Le Timor oriental est un pays d'Asie du Sud-Est. Le pays est constitué de la moitié orientale de l'île de Timor – d'où son nom, des îles d'Atauro et Jaco et de l'Oecussi-Ambeno, une enclave située dans la partie occidentale de l'île de Timor, entourée par le Timor occidental sous souveraineté indonésienne.
Originellement colonie portugaise durant près de quatre siècles, le Timor oriental fut, après l'invasion indonésienne de décembre 1975, annexé unilatéralement par ce dernier pays en 1976. Cette annexion ne fut jamais reconnue par l'ONU, laquelle organisa un référendum d'autodétermination en août 1999 qui conduisit à la pleine indépendance du Timor oriental en 2002. L'invasion indonésienne et la violence de son contrôle sont responsables de nombreux morts : les estimations les plus crédibles varient entre 100 000 et 200 000.1
Aux origines du drame timorais
À l’origine de la situation dramatique du Timor-Oriental, il y a la partition de l’île, dans laquelle les puissances impérialistes ont une responsabilité historique directe. Il y a de cela quelques siècles, les puissances coloniales qu’étaient la Hollande et le Portugal se disputèrent cet archipel de 13 000 îles s’étendant de l’Océan Indien au Pacifique et connu alors sous le nom d’Indes Orientales. Au 17e siècle, le Portugal fut largement évincé par la Hollande qui s’empara de la majorité des îles, mais permit au Portugal de conserver la moitié orientale de l’île de Timor.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Indes Orientales hollandaises, riches en pétrole, furent envahies par les Japonais. Après la défaite japonaise de 1945, la Hollande ne réussit pas à recoloniser ses anciennes possessions et une Indonésie indépendante fut proclamée en 1949, bien que des combats pour le contrôle de la partie occidentale de l’île de Nouvelle Guinée se poursuivirent jusqu’au milieu des années cinquante, jusqu’à ce que finalement l’Indonésie ait gain de cause. Les seuls territoires de l’archipel qui restèrent sous l’emprise coloniale furent la partie orientale de la Nouvelle Guinée (occupée par l’Australie jusqu’à son indépendance en 1975) et le Timor-Oriental qui retourna au Portugal, pendant que l’autre moitié de l’île était intégrée à l’Indonésie.
Le renversement de la dictature au Portugal lors de la « révolution des œillets » en 1974 entraîna la légalisation des mouvements nationalistes du Timor-Oriental. En septembre 1974, le Front Révolutionnaire pour l’Indépendance du Timor-Oriental (FRETILIN) vit le jour. Face à lui, il y avait l’Union Démocratique Timoraise (UDT), favorable au maintien des relations avec le Portugal, et l’Association Démocratique et Populaire du Timor (APODETI), soutenue par l’Indonésie, qui réclamait l’intégration du pays à son puissant voisin. En 1975, le FRETILIN répondit à une tentative de coup d’État de l’UDT en déclenchant l’insurrection armée. La défaite de l’UDT fut suivie par le retrait de l’administration coloniale et l’indépendance fut déclarée, le 28 novembre 1975, par un gouvernement nationaliste radical dominé par le FRETILIN.
Mais l’indépendance du Timor-Oriental fut de courte durée. Un plan d’invasion du pays, élaboré par l’Indonésie avec le soutien de l’Occident, avait été mis sur pied. En septembre 1974, déjà, le premier ministre d’Australie, Gough Whitlam, avait rencontré Suharto et déclaré publiquement qu’un « Timor indépendant ne serait pas viable et constituerait une menace potentielle pour la région ». Quelques jours avant l’invasion, le 7 décembre 1975, le président américain Gérald Ford et son conseiller pour les affaires extérieures, Henry Kissinger, faisaient une visite de trois jours à Djakarta. Il est plus que probable que le sort du Timor-Oriental fit alors l’objet de discussions et que Ford donna son aval à l’invasion de l’île.
La réaction des dirigeants impérialistes face à l’invasion indonésienne fut de détourner pudiquement leurs regards. Et pourtant, l’occupation brutale du Timor-Oriental n’était certainement pas plus légitime que le fut plus tard l’occupation du Koweit par Saddam Hussein en 1990. De plus, alors qu’en 1990, l’économie irakienne était étranglée par le dumping spéculatif pratiqué par le Koweit sur le marché mondial du pétrole, Suharto visait lui à élargir son empire, contre la volonté des Est-Timorais. Pourtant, contrairement à ce qui s’est passé dans le cas de l’Irak, aucune tentative sérieuse ne fut faite pour contraindre Suharto à retirer ses troupes du Timor-Oriental sans parler de la mobilisation militaire massive qui aboutit à la guerre du Golfe contre l’Irak. Dans le cas du Timor-Oriental, le problème fut tout simplement passé sous silence par l’impérialisme, si l’on excepte les quelques résolutions votées par l’ONU pour faire plaisir aux représentants des pays du tiers-monde.
