Le Kosovo

 

 

De la Préhistoire à l’Empire romain

Les Illyriens apparaissent au XXe siècle av. J.-C., à une époque charnière entre l’âge du bronze et l’âge du fer. Ils constituent un royaume englobant une grande partie de la région balkanique. Les Illyriens sont considérés comme les ancêtres directs, tant par leur culture que par leur langue, des actuels Albanais. D'ailleurs, "Illyrien" veut textuellement dire "les hommes libres", du mot "liri" qui signifie liberté en albanais. Les Illyriens étaient divisés en plusieurs clans : les Taulantes, Ardianes, Dardaniens, Dalmates, Penestes, Kaones, Thesprotes, etc. L'actuel Kosovo se trouvait alors essentiellement compris dans la région peuplée par les Dardaniens qui vivaient aussi dans une partie de l’actuelle Albanie du nord, du sud de la Serbie et du nord de la Macédoine jusqu’aux environs de Shkupi (actuelle Skopje). Après la conquête romaine, survenue aux alentours de 28 av. J.-C., les Dardaniens sont progressivement romanisés et l’ancienne colonie grecque de Naissus (actuelle Niš), située en Dardanie orientale, devient un carrefour stratégique de la province romaine de Mésie supérieure. Elle est même la ville natale de l’empereur Constantin qui fera de la Dardanie une province romaine à part entière en 284.

 

De l’Empire serbe médiéval à l’Empire byzantin

La chute de l’Empire romain marque le début de nombreuses invasions barbares slaves dans la péninsule balkanique, qui touchèrent aussi bien la Dardanie que les autres régions des Balkans. Dès le Ve siècle, des tribus déferlent en masse, parvenant à s’implanter jusqu’en Thessalie, et ce dans l'ensemble des Balkans, certaines tribus étant même allées jusque dans le Péloponnèse. En cette même période, les Avars s’installent dans la contrée et asservissent vers le sud, en conquérant la majeure partie de l’actuel Kosovo, n’échouant que devant Lipljan car confronté à de forts contingents byzantins. La Rascie, y compris ses terres méridionales, passe de nouveau sous domination byzantine après le décès de Vukan en 1115. À la fin du XIe siècle, la dynastie serbe des Nemanjić parvient à étendre considérablement à déplacer le centre de gravité des terres slaves. À la mort de Dušan en 1355 et à la suite de la dissolution de l'empire serbe, la majeure partie du Kosovo se trouve alors sous la domination du prince serbe Vuk Branković. À cette époque, associé aux territoires du prince Lazar, le pays de Vuk Brankovič devient prospère. D’anciens marchés se transforment également en villes prospères comme Pristina, Vushtrri ou encore Pejë.

En 1371, la bataille de la Maritsa ouvre aux Ottomans la porte des Balkans.1

 

La Bataille de Kosovo Polje

Le sultan Mourad, fort de ses nombreuses conquêtes sur les anciens domaines byzantins, décide de lancer une offensive contre les pays balkaniques au printemps 1389, accompagné de ses fils Jakub et Bayezid. De l’autre côté, le prince Lazar Hrebeljanović parvient à réunir une puissante armée en ralliant ses alliés Vuk Branković, Djuradj II Balšić, Stefan Musić, les troupes du voïvode Vlatko Vuković de Hum et des troupes bosniaques dépêchées par le roi de Bosnie Tvrtko Ier comprenant divers nobles éminents de son royaume. À cette alliance s’ajoutent également de nombreux Albanais, Valaques et Bulgares. Les Hongrois, ayant cessé les hostilités avec Lazar Hrebeljanović peu de temps auparavant, ne prennent pas part à la bataille.

L’année 1389 marque un grand tournant dans l’histoire du Kosovo et de la Serbie. C’est en effet l'année de la bataille de Kosovo Polje, mieux connue en français par son expression traduite : « Bataille du champ des merles ». L’armée ottomane, en supériorité numérique, utilise des chameaux liés entre eux par des chaînes pour briser les formations adverses. Cette bataille s’inscrit dans une politique d’extension territoriale ottomane : dès le milieu du XIVe siècle, les Ottomans obtiennent des Byzantins une tête de pont en Europe (péninsule de Gallipoli), puis se frayent en quelques décennies un chemin jusqu'au cœur des Balkans. Bien que les Serbes et leurs alliés grecs et bulgares aient perdu la grande bataille sur la rivière de la Maritsa, en 1371, c’est la bataille de Kosovo Polje qui resta la plus célèbre dans les mémoires. Cette bataille, dont la légende raconte que tellement de sang avait coulé que la terre ne pouvait pas l’absorber, acquerra par la suite une dimension mythique dans la conscience nationale serbe. Au cours de la bataille, le sultan Mourad Ier est tué, selon les poèmes épiques serbes par le plus puissant guerrier du prince Lazar, Miloš Obilić. Le décès de son chef engendre des remous importants au sein de l’armée ottomane. Bayezid fait alors exécuter son frère Jakub. Vaincus, les restes de l’armée serbe se replient, tandis que Lazar et de nombreux nobles serbes sont faits prisonniers et mis à mort. De tous les chefs serbes, seuls Vuk Branković et le voïvode Vlatko Vuković survivent à la bataille.

La défaite des Serbes ouvre la porte des Balkans aux Ottomans et la Serbie, n’étant plus en mesure de se défendre, est menacée par les Turcs et les Hongrois. Progressivement, les princes serbes acceptent un à un de devenir vassaux du nouveau sultan Bayezid Ier. Vuk Branković, dont le prestige prend de l’ampleur, est obligé de conclure un accord de vassalité avec le sultan, à la suite de la prise de Skoplje par les Ottomans en 1392, bien qu’il ne cesse de s’opposer à eux. Il finit par être fait prisonnier et meurt en prison le 6 octobre 1397. La majeure partie de ses terres – une portion significative de l'actuel Kosovo – est alors prise par Stefan Lazarević, allié des Ottomans. La Serbie devient un despotat sous suzeraineté ottomane dont le chef porte le titre de despote. Le reste de la Serbie tombe aux mains des Ottomans après la chute de Smederevo en 1459.2

 

Islamisation progressive

La conversion des Albanais à l’islam commence rapidement bien qu’elle reste faible dans cette partie de l'Empire. Dans certaines régions pauvres, il arrive que des villages entiers se convertissent afin de ne plus payer le djizia et d’autres charges. L’invasion de l’Empire ottoman met fin également au système féodal qui régnait encore dans cette région. Les Ottomans, connaissant à cette époque une expansion culturelle sans précédent, transforment le pays au moyen d’une structure sociale et administrative beaucoup plus développée.

 

En 1557, Mehmed pacha Sokolović décide d’accorder à l’Église serbe la restauration du patriarcat de Peć. Cependant, alors que l’empire des Habsbourg est en guerre avec l’Empire ottoman, les Autrichiens prennent des mesures pour favoriser la création d’une zone militaire tampon entre les deux territoires. Après l’échec du second siège de Vienne, en septembre 1683, l’Empire ottoman reflue face aux Autrichiens qui, avec l’aide des Serbes et de tribus albanaises catholiques, traversent le Kosovo en 1689 et parviennent jusqu’à Skopje en Macédoine.

