Le Nicaragua

 

 

L'époque précolombienne

Au début du XVIe siècle plusieurs groupes amérindiens se partagent le pays :

  • Sur les basses terres de la côte Pacifique, les Niquiranos dirigé par leur chef Nicarao occupent l'actuel cite de Rivas ; les Chorotegas (ou Choroteganos) ; les Maribios
  • Dans les régions centrales les Matagalpas, les Lencas, les Chontales
  • Sur la côte Atlantique de la mer des Caraïbes, les Mosquitos (ou Miskitos), les Sumus (ou Sumos) et les Ramas

 

Les groupes de la côte Atlantique sont apparentés par la culture ou les dialectes (proche de la langue Chibcha), des peuples du nord de la Colombie. En revanche ceux de la partie occidentale et centrale parlent des dialectes pipils proche du nahuatl, la langue des Aztèques, ce qui suppose une origine mexicaine. La plupart ont adopté une forme de gouvernement monarchique. Dans ces zones côtières du Pacifique et dans les montagnes centrales où les Espagnols se sont installés, la population indigène a été presque complètement anéantie par la propagation rapide de nouvelles maladies, pour lesquelles la population autochtone n'avaient aucune immunité, et par l'esclavage (exportation des populations dans les mines du Pérou).

 

Colonisation espagnole

Le premier Européen à fouler le sol du Nicaragua est Christophe Colomb. Fuyant la tempête au cours de son quatrième voyage, il aborde le 12 septembre 1502 au Cabo Gracias a Dios à l'embouchure de la rivière Coco sur la côte des Caraïbes. Il en prend possession au nom du roi d'Espagne.

En 1522, le conquistador Gil González Dávila avec une petite troupe venant du Panama et traversant le Costa Rica est le premier à pénétrer au Nicaragua côté Pacifique. Il explore les fertiles vallées de l'ouest, entre en contact avec le chef Nicarao qu'il parvient à baptiser et en faire un allié. Il doit cependant lutter contre le chef Diriangén. Négligeant d'établir des colonies pérennes, il se replie sur le Panama où le gouverneur de la Castille d'Or Pedrarias Dávila le fait arrêter et lui confisque l'or ramené du Nicaragua. González Dávila doit fuir à Saint-Domingue.

Plusieurs expéditions sont alors montées par les Espagnols en 1524. González Dávila, qui a de nouveau reçu l'autorisation par décret royal, aborde la côte du Honduras en venant des Caraïbes ; Francisco Hernandez de Cordoba envoyé par le gouverneur de Castille d'Or approche par le Costa Rica et fonde les deux premiers établissements à Granada sur la rive du lac Nicaragua et à León sur celle du lac de Managua ; Pedro de Alvarado et Cristobal de Olid, envoyés par Hernán Cortés partent du Guatemala à travers le Salvador et le Honduras.

Les indigènes furent décimés en quelques décennies par la répression, l'esclavage et les maladies, mais aussi par les conflits entre les différentes forces espagnoles qui ont engendrés une série de batailles connues sous le nom de guerres des capitaines. Pedrarias Dávila qui avait perdu le contrôle du Panama, s'empare du Nicaragua et établit sa base dans la colonie de Léon. Il va gouverner le pays avec une main de fer jusqu'à sa mort en 1531. Son successeur Rodrigo de Contreras (1534-1542) sera à l'origine des mêmes abus.

 

Capitainerie générale du Guatemala

Le Nicaragua fait partie de l'Audience du Panama créée en 1538. En 1543, l'Espagne divise son empire en deux vice-royautés et rattache le Nicaragua à la Capitainerie générale du Guatemala, elle-même dépendant de la Nouvelle-Espagne. Les Espagnols s'installèrent surtout sur la côte Pacifique au climat plus sain, évitant de s'enfoncer dans la jungle de la côte Atlantique. Celle-ci fut alors colonisée par les Anglais à partir du Honduras britannique jusqu'au fleuve San Juan. Ils y installèrent dès 1687 un royaume fantoche la Moskitia (ou Mosquitia), dont le monarque était nommé par le gouverneur de la Jamaïque. Les Anglais y introduisirent aussi des esclaves noirs.

Pendant la période coloniale, le Nicaragua a été la principale voie entre le Pacifique et l'Atlantique grâce à une circulation aisée par les fleuves et les lacs. El Realejo a été notamment l'un des principaux ports du Pacifique et un centre de construction des galions Manille-Acapulco. En 1610, l'éruption du volcan Momotombo détruisit la capitale Léon qui fut reconstruite au nord-ouest du site original. Le pays est relativement calme, entrecoupé de rebellions mineures rapidement réprimées. Toutefois la côte des Caraïbes subit de fréquents raids des pirates anglais, français et hollandais. La ville de Granada a été dévastée par deux fois en 1658 et 1660.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le territoire a été divisé en un gouvernorat nicaraguayen avec sa capitale à León et les Corregimientos de Chontales, Realejo, Matagalpa, Quezalguaque et Monimbó, l'ensemble dépendant de la Capitainerie du Guatemala. En 1787, ces corregimientos ont été supprimés et rattachés au gouverneur.

Le changement dynastique consécutif à la guerre de Succession d'Espagne (1701-14) va avoir des conséquences durables sur les colonies espagnoles. Les Habsbourg avaient soutenu les monopoles commerciaux stricts. Les Bourbons sont plus partisans d'une politique. Au sein de la capitainerie générale, deux factions vont s'opposer : les conservateurs, surtout propriétaires terriens qui avaient profité du monopole, sont soutenus par l'Église catholique et ont le fief dans la ville de Granada ; les libéraux partisan de la nouvelle économie, plutôt anticlérical, ont leur fief dans la ville de León. La rivalité entre libéraux et conservateurs va longtemps peser sur la vie politique du pays, comme sur celles des futurs autres États de l'isthme. Elle sera aussi à l'origine d'une ingérence internationale, chaque faction n'hésitant pas à voler au secours son homonyme dans les pays voisins, souvent par la force armée.

 

Vers l'indépendance

Lors des Cortès de Cadix, le gouverneur du Nicaragua est représenté par José Antonio López de la Plata. Avec son collègue Florencio del Castillo du Costa Rica il réussit à imposer en 1812 une province du Nicaragua et Costa Rica comme une unité politique administratives distincte du Guatemala. Remis en cause lors de la Restauration absolue de 1814, elle est de nouveau reprise en 1820. Le maire du Nicaragua, Miguel Gonzalez Saravia et Colarte devient le chef politique de la province du Nicaragua et du Costa Rica. La province comporte sept subdivisions : Costa Rica, El Realejo, Granada, León, Rivas, Nicoya et New Segovia.

L'indépendance du Mexique dans le cadre du plan d'Iguala entraîne une agitation dans les provinces relevant de la Capitainerie du Guatemala et donc "in fine" de la vice-Royauté de la Nouvelle-Espagne. Successivement le Chiapas , Guatemala (associé au Salvador), Comayagua (Honduras) s'associent librement à l'éphémère empire mexicain. La province du Nicaragua et du Costa Rica approuve également cette annexion le 11 octobre 1821. La chute d'Iturbide entraîne une désaffection des unionistes. Les partisans de l'indépendance totale des provinces de l'ancienne capitainerie organisent un congrès à Guatemala, se déclarent indépendant du Mexique et fondent les Provinces-Unies d'Amérique centrale fédérant les cinq provinces du Nicaragua, Guatemala, Honduras, El Salvador et Costa Rica. À l'inverse, le Chiapas a choisi l'union avec le Mexique.

La constitution proclamée le 22 novembre 1824 rebaptise le nouvel ensemble en République fédérale d'Amérique centrale et les provinces deviennent des Etats membres. Au Nicaragua, c'est Manuel Antonio de la Cerda en tant que chef de l'État qui prête serment à la Constitution.

L'histoire politique du Nicaragua est alors dominée par la rivalité entre l'élite libérale de León et l'élite conservatrice de Granada. À Granada vivent les grands propriétaires terriens, les producteurs, principalement du café et du sucre. Les habitants de Léon représentent la classe moyenne et l'artisanat commercial. La rivalité entre ces deux villes va entrainer plusieurs guerres civiles.

Manuel Antonio de la Cerda, leader indépendantiste, occupe les fonction de Président depuis le 10 avril 1825. Son adjoint, Juan Argüello, conspire contre lui et le dépose l'année suivante. Argüello établit la capitale à Leon, mais Granada refuse de reconnaître son autorité. Le 27 novembre 1829, de la Cerda est abattu sur ordre de Argüello. Le gouvernement de la République fédérale envoie des troupes des divers États membres pour pacifier le pays jusqu'à la nomination d'un nouveau président Herrera Dionisio, qui restera au pouvoir entre 1830 et 1833. Quelques années plus tard, sous la présidence de José Núñez (1838-1841), le Nicaragua choisit de faire sécession de la Fédération d'Amérique centrale et devient un État souverain (1838).

 

Indépendance et période des Directeurs

Le 12 novembre 1838 la même année, le Nicaragua se donne une nouvelle Constitution. Le pouvoir exécutif est confié à un Directeur suprême (Supremo Director) élu pour deux ans. Les années 1840 et 1850 sont marquées par des guerres civiles opposant libéraux et conservateurs. Le pays doit subir l'invasion des forces armées d'El Salvador et du Honduras (1844-1845), sous le commandement du dictateur Francisco Salvador Malespin. Elles saccagent la ville de Leon. En 1852, la capitale est transférée à Managua afin de mettre fin à l'éternelle rivalité entre Leon et Granada, mais cette décision ne deviendra effective jusqu'en 1858.

 

Le 26 février 1853, Fruto Chamorro est élu "Directeur Suprême". Sous son mandat, une assemblée constituante a adoptée une nouvelle constitution, mettant fin à la période des Directeurs. Le Nicaragua devient une république avec un pouvoir exécutif confié à un Président pour une période de quatre ans. Fruto Chamorro assume ces nouvelles fonctions en 1854. Toutefois ces dispositions ne mettent pas fin aux guerres civiles.

