Les peuples autochtones
Lorsque les Européens arrivent au Canada, ils constatent que toutes les régions sont habitées par des peuples autochtones, qu’ils appellent « Indiens », car les premiers explorateurs croyaient avoir atteint les Indes orientales. Ces peuples vivent de la terre, certains de la chasse et de la cueillette, d’autres, de l’agriculture. Les Hurons-Wendats de la région des Grands Lacs sont, comme les Iroquois, des agriculteurs et des chasseurs. Les Cris et les Dénés du Nord-Ouest sont des chasseurs-cueilleurs. Les Sioux sont des nomades qui suivent les troupeaux de bisons. Les Inuits se nourrissent des animaux sauvages de l’Arctique. Les Autochtones de la côte Ouest font sécher et fumer le poisson pour le conserver. Les groupes autochtones se font souvent la guerre pour agrandir leur territoire, maîtriser les ressources et accroître leur prestige.
L’arrivée des négociants en fourrures, des missionnaires, des soldats et des colons européens modifie à jamais le mode de vie autochtone. Un grand nombre d’Autochtones meurent de maladies transmises par les Européens, contre lesquelles ils ne sont pas immunisés.
Les premiers européens
Les Vikings d’Islande, qui ont colonisé le Groenland il y a 1 000 ans, ont aussi atteint le Labrador et l’île de Terre-Neuve. Les vestiges de leur établissement, l’Anse aux Meadows, sont un site du patrimoine mondial.
L’exploration européenne commence véritablement en 1497, avec l’expédition de Jean Cabot, le premier à dessiner une carte de la côte Est du Canada.
Un fleuve est exploré, le Canada trouve son nom
De 1534 à 1542, Jacques Cartier traverse trois fois l’Atlantique, revendiquant des terres pour le roi de France, François Ier. Cartier entend deux guides qu’il a capturé prononcer le mot iroquois kanata, qui signifie « village ». Dès les années 1550, on voit apparaître le nom Canada sur les cartes.
La Nouvelle-France royale
En 1604, les explorateurs français Pierre de Monts et Samuel de Champlain fondent le premier établissement européen au nord de la Floride – premièrement à l’île Sainte-Croix (aujourd’hui dans le Maine), puis à Port-Royal, en Acadie (aujourd’hui en Nouvelle-Écosse). En 1608, Champlain bâtit une forteresse sur l’emplacement actuel de la ville de Québec. Les colons doivent résister au climat rigoureux. Grâce à Champlain, les colons se sont alliés aux Algonquins, aux Montagnais et aux Hurons, ennemis historiques des Iroquois ; ces derniers ont formé une confédération de cinq, puis de six Premières Nations, qui s’est battue contre les Français pendant un siècle. Les Français et les Iroquois ont conclu la paix en 1701.
Les Français et les Autochtones collaborent à l’important commerce de la traite des fourrures, stimulé par la forte demande pour les peaux de castor en Europe. Des dirigeants comme Jean Talon, Monseigneur de Laval et le comte de Frontenac, bâtissent en Amérique du Nord un empire français qui s’étend de la baie d’Hudson au golfe du Mexique.
La lutte pour un continent
En 1670, le roi Charles II d’Angleterre accorde à la Compagnie de la Baie d’Hudson l’exclusivité du commerce dans le bassin hydrographique se déversant dans la baie d’Hudson. Durant les 100 années qui suivent, la Compagnie fait concurrence aux négociants établis à Montréal.
Les colonies anglaises établies dès le début du dix-septième siècle le long de la côte atlantique finissent par devenir plus riches et plus peuplées que la Nouvelle-France. Au dix-huitième siècle, la France et la Grande-Bretagne se font la guerre pour devenir maîtres de l’Amérique du Nord. En 1759, les Britanniques gagnent la bataille des plaines d’Abraham à Québec, marquant ainsi la fin de l’Empire français en Amérique. Les commandants des deux armées, le brigadier James Wolfe et le marquis de Montcalm, sont tués tandis qu’ils mènent leurs troupes au combat.
La province de Québec
Après la guerre, la Grande-Bretagne donne à la colonie le nom de « Province de Québec ». Les francophones catholiques, appelés habitants ou Canadiens, cherchent à préserver leur mode de vie au sein de l’Empire britannique anglophone dirigé par des protestants.