Jusqu'à la Grande migration serbe de 1690, le Kosovo était fortement lié au peuple serbe par son histoire et son peuplement. Si on ne peut établir clairement l'identité ethnique de la région à cette époque, on peut supposer qu'elle était en grande partie composée de Serbes et vraisemblablement déjà d'Albanais. Cependant, la grande migration de 1690 aura pour effet de vider le Kosovo d'une partie plus que conséquente de sa population serbe orthodoxe, on l'estime à 200 000 individus. Ainsi, c'est probablement à partir de cette époque que l'identité albanaise du Kosovo s'est réellement installée.

 

Rattachement à la Serbie

À l’hiver 1878, le congrès de Berlin accorde officiellement l’indépendance à la Serbie ou, plus exactement lui accorde les terres au nord du Kosovo. Quant au Kosovo, il reste dans l'Empire ottoman. Ayant étendu les frontières du nouvel État serbe aux régions de Niš, Pirot, Toplica et Vranje, plusieurs milliers d'Albanais, les Muhaxheri (réfugiés) habitant la région de Toplica près de Niš, sont chassés vers le Kosovo resté sous domination ottomane. En 1912, les États balkaniques nouvellement affranchis de l’occupation ottomane décident d’unir leurs forces afin de libérer les terres restant sous contrôle ottoman. Soutenus par la Russie, ils repoussent les Ottomans aux portes de Constantinople. Tragiquement, une nouvelle guerre a lieu en 1913 et oppose cette fois les anciens alliés : la Deuxième Guerre balkanique. À l’origine d’un désaccord sur le partage des précédentes conquêtes, cette guerre se solde par la victoire de la Serbie. Réunie à Londres, le 17 décembre 1912, la conférence des ambassadeurs refuse à la Serbie, sous pression de l’Autriche-Hongrie, l’accès à la mer qu’elle convoitait par la vallée du Drin (Drim en serbe) mais, sous pression française et russe, lui octroie le Kosovo et la Macédoine.

 

Les tentatives de désalbanisation par le royaume des Serbes, Croates et Slovènes

Après le premier conflit mondial, le 1er décembre 1918, naît le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, État qui se veut rassembler tous les Slaves du sud en son sein comme l’avaient imaginé certains intellectuels serbes et croates des XVIIIe et XIXe siècles. Le nouveau royaume regroupe les régions balkaniques slaves anciennement contrôlées par l’Empire austro-hongrois (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Voïvodine serbe) ainsi que l’État serbe indépendant et le Monténégro qui s'était réunifié à la Serbie quelque temps auparavant. La dictature du roi de Serbie ne fait qu’amplifier les tensions nationalistes. Le Kosovo, après avoir été occupé par l’armée serbe, est incorporé au royaume et formellement rattaché au nouvel État. Le monarque, tout en matant la résistance des Kaçaks, Albanais qui résistent à cette reconquête, et des Komitadjis de Macédoine, entreprend de « désalbaniser » la région en encourageant les Albanais à partir et en y favorisant la réinstallation de familles serbes et monténégrines.3

 

Seconde Guerre mondiale : le Kosovo dans l’Albanie italienne

La Slovénie est annexée par le Troisième Reich, les Oustachis (nationalistes croates) obtiennent d'Adolf Hitler la création de l'État indépendant de Croatie englobant les territoires appartenant aujourd’hui à la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et une partie de la Serbie. La Voïvodine est rattachée au Royaume de Hongrie et la Macédoine est annexée par le Royaume de Bulgarie. Le Kosovo, la Métochie et une partie du Monténégro se voient inclus dans l'Albanie sous contrôle de l’Italie fasciste. Ce qui reste de la Yougoslavie, c'est-à-dire la Serbie, est placé sous l’autorité du gouvernement collaborateur de Milan Nedić directement contrôlé par l’Allemagne. Une résistance royaliste, les Tchetniks, s’organise autour de Draža Mihailović, royaliste serbe surnommé le « général des Balkans ». Cette armée est essentiellement composée de Serbes, les autres peuples ne faisant plus confiance au roi du fait de l’alliance royale avec les nazis et du souvenir de la dictature du roi Alexandre Ier répressif envers les Croates, Bosniaques, Albanais et Bulgares. Parallèlement, les partisans communistes se développent sous la direction du croate Tito. Cette résistance ne faisant aucune distinction entre les ethnies, les peuples, les croyances et non croyances et obtient la confiance de la grande majorité des peuples slaves mais également celle du peuple albanais. Cette « résistance yougoslave » portera le slogan « mort au fascisme, la liberté aux peuples ». Même si les Alliés misent d’abord sur Mihajlović, fidèle au gouvernement royaliste exilé à Londres, cette division a pour conséquence que c’est Tito qui bénéficiera de la confiance des Alliés après les conférences de Téhéran et de Yalta. En 1944-1945, la résistance de Tito libère les territoires occupés. En novembre 1945, la monarchie est officiellement abolie, le pays devenant la République fédérative populaire de Yougoslavie.

 

Le Kosovo dans la Yougoslavie communiste

Tito reconnaît à la conférence de Bujan le « droit des Albanais à l'autodétermination ». Cependant, après que Tito a rompu ses relations avec Joseph Staline, le 28 juin 1948, le parti communiste albanais sous la direction d’Enver Hoxha prend le parti de Staline. La frontière du Kosovo avec l’Albanie est alors fermée.

En 1968, l’Université de Pristina est fondée. La constitution yougoslave est amendée en vue d’accorder plus de contenu à l’autonomie du Kosovo, autonomie formellement déclarée en 1945. Cet effort culmine avec la constitution de février 1974 où la République de Serbie perd tout droit de regard sur les affaires internes du Kosovo : celui-ci est directement représenté dans les instances fédérales, « à égalité de droit » des républiques et des provinces autonomes ainsi que des peuples et des nationalités. En pratique, le Kosovo a tous les droits d’une république mais il demeure juridiquement nominalement rattaché à la république de Serbie. Par ailleurs, un impôt spécial « Kosovo » est levé dans tout le reste de la Yougoslavie afin de financer le développement de cette province. Certains Albanais du Kosovo demandent que le Kosovo soit une république à part entière alors que certains Serbes se plaignent de cette indépendance, affirmant qu’elle lèse les droits de la Serbie et l’empêche de protéger la minorité serbe qui s’y trouve menacée.

Tito meurt en mai 1980 et certains diront par la suite que la Yougoslavie s’est éteinte avec lui. Cela libère en effet progressivement les revendications nationalistes de tous les peuples. En mars 1981, des manifestations d’Albanais réclamant le statut de république tournent à l’émeute : la répression Serbe fait des dizaines de morts et des centaines de blessés du côté albanais. Le nationalisme serbe s’illustre surtout en septembre 1986 quand apparaît un mémorandum attribué à l’Académie serbe des sciences et des arts : celui-ci met en cause l’ordre constitutionnel yougoslave qu’il affirme être anti-serbe. C’est la théorie du peuple serbe victime de l’histoire.