Deux décennies d’une guerre civile sanglante
En février 1976, deux mois à peine après l’invasion indonésienne, on estime que le nombre de morts s’élevait à 60 000 c’est-à-dire autant, proportionnellement, que pendant toute l’occupation japonaise. Parmi eux, les 20 000 membres de la communauté chinoise, surtout présente dans les villes, avaient été les premiers à être décimés. En juillet, le gouvernement indonésien se sentait assez sûr de son fait pour faire du Timor-Oriental la 27e province d’Indonésie. Mais les combats ne cessèrent pas pour autant. Le FRETILIN organisa des guérillas dans la montagne, avec le soutien d’une bonne partie de la population. La guerre s’installa. Un témoin oculaire raconte : « Après septembre 1978, la guerre s’est intensifiée. L’aviation militaire faisait des sorties toute la journée. Il y avait des centaines de victimes tous les jours, leurs corps étaient abandonnés aux vautours. Si les balles ne nous tuaient pas, nous mourions de maladie, des épidémies. Des villages entiers ont été rayés de la carte. »
En 1978, la reddition d’un grand nombre de civils sembla indiquer que le FRETILIN ralentissait son effort de résistance. Beaucoup de ces civils furent par la suite armés et entraînés par l’armée indonésienne dans le but de « timoriser » la guerre. Cette tactique fit long feu quand le FRETILIN demanda à ces recrues désormais bien armées et équipées de déserter et de rejoindre les rebelles... En 1983, un cessez-le-feu de cinq mois fut le prélude à une nouvelle offensive d’envergure de l’armée indonésienne. L’année qui suivit fut à nouveau terrible, avec son cortège d’épidémies et de famines généralisées. En 1989, face à une situation de plus en plus difficile, le commandant du FRETILIN, Xanana Gusmao, proposait l’ouverture de négociations de paix sans conditions. Mais son offre fut rejetée et la guerre continua, sans que quiconque s’en émeuve dans le reste du monde.
En novembre 1991, le Timor-Oriental fut à nouveau l’objet de l’attention mondiale après les massacres de Dili, parce que des étrangers équipés d’une caméra vidéo en avaient été témoins. Sans avoir été provoqués, des soldats avaient abattu quelque 200 jeunes au moment où ils pénétraient dans un cimetière pour y déposer des fleurs sur la tombe d’un étudiant qui avait lui-même été abattu dans une église. La réaction internationale fut telle que Suharto fut contraint de demander une enquête sur les événements. Certains soldats furent bien déclarés coupables, mais ils ne furent que très légèrement sanctionnés et la politique du régime indonésien continua comme si de rien n’était.
En 1992, quinze ans après l’occupation du Timor-Oriental par les troupes de Suharto, on estimait que la guerre civile et la répression indonésienne avaient fait au total 200 000 morts parmi la population. Le taux de natalité élevé du pays avait été réduit par l’introduction de la stérilisation forcée imposée à des milliers de femmes. En même temps, 150 000 personnes, venues des îles surpeuplées de Java et de Bali avaient été transportées au Timor-Oriental, souvent de force, dans le cadre d’un programme de « transmigration » destiné à limiter les forces centrifuges que représentent les nombreux groupes ethniques qui peuplent les îles indonésiennes. Selon les nationalistes est-timorais, ces « transmigrants » reçurent les terres les plus fertiles (précédemment enlevées par l’armée à ceux qui les cultivaient) pour que leur sort devienne lié au maintien de l’occupation indonésienne du Timor-Oriental.
N’était-on pas là en présence d’une politique ressemblant fort à la « purification ethnique » que les dirigeants occidentaux ont dénoncée en Bosnie et au Kosovo ? Et pourtant, dans le cas du Timor-Oriental, les puissances impérialistes ne protestèrent pas, même de façon symbolique. À la fin des années 90', si elles envoient des troupes au Timor-Oriental, ni leur intervention, ni leurs menaces de sanctions économiques ne sont dirigées contre l’armée indonésienne ou le régime de Habibie.
La raison n’en est évidemment pas que le régime de Habibie ou celui de Suharto avant lui sont plus « démocratiques » que ceux de Saddam Hussein ou de Milosevic. Elles n’ont sans doute rien à envier les unes aux autres, toutes ces dictatures, surtout quand il s’agit du traitement qu’elles réservent aux minorités nationales ou autres qui se trouvent sous leur joug. La seule chose qui les différencie vraiment c’est que, alors que Saddam Hussein et Milosevic se sont montrés un peu trop imprévisibles et un peu trop désireux de défendre leurs propres intérêts sans tenir compte de ceux de l’impérialisme, les généraux indonésiens, eux, après trente-quatre ans de bons et loyaux services, sont considérés par l’impérialisme comme des alliés fiables dont la loyauté doit être entretenue à tout prix et ce sont les populations d’Indonésie en général, et celle du Timor Oriental en particulier, qui le paient.
