La Bosnie-Herzegovine

 

 

L'Antiquité

L'actuel territoire de la Bosnie-Herzégovine a été peuplé d'abord par des agriculteurs peut-être matriarcaux (selon Marija Gimbutas) qui ont laissé à Butmir les traces d'une culture (nommée d'après ce site) apparentée aux civilisations Danubiennes de la péninsule balkanique, vénérant les cycles de la nature et les déesses de la fécondité. Les Indo-européens patriarcaux arrivent ici vers 1300 avant notre ère : ce sont les Illyriens, peuple indo-européen d'origine iranienne comme les Thraces, les Cimmériens, les Scythes, les Hittites ou les Phrygiens. Au Ve siècle av. J.-C. une influence celtique se fait sentir le long de la Save, au nord : les Scordisques s'y installent, tandis que dans les montagnes les Illyriens continuent à vivre en tribus rivales. Entre 200 et 150 avant notre ère, les Romains s'installent au sud, mais c'est seulement en 33 avant notre ère que le pays devient province romaine, nommé Illyricum ; ultérieurement ce nom sera étendu aux provinces voisines tandis que l'actuelle Bosnie-Herzégovine sera appelée "Dalmatie".

Lors des partages de l'Empire romain, le pays se retrouve du côté occidental. Les populations sédentaires, entre-temps romanisées (il en reste des toponymes, tels "Romania planina" ou "Vlasic"), ont été converties au christianisme. Les Wisigoths de 397 à 401, puis les Ostrogoths de 454 à 535 ravagent le pays, et la population se réfugie dans les montagnes. En 535 le général romain d'orient Bélisaire reprend le sud du pays (l'actuelle Herzégovine) rattaché au diocèse de Ravenne, tandis que les Lombards, puis les Avars, règnent au nord. Simultanément arrivent les Slaves, d'abord comme alliés des Avars.

 

Les Slaves

Venus de l'actuelle Pologne méridionale et de l'actuelle République tchèque à partir du VIe siècle, des groupes de Slavons, de Sorabes et de Croates s'installent et assimilent rapidement les populations romanisées (Valaques). Leur langue slave méridionale est appelée par les linguistes "serbo-croate". Les Croates, au sud-ouest, et une partie des Slavons, au nord, se christianisent sous l'égide de l'église latinophone de Rome et adoptent l'alphabet latin. Les Sorabes, au centre et à l'est, ainsi qu'une autre partie des Slavons au sud-est, se christianisent sous l'égide de l'église hellenophone de Constantinople et adoptent l'alphabet cyrillique inventé pour eux par les missionnaires Cyrille et Méthode. Certains Slaves, cependant, restent fidèles aux anciens dieux slaves tels Péroun. Les Slaves s'organisent en principautés "knezats" ou "canesats" plus ou moins puissants, qui recherchent l'alliance et la protection tantôt des puissances occidentales (Empire carolingien, Rome), tantôt des puissances orientales (Empire Bulgare, Empire romain d'orient dit Empire byzantin). Résultat: en 870, l'actuelle Bosnie-Herzégovine se retrouve partagée entre le royaume de Croatie à l'Ouest, et l'empire Bulgare à l'Est. Après l'an 1000, la partie ouest devient hongroise, tandis que l'est redevient byzantin. En 1166, c'est finalement tout le pays qui devient byzantin.

Une grande révolte slave éclate alors. La Bosnie-Herzégovine en est le centre. Elle est à la fois religieuse et politique. Les Slaves restés Pérounistes, ainsi qu'une partie des chrétiens lassés des fastes des églises et du luxe du clergé, a adopté la foi prêchée par le pope Bogomil, et appelée par les historiens "Catharisme" (du grec katharos : propre, pur). Bogomiles ou "Cathares", ils souhaitent un royaume indépendant et obtiennent gain de cause en 1180. Ce sera le Royaume de Rama. Cette première Bosnie indépendante, à peu de choses près dans ses frontières actuelles, durera 23 ans. Mais les Églises ne tolèrent pas plus l'"hérésie" dans les Balkans, que dans le midi de la France : en 1203 la Hongrie catholique s'empare du pays et soumet ses habitants à l'alternative : la conversion ou la mort. La plupart des habitants retournent au christianisme catholique ou orthodoxe, mais de mauvaise grâce. Sous la domination hongroise, la Bosnie septendrionale est organisée en banats (duchés semi-autonomes à majorité orthodoxe : Ozora, Shava), la Bosnie méridionale forme un royaume vassal avec un roi catholique, tandis que la Herzégovine s'allie puis se rattache à la Serbie voisine.

 

Les périodes ottomane et autrichienne

De 1463 à 1483 les Turcs mettent fin à cet ordre féodal et un tiers environ des habitants, désireux d'éviter le haraç (impôt dû par les non-musulmans), se convertit à l'islam. Privilégiés sous le régime ottoman, ils se multiplient au fil des quatre siècles de domination ottomane.

Après la victoire du prince Eugène à la bataille de Zenta (1697), les Habsbourg l'annexent temporairement de 1718 (traité de Passarowitz) à 1739 (traité de Belgrade). Sous l'empire ottoman, les paysans restés catholiques ou orthodoxes sont hostiles aux fonctionnaires turcs et aux grands propriétaires islamisés. Une insurrection éclate en Herzégovine (août 1875) et en Bosnie (1876). En juillet 1876, la Serbie et le Monténégro déclarent la guerre à la Turquie Ottomane devant son refus d’accorder la Bosnie à la Serbie et l’Herzégovine au Monténégro.

Des massacres sont commis par les mercenaires à la solde des Turcs (les bachi-bouzouks). La Russie et l'Autriche-Hongrie interviennent. Cette dernière obtient l'administration provisoire de la Bosnie-Herzégovine (Congrès de Berlin, 1878), qui reste officiellement turque.

À l'époque, les musulmans sont près de la moitié de la population. L'autre moitié se partage entre catholiques et orthodoxes : ces derniers revendiquent l'union avec la Serbie voisine.

L'annexion officielle de la Bosnie-Herzégovine à l'Autriche-Hongrie le 5 octobre 1908 en précipite certains dans le terrorisme. C'est le cas de Gavrilo Princip, assassin de l'archiduc François Ferdinand, héritier du trône des Habsbourg et de sa femme Sophie. Leur assassinat à Sarajevo le 28 juin 1914 a servi de prétexte au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

 

La période yougoslave

Conformément au principe du Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes énoncé par le président américain Woodrow Wilson à l'issue de la Première Guerre mondiale, l'union entre le "Comité yougoslave" (Jugoslavenski odbor) slovène et croate avec la Serbie, permet la fondation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, renommé ultérieurement Royaume de Yougoslavie. Les musulmans n'y étaient pas reconnus comme l'une des composantes du pays. Pendant la Seconde Guerre mondiale qui démantèle la Yougoslavie en 1941 les représentants des musulmans de Bosnie-Herzégovine se rallièrent à l'État indépendant de Croatie, allié du troisième Reich, tandis que les orthodoxes se rallièrent massivement aux Tchetniks (résistants Serbes royalistes) ou aux partisans (résistants communistes dirigés par le Croate Tito). La domination nazie sur la Bosnie-Herzégovine entraîne une persécution des Juifs, des Serbes et des Tziganes. Le 25 novembre 1943 le "Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie" se réunit à Jajce, proclame la Fédération démocratique de Yougoslavie et décide de la formation d'une République socialiste de Bosnie-Herzégovine au sein de la future Yougoslavie communiste. La fin de la guerre et la victoire des Partisans entraîne la création de la République fédérale populaire de Yougoslavie, qui devient la République fédérale socialiste de Yougoslavie en 1963.1

 

L'éclatement de la Yougoslavie

Le processus d'éclatement de la Yougoslavie ne se fit pas sous la pression des peuples, mais sous celle des cercles dirigeants des différentes républiques composant la Fédération yougoslave. Et cela avec la complicité des grandes puissances qui les soutinrent en espérant acquérir de nouvelles zones d'influence et gagner quelques marchés.

