La Lettonie

 

 

Origines

La région accueille ses premiers occupants dès la fin de la dernière ère glaciaire. Les peuples baltes qui arrivent vers 3000 av. J.-C., et vers 800 av. J.-C., se structurent en plusieurs tribus : Coures, Latgaliens, Séloniens, Sémigaliens.

 

Moyen Âge

À partir du VIIIe siècle, les occupants de l'aire correspondant à la Lettonie forment cinq tribus. Les Lives, seul reliquat de la première vague de peuplement, qui donneront plus tard son nom à la Livonie, occupent la côte et les vallées des fleuves Gauja et Daugava. Ils sont progressivement assimilés par les autres peuples baltes et il ne subsiste plus aujourd'hui qu'une douzaine de villages lives et quelques dizaines de locuteurs. Les Coures sont installés dans l'ouest de la Lettonie, les Latgaliens dans l'est et le nord de la Daugava, les Séloniens sur la rive gauche de la Daugava et les Sémigaliens dans le bassin de la Lielupe.

Depuis le début de l'ère chrétienne, le territoire de la Lettonie est un carrefour commercial sur la route des Varègues aux Grecs. Cette route mentionnée dans les anciennes chroniques s'étend de la Scandinavie jusqu'à l'Empire byzantin et passe par la Lettonie en empruntant la Daugava pour déboucher dans l'ancienne Russie. Une autre route commerciale célèbre est la route de l'ambre, la côte de la mer Baltique étant réputée pour son ambre. Jusqu'au Moyen Âge, l'ambre a une plus grande valeur que l'or dans certaines régions.

Il n'existait pas vraiment d'organisation politique à grande échelle et il faut attendre le Xe siècle pour voir apparaître des rassemblements de tribus. Elles sont alors au nombre de quatre : Les Latgaliens (ou Lettes), les plus avancés au niveau socio-culturel et les plus nombreux. Ils donneront leur nom à la Lettonie. Les Séloniens, connus pour leur agriculture. Les Sémigaliens, aussi reconnus pour l'agriculture. Enfin, les Coures étaient connus pour être de fiers guerriers, de bons marins mais aussi de redoutables pirates. Ils étaient surnommé les vikings baltes en raison de leur mode de vie plus guerrier qui induit des pillages et la rafle notamment dans le Courlande.

 

Les croisades baltes

Au XIIe siècle, un mouvement de migration parti de l'Allemagne moyenne en forte croissance démographique va peupler les côtes de la Baltique jusque-là occupées de manière clairsemée par les Wendes, une peuplade slave. Plusieurs villes sont fondées sur la côte dont Lübeck en 1143. En 1161 les marchands allemand qui font partie de ce mouvement migratoire fondent la Hanse, un réseau d'entraide qui vise à protéger le commerce en mer du Nord et en mer Baltique. Désormais, les marchands allemands concurrencent les Scandinaves sur la route commerciale qui mène au territoire russe et emprunte la Daugava. Mais les marchands de la Hanse souhaitent sécuriser la rive sud est de la Baltique et le cours de la Daugava occupées par les populations païennes qui n'hésitent pas à attaquer les convois même lorsqu'ils sont protégés.

Le XIIe siècle est en Europe la période des croisades qui visent à convertir à la foi chrétienne les peuples païens si besoin par la force des armes. Coincée entre la Scandinavie catholique et la Russie orthodoxe, les régions bordant la côte sud de la mer Baltique, de la Prusse à l'Estonie, constituent à l'époque les dernières contrées païennes sur le continent européen. Des missions de conversion étaient parties de Scandinavie aux XIe et XIIe siècles pour ces régions sans rencontrer de succès. Intérêt commercial et esprit de croisade vont converger pour déclencher un mouvement qui aboutira à la colonisation germanique des pays baltes : le mouvement migratoire allemand se heurte bientôt aux peuplades païennes qui vivent plus à l'est en Lituanie. Les chevaliers du Saint-Empire romain germanique, à la recherche d'une terre de croisade car ils sont marginalisés en Terre sainte, vont jeter leur dévolu sur ce dernier territoire païen.

 

Les croisades

En 1186, un religieux allemand du nom de Meinhard de Holstein, crée une première implantation appelée Üxhüll (aujourd'hui Ikšķile en Lettonie) sur la Daugava et fonde un évêché sur le territoire des Lives, un peuple païen qui occupe alors une partie de zone côtière de la Lettonie actuelle. La région est baptisée par les envahisseurs Livonie (Livland en allemand pays des Lives) bien que cette population n'en occupe qu'une faible partie. L'entreprise de conversion après un succès initial se heurte bientôt à des résistances car les Baltes sont très attachés à leurs croyances païennes : ils vénèrent des chênes sacrés et pratiquent le culte de nombreuses divinités comme Pērkons, Laima, Auseklis ou Māra. Devant cet échec, le pape Célestin III lance en 1193 la première croisade afin d'y imposer le christianisme par la force. Mais Bertold, qui commande l'expédition est tué peu après son arrivée dans la région en 1198. Le pape Innocent III relance la croisade et consacre un nouvel évêque à qui des moyens importants sont donnés.

 

Albert de Buxhövden, qui commande une flotte de 23 bateaux, arrive sur les côtes lives en 1200. Il prend en otage les fils des chefs lives. En 1201 il fonde Riga au confluent de la Daugava avec la Ridzen. Pour poursuivre la croisade, Albert a besoin d'une force militaire permanente (jusque-là les croisés arrivaient au printemps et repartaient à l'automne). Il fait créer par son adjoint Théodoric avec l'accord du pape, l'ordre de la Fraternité de la milice du christ dont les membres appelés Chevaliers Porte-Glaive s'engagent à faire triompher la foi chrétienne en terre païenne. Les chevaliers qui ont fait vœu de chasteté et de pauvreté administrent les terres qu'ils conquièrent et perçoivent l'impôt de l'Église.

 

La confédération livonienne

Durant les trois siècles suivants, les chevaliers porte-glaives continuent de poursuivre leur croisade contre les Lituaniens païens, mais également contre les Russes orthodoxes, donc schismatiques. Mais leurs effectifs limités (quelques centaines de chevaliers) ne leur permettent de vaincre des États qui gagnent progressivement en puissance durant cette période.

À l'issue de la conquête, la société de la confédération livonienne se structure en deux classes bien distinctes ; cette caractéristique, relativement commune en Europe au Moyen Âge, perdure jusqu'au XIXe siècle dans la région. La minorité germanophone (Deutschen, c'est-à-dire les Allemands) est concentrée dans les villes et forme l'élite politique, militaire, commerciale et religieuse. Les « indigènes » (Undeutschen, c'est-à-dire les non-Allemands) forment la paysannerie et les classes sociales inférieures des villes. Un courant d'émigration constant venu d'Allemagne vient grossir les effectifs de commerçants et d'artisans installés dans les cités, mais la campagne, aux terres trop pauvres, est laissée aux indigènes qui préserveront ainsi leur langue et leur culture

En 1280, Riga entre dans la Ligue hanséatique et commence à prospérer grâce au commerce de marchandises provenant de Russie. Plus tard, Cēsis, Limbaži, Koknese et Valmiera entrent à leur tour dans la Hanse. Le commerce se développe ainsi fortement durant cette période.

L'absence d'autorité centrale au sein de la confédération livonienne entraîne de nombreux conflits au cours des XIIIe et XIVe siècles entre les princes-évêques, qui détiennent une partie du territoire et disposent de leur propre réseau de forteresses, et l'ordre de Livonie sans qu'aucune des parties n'arrive à l'emporter. Les chevaliers porte-glaives atteignent le faîte de leur puissance en 1345, lorsque le roi du Danemark Valdemar III, qui fait face à une guerre civile, lui vend la province d'Estlande et la ville de Nerva. Mais à la suite de la défaite de Tannenberg, l'ordre, affaibli, doit accepter la mise en place d'une forme de pouvoir central en 1421 : la diète de Livonie, qui se réunit environ une fois par an, doit permettre d'aplanir les conflits entre ses membres qui représentent les évêchés, les villes et l'ordre. La mise en place de cette institution n'empêche pas les conflits de se poursuivre et une semi-anarchie de se perpétuer sur le territoire de la Livonie.