Les enjeux pour l’impérialisme
Depuis l'année 1965, la principale fonction de l’armée indonésienne, du point de vue de l’impérialisme, a été de maintenir la stabilité politique dans un vaste pays qui, d’un côté, pourrait déstabiliser toute la région, et qui, de l’autre, représente une énorme source de profits pour les multinationales occidentales.
Il suffit de regarder une carte de l’Indonésie pour comprendre que ce pays pourrait devenir une véritable poudrière dans cette partie du monde. D’abord, il est divisé en un grand nombre d’îles qui sont souvent peuplées de groupes ethniques particuliers et où il ne manque pas de mouvements séparatistes qui se sont développés sur la base de ces différences ethniques. Ensuite, certaines de ces îles sont elles-mêmes divisées entre plusieurs pays, en fonction de leur passé colonial ou des rivalités impérialistes. Le Timor n’en est qu’un exemple parmi d’autres.
Mais il y a aussi des raisons très terre-à-terre derrière la volonté de l’armée indonésienne et des multinationales occidentales de maintenir l’ordre, leur ordre, dans cette île. Il y a de très importantes réserves de gaz et de pétrole dans le bras de mer qui sépare le Timor de l’Australie, le long de la côte sud du Timor-Oriental. On estime que ces réserves sont cinq fois supérieures à toutes celles de l’Australie. Jusqu'alors, à cause de la guerre civile qui fait rage dans l’île, ces réserves ont été très peu exploitées, malgré les efforts du gouvernement australien qui se traduisirent en 1989 par un traité qui valait reconnaissance officielle de l’occupation indonésienne au Timor-Oriental. Un certain nombre de grandes compagnies pétrolières étaient déjà actives en mer de Timor ou y possédaient des options. C’était le cas de Shell, de Chevron (USA), d’Elf (France), de BHP (Australie), ainsi que de PT Astra, une compagnie indonésienne qui faisait partie de l’empire du clan Suharto. Elles étaient probablement toutes désireuses de voir le conflit du Timor-Oriental se terminer par un accord qui ferait obstacle aux prétentions du FRETILIN sur les ressources pétrolières au large des côtes du Timor.
Outre le Timor, l’immense île de Bornéo, avec ses réserves naturelles considérables mais encore peu exploitées, est elle aussi divisée, mais cette fois en trois : entre l’Indonésie, la Malaisie et le petit sultanat de Brunei un micro-État taillé sur mesure par les Britanniques pour les besoins de Shell.
Enfin il y a aussi la Nouvelle-Guinée, riche en minerais, qui a été artificiellement divisée selon une ligne nord-sud entre l’Indonésie (qui y possède l’Irian Jaya ou Papouasie occidentale) et l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée qui est étroitement lié à l’Australie. Le Mouvement pour une Papouasie libre (OPM) y est actif depuis 1977 et demande la réunification des deux moitiés de l’île. Entre 1977 et 1979, l’OPM a organisé une rébellion qui s’est finalement effondrée. Mais depuis cette date, il y a eu de nombreux troubles politiques, y compris des combats dans la capitale, Jayapura, en 1984. Les raisons de mécontentement sont nombreuses, qu’il s’agisse de la brutalité de l’armée, de l’interdiction faite aux familles de traverser la frontière entre les deux parties de l’île ou surtout de l’exploitation forcenée des Papous par les compagnies opérant sur le territoire de l’île. Au total, quelque 43 000 habitants ont été tués par les forces indonésiennes depuis 1977.
La chute de Suharto suscita des affrontements entre l’armée et les manifestants favorables à l’indépendance. Dans la capitale, ces affrontements firent au moins deux morts. En octobre 1998, Habibie fit un « geste », en déclarant que l’Irian Jaya n’était plus une « zone d’opérations militaires », mais sans pour autant retirer ses troupes ! En même temps, le gouvernement de Djakarta a toujours un plan pour y installer quelque 65 millions de Javanais sur une période de 20 ans afin de prévenir toute menace de sécession future. Il faut dire que les enjeux y sont considérables, à la fois pour la clique au pouvoir en Indonésie et pour les multinationales occidentales. C’est ainsi, par exemple, que dans la partie indonésienne de l’île se trouve le complexe minier de Grasberg, qui appartient conjointement au groupe américain Freeport et au groupe anglo-australien Rio-Tinto Zinc. On y trouve une mine d’or qui est la plus importante du monde, et une mine de cuivre qui est numéro deux mondial ce qui signifie des profits et de royalties considérables. Cela dit, Grasberg est aussi connue pour les conditions de vie et de travail qui y sont imposées à la main-d’œuvre indigène et la brutalité des milices privées employées par les compagnies minières : par exemple, en 1994-1995, sur une période de neuf mois, 37 ouvriers indigènes furent abattus par ces milices.