La découverte de l'or en Californie en 1848 provoque une des plus grandes transhumances du siècle. La position stratégique du Nicaragua et la perspective de construire un canal reliant l'océan Pacifique et l'océan Atlantique attisent les rivalités des grandes puissances : Angleterre, France et États-Unis, qui toutes s'intéressent au Projet de canal du Nicaragua. Un homme d'affaires américain Cornelius Vanderbilt organise une route transcontinentale de New-York à San Francisco en passant par le Río San Juan permettant de gagner le lac Nicaragua, puis la côte Pacifique. Il obtient également le 26 août 1849, le droit de construction d'un canal interocéanique au profit de sa société la Accessory Transit Company.

De leur côté, les anglais exercent depuis 1655 un protectorat intermittent sur la côte des Mosquitos, également connue sous le nom de "royaume de Mosquitie" et forcent le Nicaragua à y reconnaître ses droits par un traité signé en 1849. Pour éviter des conflits d'intérêts les États-Unis et la Grande Bretagne se mettent d'accord le 19 avril 1850 en signant le traité Clayton-Bulwer de non concurrence.

 

Guerre civile et intermède Walker

Sur le plan interne, la lutte est vive entre les conservateurs et les libéraux. En 1853, le général conservateur Fruto Chamorro a pris le pouvoir et exilé les opposants libéraux. Aidés par le gouvernement libéral du Honduras, ces derniers organisent une armée et entrent au Nicaragua le 5 mai 1854. Les libéraux sont d'abord vainqueur, mais, à son tour le gouvernement conservateur du Guatemala envahit le Honduras pour mettre fin au soutien apporté aux libéraux nicaraguayens.

 

En 1855 les libéraux sollicitent l'aide des États-Unis. Un aventurier américain William Walker recrute une soixantaine de mercenaires, débarque à San Juan del Sur le 4 mai 1855 et investit Granada, centre du pouvoir conservateur, le 13 octobre. Il y fait nommer un ancien Directeur libéral Patricio Rivas comme président intérimaire fantoche, tout en se réservant le commandement en chef des armées nicaraguayennes. Walker veut instaurer une république esclavagiste, établit l'anglais comme langue officielle et exige la confiscation en son nom des terres des conservateurs. Mais en juin 1856 les libéraux lui retirent leur appui. Walker s'autoproclame président après avoir organisé un simulacre d'élections. Les États-Unis reconnaissent sa légitimité.

Il s'ensuit alors une véritable guerre de libération à laquelle s'associent les autres États de l'isthme encouragés en sous-main par la Grande Bretagne. Walker est défait lors de la bataille de San Jacinto le 14 septembre 1856. Walker doit quitter le pays en mai 1857 sans que ses hommes n'aient mis Granada à feu et à sang. Il tentera d'envahir de nouveau le pays, mais sera finalement pris et exécuté en 1860 au Honduras.

 

Les années conservatrices

Après l'intermède William Walker, libéraux et conservateurs signent le pacte de Chachagua. Il s'agit d'une formule de gouvernement de coalition avec une coprésidence décernée à Tomás Martínez et Máximo Jerez. Cette formule ne dure que quelques mois et dès novembre 1857 une Assemblée constituante donne le pouvoir à Martínez et le Parti conservateur va le conserver jusqu'en 1894.

 

Le 15 avril 1858 est signé avec le Costa Rica le traité Cañas-Jerez par lequel le Nicaragua reconnaît la souveraineté du Costa-Rica sur les territoires jusqu'alors contestés de Nicoya et Guanacaste.

 

Le conservateur Tomás Martínez reste président du Nicaragua pour la période 1859-1863. Bien que la nouvelle constitution de 1858 n'autorise pas un second mandat présidentiel, Martinez est réélu en 1863. Cette situation entraine l'insurrection du libéral Máximo Jerez et du conservateur Fernando Chamorro, mais les deux révoltes sont écrasées.

 

Tomás Martínez est remplacé par Fernando Guzmán (1867-1871) dans un climat d'instabilité politique. Une nouvelle guerre civile éclate le 25 juin 1869 qui prend fin grâce à la médiation des États-Unis. Par la suite, le suffrage censitaire favorable au grands propriétaires leur permet de soutenir une longue série de présidences conservatrices. Pendant cette ère, le café est devenu la première production dans l'économie du pays. Pour en faciliter l'exportation, les transports, notamment par voies ferrées ont été considérablement améliorés. Des lois agraires ont été promulguées au bénéfice des gros propriétaires, cultivateurs de café.

Roberto Sacasa, qui avait succédé à la présidence en 1889 après la mort du titulaire élu, est réélu en 1891 pour un nouveau mandat. Bien que conservateur, Sacasa est de León, pas de Grenade, et son élection induit une scission au sein du Parti conservateur.

 

José Santos Zelaya

José Santos Zelaya profite de dissensions chez les conservateurs pour mener à bien une révolution libérale qui renverse le président Roberto Sacasa. Il accède au pouvoir en 1893.

Zelaya dirige le Nicaragua pendant seize ans, entre 1893 et 1909, à la tête d'un gouvernement éclairé mais autoritaire. C'est donc une présidence controversée. Il modernise l'État, crée de nouvelles institutions, introduit l'habeas corpus. Il décrète l'école gratuite et obligatoire, construit des écoles et investit dans des infrastructures : construction des chemins de fer, navigation à vapeur sur le lac de Managua, importants travaux portuaires. Zelaya lance également une série de réformes sociétales dans le pays : institution de l'éducation laïque, mariage civil, confiscation des biens ecclésiastiques, laïcisation des cimetière, dépénalisation de l'avortement. Le Nicaragua devient le pays le plus riche et le plus prospère de l'Amérique centrale.

L'Amérique centrale lui doit la création d'une éphémère Grande République d'Amérique centrale, regroupant le Nicaragua, El Salvador et le Honduras, mais qui n'a duré que trois ans (1895-1898). Cette expérience l'a amené à soutenir d'autres partis libéraux de l'isthme. Il faut également porter à son crédit l'accord mettant fin au protectorat britannique sur la côte des Caraïbes.

En 1906, le Nicaragua doit faire face à une courte guerre contre le Guatemala, le Honduras et le Salvador. Les troupes nicaraguayennes battent l'armée coalisée des Honduriens et des Salvadoriens dans la bataille de Namasigüe et occupent Tegucigalpa. Les États-Unis imposent leur médiation par le traité de Chicago le 23 avril 1907. Les quatre nations s'engagent à ne plus intervenir dans les affaires internes à chaque État, et en cas de conflit, de s'en remettre à la décision d'une Cour centrale américaine, siégeant à Carthage dans le Costa Rica.

Les relations avec les États-Unis restent tendues. Ces derniers n'hésitent pas à accorder des aides financières à l'opposition conservatrice à Zelaya. L'idée de créer un canal interocéanique à travers le Nicaragua intéresse le Japon et l'Allemagne, ce que ne peuvent accepter les américains qui considèrent l'Amérique centrale comme leur Chasse gardée. En 1907, des navires de guerre américains bloquent les différents ports du Nicaragua. La situation est telle qu'elle engendre un conflit interne entre les libéraux et les conservateurs, ces derniers soutenus par les États-Unis. En 1909, deux mercenaires américains sont accusés d'avoir posé des mines sur le fleuve San Juan pour faire sauter un navire le Diamente. Ils sont capturés et exécutés par le gouvernement de Zelaya. Les États-Unis considèrent cette action comme une provocation à la guerre et décide de provoquer le renversement illégal de Zelaya.

Le 10 octobre 1909 éclate la contre-révolution. Le mouvement est dirigé par le général Juan José Estrada, gouverneur libéral de la Côte Atlantique ; par l'administrateur de la mine d'or La Luz et à Los Angeles Adolfo Diaz ; par un représentant des propriétaires terriens conservateurs, Emiliano Chamorro ; et par le général conservateur Luis Mena. Mais le consul des États-Unis, Thomas Moffat apparait comme un deus ex machina du mouvement contre-révolutionnaire. Juan Estrada, lui-même, en révélera plus tard la machination dans une interview au New York Times.

 

Intervention américaine

Au début du XXe siècle, le président des États-Unis Theodore Roosevelt instaure la politique du gros bâton (big stick) contre le Nicaragua. En 1909, les États-Unis offrent un appui politique aux forces rebelles menées par les conservateurs contre le président Zelaya. Les raisons d'un tel soutien de la part des États-Unis sont des divergences sur la proposition de canal de Nicaragua, la risque que la politique du Nicaragua déstabilise la région, la tentative de Zelaya de réglementer l'accès des étrangers aux ressources naturelles. Le 18 novembre 1909, des navires de guerre de l'US Navy sont envoyés dans la région des insurgés. Les États-Unis justifient l'intervention pour protéger les vies et les biens de leurs concitoyens. Zelaya doit démissionner le 17 décembre.

 

Pas moins de quatre présidents à la solde des États-Unis se succèdent en un an. Finalement les États-Unis accèdent à la demande du président Adolfo Diaz et envoient leurs troupes dans le pays en 1912 pour rétablir l'ordre. Les marines américains resteront au Nicaragua jusqu'en 1933 (entre 1912 et 1925, puis après une interruption de 9 mois, entre 1926 et 1933) réprimant les soulèvements qui visaient la libération du pays.

En 1914, le traité Bryan-Chamorro est signé entre le Nicaragua et les États-Unis. Ces derniers obtiennent la concession de construire un futur canal en échange de trois millions de dollars. Bien que le canal de Panama a été construit dès 1903, la région continue d'être d'un intérêt stratégique et ce traité vise aussi bien à écarter d'autres intérêts étrangers. Ils obtiennent aussi le droit d'établir une base militaire dans le golfe de Fonseca pour une période de 99 ans, et la cession pour la même durée des îles du Maïs au large des Caraïbes.

C'est aussi au cours de cette période, que les États-Unis échangent avec la Colombie l'indépendance du Panama contre les îles de San Andres et Providencia situées dans les Caraïbes.