 

Constitution d'une caste féodale

Les évêques disposent d'un pouvoir temporel qui s'étend à près de la moitié des terres conquises. Pour défendre celles-ci, les évêques confient à des vassaux des parties de leur diocèse pouvant compter plusieurs milliers d'habitants avec la mission de percevoir les impôts et lever des troupes parmi la population en cas de guerre. Ces vassaux ont le droit de haute et basse justice sur les habitants.

 

La dégradation de la condition paysanne

La condition du paysan balte se dégrade progressivement au cours des trois siècles qui suivent les croisades. À l'issue de la conquête, les paysans sont restés propriétaires de leurs terres. Les chevaliers de l'ordre et les vassaux des évêques se contentent initialement de collecter un impôt en nature sur les terres conquises et de stocker le produit dans des dépôts autour desquels s'agglomèrent bientôt un marché puis des habitations formant un village prenant en général le nom allemand du seigneur du lieu. Ces propriétaires cherchent progressivement à tirer le maximum de profit de leurs possessions : ils agrandissent leur domaine en rachetant des terres en échange de réductions d'impôt ou contre de l'argent, ou encore en mettant en culture des zones en friche. Initialement la propriété d'un domaine n'est pas héréditaire : en 1397 Konrad von Jungingen obtient pour la première fois le droit de transmettre son domaine à ses héritiers. Tous les vassaux de l'évêque de Riga bénéficient de ce privilège à compter de 1457 et celui-ci se généralise par la suite à l'ensemble des féodaux. Les corvées, qui ne représentent initialement que quelques semaines par an au service de la collectivité, sont progressivement allongées au bénéfice des seigneurs. Là où les corvées sont les plus lourdes, les paysans abandonnent leurs fermes pour s'installer en ville ou chez un maître moins exigeant. Les féodaux tentent de limiter cette désertion en consentant aux paysans des prêts durant leurs difficultés passagères qui permettent ensuite de les poursuivre en cas de fuite. Un accord est ainsi passé en 1422 entre l'ordre de Livonie et le prince de Lituanie en vertu duquel tout paysan débiteur en fuite doit être restitué à son créancier sauf si ses dettes sont payées. Cet accord n'est pas jugé assez favorable et par la suite tout paysan fuyant son domaine est considéré comme criminel et rendu à son maître. Le paysan autrefois libre est devenu un serf : en 1495, pour la première fois, un propriétaire vend un paysan et sa famille.1

 

Le démantèlement de la Livonie (1558-1561)

« Jusqu'en 1561, la Lettonie reste soumise a l'ordre Teutonique (dans lequel l'ordre des chevaliers Porte-Glaive a été intégrée), qui scinde alors le pays en deux : la Livonie devient partie intégrante de la Lituanie et la Courlande forme un duché donné au dernier grand maître de l'ordre livonien, Gotthard Kettler, mais sous suzeraineté polonaise. La Suède s'empare du pays (prise de Riga, 1621), qui passe à la religion luthérienne. »2

 

L'ère suédoise (1595-1710)

La population, victime de ces conflits quasi permanents ainsi que de la famine et des épidémies qui les accompagnent, compte de nouveau moins de 150 000 habitants vers 1640. La reprise démographique est rapide et vers 1690, on dénombre entre 350 000 et 400 000 habitants sur le territoire de l'Estonie soit 10 % de la population du royaume de Suède. Cet accroissement de la population est en partie lié à l'arrivée d'immigrants qui viennent repeupler les territoires vidés par les différents conflits et répondent ainsi parfois à l'appel des autorités : ils viennent de Finlande, Russie, Courlande et Lituanie. En général, les nouveaux venus finissent par se fondre dans la paysannerie estonienne.

 

Le nouveau pouvoir des barons baltes

Le pouvoir de la classe dominante germanophone descendante de l'ordre de Livonie sort fortement renforcée de cette série de conflits. Ceux qu'on appelle désormais les barons baltes, reçoivent la récompense de leur soutien à la Suède avec des variantes selon les régions administratives : très favorable en Estlande qui s'est rallié très tôt à la couronne suédoise, un peu moins à Saarema ou les terres confisquées sont en partie conservées par la couronne suédoise et en Livlande intégrée plus tardivement.

 

Dégradation de la condition des paysans et stagnation des villes

Malgré l'absence d'évolution des pratiques agricoles, les provinces baltes contribuent à approvisionner Stockholm, ce qui leur vaut le surnom de « grenier de la Suède ». Le nombre des mõisad, ces grands propriétaires terriens généralement germanophones, atteint le millier sur le territoire de l'Estonie et grâce aux pouvoirs accrus accordés à la noblesse balte, ceux-ci s'approprient de nouvelles terres agricoles en expulsant ou asservissant les paysans jusque-là propriétaires. La concentration des terres entraîne la disparition de villages et aboutit à un habitat rural dispersé. Le statut de la majorité des paysans est modifié par des règlements édictés en 1645 en Estlande et en 1671 et 1688 en Livlande : le paysan est désormais un serf attaché à la terre de manière héréditaire qui peut être vendu avec la propriété agricole ; les châtiments corporels se généralisent. La justice seigneuriale s'impose face à une administration suédoise embryonnaire. La fiscalité s'accroît : 50 à 80 % des revenus des paysans reviennent à la noblesse locale et à la couronne. Malgré cette dégradation de la condition paysanne, les révoltes sont de faible ampleur. Le pouvoir suédois va toutefois intervenir à compter des années 1670 pour freiner et inverser cette évolution du statut du paysan.

Les villes des pays baltes ont du mal à se remettre des conflits, mais Riga est la deuxième cité du royaume suédois après Stockholm.

 

Le pays letton dans l'Empire russe (1710-1917)

Au cours du XVIIIe s., la Russie occupe la Livonie (1710).

En 1721, au terme de la Grande Guerre du Nord, le tsar Pierre le Grand s'empare de la ville hanséatique de Rīga et du duché de Livonie suédois (traité de Nystad) afin d'avoir un accès maritime permanent vers l'Europe. Puis la Russie prend possession des provinces restées polonaises au cours du XVIIIe siècle.

La Courlande, annexée par la Russie à la suite du troisième partage de la Pologne (1795), est regroupée avec l'Estlande et la Livonie dans un ensemble baptisé du mot allemand de Baltikum qui est dirigé à compter de 1801 par un gouverneur russe unique installé à Tallinn.

 

Le pouvoir de la noblesse germano-balte confirmé

Les nouveaux dirigeants russes n'introduisent aucun bouleversement dans la région. La noblesse germanophone, qui a accueilli favorablement le changement de suzerain, retrouve la position qu'elle détenait avant les interventions des deux derniers souverains suédois : dès 1710, les privilèges des diètes de Livlande et d'Estlande sont ainsi restaurés et les biens confisqués par la couronne suédoise sont restitués aux germanophones. Par la suite, tous les tsars jusqu'à Alexandre II de Russie confirmeront ces droits et la gestion des provinces sera entièrement confiée aux barons baltes qui en échange feront preuve d'un loyalisme sans faille envers le pouvoir russe. La noblesse lettone fournira par la suite de nombreux serviteurs de rang élevé aux souverains russes qui, depuis Pierre le Grand, s'appuient sur une élite intellectuelle et militaire souvent d'origine germanique.