Il y a aussi la région d’Aceh, le bastion musulman situé sur l’île de Sumatra, où des intégristes musulmans dirigent depuis longtemps un mouvement séparatiste puissant. Enfin, le départ de Suharto a ouvert de nouvelles perspectives aux politiciens du pays. Certains d’entre eux semblent prêts à avoir recours à n’importe quelle démagogie pour prendre la tête de mouvements séparatistes qui pourraient leur permettre de se tailler un fief bien à eux dans un avenir plus ou moins proche. Les tensions religieuses ou ethniques suscitées par la politique de transmigration de Suharto, la pauvreté générale et la catastrophe économique causée par la crise financière de 1997 pouvaient fournir des leviers très puissants à ce type de démagogues.
Le problème auquel sont confrontés l’armée indonésienne et l’impérialisme est donc le suivant : quelles seraient les conséquences d’une indépendance totale ou partielle du Timor-Oriental ? Accorder l’indépendance au peuple timorais ne risque-t-il pas de déchaîner des mouvements centrifuges dans d’autres parties de l’Indonésie et de remettre en cause la stabilité politique, non seulement de l’Indonésie elle-même, mais de pays voisins qui lui sont liés par des liens ethniques (comme la Malaisie ou même les Philippines) ? Et, du point de vue de l’impérialisme, quels risques comporte un éclatement, même partiel, de l’Indonésie pour les intérêts capitalistes dans la région ?
Les généraux indonésiens semblent, pour leur part, avoir déjà trouvé la réponse à ces questions. La politique qu’il ont adoptée montre qu’ils ne veulent prendre aucun risque et ne veulent donc pas d’un Timor-Oriental indépendant. Sans compter qu’un certain nombre d’individus dans la hiérarchie militaire, en particulier dans le clan Suharto, semblent avoir des intérêts économiques importants à préserver au Timor-Oriental, qu’il s’agisse du café, du bois de santal ou du pétrole.
Quant aux puissances impérialistes, elles continuent à envisager toutes les solutions possibles, en se présentant comme des partisans du droit des Est-Timorais à l’autodétermination. Mais les Est-Timorais ont toutes les raisons de se méfier des puissances impérialistes et des leaders nationalistes qui, comme Xanana Gusmao, remettent le sort de la population entre les mains de l’ONU. L’expérience de l’ex-Yougoslavie est là pour montrer ce qu’on peut attendre de l’impérialisme. Il cherchera avant tout des hommes forts en qui il puisse avoir confiance pour défendre ses intérêts contre les populations et quel qu’en soit le prix pour elles. Si l’armée indonésienne fait la preuve qu’elle peut contrôler la situation, l’impérialisme continuera à la soutenir. Sinon, les Est-Timorais risquent d’hériter d’un dictateur encore pire même si c’est avec la caution de l’ONU.2
Vers l'indépendance
Le 7 février 1999, le ministre indonésien des Affaires étrangères a accepté le principe d'une consultation d'autodétermination organisée par les Nations unies auprès des Timorais. Le 5 mai suivant, sous l'égide de l'ONU, l'Indonésie et le Portugal signèrent un accord prévoyant un référendum pour le 30 août.
Le 30 août 1999, les Timorais choisirent l'indépendance dans le référendum organisé par l'ONU.
Celui-ci ouvrit la voie à l'indépendance : 78,5 % des Timorais refusant l'autonomie interne proposée par le gouvernement indonésien. Aussitôt la province fut mise à feu et à sang par des milices pro-indonésiennes ne dépendant pas du gouvernement mais jouissant d'une impunité totale, et refusant de reconnaître l'écrasante victoire au référendum en faveur de l'indépendance. Dans une démonstration de force sans précédent, les milices indonésiennes s'emparèrent de Dili, la capitale, et lancèrent une chasse sanglante aux indépendantistes.
Après plusieurs jours de tueries, de déportations et de pillages, l’ONU se décida à envoyer une force multinationale sous commandement australien (Interfet) afin d’imposer la paix. Le 20 septembre 1999, le Timor oriental devenait un territoire sous administration provisoire des Nations unies. Le 20 octobre 1999, l'Assemblée consultative du peuple abrogeait la loi d’annexion de 1976 et ratifiait un décret entérinant les résultats du référendum du 30 août précédent.