 

Après le premier retrait des U. S. Marines, un autre conflit violent a lieu entre libéraux et conservateurs en 1926 connu comme le nom de guerre constitutionnaliste, d'où le retour des U. S. Marines qui impose le pacte de Espino Negro. qui s'appuie sur un gouvernement de coalition. Le général Augusto César Sandino n'adhère pas à cet accord et mène une guérilla contre le pouvoir établi. Il déclare : « Si 100 hommes aiment le Nicaragua comme je l’aime, le Nicaragua sera libre ! »1

 

La guérilla de Sandino

Les débuts du général Sandino ne sont pas faciles. Il a peu d'hommes sous ses ordres, la majorité de ceux-ci sont mal équipés et peu préparés aux opérations militaires. Il se rallie de nouveau avec les Indiens pour former une armée de près de 600 hommes. Ils livrent alors combat contre les marines américains et les soldats du gouvernement, mais après quelques heures et plusieurs pertes, ils doivent battre en retraite suite à l'intervention de l'aviation américaines. Sandino réorganise ses forces et forme l'Armée de Défense de la Souveraineté Nationale du Nicaragua.

 

Depuis Las Segovias, Sandino commence un travail d'information au sujet de son œuvre, à travers l'élaboration de toute une série de manifestes. Dans tous, il justifie sa lutte contre l'oppresseur yankee et demande l'union du monde latino-américain pour faire front commun contre les États-Unis. Il critique aussi sans cesse les représentants gouvernementaux de Managua qui accepte et favoriser l'existence de marines américains sur le sol nicaraguayen. La présence d'une guérilla provoque la peur de la bourgeoisie, laquelle n'hésite pas à offrir des charges au Général des Hommes Libres pour qu'il abandonne sa lutte. Incorruptible, il ne se vend pas.

 

Durant toutes ces années de guerre, des deux côtés ont lieu des mises à sac. Les journaux officiels parlent uniquement des actes commis par les troupes sandinistes et les appellent "des bandits". Malgré le fait que les marines faisaient la même chose, surtout avec les reliques ecclésiastiques, cela n'évita pas que les condamnations de l'épiscopat soient toujours pour Augusto Cesar Sandino, lui donnant les caractéristiques de bolchevique et d'athée.

 

Les conflits n'avaient pas seulement lieu dans la forêt, mais aussi dans la presse. Un journaliste, Froylan Turcias, directeur de la revue « Ariel », servait de pont entre Sandino et ceux qui désiraient lui venir en aide. Par l'intercession des États-Unis, une charge importante fut offerte à Froylan Turcias. Cette défection priva Sandino de contacts extérieurs. Cela le motiva pour aller rechercher une aide dans d'autres pays d'Amérique latine. Des contacts furent pris avec des socialistes européens.

 

Les troupes de Sandino avait plusieurs marines prisonniers. La tension avec les États-Unis monta quand les marines commencèrent à assassiner leurs prisonniers sandinistes. Sandino appliqua alors la même loi. Les marines commencèrent alors à presser les populations civiles qu'ils considéraient soit comme coopérant avec eux, soit, dans le cas contraire, comme coopérant avec Sandino.

En plus de ses manifestes pour l'unité latino-américaine face aux États-Unis avec comme toile de fond le dialogue d'état à état et non de métropole à colonie, Sandino proposait l'établissement d'un plan de paix pour le Nicaragua. Il espérait le soutien des pays du cône sud, surtout de l'Argentine.

Sandino se rendit au Mexique afin d'obtenir une aide, des armes, un appui à sa cause. Malgré le fait d'être resté plus d'un an hors du Nicaragua, Sandino échoua dans ses tentatives. Il n'apporta que peu de matériel militaire pour sa guérilla et ne réussit pas à unifier les mouvements révolutionnaires latino-américains.

La sempiternelle lutte entre libéraux et conservateurs, dirigée en sous-main par les États-Unis, conduit Sandino à appeler à l'abstention lors des élections présidentielles. Il menace aussi de faire des incursions dans les villes puisque ses troupes se distribuent à présent sur tout le sol national.2

Les Américains finissent par quitter le pays en 1933 du fait de la guerre de guérilla de Sandino, mais aussi de la Grande Dépression, après avoir créé la Garde nationale (Guardia Nacional) formation à la fois militaire et policière conçue pour protéger les intérêts américains et confiée à un ami proche Anastasio Somoza García. Sandino satisfait d'avoir obtenu le départ des américains accepte de négocier avec le nouveau président Sacasa, mais exige la dissolution de la Garde nationale qu'il juge inconstitutionnelle. Il est alors assassiné par des officiers de celle-ci le 21 février 1934.

 

Anastasio Somoza García

Les divisions au sein du Parti conservateur aux élections de 1932 ont ouvert la voie au libéral Juan Bautista Sacasa. Mais après l'assassinat de Sandino, Anastasio Somoza accroît son influence personnelle sur le Congrès et le parti au pouvoir alors que la popularité du président Sacasa diminue en raison de son manque d'envergure et l'accusation de fraude aux élections législatives de 1934. Somoza réorganise les forces armées, en la purgeant des opposants et en plaçant ses proches à des postes clés à travers le pays. Il utilise à ses fins le budget militaire qui représente plus de la moitié des recettes fiscale. Il contrôle la Garde nationale et le Parti libéral (Partido Liberal-PL) qu'il transforme avec l'appui d'une partie des conservateurs en Parti libéral nationaliste (Partido Liberal Nacionalista-PLN). Il parvient à gagner les élections présidentielles en 1936.

 

Anastasio Somoza restera président de 1937 à 1947, puis de 1950 à 1956 (dans l'intervalle il conserve le pouvoir de fait en faisant élire des hommes de paille). Sa famille restera au pouvoir jusqu'en 1979 et amassera une immense fortune3 . Tout au long des années 1930 et 1940, il acquiert ainsi d'immenses richesses personnelles, principalement grâce à des investissements dans les exportations agricoles, notamment le café, le coton et le bétail. Après le massacre des partisans de Sandino, il acquiert la plupart des terres qui avaient été accordés par Sacasa aux paysans pauvres.4

Somoza agit d'ailleurs avec une certaine habileté politique, acceptant une opposition légale dans la mesure où elle reste modérée, infiltrant les syndicats, ou prenant faits et cause pour les alliés lors de la Seconde guerre mondiale, ce qui lui permet d'exproprier pour son propre compte les biens allemands.

Deux ans après son élection, Somoza, déclare son intention de rester au pouvoir au-delà de son mandat présidentiel. Ainsi, en 1938, Somoza obtient d'une Assemblée constituante une extension de son pouvoir l'allongement de son mandat à huit ans. Le président peut édicter des lois relatives à la Garde nationale sans consulter le Congrès. Il s'assure le contrôle absolu dans le domaine politique et militaire. Le régime se transforme en une dictature permanente.5

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement confisque les propriétés de la petite mais influente communauté allemande du Nicaragua, et les revend à la famille Somoza à des prix dérisoires. En 1944, Somoza est le plus grand propriétaire foncier du Nicaragua, détenant 51 ranchs et 46 plantations de café, ainsi que plusieurs usines de sucre et distilleries de rhum.

 

Somoza s'est lui-même nommé directeur de la ligne de chemin de fer du Pacifique, reliant la capitale Managua au principal port du pays, Corinto, et qui transporte ses marchandises et ses productions agricoles gratuitement, tout en maintenant son approvisionnement en véhicules et matériel agricole.

Il réalise également des bénéfices substantiels en accordant des concessions à des entreprises étrangères (principalement américaines) pour exploiter l'or, le caoutchouc et le bois, pour lesquelles il reçoit des « prélèvements exécutifs » et des « commissions présidentielles. » Il adopte des lois restreignant les importations et organise des opérations de contrebande, qui lui permettent de vendre des marchandises dans ses propres magasins. Il reçoit des pots de vin avec les jeux clandestins, la prostitution et le trafic d'alcool. À la fin dans années 1940, il avait acquis une fortune estimée à 400 millions de dollars.6

La première opposition au régime de Somoza vient des classes moyennes et supérieures, généralement conservatrices. Mais du fait de lois liberticides, de nombreux opposants ont fui le pays, exilés aux États-Unis. Pedro Chamorro, rédacteur en chef du journal La Prensa est une exception notable, très populaire dans le pays, sa réputation internationale et son rejet de la violence le rend intouchable pour le régime.

L'opposition libérale est progressivement éclipsée par une approche plus radicale de la part des marxistes. Le 21 septembre 1956, un jeune poète libéral, Rigoberto López Pérez, réussit à infiltrer un parti de Somoza, et tire plusieurs balles sur le président. Le tireur est abattu sur le champ par les gardes. Somoza devait mourir de ses blessure huit jours plus tard dans l'hôpital américain de Panama.

 

Seconde génération

Somoza García est remplacé à la tête du pays par ses deux fils. Luis Somoza Debayle devint le chef de l’État après l'assassinat de son père en 1956, mais Anastasio Somoza Debayle tient en coulisse les rênes du pouvoir en tant que chef de la Garde nationale. Anastasio junior, diplômé de la célèbre école militaire de West Point, s'était vu reprocher de mieux parler anglais qu'espagnol et d'être encore plus proche des États-Unis que son père. Ses positions anticommunistes lui valent le soutien des États-Unis. Le Nicaragua participe en 1960 à la création du Marché commun centraméricain.

La révolution cubaine renforce les révolutionnaires nicaraguayens. Sa réussite est une source d'espoir et d'inspiration pour ces derniers, ainsi qu'une source de financement et d'armement. Les marxistes, basés au Costa Rica, forment le Front de libération nationale sandiniste (Frente Sandinista de Liberacion Naciona, FSLN), se rattachant à la lignée du légendaire Augusto César Sandino. Les frères Somoza appuyés par les États-Unis réussissent à réprimer l'insurrection.

Le président Luis Somoza Debayle, sous la pression des insurgés, annonce la tenue d'élections nationales en février 1963. Les réformes électorales prévoient l'adoption du vote à bulletin secret ainsi que la supervision de la part d'une commission électorale. Luis introduit également dans la Constitution un amendement empêchant tout membre de sa famille de lui succéder. L'opposition est très sceptique face aux promesses du président. Ils ont finalement raison car Anastasio Somoza Debayle succède indirectement à son frère après sa mort des suites d'une crise cardiaque, en 1967. En effet, le véritable successeur de Luis, René Schick Gutiérrez est considéré à juste titre comme le pantin de Anastasio Somoza Debayle.

