationale pour l'éradication de l'illettrisme » un plan ambitieux visant à lutter contre l'analphabétisme. L'école devient gratuite, obligatoire et séculière pour les garçons et les filles. En moins de dix-huit mois, le nombre d'enseignants atteint le nombre de soixante-deux mille personnes, par ailleurs le nombre de filles scolarisées est multiplié par trois. L'Unicef reconnaît que l'Irak a pratiquement éradiqué l'illettrisme et aura poussé la scolarisation des Irakiens à un niveau encore inédit au Moyen-Orient. En 1982, l'Unesco remet un trophée à l'Irak pour l'effort d'alphabétisation dont avait fait preuve le gouvernement à l'égard des filles. Près de 95 % des filles étaient scolarisées.

En 1977, 70 % des pharmaciens et 46 % des dentistes étaient des femmes. Par ailleurs, une élite intellectuelle et scientifique voit rapidement le jour. L'Unesco explique que :

« Le système éducatif en Irak avant 1991 était l’un des plus performants dans la région, avec un taux brut de scolarisation proche de 100 % dans l’enseignement primaire et un niveau élevé d’alphabétisation pour les deux sexes. L'enseignement supérieur était de qualité, particulièrement dans les établissements d’enseignement scientifique et technologique, et le corps enseignant compétent et motivé. »

De par sa jeunesse difficile, Saddam Hussein souhaitait que tout le pays sache lire et écrire, car pour lui l'éducation gratuite était un pas de plus vers l'égalité.

Dans son esprit, l'éducation gratuite concerne aussi bien l'accès à l'école en elle-même, que l'obtention de livres scolaires et la gratuité des moyens de transport. C'est pour cette raison que dans les années 1970 et 1980, le ministère de l'éducation irakien distribue tous les outils nécessaires à une bonne éducation. Les élèves pouvaient se rendre à l'école grâce à des bus qui étaient gratuits, et à la fin de leur année scolaire, tous les élèves recevaient un cadeau, comme des montres pour les collégiens et les lycéens.

Les frais d'hospitalisation sont dorénavant pris en charge par l'État et des subventions sont accordées aux fermiers. Le système de santé irakien devient l'un des plus modernes et efficaces de tout le monde arabe ; les services publics ne sont pas en reste, car le recrutement se fait dorénavant sur le mérite.

L'Irak dépendant grandement du pétrole, Saddam tenta de diversifier l'économie en menant un plan d'industrialisation. L'Irak devient donc le premier État arabe à avoir utilisé sa rente pétrolière pour procéder à son industrialisation. Il entreprend la construction de routes, de grands axes autoroutiers et des bâtiments ainsi que le développement d'industries.

Il lance une révolution énergétique, amenant l'électrification de presque toutes les villes d'Irak (même les villes se situant dans les campagnes ou difficile d'accès). Près de dix mille villages ont été électrifiés en même temps. Par ailleurs, il fait distribuer gratuitement aux Irakiens des réfrigérateurs et des téléviseurs.

Avant les années 1970, l'Irak était un pays largement rural ; suite aux différentes réformes, l'urbanisation s'étend. Saddam redistribue les terres aux paysans, qui étaient auparavant dans les mains d'une minorité de personnes. Il lance une réforme agraire devant permettre aux fermiers de maximiser le profit de leur exploitation. L'agriculture est donc mécanisée, et les paysans ne sachant pas utiliser les nouvelles machines sont formés par le gouvernement. Cette réforme avait également comme but de mettre fin au féodalisme.

Il lance également une véritable politique culturelle, il réhabilite et entretient les anciens palais datant de l'Empire Abbasside, l'ancienne cité de Babylone, les palais de Nabuchodonosor, la triple enceinte ainsi que la porte d'Ishtar à Babylone. Il fonde plusieurs musées à Bagdad en vue de rassembler et de conserver le patrimoine historique irakien.

En 1980, l'Irak était le seul pays arabe en passe d'atteindre l'autosuffisance alimentaire. D'ailleurs sa politique de modernisation ne s'arrêtait pas à l'Irak, car voulant la modernisation du monde arabe, il lance le Fonds national pour le développement extérieur. Il propose que l'augmentation du prix du brut, soit, en partie, consacrée à aider les États arabes les plus pauvres par l'intermédiaire d'un fonds de répartition. Cette proposition est saluée par les citoyens des pays arabes, mais elle est immédiatement rejetée par les émirs du Golfe.

 

 

Invasion du Koweït et guerre du Golfe (1990-1991)

Depuis quelques années, plusieurs faits vont pousser Saddam Hussein à être tenté par l'invasion du Koweït.

D'abord l'Irak, comme pays frontalier de l'Iran, a subi de grosses pertes dans la dernière guerre. Certaines personnes estiment que c'est parce que l'Irak a résisté qu'il a pu protéger les autres pays arabes dont l'Arabie Saoudite. L'Irak perçoit mal que ses voisins et frères arabes ne l'aident pas plus dans son effort de reconstruction.

Ensuite, il y a des divergences sur des champs pétrolifères au sud du pays, avec le Koweït. Ce dernier pays effectue en 1990 un forage à l'horizontale, qui serait supposé prendre le pétrole en territoire irakien. Enfin, on peut citer la colossale dette de l'État irakien, qui avait acheté durant huit ans quantité d'armes les plus sophistiquées possible, ainsi que de nombreux produits de haute technologie coûteux, à la grande satisfaction des puissances industrielles, ravies de trouver là un nouveau débouché commercial, si utile en période de crise économique. Bagdad avait acheté, des années durant, encouragé par les gouvernements occidentaux qui éliminaient les freins à la coopération économique ; malheureusement, à la fin de la guerre, les hommes d'affaires furent au rendez-vous, accourant tous à Bagdad dans l'espoir d'être payés. S'ajoute à cela les créanciers du Golfe, demandant eux aussi remboursement. L'Irak est respectivement endetté à hauteur de 45 milliards de dollars américains et de 15 milliards de dollars envers l'Arabie Saoudite et le Koweit.

Comptant en partie sur la rente pétrolière pour réduire la dette, Saddam Hussein est confronté à la forte baisse des cours qui sévissait depuis 1986. En effet, plusieurs pays pétroliers ne respectent pas leurs quotas annuels, et finalement inondent le marché de surproductions permettant une brutale baisse du prix du baril. Parmi ces pays, on peut citer le petit émirat du Koweït, que l'Irak considérait depuis longtemps comme une de ses provinces, qui produit plus que nécessaire alors qu'il n'a pas d'apparent besoin de liquidités.

En 1990, Saddam Hussein décide l'invasion du Koweït. Dans un premier temps, l'ambassadeur des États-Unis transmet que « les États-Unis n'ont pas d'opinions sur la question [d'une invasion du Koweït] », ce qui équivaut à un agrément par tolérance en langage diplomatique. Saddam Hussein envahit donc le Koweït. Les États-Unis réévaluent la situation, puis affichent leur opposition à cette annexion.4

Le 14 octobre 1990, une jeune femme koweïtienne, appelée par les médias « l'infirmière Nayirah », témoigne, les larmes aux yeux, devant une commission du Congrès des États-Unis. L'événement est retransmis rapidement par les télévisions du monde entier :

« Monsieur le président, messieurs les membres de ce comité, je m'appelle Nayirah et je reviens du Koweït. Ma mère et moi étions au Koweït le 2 août pour passer de paisibles vacances. Ma sœur aînée avait accouché le 29 juillet et nous voulions passer quelque temps au Koweït auprès d'elle. […] Pendant que j'étais là, j'ai vu les soldats irakiens entrer dans l'hôpital avec leurs armes. Ils ont tiré sur les bébés des couveuses, ils ont pris les couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid. J'étais horrifiée. Je ne pouvais rien faire et je pensais à mon neveu qui était né prématuré et aurait pu mourir ce jour-là lui aussi. […] Les Irakiens ont tout détruit au Koweït. Ils ont vidé les supermarchés de nourriture, les pharmacies de médicaments, les usines de matériel médical, ils ont cambriolé les maisons et torturé des voisins et des amis. J'ai vu un de mes amis après qu'il a été torturé par les Irakiens. Il a 22 ans mais on aurait dit un vieillard. Les Irakiens lui avaient plongé la tête dans un bassin, jusqu'à ce qu'il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a beaucoup de chance d'avoir survécu. »

Ce témoignage, avec d'autres comme ceux conçus par l'agence de communication Rendon Group (en) chargée de superviser la communication de la CIA et du Pentagone, a beaucoup ému l'opinion publique internationale et a contribué à ce qu'elle soutienne l'action des puissances occidentales contre les armées de Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe.

En fait, ce témoignage était entièrement faux. La jeune fille, coachée selon certaines sources par Michael Deaver (en) ancien conseiller en communication de Ronald Reagan, s'appelait al-Ṣabaḥ, et était la fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington Saud bin Nasir Al-Sabah. L'association Citizens for a Free Kuwait (en), organisée par le gouvernement du Koweït exilé avait commandé cette campagne à la compagnie de relations publiques Hill & Knowlton (en) (pour la somme de 10 millions de dollars).

La machination a fonctionné grâce à l'intervention de Lauri Fitz-Pegado, qui a convaincu les députés que l'identité n'était pas révélée pour protéger la famille de la jeune femme. Lauri Fitz-Pegado avait travaillé pour le gouvernement auparavant, dans l'Agence de l'Information.

Par ailleurs, le gouvernement américain aurait payé 14 millions de dollars à cette compagnie pour l'avoir aidé à médiatiser la guerre du Golfe sous un jour favorable à l'intervention occidentale.

Ce témoignage mensonger a servi à favoriser l'entrée en guerre des Occidentaux.5

 

 

Janvier 1991 : « La guerre du Golfe inaugure le « nouvel ordre international »

Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991, l’opération «  Tempête du désert  » s’ouvre par des bombardements massifs sur l’Irak, ciblant aussi bien les troupes irakiennes présentes au Koweït que les centres urbains et industriels où des civils sont froidement écrasés sous les bombes. Ces 85 000 tonnes de bombes déversées sur l’Irak en 46 jours devaient permettre d’imposer ce « nouvel ordre international ». Mais la guerre a aussi suscité la renaissance d’un mouvement pacifiste et anti-impérialisme.

La première guerre du Golfe persique de janvier-février 1991 est le premier conflit mondial de l’après-Guerre froide. C’est effectivement la première fois que les États-Unis organisent un tel déploiement de forces depuis 1945. La défaite subie au Viêt Nam à peine quinze ans auparavant, rendue possible aussi bien par la détermination du Front national de libération du Viêt Nam que par les mobilisations de masse aux États-Unis et à l’échelle internationale, les avaient jusque là dissuadé de tenter une nouvelle aventure. Mais lorsque l’armée irakienne pénètre en territoire koweïtien le 2 août 1990, alors que le contexte international est en plein changement, les États-Unis saisissent l’occasion.

 

Redistribution des cartes

L’URSS est en cours d’effondrement. Elle ne joue donc plus qu’un rôle secondaire sur la scène internationale. Imposer son leadership mondial face aux Soviétiques mais aussi face aux Européens et aux Japonais, sommés de se ranger derrière eux, apparaît comme un enjeu central pour les États-Unis. De fait ils deviennent la seule superpuissance planétaire et entendent incarner selon les mots même du président des États-Unis, alias Bush père, un « nouvel ordre international » .

L’OTAN, alliance fondée pour résister à l’URSS n’a plus de raison d’être. En rassemblant un très grand nombre de nations autour d’eux, en créant une coalition militaire essentiellement basée sur les alliés de l’OTAN, les États-Unis réaffirment leur position de superpuissance, malgré la menace que constitue la montée économique du Japon et de l’Europe, et maintiennent les instruments de leur puissance (industrie militaire, OTAN…).

La guerre du Golfe est un moyen de doper l’économie américaine en relançant les ventes d’armes, et d’éviter que la disparition de la « menace communiste » laisse espérer un désarmement.

Mais il s’agit aussi et avant tout de sécuriser les approvisionnements en pétrole, ce qui passe par la recherche de la stabilité au Moyen-Orient et éventuellement la reprise en main des régimes qui voudraient jouer avec le prix du pétrole. En effet, les pays du Golfe sont les principaux fournisseurs de l’Occident. Et c’est la région au monde qui possède les réserves les plus importantes, puisque la durée de ces dernières est alors évaluée à une cinquantaine d’années tout au plus.

La volonté de puissance et les marchés pétroliers étant des objectifs inavouables, les pays de la coalition internationale dirigée par les États-Unis mettent en avant et au centre de leur propagande la notion de « droit international » pour justifier leur guerre. Ledit droit international est une véritable négation du droit des peuples, à commencer par celui du peuple irakien, qui souffre de la dictature baasiste mais ne souhaite pas nécessairement dépendre d’une intervention militaire extérieure et de bombardements massifs pour s’en débarrasser.

 

Saddam Hussein, l’ennemi intime

Pendant bien des années, la dictature sanguinaire de Saddam Hussein avait porté tous les espoirs de ces mêmes États occidentaux qui par leurs bombardements détruisent l’Irak en quelques semaines. Ce fut le cas pendant la guerre Iran-Irak dont ce dernier sort exsangue. Ce pays surendetté et ruiné entend se refaire une santé sur le dos du Koweit, qu’il convoite depuis des décennies, notamment pour obtenir un accès à la mer qui lui fait cruellement défaut.

Le leader du régime baasiste n’hésite pas à se faire le champion du nationalisme arabe, et cherche à faire figure de nouveau Nasser. Opportuniste, il n’hésite pas à jouer sur tous les tableaux, et à se réclamer également de l’Islam. Cette posture fait illusion auprès des populations arabes, qui supportent de moins en moins l’arrogance et les prétentions états-uniennes au Moyen-Orient. Les dirigeants irakiens obtiennent ainsi également le soutien de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Alors que l’intifada (soulèvement) dure depuis trois ans dans les territoires occupés, la direction de l’OLP est dans l’impasse et croit pouvoir trouver son salut dans le soutien à Saddam Hussein, devenu héros par procuration du peuple palestinien.