Durant la Seconde Guerre mondiale, une certaine unité du pays s'était construite dans le combat contre l'occupant nazi. Après la guerre, le dirigeant du Parti communiste yougoslave, Tito, une fois au pouvoir tenta pour maintenir la cohésion du pays, de réaliser un équilibre entre les nationalités, notamment par la création d'une fédération. Le nationalisme yougoslave se renforça encore par la suite dans la résistance de Tito à l'URSS de Staline. Mais, du fait que sous Tito la domination serbe se perpétua malgré tout, le ciment du nationalisme yougoslave alla en se fissurant.

La mort de Tito en 1980, créant un vide au sommet de l'État, aiguisa les ambitions des bureaucrates, tous membres du Parti communiste, qui s'étaient construit des fiefs dans chacune de leurs républiques respectives, et ce alors que les répercussions de la crise mondiale, touchant de plein fouet la Yougoslavie, provoquaient une montée des tensions sociales. Ces hommes politiques furent dès lors nombreux à vouloir détourner les mécontentements sur les voies du nationalisme, chaque clan s'appuyant sur son appareil d'État local.

Ainsi le dirigeant serbe Milosevic comme le dirigeant croate Tudjman, tous anciens dignitaires de la bureaucratie au pouvoir du temps de Tito, s'empressèrent de rejeter la nationalisme yougoslave, dont ils avaient été les défenseurs, pour canaliser vers le chauvinisme ethnique de nombreuses aspirations contradictoires : celles des couches privilégiées locales cherchant à s'enrichir, comme celles des classes exploitées inquiètes devant la crise.

La sécession de la Slovénie en juin 1991, puis celle de la Croatie amputaient le pays des deux républiques les plus riches. L'armée du pouvoir central de Belgrade réagit dès la déclaration d'indépendance de la Croatie en déclenchant la guerre. Puis la guerre s'étendit dans la république de Bosnie-Herzégovine. Dans cette république, et en particulier dans la capitale Sarajevo, vivaient de façon enchevêtrée des populations de différentes nationalités. La guerre aboutit au découpage de cette région en dix provinces après des mois de bombardements, de la capitale en particulier. Un an plus tard, la Yougoslavie avait cessé d'exister.

 

L'intervention très intéressée des puissances impérialistes

L'intervention des grandes puissances impérialistes accéléra le démembrement du pays. Au départ, celles-ci parlèrent de calmer le jeu. Mais leurs oppositions économiques et politiques commencèrent très vite à se manifester. De ce fait, et naturellement en quelque sorte, elles se retrouvèrent à appuyer les dirigeants des régions qu'elles soutenaient déjà avant 1945. L'Allemagne soutint par exemple le nationalisme slovène et surtout croate. De son côté, la France se positionnait aux côtés de Milosevic, comme elle l'avait fait quelques décennies auparavant en soutenant la monarchie serbe.

C'était là un feu vert donné à l'expression des micro-nationalismes et aux politiques qui ouvraient pourtant la voie à la « purification ethnique », c'est-à-dire au regroupement forcé sur le même territoire de populations de même origine, avec d'innombrables viols et tueries.

En juillet 1995, des massacres furent commis à Srebrenica, en Bosnie, où au moins 7 000 personnes furent alors assassinées par les forces armées serbes. La ville fut totalement vidée du reste de sa population musulmane. Srebrenica faisait partie des villes placées en principe sous la protection de l'ONU depuis 1993. En 1995, la force de l'ONU était commandée par le général français Janvier. Les menaces serbes sur cette ville étaient flagrantes et connues, mais le général Janvier et l'ONU abandonnèrent délibérément l'enclave aux forces armées serbes. La déportation et les massacres eurent lieu au vu et au su des casques bleus présents sur place. Voilà une illustration de ce que fut le rôle des pays impérialistes, et entre autres celui de la France.

Les accords signés en novembre 1995 à Dayton, aux États-Unis, entérinèrent le découpage de la Bosnie. L'intervention des grandes puissances impérialistes visa alors à surveiller ce prétendu règlement de la situation.

Après avoir été l'interlocuteur privilégié de l'impérialisme, Milosevic tomba en disgrâce, non pas pour les crimes qu'il avait commis, mais parce qu'il n'obéissait pas entièrement aux grandes puissances impérialistes, en particulier du fait de sa volonté de mettre la main sur le Kosovo. Il fut arrêté, jugé par le Tribunal pénal international pour crimes contre l'humanité. Il mourut en prison avant la conclusion de son procès, en 2006. Quelques autres ont été arrêtés depuis, dont Ratko Mladic, fin mai 2011, qui sera jugé par le Tribunal pénal international pour le massacre opéré sous ses ordres durant le siège de Sarajevo.

Mais, quelle que soit l'issue du procès, de toute façon justice ne sera pas rendue puisque les puissances impérialistes, qui se sont appuyées sur ce genre de criminels, en Serbie comme en Croatie ou en Bosnie, pour dresser les peuples les uns contre les autres, ne seront pas au banc des accusés.2

 

Les accords de Dayton

Suite à ces défaites serbo-yougoslaves, le 21 novembre 1995, les belligérants signèrent à Dayton, Ohio, un traité de paix afin d'arrêter les combats. Les accords de Dayton partagèrent la Bosnie-Herzégovine en deux entités autonomes : La Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (51 % du territoire et 70 % de la population) et la République serbe de Bosnie (49 % du territoire et 25 % de la population). En 1995-1996, une force internationale de maintien de la paix (IFOR) dirigée par l'OTAN, comprenant 60 000 soldats, intervint en Bosnie afin de mettre en place et de surveiller les aspects militaires de l'accord. À l'IFOR succéda une force de stabilisation (Sfor) plus réduite (14 000 soldats en 2003) dont la mission était d'empêcher la reprise des hostilités. À cette Sfor, a succédé en décembre 2004, l'Eufor, une force militaire de l'Union européenne de 7 000 hommes environ.

La force de police internationale de l'ONU en Bosnie-Herzégovine a été remplacée fin 2002 par la Mission de police de l'Union européenne (MPUE), premier exemple pour l'Union européenne d'une telle force de police, ayant des missions de surveillance et d'entraînement.

En 2008, la Bosnie-Herzégovine est un pays encore blessé. De nombreux charniers furent découverts après la fin de la guerre. Après la mort des présidents Tudjman et Milosevic, la Croatie et la Serbie se sont excusées pour les agressions et les crimes de guerres commis sur le peuple bosniaque. Les criminels de guerre des trois camps ont été recherchés et poursuivis devant la Cour internationale de justice.

Les principaux dirigeants de l'armée serbe, rendus responsables des événements de Srebrenica, le général Ratko Mladić et Radovan Karadžić (ancien président de la République serbe de Bosnie) furent recherchés. Karadžić a été démasqué et arrêté à Belgrade le 22 juillet 2008, après une cavale de 13 ans, Mladić fut quant à lui arrêté à Lazarevo (Voïvodine, Serbie), par la police serbe, le 26 mai 2011, après quinze ans de cavale.3

 

Démantèlement de la Yougoslavie, Recolonisation de la Bosnie-Herzégovine

Quand les forces américaines et celles de l’OTAN ont ramené la paix en Bosnie au bout du fusil, la presse et la classe politique se sont émues de la noblesse de l’intervention occidentale dans l’ex-Yougoslavie qui venait, bien que trop tardivement, de mettre fin aux massacres ethniques et aux violations des droits de la personne. Au moment de conclure les accords de paix de Dayton en novembre 1995, l’Occident était impatient de redorer son blason en tant que sauveur des Slaves méridionaux et de se mettre au travail afin de reconstruire les nouveaux « États souverains ».

