Il existe des vestiges d'une civilisation datant d'il y a quatre mille ans dans la région du Bengale, alors peuplée de Dravidiens, Tibéto-Birmans et Austro-Asiatiques. L'origine exacte du mot « Bangla » ou « Bengal » est inconnue, quoiqu'on les pense dérivés de « Bang », le nom d'une tribu parlant le dravidien et installée dans la région aux environs de -1000.
Le royaume de Gangaridaï est formé au plus tard au XIIe siècle av. J.-C., après l'arrivée des Indo-Aryens ; ce royaume s'unira avec le Bihar sous les empires Magadha et Maurya. Le Bengale devient plus tard partie de l'empire Gupta des IIIe au VIe siècles. Après sa dissolution un Bengali appelé Shashanka fonde un empire riche mais de courte vie ; il est considéré comme le premier roi indépendant de l'histoire du Bangladesh. Après une période d'anarchie la dynastie bouddhiste Pala règne sur la région pendant quatre siècles, suivis d'un règne plus court de la dynastie Sena hindoue. L'islam est introduit au Bengale au XIIe siècle par des missionnaires soufis ; d'amples conquêtes musulmanes contribuent à le propager dans la région. Un général turc, Bakhtiyar Khalji, bat Lakshman Sen de la dynastie Sen et conquiert de grandes étendues du Bengale. La région est dominée par des dynasties de sultans et des seigneurs féodaux pendant plusieurs siècles. Au XVIe siècle l'Empire moghol contrôle le Bengale et Dhaka devient un centre provincial important de l'administration moghole.
Les commerçants européens arrivent vers la fin du XVe siècle, leur influence grandissant peu à peu jusqu'à ce que la Compagnie anglaise des Indes orientales arrive à contrôler le Bengale à la suite de la bataille de Plassey en 1757. Peu après démarre la terrible Famine au Bengale de 1770, dans la zone où combat la compagnie anglaise ce qui déclenche l'une des premières famines meurtrières à s'être déroulée durant la colonisation du sous-continent indien par l'Empire britannique, en raison de mauvaises récoltes de riz et d'un conflit armé entre les Anglais et les pouvoirs locaux. Selon les estimations, de un million à dix millions de personnes, soit un trentième à un tiers de la population, sont mortes de la faim durant cette période, alors que des régions proches disposaient de récoltes excédentaires.
La rébellion sanglante de 1857, connue sous le nom de Révolte des Cipayes, aboutit à un transfert du pouvoir à la Couronne, avec un vice-roi à la tête de l'administration. Pendant la période coloniale la famine est récurrente dans tout le sous-continent indien ; la Grande famine bengale de 1943 fera jusqu'à 3 millions de morts.
Les Partitions
Entre 1905 et 1911, il y eut une tentative avortée de diviser la province du Bengale en deux zones, avec Dhaka capitale de la zone orientale. Quand l'Inde est divisée en 1947, le Bengale est également divisé pour des raisons religieuses ; la partie occidentale est donnée à l'Inde et la partie orientale devient une province du Pakistan appelée Bengale oriental (plus tard renommée Pakistan oriental), avec sa capitale à Dhaka.
En 1950 les réformes territoriales aboutissent à l'abolition du système féodal zamindari. Toutefois, malgré le poids économique et démographique de l'est, le gouvernement et les forces militaires pakistanais furent largement dominés par la haute société de l'ouest. Le Mouvement pour la Langue de 1952 est le premier signe de tension entre les deux parties du Pakistan. L'insatisfaction à l'égard du gouvernement sur les problèmes économiques et culturels augmente dans la décennie qui suit, pendant laquelle la Ligue Awami émerge comme voix politique de la population bengalophone. Elle agit pour l'autonomie dans les années 1960. En 1966 son président, Sheikh Mujibur Rahman, est emprisonné ; il est libéré en 1969 après une insurrection populaire.1
Guerre de libération du Bangladesh
La guerre de libération du Bangladesh est une guerre d'indépendance qui se déroula en 1971.
Ce conflit opposa l'État et les Forces armées du Pakistan aux rebelles bangladeshis à partir de mars 1971. Les Pakistanais rencontrèrent une résistance indépendantiste facilement matée malgré la guérilla menée par les Mukti Bahini. Le pourcentage de bengalis ayant le rang d'officiers dans les forces armées pakistanaises était d'environ cinq pour cent en 1965 et il n'y avait que deux unités spécifiquement est-pakistanaises.
En avril, une résolution du parlement de l'Inde demande que le Premier ministre de l'Inde Indira Gandhi aide à l'approvisionnement des rebelles dans l'est du Pakistan. Elle obéit, mais refuse de reconnaître le gouvernement provisoire du Bangladesh indépendant.
Une guerre de propagande entre le Pakistan et l'Inde suivit le début de cette guerre d'indépendance. Yahya, le président de la république islamique du Pakistan, menaça de guerre l'Inde si ce pays faisait une tentative de saisir une partie du Pakistan et affirma que le Pakistan pouvait compter sur ses amis américains et chinois. Dans le même temps, le Pakistan tenta d'apaiser la situation dans sa partie Est. Tardivement, il remplaça Tikka, dont les tactiques militaires avaient causé des dégâts et des pertes de vie humaines, avec le plus sobre lieutenant général A.A.K. Niazi. Un modéré bengali, Abdul Malik, fut installé en tant que gouverneur civil du Pakistan oriental. Ces gestes d'apaisements tardifs ne donnèrent pas de résultats ni n'apaisèrent l'opinion mondiale.
L'intervention des forces armées indiennes dans ce qui deviendra la Troisième guerre indo-pakistanaise fut décisive afin de mettre un terme au conflit. Les combats cessèrent le 16 décembre 1971, menant à l'indépendance du Bangladesh.
Les conséquences de cette guerre selon Amnesty International, sont la mort d'environ trois million de civils, 200 000 viols et le déplacement en Inde de 8 à 10 millions de réfugiés.2
L'indépendance
Le Bangladesh devient indépendant le 16 décembre 1971. Peu après, le 11 janvier 1972, le nouveau pays change officiellement de nom et la nouvelle constitution est adoptée le 16 décembre 1972. Après son indépendance le Bangladesh devient une démocratie parlementaire avec Mujib comme premier ministre. Lors des élections parlementaires de 1973, la Ligue Awami gagne la majorité absolue. Une famine emporte le pays en 1973 et 1974.
Début 1975 voit le début d'un gouvernement socialiste à parti unique mené par Mujib et le BAKSAL. Le 15 août 1975 Mujib et sa famille sont assassinés par des officiers .
Une série de coups d'État et contre-coups-d'État dans les trois mois suivants culminent avec la montée au pouvoir du général Ziaur Rahman (« Zia »), qui réinstalle le système politique précédent à plusieurs partis et fonde le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Zia est assassiné en 1981 par des militaires. Le nouveau chef d'État est le général Hossain Mohammad Ershad, qui monte au pouvoir dans un coup d'État exsangue en 1982 et y reste jusqu'en 1990 quand il est forcé de démissionner sous la pression de donateurs occidentaux suite à un changement majeur en politique internationale après la fin de la Guerre froide et des dictateurs communistes. Depuis lors, le Bangladesh est à nouveau une démocratie parlementaire. La veuve de Zia, Khaleda Zia, mène le BNP à une victoire parlementaire dans les élections générales de 1991 et devient la première femme Premier ministre dans l'histoire du pays. Toutefois, la Ligue Awami, menée par Sheikh Hasina, l'une des filles de Mujib prend le pouvoir aux élections suivantes en 1996. Elle le perd en faveur du BNP en 2001.
La journée du 17 janvier 2005, 465 bombes de faible puissance ont explosé presque simultanément dans la quasi-totalité des principales villes et localités du pays causant 2 morts et des centaines de blessés. Ces attaques, provenant de groupes islamistes, sont de plus en plus fréquentes et visent en majeure partie des établissements gouvernementaux.