 

La condition de la paysannerie au XVIIIe siècle

Profitant de l'autonomie accordée par le pouvoir russe, la noblesse germanophone renforce son emprise sur les terres agricoles. Les mõisad contrôlés à près de 90 % par cette petite caste qui rassemble environ 4000 personnes, soit 1 % de la population, détiennent 81 % des terres cultivables en Livlande en 1758 et 95 % en Estlande en 1774. Circonstance aggravante, la part de ces terres exploitées par des fermiers installés de manière permanente diminue au profit de celle travaillée par de simples ouvriers agricoles.

 

Un nouveau train de réformes est engagé par les autorités russes dans les années 1780 supprimant certains particularismes de la région : les barrières douanières entre celle-ci et la Russie sont supprimées, le thaler (monnaie balte) est remplacé par le rouble et les Baltes sont désormais soumis à l’impôt commun, la capitation russe. Les effectifs de l'appareil administratif augmentent fortement et se russifient. Le découpage de la province est remanié et un seul gouverneur, siégeant à Riga, dirige à la fois l'Estlande et la Livonie. Les propriétaires même non nobles peuvent désormais siéger aux diètes et dans les conseils municipaux. Des tribunaux pour les paysans sont créés à côté de tribunaux réservés aux bourgeois et aux nobles. Enfin, une réglementation limite le pouvoir de la noblesse sur ses serfs.

 

L'influence du mouvement piétiste

Au début des années 1700 un mouvement piétiste fondé en Bohême par le comte Nikolaus Ludwig von Zinzendorf, la prédication des frères moraves, s'implante dans les pays baltes. Ce mouvement religieux issu du luthéranisme met l'accent sur l'approfondissement de la spiritualité personnelle. Il se répand d'autant plus facilement que l'empire russe se désintéresse des croyances religieuses de ses sujets non orthodoxes et que la hiérarchie religieuse luthérienne ne s'est pas relevée de la disparition de sa tutelle suédoise. Entre 1710 et 1740 le mouvement piétiste prend le contrôle de l'ensemble des paroisses religieuses du nord de la Lettonie. Le piétisme impose la lecture de la Bible au moins une fois par an. Cette nouvelle pratique nécessite donc la maîtrise de la lecture par les paroissiens. Pour pallier l'absence de système d'enseignement du letton, l'apprentissage de celui-ci se fait à la maison sous la conduite de parents instruits. Ce système donne des résultats remarquables. En 1743 la diète de Livlande interdit la prédication morave qui menace par son égalitarisme l'ordre établi. L'interdiction est levée en 1764 mais entretemps le mouvement religieux, en proie à des dissensions internes, s'est affaibli. Toutefois l'influence de son enseignement persiste comme l'égalitarisme qui permettra l'implantation rapide des idées démocratiques, le puritanisme ainsi que l'habitude de chanter dans des chorales.

 

L'abolition du servage et les mutations agricoles (1819-1861)

Les idées de la Révolution française de 1789 impulsent partout en Europe un vent de réformes. Dans les régions baltes leur effet se conjugue avec la montée sur le trône russe en 1801 d'Alexandre Ier de Russie un souverain plus ouvert que son prédécesseur. Les premiers changements apparaissent en Estlande au début du siècles mais les textes libérant la paysannerie du servage ne sont adoptés qu'en 1819 pour la Livonie, en 1817 pour la Courlande et la Zemgale mais seulement en 1861 en Latgale qui fait à l'époque partie de la Russie. Ces lois instituent des assemblées paysannes au niveau des vallads élues par la petite minorité de paysans qui a pu accéder à la propriété ; l'assemblée est chargée de régir les relations de l'ensemble de la communauté paysanne avec la noblesse foncière (contrats de fermage) et avec l'État (impôt, conscription militaire) ainsi que de gérer notamment l'école et l'assistance aux démunis. Ces lois mettent fin à un rapport féodal entre grands propriétaires terriens et paysans lettons et permettent également à ces derniers de porter un patronyme. Une période de transition d'une dizaine d'années est prévue et c'est seulement vers 1830 que les paysans obtiennent le droit de quitter la terre qu'ils travaillent pour s'installer ailleurs. La noblesse terrienne conserve un pouvoir important : c'est elle qui convoque les assemblées, en contrôle les comptes et elle peut continuer à appliquer des châtiments corporels en cas de non-respect des contrats. Une réforme agraire, définie par des représentants de la noblesse terrienne libérale et des représentants du tsar, est promulguée en 1849 et appliquée entre 1856 et 1865 : elle permet aux paysans de racheter les terres qu'ils cultivent mais peu en profitent car les conditions sont peu avantageuses.

 

L'agriculture lettone traverse une période difficile. La chute des cours des céréales dans les années 1820 ainsi que la perte du monopole des pays baltes sur la production de la vodka entraîne une reconversion partielle dans l'élevage de moutons pour la production de laine qui est ensuite filée dans les manufactures construites à Riga et à Tartu mais la concurrence du coton américain met fin vers 1850 à cette diversification. La culture de la pomme de terre se généralise d'abord pour l'alimentation du bétail puis pour celle de l'homme et enfin comme matière première pour la production de vodka. La mécanisation croissante et l'utilisation d'engrais, pousse vers les villes et surtout Riga les paysans sans terre qui ne trouvent plus de de travail. Le phénomène est accéléré par une série de mauvaises récoltes dans les années 1840 qui entraîne la perte d'une grande partie du bétail et un début de famine.

 

La Révolution de 1905

La Révolution russe de 1905 éclate pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905, dans un contexte de démoralisation militaire et de crise économique et sociale. Son déclenchement (Dimanche rouge (1905)) est suivi de mouvements de grèves et de manifestations en pays letton analogues à ce qui se passe au même moment dans le reste de l'empire. Le terrain est particulièrement favorable à Riga, devenu troisième centre industriel de Russie et qui rassemble un prolétariat important. Une grève générale est décrétée le 12 janvier dans la ville par des groupes révolutionnaires. Le 13 janvier, la troupe tsariste tire sur une manifestation qui s'y déroule faisant 73 morts et 200 blessés. Quelques jours plus tard, Nicolas II tente de calmer les esprits en autorisant la liberté de réunion et la soumission de propositions de réforme. Durant les deux mois suivants, le gouvernement russe abandonne la politique de répression et de censure. Mais les violences gagnent les campagnes. Les paysans s'en prennent aux propriétés de la noblesse, en saccageant les bâtiments et en détruisant les récoltes. Les grands propriétaires, en réponse, créent des armées privées pour défendre leur domaine. Le 12 octobre, une grève générale est de nouveau décrétée à Riga. L'empereur, qui doit faire face à des troubles similaires sur tout le territoire de l'empire, promet par un rescrit du 17 octobre d'organiser sur le territoire de l'empire russe, y compris les pays baltes, des élections au suffrage universel et autorise les partis politiques. Le parti social-démocrate letton, devenu légal, organise un congrès qui rassemble 1000 délégués qui débattent des mesures d'autonomie. Mais le tsar se lasse de l'agitation qui continue malgré ses engagements. Le 10 décembre 1905, il décrète la loi martiale sur l'ensemble des pays baltes. En réaction, des milices populaires menées par des bolchéviks venues souvent de la capitale attaquent les petites garnisons, les propriétés des Germano-baltes, les administrations et les banques. La répression des troupes tsaristes renforcées par les milices privées est particulièrement brutale : plus de 3000 personnes sont exécutées sans jugement et un nombre encore plus important est condamné à des peines de prison, de travaux forcés ou exilé en Sibérie. La répression est particulièrement forte en Livonie et en Courlande. Les premières élections à la Douma qui ont lieu en 1906 permettent aux Lettons de faire leur premier pas dans l'arène politique. Mais plus de 5 000 Lettons fuient l'oppression tsariste au cours des années suivantes : ils forment le noyau de la diaspora lettone.3

 

Les tentatives d'indépendance

« Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands s'emparent successivement de la Courlande (1915), de Riga (1917) et de la Livonie (1918).