Slobodan Milošević, devenu deuxième homme du parti communiste yougoslave, met en œuvre deux coups de force dans les provinces autonomes et républiques liées à la Serbie : « Révolution des yaourts » en 1988 en Voïvodine et « Révolution antibureaucratique » au Monténégro en janvier 1989. Puis, il décide de supprimer l’autonomie constitutionnelle du Kosovo en mars 1989. Il dissout le parlement et le gouvernement du Kosovo et interdit l’emploi de la langue albanaise dans l’enseignement et les médias. Le 24 septembre 1987, il déclare à la huitième session ou plénum : « Personne ne se mettra sur le chemin de nos réformes. » Juridiquement, la suppression de l’autonomie est illégale car ce n’est pas seulement la constitution du Kosovo et de la Serbie qui sont en question mais surtout la constitution fédérale de Yougoslavie. Cette dernière définit clairement l’autonomie du Kosovo et les conditions de son appartenance à l’ensemble yougoslave. En outre, en violant la constitution fédérale, cette annexion de l’une des huit entités constitutives par une autre entité détruit juridiquement la fédération : « le droit de chacune étant la condition de l’adhésion de toutes, elle les déliait toutes de leurs obligations envers l’ensemble, légitimant l’exercice de leur souveraineté, que la constitution même affirmait, dans le sens de l’indépendance. » C’est ce que les Slovènes font immédiatement remarquer et que les Kosovars revendiqueront par la suite.

 

Le Kosovo dans la Serbie de Slobodan Milošević

Des chefs politiques albanais s’organisent en conséquence contre la suppression d’autonomie du Kosovo. Le 2 juillet 1990, une majorité des députés chassés du parlement publient une « déclaration constitutionnelle » faisant du Kosovo une république. Puis, après le référendum des mois de septembre et octobre 1991, l’indépendance du Kosovo est proclamée. Ibrahim Rugova met sur pied une société parallèle au Kosovo : il remporte des élections clandestines et devient président de la République du Kosovo.

La commission Badinter, chargée d’examiner les demandes de reconnaissance pour les entités de l’ex-Yougoslavie, refuse d’examiner la demande du Kosovo. La République du Kosovo n’est pas reconnue comme telle par la communauté internationale. Par contre, la République fédérale de Yougoslavie, créée par Milošević en avril 1992 et à laquelle il annexe le Kosovo, est progressivement reconnue à partir de 1996. Sa présence à la signature des accords de Dayton vaut d’ailleurs déjà comme une reconnaissance implicite. Cette reconnaissance internationale inclut celle des frontières et donc l’appartenance du Kosovo au nouvel État. Même si cela n’a jamais été expressément édicté. Trois ans plus tard, les pays de l’OTAN se jugent cependant contraints de « violer » cette souveraineté qu’ils venaient implicitement de reconnaitre.

 

 

Le Kosovo sous la protection des Nations unies

 

 

Guerre du Kosovo

Déçus par l’indifférence de la communauté internationale, certains Albanais rejettent l’autorité de Rugova.

Un gouvernement en exil dirigé par Bujar Bukoshi affirme diriger des Forces armées de la République du Kosovo (FARK ou Forcat e Armatosura të Republikës së Kosovës). En 1997, l’Armée de libération du Kosovo connue sous son sigle UÇK (en albanais Ushtria Çlirimtare e Kosovës et en serbe Oslobodilačka Vojska Kosova) profite du pillage des arsenaux en Albanie pour s’équiper et entreprendre une campagne de guérilla : elle revendique plusieurs attentats contre l’armée et la police serbes. En réponse à ces actions, et surtout pour neutraliser son opposition par une nouvelle guerre, Milošević massacre en février et mars 1998 les familles de guérilleros présumés, provoquant une insurrection massive. Cette insurrection lui permet ensuite, sous prétexte de contre-terrorisme, de lancer une campagne de destruction de dizaines de milliers de maisons, chassant plus de un million d’Albanais du Kosovo vers l’Albanie, la Macédoine et le Monténégro. On estime à 10 000 ceux qui ont été assassinés durant ces opérations. Après leur expérience en Croatie puis en Bosnie-Herzégovine et craignant une extension du conflit à la Macédoine, les pays occidentaux décident de réagir. Finalement, entre le 24 mars 1999 et le 10 juin 1999, l’OTAN procède à des frappes aériennes sur la Serbie (Opération Allied Force ) et contraint Milošević à se retirer du Kosovo. La région passe sous l’administration des Nations unies en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité en date du 10 juin 1999. Près d’un million de Kosovars reviennent progressivement sur leurs terres.

 

Discussions sur le statut du Kosovo

De 1999 à 2008, le statut final du Kosovo est indéterminé, ce qui paralyse son développement politique et contribue à une situation sociale tendue. En droit international, la résolution 1244, tout en affirmant le caractère provisoire de ce statut, reconnaît de jure son appartenance à la République fédérale de Yougoslavie, c'est-à-dire l’union de la Serbie et du Monténégro instituée par Slobodan Milošević en avril 1992 et remplacée en février 2003 par la Serbie-et-Monténégro à la suite de l’accord de Belgrade. Le Monténégro est devenu indépendant le 6 juin 2006.

À la suite du vote de la résolution 1244 du conseil de sécurité qui autorisait l'établissement d'une autorité « administrative internationale civile », Bernard Kouchner est nommé Haut représentant de l'ONU de juillet 1999 à janvier 2001 en charge de l'administration du Kosovo. Il dirige l'assistance humanitaire, l'administration civile, l'économie, et l'élaboration d'institutions démocratiques. Lors de l'adoption de l'Euro en tant que monnaie fiduciaire le 1er janvier 2002, le Kosovo, largement subventionné par les subsides européennes, devient ipso-facto intégré à la zone euro. L'euro remplace le dinar serbe en tant que monnaie d'échange.4

 

Plan Ahtisaari

Le 2 novembre 2005, l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari est mandaté par l’ONU afin de superviser les négociations entre le gouvernement serbe et le gouvernement kosovar sur le statut final du Kosovo. Après le décès du président Ibrahim Rugova, figure emblématique du mouvement indépendantiste albanais, le 21 janvier 2006, des pourparlers entre le gouvernement du Kosovo, la diplomatie européenne et le gouvernement serbe prennent place à Vienne entre mars 2006 et mars 2007. Le 26 mars 2007, Ahtisaari soumet ses propositions sur le statut final du Kosovo au Conseil de sécurité des Nations unies. Il prévoit d’accorder au Kosovo le statut d’État indépendant, possédant ses propres symboles, sa constitution et son armée, sous le contrôle de la communauté internationale. Les États-Unis étaient favorables à l’indépendance de la province, alors que la Russie et la Serbie affirment que cette indépendance serait contraire au principe de l’unité territoriale de la Serbie défendu par la résolution 1244.5

 

Proclamation de l’indépendance

Le 25 janvier 2008, le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, et le premier ministre kosovar Hashim Thaçi décident d’apporter une « solution coordonnée » au problème du Kosovo. Selon RIA Novosti, « les parties estiment d’un commun accord que le règlement de ce problème [devra] être dûment préparé et coordonné », le Premier ministre kosovar assurant que la sécurité de la minorité serbe sera garantie après l’indépendance. De son point de vue, la Russie considère qu’il n’existe toujours pas d’alternative raisonnable au règlement négocié de ce problème sous l’égide de l’ONU. Une proclamation unilatérale de l’indépendance violerait - selon elle - la Charte des Nations unies.