Répression des grèves dans l'industrie textile (2006)
Du 20 mai au 6 juin 2006, 1,8 million d’ouvriers du textile et de la confection, dont 90 % de femmes, se sont engagés dans une série de grèves massives et simultanées à Dhâkâ. Ce sont différents centres industriels qui ont été touchés de façon répétée par cette vague de grèves, qui a pris un caractère de violence permanent du fait de la répression d’une férocité inouïe à laquelle s’est livré le pouvoir bengali. Trois ouvriers ont été tués, trois mille autres blessés par balles, et plusieurs milliers emprisonnés. Des dizaines de milliers d’ouvriers s’étaient mobilisés dans un mouvement de grève, qui s’est répandu comme une traînée de poudre, pour protester contre les salaires et les conditions de travail : 15 euros mensuels, pas de congés, pas d’hygiène, viols des ouvrières, etc. Parties d’une usine de Sripur, dans la banlieue de la capitale, des émeutes se sont propagées vers Dhâkâ, entraînant la fermeture de centaines de manufactures. Les forces de répression policières, militaires et paramilitaires, ont tenté d’enfermer les ouvriers dans certaines usines (où l’eau potable avait été coupée !). La violence des affrontements entre les ouvriers et les forces de l’ordre a été telle que 14 usines ont été brûlées et plusieurs centaines saccagées.3
Le lourd héritage de la colonisation
Le Bengale est un producteur textile depuis longtemps. C’était, avant la colonisation britannique, au milieu du 18e siècle, une des principales régions productrices de l’Inde, elle-même alors premier producteur textile au monde. Les « indiennes » étaient particulièrement prisées en Occident. Au 18e siècle, la Grande-Bretagne en prohiba les importations. Puis, à la fin du 18e et au 19e siècle, son industrie textile fit d’importants progrès techniques, en particulier par des machines qui permirent de démultiplier progressivement la productivité. Installés en Inde par la force des armes, les Britanniques purent y commercialiser leurs marchandises produites industriellement.
En janvier 1847, Karl Marx écrivait déjà : « Les rapports sur la détresse des tisserands indiens sont terribles. Et quelle fut l’origine de cette détresse ? La présence sur le marché des produits anglais ; la production de l’article au moyen du métier à vapeur. Un très grand nombre de tisserands est mort d’inanition ; le restant a passé à d’autres occupations et surtout aux travaux ruraux. Ne pas savoir changer d’occupation, c’était un arrêt de mort. Et en ce moment, le district de Dacca regorge des fils et des tissus anglais. La mousseline de Dacca, renommée dans tout le monde pour sa beauté et la fermeté de sa texture, est également éclipsée par la concurrence des machines anglaises. Dans toute l’histoire du commerce, on aurait peut-être de la peine à trouver des souffrances pareilles à celles qu’ont dû supporter de cette manière des classes entières dans les Indes orientales. » (« Discours sur le libre-échange »).
Dans Le Capital (1867), il dénonçait encore : « Le machinisme anglais pour le coton a produit un effet aigu en Inde. Le gouverneur général rapportait en 1834-1835 : “Cette misère ne connaît guère d’équivalent dans l’histoire du commerce. Les ossements des tisserands de coton blanchissent les plaines de l’Inde.” » (ch. 15, section 5).
L’industrie textile a joué un rôle moteur dans l’industrialisation, non seulement de la Grande-Bretagne, mais du monde entier, des fabriques de Manchester, de Roubaix, de la Ruhr et du Massachusetts à celles de Bombay, de Séoul, de Wenzhou ou de Dacca aujourd’hui. Elle s’est développée avec la sueur et le sang, non seulement des ouvriers de ces bagnes industriels, mais aussi des esclaves des plantations cotonnières du sud des États-Unis et des paysans pauvres des Empires européens. À l’époque coloniale, l’Inde, dont les artisans étaient ruinés, devint un des principaux fournisseurs du textile britannique en matières premières : coton, laine, chanvre, jute et indigo. Cette réorientation de son économie fit du sous-continent une des régions les plus pauvres de la planète. Pendant la crise des années 1930, l’est du Bengale fut particulièrement atteint : le marché du jute s’effondra, le crédit s’était tari et il était impossible de retourner à l’agriculture de subsistance. Le Bengale resta cependant, jusqu’en 1947, le premier producteur mondial de jute. C’était aussi sa principale industrie puisque, contrairement au coton, la production de toiles et de cordages de jute, essentiellement utilisés dans le transport maritime, n’avait pas été rapatriée en Angleterre. Après l’indépendance, le Bangladesh est resté un important exportateur de jute, l’Inde (qui inclut le Bengale occidental) étant le principal.
Le Bangladesh est directement issu de l’Inde coloniale : c’était, au moment de la partition de 1947, la partie orientale du Pakistan, cet État alors constitué en deux morceaux distants de 2 000 km, issu de la décolonisation. Séparé du Pakistan depuis 1971, le Bangladesh continue de payer un lourd tribut à l’héritage colonial. D’une part, le Bengale a été coupé en deux (entre le Bengale occidental en Inde, et le Bengale oriental, alors pakistanais) d’une façon artificielle, séparant des populations entières de leurs principaux moyens de subsistance, ce qui a entraîné des conflits frontaliers constants avec l’Inde. Le nouveau Pakistan oriental (futur Bangladesh) s’est trouvé coupé de Calcutta, le seul port en eau profonde qui avait servi jusque-là de débouché unique sur la mer à l’économie. Il a été privé des principales infrastructures industrielles qui étaient regroupées autour de cette ville et des terres agricoles les plus fertiles. Cela explique en grande partie la pauvreté extrême du Bangladesh aujourd’hui. D’autre part, outre le bain de sang qu’a entraîné la partition de 1947 dans cette région, l’une de ses conséquences fut que des centaines de milliers, sinon des millions, de nouveaux Bengalis pakistanais qui, jusque-là, allaient chercher du travail du côté de Calcutta pour survivre, devinrent des étrangers au Bengale-Occidental, en Inde, privés de droits. Depuis, ils n’ont cessé de servir de boucs-émissaires aux politiciens du Bengale-Occidental, chaque fois que ceux-ci avaient besoin de détourner le mécontentement de la population. Enfin, le découpage aberrant du Pakistan n’a pas tardé à entraîner une guerre d’indépendance sanglante en 1971 – on estime qu’elle fit un million de morts, directs ou indirects, du fait de la famine qu’elle entraîna – qui continue à marquer aujourd’hui la vie politique au Bangladesh, comme l’ont montré les exécutions d’opposants au régime actuel de la Ligue Awami, en décembre 2013, pour des crimes commis durant cette guerre.
S’agissant des traditions politiques du pays, le Bengale, y compris sa partie orientale, était le plus important des bastions du Parti communiste indien avant la partition. Au Bangladesh, le PC s’est trouvé affaibli. Une grande partie de ses forces urbaines sont restées du côté indien. En outre, le traitement quasi colonial imposé par le régime du Pakistan occidental – et en particulier par les dictatures militaires qui s’y sont succédé jusqu’au début des années 1970 – au Pakistan oriental a mis au premier plan la question nationale. Enfin, en enfourchant précisément le cheval du nationalisme, les maoïstes ont entraîné encore plus de monde au Bangladesh qu’en Inde. Au total, il ne reste donc pas grand-chose aujourd’hui de cette tradition politique, ni dans la classe ouvrière, ni dans la paysannerie pauvre.
Pendant les années précédant la guerre d’indépendance de 1971, la Ligue Awami fut à la pointe du mouvement nationaliste, se battant pour que le bengali devienne la langue officielle au Pakistan oriental, mais aussi contre les conséquences sociales de la discrimination dont le Pakistan oriental était l’objet. Puis il y eut une explosion de combativité ouvrière qui déferla à l’est comme à l’ouest en 1968-1969, forçant la dictature à légaliser les partis politiques et organiser des élections. Lorsque l’armée pakistanaise décréta l’état d’urgence au Pakistan oriental, après la victoire électorale de la Ligue Awami, en 1970, celle-ci prit la tête du soulèvement pour l’indépendance et de la guerre qui s’ensuivit. À la suite d’une grande famine en 1974, l’armée du Bangladesh profita du discrédit de la Ligue pour prendre le pouvoir en 1975. Une tentative de « contre-coup d’État » par de jeunes officiers radicaux liés à la gauche de la Ligue (dont des éléments communistes) fut écrasée dans le sang en novembre 1975, ouvrant une longue période de dictature militaire qui dura jusqu’en 1990, période au cours de laquelle la Ligue fut réduite à la clandestinité et son aile gauche éliminée physiquement pour l’essentiel. Et lorsque la Ligue revint sur la scène politique au début des années 1990, ce fut en tant que parti nationaliste bourgeois, sans le vernis « radical » qu’elle avait eu auparavant. Sur sa gauche, restait un vide politique béant qui n’a jamais été comblé. La Ligue Awami a depuis exercé le pouvoir à plusieurs reprises, notamment depuis décembre 2008. Elle a remporté les élections du 5 janvier 2014.
L’industrie du prêt à porter
Avec 157 millions d’habitants, le Bangladesh est plus peuplé que la Russie ou le Japon. Mais il ne compte guère dans les relations internationales, car c’est un des pays les plus pauvres de la planète ; par exemple, son PIB est inférieur à celui de la Nouvelle-Zélande, qui compte 4,7 millions d’habitants. Son revenu moyen par habitant est, selon les classements, de 1 050 à 2 200 dollars par an. Et un Bangladais sur deux vit avec moins de 1,25 dollar par jour.