Le 25 octobre 1999, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la résolution 1272 (1999), qui porte création de l'Administration transitoire des Nations unies au Timor oriental (ATNUTO), administration civile et de maintien de la paix dont le mandat sera prolongé à deux reprises jusqu'à l'accession formelle du pays à l'indépendance, le 20 mai 2002.
La majeure partie de l'infrastructure du pays était détruite et l'économie paralysée. Le chef de la résistance timoraise, Xanana Gusmão, fut libéré peu après.
Les atrocités commises par les autorités indonésiennes et les milices pro-indonésiennes firent l'objet de démarche de justice transitionnelle :
- Trois chambres spéciales des tribunaux de district de Dili furent créées pour juger les exactions ; elle ne purent toutefois pas mener à leur terme toutes les investigations et les jugements qui auraient dû en découler, faute d'un financement suffisant pour accomplir toute la tâche.
- Une Commission pour la réception, la vérité et la réconciliation au Timor oriental (en) fut établie pour essayer de réparer et de réconcilier le pays.
L'indépendance
En avril 2001, furent organisées les premières élections du pays. Xanana Gusmão fut élu et intronisé président du nouveau pays le 20 mai 2002, marquant l'avènement de l'indépendance réelle du Timor Oriental.3
Une minuscule moitié d’île d’humains « en trop »
Par Ben Moxham, chercheur à Focus on the Global South. Article posté le 14 mars 2005.
Le 7 février 2005, le journal est-timorais Suara Timor Loro Sa’e rendait compte qu’au moins 53 personnes étaient mortes de faim dans le village de Hatabuiliko depuis octobre 2004. « Il n’y a absolument rien à manger » a rapporté Domingos de Araujo, le gouverneur en charge de la sous-province, et « ceux qui sont encore en vie cherchent des patates sauvages dans la forêt ». Des rapports des provinces continuent d’arriver : 10.000 personnes meurent de faim à Cova Lima, 10.000 foyers affamés à Suai ; et les provinces de Los Palos, Baucau et Manufahi sont en état de crise alimentaire.
Le National Disaster Management Office (le bureau gouvernemental de gestion des désastres) a constamment averti contre une réaction trop forte car « il n’y a pas de famine comme en Somalie, en Éthiopie et au Soudan et dans d’autres endroits ». Au lieu de cela, ce qui se produit c’est une PENURIE ALIMENTAIRE (ce sont eux qui l’écrivent en lettres majuscules) et cela se produit chaque année.
Et c’est là que se situe la gravité de la tragédie : il ne s’agit pas d’une nouvelle extraordinaire. Quelle que soit la définition que le gouvernement donne du phénomène : la chose est si courante au Timor oriental que la période qui s’étend de novembre à mars est qualifiée de saison de la faim. En 2004, l’aide alimentaire a été distribuée à 110.000 personnes dans onze des trente provinces et une étude de 2001 a montré que 80% des villages se trouvaient démunis de nourriture adéquate pendant une période de l’année.
Alors que l’on impute en partie la responsabilité à une sécheresse prononcée, la question qui brûle les lèvres est comment une nation d’à peine plus d’un million d’habitants, qui était supposée recevoir davantage d’aide « par habitant » durant les cinq dernières années que n’importe quel autre endroit est-elle affamée ?
Plus ça change...
Depuis le referendum de l’indépendance en 1999, environ 3 milliards de dollars d’aide ont transité par les salles des conseils d’administration, les restaurants coûteux de la capitale Dili et les comptes bancaires en dollars des consultants internationaux. Cet argent, si nécessaire, voyage rarement au-delà des limites urbaines de la capitale nationale. Dans un département du gouvernement, un seul consultant international gagne davantage en un mois que ses 20 collègues timorais ne gagnent ensemble en un an. Un autre consultant a facturé 8.000 dollars au PNUD pour son voyage en première classe depuis son paradis fiscal. Et les histoires de ce genre se multiplient. Une évaluation par la Commission européenne du Fonds fiduciaire pour le Timor oriental géré par la Banque mondiale a noté qu’un tiers des fonds alloués partait dans les salaires des consultants pour ne rien dire des dépassements et des dépenses de fonction. Mais le problème est beaucoup plus profond que le gaspillage financier de l’industrie de l’aide.
Il ne fait aucun doute que les élites de Dili blâment le passé. Il est certain que l’armée d’occupation indonésienne a détruit 70% de l’infrastructure et déplacé deux tiers de la population lors de son départ sanglant de 1999. En effet, depuis que les Portugais ont amarré la petite île, il y a presque 500 ans, la lutte des Timorais pour venir à bout de la faim et pour contrôler leur système de production agricole est étroitement liée à leur lutte contre l’occupant étranger.