Après la défaite allemande, un Conseil national proclame le 18 novembre 1918 l'indépendance de la Lettonie. Les Soviétiques attaquent, prennent Riga et établissent un gouvernement communiste, pendant que le gouvernement du Premier ministre Karlis Ulmanis se réfugie à Liepaja sous la protection des forces navales britanniques. Les corps francs allemands du général von der Goltz reprennent Riga en mai 1919 et y installent un gouvernement pro-allemand. En juillet 1919, Ulmanis, avec l'aide des Alliés, reprend Riga. En 1920, la Lettonie est complètement évacuée et les Soviétiques reconnaissent son indépendance au traité de Riga (11 août). »4

 

 

La République de Lettonie (1918-1940)

 

La mise en place des institutions

Les puissances alliées étaient réticentes à reconnaître les États baltes car cela pouvait être une source d'obstacles à la restauration d'un État russe après le départ espéré des bolcheviques et la viabilité de ces nations leur semblait douteuse. Elles reconnaissent néanmoins de jure la Lettonie le 26 janvier 1921 et acceptent en septembre 1921 son entrée à la Société des Nations. Le nouvel état organise l'élection d'une assemblée constituante au suffrage universel proportionnel direct dès que le territoire a été libéré de ses différents occupants. L'assemblée s'attelle immédiatement à la définition de la constitution et au dossier de la réforme agraire.5

 

La réforme agraire

La réforme agraire est avec la constitution lettone, le dossier le plus attendu par les Lettons. En 1897, près de 50 % des terres agricoles sont entre les mains de grands propriétaires généralement germano-baltes mais également parfois russes, polonais et même lettons. Les sans terres représentent alors 61,2 % de la population rurale. Les événements qui se sont succédé depuis le déclenchement de la Première Guerre mondiale ont entraîné la fuite de la majorité des grands propriétaires et leurs exploitations ont souvent été envahies par les paysans les plus démunis ou des ouvriers sans emploi qui tentent un retour vers la terre. Le gouvernement est mis sous pression par le parti des bolcheviques qui réclame la collectivisation des terres. La loi de septembre 1920 nationalise toutes les propriétés de plus de 110 hectares. Les terres récupérées, soit environ 3 millions d'hectares, sont revendues à bas prix (de 10 à 20 lats l'hectare selon la qualité de la terre), aux paysans sans terre, aux anciens combattants décorés, aux familles des victimes de la guerre et aux soldats. Des crédits assortis de conditions favorables sont consentis aux nouveaux propriétaires pour l'achat des terrains, la construction de bâtiments agricoles et l'acquisition d'outillage. Les grands propriétaires conservent une part inaliénable de 110 hectares. Les droits divers que ceux-ci s'étaient octroyés (droit de moulin, chasse, pêche,...) sont abolis. Grâce à ces mesures les paysans sans terre ne représentent plus en 1930 que 23,2 % de la population rurale. La question de l'indemnisation des anciens propriétaires divise l'assemblée constituante : la droite y est favorable tandis que le centre et la gauche n'en veulent pas. Un accord est finalement passé avec l'Allemagne annulant toute demande de réparation pour dommages de guerre en échange de l'absence d'indemnisation des germano-baltes, mais cet accord n'est finalement pas ratifié par la République de Weimar. Les germano-baltes adressent une demande d'indemnisation à la Société des Nations en 1924 mais sont déboutés.6

 

Vie politique d'entre-deux guerres

La Grande Dépression (1929) frappe la Lettonie comme le reste du monde au début des années 1930. La crise économique et l'inefficacité apparente du régime, paralysé par les querelles de personnes, la multiplication des partis et la fragilité des coalitions, favorise le mécontentement des populations. Les partis nationalistes réclament un régime autoritaire, comme celui d'Antanas Smetona dans la Lituanie voisine mis en place en 1926 et qui semble faire preuve d'efficacité face à la crise. Les plus extrémistes créent le Perkonkrusts qui réclame l'exclusivité des postes de responsabilité pour les Lettons de souche et a un programme ouvertement antisémite. L'Union Agraire propose de renforcer le rôle du président : celui-ci doit être élu au suffrage universel et avoir le pouvoir de dissoudre l'assemblée parlementaire. Seule la première proposition est acceptée. Finalement dans la nuit du 15 au 16 mai 1934 le président Ulmanis, avec l'appui du ministre de la guerre, Janis Balodis, et des chefs de la Garde Nationale (Aizsargi) réalise un coup d'État. Il fait arrêter les principaux dirigeants des partis d'opposition, renvoie le parlement, suspend la constitution pour « éviter les désordres dans le pays » et proclame la loi martiale pour 6 mois. Les mouvements de protestation, de faible ampleur, sont réprimés par l'armée sans effusion de sang. Ulmanis constitue un nouveau gouvernement dont il choisit les membres et qui mène une politique d'union nationale avec un retour aux valeurs traditionnelles, la création de corporations. Le régime dont le programme s'apparente à celui de bien des régimes fascistes qui apparaissent partout en Europe à l'époque, ne constitue toutefois pas un régime totalitaire car Ulmanis n'a pas le tempérament d'un dictateur. La majorité de la population accueille favorablement le changement car elle fait confiance à l'intégrité d'Ulmanis. Il gardera le pouvoir jusqu'en 1940.7

 

 

Seconde Guerre mondiale

En 1940, durant la Seconde Guerre mondiale, la Lettonie est d'abord envahie, comme le prévoyaient les clauses secrètes du Pacte germano-soviétique (en même temps que les deux autres pays baltes), par l'URSS. 15 500 Lettons furent déportés par les soviétiques. Seule une minorité survécut au Goulag. Beaucoup de Lettons se réfugièrent dans la campagne ou en formant un « maquis » letton. En 1941, la Lettonie est occupée par l'armée de l'Allemagne nazie, accueillie par une très large majorité de la population (il en sera de même sur tous les territoires soviétiques envahis durant les premières semaines de l'opération Barberousse) en tant que libératrice après le régime de terreur du NKVD. Les maquisards lettons sont alors organisés en milices paysannes pour se défendre contre les partisans des Soviétiques. Une minorité de policiers au service des Allemands se charge directement de faire disparaître les juifs. Environ 15 000 juifs lettons furent tués durant la seconde guerre mondiale, en partie par des unités paramilitaires lettones et par les forces de police lettones. Un petit nombre de Lettons ont pu rejoindre l'Armée rouge.

 

 

La Lettonie soviétique (1945-1991)

À la fin de la guerre, un grand nombre de familles lettones trouvèrent refuge en Suède puis en Allemagne, aux États-Unis, au Canada et en Australie. L'Armée rouge a réoccupé à partir de 1944 la Lettonie, que l'URSS annexa sous le statut de république socialiste soviétique.8

 

La collectivisation de l'agriculture

Les dirigeants soviétiques veulent étendre aux terres lettones la collectivisation des exploitations agricoles qui est de règle en Union Soviétique. À cette fin la taille maximale d’une ferme est fixée à 25 hectares et 6 hectares pour les fermiers suspectés de collaboration passée avec les Allemands. Des contributions en nature et en argent à la limite du supportable sont exigés de pratiquement tous les fermiers. En 1946, 6 000 fermiers qui ne peuvent faire face à cette imposition renoncent à leur exploitation, en 1947 ils sont 10 000 et en 1948 plus de 30 000 sont poursuivis pour non paiement. Les paysans sont encouragés à se regrouper dans des fermes collectives (les kolkhozes) mais malgré ces incitations peu d’entre eux font ce choix. Les autorités soviétiques préparent alors en 1949 la déportation en Sibérie des paysans les plus réticents. Une liste de 10000 « koulaks » est établie : le 25 mars 1949 13 000 familles, femmes et enfants compris, sont arrêtées par la police et la milice et conduits vers des wagons à bestiaux qui les transportent vers leur lointaine destination. Une opération similaire est réalisée au même moment en Estonie. Cette rafle crée un climat de terreur et à la fin de l’année 1950, 226 000 fermiers ont rejoint les exploitations collectives. La productivité agricole chute fortement : le niveau de production d’avant guerre ne se rétablit qu’au début des années 1960.