Ce legs de la colonisation, le Bangladesh le paie non seulement par son extrême pauvreté, mais aussi par sa place actuelle dans l’économie mondiale. Dominé par l’impérialisme, il tire l’essentiel de ses revenus extérieurs de l’exploitation de sa force de travail, vendue sur le marché mondial de différentes manières. L’émigration vers le golfe Persique, mais aussi la Malaisie, Singapour ou la Corée du Sud, est une de ces ressources : les émigrés contribuent par leurs transferts à quelque 10 % du PIB bangladais. Le développement de secteurs intégrés au marché mondial est un autre aspect, à l’instar de la production intensive de crevettes et de poissons, de la démolition navale ou du textile. Dans la région de Chittagong, quelque 200 000 prolétaires, en partie des enfants, travaillent dans des conditions dignes du 19e siècle dans le démantèlement naval. Ils y risquent au quotidien leur vie et leur santé, les navires en fin de vie recelant une multitude de produits dangereux : carburants et huiles minérales, amiante, métaux lourds (arsenic, cadmium), matières plastiques de toutes sortes, dont certaines peuvent produire de la dioxine en brûlant.
Le principal secteur d’exportation est maintenant le prêt-à-porter, qui compte pour 80 % des exportations du pays, soit 17 % du PIB en 2014. Cette spécialisation date des années 1970, après l’indépendance du Bangladesh (1971), et plus précisément après la signature de l’Accord multifibres (AMF), adopté par les pays riches en 1974. L’AMF mit en place des quotas et des barrières douanières, à l’entrée des marchés occidentaux, vis-à-vis d’économies en développement comme la Corée du Sud. Il a incité les capitalistes du textile à localiser leur production dans d’autres pays, comme l’île Maurice, la Tunisie ou le Bangladesh. Une des particularités de l’industrie textile est justement sa grande mobilité : elle demande des investissements faibles et une main-d’œuvre abondante. Quand l’AMF a expiré, en 2005, toute une filière du prêt-à-porter était constituée au Bangladesh, et son développement s’est poursuivi depuis. Le pays est devenu un grand exportateur de vêtements, le second au monde après la Chine. Le prêt-à-porter compte quelque 5 000 usines, où travaillent 4 millions de travailleurs, des femmes à 80 %.
Les usines de prêt-à-porter appartiennent pour 95 % d’entre elles au patronat local, même si quelques capitalistes chinois ont récemment investi sur place, pour mieux profiter du coût de la main-d’œuvre, encore plus faible qu’en Chine. Il y a quelque 4 000 entreprises, mais en réalité 15 firmes dominent la production. Le patronat local est intimement lié au pouvoir politique, quand il ne s’agit pas tout simplement des mêmes personnes. Députés et ministres sont issus du patronat de l’habillement et gouvernent donc à son profit. Plus de 30 % des patrons du prêt-à-porter sont députés ; environ 10 % des députés sont eux-mêmes patrons dans l’habillement, et la moitié des députés seraient liés à ce secteur d’une façon ou d’une autre. L’Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association, BGMEA) tient en réalité les manettes du pouvoir politique. Un exemple de ces hommes est Mohammad Fazlul Azim, qui a commencé il y a 30 ans avec une seule usine et emploie en 2014, 26 000 travailleurs, pour un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars ; comme il se doit, il est député. Ces capitalistes « compradores », dont la fortune tient à leur rôle d’intermédiaire entre des capitalistes occidentaux et le prolétariat de leur pays, sous-traitent toute une partie de leur production à des entreprises plus petites, où les conditions de travail et de sécurité sont parfois pires. Ces « slum workshops » (ateliers taudis) fournissent une bonne partie de la petite sous-traitance. De nombreux précaires travaillent ainsi avec un statut d’indépendants, et ne sont donc pas concernés par les augmentations de salaires.
Mais la production est entièrement tournée vers les exportations (l’Europe à 60 %, les États-Unis à 40 %). Et ce sont les donneurs d’ordres, les grandes firmes occidentales, qui contrôlent en réalité la chaîne de production, en passant les commandes, en décidant des modèles, en fixant les tarifs et les délais. Les plus gros bénéficiaires de l’exploitation des ouvriers (et surtout des ouvrières) du Bangladesh sont ces entreprises occidentales : H&M, Mango, Benetton, Disney, Walmart, Carrefour, Auchan, etc. Il est fréquent qu’elles revendent les vêtements au décuple du prix auquel elles les achètent sur place et elles négocient durement pour obtenir les prix les plus bas auprès des patrons bangladais, mis en concurrence les uns avec les autres. Tout au plus partagent-elles avec eux la même rapacité quand il s’agit d’extraire le maximum de plus-value des prolétaires bangladais. Sur ce terrain, parler de collusion entre les multinationales du prêt-à-porter, le patronat local et le gouvernement bangladais est un euphémisme. Ceux qui commandent ont leur siège en Grande-Bretagne, en France, en Espagne ou aux États-Unis, et non à Dacca.
Les damnées du prêt-à-porter
Le développement du prêt-à-porter s’est concentré dans cette capitale où viennent s’installer chaque année au moins 300 000 Bangladais chassés des campagnes par la misère. Alors que cette ville-champignon ne comptait qu’un million d’habitants lors de l’indépendance, c’est aujourd’hui, avec 15 millions d’habitants, une des plus grandes métropoles au monde. Une grande partie des usines sont situées à la périphérie de la capitale, dans les districts de Gazipur, Ashalia et Savar, au nord-ouest de Dacca. Il s’agit souvent de bâtiments de 5 à 9 étages, alignés les uns à côté des autres, où travaillent parfois des milliers d’ouvrières, et où seul l’encadrement a le droit d’utiliser les ascenseurs.
La majorité des travailleurs sont des jeunes femmes issues des campagnes, et dont les salaires aident à entretenir les familles. Il n’est pas rare pour ces ouvrières de commencer à travailler très jeunes, à 10 ou 12 ans. Les filles en particulier ont parfois acquis dans leur village natal des compétences en couture qu’elles peuvent utiliser pour trouver à s’embaucher dans les usines de la capitale. D’une certaine façon, le travail à l’usine représente des perspectives d’indépendance financière et personnelle que n’offrent ni la vie rurale, avec la misère et les mariages arrangés ou forcés des fillettes, ni le travail domestique, débouché classique pour les filles des familles pauvres.
Le travail dans le textile est cependant soumis à une exploitation forcenée : officiellement 8 heures quotidiennes avec un jour de congé ; en réalité, souvent 10 ou 12 heures quotidiennes et sept jours sur sept. En août 2000, l’incendie d’une usine à 3 heures du matin avait tué 12 jeunes ouvriers, alors que les portes étaient verrouillées et les sorties de secours fermées : ils travaillaient toute la nuit pour terminer une commande, chose classique. Les congés maladie n’existent pas et les arriérés de salaire sont fréquents. Ainsi, lors de l’incendie de l’usine Tazreen Fashions, en novembre 2012, les arriérés de salaires étaient tels qu’une partie des victimes étaient convaincues que leur patron avait volontairement provoqué l’incendie pour s’en débarrasser. Une blessée lors de cet incendie, Shumaya Begum, a raconté à un journaliste comment elle avait commencé à travailler à 11 ans. À 13 ans, chez Tazreen, elle cousait 90 vêtements par heure, au moins 12 heures par jour, sans pause en dehors du déjeuner, six jours par semaine. Elle gagnait mensuellement ce que valait à peu près un seul des vêtements qu’elle fabriquait. Ces salaires sont en effet les plus bas au monde, ce qui explique la ruée des firmes occidentales vers cet eldorado : 35 euros par mois en moyenne, c’est-à-dire moins non seulement qu’en Chine, mais aussi qu’au Cambodge, en Inde, au Pakistan, au Sri Lanka ou encore au Vietnam. Une étude menée sur un tee-shirt produit à Tirupur, en Inde, et vendu 29 euros en Europe, détaille les marges prises par une série de profiteurs : 17 euros pour le distributeur, 3,61 euros pour la marque, 1,20 euro pour des intermédiaires, 1,15 euro pour l’usine ; quant à l’ouvrière indienne, elle gagne 0,18 euro pour ce vêtement ! Et les salaires du Bangladesh sont encore inférieurs.