L’État d’Israël fait bien sûr tout pour que le lien ne soit pas fait entre la guerre du Golfe et la guerre qu’elle mène aux Palestiniens dans les territoires occupés. Sur le terrain, l’armée irakienne, présentée comme la quatrième de la planète pour justifier le déploiement massif de troupes et de logistique, ne fait pas illusion longtemps. Elle est balayée en quelques semaines. Et le régime baasiste doit sa survie au sens politique de l’administration états-unienne qui voit alors plus d’inconvénients que d’avantages à un éclatement de l’Irak. Saddam Hussein, considéré quelques mois plus tôt comme le mal absolu et comparé à Adolf Hitler, restera finalement à son poste, sous étroite surveillance.

 

Guerre en direct

Les médias occupent une place de choix dans le déferlement nationaliste et guerrier. Les journalistes en services commandés des grands médias banalisent des termes comme « frappes », qu’ils substituent à celui de « bombardements », et qu’ils qualifient sans rire de « chirurgicales ».

Tout au long de cette guerre, ils s’efforceront de cacher au public les images de civils irakiens et irakiennes massacrés, (entre 50 000 et 100 000 selon les estimations) mentionnant exceptionnellement des « bavures ». Ils donnent la parole aux militaires de la coalition comme on sert la soupe. Les journalistes accrédités pour l’événement ont dû accepter que l’armée contrôle et censure les images diffusées. La petite estampille « images contrôlées par l’armée » apparaît sur la majorité des reportages diffusés par la télévision. Les experts militaires se multiplient sur les plateaux de télé et grâce aux innovations instaurées par l’armée (interviews des pilotes directement après les missions, uniformes militaires pour les envoyés spéciaux, images des caméras embarquées dans les bombardiers, etc.), les journalistes peuvent fièrement montrer la guerre comme un spectacle.

Le bourrage de crâne parvient au résultat escompté, à savoir que les opinions publiques soutiennent leurs gouvernements va-t-en guerre jusqu’à la victoire, une victoire impérialiste. L’opposition à la guerre n’est pourtant pas inexistante. Elle va se développer rapidement aux États-Unis, en Europe et dans les pays arabes.

 

Mourir pour les rois du pétrole  ?

En France, le Parti socialiste renoue sans états d’âme avec ses traditions coloniales. Mitterrand et le gouvernement Rocard mettent en œuvre « l’opération Daguet », réplique à plus petite échelle de « tempête du désert », l’offensive et scénographie conçue par l’armée états-unienne. Ils renouent avec les pratiques en vigueur pendant les guerres coloniales (interdictions de manifestations, renforcement des contrôles policiers notamment à l’égard des immigrés à travers le plan Vigipirate…). Alors que des manifestations contre la guerre ont lieu dans toute l’Europe le jeudi 12 janvier, SOS-Racisme, Amnesty International et La Ligue des Droits de l’Homme se contentent d’envoyer une lettre au président Mitterrand, lui demandant de « poursuivre les efforts pour la paix » sans appeler à manifester !

Face à ces renoncements de la gauche, l’extrême gauche prend les premières initiatives de mobilisation anti-guerre. Elles font suite à la campagne « Dette, colonies, apartheid, ça suffat comme-ci » contre le G7 de Paris, qui a permis en 1989 de relancer les mobilisations internationalistes, anticolonialistes et anti-impérialistes. Cette mobilisation est rapidement rejointe par le PCF, le Mouvement de la paix, les Verts et la CGT entre autres. Toutes ces forces se fédèrent dans « l’appel des 75 » à partir duquel se constituent des collectifs anti-guerre dans toute la France.

Si elles contribuent à d’importantes mobilisations de rues, avec notamment 200 000 personnes à Paris le 12 janvier, elles le font sur des mots d’ordre très limités (l’arrêt des hostilités) et sur des objectifs peu clairs. Tout cela ne permet pas d’entraîner un grand nombre de lycéennes et lycéens qui viennent de connaître une véritable mobilisation de masse à l’automne 1990. De même il y a peu de relais dans les entreprises.6

 

 

Le génocide silencieux

Les effets conjugués des bombardements aériens massifs et de l'embargo sur l'Irak pendant douze ans ont provoqué une catastrophe humanitaire. Pour la première fois dans l'histoire des conflits, des munitions contenant de l'uranium appauvri ont été utilisées, qui vont continuer de tuer pendant des décennies.

En douze ans, 135.000 tonnes de bombes ont été déversées sur l'Irak (soit six fois la puissance de destruction de la bombe d'Hiroshima). Outre les bombes au napalm, au phosphore, plusieurs dizaines de milliers de fusées MLRS (contenant chacune 8.000 grenades antipersonnelles), des bombes à fragmentation, plus d'un million de projectiles à l'uranium appauvri, soit 700 tonnes ont été utilisées. Ainsi, la guerre du Golfe, en totale violation du droit international et dans l'indifférence générale, a servi aux États-Unis et à la Grande-Bretagne pour tester en grandeur nature cette nouvelle génération d'armes nucléaires.

 

Des armes nucléaires testées en grandeur nature

L'uranium appauvri (UA) est très différent de l'uranium naturel présent dans l'environnement. C'est un déchet radioactif issu de l'enrichissement de l'uranium destiné aux réacteurs civils et militaires. Il contient 0,2 % d'U235 et 99,75 % d'U 238, dont la demi-vie est de 4,5 milliards d'années. On l'appelle "appauvri" parce que son activité est de 40 % de celle de l'uranium naturel (soit 3,900 Bq/g).

L'usage militaire de l'UA est un débouché pour l'industrie nucléaire qui en produit chaque année 50.000 tonnes ; les stocks mondiaux en 2002 sont estimés à plus de 1 million de tonnes, dont la moitié aux États-Unis. L'abondance de l'UA le rend très bon marché.

Mélangé à une petite quantité de titane, l'UA est un métal idéal pour fabriquer des obus en raison de sa forte densité (1,7 fois supérieure à celle du plomb) qui permet de fabriquer des obus miniaturisés destinés à transpercer les véhicules blindés, de sa grande vélocité (jusqu'à Mach 5), de sa capacité à atteindre une cible à 3.200 m (1.000 m de plus que les autres armes) et de ses propriétés pyrophoriques qui en font un excellent incendiaire destructeurs d'engins blindés.

Lorsque l'obus atteint sa cible, l'UA s'enflamme spontanément au contact de l'oxygène, provoquant une intense chaleur qui "vaporise" jusqu'à 70% de l'uranium. Des particules très fines d'oxyde d'uranium (moins de 5 microns de diamètre, la taille dangereuse pour les poumons) et d'un cocktail de plusieurs autres radionucléides se répandent alors dans l'atmosphère et se déposent sur le sol. Propagées dans le désert par les vents et la pluie, jusqu'à des centaines de km, elles contaminent le sable, les eaux de surface et les nappes phréatiques, la végétation, les animaux, et finalement toute la chaîne alimentaire.

L'exposition survient de trois manières : par inhalation lorsqu'il est en suspension dans l'atmosphère (ses composés se fixent alors dans les alvéoles pulmonaires d'où ils irradient pendant des années, provoquant des cancers), par ingestion par l'eau de boisson et les aliments contaminés, et lésions cutanées (il passe dans la circulation sanguine).

À la fois chimiotoxique (il provoque un empoisonnement comme les autres métaux lourds) et fortement radiotoxique, l'UA atteint principalement les reins et les poumons, mais aussi le cerveau, les organes reproducteurs, la thyroïde, les muscles, les ganglions lymphatiques et le système neurologique. Sa dangerosité dépend de sa nature physique et chimique, de l'intensité et de la durée d'exposition.

Les études effectuées en Irak par le Pr Siegwart-Horst Günther, spécialiste des maladies infectieuses et président de la Croix Jaune internationale (Autriche), ont fait apparaître un collapsus du système immunitaire avec de fortes proportions d'infections, des symptômes ressemblant à ceux du SIDA, des herpès et des zonas, des dysfonctionnements hépatiques et rénaux et des leucémies. La fixation de l'UA sur le placenta des femmes enceintes contrarie le processus de formation de l'embryon par division cellulaire, provoquant chez les nouveau-nés d'horribles malformations congénitales, dont le nombre a triplé en dix ans. Ainsi, de nombreux enfants naissent hydrocéphales ou sans tête, sans membres (phocomélie), comme les victimes de la Thalidomide dans les années 50, aveugles, ou avec des anomalies du cœur (absence d'oreillettes ou de valvules) ou des poumons.

De même que les combattants, les pays du Golfe n'avaient pas été avertis des risques de contamination radioactive. L'usage d'UA a été révélé en Grande-Bretagne par le journal The Independant, en novembre 1991, et aux États-Unis par le New York Times en 1993. Tous les pays de la région ont été contaminés. Le Koweït aurait dépensé 14 milliards de dollars pour décontaminer son territoire. Mais la décontamination de l'Irak était impossible en raison de l'embargo, des bombardements qui se sont poursuit, et de la dispersion des éléments radioactifs sur d'immenses étendues.

Certaines régions du sud du pays accusent une augmentation de 350 % par an de cas de leucémie, de déficiences immunitaires, de cataractes et de dysfonctionnements rénaux. De nombreux enfants qui jouent avec les débris radioactifs meurent de leucémie, dont la période de latence est très courte (quelques années). Pour chaque cas de cancer des tissus comme la leucémie, les spécialistes prévoient cinq cas de cancers solides à venir dans les 10 à 30 prochaines années.

Mais il faudrait également prendre en compte l'ensemble des co-facteurs qui ont du se combiner aux effets de l'UA pour provoquer des maladies graves : autres radio-éléments libérés lors des bombardements d'installations nucléaires, gaz de combats, produits chimiques dégagés par l'incendie des usines pharmaceutiques ou de pesticides bombardées, fumées dégagées des puits de pétrole en feu…

"Promues" par la première guerre du Golfe, les armes à UA ont été utilisées en Bosnie et au Kosovo, où un biologiste anglais a prévu 10.000 morts supplémentaires au cours des années suivantes. Les obus à UA sont pourtant illégaux selon le droit international en tant qu'armes « inhumaines », causant des dommages à l'environnement et demeurant meurtrières bien après la fin des conflits (comme les mines antipersonnel). Ces armes bon marché, fabriquées à partir de déchets nucléaires et pourtant classées "conventionnelles", seraient promises à un brillant avenir. Elles sont fabriquées par un nombre grandissant de pays dont la Turquie, Israël et la France, réalise depuis 1979 des essais, dans le Lot et le Cher (en plein air).7

 

''L'Holocauste 2000 '' : l'embargo

Le 6 août 1990, le Conseil de sécurité de l'ONU vote une résolution organisant le boycott militaire, commercial et financier de l'Irak, par 13 pour et 2 abstentions (Yémen et Cuba). Ce blocus économique va durer 12 ans.8

Les conséquences de cet embargo ont été catastrophiques. Les rapports de l'UNICEF, l'UNESCO et l'OMS, du Fonds des Nations-Unies pour l'Alimentation et du Programme alimentaire mondial convergent pour attester d'un bilan de 1.500.000 morts, dont 600.000 enfants. 6.000 personnes, dont 4.000 enfants de moins de 5 ans, sont mort chaque mois de l'embargo. Conséquence de la dénutrition, du manque de soins et de la contamination de l'environnement, l'espérance de vie des hommes a baissé de 20 ans et celle des femmes de onze ans. Ces rapports font aussi état d'importants dommages psychologiques chez les enfants : les 2/3 d'entre eux ne dorment plus normalement, perdent la mémoire, font des cauchemars ; ils auraient des séquelles pour la vie.

Avant la guerre, l'Irak, pays moderne, avait le système de médecine le plus avancé du Proche Orient, comptant 130 hôpitaux équipé de matériel de pointe, avec des médecins de haut niveau. Mais la coalition USA-Grande-Bretagne s'est acharnée à détruire les infrastructures vitales du pays, et à l'empêcher de les reconstruire. Les bombardements massifs des centrales électriques ont paralysé les hôpitaux, la distribution de l'eau potable, l'industrie et l'agriculture. Les centrales d'épuration des eaux, détruites volontairement par les USA, ne fournissent qu'un tiers de l'eau potable nécessaire, provoquant épidémies de choléra, d'infections rénales et de diarrhées.

La résolution 986 de l'ONU "Pétrole contre nourriture" (1996) n'a pas freiné la dégradation sanitaire, toutes les infrastructures vitales ayant été détruites. Privés de système de réfrigération dans un pays où la température à l'ombre dépasse souvent 50 °C, les denrées alimentaires et des médicaments se périment pendant les transports, et les coupures d'électricité détruisent leurs stocks. Par ailleurs, les États-Unis prélèvent la plus grande partie du prix de la vente du pétrole à titre de remboursement des frais de guerre des "alliés" (30 %) et des inspections de l'ONU.9

 

 

L'entre-deux-guerres du Golfe

Le 28 février 1991, l'Irak accepte toutes les résolutions de l'ONU sans conditions. Dans la foulée, George H. W. Bush, président des États-Unis ordonne le cessez-le-feu. Les États-Unis ne cherchèrent pas à abattre Saddam Hussein. Ils arrêtèrent la guerre avant d'avoir anéanti son armée, pour lui laisser la force de réprimer tout désordre intérieur. Pour les États-Unis, l'objectif de la guerre était de réaffirmer leur hégémonie sur le monde. Forts de leur supériorité écrasante, ils entendaient châtier l'Irak, coupable d'avoir remis en cause, sans permission, les frontières dessinées par les puissances coloniales. Il s'agissait aussi de rappeler que les ressources naturelles, le pétrole notamment, appartenaient d'abord aux grandes puissances et à leurs multinationales.10

Toujours au pouvoir, Saddam Hussein mate les rébellions dans le sang (il aurait même, selon certaines sources, utilisé des gaz de combat), notamment l'insurrection d'islamistes chiites pro-iraniens dans le Sud, où il saccage, avant de les assécher plus tard, les marais de Mésopotamie où se dissimulaient les rebelles, sous les yeux des forces internationales qui refusent d'intervenir.