Le 17 février 2008, le parlement de la province, réuni en session extraordinaire, vote le texte présenté par le premier ministre Hashim Thaçi proclamant l'indépendance du Kosovo : « Nous proclamons l’indépendance du Kosovo, État indépendant et démocratique [...] À partir de maintenant, le Kosovo a changé de position politique, nous sommes désormais un État indépendant, libre et souverain. »

Le nouveau gouvernement de la république du Kosovo n'exerce toutefois pas un contrôle réel sur la partie nord du pays, les populations d'origine serbe étant majoritaires dans les municipalités de Zvečan, Zubin Potok et de Leposavić. Les Serbes du nord du Kosovo demandent leur rattachement à la Serbie.

Plusieurs États, dont certains des États membres de l'Union européenne, s'opposent - parfois par principe - à la reconnaissance de cette nouvelle République indépendante : la Grèce et la Bulgarie (ne souhaitant pas créer un autre État musulman sunnite, la Roumanie, la Slovaquie, Chypre, l'Espagne mais surtout la Russie (ne souhaitant pas créer un précédent d'un État pouvant unilatéralement se séparer d'un État reconnu).

Cependant, en droit international public, la reconnaissance d'un État étant l'acte unilatéral par lequel un État atteste l'existence à ses yeux de l'existence d'un autre État et s'engage à traiter cette situation suivant les règles que le droit international public y attache, il est malaisé de définir juridiquement l'existence d'un État indépendant.6

 

 

Kosovo 1999-2009 : quelques mensonges de la pseudo guerre humanitaire

En mars 1999 l'OTAN lançait ses premières « frappes aériennes » contre Belgrade capitale de ce qui était alors l'ultime fédération yougoslave (Serbie – y inclus le Kosovo-, et Monténégro). Ces « frappes » qui, selon les diplomates de l'Alliance atlantique, étaient supposées durer quelques jours allaient se transformer en trois mois de guerre – la première de l'histoire de l'OTAN et sans mandat de l'ONU .

La raison profonde de l'engrenage de guerre était, sous couvert de protéger les Albanais du Kosovo contre les forces armées serbes, de sauver l'OTAN elle-même... Ces frappes aériennes voulues par les États-Unis pour banaliser ce type « d'action » et imposer leur droit d'installation dans les Balkans, avaient catalysé (et non pas empêché) un embrasement. Or, cette organisation militaire née dans la guerre froide, aurait dû connaître une dissolution après celle de son homologue de l'Est, le Pacte de Varsovie, en 1991 (l'année de la désintégration de l'URSS, mais aussi celle du démantèlement de l'ancienne fédération yougoslave).

Les questions nationales imbriquées des Balkans ont toujours été exploitées par les grandes puissances rivales pour le contrôle de cette région via des alliances évolutives. Mais, cela ne veut pas dire qu'elles créent artificiellement les conflits nationaux, ni qu'elles maîtrisent leurs alliés et une stratégie stable. Au tournant des années 1980, le FMI comme la grande majorité des autres gouvernements occidentaux privilégiaient plutôt une transformation libérale marchande de la Yougoslavie que son éclatement, craignant un embrasement balkanique. Mais en 1991, la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance encouragées par leurs liens à l'Allemagne (au Vatican) et à l'Autriche...

De même, Washington n'a pas soutenu l'indépendance du Kosovo (province serbe à majorité albanaise) avant 1998... Les accords de Dayton de 1995 sont un condensé de real-politik et de faits souvent ignorés au profit d'images ultérieures léguées par la guerre de l'OTAN : mettant fin à trois ans de guerre en Bosnie, ces accords furent conçus par les États-Unis et autres diplomates occidentaux pour stabiliser la région. Comment ? D'une part, en instituant une pseudo Bosnie souveraine (sous un protectorat de facto) et surtout en s'appuyant sur le président de la Croatie, Franjo Tudjman et celui de la Serbie, Slobodan Milosevic – dont les rencontres « secrètes » au début de la décennie avaient ouvert les portes au partage ethnique de la Bosnie soutenues par leurs forces armées respectives... Leur signature des accords de Dayton impliquait qu'il soit fait silence sur le nettoyage ethnique de plusieurs centaines milliers de Serbes de Croatie lancée par l'armée de F. Tudjman au cours de l'été 1995, et de permettre simultanément à S. Milosevic de consolider son emprise sur le Kosovo... La real-politik des États-Unis (qui tranchait avec les discours de « protection des musulmans » et des Albanais) se camoufla derrière la fumée d'une Bosnie « souveraine » après quelques « frappes » musclées, et l'inculpation des dirigeants bosno-serbes devant le TPIY.

La réalité de la consolidation du pouvoir du président serbe à Dayton était un échec et une désillusion cuisante pour les Kosovars albanais qui depuis le début des années 1990 avaient protesté contre la reprise en main de la province par Belgrade en auto-proclamant la république du Kosovo avec pour président élu Ibrahim Rugova, escomptant le soutien occidental. Et c''est de ce bilan de Dayton comme signifiant l'échec de la résistance pacifique au Kosovo, qu'est née la phase de lutte armée menée par l'Armée de libération du Kosovo (UCK). Celle-ci fut initialement caractérisée comme « terroriste » par Belgrade et les diplomates occidentaux jusqu'en 1998 parallèlement aux levées des sanctions contre la Serbie... Mais la répression serbe contre l'UCK rendait la cause indépendantiste de plus en plus populaire. Les États-Unis... changèrent alors leur fusil d'épaule.

 

Les objectifs réels des États-Unis et les cause de l'échec de Rambouillet...

Washington avait exploité l'impasse des plans de paix européens et onusiens en Bosnie pour mettre en avant l'OTAN comme « bras armé de l'ONU ». Il s'agissait maintenant de se débarrasser de celle-ci et d'obtenir la libre circulation des troupes de l'OTAN dans les Balkans, région stratégique : c'est notamment un lieu de passage des routes de l'énergie et (pour les États-Unis) un terrain d'appui (bases militaires, ports) vers d'autres régions. De surcroît les États-Unis voulaient empêcher toute autonomisation de l'Union européenne comme puissance rivale. L'élargissement vers l'Est de l'OTAN, mais aussi l'implication des gouvernements européens dans le cadre de l'Alliance atlantique pour redéfinir et consolider celle-ci était un enjeu majeur...