Les conditions de sécurité dans ces usines sont déplorables. Depuis 1990, au moins 31 accidents meurtriers ont eu lieu dans les usines textiles du pays, majoritairement des incendies, tuant plus de 1 700 personnes ; et encore s’agit-il d’une estimation basse, l’État ne publiant pas de statistiques sur le sujet. Le 11 avril 2005, l’usine Spectrum, à 30 km au nord-ouest de Dacca, s’effondrait après que plusieurs étages supplémentaires eurent été construits, tuant 64 personnes et en blessant 80. Le 3 décembre 2010, l’explosion d’une chaudière dans l’usine Eurotex tuait deux ouvriers et en blessait 62. Le 14 décembre 2010, un incendie tuait 29 travailleurs dans l’usine That’s it Sportwear. Le 24 novembre 2012, l’incendie des ateliers de Tazreen Fashions à Ashulia faisait 112 morts et un millier de blessés ; les produits inflammables avaient été stockés au rez-de-chaussée, près de la cage d’escalier, au mépris des règles de sécurité, et les issues de secours avaient été verrouillées pour éviter les vols. De nombreuses ouvrières sont mortes parce que leurs contremaîtres leur ont ordonné de retourner à leur poste de travail, alors que l’alarme incendie sonnait et que la fumée montait par les escaliers. Le procès du patron de Tazreen Fashions a commencé en décembre 2013, mais ses commanditaires occidentaux ne sont pas dans le box des accusés et n’ont versé aucune compensation aux familles des victimes.
La sécurité incendie ne s’est pas améliorée depuis. Le 7 janvier 2013, un autre incendie tuait huit ouvriers, âgés de moins de 16 ans, dans une petite usine du centre de Dacca, Smart Export Garment. Le 9 mai, neuf personnes mouraient dans l’incendie de l’usine Tung Hai Sweater. Le 8 octobre 2013, un incendie d’usine à 40 km de Dacca a encore fait 7 morts et 50 blessés.
L’effondrement du Rana Plaza, un meurtre industriel de masse
Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble de confection à Savar, un faubourg à l’ouest de Dacca, faisait 1 135 morts et plus de 1 600 blessés, mutilés pour beaucoup. Cette catastrophe, le pire accident industriel au monde depuis celui de Bhopal, en Inde, en 1984, était programmée, et il est plus juste de parler de crime organisé que d’accident. Des fissures lézardaient les murs et des inspecteurs avaient demandé la fermeture de l’immeuble. Là aussi, les contremaîtres et le directeur de la production avaient interdit aux ouvrières de quitter leur poste de travail, alors que les craquements de l’immeuble les alarmaient. Le matin même de l’effondrement, la maîtrise expliquait aux ouvrières qu’elles seraient licenciées si elles ne venaient pas travailler. « Nous avons entendu un bruit énorme, raconte une survivante. Nous voulions savoir d’où venait ce bruit. Puis le contremaître de la chaîne et le responsable de la production nous ont dit que ce n’était rien, que tout allait bien et qu’il fallait retourner travailler. » La plupart des victimes étaient de jeunes travailleurs, âgés de 18 à 22 ans. Le propriétaire du Rana Plaza, l’homme d’affaires Sohel Rana, ancien dirigeant des jeunesses de la Ligue Awami, le parti au pouvoir, avait utilisé ses relations politiques pour acquérir le terrain, construire l’immeuble puis ajouter à la va-vite quatre étages supplémentaires, alors que le Rana Plaza était déjà construit sur un sol instable. L’effondrement a été causé par cette surcharge.
Les firmes occidentales qui profitent de cet esclavage salarié ont d’abord cherché à se dédouaner, disant n’avoir pas traité avec les firmes du Rana Plaza. Mais les vêtements de marque et les étiquettes, retrouvés dans les décombres, rendaient les dénégations difficiles. Plusieurs firmes ont donc signé un « accord sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies ». Mais il s’agit d’un simulacre. Un an plus tard, aucune inspection n’a encore eu lieu, et le principal objectif de cet accord est de dédouaner les commanditaires, pas de mettre fin à l’exploitation des travailleurs bangladais dont les sociétés occidentales entendent bien continuer à profiter. Dans les semaines qui ont suivi l’effondrement, les survivants et les proches se sont battus pour obtenir une indemnisation. Ils ont obtenu 200 euros pour les funérailles, 1 000 euros d’un fonds spécial constitué par le gouvernement. Si quelques firmes, comme le britannique Primark, ont versé de maigres indemnités aux survivants et aux familles, des entreprises comme l’américain Walmart ou le français Auchan, dont des vêtements étaient fabriqués dans le Rana Plaza, se refusent toujours à verser la moindre compensation aux victimes et à leurs familles.
En outre, plus de huit mois après l’effondrement, près de 200 corps n’ont pas été retrouvés, et les autorités refusent toute indemnisation aux familles de ces disparus. Les dirigeants de la BGMEA se dédouanent en disant que de nombreuses réclamations sont frauduleuses. Et un responsable du ministère de l’Intérieur, auteur d’un rapport officiel sur l’effondrement, accuse sans vergogne les familles des victimes : « Si certains ont disparu, c’est parce que ces villageois ne savent pas comment retrouver leurs proches. »4
L'indignation du Pape François
Peu après le drame, devant les milliers de fidèles rassemblés place Saint-Pierre pour son audience hebdomadaire, le Pape François a parlé des victimes de l'effondrement de l'immeuble du Rana Plaza. Chercher "seulement à faire du profit, c'est être contre Dieu !" a lancé le Pape, atterré par les très bas salaires payés à ces ouvriers.
"Le titre qui m'a vraiment frappé le jour de la tragédie du Bangladesh était 'Vivre avec 38 euros par mois'. C'est ce qu'étaient payés tous ces gens qui sont morts. C'est ce qu'on appelle du travail d'esclave" a affirmé le Pape dans son homélie selon des propos cités par radio Vatican.
''Ne pas payer honnêtement, ne pas donner un travail parce qu'on tient compte seulement des résultats financiers, parce qu'on cherche seulement à faire du profit, c'est être contre Dieu !".
Et le Pape François d'élargir son commentaire à la lutte contre le chômage : "Il y a beaucoup de gens qui veulent travailler mais ne le peuvent pas. Quand une société est organisée de telle sorte que tout le monde n'a pas la chance de travailler, cette société n'est pas juste. J'appelle les hommes politiques à faire tout ce qu'ils peuvent pour relancer le marché du travail". Des propos cités par radio Vatican.
« ''Vivre avec 38 euros par mois''. C'est ce qu'étaient payés tous ces gens qui sont morts. C'est ce qu'on appelle du travail d'esclave. »
Le département 38 est celui de l'ISÈRE.
ISÈRE = MISÈRE
Les victimes de l'effondrement de l'immeuble du Rana Plaza sont mortes pour gagner un salaire de MISÈRE. Le capitaliste M trop l'argent donc il ne laisse que des miettes aux travailleurs et sa cupidité est ainsi responsable de l'effondrement de l'immeuble du Rana Plaza, n'ayant pas respecté les consignes de sécurité pour maximiser ses profits.
38 = CH
CH est le sigle de la SUISSE.
Le symbole de la SUISSE est la NEUTRALITÉ.
De telles tragédies se renouvelleront tant que le Pape François restera NEUTRE en refusant de s'engager politiquement pour combattre le nazi-capitalisme. Son appel pour responsabiliser les hommes politiques ne sert strictement à rien car ils sont véreux, ils servent uniquement les intérêts des puissances de l'argent en mettant tout en œuvre pour détruire les droits, les salaires, et même les emplois des travailleurs en permettant aux capitalistes de les licencier toujours plus facilement.
Le Pape doit donc unir politiquement les 2 milliards de chrétiens dans le monde afin de renverser le nazi-capitalisme pour que plus jamais des êtres humains ne meurent dans un immeuble pour gagner un salaire de MISÈRE de 38 euros par mois.
La catastrophe du Rana Plaza a eu lieu le 24 avril 2013 (24 4 2013).
24x4x2013 = 193248
193248 = CHILD
« CHILD » signifie « ENFANT » en anglais.
CH = 38
Dieu nous révèle que de nombreux ENFANTS sont morts lors de l'effondrement de l'immeuble du Rana Plaza afin de pouvoir toucher un salaire de MISÈRE de 38 euros par mois.
À l’échelle du monde, 264 millions d’enfants entre 5 et 17 ans ont une activité économique, soit un enfant sur six. Au moins 168 millions travaillent illégalement, c’est-à-dire sans avoir l’âge requis par la loi de leur pays pour travailler. Plus de la moitié (85 millions) travaillent dans des conditions dangereuses pour leur santé : à cause des conditions pénibles (horaires trop longs, travail de nuit), ou bien à cause du type de travail effectué (dans des mines, ou avec du matériel dangereux). Au Ghana par exemple, une ONG a dénoncé l’exploitation de milliers d’enfants dans les mines d’or et leur exposition quotidienne aux accidents, aux problèmes respiratoires, mais aussi aux lésions cérébrales dues à l’empoisonnement au mercure, utilisé pour traiter le minerai d’or.