Il conserve le pouvoir sur son peuple, mais le pays reste contrôlé par les forces de la coalition et l'ONU. Seul le Kurdistan irakien, dans la partie nord du pays, échappe à sa surveillance, devenant de facto indépendant dès cette époque, en raison de l'action militaire des États-Unis en faveur des rebelles.

Cette période est celle d'une évolution d'un l'Irak laïc vers un Irak plus religieux : construction de plusieurs mosquées, dont l'une qui devait être la plus grande du monde (vers l'aéroport et quartier Al-Mansour), images de Saddam Hussein priant (bien que ça n'était pas nouveau), écriture du Coran avec son sang, prohibition plus sévère de l'alcool, suppression de la prostitution... Toutefois, même à cette époque (1998), on pouvait encore voir à Bagdad, dans la rue ou dans les bureaux, des jeunes femmes en minijupes converser avec des camarades presque entièrement voilées.

Les biens de Saddam Hussein ont été gelés par une décision de l'ONU en 2002, notamment ses deux villas azuréennes de Mougins et de Cannes. Le gouvernement irakien a demandé à en devenir titulaire.11

 

 

La « troisième guerre du Golfe »

Le 11 septembre 2001, les États-Unis subissent une vague d'attentats terroristes. Une coalition internationale chasse alors en 2002 les talibans du pouvoir en Afghanistan. Le gouvernement américain tente, fin 2002, de convaincre la communauté internationale qu'un lien existe entre les extrémistes islamistes d'Al-Qaïda et le gouvernement irakien. Devant le doute, il présente des éléments présentés comme des preuves indiquant que l'Irak a reconstitué un potentiel d'armes de destruction massive. Ces "preuves" sont nombreuses et très précises (il y a notamment des "clichés d'installations militaires irakiennes secrètes") ; ainsi la thèse selon laquelle l'Irak posséderait des armes de destruction massive semblait à l'époque plausible. Cependant, ces "preuves" sont rapidement contestées et aujourd'hui, il apparaît clairement que ce n'étaient que des faux.

Devant le risque de veto de la France ou de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies, une coalition réduite se forme pour envahir l'Irak.12

La guerre a commencé le 20 mars 2003 avec l'invasion de l'Irak (dite « Opération libération de l'Irak ») par la coalition menée par les États-Unis contre le Parti Baas de Saddam Hussein. L'invasion a conduit à la défaite rapide de l'armée irakienne, à la capture et l'exécution de Saddam Hussein et à la mise en place d'un nouveau gouvernement. Le président George W. Bush a officiellement déclaré l'achèvement des combats le 1er mai 2003, sous la bannière Mission accomplie. Toutefois, la violence contre les forces de la coalition a rapidement conduit à une guerre asymétrique impliquant plusieurs groupes d'insurgés, des milices, des membres d'Al-Qaïda, l'armée américaine et les forces du nouveau gouvernement irakien. Le 18 décembre 2011 les forces américaines achèvent leur retrait d'Irak mais les violences continuent. La Coalition militaire en Irak aura duré 3 207 jours, soit huit ans et neuf mois.

 

La détermination des États-Unis

La deuxième guerre d'Irak a été menée sous l'impulsion des États-Unis. Après avoir lancé une offensive en Afghanistan, lieu où ben Laden se serait réfugié, et suspectant des liens entre le régime irakien et les terroristes d'Al-Qaïda, George W. Bush charge Donald Rumsfeld et Tommy Franks de constituer un plan d'attaque contre l'Irak. C'est le plan d'opération 1003V, qui est une « évolution » du plan de guerre de la première guerre du Golfe.

 

Les véritables enjeux de la guerre en Irak

Selon des révélations de l'ancien secrétaire au Trésor Paul O'Neill, reprises par le journaliste Ronald Suskind (The Price of Loyalty), le Conseil National de sécurité de la Maison Blanche discutait un Plan pour l'Irak après Saddam dès le mois de février 2001, soit quelques semaines après l'arrivée à la présidence de G.W. Bush, et bien avant l'attentat du 11 septembre. Selon ce témoin, « Bush voulait chasser Saddam Hussein à n'importe quel prix. »

 

Objectifs politiques

Installer un régime démocratique qui servira les intérêts des alliés et qui de plus soutiendrait les occidentaux dans leur lutte contre plusieurs régimes islamiques voisins de l’Irak. À la suite des menaces terroristes, qui se sont exprimées avec les attentats du World Trade Center, et le déclenchement de la guerre contre le terrorisme (Irak et Afghanistan), cela a permis à l’administration Bush de devenir un rempart contre le terrorisme aux yeux de millions d’Américains et a permis le déploiement sans précédent de la puissance militaire américaine et de renforcer l’image de Bush en tant que « patriote » et « défenseur de la nation ».

 

Objectifs militaires

Placer des troupes alliées et des bases en permanence sur le sol irakien pour ainsi avoir un contrôle sur le golfe Persique, montrer au monde que les occidentaux sont toujours les plus forts et qu’ils peuvent agir efficacement et rapidement, libérer des prisonniers de guerre retenus en Irak.

 

Objectifs économiques

Ce conflit permettait également à beaucoup d’entreprises européennes et américaines de profiter du pétrole irakien, prendre le contrôle des puits de pétrole du 4e détenteur de réserves ; il s'agissait donc d'une raison motivée par les analystes de la géopolitique du pétrole. Le secteur de l'armement avait également l'occasion « d'écouler les stocks » et de stimuler la production par une augmentation des « besoins ». Beaucoup d'argent pouvait ainsi être réinjecté dans l'économie, plus spécifiquement dans le secteur de l'armement et des hydrocarbures.13

 

 

L’État rêvé des Américains

Les dirigeants de l’impérialisme américain souhaitaient évidemment construire un nouvel État irakien à leur botte. Mais de quel type ? Un État fort et centralisé, nouveau « gendarme de la région » ? Ou un grand Liban, fragmenté en oppositions communautaires, chaque clique s’empressant de faire la cour au tuteur américain ? Sans doute envisageaient-ils de maintenir un Irak unifié et divisé à la fois, pensant qu’ils régneraient en jouant les uns contre les autres dans une sorte d’« instabilité constructive », terme alors à la mode à Washington... En matière « d’instabilité », ils allaient être servis.

Ils se sont heurtés très vite à la volonté des Irakiens de les faire partir. Il faut dire qu’ils se sont d’abord eux-mêmes largement discrédités auprès de la population, par leur incapacité à garantir sa sécurité. Ils n’ont même pas empêché le pillage des ministères et du musée national de Bagdad, ni su répondre aux besoins les plus urgents de la population en électricité et en eau courante.

Surtout, ils ont ouvert une véritable boîte de Pandore. Au lieu de recycler le vieil appareil éprouvé de la dictature, ses cadres corrompus et tortionnaires (c’eût été plus « classique »…), l’administration Bush préféra faire table rase, dissoudre l’armée et les forces de sécurité et licencier les officiers. Elle installa en juillet 2003 un « gouvernement transitoire » fantoche réunissant un spectre large des forces d’opposition au régime, des partis kurdes aux partis religieux chiites, en passant par le parti communiste irakien, des partis laïcs et d'anciens exilés sans autre base sociale que la CIA.

 

La résistance et le chaos

Ce faux passage du pouvoir « aux Irakiens » fut un échec complet.

La résistance armée à l’occupation américaine prit son envol, et fut le fait à la fois de partis religieux chiites (comme celui du jeune dignitaire religieux Moqtada Al Sadr) et d’une coalition hétéroclite, chez les Sunnites, d’anciens officiers du Baas, d’islamistes, de nationalistes et même de « volontaires étrangers » djihadistes. Au printemps 2004 l’armée américaine eut à combattre deux insurrections simultanées, sunnite à Falloujah et chiite à Nadjaf. Par malheur, toutes ces forces combinèrent la résistance à l’occupant américain à la volonté de combattre les autres communautés. Les mêmes faisaient sauter des blindés américains et des lieux de culte chiites (comme Zarqaoui), ou alternaient rébellion armée contre les troupes d’occupation et négociation avec celles-ci pour s’arroger une fraction de pouvoir local (comme Moqtada Al Sadr).

La situation échappa à tout contrôle. Le régime du Baas avait accumulé des forces explosives considérables. Expropriations, privilèges, discriminations, clientélisme, captation de la rente pétrolière : l’Irak du Baas n’était unifié que par la terreur. L’heure de la « libération » fut donc aussi celle de la revanche pour les exclus du régime. Cela ne signifie pas que les simples gens se seraient spontanément sautés à la gorge les uns des autres. L’immense majorité des Irakiens rêvaient de retrouver enfin la paix et de voir leur pays se reconstruire. Mais les différentes factions politiques étaient pressées de dominer leur quartier, leur ville, leur région, et de se ménager le meilleur accès au pouvoir central et à la rente pétrolière. Pendant qu’au nord les partis kurdes consolidaient leur quasi-Etat indépendant, fruit d’une longue marche vers la liberté pour cette population si longtemps opprimée, dans le reste du pays les factions s’engouffrèrent dans le vide laissé par la volatilisation de l’appareil d’État baasiste. Pour asseoir leur pouvoir sur une base ethnique et confessionnelle, elles menèrent une politique de terreur et même de purification ethnique, et multiplièrent les exactions et les pillages.

Dans cette combinaison de guerre d’occupation américaine et de guerre civile, des centaines de milliers d’Irakiens ont péri. Cinq millions (sur une population de 25 millions !) ont été « déplacés ». L’économie ne s’est jamais relevée. L’irruption violente des milices religieuses dans la vie quotidienne et à tous les étages de l’État a achevé de détruire les droits des femmes. Tel est le bilan des interventions de l’impérialisme : l’Irak a fait un bond d’un demi-siècle en arrière sur tous les plans.

 

Les zigzags de la politique américaine

Enfoncés dans le bourbier irakien, les dirigeants américains durent se résigner à y maintenir une immense armée (encore 150 000 soldats en 2007 !) en sachant pertinemment qu’il leur fallait surtout trouver une porte de sortie honorable.

Le gouvernement américain ne voulait pas d’élections véritables. À la volonté de ne pas laisser le peuple irakien décider de son sort, se joignait la crainte de remettre de facto l’essentiel du pouvoir d’État aux partis religieux chiites (certains très liés à l’Iran). Mais en 2004, le plus influent des dirigeants chiites, l’ayatollah Sistani, fit descendre dans la rue des millions d’Irakiens chiites pour exiger ces élections. L’occupant dut céder et les laisser s’organiser en janvier 2005. Il y eut 60 % de participation, mais une abstention presque totale de la population arabe sunnite. L’Alliance unie irakienne de Sistani obtint 48 % des voix, plus de la moitié des députés, la liste nationale kurde 25 % des voix. Ces résultats sonnaient de fait le glas d’un État irakien « unifié ».

Les institutions passèrent sous le contrôle d’une coalition de partis chiites et kurdes, « dirigée » par un premier ministre, Nouri al-Maliki, venu du parti religieux chiite Da’wa. La négociation de ces partis avec le gouvernement américain accoucha d’une constitution hypocrite et bâtarde. Elle garantit un État irakien à la fois fédéral et unifié mais consacre sa confiscation par des partis à base purement communautaire. Elle reconnaît l’autonomie du Kurdistan mais ne lève pas les contentieux sur le partage des recettes pétrolières et le contrôle des villes contestées de Mossoul et Kirkouk. Elle fait du pétrole la ressource nationale de tous les Irakiens, mais qui la contrôle ? Or l’économie reste toujours hyper-dépendante du pétrole (65 % du PIB, 90 % des recettes de l’État).

Dans l’Irak d’après 2003, les Arabes sunnites tombent de haut, tant ils sont désormais marginalisés politiquement et économiquement, eux qui vivent aussi là où le pétrole… coule le moins. Comment y aurait-il eu alors stabilité ? La coalition de milices locales et tribales, de djihadistes et d’anciens officiers de l’armée irakienne monta en puissance. Les Américains frappèrent fort pour la briser, en écrasant par exemple Falloujah sous les bombes. Puis, incapables de rétablir l’ordre, ils infléchirent leur politique en 2006. Ils entreprirent de « pacifier » les provinces arabes sunnites en achetant les chefs de tribus et en autorisant et armant des milices sunnites pour qu’elles se retournent contre Al-Qaïda en échange de millions de dollars tout de suite, et de la promesse d’un pouvoir politique davantage partagé plus tard. L’alliance de fait entre notables sunnites et djihadistes s’est alors défaite, la base de soutien de ceux-ci s’est « asséchée » et cette mouvance subit alors de lourdes pertes, au point de sembler « résiduelle »…

 

2011 : le départ raté des Américains

Fort de cette apparente stabilisation, Obama crut pouvoir réaliser enfin sa promesse électorale de faire rentrer les soldats au pays, en décembre 2011, après huit ans de guerre. Il se réjouit alors que les troupes américaines puissent laisser derrière elles « un État souverain, démocratique et stable » !

Rien n’était réglé bien sûr. Dans cet Irak sous-développé, Nouri al-Maliki et les dirigeants chiites voulurent conforter leur emprise sur leur propre communauté (et la majorité électorale du pays) en l’assurant qu’elle serait bel et bien privilégiée. Ils revinrent sans vergogne sur les promesses faites aux Arabes sunnites, décidèrent de dissoudre leurs milices et laissèrent l’armée irakienne, majoritairement chiite, se comporter dans les villes du centre et du nord comme une véritable force d’occupation.

Or le printemps révolutionnaire arabe, à sa façon, a fait aussi irruption en Irak. Dans les villes sunnites, la population s’est massivement mobilisée contre sa marginalisation, en 2012 et 2013. Les manifestations ont été durement réprimées, des massacres commis par l’armée, des gens torturés, assassinés. Cette fin de non-recevoir totale opposée à la révolte fut confirmée par les élections du 30 avril 2014, les premières depuis le retrait des forces américaines : elles ont conduit à la reconduction du détesté al-Maliki.