Lors de la première phase des négociations de Rambouillet menées par les diplomates européen en février 1999, le projet d'autonomie pour le Kosovo fut accepté par les négociateurs serbes, mais, au grand dam des occidentaux, rejeté par la partie albanaise qui militait pour l'indépendance... Pendant l'interruption, Madeleine Albright s'est « emparée » du dirigeant de l'UCK et l'a convaincu de pousser la délégation à signer les accords d'autonomie en promettant en coulisse une consultation d'autodétermination ultérieure – et en ajoutant une « annexe B » stipulant la présence au sol de l'OTAN pour faire appliquer les accords. Une telle clause, souhaitée par les Kosovars albanais pour se débarrasser de l'appareil répressif serbe, était radicalement rejetée par Belgrade – qui ne signa donc pas les « accords » : ce refus serbe « légitima » les « frappes punitives » annoncée en cas de désaccords...

Il ne devait s'agir que de quelques jours, censés (disaient les diplomates en coulisse) permettre à Milosevic de faire accepter à son peuple l'accord – comme il avait fait accepter celui de Dayton... Mais les bombardements et leurs objectifs réels étaient « irrecevables » pour tout Etat souverain, et ils allaient servir Milosevic d'une tout autre façon : développer un patriotisme plaçant son opposition en position inconfortable, lancer une offensive sur le terrain pour tenter d'éradiquer la résistance armée de l'UCK (Armée de libération du Kosovo) et celle des villages qui la soutenaient .. Les frappes aériennes (à des hauteurs suffisantes pour protéger les soldats de l'OTAN...) se sont donc transformés en guerre dont les « dégâts collatéraux » se sont multipliés contre les populations et les infrastructures civiles. Le fiasco était tel que l'OTAN était au bord de l'éclatement... Lors d’une émission télédiffusée sur la BBC le 20 août, le sous-ministre des Affaires étrangères des États-Unis, M. Strobe Talbott, a déclaré que les divergences au sein de l’OTAN étaient si prononcées « qu’il aurait été vraiment très difficile de préserver l’union et la résolution de l’Alliance » sans l’accord conclu avec le président yougoslave Slobodan Milosevic début juin. Pourtant, l'engrenage des bombes s'était accompagné de celui des mots pour les légitimer et des images des centaines de milliers d'Albanais fuyant la guerre présentés alors comme les nouveaux déportés d'un génocide annoncé.

Favorisant cette présentation, reste en mémoire la guerre en Bosnie qui, de 1992 aux accords de Dayton de 1995, a fait 100 000 morts (dont environ 6000 pour le massacre de l'enclave musulmane Srebrenica). Mais le Kosovo (avec ses 80 % d'Albanais) était une province serbe – et la politique nationaliste serbe voulait qu'elle le reste. Ce n'était pas la Bosnie (avec ses 40% de Musulmans bosniaques pris en étau entre les nationalistes serbes et croates de Bosnie soutenus de façon opaque par Belgrade et Zagreb prêtes à se partager la Bosnie).

On allait disait-on dans la presse découvrir des dizaines de milliers de morts, des corps calcinés au fond des mines et dans des charniers. Pour que l'Allemagne (dont les Verts) légitime sa participation à une telle guerre, il ne fallait pas moins qu'avoir voulu empêcher un « plan Fer à Cheval » visant un « génocide ». Il s’agissait donc, aux États-Unis comme en Allemagne, à défaut d’une intervention militaire légale, de l’avancée d’un nouveau « droit international » permettant une ingérence « humanitaire ».

Mais après enquête sur le terrain après juin 1999 c'est-à-dire dans le cadre du protectorat de l'ONU sur la province, avec présence au sol de l'OTAN – donc tous les moyens d'investigations - la haute Cour de justice de Pristina a conclu (cf. AFP du 7 septembre 2001) qu’il n’y avait pas eu de génocide au Kosovo. Le TPIY dut également enterrer le « plan fer à cheval ».

 

Que reste-t-il alors de l'efficacité de cette guerre au Kosovo et dans la région ?

La défaite aux élections d'octobre 2000 de Slobodan Milosevic a été présentée comme un succès de l'OTAN et du TPIY. Or, lorsque plus d’un an après la fin de la guerre, les occidentaux misèrent sur un scénario électoral pour en finir avec Milosevic, ils détectèrent par sondage le seul candidat capable de combattre l'abstention et de vaincre Milosevic : non pas Zoran Djindjic dévoué à l’OTAN, mais Vojislav Kostunica. Ils imposèrent alors aux partis « pro-occidentaux » de se coaliser derrière lui. Mais il était plus nationaliste que Milosevic (lui reprochant d’avoir abandonné les Serbes de Croatie et de Bosnie autant que le Kosovo) et radicalement hostile aux bombardements de l’OTAN (et au TPIY). Son profil d'homme non corrompu fondait sa popularité en tranchant avec le clientélisme et la corruption du régime « socialiste » mais aussi d'une bonne partie de son opposition... La chute du régime se fit, sans effusion de sang, avec un scénario proche des « révolutions de couleur » d'Ukraine et de Géorgie, se prolongeant, comme ailleurs par l'éclatement de fronts éphémères, la poursuite de la corruption, l'offensive de politiques néo-libérales désastreuses pour la population... La scène politique serbe a été depuis 2000 marquée par une instabilité électorale récurrente, avec à l'arrière-plan, la désillusion sur les « aides » économiques attendues, une situation économique au bord du désastre, des assassinats et la montée en force de l'ultra-nationalisme...

Certes, en février 2009 les Albanais du Kosovo ont fêté le premier anniversaire de la déclaration d'indépendance. Mais si le Kosovo est doté d’une constitution, d’un nouveau drapeau, d’un hymne national et d’un embryon d’armée, il n'est certainement pas souverain. L’Unmik, la Mission des Nations-Unies au Kosovo, administre la province depuis la fin de la guerre, en juin 99. Elle devait passer le flambeau à la mission européenne de police et de justice (Eulex) en décembre 2008. Mais, d'une part, cela placerait de toute façon le Kosovo dans la situation vécue par la Bosnie depuis 1995 (celui d'un quasi protectorat européen avec un Haut représentant doté de pleins pouvoirs). Et d'autre part, seuls 54 pays de l'ONU dont 22 membres sur 27 de l’Union européenne ont reconnu son indépendance, ce qui signifie que la résolution 1244 de l'ONU signée par Milosevic à la fin de la guerre, n'est pas caduque. Or elle maintient le Kosovo dans un statut de province autonome. La Serbie qui s'appuie sur cette résolution a saisi la Cour Internationale de Justice qui doit se prononcer sur cette déclaration d’indépendance. En attendant, elle prône plus ou moins officiellement l’idée d'une partition avec échanges de territoires... La création, en janvier 2009 de la FSK, la nouvelle force de sécurité du Kosovo composée essentiellement d’anciens membres de l’UCK (l’Armée de Libération du Kosovo), a jeté de l’huile sur le feu alors qu'on attribue à ces derniers de multiples violences contre des non Albanais (Serbes, Roms...) ou contre des Albanais jugés « collaborateurs ».
En 2009, le Kosovo est l’un des pays où l’aide européenne par tête d’habitant est la plus importante mais plus de 80 % de cette « aide » ... retourne en fait au pays d'origine (via des paiements de salaires ou des achats de produits importés, avec l'euro comme monnaie !). La moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le chômage oscille autour de 45 % alors que les sources d'argent venant de la diaspora, principal financeur des familles et des petits commerces, risquent de s'assécher avec la crise. Le prix de l’électricité (coupée plusieurs heures par jour), a encore augmenté tout comme le prix du pain. La corruption est galopante. Et, alors que les enclaves serbes ont massivement suivi l’appel au boycott contre le gouvernement albanais, du côté de la majorité albanaise aussi, la grogne monte, exploitée par le mouvement « Vetëvendosje » (« autodétermination ») qui veut se débarrer à la fois de la tutelle de Belgrade et de celle des institutions internationales...