 

Par ailleurs, les autorités soviétiques conduisent en Lettonie comme dans le reste de l'Union soviétique une politique d'industrialisation à marche forcée dont les plans sont dressés par le organisme de planification soviétique à Moscou : des usines géantes sont créées sur le territoire letton : fibre de verre à Valmiera, fibres chimiques à Daugavpils, matières plastiques à Olaine, tissage à Ogre …

 

La Russification

À la mort de Staline en mars 1953, Beria, héritier potentiel, favorise le développement du nationalisme local : l’enseignement du letton est encouragé et le taux de dirigeants d’origine locale au sein du parti communiste letton augmente. La prise de pouvoir de Khrouchtchev ne remet pas en cause cette orientation. Le vice-président letton Eduard Berklavs et le deuxième secrétaire du parti Vilis Krumins, sont les plus actifs dans cette nouvelle voie. Mettant en avant l’absence de main d’œuvre disponible et des problèmes de logement, l’installation de nouvelles industries lourdes planifiée par Moscou est suspendue. La maîtrise du letton est exigée de tous les résidents permanents au bout de deux ans de présence sur le sol letton. Les dirigeants d’entreprise incompétents doivent être immédiatement remerciés, ce qui vise surtout les non-lettons qui parasitent les entreprises locales.

En 1959, Moscou décide de reprendre en main la direction locale. Les dirigeants les plus engagés dans le national-communisme sont chassés et les mesures prises par ceux-ci sont annulées. En réaction au national-communisme, la russification des peuples allogènes est décidée. Une purge politique et administrative est effectuée : Nikita Khrouchtchev remplace plus de 2 000 Lettons influents par des Russes ou par des « Latovichi » (des Lettons ayant eu une éducation soviétique et ne parlant pas le letton). Après cette purge, le nouveau Premier secrétaire de la République socialiste soviétique de Lettonie, Arvīds Pelše et son successeur Augusts Voss mènent une politique de russification en allant jusqu'à interdire d'entonner des chansons populaires. Le bilinguisme russe/letton est imposé, et toutes les écoles enseignants en d'autres langues sont fermées. Une politique de russification est ainsi menée et de très nombreux obstacles administratifs à l'utilisation de la langue lettone sont créés. La langue lettone perd son statut officiel. L’immigration russe reprend. Le nombre de russophones qui était passé de 168 000 (10,6 %) en 1935 à 556 000 (26,6 %) en 1959 atteindra 906 000 en 1989 soit 34 % de la population. Dans les années 1980 les Lettons ne représentent plus que 30 % de la population des principales villes notamment à Riga.

 

La révolution chantante (1985-1991)

Après les accords d'Helsinki en 1975, signés par l'URSS, qui garantissent théoriquement les libertés fondamentales des citoyens des pays signataires, on observe une reprise prudente du mouvement national letton. En 1978, un appel balte lancé par quelques intellectuels, qui sont immédiatement enfermés dans des asiles psychiatriques, réclame le droit à l'autodétermination. En 1985, Mikhaïl Gorbatchev prend la tête de l'URSS. En rupture avec ses prédécesseurs, il mise sur un programme de transparence (glasnost) pour tenter de reconstruire une économie (perestroïka) soviétique de plus en plus sinistrée. Les mouvements indépendantistes se saisissent rapidement de cette opportunité et on assiste à une renaissance du nationalisme letton. La première revendication concerne le statut de la langue lettone, de plus en plus menacée par le russe. Des organisations politiques contestatrices se créent sous le couvert de la défense de la nature. Elles obtiennent en 1986 l'arrêt des projets de centrale électrique sur la Daugava et de la construction d'un métro à Riga démontrant que Moscou a adopté une position plus ouverte. En 1987, le groupe Helsinki-86 organise une manifestation qui rassemble quelques milliers de personnes aux pieds du Monument de la Liberté pour commémorer les déportations opérées par les soviétiques en 1940. C'est la première manifestation publique contre le régime depuis le début de l'occupation soviétique. Le 23 août de la même année une nouvelle manifestation à la date anniversaire du pacte germano-soviétique rassemble 10 000 personnes sans que les autorités locales ne réagissent. Finalement celles-ci opèrent quelques arrestations tout en mettant en cause les services secrets américains. Mais la contestation prend de l'ampleur. Une manifestation à la date anniversaire de l'indépendance le 18 novembre 1987, qui avait été interdite par le régime, est violemment réprimée.

Au début de l'année 1988 le mouvement de contestation en Lettonie est de plus en plus ouvert. Au cours d'une grande manifestation organisée le 13 juillet 1988 le drapeau de l'indépendance lettone est pour la première fois brandi et la foule entonne l'hymne national. L'histoire nationale, sujet tabou et banni des livres d'histoire, est de nouveau évoquée. De nouveaux partis sont créés : le Front Populaire de Lettonie qui fédère plusieurs mouvements écologiques et nationalistes est fondé le 8 octobre 1988. Les plus radicaux des nationalistes se regroupent au sein du Mouvement d’indépendance nationale de la Lettonie (LNNK) et exigent le retour à l'indépendance en basant leur revendication sur l'illégalité de l'annexion de 1940 vis-à-vis du droit international, la plupart des États n'ayant même pas reconnu cette annexion. Le 11 novembre 1988 une manifestation rassemble à Riga 200 000 personnes soit 10 % de la population du pays. L'Union des écrivains de Lettonie devient un des moteurs des revendications nationales : elle demande la souveraineté nationale au sein de l'URSS, la maîtrise de sa culture et de sa langue ainsi que la liberté de voyager. Le parti communiste letton est divisé sur la conduite à tenir : finalement un consensus se fait sur un régime offrant plus de liberté avec une décentralisation économique à l'image de la position adoptée par le parti communiste estonien. En janvier 1989 des russophones et quelques Lettons, encouragés et aidés par les services secrets russes, créent le Front Internationaliste ou Interfront qui s'oppose aux réformes et veut défendre le régime en place.

Le 23 août 1989, date anniversaire du pacte germano-soviétique, sur une idée lancée par le communiste réformateur estonien Edgar Savisaar, un à deux millions de personnes se donnent la main formant une chaîne humaine quasi continue à travers les trois pays baltes de Tallinn à Vilnius, la voie balte, pour demander l'indépendance de leurs pays. L'événement, qui bénéficie d'une couverture médiatique mondiale, interpelle les dirigeants occidentaux, jusque-là réticents à soutenir le mouvement d'indépendance, et raffermit la résolution des baltes. En Lettonie, quelques personnalités isolées exigent le retour à l'indépendance mais Gorbatchev dénonce une dérive hypernationaliste. Le 9 novembre 1989, c'est la chute du mur de Berlin. Le contenu des clauses secrètes du Pacte germano-soviétique est dévoilé par le Soviet suprême de l'URSS le 24 décembre 1989. Au printemps 1990 pour la première fois des élections véritablement libres ont lieu : le Front Populaire de Lettonie emporte 170 sièges des 220 sièges. Encouragé par ce scrutin, le Soviet suprême de la République socialiste soviétique de Lettonie décide le 4 mai 1990 la restauration de l'indépendance de la Lettonie après une période de transition dont la durée reste à déterminer. Mais Moscou refuse d'être mis devant le fait accompli car la Lettonie constitue un territoire stratégique. Le 20 janvier 1991 les chars russes pénètrent à Riga mais la population descend dans la rue pour protéger les bâtiments publics en dressant des barricades. Plusieurs Lettons sont tués mais les chars sont contraints de se retirer. Un référendum est organisé début mars 1991 pour décider de l'indépendance. Les partisans de l'indépendance l'emportent avec 73,6 % des voix et une participations de 87,6 %. Compte tenu de la composition de la population une bonne partie des russophones, qui font confiance aux nationalistes lettons et aspirent à une société démocratique, y sont favorables. Le coup d'État avorté du 19 août 1991 mené à Moscou par les durs du régime soviétique contre Gorbatchev permet à la Lettonie de franchir le dernier pas : Anatolijs Gorbunovs, président du parlement letton, déclare la fin de la période transitoire et la restauration de la République d'avant guerre et de la constitution de 1922. Le 25 août, la Russie reprend son indépendance et l'Union soviétique est dissoute.