Mais, selon un modèle qui a fait ses preuves, l’opinion publique occidentale fut astucieusement induite en erreur. On l’a persuadée, comme en témoignent les écrits de l’ancien ambassadeur des États-Unis en Yougoslavie, Warren Zimmermann, que le sort des Balkans était le fruit d’un « nationalisme à outrance », le résultat inévitable de tensions ethniques et religieuses profondément ancrées dans l’histoire. On parla aussi de l’épreuve de force qui se jouait dans les Balkans, de l’affrontement entre personnalités politiques, notamment Tudjman et Milosevic, en train de tailler en pièces la Bosnie-Herzégovine.

Toute une batterie d’images et d’analyses complaisantes ont fait perdre de vue les causes économiques et sociales du conflit. La grave crise économique qui avait précédé la guerre civile a été reléguée aux oubliettes. Les intérêts stratégiques de l’Allemagne et des États-Unis à jeter la base de la désintégration de la Yougoslavie sont occultés, tout comme le rôle des créanciers extérieurs et des institutions financières internationales. Pour les médias du monde entier, les puissances occidentales n’ont aucune responsabilité dans l’appauvrissement et la destruction d’une nation de 2,4 millions d’habitants.

Mais par la domination qu’elles exercent sur le système financier mondial, les puissances occidentales ont contribué, en poursuivant leurs intérêts stratégiques nationaux et collectifs, à asservir l’économie yougoslave et à raviver les conflits ethniques et sociaux du pays. C’était désormais au tour des Etats issus d’une Yougoslavie ravagée par la guerre d’être à la merci des milieux financiers internationaux.

Tandis que l’attention du monde était rivée sur les mouvements de troupe et les cessez-le-feu, les institutions financières internationales s’affairaient à récolter la dette extérieure de l’ex-Yougoslavie auprès de ses Etats restants, tout en s’assurant de transformer les Balkans en un paradis de la libre entreprise. Une fois la paix obtenue en Bosnie sous les canons de l’OTAN, l’Occident dévoila à la fin de 1995 un programme de « reconstruction » qui dépouilla de sa souveraineté ce pays brutalisé à un degré sans précédent en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce programme consistait pour ainsi dire à placer le territoire divisé de la Bosnie sous l’occupation militaire de l’OTAN et l’administration de l’Occident.

 

Une Bosnie néocoloniale

S’appuyant sur les accords de Dayton qui ont créé une « constitution » bosniaque, les États-Unis et leurs alliés européens ont établi en Bosnie une administration authentiquement coloniale. Elle était dirigée par leur haut représentant, Carl Bildt, ancien premier ministre suédois et porte-parole de l’Union européenne aux pourparlers de paix touchant la Bosnie. Bildt a été revêtu des pleins pouvoirs exécutifs dans toute affaire civile, avec droit de passer outre aux objections des gouvernements tant de la Fédération bosniaque que de la République Srpska ou des Serbes de Bosnie. Pour mettre les choses au clair, il est prévu dans les accords que « le haut représentant est l’autorité » sur place « en ce qui concerne l’interprétation des accords ». Il agit en liaison étroite avec le haut commandement militaire de la Force multinationale de mise en œuvre de la paix (IFOR) ainsi qu’avec les créanciers et donateurs.

Le Conseil de sécurité de l’ONU avait aussi nommé un « commissaire » qui devait, sous les ordres du haut représentant, diriger une police civile internationale. L’Irlandais Peter Fitzgerald, doté d’une expérience dans le maintien de l’ordre pour le compte de l’ONU en Namibie, au Salvador et au Cambodge, est nommé à la tête d’environ 1700 policiers provenant de 15 pays. […]

La nouvelle « Constitution » qui figure en annexe aux accords de Dayton remet les rênes de la politique économique aux institutions de Bretton Woods et à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), dont le siège social se trouve à Londres. La « Constitution » exige que le premier gouverneur de la Banque centrale bosniaque soit désigné par le FMI et, comme le haut représentant, il « ne peut être un citoyen de la Bosnie-Herzégovine ni d’un Etat voisin ».

Sous le régime du FMI, la Banque centrale n’a pas le droit de fonctionner comme… banque centrale : « Pendant six ans […], elle ne peut accorder de crédits par création monétaire, opérant à cet égard comme un simple institut d’émission. » La Bosnie ne peut non plus avoir sa propre monnaie (ne pouvant émettre de monnaie qu’avec l’aval d’une devise étrangère) et elle ne peut mobiliser ses ressources internes. Autrement dit, sa capacité d’autofinancer sa propre reconstruction au moyen d’une politique monétaire indépendante est limitée d’entrée de jeu.

Tandis que la Banque centrale est placée sous la tutelle du FMI, la BERD prend charge de la Commission des entreprises publiques qui dirige depuis 1996 les opérations de toutes les entreprises du secteur public bosniaque : l’énergie, l’eau, la poste, les télécommunications, le transport, usw. Le président de la BERD nomme le responsable de cette commission et veille à la restructuration du secteur public, c’est-à-dire à la vente des actifs de l’État, des entreprises à propriété sociale et des coopératives. La Commission est également responsable des appels d’offres pour tous les projets d’investissement à long terme. […]

 

La révolution en douceur du conseil de sécurité nationale

Multiethnique et socialiste, la Yougoslavie a déjà constitué une puissance industrielle régionale et une réussite économique. Dans les deux décennies précédant 1980 son produit intérieur brut (PIB) augmentait en moyenne de 6,1% par année, les soins médicaux étaient gratuits, son taux d’alphabétisation atteignait 91% et l’espérance de vie était de 72 ans. Mais après 10 années d’ingérence occidentale et de désintégration causée par la guerre, le boycott et l’embargo, les États issus de l’ex-Yougoslavie se sont trouvés en piètre situation économique, leur secteur industriel ayant été démantelé.

L’implosion de la Yougoslavie est causée en partie par les machinations des États-Unis. Malgré le non-alignement de Belgrade et ses bonnes relations commerciales avec la Communauté européenne comme avec les États-Unis, l’administration Reagan avait pris pour cible l’économie yougoslave dans un décret secret [secret-sensitive] du conseil de sécurité nationale en 1984 (NSDD 133), portant sur la politique des États-Unis touchant la Yougoslavie. Une version censurée de ce document rayé de la liste des documents secrets en 1990 s’inspirait largement d’un décret de 1982 (NSDD 64) concernant l’Europe de l’Est. Ce dernier préconisait de « redoubler d’efforts afin de promouvoir une révolution en douceur qui renverserait gouvernements et partis communistes » à travers la réintégration de ces pays dans une économie de « libre marché ».

Les États-Unis s’étaient joints aux autres créanciers internationaux de Belgrade pour imposer un premier ensemble de réformes macroéconomiques en 1980 peu avant la mort du maréchal Tito. Le ton de la restructuration était alors donné. Les tendances sécessionnistes alimentées par les divisions ethniques et sociales ont pris de l’ampleur au moment où la population yougoslave était brutalement appauvrie. Les réformes économiques « ont semé le désordre économique et politique. […] Le ralentissement de la croissance, l’accumulation de la dette extérieure et, en particulier, le coût du service de cette dette de même que la dévaluation ont fait chuter le niveau de vie du citoyen moyen […]. La crise économique minait la stabilité politique […] et menaçait aussi d’attiser les tensions ethniques.»

Ces réformes, accompagnées par la conclusion avec des créanciers officiels et commerciaux d’ententes sur la restructuration de la dette, ont également affaibli les institutions de l’État fédéral et provoqué des divisions politiques entre Belgrade et les gouvernements des républiques et des provinces autonomes. « Le premier ministre [fédéral] Milka Planinc, qui était censé mettre le programme en application, a dû promettre au FMI une hausse immédiate du taux d’escompte et prendre bien d’autres engagements devant le train de mesures à la Reagan […]. » Tout au long des années 1980 le FMI et la Banque mondiale ont prescrit à tour de rôle de nouvelles doses de leur amère « médecine économique », jusqu’à ce que l’économie yougoslave tombe peu à peu dans le coma.