Une tradition d’accommodement
Afin de mieux administrer la majorité catholique romaine francophone, le Parlement britannique adopte l’Acte de Québec en 1774. L’un des fondements constitutionnels du Canada, l’Acte de Québec adapte les principes des institutions britanniques à la réalité de la province. Il accorde la liberté religieuse aux catholiques et leur permet d’exercer des fonctions officielles, une pratique non autorisée en Grande-Bretagne à l’époque. L’Acte de Québec prévoit que les règles juridiques françaises seront de nouveau appliquées pour les affaires civiles, et que les règles juridiques anglaises continueront d’être appliquées pour les affaires criminelles.
Les loyalistes de l’empire-uni
En 1776, les treize colonies britanniques au sud du Québec proclament leur indépendance et forment les États-Unis. L’Amérique du Nord est de nouveau divisée par la guerre. Plus de 40 000 personnes fidèles à la Couronne, les « loyalistes », fuient l’oppression de la Révolution américaine afin de s’établir en Nouvelle-Écosse et au Québec. Joseph Brant conduit des milliers d’Indiens mohawks loyalistes au Canada. Les loyalistes sont notamment d’origine hollandaise, allemande, britannique, scandinave, autochtone et d’autres origines, et de confession presbytérienne, anglicane, baptiste, méthodiste, juive, quaker et catholique. Quelque 3 000 loyalistes noirs, esclaves ou affranchis, viennent vers le nord à la recherche d’une vie meilleure. Par la suite, certains Néo-Écossais noirs, ayant reçu des terres stériles, se sont rendus en Afrique de l’Ouest en 1792 afin d’y établir Freetown, en Sierra Leone, nouvelle colonie britannique pour les esclaves affranchis.
Naissance de la démocratie
Les institutions démocratiques se développent progressivement et pacifiquement. La première assemblée de représentants est élue à Halifax, en Nouvelle-Écosse, en 1758. Vont suivre l’Île-du-Prince-Édouard en 1773 et le Nouveau-Brunswick en 1785. L’Acte constitutionnel de 1791 divise la Province de Québec en deux entités, le Haut-Canada (aujourd’hui l’Ontario), essentiellement loyaliste, protestant et anglophone, et le Bas-Canada (aujourd’hui le Québec), surtout catholique et francophone.
L’Acte accorde pour la première fois aux deux Canadas des assemblées législatives élues par la population. Le nom Canada devient alors officiel et sera toujours utilisé par la suite. Les colonies de la côte atlantique et les deux Canadas sont appelés collectivement « Amérique du Nord britannique ».
Abolition de l’esclavage
Le premier mouvement en faveur de l’abolition du commerce transatlantique des esclaves apparaît au sein du Parlement britannique à la fin des années 1700. En 1793, le Haut-Canada, dirigé par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe, un officier militaire loyaliste, est la première province de l’Empire à prendre le virage de l’abolition. En 1807, le Parlement britannique interdit la vente et l’achat d’esclaves et abolit ensuite l’esclavage dans tout l’Empire en 1833. Des milliers d’esclaves fuient les États-Unis. Ils suivent « l’étoile du Nord » et s’établissent au Canada grâce au « chemin de fer clandestin », un réseau chrétien antiesclavagiste.
La guerre de 1812
Après la défaite de la flotte de Napoléon Bonaparte à la bataille de Trafalgar (1805), la Royal Navy domine sur la mer. L’Empire britannique, dont le Canada fait partie, résiste à Bonaparte qui cherche à dominer l’Europe. Cet affrontement amène les Britanniques à s’ingérer dans le commerce maritime des Américains, ce que ces derniers acceptent mal. Convaincus qu’il sera facile de s’emparer du Canada, les États-Unis lancent une invasion en juin 1812. Des volontaires canadiens et des membres des Premières Nations, dont des Shawnees dirigés par le chef Tecumseh, aident les soldats britanniques à défendre le Canada. En juillet, le major-général sir Isaac Brock s’empare de Detroit, mais il est tué lors d’une attaque américaine à Queenston Heights, près de Niagara Falls, attaque qui sera tout de même repoussée avec succès. En 1813, le lieutenant-colonel Charles de Salaberry et 460 soldats, pour la plupart des Canadiens français, refoulent 4 000 envahisseurs américains à Châteauguay, au sud de Montréal. En 1813, les Américains incendient la résidence du gouverneur général et les édifices du Parlement à York (aujourd’hui Toronto). En guise de représailles, en 1814, le major-général Robert Ross quitte la Nouvelle-Écosse à la tête d’une expédition qui se solde par l’incendie de la Maison-Blanche et d’autres édifices publics à Washington D.C. Ross meurt au combat peu après et est enterré à Halifax avec tous les honneurs militaires.