 

D'un ordre mondial à un autre...

La crise yougoslave des années 1990 exprime la transition d'un ordre mondial (marqué par la confrontation États-Unis/URSS) à un autre dans toutes ses ambiguïtés : restauration capitaliste qui ne dira pas son nom brisant toute forme de propriété et protections sociales entre le marteau des nouveaux États et l'enclume de l'actionnariat introduisant les « valeurs » de marché ; brouillage des étiquettes des « ex » virant à l'anti-communisme virulent (comme Franjo Tudjman dirigeant croate) ou au social-libéralisme cherchant à s'intégrer dans le nouvel ordre mondial mais... pas comme de simples pions (c'est le cas de Slobodan Milosevic...) ; brouillages et mensonges médiatiques cherchant à légitimer les guerres, qu'elles soient de nettoyage ethnique pour s'emparer de territoires ou qu'il s'agisse de la « guerre humanitaire » de l'OTAN aux enjeux occultés par les présentations dominantes ; interactions d'intérêts conflictuels géo-politiques mondiaux ou nationaux, aux temporalités différentes et qui ne se laissent pas « dissoudre » les uns dans les autres... Un cadre européen intégrant l'ensemble des Balkans aiderait certainement à résoudre les questions nationales qui y sont imbriquées. Mais il faudrait pour cela qu'il fut basé sur une égalité de statut, de dignité, pour tous ses peuples, une démocratie économique et politique contradictoire avec les logiques néo-coloniales de protectorat et de privatisations clientélistes qu'encadrent l'Union européenne et l'OTAN.7

 

 

Kosovo : un nouveau Rambouillet imposé à la Serbie (2013)

Le 2 avril 2013, le gouvernement de Serbie rumine ses conditions préalables à la signature de son accord “historique” à Bruxelles avec le gouvernement du Kosovo. Cet accord placerait l’intégralité des communes serbes du Kosovo sous l’autorité du gouvernement de Priština. Même l’idée d’une autonomie de ces communes a été pour le moment rejetée au profit d’une “association des communes serbes” ayant un statut analogue à une ONG, mais toujours sous le contrôle du gouvernement kosovar. Les “structures parallèles” du Nord-Kosovo, maintenues jusqu’à ce jour contre vents et marées par Belgrade, et qui ont protégé les populations de cette zone de l’épuration ethnique dont furent victimes les poches plus au sud, notamment en mars 2004, devront être entièrement démantelées. Aux dernières nouvelles, Belgrade exige des tribunaux et une police autonomes pour les communes serbes.

 

La défaite à tous les coups

Cette signature est un acte sans retour possible qui constitue une reconnaissance de fait de l’indépendance du Kosovo. Il conduit logiquement et inévitablement à une reconnaissance de droit. Le président de la commission de politique étrangère du Bundestag l’a du reste formellement notifié à la Serbie : il n’y aura pas de progrès des relations avec l’UE ni d’adhésion sans cette reconnaissance. Celle-ci ne sera dès lors qu’une formalité technique qu’il s’agira d’agender de manière adéquate dans l’année ou les deux années à venir. Une fois le Kosovo reconnu par l’État même dont il a été détaché, la position des États qui, jusqu’au sein de l’UE, refusent opiniâtrement de reconnaître cet État-croupion issu d’une sécession violente deviendra intenable.

 

D’un autre côté, si Belgrade devait opter pour la rupture, la perte du Kosovo paraît tout aussi certaine. En prévision du scénario violent, les Américains ont déjà déployé leur 525e Brigade spécialisée dans le contrôle des émeutes. Comme en 1999 avec le fameux et fumeux “massacre de Račak”, l’OTAN montera en épingle un incident et en tirera prétexte pour occuper les zones du Nord avec une participation symbolique des forces de sécurité du Kosovo “indépendant”.

 

Le gouvernement du président Nikolić est donc sommé de choisir entre Charybde et Sylla : soit il disait “oui” le 2 avril 2013, soit il disait “non”. Dans le premier cas (“oui”), il entérine la perte intégrale du Kosovo et le parti au pouvoir (nationaliste) se voit contraint de se parjurer (“Nous ne reconnaîtrons jamais le Kosovo”) en parachevant la vile besogne qu’il reprochait à ses prédécesseurs. On pouvait s’attendre à des manifestations de masse et à une déstabilisation intérieure susceptible d’entraîner, d’ici l’automne, des élections anticipées. Dans le second cas (“non”), il s’exposait à une déstabilisation encore plus certaine et plus efficace, tant sur le plan extérieur — isolation diplomatique de la Serbie du côté occidental — que sur le plan intérieur, via les nombreux médias, partis, mouvements et ONG pilotés par l’Occident.

 

Les enjeux géostratégiques

Sur le plan international, le “oui” est exigé par l’ensemble du bloc occidental. Il constitue une condition sine qua non à la poursuite de la normalisation des rapports entre la Serbie et son environnement, entièrement soumis à l’OTAN. Le “non” est lui, favorisé par la Russie, notamment par la voix de son ambassadeur Tchepourine. En l’état où se trouvent l’économie et la société serbes, le “non” paraît une option suicidaire, la Russie n’offrant aucune compensation aux pertes (en termes d’investissements et d’intégration politique) qu’entraînerait une rupture du dialogue avec Priština. La Russie, qui s’est retirée militairement et policièrement du Kosovo, n’a pas non plus le moyen matériel de s’opposer à une reprise du Nord-Kosovo par la force.

 

Les enjeux de l’accord sur le Kosovo sont donc d’une portée considérable pour toute la région et en premier lieu pour le destin de la Serbie. Comme à plusieurs moments au cours de son histoire, la Serbie se trouve sur l’épine dorsale d’un “conflit de civilisations” qui, en l’occurrence, mérite pleinement son nom. D’un côté, des prétentions occidentales de nature coloniale, mais posées comme un droit inaliénable et motivées par une propagande humanitaire massive. Richesses minières, position géostratégique, politique de concessions vis-à-vis de l’islam sunnite : tout concourt à faire de la prise du Kosovo (et de l’extension de cette place forte) une priorité pour l’OTAN. N’a-t-on pas vu ces dernières années des protagonistes de premier plan de l'agression de 1999, tels le général Wesley Clarke ou l’ex-secrétaire d’Etat Madeleine Albright revenir dans la région cyniquement reconvertis en affairistes avec des projets d’investissements monstres dans les matières premières ou les télécoms ?