Dès le début, les programmes successifs parrainés par le FMI ont accéléré la désintégration du secteur industriel yougoslave. Après la première salve de réformes macroéconomiques en 1980 la croissance industrielle a dégringolé, passant de 2,8 % au cours de la période 1980–1987 pour plonger à zéro en 1987–1988 et enfin reculer de 10 % en 1990. Le processus s’est accompagné du démantèlement graduel de l’État-providence, avec toutes ses conséquences sociales prévisibles. Entre-temps, les ententes sur le rééchelonnement de la dette ont fait gonfler cette dernière, tandis que la dévaluation obligée de la monnaie faisait baisser le niveau de vie des Yougoslaves.

À l’automne de 1989, juste avant la chute du mur de Berlin, le premier ministre yougoslave Ante Markovic s’est rendu à Washington pour conclure avec le président George Bush les négociations touchant un nouveau programme d’aide financière. En échange, la Yougoslavie s’engageait à accomplir des réformes économiques encore plus conséquentes, notamment à dévaluer de nouveau sa monnaie, à geler une fois de plus les salaires, à faire des coupes claires dans les dépenses gouvernementales et à supprimer les entreprises à propriété sociale gérées par les travailleurs.

Avec l’aide de ses conseillers occidentaux, la nomenklatura de Belgrade avait préparé le terrain pour la mission de Markovic en mettant déjà en œuvre plusieurs des réformes exigées, y compris une vaste libéralisation des lois touchant l’investissement étranger.

 

La « thérapie de choc » est efficace

La « thérapie de choc » fut appliquée à partir de janvier. Même si l’inflation avait déjà amputé les salaires, le FMI ordonna qu’ils soient gelés à leur niveau de la mi-novembre 1989. Pendant que les prix poursuivaient leur ascension, les salaires réels chutaient de 41 % au cours des six premiers mois de 1990.

Le FMI avait le contrôle effectif de la Banque centrale yougoslave. Sa politique monétaire restrictive réduisit encore l’aptitude du pays à financer ses programmes économiques et sociaux. Alors que les recettes de l’État auraient dû servir aux paiements de transfert aux républiques, elles furent employées au service de la dette de Belgrade envers les Clubs de Paris et de Londres. Les républiques étaient abandonnées à leur sort. Le programme économique fut lancé en janvier 1990 en vertu d’un accord stand-by (SBA) du FMI et d’un prêt à l’ajustement structurel (PAS II) de la Banque mondiale. Les compressions budgétaires exigeant d’orienter les recettes fédérales vers le service de la dette aboutirent à la suspension des paiements de transfert de Belgrade aux gouvernements des républiques et des provinces autonomes.

Les réformateurs avaient en quelque sorte provoqué l’effondrement de la structure financière fédérale de la Yougoslavie et blessé à mort ses institutions politiques. Une fois sectionnées les artères financières entre Belgrade et les républiques, les réformes ont contribué à alimenter les tendances sécessionnistes, tant par les facteurs économiques que par les divisions ethniques, ce qui assurait la sécession de facto des républiques. La crise budgétaire suscitée par le FMI avait provoqué un « fait accompli » économique qui a facilité la sécession officielle de la Croatie et de la Slovénie en juin 1991.

De source officielle, on sait qu’en 1989 il y a eu 248 entreprises mises en faillite ou liquidées et 89 400 travailleurs licenciés. En 1990, au cours des neuf premiers mois suivant l’adoption du programme du FMI, 889 autres entreprises réunissant une main-d’œuvre de 525 000 travailleurs ont été soumises à la procédure de faillite. Si bien qu’en moins de deux ans, le fameux « mécanisme de sortie » de la Banque mondiale a entraîné (en vertu de la Loi sur les opérations financières) 614 000 licenciements sur un total de l’ordre de 2,7 millions de travailleurs. Ces faillites et licenciements se sont surtout concentrés en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine et au Kosovo.

Beaucoup d’entreprises à propriété sociale tentèrent d’éviter la faillite en imposant un gel sur le paiement des salaires. Un demi million de travailleurs, soit environ 20 % de la main-d’œuvre industrielle, n’ont pas été rémunérés au cours des premiers mois de 1990 afin de satisfaire aux exigences des créanciers découlant des dispositions de la Loi sur les opérations financières. Les salaires réels étaient en chute libre, les programmes sociaux s’étaient effondrés. Avec la faillite de pans entiers de l’économie nationale, le chômage était devenu endémique, semant le désespoir dans la population.

L’apparition simultanée de milices loyales aux leaders sécessionnistes ne fit que précipiter la descente dans l’abîme. Ces milices (financées en sous-main par les États-Unis et l’Allemagne) et l’escalade de leurs atrocités ont non seulement suscité le clivage ethnique de la population mais également contribué à fragmenter le mouvement ouvrier.

 

L’« aide » occidentale

Les mesures d’austérité avaient jeté les bases de la recolonisation des Balkans. La question de savoir s’il fallait pour cela démembrer la Yougoslavie faisait l’objet de discussions entre les puissances occidentales, l’Allemagne s’agitant en faveur de la sécession et les États-Unis, par crainte d’ouvrir la boîte de Pandore du nationalisme, préconisant à l’origine le maintien de la fédération yougoslave.

En Croatie, après la victoire décisive de Franjo Tudjman et du parti de droite, l’Union démocratique au mois de mai 1990, le ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, qui était en contact presque quotidien avec son homologue de Zagreb, a donné son aval à la sécession de la Croatie. Loin de soutenir la sécession de façon passive, l’Allemagne « avait contribué à accélérer le processus diplomatique » en mettant la pression sur ses alliés occidentaux pour reconnaître la Slovénie et la Croatie. L’Allemagne exigeait de ses alliés d’avoir le champ libre « pour maintenir sa domination économique sur toute l’Europe centrale ».

En Croatie, le gouvernement du président Franjo Tudjman dut signer dès 1993, en pleine guerre civile, une entente avec le FMI. En retour de nouveaux prêts destinés principalement au service de la dette extérieure de Zagreb, Tudjman accepta de nouveau de fermer ou de mettre en faillite des usines et de réduire considérablement les salaires. Le taux de chômage officiel passa de 15,5 % en 1991 à 19,1 % en 1994.

Une fois les bombardements terminés, en juin 1999, le Kosovo s’est vu imposer des « réformes de libre marché » semblables à celles négociées dans le cadre de l’Accord de Rambouillet, lesquelles s’inspiraient notamment des Accords de Dayton imposés à la Bosnie. Le premier article de l’Accord de Rambouillet (chapitre 4a) prévoit que « l’économie du Kosovo devra fonctionner conformément aux principes du libre marché ».

Au même moment, à Pristina, les banques de l’État yougoslave fermaient leurs portes. Le mark allemand (et plus tard l’euro) devenait la monnaie légale et la presque totalité du système bancaire kosovar passait aux mains de la Commerzbank allemande qui prenait le contrôle de toutes les opérations bancaires de la province, y compris les transferts d’argent et les transactions en devises étrangères.

 

Les richesses minières du Kosovo vendues à vil prix

Sous l’occupation militaire occidentale, la richesse minière et houillère du Kosovo passe à vil prix aux mains du capital étranger. Dès avant les frappés aériennes, des investisseurs occidentaux avaient les yeux rivés sur l’immense complexe minier de Trepca, « la richesse la plus précieuse des Balkans, valant au moins cinq milliards de dollars ». Outre le cuivre et d’importants gisements de zinc, le complexe de Trepca présente aussi des réserves de cadmium, d’or et d’argent. Il possède plusieurs fonderies, 17 usines métallurgiques, une centrale électrique et la plus grosse usine de fabrication d’accumulateurs de la Yougoslavie. Le nord du Kosovo a également des réserves de charbon et de lignite évaluées à 17 milliards de tonnes.4

 

 

Population de la Bosnie-Herzégovine

À l'époque de la Yougoslavie, les Bosniaques étaient majoritairement appelés « Musulmans », les trois peuples composant le pays étant les Musulmans, qui avaient la majorité relative, les Bosno-Croates et les Bosno-Serbes.