En 1814, la tentative de conquête du Canada par les Américains est un échec complet. Les Britanniques mettent en place un coûteux système de défense au Canada, notamment les citadelles de Halifax et de Québec, la cale sèche à Halifax et Fort Henry à Kingston, qui sont aujourd’hui des lieux historiques populaires. La frontière canado-américaine actuelle a été en partie tracée à la suite de la guerre de 1812, qui a permis de garantir que le Canada resterait indépendant des États-Unis.1
La révolution industrielle
Dès la fin de la première moitié du XIXe siècle, la révolution industrielle fait son apparition au Canada tout comme dans le reste de l'Empire britannique. Les riches familles anglaises du Canada s'établiront notamment dans la ville de Montréal (capitale financière) et fonderont certaines des plus grandes entreprises canadiennes actuelles avec des Canadiens anglais aux postes de contremaîtres et des Canadiens français comme ouvriers. Pendant plus d'un siècle, la grande majorité des Canadiens français vivra repliée sur elle-même, résignée à son sort dans la pauvreté et sera acculée aux régions rurales où l'Église catholique jouera un rôle politique ultramontain prépondérant dans le maintien de la cohésion et dans le soutien à la société canadienne-française. Ainsi, face à la croissance de l'immigration britannique au Canada, l'Église catholique tente notamment de contrer l'effet de minorisation des francophones en encourageant la natalité, ce qui est connu aujourd'hui comme étant la revanche des berceaux. Ce phénomène perdurera jusqu'à la fin des années 1950 lors de la « révolution tranquille » et de la laïcisation de l'État. Au cours de cette période, l'on assistera au détachement de l'Église par les baby-boomers. Ces derniers se soulèveront contre ce qui sera perçu comme étant les abus de l'Église survenus lors de la Grande Noirceur au Québec, de 1944 à 1959.2
Les rébellions de 1837 et 1838
Durant les années 1830, les réformateurs du Haut-Canada et du Bas-Canada estiment que les progrès vers la démocratie véritable sont trop lents. Certains sont d’avis que le Canada devrait adopter les valeurs républicaines des Américains ou même essayer de se joindre aux États-Unis. Lorsque des rébellions armées se produisent en 1837 et 1838 aux environs de Montréal et à Toronto, les rebelles n’obtiennent pas l’appui de la population qu’il leur faudrait pour réussir. Ils sont défaits par les troupes britanniques et des volontaires canadiens. Plusieurs rebelles sont pendus ou envoyés en exil ; certains de ces derniers reviendront plus tard au pays.
Lord Durham, un réformateur anglais dépêché pour faire rapport sur les rébellions, recommande de fusionner le Haut-Canada et le Bas-Canada et de les doter d’un gouvernement responsable. Cela signifie que les ministres de la Couronne doivent obtenir le soutien de la majorité des représentants élus pour gouverner. Suscitant la controverse, lord Durham ajoute que le moyen le plus rapide pour les Canadiens français de réaliser des progrès est de s’assimiler à la culture protestante anglophone. Cette recommandation illustre une incompréhension totale à l’égard des Canadiens français, qui cherchent à protéger l’identité distincte du Canada français.
Certains réformateurs, dont sir Étienne-Paschal Taché et sir George-Étienne Cartier, deviendront plus tard des Pères de la Confédération, de même qu’un ancien membre des troupes gouvernementales volontaires du Haut-Canada, sir John A. Macdonald.