 

La mise en place du nouveau régime

Le choix de la constitution du nouvel État fait l'objet de débats très vifs. Finalement la constitution de 1922 est restaurée tout en maintenant certaines dispositions de la constitution soviétique de 1977. Concession à la mouvance nationaliste la plus dure, seuls les personnes présentes sur le sol letton avant 1940 ou leurs descendants sont autorisées à participer aux élections nationales. Cette disposition exclut la majorité des russophones soit près d'un tiers de la population. Dès les premiers jours de l'indépendance, le parti communiste letton, qui s'est opposé à la mise en place du nouvel État, est interdit et son dirigeant, Alfreds Rubiks, est arrêté. Le départ des troupes russes du sol letton constitue un des premiers objectifs du nouveau gouvernement : à la suite de négociations les derniers soldats évacuent le 31 aout 1994. Les 6 et 7 juin 1993 ont lieu les premières élections libres depuis le début de l'occupation soviétique. Le nouveau président, Guntis Ulmanis, neveu du président de la première république, s'appuie sur une majorité centriste et poursuit la politique pro-occidentale et réformiste de son prédécesseur. Mais des crispations se font sentir, celles-ci se matérialisent aux élections de 1995 par une bipolarisation de la vie politique avec la constitution d'un bloc de partis hyper nationalistes auquel se rattache la moitiés des élus. Néanmoins le nouveau gouvernement rassemble une large coalition dirigée par Andris Skele, président sans affiliation partisane, qui mène une politique de rigueur économique et de rapprochement avec l'Union Européenne. Les privatisations sont menées avec vigueur tandis que l'économie connaît une croissance rapide. Cette politique est poursuivie par le gouvernement issu des élections législatives de 1998. L'économie du pays est durement touchée par la crise financière de la Russie, qui reste à cette époque un partenaire commercial important pour la Lettonie. En juillet 1999 le parlement se choisit une présidente issue de la diaspora lettone Vaira Vīķe-Freiberga.

En 1992, la Lettonie devient membre du FMI et 1994, elle adhère au Partenariat pour la Paix de l'OTAN, ainsi qu'à un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Le 10 décembre 1999, la Lettonie entame des négociations d'adhésion à l'Union européenne, qui s'achèvent le 13 décembre 2002. Le 16 avril 2003, la Lettonie signe le Traité d'adhésion à l'Union. Le 20 juin 2003, Vīķe-Freiberga est réélue présidente de la Lettonie. Le 20 septembre 2003, les Lettons approuvent l'adhésion à l'Union Européenne par référendum à 67 % avec une participation de 72,5 %. Le 2 avril 2004, la Lettonie adhère à l'OTAN et le 1er mai 2004, la Lettonie rejoint l'Union Européenne. Le 31 mai 2007, le parlement élit Valdis Zatlers, président de la république, pour succéder à Vaira Vīķe-Freiberga. Le 21 décembre 2007, la Lettonie entre dans l'espace Schengen.9

 

Passage à l'euro malgré le refus de la population

La Lettonie, élève modèle de l'Union européenne avec ses taux de croissance à faire pâlir ses voisins, à adopter l'euro le 1er janvier 2014 en restant imperturbable face à une opinion publique réticente.

Ce pays balte de 2 millions d'habitants est devenu le 18e membre de la zone euro et le 4e pays ex-communiste de l'Europe centrale et orientale à adopter la monnaie commune après la Slovénie en 2007, la Slovaquie en 2009 et l'Estonie en 2011.

Avec une hausse annuelle de son PIB de plus de 5% en 2011 et 2012, la Lettonie, membre de l'UE depuis 2004, caracolait en tête du bloc des 28 et devait continuer en 2013 avec une croissance de plus de 4 %.

Mais elle a payé le prix fort pour redresser ses finances et se plier aux critères de Maastricht, avec une cure d'austérité drastique pour s'extirper de la plus profonde récession au monde, ayant entraîné une chute de son PIB de près d'un quart en 2008-2009.

Le Premier ministre Valdis Dombrovskis a fait valoir que l'adhésion à l'euro aidera l'économie lettone en facilitant les échanges et en renforçant la confiance des investisseurs.

Mais il peinait à convaincre ses compatriotes qui redoutaient que l'abandon de leur devise nationale, le lats, ne provoque une flambée des prix.

Seulement 20% des Lettons soutenaient le passage à l'euro et 58% y sont opposés, selon les sondages.10

 

La gestion de la « minorité » russophone

En 1989 à la veille de l'indépendance, les Lettons de souche ne représentent que 52 % de la population du pays. Dans la tranche d'age des actifs les plus dynamiques (19 à 44 ans) les autochtotones (les « titulaires ») sont même minoritaires. Les russophones (Russes, Ukrainiens et Biélorusses) représentent alors 41,9 % de la population. Ces derniers sont concentrés dans les villes où ils sont largement majoritaires y compris à Riga dont 37 % des habitants sont de langue maternelle lettone. Une petite fraction de la population russophone, dont l'implantation en Lettonie remonte à un ou plusieurs siècles, est bien intégrée ; mais la majorité, arrivée dans le cadre de l'industrialisation soviétique, a peu de contact avec la population de souche et ne parle pas le letton. Dans les villes le russe est la langue utilisée par défaut y compris par les Lettons qui la maîtrisent généralement bien, même si pour des raisons de réglementation, l'affichage est uniquement en letton. Beaucoup d'entreprises fonctionnent avec un personnel uniquement russophone et ont recours à des traducteurs pour leurs contacts avec les Lettons de souche. Les russophones détiennent les municipalités des grandes villes. Dans les années qui suivent le retour à l'indépendance, la proportion des Lettons a toutefois crû de manière significative puisqu'ils représentent en 2005 58,8 % de la population totale. Cette évolution s'explique par le départ d'un certain nombre de russophones après l'indépendance et, de manière plus marginale, par le retour d'une partie de la diaspora lettone. La Lettonie est par ailleurs confrontée à une émigration vers l'étranger de sa population active très importante (plus de 50 000 personnes pour l'année 2005) et une natalité très faible qui contribue à faire chuter très rapidement la population totale qui est passée de 2,67 à 2,3 millions d'habitants entre 1989 et 2005. Cette baisse inclut toutefois le départ des russophones.