La composition de la population a varié et surtout a changé de répartition géographique à la suite des diverses opérations de nettoyage ethnique, et les gentilés ont été changés afin d'éviter toute confusion entre le peuple musulman et la religion musulmane et pour répondre à la volonté de reconnaissance des Bosniaques en tant que nation. Ainsi les habitants du pays sont désormais officiellement appelés « Bosniens », les trois « nationalités » majoritaires étant les Bosniaques, les Croates et les Serbes. Par le mot « nationalité » il ne faut pas entendre ici la citoyenneté Bosnienne ni la langue BCMS que tous partagent, mais l'appartenance à une communauté confessionnelle et historique définie par la religion musulmane sunnite pour les Bosniaques, chrétienne catholique pour les Croates et chrétienne orthodoxe pour les Serbes, appartenances qui changent aussi le nom de la langue (respectivement bosnien, croate et serbe ; dans ce dernier cas, la langue s'écrit en caractères cyrilliques).

La nationalité yougoslave n'a pas pour autant disparu, et correspond à la population continuant à se déclarer Yougoslave, et non de l'une des « nationalités » bosniaque, croate ou serbe : il s'agit en majorité de couples mixtes.5

 

 

Explosion sociale (2014)

« Que les politiciens ne disent pas que les manifestants sont des hooligans (…) il s’agit de nos enfants qui nous voient souffrir depuis des années ; c’est la faim. Les vrais hooligans sont les ministres et le chef du gouvernement [de Tuzla] qui ne veulent pas comprendre ce qu’est de n’avoir rien à manger ».

C’est ainsi que s’exprimait une ouvrière de Dita, une entreprise de la ville de Tuzla qui fabrique du détergent et dont les 110 salariés ont des arriérés de salaire depuis 27 mois. Le cas de Dita est loin d’être isolé dans cette région qui fut la plus industrialisée de la Bosnie-Herzégovine à l’époque titiste. Après des années de fermetures d’entreprises, de privatisations mafieuses et de montée du chômage, les jeunes et les travailleurs de Bosnie ont exprimé leur rage accumulée.

En effet, le 5 février 2014, une manifestation contre le chômage, la misère et les privatisations appelée par des travailleurs d’entreprises privatisées et des jeunes au chômage de la ville de Tuzla (au nord-est) mettait le feu au pays. Les manifestants ont jeté des œufs et des projectiles contre le bâtiment du gouvernement du canton et ont essayé de forcer le cordon de police qui le protégeait. Très rapidement des affrontements entre la police et les manifestants ont éclaté ; 23 manifestants ont été blessés et presque 30 interpellés.

Le lendemain, ont eu lieu à Sarajevo, la capitale, et dans d’autres villes, des manifestations en soutien aux revendications des travailleurs et de la jeunesse de Tuzla, accompagnés d’affrontements très durs entre manifestants et forces de répression. Jeudi 6 février, on comptait 130 blessés dont plus de 100 policiers. Le ras-le-bol exprimé à Tuzla s’était généralisé.

Parmi les principales revendications des manifestants de Tuzla on trouvait : le paiement des arriérés de salaires de plusieurs entreprises privatisées depuis le début des années 2000 ; le paiement des retraites actuellement impayées à cause des patrons des entreprises privatisées qui ont tout simplement arrêté de payer les cotisations sociales ; et, plus en général, une solution pour lutter contre le chômage et la misère dans laquelle se trouve une grande partie de la population (on estime que le taux de gens sans emploi en Bosnie-Herzégovine est de 44 % et plus de 60 % parmi les moins de 25 ans).

 

L’usure des discours nationalistes ?

Le 7 février, les manifestations furent les plus radicales. Ce jour-là le pays était littéralement en feu : plusieurs bâtiments publics, dont les sièges des gouvernements cantonaux et celui du gouvernement fédéral brûlaient ; à Mostar, en plus du siège du gouvernement, les manifestants ont incendié les sièges des deux principaux partis nationalistes, le HDZ croate et le SDA bosniaque.

Ce fut l’un des symboles les plus forts du rejet des politiciens et des partis nationalistes qui dirigent le pays depuis les années 1990. En effet, au cours des manifestations aucun symbole nationaliste n’était visible. Bosniaques, Serbes et Croates manifestaient les uns à côté des autres pour des revendications clairement de classe, ce qui représentait un grand danger pour la caste de politiciens nationalistes corrompus à la tête de l’État.

Dans ce cadre, il n’est donc pas étonnant que les gouvernements cantonaux de Tuzla et Zenica et une cinquantaine de responsables politiques à travers le pays aient démissionné dans la foulé pour essayer de ramener le calme. En effet, même si en 2013 lors de la « Révolution des Bébés », un mouvement de remise en cause de la « caste politicienne nationaliste » avait déjà unis dans les manifestations Bosniaques, Croates et Serbes, le niveau de radicalité n’avait rien à voir avec l’explosion sociale actuelle.

Si la situation semble s’être un peu calmée depuis, plusieurs témoignages font encore part d’une ambiance très « électrique ».

 

Nationalistes, impérialistes et bureaucratie syndicale : « union sacrée » contre les masses !

Ces manifestations ont également révélé « l’instinct de survie » des politiciens nationalistes qui, avec l’appui des médias qu’ils contrôlent -soit directement soit à travers leurs amis « tycoons »- ont tous condamné les manifestations et essayé de discréditer la contestation. Et cela en utilisant les méthodes les plus caricaturales qui soient. Ainsi, suite à des –fausses- rumeurs relayées par la presse sur une supposée « saisie de 12kg de drogues lors des manifestations », Nermin Nikšic, le premier ministre de la fédération, assurait que « quelqu’un distribuait des comprimés aux manifestants ». De son côté, l’imam de Sarajevo, Muhamed Velic, dans une provocation scandaleuse, comparait les manifestants aux Tchetniks (ultranationalistes Serbes) lors du conflit de 1992-1995 : « En mai 1992, nous avions réussi à sauver les bâtiments de la présidence. Les tramways et les tanks brûlaient dans la rue Skenderija, mais les assaillants n’avaient pas réussi à détruire les bâtiments de la présidence, le symbole de l’État, de son histoire. Malheureusement, ce soir, la présidence est tombée en ruine ».

Quant aux dirigeants nationalistes Serbes et Croates, ils parlent d’un « complot » visant pour les uns à déstabiliser la Republika Srpska (l’une des deux entités qui composent la Bosnie-Herzégovine) et, pour les autres, l’Herzégovine, où habite la plus part des Croates de la fédération. Le cas le plus cynique est celui des dirigeants croates de Mostar. Dans cette ville divisée par les nationalistes depuis des années, le dirigeant du parti croate HDZ, Dragan Covic, épaulé par la presse locale, dénonçait « une rébellion bosniaque ayant pour but la déstabilisation du gouvernement local, afin de renforcer l’autorité de Sarajevo au détriment de l’Herzégovine croate ». Et cela alors qu’à Mostar les preuves d’unité entre Croates et Bosniaques lors des manifestations sont incontestables. D’ailleurs, dans cette ville les manifestants ont incendié aussi bien le siège du HDZ que celui du SDA bosniaque, les deux principaux partis nationalistes.

L’impérialisme, en la personne de l’autrichien Valentin Inzko, Haut Représentant International en Bosnie-Herzégovine, tout en affirmant hypocritement qu’il « comprenait » les manifestants, a menacé d’une intervention des forces armées de l’UE dans le pays si la tension continuait de monter. Il s’agissait clairement de rappeler que la Bosnie-Herzégovine reste un pays sous la tutelle directe de l’impérialisme. Cette menace doit être prise au sérieux, car elle révèle le rôle joué historiquement par les interventions impérialistes dans la région : interventions militaires dans les années 1990, rôle joué par les troupes italiennes pour contenir et désamorcer la révolte populaire en Albanie en 1997...