C’est ce désespoir, de toute évidence, qui a laissé sa chance à l’« État islamique ».14

 

 

L'« État islamique », une force réactionnaire

L’« État islamique » (EI) a été promu durant l’été 2014 au rang d’ennemi numéro 1 des États-Unis et de leurs alliés. Son expansion vers Bagdad au sud et l’État autonome kurde au nord ont entraîné leur intervention. Dans le même temps, l’organisation djihadiste multipliait les exactions.

L’EI n’est pas un État mais une organisation djihadiste armée qui prétend construire un État. Avant l'été 2014, elle dominait déjà des portions de territoire en Syrie et en Irak. Le 10 juin 2014 elle a pris le contrôle de Mossoul, deuxième ville d’Irak. Le 29 juin, l’organisation, qui s’est abord appelée État islamique en Irak, puis État islamique en Irak et au Levant, a changé de nom et un « califat » a été proclamé à Mossoul. Le « calife », Abou Bakr al-Baghdadi, contrôle alors une région à cheval entre l’Irak et la Syrie.

 

Des parrains divers

L’organisation est issue d’Al-Qaïda mais s’en est éloignée progressivement. En effet, Al-Qaïda met l’accent sur la lutte contre les États-Unis et l’Occident, tandis que les organisations successives ayant donné naissance à l’EI se concentrent sur « l’ennemi proche » : régime syrien, opposants non islamistes à ce dernier et chiites au pouvoir à Bagdad depuis la chute de Saddam Hussein. L’objectif est le contrôle effectif de territoires où les djihadistes pourront imposer leur ordre. À cette différence d’orientation, s’ajoutent des conflits au niveau local (en Syrie, l’organisation labellisée par Al-Qaïda est le Front Al Nosra) ou pour capter les ressources financières.
Au début de son aventure, l’organisation a reçu des fonds provenant de l’Arabie Saoudite et du Qatar : depuis les apports officiels se sont taris mais des dons privés continuent d’arriver. En Syrie, Assad a tout fait pour renforcer les islamistes au détriment des groupes laïques ou religieux modérés. En Irak, les djihadistes ont bénéficié de la crise du régime mis en place par les Américains. Le premier ministre chiite Nouri Al-Maliki (qui a perdu le pouvoir fin août 2014) a poursuivi une politique privilégiant les chiites. La marginalisation des sunnites s’est accentué après le départ des troupes américaines. Des manifestations non-violentes ont été réprimées, ce qui a favorisé l’entrée en insurrection de certains groupes sunnites. L’EIIL avait déjà commis des attentats anti-chiites. Dans la nouvelle période, renforcé par ses succès syriens, il a pris ainsi progressivement la tête d’un mouvement sunnite composite, incluant des officiers issus de l’armée de Saddam Hussein. Il a bénéficié, notamment en Syrie, de l’apport de combattants étrangers. La politique américaine en Irak a favorisé la fragmentation du pays entre chiites, sunnites et Kurdes, fragmentation qui s’accentue actuellement au point de mettre en question la pérennité de l’État irakien.

 

Un ennemi mortel

L’EI n’est pas une réincarnation des guerriers des premiers temps de l’Islam. D’ailleurs, les États mis en place après l’expansion arabe était plus tolérants à l’égard des minorités religieuses que l’EI ne l’est aujourd’hui. L’EI surfe sur les contradictions des régimes arabes réactionnaires, les manœuvres d’Assad et l’échec des stratégies impérialistes. Il est aussi le produit de l’élimination des forces progressistes de la région et son aura auprès de jeunes en Occident, s’il ne concerne au total qu’une minorité, constitue une impasse et un danger.
L’EI est l’ennemi mortel des femmes, du mouvement ouvrier et de toutes forces progressistes de la région. La stabilisation de son emprise territoriale signifierait la servitude pour les populations concernées. Des Syriens en révolte contre Assad en ont déjà fait l’expérience.
Il ne faut certes pas voir la situation irakienne à travers le seul prisme confessionnel : les ouvriers du pétrole du sud de l’Irak sont souvent chiites mais ils se sont heurtés eux aussi à Maliki. Des grèves ont eu ainsi lieu en avril 2013 et en décembre de la même année, les travailleurs du pétrole ont manifesté à Bassorah pour des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail. En janvier, les syndicats irakiens s’adressaient à nouveau au Parlement pour qu’il abroge la législation restrictive du travail héritée de Saddam Hussein. Mais entre les milices armées de tous bords, la reconstruction d’une alternative progressiste en Irak (où a existé un important parti communiste) prendra du temps.15

 

 

Le retour du règne des milices

L’une des conséquences de la situation actuelle est la réapparition de toutes sortes de milices imposant leur loi à la population et rivalisant entre elles dans le cadre d’affrontements souvent sanglants.

L’effondrement de l’armée irakienne a amené de nombreux villages et petites villes à réactiver les milices d’autodéfense qui avaient été initialement mises en place durant la guerre civile et la période de chaos qui lui a succédé, pendant l’occupation occidentale. À ceci près que nombre de ces milices jouent désormais un rôle différent.

L’El, dont le nombre de combattants en 2015 est estimé à 15 000 au plus, s’est efforcé – là aussi, tout comme l’avaient fait les talibans afghans – de s’assurer l’allégeance de ces milices locales – que ce soit en achetant leurs chefs ou en les soumettant par la force. Pour l’essentiel, l’El exerce son contrôle territorial par l’intermédiaire de milices locales qui lui ont fait allégeance. Ces milices répriment brutalement la population sous leur contrôle.

De son côté, le gouvernement de Bagdad a dû tenter d’endiguer l’effondrement de son armée en mobilisant de nouvelles forces. Pour cela, il a réactivé ce qui restait des Sahwa, une milice sunnite mise en place par les États-Unis en 2007. Mais leurs rangs se sont considérablement réduits après s’être vu refuser leur intégration à l’armée irakienne par le régime des partis chiites, contrairement aux promesses faites par les États-Unis. Beaucoup ont déserté et certains ont même rejoint les milices islamistes sunnites. Qui plus est, les Sahwa sont universellement méprisés et haïs, par les sunnites comme par les chiites, en raison de la brutalité et de la cruauté dont ils firent preuve au service des occupants impérialistes.

Si on laisse de côté les milices kurdes, qui n’obéissent pas aux ordres de Bagdad, les principaux auxiliaires militaires recrutés par le gouvernement pour suppléer aux défaillances de son appareil de répression sont les grandes milices chiites.

Ces milices chiites sont apparues juste après la chute de Saddam Hussein, lorsque les partis religieux chiites retrouvèrent une existence légale après leur longue période de clandestinité. À cette époque, tous ces partis, ainsi qu’un grand nombre de candidats aux postes de chefs religieux, commencèrent à constituer des milices armées afin de profiter du vide politique résultant de la chute de l’ancien régime.

Certains de ces partis, notamment les deux plus importants, le Conseil suprême islamique irakien (CSII) et le Parti islamique Dawa, choisirent finalement de collaborer avec les États-Unis. Ces deux partis purent ainsi obtenir la plus grosse part du gâteau dans les institutions politiques du nouvel État mis en place par les forces d’occupation en 2005, et ils l’ont conservée jusqu’à ce jour. Ce furent les cadres de leurs milices qui fournirent l’ossature de la nouvelle armée irakienne.

Mais certaines forces chiites décidèrent de s’opposer à l’occupant. La plus importante d’entre elles, l’Armée du Mahdi du chef religieux Moqtada al-Sadr, organisa un soulèvement manqué contre l’occupation en 2004. Après une tentative ratée pour intégrer le processus politique lors de l’élection de 2005, l’Armée du Mahdi joua un rôle actif durant la guerre civile. En 2008, elle fut finalement démilitarisée et de nombreux partis politiques faisant allégeance à al-Sadr participèrent au processus politique. Cependant, alors même que l’Armée du Mahdi était démantelée, al-Sadr créa une nouvelle milice, les Brigades du jour promis, pour assurer la continuité de la tradition de l’Armée du Mahdi.

Suite à l’avancée de l’El, le gouvernement irakien demanda aux partis chiites de réactiver leurs milices. Et ces derniers le firent d’autant plus facilement que les postes que leurs représentants occupaient au gouvernement leur donnaient accès à des fonds importants et que l’Iran leur offrait toutes les armes dont ils pouvaient avoir besoin. Et c’est ainsi que, depuis juin 2014, on a pu voir deux milices issues des Brigades du jour promis d’al-Sadr, les Brigades de la paix et la Ligue des justes, parader, armées jusqu’aux dents, en plein centre de Bagdad. L’organisation Badr, l’ancienne milice du CSII, a également refait surface, en parfait ordre de combat, comme au temps de la guerre civile. De nombreuses autres milices chiites sont apparues dans le pays, parfois sous prétexte de défendre un sanctuaire particulier du chiisme.

 

Vers la catastrophe ?

L’autorité du gouvernement de Bagdad s’est quasiment effondrée dans de nombreuses parties du pays, et des milices religieuses rivales cherchent à se tailler leur propre part du pouvoir politique en imposant leur loi à la population.

La chute vers le chaos qui se dessine en Irak et se poursuit en Syrie menace à présent d’autres pays voisins, comme la Jordanie et le Liban. L’afflux de réfugiés de Syrie et d’Irak pèse sur les ressources de ces pays, et les conditions matérielles dégradantes dans lesquelles ces réfugiés doivent survivre ne font que créer un réservoir de recrues potentielles pour les milices islamistes sunnites. En même temps, la politique expansionniste de l’El se traduit par un début d’offensive en direction de ces pays, soit directement, à travers leur frontière avec la Syrie, soit indirectement, par l’intermédiaire de groupes locaux qui soutiennent ses objectifs politiques.

Ces milices ont par ailleurs contribué à la déstabilisation des pays africains voisins, jusqu’au Niger et à la République centrafricaine !

Enfin, chacune des bombes, larguées par les puissances impérialistes, qui tombent sur l’Irak et la Syrie apporte des recrues nouvelles à l’El et aux autres milices islamistes. Si l’El peut recruter de jeunes combattants jusque dans les centres urbains de France ou de Grande-Bretagne, en se présentant comme un ennemi déterminé de ces puissances impérialistes qui ont pillé le Moyen-Orient depuis si longtemps, il est évident qu’il peut le faire encore plus facilement sur le terrain face à une agression impérialiste, quelle qu’en soit l’échelle.16

 

 

Les chiffres invraisemblables de la destruction programmée de l’Irak

L’invasion de l’Irak en 2003 a provoqué la plus grave crise humanitaire dans le monde. Comme c'était prévisible, le pays a été systématiquement détruit. La brutale réalité dépasse tout ce qu'il est possible d'imaginer. Ce qui suit ne s’adresse pas aux lecteurs sensibles.

 

Morts, disparus, réfugiés

Selon l’UNESCO, entre 1991 et 2003, un million d’Irakiens, dont la moitié étaient des enfants, ont perdu la vie suite aux sanctions économiques imposées au pays. Cela n’était que le prélude. Entre l’invasion étasunienne en mars 2003 et mars 2013, 1,5 million d’Irakiens de plus ont été tués.

 

Le nombre de personnes disparues est actuellement estimé entre 250.000 et plus d’un million. Pour les seules familles expatriées, presque 100.000 enfants sont portés disparus.

 

L’invasion et l’occupation qui a suivi ont été à l’origine d’une des plus grandes migrations de peuples provoquée par un conflit dans l’histoire du Moyen-Orient. Un rapport des Nations Unies datant de 2008 rapportait 2,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak. La Croix Rouge irakienne rapportait, en juillet 2007, qu’au moins 2,5 millions d’Irakiens avait fui à l’étranger. Au total, il s’agissait donc de 5,3 millions de réfugiés sur une population de 31 millions, soit une personne sur six. Parmi ces réfugiés en Irak, 80 % sont des femmes et des enfants de moins de 12 ans.

 

Terrorisme, torture, détention, traumatismes…

Pendant des années, l'Irak fut le pays le plus violent et le moins sûr du monde. En 2011, il fut rattrapé par la Somalie… Étant donné les multiples attentats à la bombe et la violence religieuse des diverses milices, c’est un endroit plus dangereux que l’Afghanistan. Plus d’une victime sur trois du terrorisme mondial est un Irakien.

 

Entre 2003 et 2013, plusieurs dizaines de milliers d’Irakiens ont été emprisonnés sans aucune forme d’inculpation ou de procès, dans des prisons officielles ou secrètes (aussi bien irakiennes qu’étasuniennes).

 

Entre 2005 et 2008, 50 à 180 corps humains ont chaque jour été jetés dans les rues de Bagdad, portant pour la plupart d'affreuses traces de torture. On sait que la force d’occupation a formé, entraîné, armé et déployé des escadrons de la mort responsables de ces assassinats. Il y a un lien direct entre les centres de torture et le Pentagone.

 

Être journaliste dans ce pays entre deux fleuves n’est pas une sinécure. Entre 2003 et 2013, au moins 382 journalistes (dont 352 Irakiens) ont été tués. Ce nombre dépasse celui de toute autre zone de guerre de l’Histoire. Pour comparaison : durant la période 1996-2006, 862 journalistes ont été tués dans le reste du monde.

 

Il n’est pas étonnant que les Irakiens souffrent de traumatismes extrêmes, au niveau plus élevé que dans d’autres zones de guerre. Une étude indique que parmi les réfugiés irakiens 80 % avaient été témoins d'une fusillade, 72 % avaient été victimes d'une voiture piégée, et 75 % connaissaient une personne morte assassinée.

 

On sait que les États-Unis ont formé, entraîné, armé et déployé des escadrons de la mort responsables de ces assassinats.

 

Le pays le moins vivable du monde

Pour la énième fois, Bagdad a été proclamée « ville moins vivable de la planète », suite à la destruction systématique par l’armée étasunienne d’usines, d'écoles, d'hôpitaux, de musées, de centrales d’énergie et d’installations de purification des eaux.