 

Il s’agit également, par ailleurs, d’effacer les échecs et les blocages que l’OTAN a subis dans la région depuis le début même de l’opération de conquête, début 1999. On se souvient que le “non” de la Serbie aux négociations piégées de Rambouillet avait été provoqué par un avenant secret au traité prévoyant l’occupation de fait du territoire serbe dans son entier par l’OTAN. S’en était suivie une campagne de bombardements massifs conçue comme un “blitzkrieg” mais qui s’étendit sur 78 jours, détruisant la crédibilité morale et militaire de l’OTAN et l’obligeant à accepter un armistice et une résolution onusienne (n° 1244 du 10 juin 1999) reconnaissant la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo, une souveraineté que l’OTAN et ses alliés kosovars (essentiellement mafieux) allaient miner sans relâche durant la décennie ultérieure, non sans la complicité naïve ou cynique de certaines forces politiques serbes.

 

Le Kosovo “indépendant” sous protectorat occidental — inauguré par le règne d’une fripouille française, Bernard Kouchner — s’est avéré être un désastre de tous les points de vue. Politiquement inexistant, gouverné par les clans mafieux, il est devenu une plaque tournante du trafic d’armes et de drogue et de la traite de femmes en Europe. Ses minorités, serbe d’abord, mais également monténégrine, turque, rom, etc., ont été expulsées violemment (pogrome de mars 2004) sous le regard passif des soldats de l’OTAN. Plus de 150 églises, couvents et monuments religieux chrétiens ont été incendiés, dynamités ou saccagés, les autres intégrés au “patrimoine culturel” de ceux-là même qui s’ingéniaient à les détruire. Les Serbes qui y vivent sous autorité otano-kosovare sont exposés à des violences constantes et traités en citoyens de seconde zone. Les enlèvements de civils, de 1999 à nos jours, sont généralement restés irrésolus. Enfin, le crime le plus horrible de toute la guerre civile yougoslave, à savoir le trafic d’organes humains prélevés à vif sur des civils serbes kidnappés au Kosovo, est resté sans conséquence malgré le rapport d’enquête accablant présenté au Conseil de l’Europe par le parlementaire suisse Dick Marty. Cela n’empêche pas les Occidentaux de réclamer l’intégration des quelques dizaines de milliers de rescapés du Kosovo-Nord à l’enfer qu’ils ont instauré au sud de la Serbie.

 

Retour à la Guerre froide

Le seul moyen de “blanchir” cette création perverse, désapprouvée par une grande partie des États de la planète, consiste à la faire sanctifier par la Serbie elle-même. Mais il y a davantage. Depuis quelque temps, la Serbie a entrepris de stabiliser ses structures de pouvoir et de rétablir l’ordre intérieur. Des investisseurs commencent d’affluer, y compris en provenance des Émirats. Dans la crise actuelle, les richesses agricoles, hydrauliques et énergétiques de la Serbie deviennent un atout stratégique de premier plan, et les entreprises chinoises et russes y étendent leur influence pendant que les Occidentaux s’épuisent militairement au Moyen-Orient et ailleurs. Le tracé du futur gazoduc russe South Stream réserve à la Serbie un rôle de pivot et de robinet énergétique (tout en contournant la Croatie pour des raisons politiques, malgré les complications et les frais induits). Pour toutes ces raisons, l’État serbe a été amené au pied du mur et contraint à un choix auquel il est historiquement et essentiellement réticent : s’aligner et devenir le vassal d’un bloc ou de l’autre.

 

La décision que le gouvernement de Belgrade allait prendre le 2 avril 2013 revenait fondamentalement à cela : le choix d’une vassalité, occidentale ou russe, doublé d’une perte inéluctable du Kosovo. Que ce soit sous Milošević ou sous les démocrates de Tadić “pro-occidentaux”, la Serbie officielle a toujours louvoyé pour éviter un tel alignement, fût-ce à ses propres dépens. Aujourd’hui, si les intérêts économiques penchent en faveur de l’Occident, le raisonnement géopolitique est peut-être plus favorable à la Russie. Mais aucune de ces raisons n’a jamais primé sur une constante ancestrale de la politique serbe : le refus irrationnel de tout assujettissement. Cette constante a été au cœur de revirements dramatiques de l’histoire européenne.8

 

Échec des pourparlers Serbie-Kosovo mais la porte n'est pas close

Avant la réunion, les Serbes avaient exprimé un certain pessimisme sur la possibilité de s'entendre sur la question très sensible du nord du Kosovo, une région peuplée majoritairement de Serbes qui n'acceptent pas le contrôle de Pristina cinq ans après l'indépendance du Kosovo.

Les négociations ont achoppé sur le degré d'autonomie dont pourraient bénéficier les municipalités de cette région en échange de l'affirmation de l'autorité formelle de Pristina.

Belgrade réclame la création d'une "association" de ces municipalités qui disposerait de "pouvoirs exécutifs" pour la sécurité, la police et la justice.

Mais Pristina a jusqu'à présent refusé d'aller aussi loin, M. Thaçi ayant réaffirmé que cette association n'aurait "en aucun cas des pouvoirs législatifs".

Les Kosovars craignent en effet qu'une autonomie poussée ne débouche sur une sécession à terme du Nord du pays, une menace brandie par certains Serbes du Nord.

En Serbie, la question est extrêmement sensible sur le plan politique. Le très influent vice-Premier ministre Aleksandar Vucic s'était ainsi joint à la réunion de Bruxelles, après avoir mis en garde contre les risques d'une "humiliation" de son pays.

Belgrade doit composer avec la pression des pays européens, pour qui un accord est la condition à la fixation d'une date d'ouverture des négociations d'adhésion de la Serbie à l'Union européenne.9

Certains pays européens, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont clairement conditionné l’avancement de Belgrade vers l’adhésion à l’UE par la normalisation des relations avec Prishtina. C’est notamment suite aux pressions européennes qu’un accord historique a été signé le 19 avril 2013 entre la République du Kosovo et la République de Serbie, constituant un grand pas en avant vers l’amélioration des rapports entre les deux États. Celui-ci garanti qu’aucun des deux pays ne pourra entraver le chemin de l’autre vers l’intégration européenne et a également permis l’ouverture des bureaux de liaisons respectifs à Belgrade et à Prishtina. Dans ce contexte, les décideurs politiques serbes préparent progressivement l’opinion publique afin de faciliter l’acceptation de la reconnaissance officielle du Kosovo par celle-ci au moment où la Serbie serait prête à adhérer à l’UE.