Enfin, la bureaucratie syndicale, toujours fidèle à la défense de l’ordre bourgeois, s’est également jointe à ce concert de condamnation des « violences ». Même si certains syndicats ont dû se prononcer en soutien aux manifestants dès les premiers affrontements, la bureaucratie a pris ses distances. C’est le cas notamment de l’Union des syndicats indépendants de Bosnie-Herzégovine qui déclarait vendredi 7 : « Nous ne pouvons pas être solidaires de cette violence, c’est inadmissible ».

 

Propager la contestation à travers la région, c’est possible !

Si en Bosnie-Herzégovine l’unité des travailleurs et des masses de différentes origines ethniques dans la lutte pour leurs revendications sociales est un danger que les dirigeants nationalistes et impérialistes cherchent à tout prix à éviter, que dire d’une contagion de la contestation au reste des pays de la région ?

En réalité, c’est une possibilité qui reste ouverte après l’explosion sociale en Bosnie. Dans pratiquement tous les pays de la région, les masses subissent les mêmes conditions de misère, de chômage, de bas salaires (souvent même impayés depuis des mois), d’humiliations. C’est la même caste politique parasitaire et corrompue qui a mené des privatisations mafieuses des entreprises appartenant jadis à l’État.

Ainsi, le 5 février, alors qu’en Bosnie commençaient les mobilisations et manifestations contre le chômage, la misère et les privatisations, à Vranje et à Krajlevo en Serbie des travailleurs de deux entreprises différentes bloquaient l’autoroute liant Belgrade et Skopje (Macédoine) ainsi que des voies ferrées très importantes. Leurs revendications sont l’exigence du paiement des arriérés de salaires et des cotisations sociales par les patrons, ce qui permettrait aux ex-salariés de toucher leurs retraites. Comme on le voit, les revendications sont exactement les mêmes que celles mises en avant à Tuzla !

Tout cela sans mentionner les mobilisations qui ont secoué l’année d'avant la Roumanie, la Bulgarie et la Slovénie ou encore la Grèce en pleine crise depuis 2010 et qui joue un rôle important dans la région. Un des dangers pour les capitalistes des Balkans et au-delà, c’est que la radicalité du mouvement de Bosnie-Herzégovine se déplace vers d’autres pays dont la situation économique, politique et sociale est très délicate. On le voit, ce mouvement pourrait faire basculer la situation réactionnaire ouverte dans les Balkans depuis les guerres des années 1990 et les interventions impérialistes qui durent depuis ces années-là. C’est en ce sens que les courants qui se revendiquent de l’anticapitalisme et de la révolution en Europe se doivent de le soutenir et le faire connaître.

Cependant l’une des faiblesses du mouvement est précisément qu’il n’a pas pu s’étendre davantage. En effet, même s’il y a eu des expressions de solidarité et même des rassemblements de soutien à la lutte en Bosnie, la contestation n’a pas gagné les masses des autres pays. Au sein de la Bosnie elle-même, ce sont essentiellement les villes de la fédération Croato-Musulmane qui ont connu des mobilisations, alors que dans les villes de l’entité serbe, comme Banja Luka, il n’y a eu que de petits rassemblements. Cela ne veut nullement dire que dans un futur très proche des explosions sociales n’aient lieu aussi dans ces villes et que les luttes dans les pays voisins ne se réactivent.

 

Se préparer pour les luttes à venir !

La révolte ouvrière et populaire qui a secoué la Bosnie-Herzégovine est un message très encourageant pour les masses opprimées de la région et même de tout le continent. En effet, dans un pays durement frappé par la crise économique et par une crise politique chronique depuis des années, qui a par ailleurs connu une guerre terrible dans les années 1990 et est resté divisé par des nationalismes réactionnaires, les masses ont su dire « stop ! » et créer un mouvement susceptible de « faire changer la peur de camp ».

Certes, ce mouvement a encore beaucoup d’illusions, et de contradictions. Mais malgré le poids des années de stalinisme (dans sa variante « titiste ») et de restauration capitaliste, les manifestants ont mis en avant des revendications extrêmement intéressantes. Dans une sorte de « cahier de doléances », des habitants et travailleurs de Tuzla exigent par exemple l’annulation de certaines privatisations, la réquisition d’entreprises et même que certaines d’entre elles reviennent à leurs salariés. Ou encore, que les élus gagnent les mêmes salaires que les travailleurs du privé et du public, ainsi qu’un « contrôle de la population » sur les politiques des gouvernants soit instauré. Ce sont sans aucun doute des points d’appui pour préparer les luttes à venir et dont les travailleurs et les masses d’ailleurs pourraient s’inspirer.

Ces revendications ont été élaborées par ce que l’on a appelé les « Plenums des citoyens ». Même si depuis la France il nous est difficile de juger leur poids réel dans la situation, il semblerait qu’il s’agit d’une tentative, très embryonnaire et comportant d’importantes contradictions, de « démocratie directe ». Ainsi, malgré la participation de travailleurs des entreprises privatisées, les secteurs de la petit-bourgeoisie semblent avoir un poids très important, ce qui explique un certain discours « pacifiste ». Des autorités locales comme le maire de Tuzla ou le recteur de l’université, et même l’impérialisme à travers le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague, essayent de manipuler ces initiatives et les transformer en des outils pour contrôler le mécontentement social et le canaliser vers des options favorables à leurs intérêts.

Cependant, s’agissant d’instances embryonnaires l’enjeu est de mettre au centre les secteurs en lutte de la classe ouvrière et de la jeunesse précarisée. Ces « plenums », avec une orientation de classe pourraient devenir un point d’appui pour développer les organes d’auto-organisation principalement dans les lieux de travail, d’étude, dans les quartiers populaires, etc. En ce sens, les prochaines manifestations pourraient partir d’une base d’auto-organisation plus avancée.

Concernant les questions du pouvoir politique, dans cette même liste de revendications se trouvait également celle de la formation d’un gouvernement technique « apolitique » jusqu’aux élections d’octobre 2014. Mais une telle revendication, qui rentre complètement dans les cadres des institutions réactionnaires imposées par l’impérialisme lors des accords réactionnaires de Dayton en 1995, peut très facilement être bloquée par les partis nationalistes qui ne seraient pas d’accord et, en dernière instance, dépend du bon vouloir de l’impérialisme à travers le Haut-Représentant de l’ONU. En ce sens la revendication d’une Assemblée Constituante Révolutionnaire, basée sur des organes d’auto-organisation des travailleurs et des couches populaires est fondamentale pour mettre en place des structures de pouvoir qui répondent aux intérêts des masses : en finir avec la tutelle impérialiste sur la Bosnie et les divisions de la classe ouvrière et des couches populaires mettant un terme aux Accords de Dayton ; appliquer des mesures démocratiques radicales comme la révocabilité des mandats des élus à tout moment, en finir avec les privilèges de ceux-ci et qu’ils touchent le même salaire qu’un travailleur moyen, ou encore des revendications fondamentales pour lutter contre le chômage comme la nationalisation sous contrôle des travailleurs et travailleuses des entreprises qui ont fermé et/ou ont été privatisées, entre autres.

 

Soutenir le soulèvement en Bosnie, une tache internationaliste centrale !

Les pays de l’ex-Yougoslavie ont vécu le pire des processus de restauration capitaliste, entaché par des guerres terribles qui s’ajoutent à la misère qu’ont connu en général les autres pays de l’ex « bloc soviétique ». C’est notamment le cas de la Bosnie-Herzégovine où, comme l’affirme Catherine Samary, « aux années 1990 de « transition guerrière » – dont trois ans de nettoyages ethniques et quelque 100 000 morts – se sont ajoutés les désastres de la « transition pacifiée » – dépendance étroite envers le capital étranger, avec les nouvelles banques privées –, mais aussi d’un contrôle euro-atlantiste plus visible qu’ailleurs » .