 

Pourtant, selon les dispositions de la Convention de Genève, lorsqu’une force d’occupation opère par le biais d’un gouvernement qu’elle a installé, elle est responsable de la protection et du bien-être de la population civile. Ces règles et obligations ont été systématiquement ignorées.

 

Selon la Croix Rouge, la crise humanitaire en Irak après l’invasion étasunienne est une des pires du monde. En 2013, 11 millions, soit presque la moitié des citadins irakiens, habitent dans des bidonvilles. En 2000, ils n’étaient même pas 3 millions. Selon Oxfam, 8 millions d’Irakiens ont un besoin d’aide urgente, et 4 millions manquent de nourriture. 70 % de la population n’ont pas accès à une infrastructure d’électricité fiable.

 

Les bas niveaux d’eau des lacs et rivières ont provoqué une catastrophe car la canalisation défectueuse a empoisonné l’eau potable, rendue ainsi inapte à la consommation humaine et animale. Par conséquent, 70 % des Irakiens n’ont pas accès à l’eau potable.

 

La contamination par l’uranium appauvri et d’autres pollutions liées aux opérations militaires ont engendré une augmentation de déformations génétiques et de cancers qui ont rendu le pays quasi invivable.

 

Femmes et enfants

En Irak, 44.000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année, ce qui est deux fois trop élevé. Ça veut dire que chaque jour 60 enfants meurent inutilement. Un demi-million d’enfants sont mal nourris et 800.000 jeunes irakiens, entre cinq et quatorze ans, sont mis au travail.

 

L'Irak est devenu le pays des orphelins. On estime à 5 millions le nombre d’orphelins, dont plus d’un demi-million vivent dans la rue.

 

L'Irak est aussi le pays des veuves. En 2007, le Ministère irakien des Affaires des Femmes rapportait qu’il y avait environ 3 millions de veuves, suite à la guerre avec l’Iran, la guerre du Golfe de 1991, et l’occupation de l’Irak depuis 2003. Plus de la moitié des veuves ont perdu leur mari après l’invasion de 2003, avec des conséquences dramatiques pour elles. 8 % d'entre-elles seulement perçoivent une pension, 55 % sont déplacés, et un nombre équivalent sont victimes de violences.

 

Pour les femmes, l’invasion a signifié un grand bond en arrière. Depuis 2003, nombre de leurs droits ont reculé, notamment le droit à la protection maternelle, à l’emploi et aux soins de santé. À présent, la polygamie est proposée comme une solution au très grand nombre de veuves, et le mu’ta, sorte de mariage de complaisance – une forme de prostitution légalisée – est de retour.

 

Éducation

L’enseignement a été une cible systématique dans la destruction de l’Irak. Entre mars 2003 et octobre 2008, plus de 30.000 attaques violentes ont été commises contre des institutions d’enseignement. Plus de 700 écoles primaires ont été bombardées, 200 ont été incendiées et plus de 3.000 ont été pillées. Plusieurs établissements d’enseignement ont été utilisés pour héberger des militaires.

 

En 2008, seule la moitié des enfants entre six et douze ans fréquentait encore l’école. En 2005, ils étaient encore 80 %. Plus de 90 % des enfants accusent un retard au niveau de l’apprentissage.

 

L’enseignement supérieur a été particulièrement visé et encore plus durement frappé. 84 % des institutions de l’enseignement supérieur ont été incendiées, pillées ou gravement endommagées. Plus de 470 professeurs irakiens ont été des cibles, soit presque un enseignant tué par semaine depuis le début du conflit.

 

Une fuite de cerveaux sans précédent

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le pays se vide. Depuis l’invasion, 20.000 scientifiques et de professionnels irakiens et 6.700 professeurs de l’université ont fui le pays.

 

Les médecins, notamment, ont pris la fuite. Rien de surprenant quand on sait que, depuis 2003, plus de 2.000 médecins ou infirmiers ont été assassinés. Plus de la moitié des médecins enregistrés se sont également désengagés dans leur propre pays.

 

La désarticulation est totale. 75 % des médecins, pharmaciens, infirmiers, et 80 % du corps d’enseignants de Bagdad ont été tués, ont émigré, ou ont abandonné leur poste. Avant 2006, environ 40 % de la classe moyenne avait pris la fuite suite à la violence ou la terreur.

 

Iconoclasme et purifications religieuses et ethniques

Non seulement les cerveaux ont été décimés mais également l’héritage culturel. Après l’invasion, l’occupant étasunien a laissé 12.000 sites archéologiques sans aucune surveillance et les pillages en ont été la conséquence. Rien qu'au Musée national de Bagdad, 15.000 artéfacts mésopotamiens d’une valeur inestimable ont été volés.

 

Les minorités irakiennes (les Chaldéens, Assyriens, Mandéens, Bahia, Yezidi…) sont au bord de l’extermination car elles sont confrontées à une violence inouïe. Depuis l’invasion, l’Irak attire des combattants djihadistes visant souvent des minorités ethniques et religieuses. Certaines de ces minorités ont vécu pacifiquement en Irak pendant deux mille ans.

 

Néo-colonie et terre conquise pour les États-Unis

L’Irak ne fut pas seulement occupé en termes militaires mais également en termes économiques. Le pays est devenu un paradis pour les investisseurs étrangers, au détriment des Irakiens qui n'ont rien eu à dire dans la reconstruction de leur pays. Les nouveaux contrats ont presque tous été attribués à des entreprises étrangères. L’exemple le plus édifiant à ce titre est celui de Halliburton. En 2003, cette entreprise de construction de Houston est parvenue à acquérir un contrat d’une valeur de plusieurs milliards. Détail révélateur : l’ancien directeur (jusqu’en 2000) n'était autre que Dick Cheney, vice-président et homme fort du cabinet de guerre de Bush. Jusqu'à maintenant, l’homme a conservé des intérêts dans cette société.

 

Il y a beaucoup d’argent pour financer tout ceci (…) les revenus du pétrole de ce pays pourraient s’élever entre 50 et 100 milliards de dollars US dans le courant des deux ou trois années à venir (…) Nous avons à faire à un pays qui peut financer sa propre reconstruction, et assez vite.”

Paul Wolfowitz, conseiller d’élite de Bush et architecte de l’invasion, 27 mars 2003.

 

De nouvelles lois ont également prévu des impôts faibles permettant que des entreprises irakiennes passent à 100 % aux mains d'investisseurs étrangers, y compris le droit de transférer tous les bénéfices à l’étranger. Les transactions financières avec l’étranger sont passées entre les mains d’une banque des États-Unis, notamment JP Morgan, le premier financier de la première guerre mondiale et de Mussolini.

 

Même après le retrait (de la plupart) des troupes étasuniennes, en décembre 2011, les conseillers étasuniens restent liés à tous les ministères et services de sécurité. L’ambassade des États-Unis à Bagdad est le symbole de la main de fer sur le pays. Cette ambassade est la plus grande et la plus chère du monde, aussi grande que le Vatican, et dotée d’un cadre de personnel de 15.000 personnes.

 

Facture improbable et situations maffieuses

Selon Stiglitz, lauréat du ''prix Nobel'' d'économie, l’invasion de l'Irak a coûté quelque 3000 milliards de dollars, l’équivalent de 100 ans d’aide au développement des États-Unis. Un sixième de ce montant aurait suffi pour atteindre les objectifs du millénaire pour le monde entier.

 

Pour l’occupation et la soi-disant reconstruction du pays, des montants considérables ont été prévus. Cependant, ils n’ont toujours pas été équitablement distribués. Selon Transparency International, il s’agit en l’espèce du plus grand scandale de corruption jamais vu dans l’histoire. Des milliards de dollars se sont envolés en fumée. Jusqu’à présent, on vole du pétrole à volonté, puisqu’il n’y a toujours pas de système de mesure moderne disponible.

 

Certes, on a bien tenté de combattre cette corruption massive. Ainsi, un service contre la corruption a vu le jour. Cependant, les fonctionnaires trop zélés sont assassinés. Depuis 2006, 30 inspecteurs contre la fraude ont été « liquidés ».

 

Parole contre parole

Avant la première guerre du Golfe, en 1991, James Baker, à l’époque ministre étasunien des affaires étrangères, avait dit à son homologue Tariq Aziz : « Nous allons détruire ton pays et le catapulter à l’âge de pierre ». Près de dix ans plus tard, Paul Wolfowitz, vice-ministre de la Défense et architecte de l’invasion, disait que les États-Unis « allaient en terminer avec les états qui soutiennent le terrorisme ». Ils ont tenu parole.

 

La population irakienne ne se croise pas les bras. Depuis l’invasion et l’occupation qui a suivi, les protestations sont constantes. Elles se sont accélérées lors du Printemps arabe en janvier-février 2011. Depuis le 25 décembre 2012, des protestations massives ont lieu chaque jour à Ramadi.

 

Ces protestations auxquelles participent des centaines de milliers de personnes se sont étendues vers d’autres villes, partout dans le pays. Le 12 janvier 2013, plus de 2 millions de manifestants réclamaient la démission du premier ministre irakien Al Maliki. Ils réclamaient notamment la fin des atrocités, l’abolition des lois antiterroristes, la fourniture de services de base essentiels, l’arrêt de la marginalisation et de la division organisée parmi les groupes religieux et ethniques, la sanction du comportement criminel de l’armée, de la police et des forces de sécurité.

 

En Chine ou au Myanmar, il suffit d'un dissident pour se retrouver à la une des journaux. Par contre, nos médias gardent le silence sur ces protestations massives. Oui, la vérité est toujours la première victime de toute guerre.17

 

 

Ils ont obtenu ce pourquoi ils étaient venus : le pétrole de l’Irak

En détruisant le vieil appareil d’État de Saddam Hussein, les États-Unis ont desserré l’emprise de l’État irakien sur l’industrie pétrolière. Et en jouant les divisions et les tensions ethniques et religieuses au sein du pays, les États-Unis ont potentiellement divisé cette industrie en deux : une partie contrôlée par le gouvernement central irakien et l’autre contrôlée par le gouvernement régional du Kurdistan irakien dans le nord du pays.

Les compagnies pétrolières se sont empressées de jouer les uns contre les autres. ExxonMobil, la plus grande compagnie pétrolière du monde, a signé un contrat avec le gouvernement central pour l’extraction des champs pétrolifères du sud, près de Bassora, région d’où provient aujourd’hui la plupart du pétrole irakien. Fin novembre 2011, ExxonMobil a signé un contrat, qui lui était bien plus favorable, avec le gouvernement kurde pour des opérations de forage dans le nord du pays. Le gouvernement Maliki a menacé ExxonMobil de l’empêcher d’obtenir de nouveaux droits d’exploitation dans le sud. Mais ces menaces n’ont pas l’air d’avoir inquiété Royal Dutch Shell, Chevron et l’Italien ENI, qui ont annoncé qu’ils étaient eux aussi prêts à signer un accord avec le gouvernement régional kurde.

Si le gouvernement kurde arrive à maintenir un contrôle sur les ressources pétrolières qui se trouvent sur son territoire, cela encouragera les autres gouvernements régionaux à faire de même. Cela pourrait déclencher une nouvelle vague de combats entre des groupes de seigneurs de guerre, de chefs tribaux et/ou religieux qui se disputeraient les miettes laissées par les multinationales pétrolières et bancaires. Le résultat pourrait bien être un morcellement encore plus grand du pays, une balkanisation qui laisserait les réserves pétrolières encore plus vulnérables au pillage.

Évidemment, la production de pétrole a fortement été réduite du fait de l’invasion américaine et de la guerre civile qui s’en est suivie. Cependant, les grandes multinationales pétrolières, et les grandes banques qui les soutiennent, ont obtenu le contrôle d’une bien plus grande partie de la future production pétrolière irakienne et de ses profits qu’auparavant.

Il ne faut pas sous-estimer la valeur de ce butin. Les réserves pétrolifères connues de l’Irak sont aujourd’hui les troisièmes au monde et les géologues internationaux considèrent que des territoires encore non explorés recèleraient des réserves encore plus importantes. Ces réserves se situent à un faible niveau de profondeur, ce qui rend leur coût d’exploitation très bas, à peine un dollar le baril, en comparaison avec l’exploitation plus difficile des gisements en haute mer ou dans la toundra arctique. Ce pétrole est de haute qualité, ce qui rend son raffinage facile et peu coûteux.

La balkanisation de l’Irak peut bien sûr entraîner plus de désordres avec tous les risques que cela comporte pour l’industrie pétrolière. C’est pourquoi le gouvernement américain renforce les forces de mercenaires sous le contrôle du département d’État, et les compagnies pétrolières accroissent également leurs propres forces de sécurité et leurs mercenaires.

En 2012, une vague de protestations a éclaté à travers tout le pays et s’est prolongée pendant plusieurs semaines. Les manifestants exigeaient de meilleurs services sociaux, de l’électricité, de l’eau, des prix stables pour la nourriture, plus d’emplois, moins de corruption (l’Irak est le quatrième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International) et des réformes du système de gouvernement. Une grande partie de la colère fut également dirigée contre l’occupation américaine. Les manifestations ont varié en ampleur selon les endroits, mais elles ont eu lieu à travers tout le pays, de Bassora au sud, à Bagdad et Tikrit au centre et jusqu’à Mossoul au nord et Sulaimaniya dans la région autonome kurde. Elles traversaient les clivages sectaires et religieux.

Les plus grands dirigeants religieux comme Moktada al-Sadr, dont la base se situe dans les taudis chiites de Bagdad, et le grand ayatollah Ali al-Sistani s’opposèrent aux manifestations. Parallèlement, le gouvernement répondit par la force. De nombreuses sources rapportent que la police a tiré à balles réelles sur les manifestants, utilisé des gaz lacrymogènes, organisé des passages à tabac et procédé à des milliers d’arrestations. Après les avoir accusés d’avoir dirigé les manifestations, le gouvernement Maliki a fermé les locaux du Parti communiste irakien et du Parti national irakien.