Tout comme son frère et son père, Anastasio Somoza Debayle, est qualifié de kleptocrate par certains. Il possède notamment 20 % des terres les plus fertiles du pays. Les paysans sans terre travaillent sur des grandes plantations pour des salaires de misère (un dollar par jour). Désespérés, de nombreux paysans migrent vers l'Est, cherchant des terres à cultiver. Certains ont été contraints par la Garde nationale à déménager dans des projets de colonisation dans la forêt tropicale. Toujours dans les années 1950 et 1960, 40 % de toutes les exportations américaines de pesticides est allé en Amérique centrale. En 1968, l'organisation mondiale de la santé établit que 17 % de la mortalité au Nicaragua provenait de la pollution des eaux. Les propos suivants auraient été tenu par Anastasio « J'ai une petite ferme, elle s'appelle Nicaragua » ("Nicaragua es mi finca" ). De plus, il appelait les paysans les « bœufs ».

Le tremblement de terre de Managua de décembre 1972 est un événement décisif qui occasionne 500 000 sans abri et plus de 10 000 morts. La moitié de l'aide internationale est détournée par Somoza et la Garde nationale pour être revendue à leur profit. Une grande partie du centre-ville dévasté par les tremblements de terre n'a jamais été reconstruite

 

Insurrection sandiniste

D'obédience marxiste mais se réclamant paradoxalement de la figure d'un libéral extrêmement populaire, Sandino, le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN), a été fondé en 1961 à La Havane par Carlos Fonseca Amador, Tomás Borge Martínez et Silvio Mayorga. Il se lance dans les années soixante dans la guérilla sur le modèle de Fidel Castro et de ses Barbudos. À partir de 1970, il lance une série de vols de banques pour se financer.

Le 27 décembre 1974, le FSLN s'empare de 30 otages, dont le beau-frère du dictateur Somoza (Opération Décembre victorieux). Celui-ci accepte les demandes des preneurs d'otage : rançon d'un million de dollars, diffusion d'une déclaration du FSLN à la radio, libération de 14 de ses membres. L'incident humilie le gouvernement et rehausse le prestige du FSLN. Somoza, dans ses mémoires, fait référence à cette action comme le début d'une brusque escalade des attaques et représailles. La loi martiale est déclarée, et la Garde nationale commencent à raser des villages de la jungle soupçonnés de soutenir les rebelles. Des groupes de défense des droits condamne les actions, mais le président américain Gerald Ford refuse de rompre l'alliance des États-Unis.

Mais grisé par le succès, le FSLN perd son unité et se divise en trois factions en octobre 1975 :

  • Le FSLN Proletario, suit la pensée traditionnelle marxiste en s'appuyant sur le milieu ouvrier,
  • Le FSLN Guerra Popular Prolongada (guerre populaire prolongée), s'inspire du maoïsme et espère en la mobilisation paysanne,
  • Le FSLN Insurreccional, plus pragmatique et prônant un pluralisme idéologique milite pour une insurrection immédiate.

Le pays bascule dans la guerre civile. En 1978 le journaliste Pedro Chamorro est assassiné par la Garde nationale, qui s'étaient opposés à la violence contre le régime. 50 000 suivent ses funérailles. Des grèves de protestation, exigeant la fin de la dictature sont organisées. Les sandiniste intensifient leurs actions et s'empare de Léon.

Devant l'impopularité des Somoza, les États-Unis décident de retirer leur appui. Cette tactique échoue car Somoza conserve son influence sur le pays à travers la Garde nationale qui multiplie les exactions. Mais le 19 juillet 1979, les sandinistes entrent dans Managua. L'exécution par la Garde nationale du journaliste américain d'ABC Bill Stewart, diffusée aux États-Unis, fait basculer les médias et l'opinion américaine. Finalement, Jimmy Carter refuse l'aide militaire que Somoza demandait. Ce dernier quitte le pays avec sa famille.

 

Période sandiniste (1979-1990)

L'offensive finale du FSLN fut déclenchée en mai 1979. Lors de la chute du gouvernement somoziste, les États-Unis apportèrent leur aide pour que Somoza et les commandants de la Garde nationale prennent la fuite. Le 17 juin 1979, un gouvernement provisoire dénommé Junte gouvernementale de reconstruction nationale, (Junta de Reconstrucción Nacional), présidé par Daniel Ortega et composé de quatre autres membres Violeta Barrios de Chamorro, Moisés Hassan, Sergio Ramírez et Alfonso Robelo prend le pouvoir.

Les États-Unis estimèrent le coût des dommages occasionnés par la révolution à 480 millions de dollars. Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) prit la tête d'un pays dont la population souffrait de malnutrition, maladie, et de contaminations des pesticides. La guerre ne prit pas fin, car les contre-révolutionnaires (les Contras, soutenus et entraînés par la dictature argentine dans le cadre de l'Opération Charly) attaquent le régime sandiniste. Les contras regroupent des ex-somozistes, des membres de la Garde Nationale, des catholiques et des paysans déçus de la révolution. Les contras bénéficient de l'aide des États-Unis qui ne voulaient pas voir un deuxième régime socialiste et anti-américain s'installer en Amérique, après la révolution cubaine.

Les sandinistes remportent les élections, organisées le 4 novembre 1984, avec 66 % des voix. Ces élections ont été qualifiées de libres par des observateurs internationaux sélectionnés par les sandinistes, issus notamment de pays européens du Bloc de l'Ouest. De nombreuses personnes, dont l'opposition et l'administration Reagan ont affirmé le contraire en critiquant les restrictions faites sur les partis d'opposition par le gouvernement.

Daniel Ortega et les chefs du FSLN purent alors mettre en application une série de réformes de type marxiste-léniniste inspirées de son programme exposé en 1969 et se rapprochèrent du bloc de l'Est. L'action gouvernementale, reprenant le programme de 1969 entendait développer notamment :

  • Révolution agraire.
  • Gouvernement révolutionnaire et intégrité administrative.
  • Respect des croyances religieuses.
  • Politique extérieure indépendante et solidarité internationale.
  • Armée patriotique populaire.
  • Unité de l'Amérique centrale.

Ces axes signifiaient pour le gouvernement :

  • Révolution agraire : expropriation des terres en vue d'une redistribution qui s'avéra être une collectivisation. En fait, de très nombreuses familles de paysans sans terres reçurent environ 14 hectares. Mais l'État les regroupa en coopératives.
  • Gouvernement révolutionnaire et intégrité administrative : imprimer un mouvement vers le parti unique, ce mouvement n'a jamais fonctionné car il y a toujours eu de très nombreux partis d'opposition. D'ailleurs, 14 de ceux-ci se sont regroupés sous le nom de UNO (Unión Nacional Opositora). Pas de fédéralisme mais un État centralisé.
  • Respect des croyances religieuses : si elles sont conformes au Marxisme ; le gouvernement encouragea la Théologie de la libération. Dans cette optique les trois prêtres catholiques nommés ministres (Éducation, Affaires étrangères et Culture) étaient membres de cette mouvance en rupture avec Rome.
  • Politique extérieure indépendante : indépendante vis-à-vis des États-Unis et alignement sur le bloc de l'Est.
  • et solidarité internationale : entrée dans l'Internationale Socialiste (le FSLN en est membre).
  • Armée patriotique populaire : service militaire obligatoire.
  • Unité de l'Amérique centrale : soutien aux guérillas marxistes des autres pays d'Amérique centrale (Salvador).

 

Le gouvernement lança une politique de fondation d'écoles qui en matière d'alphabétisation fut un succès mais fut contrebalancé par le manque d'objectivité du contenu de l'enseignement, fortement marxisé (apprentissage de la lutte des classes, présentation de la cellule familiale comme source d'inégalités).

Le journal d'opposition de Violeta Barrios de Chamorro, La Prensa, attaquant les méthodes policières du gouvernement fut censuré en juin 1986 pour 6 mois.

Les populations locales s'opposèrent aux projets du président notamment sur la collectivisation des terres ou la conscription obligatoire.

Les indiens Misquitos, déjà fortement éprouvés sous les Somozistes, entrèrent en résistance pour conserver leurs terres et 10 000 d'entre-eux (comptabilisés par l'ONU) furent déportés dans des centres de rééducation destinés à faire d'eux des citoyens socialistes, détachés de leurs traditions.

 

États-Unis et Contras

Le 1er mai 1985, une ordonnance du Président des États-Unis instaure un embargo total sur le commerce avec le Nicaragua.

La rébellion s'étendit mais sans chef unique, elle restait très disparate ; elle regroupait tous ceux qui étaient contre le gouvernement sandiniste (de même que se donnaient le nom de sandinistes toutes sortes de courants anti-somozistes...) et reçut pour cela le nom de Contras.

Les Contras étaient notamment :

  • des groupes maoïstes, comme le MILPAS, qui étaient aussi opposés à Ortega.
  • le FDN somoziste.
  • les groupes indiens, Kisan, Matama et d'autres.
  • des ex-sandinistes déçus comme l'ARDE, Eden Pastora.

 

Les États-Unis, alors dirigés par le président Ronald Reagan décrétèrent un embargo et vinrent en aide aux Contras en les entraînant, les armant, les finançant et les approvisionnant à partir de 1982. Ronald Reagan exigea l'unification des Contras en 1985 mais sans réel succès.