Mais l’éclatement sanglant de l’ex-Yougoslavie et le renforcement des tendances nationalistes réactionnaires ont été en quelque sorte préparées par les conditions de crise économique, sociale et politique de la Yougoslavie titiste. En effet, dans les années 1980 le pays, avec une dette extérieure très lourde (20 milliards de dollars), a été soumis à une vraie « thérapie de choc » et « ouverture marchande » imposée par le FMI, avec la complicité de la bureaucratie titiste. Ces politiques, qui allaient devenir monnaie courante dans les années 1990 dans toute la région, ont provoqué une vague de contestation ouvrière que les bureaucraties des différentes républiques ont canalisé par le biais d’objectifs nationalistes réactionnaires. Les guerres des années 1990 en sont une conséquence directe et les régimes politiques instaurés dans la région sont le fruit de ces guerres.

La révolte populaire qui a éclaté en Bosnie en février 2014 pouvait devenir un début de remise en cause de cet « ordre réactionnaire » imposé par les nationalistes et l’impérialisme, qui a eu des conséquences pour l’ensemble des exploités et des opprimés de la région et du continent. C’est pour cela que le soutien et popularisation de ce mouvement était une tache fondamentale pour les révolutionnaires !

Face à l’Europe du capital et à la montée des forces d’extrême-droite, les révoltes sociales comme celle de Bosnie peuvent constituer une voie alternative et progressiste pour les classes populaires. C’est également une opportunité pour la recomposition de l’internationalisme ouvrier, renouant par exemple avec ce qu’étaient les « Convois syndicaux pour Tuzla » lors de la guerre de 1992-1995. 6

 

 

Une forte pauvreté

La Bosnie-Herzégovine compte plus de 40 % de chômeurs-euses (plus de 60 % pour les jeunes). Son appauvrissement est massif face à une corruption endémique. Après une forte récession (2009), il n’a connu que stagnation et reculs, jusqu’en 2013, en écho aux difficultés de ses voisins et principaux partenaires commerciaux – Slovénie, Italie et Croatie. Le FMI, qui avait conditionné ses « aides » à la résolution d’une crise gouvernementale durant 15 mois, est revenu à la charge, en septembre 2012, pour exiger réformes structurelles, austérité et privatisations, notamment dans les secteurs de l’assurance maladie et des retraites.

Ces attaques s’ajoutent aux années de privatisations, aujourd’hui dénoncées comme « criminelles » – notamment dans la région la plus industrielle de Tuzla, d’où est partie l’explosion sociale : entre 2000 et 2010, d’anciennes entreprises publiques, qui employaient la majorité de la population, ont été vendues à des propriétaires privés qui ont cessé de payer les travailleurs-euses, déposé leur bilan et bradé les actifs – sous le contrôle de l’Agence cantonale pour la privatisation. Un grand nombre de salarié-e-s n’ont dès lors plus bénéficié de cotisations sociales. Ils sont aujourd’hui privés de droits sociaux, notamment de la possibilité de prendre leur retraite, car ils n’ont pas le nombre minimum d’années de cotisation requis.

 

Politisation de la révolte

Dès le troisième jour de « révolte », les mots d’ordre politiques ont fait leur apparition. De Tuzla, le mouvement s’est étendu vers Sarajevo, Bihac, et d’autres villes. Les assemblées qui se sont multipliées élaboraient des cahiers de revendications. Cet exercice de démocratie directe s’exprimait sur les réseaux sociaux et suscitait aussi d’autres assemblées qui réunissaient jeunes et vieux – les plus âgé-e-s n’étant pas les moins déterminés : la presse a cherché à discréditer le mouvement, parlant de hooliganisme et d’agitateurs venus d’ailleurs. La réponse du « Front », qui s’est établi hors de tout partis politiques a été claire : « qui sème la misère récolte la colère ». Et celle-ci était en train de se transformer en force auto-organisée.

 

Les travailleurs et les citoyens de Tuzla appelaient à :

Maintenir l’ordre public et la paix par une coopération entre les citoyens, la police et la protection civile pour éviter la criminalisation, la politisation et la manipulation des manifestations ;
La mise en place d’un gouvernement technique, composé d’experts apolitiques, n’ayant jamais eu de poste gouvernemental [dans] le canton de Tuzla jusqu’aux prochaines élections (…). [Il] soumettra chaque semaine des rapports sur son travail et des propositions. Tous les citoyens intéressés pourront suivre [son] travail ;
[A propos des privatisations] (…) Le gouvernement pourra confisquer les propriétés acquises frauduleusement, prononcer l’annulation des accords de privatisation, rendre les usines aux travailleurs et recommencer la production dès cela sera possible ;
L’égalisation des salaires des représentants du gouvernement avec ceux des travailleurs du secteur public et privé, la fin des primes de toutes sortes et l’arrêt du paiement des salaires des ministres et autres représentants dont le mandat a pris fin.7

 

 

« Entendre les voix du peuple après plus de deux décennies de divisions ethniques imposées »

 

Entretien.

Militante du mouvement social et de la gauche bosnienne, Tijana Okic enseigne à la faculté de philosophie de Sarajevo. Elle a participé l'université d’été du NPA en 2014.

 

Les médias occidentaux ne décrivent pas souvent la réalité de la situation dans ton pays. Quelles en sont les principales caractéristiques  ?

La Bosnie-Herzégovine (B&H) est essentiellement un protectorat de la communauté internationale, l’un des pays les plus pauvres en Europe et dans les Balkans. Le taux de chômage dépasse 40 % depuis 20 ans, avec de plus un fort pourcentage d’«  économie grise  ».

La situation sociale et économique est le produit de plusieurs choses. Tout d’abord les dévastations et la division totale causées par la guerre. Ensuite, la désindustrialisation du pays, la dévastation du système économique, éducatif et sanitaire et, surtout, les conséquences des privatisations illégales permises par la transformation du statut de la propriété après la dissolution de la Yougoslavie. Enfin, les gouvernements corrompus qui ont été systématiquement pris en charge et soutenus par les politiques et officiels européens. Le pays a été divisé en fonction des lignes ethniques.
Ces éléments sont systémiques et ne doivent pas être considérés comme des problèmes ou des processus distincts, attendu que la Bosnie-Herzégovine, comme la périphérie capitaliste, est un exemple parfait de la domination néocoloniale et des politiques occidentales néo-impériales. Cela nous montre une fois de plus comment les réformes et l’intrusion du marché néolibéral détruisent systématiquement un pays et une société. Le pays est totalement dépendant des capitaux étrangers, des prêts et des crédits du FMI et de la Banque mondiale. Les citoyens de B&H sont des serfs contemporains de ces institutions et des politiques qu’ils imposent, dont résulte une dette illégitime.

 

Que peut-on dire des institutions politiques  ?

La B&H a été dans un «  état de crise permanente  » durant les 20 dernières années. Les politiques nationalistes croates et serbes, qui voulaient diviser le territoire de la B&H à leur profit pendant la guerre, ont encore des répercussions institutionnelles aujourd’hui.
La crise de la légitimité et de la représentation politique n’a rien de nouveau. Dans le contexte spécifique de la B&H, cela veut dire que les institutions politiques/publiques sont subordonnées aux règles, lois et restrictions imposées par l’accord de paix de Dayton.

Cet accord a entraîné la constitution d’un appareil bureaucratique et administratif énorme créé pour diviser le pays. Il faut aussi continuer à être «  bien vu  » des institutions internationales et des grandes puissances, de manière à ce que le flux de capital (prêts, aide, investissements) se perpétue. Pour cela, il faut maintenir les gouvernements des partis nationalistes, d’une bourgeoisie compradore et des «  élites  » nouvellement créées dans ce cadre.
Il y a donc une délégitimation totale de la représentation politique et d’une pseudo-démocratie où les citoyens et leurs voix et leurs besoins ont été systématiquement ignorés et réduits au silence afin de restaurer le capitalisme et ses rapports de production.