Pour les paysans de Hatabuiliko et environ 40.000 familles des provinces montagneuses, le café est le symbole de cette lutte. Les Portugais ont développé cette industrie dans le courant du XIXe siècle par la méthode coloniale brutale de dépossession des terres, de travail forcé et de mise en culture. Les militaires indonésiens ont repris cette industrie en 1976 avec un mode d’exploitation si ruineux que les producteurs de café ont effectivement financé leur propre génocide. Cela a laissé le secteur dans un état que la Commission de planification du Timor a décrite en 2002 comme « non viable ».
Depuis le vote de l’indépendance, en 1999, le démantèlement prescrit par les donateurs des subsides d’état à l’industrie du café combinés avec un marché global du café en surproduction et dérégulé a conduit les paysans à la misère. Le café, culture emblématique de la nation, n’a rapporté que la piètre somme de $5 millions en 2003 (la totalité des exportations n’a rapporté que $6 millions), du fait d’une baisse des prix à seulement 19 pour cent de leurs valeurs de 1980, et en 2002, les plus bas de tous les temps en termes réels.
Timor libre, libre-échange
Avec le plan du plus grand donateur de la reconstruction du Timor, le marché a été radicalement libéralisé, tous les subsides d’état ont été supprimés et le gouvernement avec les conditionnalités macro-économiques imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international a réduit de moitié les fonctionnaires à 17.000 et a alloué à l’État un misérable budget national de 75 millions de dollars. Il n’y a pas besoin d’un grand gouvernement selon l’élite du développement alors que l’État devrait s’en tenir à appuyer « un secteur privé dynamique » dirigeant une économie d’exportation alimentée par l’investissement direct étranger.
En 2004, j’ai parlé avec un groupe de producteurs de riz dans la province de Bobonaro sur comment ils s’en sortaient dans le meilleur des mondes globalisé. Ils se sont plaints que le riz importé de Thaïlande et du Vietnam, qui représentait alors 55 % de la consommation intérieure, se vendait en dessous du coût de production de leur riz. Alors que les anciens occupants indonésiens avaient investi massivement dans l’infrastructure, avaient instauré des subsides à la production de base et pour les intrants agricoles et assuré un prix plancher aux producteurs, les nouveaux occupants ont mis fin à tout cela. Aujourd’hui, les producteurs se rendent au Centre d’appui à l’agriculture conçu et privatisé par la Banque mondiale pour acheter les intrants agricoles à des prix si élevés que cela élève leurs coûts de production au-delà du prix de vente du riz.
La vie rurale étant devenue si difficile, les Timorais ont émigré en masse vers la capitale à la recherche d’un emploi. En juillet 2004 j’ai rendu visite à Domingos Frietas, un vieil ami qui élève une famille de 5 personnes dans une maison squattée à Dili. À la recherche d’autres jobs, son salaire mensuel pour un mi-temps dans l’enseignement ne représente que 50 dollars ce qui est loin d’être suffisant. Une économie dollarisée et libéralisée, combinée avec la spirale inflationniste de l’invasion de l’aide a élevé le coût de la vie au-dessus de la moyenne du salaire timorais. Rien qu’un sac de riz qui dure un mois coûte 15 dollars. Les niveaux de malnutrition dans la capitale sont parmi les plus élevés du pays.
« L’électricité est si chère, près de 15 dollars par mois si nous parvenons à payer », dit Domingos. C’est une augmentation massive par rapport aux quelques dollars que cela coûtait sous l’occupation indonésienne. La plupart ne peuvent pas et ne vont pas payer ce tarif dans un système de recouvrement auprès des usagers et partiellement privatisé.
Le Premier ministre Alkatiri demande au peuple de ne pas « politiser » la crise alimentaire, un conseil courageusement ignoré par Abilio dos Santos, un fonctionnaire gouvernemental de l’office de gestion des catastrophes, qui pointe du doigt le responsable comme étant son employeur : « Le gouvernement est-timorais a négligé la famine ». Il a raison d’une certaine manière. Pour cette année fiscale, le gouvernement du Fretilin (Frente Revolucionária de Timor-Leste Independente) n’a prévu pour le ministère de l’Agriculture qu’un montant d’1,5 million de dollars, un montant misérable lorsque l’on considère que 85 % de la population tire son revenu de l’agriculture.
Il y a un fossé radical avec 1975 où le même parti protestait contre la famine avec une méfiance anti-coloniale : « Nous sommes un pays de paysans mais cependant notre peuple est affamé ». Trente ans plus tard, cette question est encore posée mais au lieu de chants révolutionnaires, le Fretilin est obligé de chanter l’air des donateurs. Et s’il s’y refuse ? Pour le dire clairement selon un mémorandum du Congrès américain sur les activités au Timor, « il paraît probable que les niveaux d’aide vont décliner si le gouvernement est-timorais poursuit des politiques économiques ou budgétaires qui sont inacceptables pour les donateurs ».