Les affrontements firent 57 000 victimes, dont 29 000 morts (dix ans auparavant, la lutte contre Somoza avait déjà fait 40 000 victimes). Apprenant l'aide américaine, le gouvernement de Daniel Ortega porta plainte contre les États-Unis en 1984 devant la Cour internationale de justice. Le 27 juin 1986, la cour ordonna aux États-Unis de cesser d'apporter leur soutien aux opposants au régime, et pour avoir « rompu leur obligation dictée par le droit international de ne pas utiliser la force contre un autre État », les condamna à verser 17 milliards de dollars de dédommagements au Nicaragua pour les dégâts causés par les Contras. L'administration américaine refusa de se soumettre à ce jugement7. L'aide aux Contras continua jusqu'en 1989 notamment après qu'éclate le scandale de l'Irangate en 1986, lorsque plusieurs membres de l'administration Reagan ont vendu illégalement des armes à l'Iran, qui était un ennemi avoué des États-Unis, utilisant les profits pour financer secrètement, et malgré l'opposition du Congrès des États-Unis, les Contras.8

 

La revolution sandiniste : une gageure

Les dirigeants sandinistes en défiant l’impérialisme américain avaient osé se mesurer à plus puissants qu’eux. Le Nicaragua avait déjà payé dans le passé pour savoir que l’impérialisme américain tolère d’autant moins les écarts des peuples qu’il s’agit des pays situés dans ce qu’ils estiment être leur arrière-cour. Son histoire est une longue suite de pressions et d’interventions économiques, politiques et, à plusieurs reprises, militaires de la part de l’impérialisme américain. Les dirigeants nord-américains n’ont pas choisi cette fois d’envoyer directement leur armée. Mais ils ont mené une guerre d’usure contre le régime. Ils ont exercé contre lui de formidables pressions économiques, politiques et militaires. Ils ont imposé l’embargo financier puis ils ont organisé le minage des ports, et, plus tard encore, un véritable blocus économique. Washington a armé, entraîné et financé la Contra, l’armée d’opposition. La lutte armée contre le régime sandiniste s’était d’abord reconstituée autour d’anciens gardes somozistes. Elle avait trouvé un temps un soutien parmi les indiens Miskitos de la côte atlantique du pays vis-à-vis desquels les sandinistes se reconnaissaient coupables de grandes erreurs. Mais il avait fallu l’aide américaine pour que la Contra devienne cette armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes qui disposaient de bases dans les pays voisins et qui harcelaient les paysans des régions frontalières, faisaient des incursions dans le pays, tuant, assassinant ceux qui leur résistaient et contraignant les dirigeants sandinistes à consacrer des sommes démesurées aux dépenses de guerre - jusqu’à 47 % de leur budget en 1987. La Contra n’est jamais devenue pour autant le pôle politique et la solution de rechange que Washington cherchait à constituer, mais elle a contribué à mettre le régime en difficulté et à créer les conditions psychologiques et politiques d’une remontée de l’opposition civile que les mêmes dirigeants américains ne se privaient pas d’encourager et de financer.

La politique de rapprochement entre les USA et l’URSS, visant à résorber un certain nombre de points chauds parmi lesquels il fallait compter l’Amérique centrale a par ailleurs accru l’isolement international du régime sandiniste.

Mais le problème aujourd’hui n’est pas d’invoquer simplement les difficultés objectives ou la fatalité, mais de comprendre en quoi la politique du parti sandiniste, le comportement de ses dirigeants vis-à-vis des masses, les perspectives qu’ils leur ont offertes ont pu faciliter la réalisation des objectifs des dirigeants nord-américains et préparer cette défaite.

 

Un radicalisme dans les moyens d’action au service d’une cause bourgeoise

Les dirigeants sandinistes qui ont pris la tête de la lutte contre Somoza étaient des dirigeants nationalistes radicaux. Partisans de la lutte armée pour conquérir le pouvoir, ils ont constitué dans les luttes guérilleristes l’embryon d’un appareil militaire qui leur a servi à diriger l’insurrection populaire qui en 1979 s’est étendue à toutes les villes, contraignant Somoza, le protégé des Américains, à prendre la fuite.

Mais s’ils étaient radicaux dans leurs moyens d’action, les sandinistes ne l’avaient jamais été dans leur programme social. Ils voulaient un Nicaragua débarrassé de la dictature somoziste qui écrasait toute la société nicaraguayenne, y compris la bourgeoisie nationale ; mais ils ne voulaient pas toucher aux privilégiés locaux, ni à leurs privilèges, le clan Somoza mis à part.

Dès avant la prise du pouvoir le FSLN a tout fait pour rallier à son combat l’ensemble de la bourgeoisie nicaraguayenne, y compris les grands planteurs, les éleveurs, le grand patronat et les détenteurs de capitaux. Ses dirigeants ont tranquillisé bourgeois grands et petits en leur assurant qu’ils entendaient réaliser une révolution sans doute, mais une révolution qui respecterait l’ordre social bourgeois. Il n’était pas question de lutte de classes, mais d’unité nationale dans laquelle les classes populaires devraient trouver leur compte, sans imposer le moindre sacrifice aux classes riches. C’était dans le meilleur des cas une utopie, et en réalité une duperie vis-à-vis des classes populaires. Mais les dirigeants sandinistes ont en tout cas scrupuleusement respecté leurs engagements vis-à-vis de la bourgeoisie possédante.

Le premier gouvernement comptait dans ses rangs Violeta Chamorro, Cesar Robelo, ainsi que d’autres représentants de la bourgeoisie libérale et conservatrice ; et c’est du côté de ces forces sociales que les dirigeants sandinistes ont cherché des alliés.

Aussitôt le pouvoir conquis les dirigeants du FSLN demandèrent à la population de rendre les armes, car les paysans auraient pu s’en servir pour prendre les terres, et les ouvriers pour exproprier les industriels et les capitalistes qui sabotaient l’économie. Au lieu de cela les sandinistes se sont contentés de transformer en fermes d’État les propriétés de Somoza, d’étatiser certains secteurs de l’économie, mais ils laissaient aux riches toutes leurs richesses et toute liberté pour exploiter les classes populaires.

Parallèlement, les sandinistes structurèrent l’armée qu’ils avaient construite dans le feu des événements et des combats ; c’était la première armée nationale du pays, car jusque-là la garde de Somoza était la seule force armée tolérée. Mais ils la structurèrent comme une armée bourgeoise contrôlée par un État que les masses ne contrôlaient nullement. Il fallut attendre le développement de la guerre contre la Contra pour que le régime associe à la lutte militaire contre les Contras des paysans et qu’il les arme, en particulier dans les zones de combat, et pour qu’il associe - de façon plus contrôlée encore - les travailleurs des villes. Néanmoins il osa le faire, ce qui montre que le régime sandiniste disposait d’une importante base populaire. Tout comme il osa d’ailleurs - mais là encore plus tard, quand il se vit menacé par la démagogie de la Contra vis-à-vis des paysans - répartir des terres aux paysans.

 

Les vainqueurs ne veulent ni l’approfondissement, ni l’extension de la révolution

Les sandinistes ne visaient pas à approfondir la révolution, ni à proposer aux masses comme politique de se donner les moyens de prendre les terres, les richesses, les capitaux et de contrôler toute la vie sociale.

Par peur des représailles nord-américaines, disaient-ils. Mais c’est au contraire en menant une politique offensive, à l’intérieur comme à l’extérieur, qu’ils auraient pu changer le rapport de forces et impressionner Washington.

Les dirigeants sandinistes auraient pu, s’ils l’avaient voulu, chercher des alliés parmi les exploités des autres pays et tenter de profiter de la position conquise par les classes populaires du Nicaragua pour non seulement confisquer toutes les richesses dans le pays même et les répartir plus justement, mais aussi pour entraîner dans une lutte révolutionnaire les masses exploitées de la région.

Ce n’était pas là une vue de l’esprit.

La révolution sandiniste s’est produite à une époque où toute l’Amérique centrale était en ébullition. Il existait dans différents pays des foyers de guérilla, des luttes sociales et politiques. Au Salvador le pouvoir en place se sentait menacé. Au Guatemala la situation était difficile pour les autorités. Tous les peuples d’Amérique latine - soumis pour la plupart au joug des dictatures - avaient les yeux fixés sur ce petit pays. Les dirigeants sandinistes ne cherchaient pas à exploiter le crédit que leur valait la victoire pour en faire un levier pour la révolution au moins à l’échelle d’une Amérique centrale dont les classes pauvres qui avaient en commun une langue, l’espagnol, qui avaient vécu une même histoire et subissaient les mêmes formes d’oppression, la même exploitation, n’étaient divisées que par des frontières imposées par l’arbitraire colonial espagnol puis par la volonté américaine. Les dirigeants sandinistes respectèrent au contraire scrupuleusement ces frontières artificielles, insistant sur le fait que leur ambition se limitait à la seule libération du Nicaragua. Ils respectèrent encore plus les frontières sociales, ne se posant nullement comme les combattants des classes exploitées d’Amérique latine, et ne mettant nullement en avant les revendications de ces dernières.

Ces dirigeants parlaient bien de la solidarité nécessaire avec les peuples du Salvador ou du Guatemala. Mais pas de la possibilité de faire converger leurs luttes.

En réalité ils avaient fait le choix de composer non seulement avec la bourgeoisie de leur pays mais avec la bourgeoisie internationale, c’est-à-dire en l’occurrence avec l’impérialisme américain dont ils connaissaient pourtant l’impitoyable acharnement à briser la volonté d’indépendance des peuples.

Les dirigeants sandinistes préféraient renoncer à se faire craindre, plutôt que de perdre la possibilité de se faire accepter par la bourgeoisie nicaraguayenne et l’impérialisme. Et c’est pourquoi ils brisèrent de fait l’élan révolutionnaire des masses populaires dont ils avaient eux-mêmes profité et que leur succès encourageait - chose que les dirigeants du monde impérialiste ne leur ont jamais pardonnée.

C’est à leur arrivée au pouvoir lorsqu’ils bénéficiaient d’un crédit important dans toute l’Amérique centrale et au-delà que les dirigeants ont fait le choix de se refuser à toute politique révolutionnaire en direction des masses pauvres de la région, choix qui les aura conduit à leur étouffement. Mais ces choix découlaient de leurs perspectives de classe.

 

Une politique économique et sociale qui aggrave les inégalités...

Il est certain que, une fois enfermés dans leurs étroites frontières, les dirigeants sandinistes ne pouvaient pas grand chose pour sortir de la pénurie ce petit pays pillé depuis des siècles par l’impérialisme. Tout comme ils ne pouvaient pas grand chose contre l’appauvrissement global du Nicaragua lié au blocus américain et aux conséquences de la crise mondiale. Mais ils auraient pu là encore s’appuyer sur les masses populaires à l’intérieur du pays pour faire en sorte que les sacrifices (et du coup les insuffisantes richesses) soient équitablement réparties.

Or ce ne fut même pas la politique des sandinistes. Loin s’en faut.