L’opposition de la hiérarchie religieuse et la répression de l’appareil d’État rassurèrent les impérialistes américains au moment où ils s’apprêtaient à retirer leurs troupes d’Irak. Cela montrait que les autorités irakiennes pouvaient exercer un contrôle suffisant sur la population pour que la production de pétrole puisse se poursuivre.

 

Le prix payé par la population irakienne

Cette guerre a réduit ce pays en cendres. L’avenir de la population est déjà très sombre alors que la poursuite de la division du pays et la possibilité d’une guerre civile menacent de provoquer des désastres supplémentaires en plus de ceux qu’a déjà subis la population irakienne.

Les civils constituent de loin la majorité des personnes tuées au cours de ces années de guerre.

La CIA estime que le PIB par habitant est si bas qu'en 2013, l’Irak est relégué à la 161e place dans le monde, alors qu’avant les deux guerres des États-Unis contre le pays, il était en tête du Moyen-Orient. L’Iran, après avoir subi des années d’embargo américain, des sanctions, des assassinats de ses scientifiques ou d’autres actes d’une guerre secrète, tient la 104e place, loin devant l’Irak.

Même les infrastructures les plus élémentaires sont pratiquement inexistantes. La plupart des 64 milliards de dollars que les États-Unis ont officiellement dépensés à la reconstruction de l’Irak, ont seulement enrichi les grandes entreprises de construction américaines et une poignée de nantis irakiens. La population se retrouve avec peu ou pas d’électricité et d’eau potable pendant que les eaux usées inondent les rues. La population des villes et des bourgs proches des zones de production pétrolière, telle Bassora, la deuxième plus grande ville du pays, vit dans la suie et la fumée.

Les États-Unis ont largué en Irak des milliers de bombes comportant de l’uranium appauvri, un déchet radioactif qui provient de la production d’énergie nucléaire. Les chercheurs britanniques ont révélé une augmentation massive de la mortalité infantile et des taux de cancer dans des villes comme Falloujah qui furent lourdement bombardées, supérieurs à « ceux observés chez les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki ». Dans la province de Babil, le nombre de cancers avérés a grimpé de 500 en 2004 à 7 000 en 2008. À Bassora, le taux de leucémies infantiles a plus que doublé en quinze ans selon une étude publiée par l’American Journal of Public Health, en 2011.

Alors que les États-Unis retiraient leurs derniers soldats du pays, certains journalistes se sont rendus dans la ville de Falloujah, à l’ouest de Bagdad, que les États-Unis ont assiégée et attaquée de manière massive à deux reprises en 2004 pour essayer de briser la résistance à l’occupation. Dans cette ville de 300 000 habitants, les médecins de l’hôpital local ont constaté la mort de près de 2 000 civils, surtout des femmes, des enfants et des personnes âgées, et l’on continue encore à extraire des squelettes des bâtiments bombardés. La majorité des habitants furent déplacés de leur domicile au cours du siège. La plupart sont revenus, mais il existe des milliers de sans-abri. Après le siège, le gouvernement a promis un programme de reconstruction.

Deux des projets avaient notamment été mis en avant : une station d’épuration de l’eau et un projet de traitement des eaux usées lancé en 2004. Sept ans après, le système d’égouts n’est pas achevé et la fin des travaux reste en suspens. La station d’épuration fournit de l’eau potable pour moins de 20 % de la population. Les quartiers qui ont subi l’attaque de plein fouet ont aujourd’hui des routes sales et poussiéreuses, encombrées de détritus. « Tout va mal ici, déclarait un boulanger à un journaliste d’al-Jazeera (3 janvier 2012), pas d’eau, pas d’électricité, pas de bons soins médicaux. Nous avons entre 75 et 80 % de chômeurs. Les veuves n’ont pas de droits, pas d’indemnités. » Les luttes religieuses engendrées par la guerre ont poussé des familles à la rue. Parmi celles qui sont revenues, nombreuses sont celles qui sont à nouveau chassées par la reprise des combats. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’il y a encore cinq millions d’Irakiens qui ont fui leur domicile. Près de trois millions sont des réfugiés dans leur propre pays. Une grande partie d’entre eux sont entassés dans les 380 camps de réfugiés dispersés à travers le pays. Ils ont peu d’accès à l’eau propre, aux sanitaires ou aux soins médicaux. Nombreux sont considérés comme des squatters illégaux et ils ne peuvent pas obtenir les papiers administratifs nécessaires pour recevoir des allocations sociales, obtenir un emploi ou inscrire leurs enfants à l’école. Deux autres millions d’Irakiens ont fui l’Irak pour les pays voisins (Jordanie, Liban, Égypte et Syrie) avec peu d’espoir de s’insérer dans les communautés locales ou même d’obtenir un permis de séjour pour pouvoir avoir un emploi. Ceux qui se trouvent en Syrie, avec la montée de la violence, sont à nouveau déracinés et forcés de chercher un nouveau refuge.

Les femmes ont été particulièrement touchées. La guerre, les difficultés économiques et la poussée de l’extrémisme religieux ont entraîné une forte hausse de la violence à l’encontre des femmes, notamment des crimes « d’honneur », des viols et des kidnappings. Avant la première guerre du Golfe en 1991, l’Irak avait l’un des taux d’alphabétisation des femmes les plus élevés du Moyen-Orient. Il y avait en Irak plus de femmes employées dans des professions qualifiées, comme la médecine et l’enseignement, ou comme ouvrières, que dans la plupart des autres pays de la région. Aujourd’hui, la plupart des femmes sont forcées de rester à la maison, sans emploi et sans éducation. De nombreuses femmes irakiennes qui ont fui dans les pays voisins se sont retrouvées incapables de nourrir leurs enfants. Pour joindre les deux bouts, des dizaines de milliers d’entre elles, parmi elles des filles de 13 ans ou moins, ont été forcées de se prostituer.

 

Des bouledogues de l’impérialisme, mais aussi des victimes

Une autre génération d’Américains a été transformée en pitbulls de l’impérialisme, souffrant eux-mêmes de la destruction morale, physique et psychologique qu’une telle guerre impose à l’armée impérialiste elle-même.

Aux quelque 5 000 tués de la guerre, il faut ajouter les suicides qui continuent de progresser année après année, au fur et à mesure que les soldats reviennent. Selon l’Association des vétérans, toutes les 80 minutes un vétéran des guerres d’Irak et d’Afghanistan tente de se suicider, soit 18 par jour ou 6 600 par an. Il y a aussi l’augmentation de la violence à domicile, de l’alcoolisme, de la drogue, etc.

Les rapports du Pentagone ne mentionnent l’existence que de 32 226 blessés, ce qui sous-estime largement leur nombre réel. Plusieurs études ont été réalisées par le propre centre des traumatismes cérébraux du Pentagone, par la RAND Corporation, par le New England Journal of Medicine et par le Department of Veterans Affairs (ministère des Anciens combattants). Ils estiment qu’un tiers de tous les hommes et femmes reviennent de mission en Irak avec des traumatismes cérébraux, des stress post-traumatiques, des dépressions, des pertes d’ouïe, des problèmes respiratoires, des maladies et autres problèmes de santé de long terme.

Des centaines de milliers de soldats, qui ont été brutalisés physiquement et psychologiquement, reviennent dans un pays où ils doivent faire face à des problèmes passés sous silence : premièrement obtenir des soins médicaux adéquats, un emploi et un domicile. Ce pays leur rend hommage en les présentant comme des « héros » de retour, mais ne reconnaît pas les dommages qu’ils ont subis.

 

Sans issue

Les États-Unis ont détruit un pays entier, ont imposé à la population irakienne une descente dans le chaos et la barbarie et une guerre qui, depuis le départ, était basée sur un tissu de mensonges. Cette guerre était dirigée par les intérêts des compagnies pétrolières, d’autres grandes multinationales et des plus grandes banques.

À ces dernières années, il faut ajouter le prix sanglant déjà payé par le peuple irakien lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988 que les États-Unis avaient encouragée, ainsi que la première guerre du Golfe en 1990-1991 et les bombardements intensifs qui l’ont suivie depuis. Le dernier chapitre de la guerre des États-Unis contre l’Irak n’est pas encore clos pour le peuple irakien, loin s’en faut.

Et c’est une guerre pour laquelle les soldats des États-Unis ont aussi payé un lourd tribut. Cette guerre n’est pas finie et ce ne sera pas non plus la dernière des guerres de l’impérialisme américain.

La guerre en Irak donne l’image exacte de l’impact gigantesque et barbare de l’impérialisme, du prix humain qu’il impose aux populations à travers le monde, y compris aux États-Unis, tout cela pour obtenir quelques dollars de profit supplémentaire.18

 

 

La guerre d'Irak : un tournant pour l'impérialisme américain

Cette campagne et les dix années sanglantes d'occupation qui ont suivi ont eu un effet dévastateur sur un pays qui faisait partie des sociétés les plus avancées du Moyen-Orient. Des centaines de milliers de civils irakiens ont été tués et des millions ont été mis à la rue.

La manière dont l'armée américaine a mené la guerre a créé des crimes d'une ampleur vertigineuse. Parmi ceux-ci, la transformation de Falludja, ville de 350 000 personnes, en une zone de tir à vue, le bombardement de ses résidents avec des bombes au phosphore blanc, interdites par le droit international, et l'exécution sommaire de prisonniers blessés. Dix ans plus tard, à Falludja le taux de cancer chez les enfants et d'anomalies à la naissance est comparable à ceux d'Hiroshima après le largage de la bombe atomique.

La divulgation des photographies écœurantes d'Abu Ghraib a soulevé un coin du voile sur le caractère barbare de cette guerre, qui impliquait l'usage systématique de la torture, des escadrons de la mort et de massacres sectaires pour terroriser la population irakienne afin qu'elle se soumette.

Les Irakiens continuent à mourir de la violence sectaire déchaînée contre eux par la guerre ainsi que de la destruction des infrastructures qui les a privés d'eau potable, de services de santé et d'autres éléments essentiels à la vie. Un million d'enfants de moins de 18 ans ont perdu au moins un de leurs deux parents, et des centaines de milliers souffrent de graves blessures.

Aux États-Unis aussi, en plus de la mort de près de 4500 soldats, 34 000 sont rentrés blessés et des centaines de milliers souffrent de traumatismes psychologiques.

Tous ces meurtres et cette violence ont été perpétrés sur la base de mensonges, résumés dans l'affirmation que le gouvernement Irakien cachait « des armes de destruction massive. » Ces prétextes faux pour lancer cette guerre ne sont pas moins criminels que ceux utilisés par le troisième Reich pour justifier l'invasion de la Pologne et des autres pays que l'Allemagne visait au début de la deuxième Guerre mondiale.

Si la jurisprudence établie à Nuremberg par le procès des dirigeants nazis survivants à la fin de la guerre avait été suivie, tous les responsables de l'invasion de l'Irak – en premier lieu George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Colin Powell et Condoleeza Rice – auraient été traduits en justice et, à tout le moins, envoyés en prison pour le restant de leurs jours.

Au Royaume-Uni, le même sort aurait été réservé à l'ex-Premier ministre Tony Blair et à d'autres dans son gouvernement.

Si les Nazis étaient coupables du déclenchement d'une guerre en Europe qui a abouti à un génocide, le lancement de la guerre contre l'Irak par Washington a entraîné un sociocide, la destruction systématique d'une société. Après plus d'une dizaine d'années de sanctions économiques sévères, toute la puissance de l'armée américaine a été employée pour réduire en lambeaux ce qu'il restait de l'économie du pays, de ses infrastructures et de son tissu social.

Tous les grands médias ont été complices du lancement de la guerre, répétant les prétextes de l'agression qu'ils savaient être faux. En particulier, le New York Times a joué un rôle indispensable pour légitimer les actions du gouvernement Bush et concocter des « preuves » des armes de destruction massive irakiennes qui n'existaient pas. Des faiseurs d'opinion bien en vue comme Thomas Friedman du Times et Richard Cohen ou Charles Krauthammer du Washington Post se sont profondément impliqués dans la promotion de la guerre.

Une fois l'invasion lancée, des journalistes « incorporés [embedded] » ont servi de propagandistes à l'armée américaine, tout en dissimulant soigneusement les atrocités de la guerre et ses effets dévastateurs.

Cette guerre, démesurée par la criminalité de sa préparation comme de son exécution, a marqué un tournant essentiel dans l'histoire de l'impérialisme américain. Même si cette guerre s'est terminée dans le chaos, avec les mensonges utilisés pour la justifier démasqués et, d'un point de vue opérationnel, largement considérée comme un désastre total, elle a néanmoins créé les conditions nécessaires pour l'intensification de la guerre en Afghanistan et l'éruption toujours plus grande du militarisme américain sur la planète.

L'Irak a été une guerre impérialiste prédatrice. Elle a été menée dans le cadre d'une stratégie américaine qui incubait depuis longtemps pour réorganiser le Moyen-Orient afin de garantir les intérêts américains et de contrôler les vastes ressources énergétiques de la région.

Derrière cette stratégie, il y avait un effort pour compenser l'intensification de la crise économique par l'usage de la force militaire. En même temps, la « guerre choisie » a servi de moyen pour détourner les tensions sociales explosives générées par l'inégalité sociale à l'intérieur du pays vers l'extérieur sous forme de violence militaire.

En poursuivant ces objectifs, les attaques terroristes du 11 septembre n'ont jamais rien représenté de plus qu'un prétexte cynique. Le régime de Saddam Hussein, quels que soient ses crimes contre le peuple irakien, était laïc, un ennemi d'Al-Qaïda et en rien impliqué dans le 11 septembre.

À cet égard, cette guerre a établi un mode opératoire pour Washington : mener des interventions au Moyen-Orient pour changer les régimes en place, cibler des gouvernements laïcs et soutenir tacitement ou directement des forces islamistes et liées à Al-Qaïda pour atteindre ses objectifs. Ce fut le cas en Libye en 2011 et également en Syrie.