Le gouvernement responsable
En 1840, le Haut-Canada et le Bas-Canada sont réunis pour former la Province du Canada. Des réformateurs comme sir Louis-Hippolyte La Fontaine et Robert Baldwin, de même que Joseph Howe en Nouvelle-Écosse, collaborent avec les gouverneurs britanniques à l’établissement d’un gouvernement responsable.
La première colonie de l’Amérique du Nord britannique à se doter d’un gouvernement pleinement responsable est la Nouvelle-Écosse, en 1847-1848. En 1848-1849, le gouverneur du Canada-Uni, lord Elgin, avec les encouragements de Londres, établit un gouvernement responsable.
Ce système est celui qui prévaut aujourd’hui : si le gouvernement perd un vote de confiance à l’assemblée législative, il doit démissionner. La Fontaine, défenseur de la démocratie et des droits des francophones, devient le premier chef d’un gouvernement responsable des deux Canadas.3
Avec l'avènement du gouvernement responsable, on assiste à la fondation de nombreux partis politiques et, par le fait même, à la création d'un schéma rudimentaire décrivant les rouages de la scène politique canadienne actuelle. Ainsi, le Parti rouge est fondé au Canada-Est en 1848 par Antoine-Aimé Dorion en reprenant l'idéologie du Parti patriote de Louis-Joseph Papineau (à l'origine du Parti libéral du Québec). Étienne-Paschal Taché viendra quant à lui équilibrer la politique avec la création du Parti bleu selon les idées plus modérées de Louis-Hippolyte La Fontaine, lequel parti deviendra plus tard le Parti conservateur du Québec et l'Union nationale, pour finalement s'éteindre lors de la montée du mouvement souverainiste québécois dans les années 1960. Au Canada-Ouest, le parti libéral-conservateur sera fondé en 1854 par John Alexander Macdonald après la coalition du Parti réformiste (formé au cours des années 1830 en défenseur de la rébellion haut-canadienne, pour devenir aujourd'hui le Parti libéral de l'Ontario) de Robert Baldwin et William Lyon Mackenzie, et du Parti Tory (aujourd'hui le Parti progressiste-conservateur de l'Ontario). Après une gamme de fusions de partis politiques au fil des ans, ce nouveau parti mènera au Parti conservateur du Canada en 2003 au sein duquel se retrouveront les Red Tory et les Blue Tory - respectivement les partisans du progressisme et du conservatisme socio-économique. George Brown fondera quant à lui les Clear Grits (ancêtre du Parti libéral du Canada et considéré comme étant plus progressiste), à même les membres plus radicaux de la faction réformiste du Parti réformiste, en prônant la Rep by Pop (principe de la démocratie représentative où les députés sont élus au prorata de la population), et donc la minorisation des Canadiens français à l'assemblée législative du Canada-Uni. Ce parti sera perçu comme privilégiant des politiques anti-francophones étant donné le principe défendu de la représentation selon la population et la majorité anglaise qui existe dans l'ensemble du Canada-Uni.
Alors que le Canada-Uni est au bord d'une guerre civile au début des années 1860 et que la guerre de Sécession des États-Unis fait rage, ayant été renversé par les partis d'opposition à la suite de son alliance avec le Parti rouge pour cause de sécularisme anticlérical, les Clear Grits de George Brown s'associent en 1864 avec les partis de John Alexander Macdonald (Parti libéral conservateur) et de George-Étienne Cartier (Parti bleu), lesquels forment la coalition Macdonald-Cartier. Les Clear Grits irlandais feront cependant volte-face et appuieront le Parti réformiste de William Lyon Mackenzie. Ainsi, le gouvernement de coalition sera formé et mènera à la création de la Confédération en 1867 et ce, notamment, dans le but de se prémunir des contrecoups de la guerre civile américaine au Canada.
Après que les États-Unis et le Royaume-Uni se furent entendus en 1846 pour retenir le 49e parallèle nord comme frontière séparant les États-Unis de l'Ouest de l'Amérique du Nord britannique, le gouvernement de Grande-Bretagne signa avec les États-Unis un accord de libre-échange pour le Canada-Uni en 1854. Le Traité de réciprocité canado-américain permit un regain dans l'économie en chute libre de la Province of Canada. Cet accord prendra cependant fin en 1866, et l'économie du Canada-Uni retombera à la dérive.