Ceux-ci favorisèrent, c’est vrai, la scolarisation qui passa de 64 % à 80 % entre 78 et 82 ; ils consacrèrent aussi de l’argent à la santé puisque, dans le même laps de temps, le nombre de consultations médicales a triplé. Et ces mesures sont tout à l’honneur des sandinistes. Mais en l’absence d’une politique s’en prenant aux riches, ce n’était que cautère sur une jambe de bois.

En effet, dans le même temps, le niveau de vie ne cessait de baisser. Un salaire à la base 100 en 80 était descendu à l’indice 3,7 à la fin de l’année 88. Le dernier plan d’austérité de 1988 (semblable à tous les plans d’austérité des pays pauvres) comprenait des suppressions d’emplois en particulier dans le secteur étatisé, des baisses de salaires un nouvel arrêt de certaines subventions aux produits de première nécessité. Mais il visait aussi à maintenir les profits des classes possédantes et à donner au gouvernement les moyens d’honorer sa dette auprès des banquiers du monde.

Pendant que le peuple connaissait la faim, certains ne se privaient pas de spéculer sur la monnaie, d’exporter frauduleusement comme les très riches éleveurs qui vendaient leur bétail dans les pays voisins ou aux États-Unis et refusaient d’approvisionner le marché intérieur.

Ne croyant pas dans la solidité du gouvernement, les bourgeois qui le pouvaient plaçaient leur argent à l’étranger plutôt que de l’utiliser pour l’activité productive. Et ceux qui - en général les mêmes - s’appuyaient précisément sur la pénurie pour s’enrichir, importaient frauduleusement des articles pour ceux qui avaient de l’argent, et pas pour les plus pauvres. Tout cela aggravait encore la pression économique de l’impérialisme et contribuait à la hausse des prix des articles de première nécessité pour les plus pauvres.

Enrayer la spéculation, le marché noir, le trafic de devises qui enrichit quelques-uns en appauvrissant la majorité, aurait nécessité des mesures hardies, le contrôle étroit des bourgeois et de leurs activités. Il aurait fallu être prêt à exproprier sur le champ tous les possédants qui sabotaient par leur trafic l’activité économique et qui pillaient le peu de richesses qu’il y avait dans le pays. Mais pour cela, à supposer que le régime en eût été partisan, réellement et jusqu’au bout, ses fonctionnaires et son armée n’auraient pas suffi. Il aurait fallu mobiliser les ouvriers, les employés, les paysans pauvres ; leur reconnaître le droit d’exercer cette surveillance sur la base de leurs intérêts de classe, et leur en donner les moyens.

Mais le gouvernement sandiniste n’était pas pour la lutte des classes. En tous les cas, pas pour celle-là, celle des pauvres contre les riches, des ouvriers contre leurs patrons.

Les dirigeants sandistes ne cachaient pas leurs objectifs. D’après ce que rapporte le journal Critique Communiste d’avril 90, Daniel Ortega aurait expliqué dans une interview à la New Left Review de juillet 1987, sans fard et visiblement sans remords :

« La bourgeoisie nicaraguayenne ne s’est pas résignée à la perte du pouvoir politique et elle combat avec toutes les armes en sa possession y compris l’arme économique qui menace véritablement la survie du pays. Ce n’est pas par accident que la bourgeoisie a reçu tant d’aide économique, bien plus que les travailleurs ; nous-mêmes nous avons été plus attentifs à donner à la bourgeoisie des facilités économiques qu’à répondre aux demandes de la classe ouvrière. Nous avons sacrifié la classe ouvrière en faveur d’une politique économique qui faisait partie d’un plan stratégique : mais la bourgeoisie continue de résister allant même parfois jusqu’au boycott économique pour servir ses intérêts politiques ».

 

... et dilapide le crédit des sandinistes

En donnant aux riches la possibilité de s’enrichir même si cela se traduisait par un appauvrissement intolérable des classes populaires, les dirigeants sandinistes, les Borge et autres Ortega, ne pouvaient que dilapider leur crédit parmi les classes populaires qui les avaient portés au pouvoir et à qui la pauvreté devait être d’autant plus insupportable que dans le même pays les bourgeois s’enrichissaient.

Les dirigeants sandinistes prenaient le risque de voir une partie de leur base sociale se détacher avec amertume d’un régime qui les trahissait. C’était le calcul de l’impérialisme américain et des dirigeants de l’opposition nicaraguayenne. Et effectivement, le 25 février 1990, les sandinistes ont été évincés du pouvoir à la suite d’une défaite électorale. Le Front Sandiniste de Libération Nationale n’a pas seulement été battu aux présidentielles où son candidat Daniel Ortega, à la tête de l’État depuis la révolution de 1979, n’a obtenu que 40,8 % des voix, mais il est aussi devenu minoritaire au parlement et dans les municipalités de la plupart des grandes villes.

La victoire de l’opposition regroupée autour de Violeta Chamorro, à la tête de l’Union Nationale de l’Opposition, l’UNO - une coalition de 14 partis politiques allant de l’extrême-droite (liée à la Contra) à une partie des communistes et soutenue par les USA - marquait incontestablement un tournant dans l’évolution de la situation au Nicaragua et constituait un recul pour les peuples de cette région. Les États-Unis qui voulaient en finir avec ce régime trop indépendant à leurs yeux, y sont parvenus, en s’abritant qui plus est derrière un paravent prétendument démocratique.

Les 40,8 % de voix obtenus par les sandinistes montrent qu’une partie importante des classes populaires leur sont malgré tout restée fidèle. Et ceux là avaient sans doute de nouvelles raisons d’être amers. Car en acceptant de jouer le jeu démocratique, en s’inclinant devant le verdict des urnes sans tergiverser, les dirigeants ont donné finalement raison à la minorité qui dans les classes laborieuses a basculé dans l’opposition.

Pendant des années, les dirigeants sandinistes sont allés de reculs en reculs. Ils ont donné leur aval au plan de pacification de l’Amérique centrale qui projetait non seulement de liquider la guerilla salvadorienne mais aussi le régime sandiniste. Ils ont accepté de se soumettre au verdict des urnes à la date voulue par Washington.

 

Les sandinistes ont laissé l’initiative à leurs ennemis

Leur sortie discrète de l’avant-scène politique était le dernier épisode d’une évolution marquée par une lente dégradation du rapport de forces en leur défaveur. Mais ce n'était pas l’épisode décisif car c’est au moment de la révolution quand il existait un élan révolutionnaire au Nicaragua et dans toute l’Amérique centrale qu’il y aurait eu pour des dirigeants révolutionnaires une autre politique possible et d’autres perspectives pour les masses exploitées en révolte.

Dès lors que, pour des raisons politiques fondamentales, par choix de classe, les dirigeants sandinistes ne choisissaient pas d’approfondir ni d’étendre la révolution, dès lors que leurs seules troupes n’étaient pas les classes exploitées de leur pays et des pays voisins, il ne leur restait plus qu’à gérer une situation extrêmement difficile où l’impérialisme américain avait l’initiative.

Et le problème n’est pas de se demander aujourd’hui si, une fois engagés dans l’impasse ils auraient pu être moins conciliants vis-à-vis de l’impérialisme ou moins complaisants vis-à-vis des classes possédantes du Nicaragua. Le problème est de comprendre que dans la voie qu’ils avaient choisie il n’y a pas d’issue pour les masses populaires sur lesquelles ils s’étaient appuyées. Et leur plus ou moins grande fermeté tactique dans telle ou telle circonstance n’aurait finalement rien changé d’essentiel tant que les sandinistes préféraient voir se dégrader le rapport de forces plutôt que de s’appuyer sur la seule force qui pouvait le modifier durablement, l’élan révolutionnaire des exploités du Nicaragua et des pays voisins.

Il y eut bien sûr dans les rangs des sandinistes et parmi ses dirigeants des hommes et des femmes qui voulaient sincèrement plus de justice sociale et le bonheur des masses. Mais il ne leur restait plus qu’à adopter une attitude paternaliste en se contentant de bonnes intentions et de mesures visant à adoucir la condition des exploités. Et ce paternalisme si fréquent dans la petite bourgeoisie n’aura été finalement qu’une façon de perpétuer, et même d’accroître l’exploitation impitoyable à laquelle le système capitaliste condamne les classes populaires des pays pauvres.

Les dirigeants sandinistes ont justifié leur refus de la lutte des classes, leurs renoncements et leurs démissions en expliquant que s’ils agissaient autrement les autorités nord américaines interviendraient militairement pour les renverser. Ils y ont simplement gagné que Washington n’ait même pas besoin d’intervenir ! Et au bout du compte, comme tous les petits bourgeois paternalistes, les sandinistes, loin de favoriser l’émancipation des exploités, ont contribué à les endormir et à les empêcher de se battre pour défendre leurs intérêts contre ceux des classes possédantes.9

 

L'après-sandinisme

Le 25 février 1990, les sandinistes perdent les élections au profit de l'Union nationale de l'opposition (UNO, une coalition de 14 partis) emmenée par Violeta Barrios de Chamorro, la veuve d’un directeur du journal La Prensa assassiné par les Somoza.10

Une fois au pouvoir, Mme Chamorro met le Nicaragua à l’heure néolibérale. En profitent les entreprises transnationales, américaines en particulier, mais aussi européennes et asiatiques. L’oligarchie financière se consacre à la dilapidation des biens de l’État et à la spéculation économique. « En très peu d’années, raconte le sociologue Orlando Nuñez, ils ont presque liquidé la bourgeoisie nationale, déjà faible, non consolidée, et bouché l’horizon des petits et moyens producteurs de la campagne et de la ville. Ils ont plongé le Nicaragua dans la pire crise économique, sociale et financière de son histoire. » À partir de 1990, trois présidents - Mme Violeta Chamorro, MM. Arnoldo Alemán et Enrique Bolaños - anéantissent pratiquement ce que la révolution avait bâti. Les salaires perdent jusqu’à un tiers de leur valeur, le sous-emploi approche 45 % et la misère touche nombre de Nicaraguayens.

Ce douloureux retour en arrière ne rencontre guère de freins. « La révolution n’a pas duré assez longtemps pour créer un nouveau système, analyse M. Fonseca, le père fondateur du FSLN, Cela est dû à des réalités politiques, économiques et à la guerre qui lui a été imposée. L’institutionnalisation de la participation populaire dans l’exercice du pouvoir ne s’est pas fait. Si cela avait été le cas, le néolibéralisme n’aurait pas pu aussi facilement déboulonner les conquêtes sociales. »

Le mouvement est d’autant plus dévastateur que la résistance est affaiblie par les violentes luttes intestines déchirant les sandinistes.