Pendant ce temps, l'interminable « guerre mondiale contre le terrorisme » dont l'Irak était censé être la clef de voûte, s'est accompagnée d'une accumulation sans précédent de pouvoir par l'État et son appareil militaire et de renseignement ainsi que par une intensification des atteintes aux droits démocratiques aux États-Unis et dans le monde entier. Sous le gouvernement Obama, cela a atteint le stade où le président revendique le droit d'ordonner l'exécution de citoyens américains par des frappes de drones sans présenter de chefs d'accusation et encore moins d'avoir à les prouver devant un tribunal.

La guerre d'Irak a représenté un tournant non seulement pour l'impérialisme américain, mais aussi pour l'évolution politique de l'Europe. À l'exception de la Grande-Bretagne, la bourgeoisie européenne avait adopté une attitude prudente durant la préparation de l'invasion américaine, exprimant dans bien des cas des réserves et des désaccords. Cependant, après une série de conflits publics, les puissances européennes ont modifié leur position, en venant à considérer cette guerre comme une opportunité pour un impérialisme non entravé dans lequel elles pourraient elles aussi prendre part au pillage.

Les suites de la guerre ont également vu une dérive très forte vers la droite de la part des partis ostensiblement anti-guerre, lesquels ont abandonné la prétention à s'opposer à l'impérialisme. N'ayant fait aucune tentative de mobiliser la large opposition populaire qui avait émergé spontanément en des manifestations massives sur toute la surface du globe à la veille de l'invasion américaine, ces forces ont évolué rapidement pour s'aligner derrière l'intervention impérialiste et la soutenir. Les organisations politiques allant des Verts en Allemagne à Rifondazione Communista en Italie ont directement soutenu la guerre en Afghanistan.

Aux États-Unis mêmes, le mouvement anti-guerre officiel a travaillé sans relâche pour canaliser l'opposition populaire massive à la guerre d'Irak derrière les Démocrates, qui ont voté au Congrès pour la financer jusqu'au bout. Avec l'élection d'Obama, les éléments de la pseudo-gauche sont devenus des partisans entièrement assumés des opérations de l'armée américaine, promouvant des interventions « humanitaires » en Libye et en Syrie.

L'Irak a démenti toutes les affirmations de ceux qui prétendent que nous vivons dans un monde post-impérialiste. L'escalade des opérations impérialistes se poursuit dans le monde entier. Le retrait des troupes américaines d'Irak et le retrait toujours en cours d'Afghanistan n'indiquent pas, comme l'a répété Obama, que la « vague de guerres se retire, » mais il indique plutôt que l'on libère des effectifs et des ressources militaires pour des interventions encore plus importantes ailleurs.

Alors même qu'il poursuit sa guerre en Afghanistan, Washington est en train d'avancer de façon agressive en Afrique, intervenant en Syrie, et le « pivot » en Asie, avec des menaces de plus en plus belliqueuses contre la Chine.

De nouvelles guerres sont inévitables, alimentées par la crise insoluble du capitalisme américain et mondial. Elles sont facilitées pour une bonne partie par le fait que les crimes de la guerre d'Irak sont restés impunis.

Personne n'a été tenu responsable, en application du droit international, pour avoir préparé et mené une guerre d'agression qui a coûté la vie à des centaines de milliers d'êtres humains, ni les politiciens qui l'ont conçue, ni les généraux qui l'ont menée, ni les journalistes qui nous ont servi les mensonges pour la promouvoir. Certains se sont vus récompensés par des postes élevés dans les universités, comme Condoleeza Rice à l'université de Stanford. D'autres bénéficient d'une retraite confortable, ou sont membres de divers conseils d'administration dans de grandes entreprises ou dans des think tanks, ou mènent d'autres activités lucratives. Les pontes des médias continuent à pontifier comme si de rien n'était.

Ce crime politique impuni a eu des conséquences très profondes partout sur la planète, et l'intensification du néocolonialisme impérialiste a préparé le terrain pour de nouvelles conflagrations.

Des leçons très profondes suscitant la réflexion doivent être tirées de cette guerre, qui, loin d'avoir été un épisode isolé, relégué au passé, continue à définir l'environnement politique d'aujourd'hui.19

L'expérience de la guerre d'Irak démontre que la lutte contre la guerre, qui est au cœur de la vie politique dans chaque pays, ne peut pas être menée tant que la majorité des citoyens des pays occidentaux restent liés aux partis politiques qui mènent ces guerres et qu'ils restent soumis au système économique capitaliste qui les rend inévitables.

 

 

« Ni chiite ni sunnite… ils sont tous voleurs ! »

Même débarrassés de l’ancien dictateur qui a été renversé par l’occupation américaine en 2003, les Irakiens mènent toujours une vie cauchemardesque…

La situation générale du pays reste marquée par le pillage continu, la corruption basée sur un système de quotas confessionnels ethniques, la dégradation des services publics, des attentats quasi-quotidiens qui frappent des centaines de citoyens tous les mois, surtout dans les quartiers populaires, des milices aux bras longs qui sévissent à Bagdad et pratiquent le kidnapping au quotidien, ainsi que des milliers de personnes détenues pour de longues périodes sans procès… Un pays dont le tiers est occupé par Daech (l’État Islamique) depuis 2014, et où la population souffre sous leur pouvoir des pires formes d’oppression, où les femmes sont systématiquement soumises à la traite et au viol collectif, et où la condamnation à mort est devenue banale.

Tout ceci s’accompagne d’un effondrement des recettes publiques provenant entièrement du pétrole ; de la migration des jeunes sans avenir vers l’Europe ; de l’aggravation de la pauvreté, environ 30 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec une grande disparité entre le Kurdistan, au niveau de pauvreté le plus bas, et le Sud à majorité chiite, au taux le plus élevé. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées et enfin une guerre féroce « contre » Daech se déroule à seulement 50 km de Bagdad, la capitale.

 

Contre la corruption

Tous ces drames ont coïncidé fin juillet 2015 avec un été anormalement chaud et des températures dépassant les 50 degrés. Cela a poussé de nombreux jeunes à manifester dans l’un des districts de Bassorah, contre la détérioration de la desserte en courant électrique et des services publics en général, contre la corruption rampante et l’enrichissement rapide des responsables locaux qui appartiennent à l’un des partis religieux au pouvoir.

L’un des manifestants a été tué sur le champ, et un autre a fini par succomber à ses blessures. Ceci a provoqué des manifestations dans toutes les villes du Sud. Certains intellectuels, des artistes et des militants, ont alors appelé à une manifestation dans le centre de Bagdad sur la place Tahrir.

Ce qui s’est passé a largement dépassé les attentes des initiateurs. Ce fut l’occasion de s’attaquer à tous les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens, pas seulement l’affaire du courant électrique et de la détérioration des services. Les slogans dénonçaient même le partage confessionnel du pouvoir, partage qui sert de couverture à la corruption et permet à chaque partie impliquée de se taire à propos des vols et détournements commis dans les ministères des autres.

 

Contre le confessionnalisme

Les deux slogans les plus en vue furent « Ni chiite ni sunnite… ils sont tous voleurs ! » et « Au nom de la religion, ils nous ont dépouillés ». Depuis cette première manifestation du 31 juillet, les mobilisations n’ont cessé de croître à Bagdad et dans les gouvernorats du Sud, prenant de plus en plus un aspect radical contre le partage confessionnel du pouvoir, exigeant sa suppression et même la suppression du Parlement fondé sur le système des quotas, sur la corruption et les privilèges.

Après le 31 juillet, les manifestations se sont succédé en s’élargissant et en se radicalisant. Cette radicalisation a même bénéficié du soutien de l’autorité suprême chiite, l’ayatollah Sistani, qui jouit d’une bonne réputation parmi les chiites et la majorité des Irakiens pour son rôle contre les tensions confessionnelles et son boycott des politiciens corrompus.

La majorité des manifestants espérait qu’Haïder al-Abadi, le Premier ministre, satisfasse leurs demandes. Cependant, ses réformes timides sont vite apparues insuffisantes aux yeux des masses révoltées. Elles ont commencé à perdre leurs illusions à son égard, d’autant qu’il appartient au même parti que Maliki. Après les cinquième et sixième semaines, le mouvement le considère comme complice des grands corrompus, ou trop timoré pour les affronter.

Ces manifestations ont brisé la barrière de la peur qui paralysait les masses irakiennes, même après la chute de Saddam. En outre, elles ont contribué à la naissance d’une nouvelle prise de conscience opposée au confessionnalisme, qui met tous les corrompus de toutes les confessions dans le même panier.

Finalement, les foules ont commencé à s’organiser au sein de coordinations qui couvrent les régions du Sud, la capitale Bagdad, ainsi que Kirkouk. Des comités se forment au Kurdistan avec le projet de rejoindre le mouvement.20

 

 

Quand cessera l’impunité des apprentis sorciers ?

Dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 juillet 2016, l’attentat le plus meurtrier de ces dernières années a fait près de 300 morts à Bagdad. Face au chaos régnant dans ce pays symbole de l’interventionnisme occidental, la population demande des comptes à ses dirigeants. Au même moment, le rapport Chilcot tirait un bilan cinglant de l’aventurisme de Tony Blair au côté de Georges Bush en 2003.

L’attentat a été perpétré au moyen d’un camion frigorifique bourré d’explosifs dans le quartier central et commercial de Karada, à un moment de grande affluence, pour la rupture du jeûne du Ramadan. L’explosion a été terrible, détruisant des immeubles entiers et créant un gigantesque incendie, le nombre de victimes restant probablement incomplet. Revendiqué par l’État Islamique (EI), l’attentat a montré que cette organisation est loin d’être abattue malgré l’important revers qu’a constitué pour elle la chute de Falloudja.

Cette ville était la pointe avancée de l’action de l’EI vers la capitale irakienne toute proche, mais tous les experts s’accordent sur le fait que l’organisation a une présence significative dans Bagdad même. L’EI est déterminée à creuser le conflit interreligieux et sectaire entre sunnites et chiites, réanimé par les puissances mondiales et régionales à la suite de Saddam Hussein. Ainsi, de nouveau dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 juillet, des combattants de l’EI ont attaqué à Balad au nord de Bagdad un mausolée chiite, ainsi que le marché adjacent faisant 30 morts.

 

La population révoltée

Face à ces actes de guerre contre des civils, la population irakienne manifeste toujours plus sa révolte. Après l’attentat, elle a conspué l’équipe du Premier ministre Haider-al-Abadi, qui comme celle de son prédécesseur Nouri Al-Maliki est totalement incompétente, reposant sur un partage des prébendes entre partis communautaristes dirigés par des affairistes sans base locale.

Pendant ce temps, les parrains étatsuniens et iraniens rivalisent de savoir-faire dans l’ingérence corruptrice et boute-au-feu. Quelques semaines auparavant, un cortège populaire a même occupé le Parlement avec l’aide des miliciens de l’imam chiite Moktada al-Sadr, qui apparaît comme plus intègre et réunificateur que les autres forces politiques. Y compris dans les régions autonomes kurdes, la population proteste contre les turpitudes de dirigeants qui prétendent impulser un « miracle » économique régional, mais sont maintenant incapables de payer les salaires des fonctionnaires avec la chute du prix du pétrole.

 

Qui a semé le chaos ?

En Europe et aux USA, nos dirigeants politiques et médiatiques se félicitent de l’avancée des offensives militaires dans les régions contrôlées par l’EI, comme si cela rattrapait les précédentes interventions militaires impérialistes dans la région, maintenant évoquées avec gêne. En revanche, les massacres de civils au Moyen-Orient ne semblent pas mériter l’illumination de la tour Eiffel ou autre acte de solidarité symbolique, comme si la violence était inscrite dans les gènes de ces peuples, à la différence des autres…

Alors, nous devons rappeler que la violence de Saddam Hussein a été encouragée pendant des années par les dirigeants politiques des USA, de l’Angleterre et de la France ; que l’invasion américano-britannique en Irak en 2003 est la grande responsable de la destruction de ce pays, de l’avortement de sa reconstruction dans le pillage et dans des institutions confessionnalisées, à la base de l’apparition de l’EI et de la violence sans fin dans laquelle le peuple irakien est abandonné.

 

Condamner les fauteurs de guerre

Avec l’impunité accordée aux exactions des milices chiites sous contrôle iranien censées combattre l’EI, on a la certitude que les racines de nouvelles guerres sont replantées. De même que l’impunité de plus en plus clairement accordée en Syrie à Assad par la convergence des intérêts occidentaux et russes, fera rejaillir des clones de Daech.

C’est pourquoi le rapport de la commission d’enquête britannique Chilcot, malgré tous les freins qui lui ont été mis, est une première leçon de choses prouvant que Tony Blair a engagé son pays dans une aventure désastreuse (deux millions de morts irakiens, plusieurs centaines de morts anglais et étatsuniens en 2003, sans parler des effets actuels), cela sous de faux prétextes (les armes de destruction massive de Saddam, sa complicité dans les attentats de New York, dans les deux cas inexistantes).

Une telle démonstration devrait être poursuivie en vue de mettre en accusation des dirigeants politiques fauteurs de guerres pour leurs intérêts économiques et politiciens, mais sourds à la solidarité avec les sociétés civiles. Bush, Blair, Barroso et quelques autres sont bien des criminels contre l’humanité, qui devraient être jugés et condamnés ! 21

 

 

L’offensive militaire sur Mossoul avance, les problèmes politiques persistent

Lancée le 17 octobre 2016 par une coalition, l’offensive visant à reprendre la ville de Mossoul à Daesh se poursuit avec des combats féroces.

Cette offensive est menée d’un côté par les forces armées irakiennes et les milices paramilitaires du Hachd al-Chaabi (« mobilisation populaire »), en majorité constituées de groupes fondamentalistes chiites proches de la République islamique d’Iran, et de l’autre par les forces kurdes peshmergas de Barzani (dirigeant de la région autonome kurde en Irak), forces assistées par le gouvernement turc. Environ 100 000 combattants participent à l’opération.
Ces forces ont le soutien aérien de la coalition internationale sous la direction des États-Unis, qui bombardent des positions de Daesh en Syrie et en Irak depuis août 2014. Cette coalition est coupable de nombreuses bavures, causant la mort de plus de 1 900 civils dans les deux pays depuis le début des frappes.