Les migrations de population
La population canadienne crût rapidement grâce à un taux de natalité élevé ; l'immigration massive de l'Europe vint ainsi contrer l'effet de l'émigration vers les États-Unis. En effet, dès les années 1840 et jusqu'à la Grande Dépression de 1929, de nombreux Canadiens français émigreront dans les États de la Nouvelle-Angleterre (nord-est américain) afin de fuir l'oppression anglaise et les difficultés économiques. Cet exode massif sera connu sous le nom de « Grande Hémorragie ». Au début du XXe siècle, quelques-uns de ces Franco-Américains reviendront au Canada et s'installeront dans les provinces de l'ouest canadien. Pendant cette même période, de nombreux francophones iront s'établir dans le Canada-Ouest et peupleront les régions actuelles du nord et de l'est de l'Ontario, établissant ainsi ce qui demeure la zone francophone actuelle. On notera que la colonisation française était déjà présente au temps de la Nouvelle-France dans les régions du sud de l'Ontario actuel.
Un exode parallèle de population des provinces maritimes conduisit à une perte de population de 500 000 personnes qui quittèrent la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île du Prince Édouard. Ils partirent vers les États-Unis et l'ouest du Canada entre 1867 et 1930, ce qui contribua à l'appauvrissement des provinces canadiennes du bord Atlantique.
On observe un changement important à la fin de la période de la pré-confédération : le gouvernement étant désormais du ressort de la population, l’Assemblée législative du Canada-Est, majoritairement francophone, abolit la Coutume de Paris et introduit le Code civil du Bas-Canada en 1866, par référence au Code Napoléon promulgué en France. Les affaires civiles sont donc désormais régies par un Code Civil. Ce nouveau code de loi connaîtra une première réforme en 1980 pour ensuite être complètement transformé en 1991, devenant ainsi le Code civil du Québec.
Au cours de cette période, la Province du Canada connaît également une période d’immigration massive provenant du sud des États-Unis à la suite de la Guerre de Sécession. Les immigrants américains s’établissent principalement dans le sud du territoire québécois, peuplant ainsi davantage la région des Cantons-de-l’Est qui avait été créée par les Loyalistes de l'Empire-Uni qui s'y étaient réfugiés après la guerre d'indépendance des États-Unis. Finalement, entre la période qui marque la fin du régime du Canada-Uni et le début de la Confédération, on assiste à une recrudescence du développement de la région des Laurentides lorsque l'évêque Ignace Bourget concède la paroisse de Saint-Jérôme à François-Xavier-Antoine Labelle, bien connu comme le curé Labelle.4
La confédération
De 1864 à 1867, les représentants de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de la Province du Canada, avec l’appui des Britanniques, travaillent ensemble pour créer un nouveau pays. On appelle ces hommes les Pères de la Confédération. Ils instaurent deux ordres de gouvernement, soit le fédéral et le provincial. L’ancienne Province du Canada est séparée en deux nouvelles provinces : l’Ontario et le Québec, qui, ensemble, avec le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, forment le nouveau pays appelé le Dominion (ou Puissance) du Canada. Chaque province élit sa propre assemblée législative et exerce son autorité sur des domaines tels que l’éducation et la santé.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique est adopté par le Parlement britannique en 1867. Le Dominion du Canada est officiellement créé le 1er juillet 1867. Jusqu’en 1982, le 1er juillet est célébré sous le nom de « Fête du Dominion » afin de commémorer le jour où le Canada est devenu un dominion doté d’un gouvernement autonome.
Élargissement du Dominion
1867 — Ontario, Québec, Nouvelle‑Écosse, Nouveau‑Brunswick
1870 — Manitoba, Territoires du Nord‑Ouest (T.N.‑O.)
1871 — Colombie‑Britannique
1873 — Île‑du‑Prince‑Édouard
1880 — Transfert des îles de l’Arctique (aux T.N.‑O.)
1898 — Territoire du Yukon
1905 — Alberta, Saskatchewan
1949 — Terre-Neuve et Labrador
1999 — Nunavut
Contestation dans l’Ouest
Quand, en 1869, le Canada prend possession des vastes régions du Nord-Ouest transférées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, les 12 000 Métis de la rivière Rouge ne sont pas consultés. En réaction, Louis Riel mène une révolte armée et s’empare de Fort Garry, la capitale territoriale.