En 1994, lors du congrès du FSLN, deux tendances s’affrontent. Selon M. Fonseca, « les uns prêchaient la renonciation à l’anti-impérialisme, au socialisme, au caractère avant-gardiste du parti. L’autre courant, mené par Daniel Ortega, exposait la nécessité de réaménager le programme, sans s’éloigner des principes idéologiques du sandinisme. » Ce dernier obtient douze des quinze postes de direction. Dénonçant son « autoritarisme », la plupart des dirigeants nationaux, l’immense majorité de ceux qui ont été ministres et la plus grande part des députés quittent le Front, pour fonder le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS)

C’est pourtant ce même FSLN qui revient au pouvoir avec la victoire à la présidence, le 5 novembre 2006, de M. Ortega (avec 38 % des voix). Pour y parvenir, ils ont noué une série d’accords politiques, provoquant interrogations, critiques et vives réactions, dans le pays, et chez beaucoup de ses sympathisants et amis, à l’étranger. (...)

Par le passé, les Sandinistes s’étaient alliés avec les conservateurs afin de faire juger et incarcérer l’ex-président Arnoldo Alemán pour corruption. Cette fois, ils offrent à ce dernier, condamné à vingt ans de détention, de le faire sortir de prison - remplacée par une mise en « résidence surveillée » à son domicile -, en échange de la « neutralité » du Parti libéral constitutionnaliste (PLC). Ils provoquent également la stupeur en signant des pactes de « non-agression » avec celui qui a été l’un de leurs plus féroces ennemis dans les années 1980 : le cardinal Miguel Obando y Bravo. Confrontée à la progression des religions évangéliques, l’Église catholique y trouve son compte et joue le jeu.

« On a mis en œuvre une politique audacieuse et avantageuse d’alliances avec les partis de l’oligarchie, justifie M. Eden Pastora, le mythique Commandant Zéro. Un jour avec l’un, le lendemain avec l’autre. Et, pendant qu’on avançait, sans se vendre, on les divisait, on les affaiblissait. Au début, j’avais du mal à l’accepter mais je comprenais. S’ils nous mènent au pouvoir, s’ils nous permettent de relancer des programmes sociaux, bénis soient ces pactes. » De son côté, M. Serna, ancien inspecteur de l'armée, ajoute : « Les alliances que nous avons passées quand nous n’étions pas au gouvernement ont été des manœuvres. Nous nous y connaissons en matière de tactiques et de stratégies. Nous avons été guérilleros, militaires, politiques ! » Il n’empêche... Pour beaucoup, ce pragmatisme est dur à avaler.
Installé officiellement à la présidence le 10 janvier 2007, le FSLN l’emporte dans cent cinq communes des cent quarante-six existantes, lors des élections municipales du 9 novembre 2008. C’est que, au-delà de ces avatars et avanies, la santé et l’éducation sont redevenues gratuites. Des milliers d’enfants ont repris le chemin de l’école. Un plan « Faim zéro » a été mis en place : un million de repas quotidiens sont distribués dans les centres éducatifs.

Pour assurer souveraineté et sécurité alimentaires du pays, terres et prêts à très bas taux d’intérêt sont attribués aux petits et moyens producteurs. Quelque cent mille familles paysannes bénéficient de ce projet administré par des femmes, organisées en coopératives. « Elles sont les plus stables et presque toujours en charge de la survie de la famille, observe Mme Aguilar, une ancienne combattante sandiniste, Encore davantage maintenant que les hommes doivent partir en vadrouille [souvent à l’étranger] pour chercher du travail. » Ces femmes reçoivent une formation et ont leur donne des vaches, des porcs, des graines. Elles rembourseront 20 % du prêt, le reste devant être capitalisé pour leur permettre de devenir indépendantes et productrices d’aliments.

Le programme « Usure zéro » finance, lui (à un taux d’intérêt de 5 % alors qu’il est généralement de 25 %), une partie des 45 % de Nicaraguayens qui travaillent à leur compte. Si les banques l’ont perçu comme une déclaration de guerre, les commerces de chaussures, de meubles et de vêtements qui en bénéficient peuvent offrir des produits plus avantageux au consommateur. « Si l’ambassade américaine et l’oligarchie sont furieuses de la perte du leadership politique, constate Nuñez, elles le sont aussi du rapprochement de nombreux entrepreneurs nationaux avec le Front. »

La dynamique régionale fait le reste... Au sein de l’Alternative bolivarienne pour notre Amérique (ALBA), le Nicaragua échange des haricots, de la viande ou des vachettes contre du pétrole vénézuélien. L’ALBA finance également une bonne partie des programmes sociaux. Des médecins cubains opèrent gratuitement les yeux de milliers de personnes, avec des équipements modernes envoyés par le Venezuela ; une campagne d’alphabétisation a été lancée à l’aide d’un programme, lui aussi cubain, « Yo si puedo » (« Oui, je le peux ») .

« Nous avançons à bon rythme, avec le peu que nous avons et l’aide de pays amis d’Amérique latine et des Caraïbes, analyse Mme Aguilar. Mais on nous a déclaré une guerre médiatique. On ne nous annonce que des problèmes ! Sans doute veut-on empêcher que le Front gagne à nouveau en 2012. » En août 2008, le nouvel ambassadeur de Washington, M. Robert Callahan, est arrivé à Managua. Sa présence a rouvert les blessures. Dans les années 1980, cet homme était attaché de presse à l’ambassade américaine du Honduras, avec pour chef M. John Dimitri Negroponte. À l’époque, la CIA dirigeait depuis ce pays la frange la plus sanguinaire de la « contra ».

Aujourd’hui, préoccupé par les avancées des sandinistes, il appuie ouvertement l’opposition nicaraguayenne. Une ingérence qui a conduit le président Ortega à le menacer d’expulsion, en mai 2009. Les représentants de l’élite et les anti-sandinistes ont alors répliqué que le chef de l’État « mordait la main de celui qui lui donne à manger ». De quoi faire se retourner dans sa tombe le général Sandino.11

 

En 2011, Daniel Ortega est réélu lors de l'élection présidentielle avec 62% des voix dès le premier tour. Après l'annonce des résultats, des manifestations éclatent, faisant quatre morts et une dizaine de blessés.

Le 10 janvier 2012, Ortega entame donc un second mandat de cinq ans à la tête du pays.12

 

 

Le canal de tous les dangers

Les porte-conteneurs de 110 000 à 250 000 tonnes, jusqu’à 455 mètres de long, ne peuvent pas emprunter le canal de Panama – proche de la saturation mais en travaux d’agrandissement – pour transporter jusqu’à la côte est des États-Unis et jusqu’en Europe, les produits manufacturés asiatiques, chinois surtout...

Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, sandiniste reconverti au social-libéralisme et aux idées d’Adam Smith, a confié à l’entreprise chinoise HKND (Hongkong Nicaragua Development Investment) la construction et la concession pour 50 ans d’un canal transocéanique.
Celui-ci, long de 278 km (trois fois le canal de Panama) entre le Pacifique et la mer des Caraïbes, sera inauguré en 2020. Le chantier a été lancé le 22 décembre 2014. Ortega veut faire du Nicaragua le pays le plus riche d’Amérique centrale. Pourtant du fait du réchauffement climatique, les navires pourront bientôt économiser 9 000 km en passant près du pôle Nord...
Ce canal traverserait et détruirait 400 000 hectares de nature tropicale, dont deux réserves naturelles, entraînant le déplacement sans aucune compensation de 30 000 ruraux Ramas et Nahuas, la disparition de 22 espèces migratoires et surtout mettant en danger le lac Cocibolca, deuxième lac d’Amérique latine de 8 000 km2, réserve d’eau indispensable à la survie de la région qui va être asséchée, salinisée et polluée.

 

Contre les peuples et la nature...

Outre l’opacité du contrat et de l’origine des financements (50 milliards de dollars à ce jour, combien en réalité à terme ?) et des études de faisabilité et de marché, ce projet pharaonique a été conçu contre l’avis du peuple du Nicaragua, le deuxième plus pauvre de la région. En effet, celui-ci a conscience que non seulement, ce projet ne va pas lui apporter la manne escomptée forcément accaparée par les capitalistes, mais aussi qu’il s’agit d’un grand projet inutile, destructeur, menaçant et imposé.
Pendant des mois, les manifestations des paysans menacés et des associations de défense de la nature et de ces populations se sont multiplié. Ainsi, le 24 décembre 2014, les habitantEs d’El Tule et de Rivas, communes du sud du Nicaragua, ont organisé un « Noël noir » et se sont affrontés aux forces de l’ordre. La police a utilisé des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, faisant 21 blessés, dont un grièvement, et 33 arrestations.
Les grands projets inutiles imposés sont à l’échelle des continents sur lesquels les capitalistes veulent les développer, et inversement proportionnels au niveau de vie des populations concernées. Comme les peuples du Brésil et de tous les pays de la région Amazone, frappés par les cultures dévastatrices et l’extractivisme, les peuples victimes du Nicaragua se révoltent.
Les Chinois, qui ont déjà dévasté des régions entières de leur propre pays, en sont arrivés à polliniser à la main dans certaines régions et à étouffer dans leurs villes, sont totalement convertis aux vertus financières du capitalisme... cela quoi qu’en disent leurs dirigeants qui lancent aujourd’hui une campagne de renouveau de l’enseignement marxiste dans les universités ! Et ils ne manquent pas de complices tel Ortega.13

 

 

Élections générales de 2016

La victoire de Daniel Ortega est annoncée le . Une partie de l'opposition dénonce une « farce électorale », une fraude massive. Notamment, selon elle, le taux d'abstention attendrait les 70%, et non les 32% officiels. Le résultat de l'élection est toutefois en adéquation avec les estimations des sondages. Pour le journaliste Maurice Lemoine, les allégations de fraudes, régulièrement avancées par des partis d'oppositions nicaraguayens à l'issue d’élections dont le résultat leur est défavorable, sont peu crédibles.14

 