Comme les Indonésiens et les Portugais avant eux, les donateurs dictent les politiques agricoles. « La plupart de l’aide se concentre dans le secteur rizicole », dit Ego Lemos, porte-parole de l’organisation pour un développement agricole durable HASATIL. Par exemple, environ 18 millions de dollars ont été dépensés pour la réhabilitation des réseaux d’irrigation de 1999 à 2006. Mais les augmentations dans la production ont été modestes. Peu de producteurs plantent une seconde récolte dans une terre sèche alors que des inondations amènent l’irrigation à détruire les sédiments. En fait, le riz n’a jamais été une production typique du Timor et ce n’est que durant l’occupation indonésienne que celle-ci a commencée. « Durant ces 24 ans, nous avons dû manger du riz », dit Ego, qui se lamente que les donateurs internationaux ont poursuivi cette tendance en négligeant les céréales plus appropriées aux hautes terres comme le maïs.
Et qu’en est-il de l’arrivée de l’investissement direct étranger et du secteur privé prophétisée par les donateurs ?
« Avec des coûts de lancement de 30 % supérieurs et des coûts de maintenance de 50 % supérieurs au reste de la région, il n’y a pas trop de zones d’investissement dans ce pays », a répondu un des conseillers du gouvernement pour l’investissement. « Notre unité de traitement de poulets près de Dili a été obligée de fermer à cause des poulets importés qui sont vendus à la moitié du prix de la production locale ».
Pendant ce temps, l’économie est en forte récession et le chômage en expansion avec 15.000 personnes qui intègrent le marché de l’emploi chaque année. Même le FMI a reconnu lors d'une réunion des donateurs que ces pressions « renforcent et étendent la pauvreté et un chômage sérieux ». La crise sévère qui touche le pays le plus pauvre d’Asie devrait être visible aux yeux de tous. En effet, les donateurs se demandent pourquoi les producteurs timorais et les travailleurs ne se transforment pas en des petits capitalistes productifs comme leurs livres leur disent.
Les salaires locaux sont trop élevés, dit le Fonds monétaire dans son dernier rapport, félicitant le gouvernement de résister « à l’introduction de mesures populistes » comme un salaire minimum. (La Banque mondiale a dirigé par exemple une mesure forçant Chubb security à réduire les salaires des gardes de sécurité de la Banque de 134 à 88 dollars mensuels).
Ils ne sont pas assez ambitieux dit un rapport sur le commerce commandité par les donateurs, recommandant la création d’un institut de formation « pour les jeunes entrepreneurs à bas revenus ».
Ils doivent oublier le riz et les poulets et se diversifier « dans des produits qui se vendent bien pour dynamiser le marché » (« market dynamic commodities »), conseille l’USAID et la Banque mondiale. Mais pour Ego, cette logique ne tient pas compte de la réalité.
« Avec cette politique, chaque producteur doit cultiver des cultures d’exportation comme par exemple de la vanille, du café et ainsi de suite mais on ne cherche pas à savoir si les gens ont assez à manger ? », dit Ego. Même si une poignée de producteurs peut produire des produits superflus destinés aux consommateurs occidentaux capricieux, le reste du pays continuera à souffrir ou même à disparaître comme ces 53 hommes, femmes et enfants de Hatabuiliko. Dans le régime du libre-échange, le Timor est juste une minuscule moitié d’île d’une humanité superflue.
Est-ce que c’est si offensif pour un pays aussi pauvre que le Timor d’être autorisé à adopter des politiques qui soutiennent et protègent 85 % de la population ? Pour soulager les profondes cicatrices de l’époque coloniale, « le gouvernement devrait subsidier les pauvres des zones rurales par des investissements dans des infrastructures de base », dit Maria « Lita » Sarmento de l’organisation locale pour la réforme agraire et la résolution des conflits Kdadalak Sulimutuk Institute (KSI) (signifiant « les courants se rejoignent »). Nous n’avons pas besoin de technologies coûteuses. Nous avons juste besoin de soutenir nos systèmes traditionnels, dit-elle.
Ego a la tête pleine d’idées alternatives pour l’agriculture, plusieurs d’entre elles tirant leur source d’inspiration de la foire agricole Expo populaire organisée chaque année par les paysans.
« Nous devons bloquer les importations de nourriture que nous pouvons produire ici », dit Ego. Mais est-ce que les gens ne risqueront pas de mourir de faim ? Cet argument est un non-sens, répond Ego. « Nous avons les moyens de nous nourrir mais nous avons besoin de politiques et d’aides correctes. En temps de crise, les gens comptent sur l’igname, les bananes, le taro et ainsi de suite. Nous devons développer nos sources naturelles de nourriture et non pas développer une dépendance vis-à-vis de l’aide alimentaire, des semences hybrides et des fertilisants chimiques qu’ils déversent chez nous ».