Dans leurs déclarations, l’ONU et les gouvernements des pays riches prétendent lutter contre le travail des enfants en « développant une éducation de meilleure qualité ». C’est poser – hypocritement – le problème à l’envers. Comme le rappelle le directeur de l’OIT : « À l’heure actuelle, les aspirations de nombreux parents pour leurs enfants, et celles des enfants eux-mêmes, à une éducation convenable, sont vouées à être des rêves inexaucés. Ceux qui tentent de combiner travail et école doivent abandonner l’école bien avant d’avoir atteint l’âge légal. »
L’exploitation des enfants va de pair avec la misère économique des parents5. Une raison, une de plus, de lutter pour mettre fin à l’exploitation capitaliste pour que plus jamais des enfants ne meurent afin de gagner un salaire de MISÈRE de 38 euros.
Nous ne devons plus accepter que les capitalistes exploitent des centaines de millions de travailleurs, dont des femmes et des enfants, dans des conditions particulièrement révoltantes. Les beaux discours ne servent strictement à rien, nous devons AGIR POLITIQUEMENT pour mettre un terme au règne de la cupidité.
Les consommateurs occidentaux portent une responsabilité dans la tragédie du Rana Plaza parce qu'en achetant des vêtements fabriqués au Banglasdeh, nous contribuons à l'esclavage de millions de travailleur(euses), exploité(e)s par les capitalistes en touchant un salaire de misère. C'est pourquoi nous devons boycotter ces marchandises en achetant NOS marques révolutionnaires. C'est la seule manière de prendre un jour le pouvoir en main et ainsi exproprier les capitalistes de l'économie pour montrer au peuple bangladais la marche à suivre afin de prendre le contrôle des richesses qu'il produit et se libérer de la dictature du capitalisme.
L’addiction à l’éphémère : les consommateurs « consentants » responsables
« Comment expliquer l’addiction à l’éphémère ? Quelle est la singularité d’une chemise normale du même tissu qu’une chemise griffée qui porte en son sein une tragédie de ceux qui l’ont réalisée. Du point de vue du coût du tissu et de la main-d’œuvre, aucune différence. Ce qui fait la différence, c’est le matraquage de la publicité qui fait que les rapports des prix vont du simple au décuple allant jusqu’à même créer une police pour lutter dit-on, contre la contrefaçon, qui permet de protéger en fait ces "grandes marques" intronisées comme telles dans l’imaginaire des consommateurs sous influence. Ces victimes consentantes du capitalisme présentent une sérieuse addiction au m’as-tu-vu au virtuel au lieu de s’en remettre aux fondamentaux de la vie.
À bien des égards, les consommateurs de ces produits de luxe, fruits d’une rapine et d’un vol des espérances de millions de besogneux qui pour un salaire de misère risquent leur vie, sont aussi criminels que ceux qui leur ont vendu les produits. Parlant justement du capitalisme, le grand philosophe Lacan écrit : ''Le discours capitaliste, c’est quelque chose de follement astucieux (…), ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux. Mais justement, ça marche trop vite, ça se consomme. Ça se consomme si bien que ça se consume.''
Le monde économique, s’interroge le sociologue Pierre Bourdieu, est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles, et prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu’il inflige, soit de manière automatique, soit – plus exceptionnellement – par l’intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l’Ocde, et des politiques qu’ils imposent : baisse du coût de la main-d’œuvre, réduction des dépenses publiques et flexibilisation du travail ? Le but étant d’arriver à une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage.
Dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale, le philosophe Dany-Robert Dufour tente de montrer que, bien loin d’être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l’emprise d’une nouvelle religion conquérante, le Marché ou le money-théïsme. Il tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu’incitatrice – ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l’atteste le troisième commandement : ''Ne pensez pas, dépensez !''. Nous vivons dans un univers qui a fait de l’égoïsme, de l’intérêt personnel, du self-love, son principe premier.
Dany-Robert Dufour pense justement que pour ces consommateurs ''drogués'' que le ''formatage'' de l’individu sujet consommateur sous influence, commence très tôt, l’enfant ou plus tragiquement le bébé est déjà un ''consommateur sous influence : (…) Ceux qui arrivent aujourd’hui à l’école sont souvent gavés de petit écran dès leur plus jeune âge. (…) (..) Plus rien alors ne pourra endiguer un capitalisme total où tout, sans exception, fera partie de l’univers marchand : la nature, le vivant et l’imaginaire.''
Je ne peux terminer sans citer Victor Hugo et son poème sur les enfants esclaves :
'' Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement.
Dans la même prison le même mouvement.
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Ô Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux ! ''
Plus d’un siècle après, ces phrases terribles n’ont pas pris un pli. Le capitalisme grandit sur les cadavres de plus en plus nombreux des besogneux. Cette moisson macabre ne connaît pas de répit du fait de la complicité directe et indirecte des consommateurs qui par leur "soumission" aux soporifiques du marché donnent du grain à moudre aux prédateurs. Même le FMI qui ne fait pas de la défense des faibles et des sans droits son sacerdoce, pour la première fois, rue dans les brancards dénonçant les inégalités criardes. Ainsi : "Le FMI s’inquiète de plus en plus de 'l’aggravation des inégalités de revenus' dans le monde. C’est le constat exposé, par son ancienne directrice générale, Christine Lagarde, lors d’un discours prononcé à Washington. 'Cela n’est pas passé inaperçu : le printemps arabe et le mouvement Occupy, même s’ils étaient différents, ont été en partie motivés par cette tendance', croit savoir Mme Lagarde. En 2013, aux États-Unis, 1 % de la population perçoit 18 % des revenus totaux avant impôts, contre 8 % il y a vingt-cinq ans, a souligné Mme Lagarde. Au niveau mondial, 0,5 % de la population détient plus de 35 % des richesses. 'L’aggravation des inégalités de revenus est une préoccupation croissante des dirigeants politiques à travers le globe', assure-t-elle."
Mais que fait le FMI ou toute institution internationale pour réparer cela et aller vers la réduction des inégalités et surtout protéger la santé de ces épaves qui s’échinent pour un salaire de misère à travers le monde ? Rien ! »6
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Voici le visage des ENFANTS (CHILD) morts pour gagner 38 euros par mois.
Pour l’interdiction totale du travail des enfants et une redistribution mondiale des richesses
Le travail des enfants reste aujourd’hui d’une ampleur telle qu’il est difficile de le réduire à un phénomène marginal du fonctionnement du système mondial capitaliste. Cette forme de travail est réapparue avec virulence dans les pays « en transition » après l’effondrement du bloc soviétique. Elle n’a d’ailleurs jamais disparu des pays capitalistes développés du Nord, et perdure encore aujourd’hui, illégalement, dans des proportions non négligeables aux États-Unis et même en Europe. Cependant, en masse et en intensité, le travail des enfants concerne surtout les pays du Sud. Ces derniers subissent en effet le plus durement les politiques néo-libérales, par lesquelles les différents mécanismes de transfert du surplus vers le Nord aggravent l’exploitation des travailleurs périphériques, jusqu’à prendre des formes particulières de surexploitation, dont le travail des enfants est la plus révoltante.
Il est urgent de faire respecter fermement l’interdiction du travail des enfants – jusqu’à un âge limite qui est à déterminer internationalement et qui pourrait être 16 ou 17 ans – et, simultanément, de rendre effective l’éducation obligatoire, tout en mettant en place un système de redistribution des richesses à l’échelle planétaire.
Conseil des droits de l'homme - 4ème session 2007
1. Le travail des enfants remonte vraisemblablement aux origines de l’histoire. Mais la constitution du système mondial capitaliste, à partir du XVe siècle, puis sa consolidation, aux XVIIIe et XIXe siècles, ont entraîné la mise au travail d’enfants sur une grande échelle, tant au centre (rapport salarial) qu’à la périphérie (différentes formes de travail contraint). Nombreux sont les témoignages sur son recours massif dans l’Angleterre du XIXe siècle. Marx fut sans doute l’un des tout premiers à avoir compris le caractère systémique de ce type de travail dans le capitalisme, mais aussi l’importance du rôle de l’État, dont les interventions préservent l’intérêt général des capitalistes et la reproduction des conditions de l’exploitation en empêchant la destruction des forces productives humaines et une transformation excessive « de sang d’enfants en capital ». Le monde a certes beaucoup changé depuis cette époque, mais la domination du capital n’a pas cessé et, de nos jours, le travail des enfants reste d’une ampleur telle qu’il est difficile de le réduire à un phénomène marginal du fonctionnement du système mondial capitaliste. Cette forme de travail est réapparu avec virulence dans les pays « en transition » après l’effondrement du bloc soviétique. Il n’a d’ailleurs jamais disparu des pays capitalistes développés du Nord, et perdure encore aujourd’hui, illégalement, dans des proportions non négligeables aux États-Unis (où 5,5 millions d’enfants travailleraient régulièrement), et même en Europe (2 millions en Grande-Bretagne, 350 000 en Italie, 200 000 au Portugal). Issus des familles de nouveaux pauvres, et en majorité des minorités ethniques et/ou de l’immigration, ces enfants sont souvent déconnectés des systèmes scolaires et de protection sociale. Cependant, en masse et en intensité, le travail des enfants concerne surtout les pays du Sud. Ces derniers subissent en effet le plus durement les politiques néo-libérales, par lesquelles les différents mécanismes de transferts du surplus vers le Nord aggravent l’exploitation des travailleurs périphériques, jusqu’à prendre des formes particulières de surexploitation, dont le travail des enfants est la plus révoltante.