De tous les pays baltes, la Lettonie est celui où le poids de la minorité russophone est le plus important du fait du rôle industriel clé que le pays a joué au temps de l'Union soviétique. Comme l'Estonie, les dirigeants lettons sous la pression des nationalistes les plus extrémistes, ont opté pour une réglementation rendant l'acquisition de la citoyenneté lettone relativement difficile à obtenir : pour devenir citoyen letton, le postulant doit prouver qu'il maîtrise la langue lettone, connaît l'histoire de la Lettonie et maîtrise les principes de base de la Constitution lettone. L'accès à la citoyenneté ne peut se faire que dans des créneaux de date très précis qui sont fonctions de la date de naissance du postulant. Compte tenu de ces critères d'accès, 60 % des russophones ne peuvent accéder à la citoyenneté lettone.11

 

 

Élections législatives de 2014

Lors du scrutin, le Centre de l'harmonie (SC), coalition de centre gauche pro-Russe, vire nettement en tête avec 28,4 % des voix et 31 députés. Unité, formation du Premier ministre Valdis Dombrovskis, se place troisième avec 20 parlementaires et 18,8 % des suffrages, juste derrière le ZRP, qui totalise 20,8 % des voix et 22 mandats. Le score de l'Alliance nationale (NA), coalition nationaliste qui remporte 13,9 % des suffrages et 14 sièges, lui permet de passer devant l'Union des verts et des paysans (ZZS), dernière force à entrer à la Saeima avec un résultat de 12,2 %, soit 13 élus.

Bien que le SC soit le premier parti de l'hémicycle et le ZRP la première formation du centre-droit parlementaire, c'est à Dombrovskis que le chef de l'État confie le soin de constituer une nouvelle majorité. Ce dernier décide de s'associer avec le parti de Zatlers et la ZZS, ce qui lui assure 55 sièges sur 100. Toutefois, à l'ouverture de la législature, 6 parlementaires du ZRP passent chez les indépendants, mais assurent le gouvernement Dombrovskis III de leur soutien.

 

Changement de Premier ministre

Le 27 novembre 2013, six jours après l'effondrement d'un supermarché à Riga, le chef de l'exécutif annonce qu'il démissionne afin d'assumer les responsabilités politiques de cette catastrophe. Unité engage alors un bras de fer avec le président Bērziņš en proposant à la direction du gouvernement le ministre de la Défense Artis Pabriks. Le refus catégorique du chef de l'État amène Unité à choisir la ministre de l'Agriculture Laimdota Straujuma, une technocrate qui adhère au parti à cette occasion. Elle est nommée, avec son gouvernement, le 22 janvier 2014, devenant la première femme Premier ministre de Lettonie. Elle reconduit la coalition de son prédécesseur en y ajoutant la NA, ce qui laisse le SC seul dans l'opposition.

Après que le 27 décembre 2013 le Parti réformateur (RP, nouveau nom du ZRP) a annoncé constituer des listes conjointes avec Unité en vue des prochaines législatives, le Parti social-démocrate « Harmonie » décide le 20 juillet 2014 de se présenter seul lors de ce même scrutin, son allié au sein du SC le Parti socialiste de Lettonie (LSP) faisant le choix de ne pas concourir.12

 

 

Et si la citoyenneté européenne devenait une marchandise ?

Conditionner l’obtention d’un titre de séjour à l’épaisseur du portefeuille et à l’importance du patrimoine, l’idée fait fureur en Europe. De Riga à Amsterdam en passant par Lisbonne et La Valette, des capitales européennes monnayent les permis de séjour sur leur territoire : de 75 000 euros à 2 millions d’euros, pour s’installer tranquillement en Europe ou acquérir une nationalité tant convoitée.

Alors que l’Union Européenne ferme ses portes à des milliers de migrants qui viennent s’échouer sur les côtes de Sicile, certains candidats à l’installation ont trouvé une parade. Pas besoin de maîtriser la langue du pays d’accueil, de faire preuve d’un intérêt particulier pour son histoire et sa culture… Il suffit d’un portefeuille bien garni et d’être prêt à se délester de quelques dizaines de milliers d’euros au profit d’une entreprise ou d’un État.

La Lettonie a été l’un des premiers pays à voir dans son appartenance à l’Union européenne une source de profits potentiels. Depuis 2010, ce petit pays au bord de la mer Baltique est devenue l’une des portes d’entrées dans l’eldorado européen. À Riga, la capitale, loin des plages de Lampedusa et de ses « boat-people », les candidats au permis de séjour débarquent plutôt dans les services lettons de l’immigration avec leur agent immobilier et leur interprète. Russes et Chinois sont majoritaires. Condition sine qua non pour obtenir un permis de séjour : posséder un bien immobilier sur le sol letton – d’une valeur minimale de 150 000 euros dans la capitale, moitié moins en province. Certains, moins nombreux, ont choisi une des autres options offertes : investir dans une entreprise nationale ou placer 300 000 euros dans une banque lettone. À la clef, un permis de séjour de cinq ans, qui peut ensuite devenir permanent.

 

Des immigré, oui, mais fortunés

Pour le gouvernement, cette manne financière doit aider à redresser l’économie nationale, mais également soutenir la démographie. Le pays a perdu en 10 ans plus de 10 % de sa population, en partie à cause d’un solde migratoire négatif. Entre 2010 et 2011, début de mise en service du dispositif, le nombre de permis de séjour a doublé. La première année, 1700 titres de résidence répondant à ces critères d’investissement économique ont été délivrés. De quoi relancer doucement l’immigration – fortunée – vers ce pays. Pour peu que les gens y restent ! Aucune condition de résidence sur le territoire national n’est imposée aux arrivants : en tant que résidents d’un pays de l’Union Européenne et de l’espace Schengen, ils sont libres de se déplacer en Europe. Sous certains critères, ils peuvent même obtenir un droit de séjour dans un autre État membre. Il suffit de prouver qu’ils ont les ressources nécessaires et une assurance maladie, explique Cecilia Malmström, commissaire européenne aux Affaires intérieures.

La Lettonie est loin d’être le seul pays européen à proposer ces nouveaux visas. Combien dans l’Union pratiquent ce marchandage ? Deux ? Cinq ? Une quinzaine ! Hongrie, Portugal, Malte, Pays-Bas… Du nord au sud, des plus touchés par la crise aux plus épargnés. La plupart ont initié cette pratique entre 2010 et 2014, certains y voyant un moyen d’attirer des capitaux neufs, d’autres de redynamiser un marché de l’immobilier durement touché par la crise, comme l’Espagne. Les conditions initiales varient peu d’un pays à l’autre : investissement financier dans l’industrie, aide au rachat de la dette nationale, acquisition d’un bien immobilier... Il s’agit seulement d’être riche.

 

Accueillir les riches et les escrocs

La différence se situe dans les montants imposés et le suivi de ces nouveaux résidents. Aux Pays-Bas, où le système existe depuis octobre 2013, le seuil imposé compte parmi les plus élevés : 1,25 million d’euros placés dans l’économie locale pour obtenir son visa permanent. Quasiment au même niveau que l’Espagne, qui demande deux millions d’euros de rachat de dette publique, depuis septembre 2013. Pour les « plus modestes », la péninsule ibérique octroie également des permis de séjour pour un investissement immobilier de 500 000 euros. De son côté, Chypre propose depuis 2012 des permis de séjour pour l’achat d’un bien pour 300 000 euros, mais exige que les candidats aient un casier judiciaire vierge, pour se prémunir de mauvaises surprises.

 

De l'Irlande à Malte : comment s'acheter le droit de vivre en Europe ?

Vérifier qui sont les nouveaux arrivants : une condition que le Portugal aurait peut être dû mettre en place, lorsqu’il a lancé son dispositif en 2012. Dans ce pays très touché par la crise, avec l’aval de la Troïka (Commission européenne, banque centrale européenne et FMI), le gouvernement portugais de Pedro Passos Coelho (centre-droit) décide de créer à son tour un « permis de séjour pour activité d’investissement ». Des permis surnommés dans le pays « vistos dourados », les visas dorés. Les candidats ont le choix entre un achat immobilier d’au moins 500 000 euros, le transfert d’un million d’euros minimum, ou la création de 10 emplois. En 2014, depuis sa mise en place, le Portugal aurait délivré 772 permis selon les chiffres officiels, dont 612 à destination de Chinois. Parmi eux, Xiadong Wang, installé depuis 2013 à Cascais, cité cossue située aux portes de Lisbonne.