 

La rue ébranle le régime

En avril 2018, c’est une réforme de la Sécurité sociale – une exigence du FMI, qui entendait augmenter le montant des cotisations pour les retraites – qui a provoqué l’explosion de colère. Ortega a remballé sa réforme mais la contestation a été relayée par les étudiants puis par les mères des étudiants tués. Plusieurs villes en opposition se sont couvertes de barrages.15

La violence se concentre particulièrement à Masaya au sud et dans la capitale Managua, villes dans lesquelles des groupes de franc-tireurs habillés en civils assistent la police contre les manifestants. Les médecins ayant soigné des manifestants blessés ont retrouvé dans leurs corps des balles de snipers dragunov, ce qui indiquerait que les francs-tireurs seraient au moins en partie des anciens guérilleros sandinistes ou auraient été formés par eux, mais surtout qu'ils tirent pour tuer — 16 manifestants auraient été tués par des snipers embusqués dans le stade de base-ball de Managua et un autre (Carlos Lopez, professeur de 23 ans) aurait été exécuté d'une balle dans le thorax à Masaya aussi par ces francs-tireurs. Au début du mois de , les manifestants à Masaya construisent de nombreuses barricades dans les rues et attaquent un commissariat : 5 ou 6 personnes sont tuées dans l'attaque (1 policier et 4 ou 5 manifestants), et plusieurs policiers sont enlevés. Masaya devenant le centre de la contestation, le la police et des groupes paramilitaires armés et motorisés envoient des bulldozers détruire les barricades. Les affrontements continuant encore le , l’Église envoie des évêques en médiation en espérant résoudre la situation. Le 16 juin, six personnes, dont deux enfants, meurent brûlées vives dans l’incendie de leur maison à Managua, attaquée à coups de mortiers et de cocktails Molotov. Au , il y avait au moins 110 morts. Au , il y avait 150 morts et 1340 blessés. Au , il y avait 212 morts.

Les journalistes, dont la plupart dénoncent les violences des paramilitaires au service du gouvernement, sont aussi victimes de violence. Les journalistes de La Prensa, de Hoy et d’autres quotidiens régionaux sont aussi devenus des cibles : ils sont menacés, leurs locaux sont saccagés, et leurs livreurs de journaux sont pris pour cibles par des snipers, ce qui les force à livrer les journaux de nuits à travers les barricades. Les locaux de Radio Ya et Radio Nicaragua, toutes deux pro-sandiniste, sont incendiés respectivement les 29 mai et 9 juin. Angel Gahona, directeur du journal El Meridiano et correspondant du Canal 6 Nicaragua, est tué d’une balle dans la tête le 21 avril à Bluefields par un manifestant.

L'Église catholique sert de médiatrice entre le gouvernement et l'opposition. Le président Ortega ne veut pas discuter directement avec l'opposition, il a donné une réponse aux évêques nicaraguayens, sans dire quel est le contenu de sa réponse, ayant prévu de la révéler au cours d'une réunion de concertation entre le gouvernement et l'opposition le . L'Alliance citoyenne pour la justice et la démocratie, une organisation d'opposition qui regroupe des étudiants, des chefs d'entreprises, des paysans, et des représentants de la société civile, organise alors une grève générale de 24h pour la veille, le , afin de faire pression sur Ortega avant la réunion, et pour demander la démission du gouvernement. Le blocage des routes du pays désorganiserait l'approvisionnement et pourrait coûter jusqu'à 900 millions de dollars. La grève générale est saluée par l'archevêque de Managua. Le , l’Église envoie des évêques spécifiquement pour mettre fin aux violences à Masaya.

La répression est organisée par des groupes paramilitaires proches du pouvoir, l'armée étant neutre.

Le 17 juin, le pouvoir décide de passer à l’offensive.et les opérations de police reprennent, après un mois et demi d’arrêt. A Masaya, la reconquête de la ville par la force anti-émeutes fait six morts.

Fin 2018, Amnesty International recense 320 morts, dont beaucoup de jeunes. La presse liée au pouvoir les présente comme des « terroristes » voulant réaliser un « coup d'État ». Début octobre les rassemblements de l'opposition avaient été interdits et ses leaders sont depuis traqués jusqu'à leur domicile, comme le mentionne une mission de l'ONU. Les protestataires reprochent notamment au président Ortega d'avoir dévoyé la révolution sandiniste, de s'être enrichi grâce aux aides vénézuéliennes et de tout faire pour se maintenir au pouvoir. Alors que le système médiatique est cadenassé, la vice-présidente Rosario Murillo, par ailleurs son épouse, gère la communication du régime en assimilant depuis les chaînes télévisées d'État les opposants à des « vampires assoiffés de sang ».

En novembre 2018, Donald Trump signe un « ordre exécutif » déclarant le gouvernement du Nicaragua « menace pour la sécurité nationale » des États-Unis. En décembre, il approuve le « Nicaraguan Investment Conditionality Act », qui autorise des sanctions contre le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et permet de restreindre l’accès du Nicaragua aux prêts internationaux. Luis Almagro, le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains (OEA), accuse les autorités nicaraguayennes de « crimes contre l'humanité ».

Le , Rafael Solis, juge à la Cour suprême et proche d'Ortega, démissionne de ses fonctions et du parti au pouvoir, dénonçant un « gouvernement qui (…) s’appuie uniquement sur l’usage de la force pour se maintenir au pouvoir » et une « monarchie absolue de deux rois qui ont fait disparaître tous les pouvoirs de l’État ».

Le bilan définitif est de 325 morts.

Des négociations sont relancées le pour gérer la crise politique et économique provoquée par les manifestations et leur répression. Les négociations se passent entre deux camps : le gouvernement nicaraguayen d'un côté, et la coalition de l'opposition Alliance civique pour la justice et la démocratie (ACJD) et l'Organisation des États américains de l'autre qui réclament le départ de Daniel Ortega et de sa vice-présidente et épouse Rosario Murillo.

L'opposition a accepté de rouvrir les négociations le , alors qu'il n'y avait plus de négociation depuis 2018, à la suite de la libération conditionnelle de 150 prisonniers politiques. Elle finit cependant par juger cette libération « insuffisante » et recommence un blocage politique de plusieurs jours en pour exiger la libération de tous les prisonniers arrêtés au cours des manifestations. Le , un accord est conclu entre l'ACJD et le gouvernement pour libérer plus de 800 prisonniers politiques sous 90 jours. Le , le gouvernement s'engage à rétablir le droit de manifester et la liberté de la presse. Le , les négociations sont suspendues sans accord.

Le , après la mort troublante d'un opposant en prison, 100 prisonniers politiques sont libérés et placés en résidence surveillée. 80 autres sont libérés le .16

 

 

L’ex-guérillero devenu dictateur

Sans surprise, le 7 novembre 2021, Daniel Ortega a été réélu avec 75 % des voix ; les électeurs devaient également renouveler les députés.

Le président sortant avait pris soin de verrouiller ces élections en emprisonnant ses principaux opposants et en interdisant les trois partis susceptibles de le concurrencer, ne laissant en lice que des petits partis satellites du régime. Cette élection c’était « Ortega contre Ortega », comme le résumait la rue.

De 2007 à 2017, Ortega a gouverné en partenariat avec les principaux groupes capitalistes qui dominent la vie économique du pays, de grandes familles qui ont fait leur fortune dans la finance, les télécommunications ou l’agro-alimentaire, le café notamment. Dans cette période, Ortega a multiplié les réformes réduisant la part revenant à la population, jusqu’à la réforme de trop qui a jeté dans la rue les ouvriers, les paysans, la jeunesse et les quartiers populaires.

L’explosion sociale d’avril 2018 s’est prolongée durant trois mois. Cramponné à son pouvoir, Ortega a envoyé ses policiers et ses nervis réprimer dans le sang ce mouvement, ce qui a coûté la vie à près de 400 personnes, et en a blessé 2 000. Il a jeté en prison de nombreux opposants, qui y croupissent depuis. Le Nicaragua est devenu un État policier, qui met la pression sur la population pour la décourager de reprendre le chemin de la lutte.

En prévision des élections, Ortega a assuré son quatrième mandat. Fin 2020, l’arsenal législatif a été renforcé pour menacer de prison à perpétuité ceux qui commettraient des « crimes de haine », une formule assez vague pour permettre tous les arbitraires. À partir de mai-juin 2021, une trentaine d’opposants, d’anciens alliés des partis bourgeois ou d’anciens combattants du Front sandiniste, ont été emprisonnés et leurs proches assignés à résidence. Entre mai et août 2021, le Conseil suprême électoral censé veiller à la bonne marche des élections, en réalité un instrument au service du couple Ortega-Murillo, a annulé le statut légal des trois principaux partis d’opposition, ainsi interdits d’élection.

La politique d’Ortega lui a aliéné des soutiens et a déclenché des sanctions qui le privent de certaines lignes de crédit venant des États-Unis ou de l’Union européenne. Il parvient cependant à slalomer entre les aides et subventions internationales et espère ainsi se maintenir le plus longtemps possible, affichant par ailleurs un anti-­impérialisme aussi virtuel que les sanctions prises contre lui par les États-Unis. En effet ni les uns ni les autres ne veulent nuire aux groupes capitalistes du Nicaragua.17

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Nicaragua
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Sandino
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Nicaragua
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Anastasio_Somoza_Garc%C3%ADa
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Nicaragua
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Anastasio_Somoza_Garc%C3%ADa
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Nicaragua
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Iran-Contra
(9) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1986-1993-trilingue/article/nicaragua-une-defaite-electorale
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Nicaragua
(11) Hernando Calvo Ospina http://www.legrandsoir.info/Au-Nicaragua-les-quatre-vies-du-sandinisme.html
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Ortega
(13) CorrespondantEs commission nationale écologie http://www.npa2009.org/actualite/nicaragua-le-canal-de-tous-les-dangers
(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_g%C3%A9n%C3%A9rales_nicaraguayennes_de_2016
(15) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/06/27/nicaragua-la-rue-ebranle-le-regime_108942.html
(16) https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_de_2018-2019_au_Nicaragua
(17) Jacques Fontenoy https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/11/09/nicaragua-lex-guerillero-devenu-dictateur_186850.html