Les États qui, jusqu’à présent, ont reconnu officiellement le Kosovo continuent de soutenir celui-ci à adhérer dans les institutions et les organisations internationales. Ceux-ci sont optimistes et estiment que le Kosovo trouvera progressivement sa place en tant qu’acteur étatique souverain sur le plan international. D’ailleurs, même les habitants de la Serbie sont désormais conscients de la nouvelle réalité créée principalement depuis le 17 février 2008. Les résultats de différents instituts de sondages serbes durant l’année 2013 montraient que plus de 65 % des Serbes pensent que le Kosovo est un État indépendant. En se basant sur l’avis favorable de la CIJ et les reconnaissances officielles de plus en plus nombreuses qu’engrange le Kosovo il est évident que son indépendance est irréversible, c’est-à-dire qu’il n’y aura plus de retour en arrière.10

 

 

Situation politique et économique du Kosovo

En dépit d’un ralentissement en 2012, le Kosovo connaît depuis la déclaration d’indépendance de 2008 le taux de croissance le plus élevé de la région : réévalué à 3,4 % en 2013 grâce à la forte entrée de remises, il est estimé à 4,7 % en 2014. Mais il s’agit aussi du pays le plus pauvre, avec un PIB en 2013 à 22 % de la moyenne constatée dans l’UE et une grande dépendance à la bonne santé économique de l’Allemagne et de la Suisse.

Le contexte électoral a incité le gouvernement à soutenir la consommation, tout en maintenant une discipline budgétaire ferme (augmentation des recettes fiscales d’environ 13 % et baisse des dépenses de quelque 8 % sur un an). Au total, le déficit public ne devait pas dépasser 2 % du PIB en 2014 avec une dette publique globale particulièrement basse, évaluée à 10,5% du PIB. La hausse des salaires a été compensée par une réduction de moitié des investissements publics. La demande intérieure (notamment dans la construction immobilière qui connaît un boom) a également été soutenue par des prêts aux ménages et aux entreprises. Les IDE (investissements directs étrangers) ont augmenté, principalement dans le domaine des transports (aéroports et autoroutes) et de l’énergie. Le système bancaire, massivement dominé par les banques étrangères, semble relativement robuste en raison de l’importance des dépôts domestiques, malgré l’augmentation des prêts non performants (qui restaient inférieurs à 8 % du total des prêts en 2013).

Les transferts des migrants étaient de 12,3 % du PIB en 2013. Ils proviennent principalement d’Allemagne et de Suisse et contribuent au soutien de la consommation, ainsi qu’au financement du déficit extérieur courant. Mais selon le même cercle vicieux de dépendance que pour l’Albanie, ces transferts tendent également à creuser le déficit commercial (42 % du PIB) puisque que le pays importe quasiment tout ce qu’il consomme. Le chômage, évalué à 29 % en 2014, est en baisse par rapport aux 45 % de 2009. Mais le Kosovo a surtout connu, au cours de l’année écoulée, des tensions politiques majeures, tout d’abord liées aux révélations sur les trafics en tous genres. Un récent scandale de corruption affecte y compris la mission EULEX, alors qu’elle est censée aider le pays à établir un État de droit.

Les accusations de trafic d’organes sur des prisonniers serbes dans le nord de l’Albanie éclaboussent le Premier ministre, Hashim Thaçi, et d’autres anciens membres de l’UÇK (Armée de libération du Kosovo). En avril 2014, le Parlement a accepté la création d’un tribunal spécial pour les crimes de guerre, suite au rapport du sénateur suisse Dick Marty, nommé en 2008 par le Conseil de l’Europe pour enquêter sur ces possibles crimes de guerre dénoncés par l’ancienne procureure du TPIY, Carla Del Ponte. En août 2014, le procureur Williamson en a admis l’existence, mais il a estimé que les preuves n’en étaient pas assez étayées. Les institutions européennes ont demandé l’établissement d’une mission européenne d’enquête.

À cause de ces accusations, le PDK (Parti démocratique du Kosovo) de Hashim Thaçi, en tête du scrutin de juin 2014, mais sans majorité absolue, a rencontré des difficultés pour trouver des partenaires afin de former une majorité gouvernementale. Pendant cinq mois, une précaire coalition d’opposition s’est formée, la LAN, ainsi nommée en fonction des initiales de ses composantes : la LDK (Ligue démocratique du Kosovo), l’AAK (Alliance pour l’avenir du Kosovo) de Ramush Haradinaj (lui-même ancien commandant de l’UÇK) et la Nisma (Initiative pour le Kosovo). Elle a été rejointe en septembre par le parti Vetëvendosje (Autodétermination) sur la base d’un accord programmatique avec des partis qu’elle combattait jusqu’alors : son dirigeant, Albin Kurti, interrogé à ce sujet, a déclaré que, après la Serbie, le principal problème du Kosovo est la corruption endémique, incarnée par le régime de Thaçi. La coalition espérait obtenir la présidence du parlement. Mais la Cour constitutionnelle a estimé que ce poste revenait au parti arrivant en tête aux élections – donc le PDK. Après cinq mois de paralysie institutionnelle et gouvernementale, la coalition d’opposition a éclaté en novembre, quand, sous pression des États-Unis, un gouvernement “d’union sacrée” a été formé entre le PDK et la LDK, se partageant tous les postes de responsabilité – l’actuelle présidente du Kosovo, Atifete Jahjaga, devant assumer ses fonctions jusqu’en 2016.

Au-delà de tous ces troubles, la question principale à laquelle est confrontée le Kosovo concerne l’application de l’accord « historique » conclu à Bruxelles entre Pristina et Belgrade (le 19 avril 2013) sous la pression de l’Union européenne,. Celui-ci n’inclut pas formellement la reconnaissance par la Serbie de l’indépendance du Kosovo, mais il implique l’abolition des institutions parallèles serbes dans la région frontalière et la formation d’une association des municipalités serbes dotée d’une large autonomie. Le parti Vetëvendosje (en tête aux élections de Pristina), conteste cet accord qui ne clarifie pas le statut du pays ; mais il affirme la volonté de dialoguer avec les Serbes du Kosovo qui ont commencé à s’intégrer à la vie du pays et le souhait d’être impliqué dans les négociations avec Bruxelles pour rapprocher le Kosovo d’une adhésion à l’UE. Il défend aussi le droit de s’unifier avec l’Albanie et de contester les orientations néolibérales en vigueur.11

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Kosovo
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Kosovo
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Kosovo
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Kosovo
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Kosovo
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Kosovo
(7) http://www.npa2009.org/content/kosovo-1999-2009-quelques-mensonges-de-la-pseudo-guerre-humanitaire
(8) Slobodan Despot https://www.investigaction.net/fr/Kosovo-un-nouveau-Rambouillet/
(9) http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/echec-des-pourparlers-serbie-kosovo-mais-la-porte-n-est-pas-close_1236880.html
(10) Liridon Lika http://www.rtbf.be/info/opinions/detail_kosovo-la-reconnaissance-internationale-apres-six-annees-d-independance?id=8202862
(11) Catherine Samary http://cadtm.org/Albanie-Bosnie-Herzegovine-Kosovo