 

Opérations militaires et urgences humanitaires

Les djihadistes de Daesh offrent néanmoins une résistance acharnée : attaques-suicides, camions piégés, tireurs embusqués, dissimulation d’explosifs dans les maisons et immeubles. Presque 2 000 combattants participant à cette offensive sont morts au mois de novembre 2016. Dans le même temps, 926 civils ont également été tués en Irak dans des attentats et affrontements armés durant le mois passé. Depuis le lancement de l’offensive à Mossoul, 90 000 civils ont fui les combats, tandis que plus d’un million de personnes habitent toujours la grande métropole du nord de l’Irak. Au niveau militaire, Daesh a dû se retirer des villes de Tikrit, Ramadi et Falloujah depuis le début des opérations.
Avec l’arrivée de l’hiver, la ville étant complètement encerclée par l’armée irakienne et ses alliés, les problèmes humanitaires s’intensifient à Mossoul. Les agences des Nations unies ont distribué pour la première fois le 8 décembre de l’aide dans les régions à l’est de la ville qui a été libéré des forces de Daesh, mais elles ont presque été dépassées par les résidentEs souffrant d’une pénurie aiguë de nourriture, de carburant et d’eau, et souvent piégés depuis plusieurs jours dans leurs maisons par les combats.

 

Des problèmes structurels toujours présents

L’offensive pour éliminer Daesh n’efface pas les problèmes structurels en Irak. Des chefs de tribus sunnites, réunis le 30 novembre 2016 à Shayyalah al-Imam (un village près de Mossoul), et dont les hommes participent à l’offensive sur Mossoul au sein des brigades des « Lions de l’unité du tigre », ont exprimé la nécessité de réformer le système politique irakien une fois Daesh défait et d’aller vers une forme de fédéralisme. Durant cette réunion, ils ont aussi réaffirmé leur méfiance envers le gouvernement irakien actuel et la classe politique du pays en général.
Fin novembre, une loi votée par la majorité du Parlement irakien (majorité dominée par les forces fondamentalistes chiites) a légalisé les milices paramilitaires du Hachd al-Chaabi. Les députés de confession sunnite ont boycotté cette séance du Parlement en s’opposant à l’existence de groupes armés en dehors de l’armée et de la police, coupables d’exactions contre des populations sunnites.22

 

 

Mossoul reprise, la population continue de payer

Le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, s’est empressé d’annoncer le 9 juillet 2017 la reprise de Mossoul, aux mains des milices de Daech depuis juin 2014. Il restait cependant encore un quartier, celui de Maidan au bord du Tigre, tenu par les djihadistes, sur lequel les bombes de l’aviation américaine continuaient à s’abattre. La seconde ville d’Irak, qui fut peuplée de 2 millions d’habitants, n’est plus qu’un champ de ruines.

Depuis le début de la bataille de Mossoul, il y a neuf mois, plus de 860 000 personnes ont fui les bombardements et les exactions des milices de Daech. Près de 200 000 seraient revenues chez elles, principalement dans l’est de la ville. Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants sont morts dans les bombardements de la coalition dirigée par les États-Unis.

Pour la population irakienne, cette « victoire » ne constitue de toute façon pas la fin des souffrances. Depuis l’invasion du pays par les États-Unis en 2003, la population n’a cessé de subir la guerre et la lutte armée des milices de différentes tendances se disputant le pouvoir et le contrôle de territoires. Les huit années de guerre et d’occupation des armées américaine et anglaise ont en effet abouti au développement de groupes armés de toute tendance, dont ceux de Daech.

De l’aveu même du général américain qui dirige le centre des opérations conjointes de la coalition à Bagdad, Daech a encore largement de quoi se battre dans d’autres régions d’Irak et de Syrie, que ses milices occupent encore. Mais de toute façon, même si Daech était vaincu, ce n’en serait pas fini du règne des milices, ni du chaos qui déchire la région depuis des années et qui a abouti à la quasi-partition de l’Irak en différentes zones chiites, sunnites et kurdes.

Derrière l’unité affichée dans le combat contre Daech à Mossoul, les rivalités entre le gouvernement irakien, la Turquie, les différentes milices, dont celles soutenues par l’Iran, et les Kurdes irakiens n’ont en effet jamais cessé, chacun plaçant ses troupes afin d’être en meilleure position pour contrôler une région dont le sous-sol regorge de pétrole.23

 

 

Colère populaire contre la corruption

Le 29 octobre 2019, les forces de répression irakiennes ont tiré sur des manifestants à Bassorah, dans le sud du pays, tuant 14 personnes et en blessant des dizaines d’autres. On comptait désormais près de trois cents morts et plus de 8 000 blessés depuis que le mouvement a commencé, au début du mois d’octobre.

Des centaines de milliers de manifestants, surtout des jeunes, descendaient dans les rues de toutes les villes d’Irak et bravaient les matraques et les snipers, pour exiger du travail, la fin de la corruption, le départ des ministres et politiciens voleurs, et des services publics dignes de ce nom. De l’aveu même de l’administration, 410 milliards de dollars, revenus du pétrole et crédits internationaux mêlés, ont été détournés par les corrompus du régime installé en 2003 par les États-Unis. « Avant nous avions un seul Saddam, maintenant nous en avons tout un Parlement », a déclaré un manifestant.

Après avoir envahi le pays et renversé le régime de Saddam Hussein, l’impérialisme américain lui a dicté sa Constitution. L’Irak est désormais dirigé par une coalition de partis et de milices, constitués sur des bases mêlant en proportion variée les appartenances religieuses et ethniques, famille médiévale ou simple mafia. Les groupes les plus forts s’appuient en outre sur les puissances qui se disputent l’Irak : les États-Unis et l’Iran, au premier chef, mais aussi l’Arabie saoudite et la Turquie. Chaque parti ou groupe a la possibilité d’entretenir une clientèle, ne serait-ce qu’en embauchant des chômeurs dans sa milice, dont les salaires sont versés par l’État.

Il n’y a donc qu’un semblant d’État, incapable de reconstruire un pays dévasté par la guerre, incapable même de résister à Daesh sans l’aide des États-Unis et de l’Iran. L’administration sert de paravent à des cliques aussi corrompues que clientélistes, qui détournent à leur profit les fonds et commandes publics.

Les plus hauts fonctionnaires et les plus riches vivent dans la zone verte de Bagdad, au côté des Américains et protégés par eux. C’est là que sont engloutis les revenus du pétrole, dont l’Irak détient de considérables réserves.

Les cliques au pouvoir ont toutes commencé par condamner le mouvement et par utiliser la répression. Des manifestants ayant menacé leurs avoirs et leurs représentants, les milices des barons locaux n’ont pas hésité à tirer dans la foule dans plusieurs villes. Le fait que les manifestations concernent tout le pays, que dans chaque grande ville les manifestants demandent des comptes à « leurs » représentants, montre que le mouvement dépasse les clivages entre religions, sectes et ethnies.

Le gouvernement central a fini par jeter du lest, parlant de supprimer les primes des plus hauts fonctionnaires, donnant les noms de mille petits corrompus et promettant de révéler ceux des gros poissons.

Dans le même temps, l’armée imposait le couvre-feu et faisait dégager les places occupées par les manifestants. Par ailleurs, le parti de la famille al-Sadr, principal parti chiite et plus gros groupe au Parlement, tentait désormais de prendre en marche le train de la contestation.24

 

La contestation continue

Le 17 novembre 2019, des milliers d’Irakiens et d’Irakiennes, ont envahi les rues des villes du pays, répondant à un appel à la grève générale pour réclamer un changement de régime. Depuis le début de la contestation, le 1er octobre, la répression avait fait 330 morts et près de 15 000 blessés. Mais l’incendie ne s'est pas éteint pas malgré cette violente répression.

Et pour cause. Les classes populaires n’en peuvent plus. Leur situation ne cesse de se détériorer, et ce depuis des années, du fait des guerres successives déclenchées par l’impérialisme américain, de la déstabilisation qu’elles ont entraînée avec l’émergence de diverses milices, dont celles de l’organisation État islamique, et de la corruption du régime en place.

« On n’a pas de services publics, pas d’hôpitaux, des écoles déplorables, tout va de mal en pis : 90 % des gens n’ont pas de véritable emploi ici », accusait un ouvrier de la banlieue ouvrière de Bagdad, qui compte trois millions d’habitants. Le chômage frappe en particulier nombre de jeunes qui s’étaient engagés pour combattre contre l’organisation État islamique et qui se retrouvent aujourd’hui sans avenir. La colère, qui s’est exprimée à plusieurs reprises ces dernières années, est dirigée contre le gouvernement du Premier ministre irakien, Adel Abdel Mahdi, accusé de corruption, et contre les partis religieux de toute obédience qui le soutenaient. Comme le soulignait un diplomate cité par le journal le Monde, « aucun parti n’entend concéder une réforme de la loi électorale et de la Constitution qui remettrait en cause sa mainmise sur l’État et ses richesses. Ni les partis religieux chiites conspués par la rue, ni les partis sunnites qui bénéficient des quotas confessionnels. » C’était aussi la présence des milices chiites, soutenues et financées par l’Iran, qui était rejetée. Ces bandes armées, constituées pour combattre l’organisation État islamique, continuaient en effet à régenter la vie quotidienne. Un étudiant de 22 ans témoignait ainsi son ras-le-bol : « On ne trouve pas d’emploi sans adhérer à un parti. On en a marre du racisme, du confessionnalisme, on veut être irakiens et être gouvernés par des gens compétents. »

En Irak, comme dans d’autres pays de la région, en Iran, pays voisin, les masses populaires aspirent à une vie digne. Leurs ennemis ne sont pas seulement les classes dirigeantes de leur propre pays, mais aussi celles des pays impérialistes, à commencer par le plus puissant d’entre eux, les États-Unis. Dans leur combat, les classes populaires peuvent trouver l’énergie, l’organisation, et surtout la conscience de leurs intérêts.25

 

Le Premier ministre forcé à la démission

Dans l’espoir d’arrêter la contestation sociale qui s’était emparée des classes populaires irakiennes depuis deux mois, les clans politico-religieux qui se partagent le pouvoir ont fini par lâcher le Premier ministre, qui a dû démissionner le 29 novembre 2019.

Comme l’expliquait une manifestante, « c’est le minimum qu’ils puissent faire pour les martyrs de Nassiriya et de Nadjaf ». Dans ces deux villes, les autorités ont sauvagement attaqué les manifestants, tuant 70 personnes en trois jours. Depuis le début de la contestation, elles avaient fait plus de 400 morts et des milliers de blessés.

Le pouvoir oscillait entre la manière forte, avec snipers sur les toits et milices religieuses qui tiraient sur la foule, mais sans réussir à décourager les contestataires, et les excuses pour cette répression, parlant d’usage excessif de la force, condamnant à mort un policier qui avait tué deux manifestants ou limogeant un général brutal, pourtant nommé quelques jours plus tôt pour rétablir l’ordre dans le Sud.

Le Premier ministre démissionnaire, Adel Abdel-Mahdi, dirigeant du Conseil suprême islamique irakien, était un représentant de ces cliques. Comme vice-président, ministre ou Premier ministre, il a participé depuis 2005 au pouvoir mis en place par les États-Unis après leur invasion de l’Irak.

Son éviction ne réglait rien, d’autant moins qu’il restait à son poste pour expédier les affaires courantes, le temps que les chefs politiques et religieux lui trouvent un remplaçant, pour tenter de mener la même politique. Mais, à travers leur mobilisation, une grande partie des manifestants ont appris à ne plus faire confiance aux discours des dirigeants politiques.26

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Irak
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Irak_sous_l'Empire_ottoman
(3) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-irak-enjeu-et-victime-des-6490
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_d'Irak_%281968-2003%29
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_couveuses_au_Kowe%C3%AFt
(6) Laurent Esquerre http://www.alternativelibertaire.org/?Janvier-1991-La-guerre-du-Golfe
(7) Joelle Pénochet https://www.dissident-media.org/infonucleaire/news_arme_ua.html
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_d'Irak_%281968-2003%29
(9) http://www.votre-sante.net/publications/irak.html
(10) Jacques Fontenoy http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2011/03/04/il-y-20-ans-16-janvier-3-mars-1991-la-guerre-du-golfe-pour-le-petrole-et-la-domination-imperialiste_24317.html
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_d'Irak_%281968-2003%29
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Irak
(13) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Irak
(14) Yann Cézard http://npa2009.org/idees/l-etat-islamique-en-irak-aux-origines-de-la-barbarie
(15) Henri Wilno http://npa2009.org/actualite/irak-syrie-l-etat-islamique-une-force-reactionnaire
(16) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/irak-et-syrie-chronique-d-une
(17) Dirk Adriaensens et Marc Vandepitte https://www.mondialisation.ca/les-chiffres-invraisemblables-sur-la-destruction-programmee-de-lirak/5327917
(18) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/irak-la-guerre-americaine-pour-le
(19) Bill van Auken et David North https://www.wsws.org/fr/articles/2013/mar2013/pers-m21.shtml
(20) Saïd Karim Hebdo L’Anticapitaliste – 302 (10/09/2015) http://www.anti-k.org/2015/09/11/irak-%E2%80%82%E2%80%89ni-chiite-ni-sunnite-ils-sont-tous-voleurs%E2%80%89%E2%80%89/
(21) Jacques Babel https://npa2009.org/actualite/international/irak-quand-cessera-limpunite-des-apprentis-sorciers
(22) Joseph Daher https://npa2009.org/actualite/international/irak-loffensive-militaire-sur-mossoul-avance-les-problemes-politiques
(23) Aline Retesse https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/07/11/irak-mossoul-reprise-la-population-continue-de-payer_95341.html
(24) Paul Galois https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/10/30/irak-colere-populaire-contre-la-corruption_135414.html
(25) Aline Retesse https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/11/20/irak-la-contestation-continue_136372.html
(26) Lucien Détroit https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/12/03/irak-le-premier-ministre-force-la-demission_137040.html