 

La guerre a eu des conséquences toujours importantes. Aujourd’hui les différents peuples de Bosnie sont tous confrontés aux politiques néolibérales. Est-ce que les questions nationales conditionnent encore tout le reste ou est-ce que certaines formes d’action communes existent, même de façon très limitée  ?

Malheureusement, les questions nationales restent centrales en B&H telle qu’elle est actuellement, divisée par la «  paix de Dayton  », avec toutes ses règles et les lois imposées. On a vu que ce fut également le cas à la fin de la Yougoslavie (avec les différences respectives bien sûr). Cependant, des changements significatifs ont commencé depuis la grande vague de manifestations de février de cette année, qui ont confirmé que les élites ethno-nationalistes n’ont plus le pouvoir qu’elles avaient. La rhétorique nationaliste est lentement en train de perdre sa position privilégiée dans la société. Certaines formes de solidarité et de lutte commune sont apparues. Comme disait Mao, «  enfin quelque chose sous le ciel  »... Il est crucial d’entendre les voix du peuple après plus de deux décennies de divisions ethniques imposées, et c’est certainement l’un des événements les plus importants dans l’histoire de la B&H d’après-guerre.

Une chose est certaine  : même si les événements de février 2014 n’ont pas changé beaucoup la politique officielle, les gens, le peuple, ont commencé à s’organiser autour d’idées et de questions communes. De nouvelles initiatives, tendances et mouvements sont apparus et on va voir où tout cela mène, puisque c’est aussi une année électorale en B&H. Je pense que nous allons voir une nouvelle vague de protestations et de nouveaux mouvements et tendances dans l’action, mais il est impossible de prévoir le futur aujourd’hui. La lutte continuera jusqu’au moment où tout le monde se rendra compte que les partis politiques qui nous régissent maintenant ne sont pas nos représentants légitimes, jusqu’à ce que nous atteignions une compréhension de la politique comme effort collectif afin de prendre des décisions communes.

 

Tu participes aux tentatives de construction d’une vraie organisation de gauche en Bosnie. D’après toi, quels sont les principaux obstacles  ? Quelles perspectives  ?

En ce qui concerne la construction d’une organisation de gauche importante, le problème principal réside dans le manque d’éducation politique, de personnes prêtes à s’engager et très certainement dans le fait que les vingt dernières années ont été marquées par la désignation de tout ce qui a à voir avec la gauche comme «  restes  » du socialisme...

Le socialisme a été réputé comme un donjon sombre, comme quelque chose qui appartient à notre passé lointain, que l’on doit oublier et rejeter comme si ça n’était jamais arrivé. La politique officielle, c’est-à-dire les élites nationalistes, a fait un excellent travail concernant la révision de notre histoire et la suppression de notre passé commun socialiste. Il est donc nécessaire que l’on rompe avec ce révisionnisme historique.

Il faudrait aussi que que la gauche sorte de sa position défensive face à l’intrusion des politiques néolibérales, aux réformes marchandes et à la réforme du marché du travail. Il faut rassembler autant de personnes que possible autour d’idées communes et de la lutte ; lutte qui viserait à la fois les tendances impérialistes (USA, Russie, UE), l’intrusion des capitaux arabes et turcs, et l’imposition des réformes néolibérales, qui ne sont rien d’autre que les conséquences directes de cette emprise capitaliste.

Les problèmes auxquels nous sommes confrontés renvoient à plusieurs questions  : comment reconstruire le tissu social ? Comment s’organiser pour la lutte avec certains procédés de démocratie directe dans la prise de décision politique ? Afin d’être en mesure d’organiser la gauche de manière significative, nous aurons à revenir résolument sur la question de notre passé socialiste et commun, et à examiner les bons exemples à en tirer.

Il faut commencer à élever notre conscience commune, à ouvrir l’espace de l’espoir en terminant avec l’espace de désespoir que nous avons eu au cours des vingt dernières années. Il faut ouvrir l’espace public, en prenant en charge les problèmes locaux, les initiatives locales, en travaillant dans et avec la communauté, dans toutes les formes de l’organisation commune, et en organisant des luttes qui pourraient renforcer la conscience que nous partageons tous les mêmes problèmes, les mêmes conditions matérielles de la vie. Que nous sommes la seule force capable d’agir directement et de commencer à faire «  notre propre histoire  ».8

 

 

Élection présidentielle de 2014

Des élections présidentielles se sont tenues le 12 octobre 2014 en Bosnie-Herzégovine. Le système politique de la Bosnie est un peu particulier puisque ce n’est pas un, mais trois présidents qui doivent être élus, un pour chacune des trois communautés : Croates, Bosniaques et Serbes élisent chacun leur membre de la présidence.

 

Élection du membre bosniaque de la présidence

  • Bakir Izetbegovic, Parti d’action démocratique (SDA, conservateur), 32.9% des voix, réélu.
  • Fahrudin Radončić, Union pour un meilleur futur de la Bosnie-Herzégovine (SBB BiH, centriste), 26.8% des voix, non élu.
  • Emir Suljagić, Front démocrate (DF, social-démocrate), 15.2% des voix, non élu.

Élection du membre croate de la présidence

  • Dragan Čović, Union démocratique croate (HDZ, conservateur), 52.2% des voix, élu.
  • Martin Raguž, Union démocratique croate 1990 (HDZ 1990, conservateur), 38.6% des voix, non élu.
  • Živko Budimir, Parti de la justice et de la confiance (SPP, conservateur), 6.3% des voix, non élu.

Élection du membre serbe de la présidence

  • Mladen Ivanić, Parti du progrès démocratique (PDP, conservateur), 48.7% des voix, élu.
  • Željka Cvijanović, Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD), 47.6% des voix, non élu.
  • Goran Zmijanjac, Parti pour une politique juste, 3.3% des voix, non élu.9

 

 

Un affairiste ultra-nationaliste au pouvoir (2018)

A la tête de la Bosnie-Herzégovine se trouve désormais l'homme qui dirigeait la République serbe de Bosnie depuis 2006, un certain Milorad Dodik - un escroc et démagogue notoire.

Après la guerre qui de 1992 à 1995 déchira la Yougoslavie et fit 100 000 morts, ce député affairiste avait su arborer un visage modéré pour s'assurer l'appui de la diplomatie américaine. Mais ses calculs électoraux l'ont amené depuis à tenir un discours de plus en plus nationaliste, au point qu'il défend aujourd'hui la sortie de la République serbe de Bosnie de l'Etat dont il occupe officiellement la présidence !

Cela ne serait que ridicule si les nationalismes et micro-nationalismes ne restaient un poison dans l'ex-Yougoslavie. Les surenchères de Dodik et de ses semblables sont un danger pour tous les travailleurs de la région, qui ne parviendront à défendre leurs conditions matérielles d'existence, bien mal en point, et leurs intérêts politiques, que s'ils surmontent leurs divisions.10

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Bosnie-Herz%C3%A9govine
(2) Aline Retesse http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2011/10/07/1991-leclatement-de-la-yougoslavie-la-gangrene-nationaliste-et-la-responsabilite-de-limperialisme_25764.html
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Bosnie-Herz%C3%A9govine
(4) Global Research http://www.mondialisation.ca/d-mant-lement-de-la-yougoslavie-recolonisation-de-la-bosnie-herz-govine/12859
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bosnie-Herz%C3%A9govine
(6) Philippe Alcoy http://www.legrandsoir.info/explosion-sociale-en-bosnie-herzegovine.html
(7) Catherine Samary http://cadtm.org/Revolte-sociale-en-Bosnie
(8) Entretien avec Tijana Okic. Propos recueillis par Henri Wilno. https://npa2009.org/actualite/bosnie-entendre-les-voix-du-peuple-apres-plus-de-deux-decennies-de-divisions-ethniques
(9) http://elections-en-europe.net/institutions/elections-en-bosnie-herzegovine/election-presidentielle-de-2014-en-bosnie-herzegovine/
(10) https://www.lutte-ouvriere.org/breves/un-affairiste-ultra-nationaliste-la-tete-de-la-bosnie-herzegovine-114147.html