En 1870, Ottawa envoie des soldats pour reprendre Fort Garry. Riel s’enfuit aux États-Unis et le Canada crée une nouvelle province, le Manitoba. Riel est élu au Parlement, mais il n’occupera jamais son siège. Plus tard, les droits des Métis et des Indiens sont de nouveau menacés par l’accroissement de la colonisation vers l’Ouest et, en 1885, une deuxième révolte dans l’actuelle Saskatchewan mène au procès de Riel et à son exécution pour haute trahison, jugement auquel s’oppose fermement le Québec.
En 1873, après la première révolte des Métis, le premier ministre Macdonald crée la Police à cheval du Nord-Ouest (PCNO) afin de pacifier l’Ouest et de faciliter les négociations avec les Indiens. La PCNO fonde Fort Calgary, Fort MacLeod et d’autres centres qui sont aujourd’hui devenus des villes et des municipalités. Regina devient son quartier général. Aujourd’hui, la Gendarmerie royale du Canada (GRC ou « police montée ») est la force nationale de police et l’un des symboles les plus connus du Canada.5
Chemin de fer transcontinental
La colonie de la Colombie-Britannique — laquelle inclut celle de l'Île de Vancouver depuis 1866 — ainsi que la colonie de l'Île-du-Prince-Édouard rejoignent la Confédération respectivement en 1871 et en 1873. De plus, dans un but d'unification et afin d'étendre l'Union en soutenant l'autorité canadienne sur les provinces de l'Ouest, le gouvernement fait construire trois chemins de fer transcontinentaux — plus particulièrement le Chemin de fer Canadien Pacifique — en employant des immigrants chinois. Cependant, la construction du chemin de fer mène au Scandale du Pacifique en 1873 au cours duquel le premier ministre John Alexander MacDonald est aux prises avec des accusations de corruption.
Le gouvernement encourage les immigrants européens à développer les Prairies canadiennes. Avec l'afflux massif d'immigrants en provenance d'Europe qui se rendent dans les Plaines à bord du train transcontinental, des villes nouvelles poussent comme des champignons au cours de la décennie 1880, notamment Regina, Saskatoon, Calgary, Vancouver et Whitehorse ; les villes d'Edmonton et de Victoria avaient été fondées respectivement en 1795 et 1843 par la Compagnie de la Baie d'Hudson, tandis que les villes de Sault-Sainte-Marie et de Thunder Bay avaient été fondées au XVIIe siècle respectivement par les pères jésuites et les coureurs des bois français. En 1883, la ville de Sudbury, la plus francisée de l'Ontario, sera fondée à la suite de la découverte de mines de cuivre et de nickel dans la région, alors que sept ans auparavant, la ville de Thetford Mines avait été fondée lors de la découverte de mines d'amiante dans la région. À la fin du XIXe siècle, des régions des Territoires du Nord-Ouest, dont certaines englobent ces villes, se feront accorder un nouveau statut, formant ainsi le Territoire du Yukon lors de la ruée vers l'or dans la région du Klondike en 1897. Les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan sont créées en 1905.
Selon un « Document de Travail » préparé en 1994 pour le Ministère de la Justice par Glenn Gilmour, le Canada a une longue histoire de violence envers les minorités raciales ou ethniques. Pourtant, M. Gilmour constate aussi que « le problème de la violence motivée par la haine n'est pas un problème majeur au Canada ». Une première émeute dirigée contre les immigrants chinois a éclaté en 1887 à Granville (Vancouver), alimentée par les institutions politiques, la presse locale et des dirigeants reconnus. Une deuxième émeute de même nature se produit en 1907 et est surtout dirigée vers les immigrants originaires du Japon. Des agressions similaires se produiront notamment lors de la Deuxième Guerre mondiale, quand des membres de la communauté allemande et japonaise seront arbitrairement internés. C'est seulement en juin 2006 que le gouvernement canadien présentera des excuses officielles et des dédommagements à la communauté sino-canadienne pour la « taxe d'entrée imposée aux immigrants chinois » en vertu de la loi de l'immigration chinoise de 1923.