Le choc des chiffres du travail des enfants dans le monde
2. L’étude de la réalité de de phénomène est rendue singulièrement complexe par les débats relatifs à ses définitions. Il ne va pas de soi de définir ce qu’est un enfant (jusqu’à quel âge un être humain est-il un enfant ?), ou le travail (le concept varie selon les législations et cultures, son contenu change selon les langues). Il est aussi difficile d’intégrer et classifier les différentes formes institutionnelles d’organisation du travail des enfants en fonction de leur fonctionnement économique (qui diffère d’un secteur, d’un pays, d’une époque à l’autre). Il n’est pas non plus aisé de se représenter les imbrications du travail des enfants et du travail adulte « normal », ainsi que les moyens par lesquels le surplus tiré du travail des enfants est réinjecté dans le reste de l’économie (légale ou non, formelle ou non, salariée ou non) et ceux par lesquels le surplus venant de l’économie est utilisé dans les secteurs recourant au travail d’enfants. L’analyse des formes de « contrats » de travail renvoie à celles des structures de production et de propriété des moyens de production –notamment de la terre. Ces très sérieux problèmes techniques de définition et de formalisation des faits économiques sont encore obscurcis par le manque de fiabilité des données statistiques dans de nombreux pays du Sud, y compris celles relatives au recensement du nombre exact d’enfants (dû notamment à l’absence de registres des naissances). Aussi les débats portant sur le travail des enfants ne sont-ils pas sans rappeler les arguties théorico-sémantiques qui tentaient, jadis, de différencier juridiquement les formes de travail forcé, traduisant une difficulté à traiter une réalité moralement inacceptable, mais dont la suppression effective se heurte à la logique même de fonctionnement du système capitaliste réellement existant. Cependant, le respect de la diversité des cultures n’est pas incompatible avec l’impératif de placer au sommet de la hiérarchie des priorités du projet social d’une civilisation commune en voie d’édification le bien-être des enfants.
3. Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles on ne sait pas précisément combien d’enfants travaillent dans le monde. Nous en savons pourtant suffisamment pour comprendre que le phénomène est massif. Malgré d’importantes divergences, les estimations chiffrées se situent pour la plupart entre 200 et plus de 400 millions d’enfants au travail. Selon le Bureau international du Travail –considéré comme une référence sur le sujet–, 352 millions enfants de 5 à 17 ans (soit un quart de cette classe d’âge) étaient économiquement actifs dans le monde en 2000, effectuant des travaux qualifiés d’« inacceptables », pour reprendre la terminologie officielle. Sur ce total, 168 millions étaient des filles et 184 millions des garçons. À l’échelle mondiale, un enfant de 5 à 9 ans sur sept (73 millions), un sur quatre de 10 à 14 ans (138 millions), un sur deux de 15 à 17 ans (141 millions), travaillent. Pour ce qui est des plus jeunes (5-14 ans), c’est en Asie que leur nombre est le plus élevé (127 millions), mais en Afrique que la proportion est la plus forte (près d’un sur trois, soit 48 millions). Près de 180 millions d’enfants exerçaient « les pires formes de travail », pour l’essentiel des travaux dangereux. Si l’on ajoute à ces 352 millions, les formes de travail jugées « acceptables » –dont l’abolition n’est pas exigée par les experts internationaux–, les estimations dépassent alors les 400 millions d’enfants de plus de 5 ans au travail.
Les formes extrêmes de travail : des réalités différentes, mais convergentes
4. Les conditions concrètes de vie des enfants travailleurs sont des plus variées, selon les activités exercées, les institutions dans lesquelles ils s’insèrent, les régions… Le secteur de l’agriculture, prédominant dans nombre de pays du Sud, est le plus gros employeur. Une grande incertitude plane sur les travaux domestiques, effectués dans le cadre familial, comme sur le sort des enfants des rues. Selon l’UNICEF, ces derniers seraient quelque 120 millions dans le monde : 45 000 à Karachi, 180 000 à Bangkok, 550 000 à Manille… Les chiffres vont croissant dans les pays « en transition » du socialisme au capitalisme –les estimations officielles faisant état de 800 000 enfants des rues en Russie, mais de 2 millions selon les organisations non gouvernementales. Les pays capitalistes les plus riches sont aussi affectés. À Chicago, les enfants sans abris seraient près de 5 000 –soit presque autant qu’à Guatemala City ou à Bucarest.
5. Les cas, innombrables, de formes extrêmes de travail des enfants révèlent elles aussi des situations différentes, mais ressemblant toutes à l’enfer sur terre : enfants travaillant dans les plantations de cacaoyers de Côte d’Ivoire, ou à pulvériser des produits chimiques agricoles au Cameroun, ou comme forgerons au Nigeria, dans les mines du Burkina Faso, à la récupération de déchets sur des décharges en Égypte, à fabriquer tapis et ballons de football au Pakistan, ou des chaussures en Indonésie, à conduire des vélos-taxis en Inde, ou dans les industries du sexe en Thaïlande et au Népal, ou comme plongeurs en apnée pour rabattre les poissons aux Philippines, porteurs de charges dans les boyaux de mines de charbon en Colombie, coupeurs de cannes à sucre en République dominicaine, domestiques ou cuisiniers de chercheurs d’or au Pérou, à fabriquer allumettes et feux d’artifice au Salvador, ou des robes de mariées pour l’exportation au Honduras… L’urgence d’interdire ce type de travaux se fait particulièrement ressentir, comme dans les cas où des enfants sont utilisés pour la prostitution et la production de matériel pornographique, les trafics d’organes, le trafic de drogues, l’esclavage moderne (pour dette notamment) et les conflits armés.
6. Le travail des enfants est d’abord et surtout une conséquence de la pauvreté. D’après la Banque mondiale, plus de 1,3 milliard de personnes, soit le quart de la population mondiale, vit avec au plus l’équivalent d’un dollar états-unien par jour, et près de 3 milliards, soit environ la moitié de la population de la planète, n’ont pour survivre que 3 dollars par jour. De très nombreux observateurs s’accordent aujourd’hui à reconnaître que l’origine de l’aggravation de la misère de masse dans les pays du Sud est à rechercher dans les dévastations sociales et les drames humains causés par la poursuite du néo-libéralisme, imposé à ces pays de la manière la plus anti-démocratique qui soit, par-delà même l’échec général de ces politiques. Le recul de l’État et la dérégulation des marchés –c’est-à-dire leur re-régulation par les seules forces du capital mondialement dominant–, entraînant le démantèlement des dispositifs de protection sociale des travailleurs et la marchandisation de toute la sphère sociale –y compris celle des êtres humains–, favorisent en effet l’essor de ces formes extrêmes de mise au travail forcé et de surexploitation des enfants. De telles situations inhumaines ne disparaîtront effectivement qu’avec la mise en déroute du projet néo-libéral, grâce à la convergence des résistances, mobilisations et luttes des peuples du Sud et du Nord pour la défense de leurs droits et la construction d’une civilisation universelle, respectueuse des différences culturelles.