La tragédie de la famine au Timor est que la volonté de fournir la maigre aide dont Lita et Ego parlent, pour ne rien dire des années de lutte et de solidarité internationale, a été anéantie dans l’architecture politique de la Banque mondiale. L’autre barrière est le gouvernement australien qui réclame 30 des 38 milliards de dollars des ressources en pétrole et en gaz de la mer du Timor. Ce revenu, qui appartient selon le droit international au Timor oriental empêcherait la famine.
Cependant, le travail de Timorais comme Lita et Ego montre que le mouvement indépendantiste est en train de peindre de nouveaux slogans sur de vieux drapeaux : porter l’idée de la souveraineté en dehors des bâtiments du parlement, dans les champs et les forêts, comme une tentative des Timorais pour regagner le contrôle sur leurs systèmes de production alimentaire.
Hatabuiliko se trouve juché au sommet du Mont Ramelau, la plus haute montagne du Timor oriental. Du sommet, vous pouvez voir pratiquement toute cette petite et magnifique île : une chaîne de montagnes d’à peine 90 kilomètres de large fichée dans l’océan. Depuis octobre, les gens meurent dans ce village, à à peine 100 kilomètres par des routes de montagne sinueuses de la capitale.
Depuis octobre, des dizaines de membres de l’élite de l’aide internationale sont passés par le village dans leur pèlerinage touristique avant de stationner leur 4x4 de l’autre côté pour commencer l’ascension. Beaucoup auraient loué les services d’un guide à partir d’Hatabuiliko. Pourquoi aucun d’entre eux n’a-t-il rien remarqué ? Est-ce que la déconnexion entre les donateurs et la réalité timoraise est si totale que ceux qui meurent de faim deviennent une partie invisible du paysage.
En 2004, j’ai passé une nuit froide dans une église à Hatabuiliko. Je ne sais pas qui parmi les gens avec qui j’ai partagé un repas et quelques heures heureuses sont morts. Ceux qui sont encore en vie doivent se demander pourquoi leur cauchemar continue.4
La crise de 2006
Le 22 juin 2006, le président Xanana Gusmão, annonce que le lendemain il présentera sa démission au Parlement en raison de la « honte » qu'il éprouve face à la détérioration de la situation dans le pays.
Le pays se trouve dans le chaos depuis mai 2006 en raison de la décision du Premier ministre Marí Alkatiri de licencier 600 soldats, soit presque la moitié de l'armée, qui se plaignaient de discriminations ethniques. Le 25 juin, deux ministres du gouvernement d'Alkatiri démissionnent, Xanana Gusmão menace lui aussi de démissionner si le Premier ministre ne s'en va pas. Le parti Fretilin au pouvoir ne demande pas la démission d'Alkatiri, mais ce dernier quitte toutefois ses fonctions le 26 juin.
Xanana Gusmão nomme alors à la tête du gouvernement José Ramos-Horta, prix Nobel de la Paix en 1996, qui entre en fonction le 10 juillet.5
Une situation politique et sécuritaire fragile
Le président Ramos-Horta et son Premier ministre ont été la cible le 11 février 2008 d'un double attentat : le premier a été blessé par balle et le second a réchappé à une embuscade. Des militaires mutins, emmenés par Alfredo Reinado, un officier déchu ayant pris le maquis en 2006, ont donné l'assaut de sa résidence à Dili. José Ramos-Horta a été touché par au moins une balle à l'abdomen. Il a été opéré d'urgence par une équipe médicale australienne et se trouve dans un état stationnaire. Alfredo Reinado a été tué par la sécurité.
Ramos-Horta est rentré d'Australie, où il était hospitalisé le 17 avril 2008 après deux mois d'absence où il fut remplacé à la tête de l'État.6
« Le poids politique des anciens guérilleros de la guerre d'indépendance demeure important, comme le montre l'élection présidentielle de 2012. Candidat indépendant pour un second mandat, José Ramos-Horta est éliminé lors du premier tour, face au candidat et président du Fretilin, Francisco Guterres, ancien combattant indépendantiste, et au candidat indépendant soutenu par le CNRT du Premier ministre, le général José Maria de Vasconcelos. Ce dernier, ancien chef des Falintil surnommé Taur Matan Ruak (nom de guerre signifiant « Deux yeux perçants ») a dirigé l'armée jusqu'en 2011. Vainqueur au second tour avec 61,2 % des suffrages contre 38,8 % à son adversaire, Taur Matan Ruak entre en fonctions le 20 mai.7
Sources