De 1914 à 1982
Les divisions territoriales de la Confédération changeront au cours des années, notamment avec l’intégration de la province de Terre-Neuve-et-Labrador en 1949 et de la création du territoire du Nunavut en 1999. De plus, face à la convoitise des États-Unis sur les îles de l'archipel arctique, l'explorateur Joseph-Elzéar Bernier ainsi qu'un groupe de marins canadiens-français de l'Islet-sur-mer permet au Canada, dès le début du XXe siècle, de soutenir sa souveraineté sur une série d'îles situées au-delà de l'île de Baffin. La prise de possession de la majeure partie de la région arctique par ce groupe d'explorateurs permettra en plus de développer les relations diplomatiques canadiennes avec le peuple inuit.
Dans un autre ordre d'idées, il est à noter que les provinces du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador sont encore aujourd’hui en désaccord sur la portion de la frontière des deux provinces au sud du Labrador. Bien qu’un jugement du Comité judiciaire du Conseil privé de Londres trancha en faveur de Terre-Neuve-et-Labrador en 1927, le Québec considère toujours cette frontière comme n’étant pas définitive.
De plus, donnant suite au commerce de la fourrure dans la région, le développement de l'Abitibi-Témiscamingue se fera sentir à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec la colonisation par les draveurs et son développement agroforestier, ainsi que dans la période de l'entre-deux-guerres avec un développement minier de métaux précieux tels que l'argent et l'or, et de minéraux industriels tels que le cuivre et le zinc. Ainsi, on verra la fondation des grandes villes de la région telles que Amos, Rouyn-Noranda et Val-d'Or. Dans la même lignée, la ville de Yellowknife, capitale actuelle des Territoires du Nord-Ouest, sera fondée au courant des années 1930 lors de la découverte de mines de diamant et d'or dans la région, alors que les villes de Fermont et de Schefferville au Québec - sur la frontière centre-ouest du Labrador - seront fondées lors de la découverte de mines de fer dans la seconde moitié du XXe siècle. La fondation de ces villes fera suite à la fondation de la ville de Chibougamau, au centre du Québec, dont le peuplement est aussi fondé sur l'exploitation forestière et minière.
Dans les années 1960-1970, on assistera en outre à un intérêt pour le développement des régions de la baie James et de la rivière Manicouagan au Québec par la construction de barrages, étant donné le fort potentiel hydroélectrique. Sur le même chemin que celui de la ruée vers l'or dans la région du Klondike, les régions les plus au nord des Prairies, notamment celles de l'Alberta et de la Saskatchewan, verront pour leur part une croissance de leur population dès les années 1930 avec la découverte et l'exploitation des gisements de pétrole dans les sables bitumineux de l'Athabasca. Le nord de la Colombie-Britannique sera quant à lui développé grâce à son fort potentiel forestier, alors que le sud de la province le sera grâce à son climat propice à la culture fruitière et maraîchère, notamment dans la vallée de l'Okanagan près de la ville de Kelowna, laquelle fut fondée en 1859 par les missionnaires catholiques Oblats de Marie-Immaculée venant de France. La ville de Frobisher Bay qui deviendra Iqaluit en 1987 et la capitale du Nunavut, sera quant à elle peuplée lors de la Deuxième Guerre mondiale où elle servira de base militaire américaine, puis connaîtra une croissance de sa population dans les années 1950 lors de la construction de la Ligne DEW - système de radars servant à la détection des intrusions soviétiques pendant la guerre froide afin de pourvoir à la protection de la souveraineté aérienne dans le cadre du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (N.O.R.A.D.). La communauté d'Alert (Nunavut) sur la pointe nord de l'île d'Ellesmere près de l'océan Arctique, aura la même mission à partir de 1958, alors que la pêche sera le principal mode de subsistance des villages côtiers nordiques, notamment ceux des régions du Labrador, du Nord-du-Québec, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest tels que Inuvik avec la pêche aux crabes dans la mer de Beaufort.