En mars 2014, ce citoyen chinois est arrêté par les autorités portugaises. Comme le révèle le journal local, Diario de Noticias, l’homme est recherché en Chine pour fraude fiscale. Il y encourt une peine de 10 ans de prison. Son pays d’origine ne l’avait pas signalé. L’entrée de son nom dans la base de donnée d’Interpol en janvier 2014 a été le déclencheur. Pour les autorités portugaises, son arrestation est la preuve que le gouvernement et la police des frontières ont fait leur travail. Mais sur le site internet de Diario de Noticias, plusieurs internautes s’insurgent. « Ce gouvernement est incompétent. Ils vendent le pays au rabais, en font un dépotoir à ciel ouvert où les [escrocs] viennent laver leur argent sale », peut-on lire. Plus loin, une autre personne n’hésite pas à dire « ce gouvernement [et son dispositif] font la honte des Portugais. » L’affaire a choqué, relançant la question des motivations de ces riches migrants.

 

Passeurs de riches : un business très rentable

Des entreprises se sont spécialisées dans l’accompagnement de ces migrants fortunés. Comme la société Henley & Partners, décrit un article du Figaro. Basée à Jersey, un paradis fiscal, celle-ci serait le leader mondial du secteur. Sur son site internet, les destinations s’alignent. L’Europe y est largement représentée : Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, ou encore la Suisse et le Royaume-Uni… Pour chaque pays, un programme détaillé des étapes et des conditions à remplir. Un vrai mode d’emploi, auquel s’ajoutent les intérêts propres à chaque contrée. Ici une nature verdoyante et chaleureuse, là des avantages fiscaux pour les résidents, les niches dont il est possible de bénéficier.

La société ne laisse rien au hasard pour que chacun trouve son propre paradis. Et pour faciliter l’arrivée de ces nouveaux migrants. Pourquoi perdre du temps dans des démarches longues et complexes de demandes de visas alors qu’un permis de résident européen permet de circuler facilement dans toute l’Union ? De plus, la plupart de ces pays ne taxent pas ou peu les résidents disposant de permis de séjour longue durée. Pour les étrangers aux portefeuilles les mieux garnis, la firme propose une solution encore plus intéressante : s’offrir une nationalité européenne. Sur son site, trois destinations : l’Autriche, Chypre et Malte. Le gouvernement du plus petit État de l’Union Européenne, Malte, a décidé de « vendre » la citoyenneté de son pays depuis novembre 2013. Il a confié l’exclusivité de la gestion des dossiers à la société Henley & Partners, contre une commission de 7 500 euros par candidature.

 

Une citoyenneté européenne à vendre aux plus offrants

650 000 euros. C’est le prix fixé par le Parlement maltais à l’automne 2014. Pas de conditions de résidence dans l’île, ce simple apport financier à l’économie nationale suffit. Le Premier ministre, Joseph Muscat, voit là une façon d’attirer des capitaux neufs dans son pays. D’après les chiffres avancés par le gouvernement, la mesure pourrait intéresser 200 à 300 candidats par an. Soit un minimum de 130 millions d’euros de revenus annuels pour le pays. Mais selon un sondage réalisé par le quotidien local Malta Today, la population serait en majorité opposée à ce dispositif. Un avis partagé par Bruxelles. La décision a provoqué un véritable séisme au sein du Parlement européen, soulevant des critiques face à cette marchandisation de la citoyenneté européenne.

Au sein des instances de l’Union, des eurodéputés et membres de commissions européennes ont immédiatement signifié leur hostilité à la nouvelle réglementation maltaise. Parmi eux, Viviane Reding, commissaire chargée de la Justice. « La citoyenneté n’est pas à vendre », a-t-elle déclaré à Strasbourg en 2014. Dans la foulée, le Parlement européen adopte une résolution, estimant « qu’un tel régime de vente pure et simple de la citoyenneté européenne compromet la confiance mutuelle sur laquelle repose l’Union. » Malte a depuis accepté de revenir sur son dispositif, en partie : il est désormais obligatoire de résider la majeure partie de l’année sur l’île et de démontrer un lien réel avec Malte. Il nécessite également un investissement de 1,15 million d’euros, dont 500 000 euros d’achat immobilier, auquel s’ajoute un montant de 25 000 euros pour un conjoint ou enfant mineur, et 50 000 euros pour un enfant de 18 à 26 ans. Des concessions que le gouvernement maltais a accepté alors que rien ne les obligeait à le faire. Dans l’Union européenne, la nationalité d’un des pays membre permet d’accéder automatiquement à la nationalité européenne, mais les conditions d’octroi font partie des prérogatives propres à chaque État. Chacun des 28 gouvernements décide donc de sa propre législation et de ses conditions.

 

Un cadre commun pour l'Europe ?

Alors que l’immigration clandestine est au cœur des débats, la marchandisation des permis de séjour est complètement ignorée par les candidats lors des élection européeenes de 2015. Clarisse Heusquin, candidate Europe Écologie - Les Verts dans la région Centre-Massif central, reconnaît découvrir ces dispositifs : « J’ai été vraiment choquée, atterrée en en prenant connaissance. C’est une Europe à deux vitesses qui est en train de se construire. D’un côté, on ferme les frontières et de l’autre, on accueille les capitaux. Cette Europe-forteresse est indigne. » Pour elle, la solution passe par une Europe fédérale et des politiques harmonisées en matière d’immigration.

De son côté, Pierre Henry, directeur général de l’ONG France Terre d’Asile regrette que le débat sur les questions migratoires ne soit pas abordé dans son ensemble. « Entre ceux qui souhaitent sortir de Schengen, ceux qui veulent punir les États qui ne respectent pas certaines règles, ceux qui pensent que la nomination d’un commissaire européen à l’immigration résoudrait le problème, et ceux qui se contentent de critiquer sans propositions… En fait, il n’y pas de vrai débat sur la question migratoire. » La question de la vente de la nationalité reste bien éloignée de la place publique, mais se popularise auprès des gouvernements. La Lituanie peaufine son projet et devrait être le prochain pays à poser ses conditions. Son prix : 260 000 euros versé à une entreprise lituanienne et cinq emplois créés. Le gouvernement n’attend plus que l’aval du parlement.

Et en France, qu’en est-il ? L’Hexagone ne propose pas de conditions d’accès aussi favorables que ses voisins. Toutefois, dans un document de la Commission européenne, il est précisé que des permis de résidence pour « contributions économiques exceptionnelles » peuvent être attribués en France à des actionnaires (au moins 30 % de capital) de grandes sociétés. Les conditions : créer 50 emplois en France ou investir au moins 10 millions d’euros. Il n’est pas envisagé pour le moment de mettre en place des clauses plus avantageuses ou plus strictes pour ces riches investisseurs. Rien étonnant d’après Pierre Henry. « Aujourd’hui, en France, le gouvernement cherche à tout prix à éviter le débat sur l’immigration, dans une espèce de peur du populisme. Cela ne règle rien et ce n’est pas pour ça que les polémiques ne se poursuivent pas. » Celles et ceux qui ne disposent pas de ces visas « business class » en paient le prix fort : 23 000 migrants sont morts aux portes de l’Europe entre 2000 et 2014.13

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Lettonie
(2) http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Lettonie/129652
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Lettonie
(4) http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Lettonie/129652
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Lituanie
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Lettonie_%281920-1940%29
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettonie
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettonie
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Lettonie
(10) http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=6972
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Lettonie
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_lettonnes_de_2014
(13) Morgane Thimel http://www.bastamag.net/La-citoyennete-europeenne-sera-t