Recommandations
7. Dans ce contexte, nous sommes conduits à recommander une interdiction totale de toutes les formes de travail des enfants –à l’exception des activités assimilables à de l’éducation, que cette dernière soit institutionnelle (combinaison réfléchie et dosée des études et du travail manuel ou de la formation professionnelle, encadrée par des enseignants compétents) ou familiale (de type apprentissage inter-générationnel, à condition qu’il ne s’agisse pas de travail domestique déguisé). Il est vain d’espérer la disparition du travail des enfants sans changements structurels ni modification des valeurs de profit qui sont inhérentes au système mondial capitaliste. Le seul moyen de faire reculer, et disparaître, le travail des enfants est de mettre en œuvre de profondes réformes sociales, comprenant l’universalisation de l’éducation (l’école publique, obligatoire et sans discriminations) et de la santé publique, mais aussi un système d’approvisionnement alimentaire à prix réduits dans des magasins subventionnés et gérés par l’État, la construction de logements sociaux et d’infrastructures (eau, assainissement, électricité, transports, télécommunications…), la création d’emplois (en priorité dans les secteurs sociaux), une redistribution des richesses au bénéfice des pauvres… Concrétisation de droits inaliénables des peuples, ces réformes pourront exiger, si nécessaire, des réformes agraires et nationalisations de ressources naturelles et de moyens de production considérés comme stratégiques. L’objectif est l’essor de la participation démocratique des peuples aux processus de décision et à la maîtrise de leur devenir collectif, dans le respect du droit au développement. (...)
Il est urgent de faire respecter fermement l’interdiction du travail des enfants –jusqu’à un âge limite qui est à déterminer internationalement et qui pourrait être 16 ou 17 ans– et, simultanément, de rendre effective l’éducation obligatoire, tout en mettant en place un système de redistribution des richesses à l’échelle planétaire.8
Le combat du prolétariat au Bangladesh
Bien que l’industrie du prêt-à-porter y soit somme toute récente et que le patronat et l’État ne reculent devant aucun moyen, les ouvriers du secteur n’ont pas tardé à se battre pour améliorer leurs conditions de travail, leur sécurité et leurs salaires. En 2010, des mois de mobilisation ont abouti à ce que le salaire minimum soit augmenté de 80 %, pour passer à 29 euros par mois. Un des problèmes est que les syndicats sont faibles, réprimés par le patronat local et par le gouvernement, quand ils ne sont pas corrompus. En 2010, à la demande du patronat, le gouvernement a mis sur pied une « police industrielle » de 3 000 hommes, pour recueillir du renseignement et empêcher les mobilisations dans les zones industrielles. Il est fréquent pour les militants ouvriers d’être intimidés et arrêtés. En avril 2012, Aminul Islam, un militant du Bangladesh Center for Workers Solidarity (BCWS), a été retrouvé mort, après avoir manifestement été enlevé et torturé par la police. Celle-ci n’hésite pas à tirer sur les manifestants.
Cela n’a pas empêché une nouvelle explosion de colère dans les mois qui ont suivi l’effondrement du Rana Plaza. Dans la foulée de la catastrophe, les victimes et leurs proches mais aussi des milliers de travailleurs d’autres usines, descendaient dans la rue pour exiger des indemnités et une amélioration de la sécurité. Trois jours après l’accident, 15 000 ouvriers en grève réclamaient la peine de mort pour les propriétaires de l’immeuble. « Ils ont bloqué des routes en chantant Pendez Rana », rapportait le chef de la police locale. Trois semaines après l’effondrement meurtrier de l’immeuble, des centaines d’usines étaient fermées, à cause de « l’agitation de la main-d’œuvre », expliquait le 13 mai, le vice-président de la BGMEA : « Nous avons pris cette décision pour assurer la sécurité de nos usines. » Afin d’enrayer la vague de protestations, le gouvernement annonçait une réforme d’une loi de 2006 qui restreint le droit syndical. Le propriétaire du Rana Plaza était opportunément arrêté. Une réglementation plus stricte sur la sécurité et des augmentations de salaires étaient également annoncées.
Fin juin, les mouvements de protestation reprenaient, mobilisant des dizaines de milliers d’ouvriers du textile du Bangladesh et obligeant le patronat à fermer 700 usines. À Ashulia, pendant 4 jours, les ouvriers qui réclamaient une hausse des salaires, dressaient des barricades avec de vieux pneus, mettaient le feu à des camions de livraison et s’attaquaient aux forces de l’ordre.
Fin septembre, des dizaines de milliers de travailleurs descendaient de nouveau dans la rue pour l’augmentation des salaires. 200 000 grévistes bloquaient une centaine d’usines et les principaux axes routiers. La police a tiré sur les ouvriers avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Le 11 novembre, les manifestations ont repris, des milliers de grévistes demandant de nouveau que le salaire minimum passe de 29 à 75 euros. Ils se sont de nouveaux affrontés à la police. Une commission gouvernementale a accordé une augmentation de 77 %, à 50 euros par mois. Lundi 18 novembre, plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers ont de nouveau manifesté contre cette hausse insuffisante, dans les rues de Gazipur, Ashulia et Savar, les zones industrielles des environs de Dacca. La police a ouvert le feu contre eux, faisant deux morts et une trentaine de blessés.
L’augmentation à 50 euros ne concerne que ceux qui touchent un salaire de base, pas les ouvriers les plus qualifiés, ni les nombreux travailleurs indépendants de la petite sous-traitance. Le Bangladesh demeure un des pays au monde où la main-d’œuvre est la moins chère, même avec cette hausse. Celle-ci n’en est pas moins à mettre au crédit de la mobilisation ouvrière.
Nous savons peu de choses sur l’état de la conscience des travailleurs et sur les organisations qui s’en réclament. Les syndicats sont organisés sur le modèle indien – chaque parti politique national a sa propre confédération syndicale dont il se sert comme d’un instrument dans ses bagarres politiciennes. C’est le cas aussi bien de la Ligue Awami au pouvoir que de son rival, le Bangladesh nationalist party (BNP), nationaliste, mais plus lié à l’armée et aux milieux agrariens, et qui n’hésite pas aujourd’hui à s’allier à l’extrême droite islamiste. Il n’y a guère de mouvement syndical « indépendant », sinon de rares tentatives. Les ressorts des mobilisations récentes sont donc en partie politiciens.
Mais, bien que la classe ouvrière du Bangladesh semble aussi démunie sur le plan politique que sur le plan matériel, ces luttes témoignent de sa combativité. Les ouvriers du Bangladesh se battent pied à pied. Ils n’attendent rien du patronat bangladais, des firmes occidentales, ni même de ceux qui, ici, s’indignent. Ils ne peuvent en effet compter que sur leurs propres luttes pour combattre l’exploitation féroce et souvent mortelle dont ils sont victimes de la part des multinationales de l’habillement et du textile.9
Au bord du point de rupture ?
Crise politique
Au pouvoir depuis 2008, la Ligue Awami a emporté 80 % des sièges au scrutin législatif du 5 janvier 2014. La Première ministre sortante, Sheikh Hasina, reste en fonction. L’opposition menée par le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) allié aux islamistes, l’a boycotté et n’en reconnaît pas le résultat (le BNP a lui aussi pour figure de proue une femme, Khaleda Zia, ex-Première ministre). L’Union européenne, les États-Unis et le Commonwealth ont pris leur distance avec le régime en refusant d’envoyer des missions d’observation de la campagne électorale durant laquelle quelque 150 personnes ont été tuées. Les violences politiques ont marqué toute l’année 2013, avec probablement 500 morts, bilan annuel le plus élevé depuis l’indépendance.
Traditionnellement au Bangladesh, un gouvernement « apolitique » de transition est formé pour préparer des élections. La Ligue Awami s’y est cette fois refusée, donnant l’occasion au BNP, dont nombre de dirigeants sont en prison ou en fuite, d’appeler au boycott.
Crise institutionnelle
L’islam est religion d’État au Bangladesh, mais le régime n’en est pas moins largement laïc et la gauche « séculière » puissante. La montée des fondamentalismes religieux dans la région (hindouiste en Inde, bouddhiste au Sri Lanka, musulman au Pakistan…) se fait cependant aussi sentir dans le pays, remettant en cause les références laïques (secular) des institutions et rouvrant les blessures de la guerre de libération.
De 1947 à 1971, l’actuel Bangladesh constituait le Pakistan oriental, dominé par le Pakistan occidental. Il a gagné son indépendance à la suite d’une lutte armée, obtenant soutien de l’Inde. Or, les principaux mouvements islamistes d’aujourd’hui ont servi de supplétifs à l’armée pakistanaise durant ce conflit sanglant où ils ont commis de nombreux crimes de guerre. Leur activisme présent et leur radicalisme fondamentaliste (notamment à l’encontre des femmes) ont provoqué une réaction de masse, exigeant que leurs dirigeants soient enfin jugés pour les crimes de 1971. En décembre 2013, l’un d’entre eux, proche du BNP, Abdul Kader Mollah, a été condamné à mort.
Crise sociale
L’effondrement du bâtiment industriel Rana Plaza en avril 2013, dans la banlieue de Dacca (environ 1 200 morts) avait révélé aux yeux du monde l’extrême précarité et le degré d’exploitation imposés aux ouvrières du textile. La mondialisation capitaliste, les accointances entre patrons locaux et donneurs d’ordre internationaux, la mise en concurrence des pays producteurs d’habillements ont provoqué une crise sociale explosive qui se manifeste au Bangladesh, au Cambodge, en Inde, au Pakistan… Une crise sociale qui frappe aussi de plein fouet la paysannerie.
Crise climatique
Le Bangladesh est peut-être le « grand » pays le plus touché par les conséquences du réchauffement atmosphérique. Il est déjà frappé par les cyclones meurtriers et des pluies diluviennes de mousson. Or, 10 % du territoire se trouve en dessous du niveau de la mer. Couvrant le delta du Gange et du Brahmapoutre, on estime que la moitié du territoire serait inondé si le niveau de la mer augmentait d’un mètre. Une grande partie de la population est menacée, le delta étant aussi la région la plus fertile où la densité humaine est très élevée.
Face au chaos climatique, la population se trouve sans défense. Le pays va connaître un nombre croissant de « réfugiéEs internes » qui vont fragiliser encore un tissu social miné par les politiques néolibérales et les conflits sectaires.
Les déplacements migratoires s’orientent aussi vers l’Inde, pays frontalier du Bangladesh où les courants xénophobes se renforcent. La crise bangladaise peut contribuer à déstabiliser plusieurs régions d’Asie du Sud.10
Fusillade à Dacca
La fusillade de Dacca du 1er juillet 2016 est une attaque terroriste menée dans un restaurant du quartier Gulshan à Dacca au Bangladesh.
Dans la nuit du 1er juillet 2016, cinq assaillants ont ouvert le feu sur la Holey Artisan Bakery dans le riche quartier de Gulshan à Dacca. Ils ont également lancé des bombes, pris plusieurs dizaines d'otages et tué au moins un agent de police dans des fusillades avec la police.
Vingt civils, six hommes armés et deux policiers ont été confirmés tués, tandis que 50 autres, pour la plupart du personnel de police, ont été blessés. La liste des tués comprend un commissaire adjoint de la direction générale de la police métropolitaine de Dacca et l'officier en charge de la station de police de proximité de Banani. Des citoyens japonais et des citoyens italiens sont parmi les victimes. L'armée du Bangladesh a annoncé que les 20 otages tués dans l'attaque étaient des étrangers, et qu'ils ont été « tués brutalement avec des armes tranchantes » par les terroristes.
L'État islamique revendique l'attaque le jour même et l'agence de presse Amaq, liée à l'EI, diffuse les photos des cinq assaillants. Les auteurs de l'attaque, tous Bengalis, étaient des jeunes hommes très instruits issus de familles aisées sauf un, fils d'ouvrier. Asaduzzaman Khan (en), ministre de l'intérieur, accuse cependant le Jamayetul Mujahideen et nie une présence de l'État islamique au Bangladesh.11
Les étudiants en lutte
À partir du 17 juillet 2024, les étudiants ont manifesté contre le retour des quotas de recrutement dans la fonction publique. Le gouvernement a répondu par la répression policière, faisant au moins 174 morts et 2 500 arrestations accompagnées de violences contre les prisonniers. Un couvre-feu a été instauré et les communications via Internet sont restées bloquées.
La fonction publique est le secteur qui offre à ses salariés un statut social et une paie un peu moins bas, ainsi que la sécurité de l’emploi et une pension de retraite. Depuis 1972, un quota de recrutement réservait 56 % des emplois à certaines catégories, dont 30 % allaient aux descendants des soldats ayant combattu pour l’indépendance d’avec le Pakistan en 1971. Mais suite à des manifestations étudiantes en 2018, ces quotas avaient été revus à la baisse, n’accordant que 3 % des emplois aux descendants des combattants et 2 % aux minorités ethniques.
Or, début juin, sous la pression de la Première ministre Sheikh Hasina, la Cour suprême avait rétabli l’ancien système, privant ainsi la majorité des étudiants d’un espoir d’avenir. Cela a déclenché leur révolte qui, partie de Dacca, s’est étendue aux autres universités du pays. Mais la question des quotas n’est, comme l’a exprimé un journaliste, « que la partie émergée de l’iceberg. » Si l’économie du Bangladesh connaît une croissance rapide, elle ne profite qu’à une minorité de privilégiés, laissant de côté les 18 millions de jeunes diplômés sans emploi. Les étudiants dénoncent aussi la corruption, qui est le mode de fonctionnement des riches industriels de la confection ayant une place dans les allées du pouvoir, tandis que la population doit faire face au chômage et à une inflation autour de 10 %, alors que les salaires stagnent. Les grèves fréquentes des travailleurs de la confection témoignent des conditions sociales dramatiques d’une grande partie de la population.
Devant la détermination des étudiants, la Cour suprême a fait marche arrière en revenant aux quotas de 2018. Cependant, tant que le gouvernement n’avait pas avalisé cette répartition, les étudiants n’entendaient pas céder, malgré le grand nombre de victimes des violences policières.12
La Première ministre partie, les généraux entrent en scène
Après plusieurs semaines de manifestations que ni le couvre-feu ni la répression n’ont réussi à contenir, la Première ministre Sheikh Hasina s’est vue contrainte de démissionner le 5 août 2024.
La violence de la répression et le rejet par la population de Sheikh Hasina n’ont fait que l’amplifier, et lui ont donné une tournure politique. Les quelque 300 morts recensés, les 10 000 arrestations ont gonflé la colère des Bangladais. Après une nuit de violence dimanche 4 août, durant laquelle une centaine de personnes furent encore tuées, une énorme foule a envahi le palais de la Première ministre. Celle-ci n’a plus eu le choix que de s’enfuir à l’étranger, et le chef des armées, le général Waker-Uz-Saman, s’est empressé de déclarer qu’il allait assurer le pouvoir par intérim.
Il est clair que, en raison de son incapacité à juguler les émeutes, Sheikh Hassina a été lâchée par la junte militaire. Déjà, tournant casaque, un général lui avait demandé de « retirer immédiatement les forces armées des rues », condamnant par ailleurs « les meurtres inacceptables, les tortures, les disparitions de personnes et les arrestations massives »… commis pourtant par ses propres forces de répression ! De son côté, le général Waker-Uz-Saman a demandé à la population d’avoir confiance dans l’armée, promettant qu’il garantira la démocratie et que justice sera rendue à chaque manifestant mort pendant les émeutes.
Quelle confiance la population peut-elle avoir dans les paroles de ces militaires qui, la veille même, tiraient sur les manifestants ? Dans bien des pays, quand l’armée a pris le pouvoir en prétendant être du côté des opprimés, comme en Égypte, en Birmanie, en Tunisie, etc., elle n’a pas apporté la « démocratie. » Elle a au contraire instauré une dictature qui en a chassé une autre, laissant la population dans la crainte et le dénuement. Au Bangladesh, la crise politique venait se greffer sur une crise sociale, à laquelle ont répondu notamment les luttes les travailleurs du textile.13
Muhammad Yunus, le « banquier des pauvres »
Muhammad Yunus, appelé à être le nouveau Premier ministre du Bangladesh, a été surnommé le « banquier des pauvres » et il doit évidemment cette nomination aux illusions qu’elle peut susciter.
Le nouveau Premier ministre, âgé de 84 ans, a été industriel, puis professeur d’économie pendant des années aux États-Unis. Il est connu pour avoir, après une terrible famine au Bangladesh en 1974, préconisé le « micro-crédit » : que des paysans ou artisans pauvres se regroupent pour se prêter de petites sommes.
Yunus a ainsi fondé la Grameen Bank, « banque des villages. » Celle-ci a prospéré et il écrivait en 2008 que « le social business est la pièce manquante du capitalisme. » Cela lui a valu le prix Nobel de la paix en 2006, et la médaille de la Liberté en 2009 des mains d’Obama. Cela n’a aucunement mis fin à la misère ni à la crise du capitalisme, mais lui a valu dans son pays l’image d’un homme intègre et préoccupé des moyens de lutter contre la pauvreté. Il s’opposait au pouvoir autoritaire de Sheikh Hasina et était par conséquent depuis des années accusé de diffamation, de détournements, d’atteintes au droit du travail et harcelé par les autorités.
C’est donc un homme ayant l’image d’un ami des pauvres qui a été choisi pour donner une nouvelle façade au pouvoir bangladais, sans doute parce qu’elle est susceptible de faire patienter une population majoritairement très pauvre et peut- être au bord de l’explosion sociale. Il reste à savoir combien de temps il pourra maintenir l’illusion d’un changement à venir sans s’en prendre aux privilèges des classes dominantes, aux structures sociales inégalitaires, et à l’impérialisme.14
Sources