Le Canada autonome
Faisant partie de l'Empire britannique, le Canada est intégré à la Seconde Guerre des Boers en Afrique du Sud par le premier Premier ministre canadien-français Wilfrid Laurier, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dirigés par le politicien Henri Bourassa, des groupes de Canadiens français opposés à la tutelle anglo-canadienne se vouent à la défense de leurs droits en tant que peuple. Ils s'opposeront notamment à l'entrée en guerre du Canada et à la création de forces navales canadiennes sous drapeau britannique. Le Canada se lance de plus dans la Première Guerre mondiale en 1914 et envoie sur le front ouest (en Belgique, sur la Somme et en Picardie), des divisions composées principalement de volontaires afin de se battre en tant que contingent national. Les pertes humaines sont si grandes que le premier ministre canadien de l'époque, Robert Laird Borden, décrète la conscription en 1917. Cette décision est extrêmement impopulaire au sein de la population québécoise, menant ainsi à une perte de popularité au Québec pour le Parti conservateur et également à la fameuse grève de Québec, souvent passée sous silence car faisant écho à la révolte du Chemin des dames en France. Lors de la grande manifestation de Québec, l'armée britannique tire sur la foule et tue de nombreuses personnes. Bien que les membres du Parti libéral soient profondément divisés sur l'enrôlement obligatoire, ils s'unifient et deviennent le parti dominant sur la scène politique canadienne.
En 1919, le Canada rejoint la Société des Nations de son propre chef et, en 1931, le Statut de Westminster confirme que dorénavant aucune loi du Parlement britannique ne s'étend à l'intérieur des frontières du Canada sans son consentement. Au même moment, la Grande Dépression de 1929 affecte les Canadiens de toutes les classes sociales ; la popularité croissante du Parti social démocratique (PSD) en Alberta et en Saskatchewan débouche sur un état-providence tel qu'initié par Tommy Douglas ou plus tard Jean Lesage dans les années 1960 au Québec. Il devient ainsi l'ancêtre du Nouveau Parti démocratique actuel et prône des politiques plus socialistes et populistes. Après avoir soutenu l'apaisement avec l'Allemagne à la fin des années 1930, le premier ministre libéral William Lyon Mackenzie King obtient l'approbation du Parlement pour l'entrée dans la Seconde Guerre mondiale en 1939, mobilisant ainsi les militaires avant l'invasion de l'Allemagne en Pologne. Au début de la guerre, on avait promis au Québec que la participation à cette guerre serait volontaire. Lors de la déclaration de la conscription, Camillien Houde, alors maire de Montréal, est mis en prison à la suite de son opposition officielle. Autre sujet de discorde, selon la Constitution canadienne, seules les provinces ont le droit de taxation et d'imposition. Or pour faire face à l'effort de guerre, le gouvernement fédéral capte tous les pouvoirs fiscaux en promettant de les rendre à la fin de la guerre. Cette promesse n'est jamais respectée, mis à part au Québec qui retrouve la moitié de son droit d'imposition. Aucune autre province canadienne n'a jusqu'à présent retrouvé ce droit.
L'économie canadienne connaît une forte effervescence pendant la guerre en grande partie grâce à l'énorme production de matériel militaire pour le compte du Canada, de la Grande-Bretagne, de la Chine et de l'Union soviétique. Le Canada termine la guerre avec l'une des plus grandes armées du monde. L'économie canadienne connaît des heures de gloire et ne cesse de progresser. Au même moment, le Canada modernise son système social qui devient une référence mondiale dans plusieurs domaines, dont la santé.
En 1949, le Dominion de Terre-neuve, anciennement indépendant, rejoint la Confédération en tant que dixième province du Canada. Avec l'abolition de l'Empire britannique, tous les liens impériaux sont rompus et le Canada obtient de fait son indépendance, bien que sa constitution reste à Londres.
Jusqu'au centenaire du Canada en 1967, une immigration massive d'après-guerre provenant des divers États ravagés en Europe change la courbe de la démographie du pays. En outre, tout au long de la guerre du Viêt Nam, des milliers de dissidents américains s'installent aux quatre coins du pays. L'accroissement de l'immigration — combiné au baby boom, une force économique équivalente à celle des États-Unis dans les années 1960 et la réaction à la révolution tranquille au Québec — favorise l'émergence d'un nouveau type de nationalisme canadien. Les années 1960 sont aussi l'occasion pour les Québécois de se politiser du fait de leur non-représentation dans les postes stratégiques et économiques. C'est pendant cette période que le mouvement indépendantiste qui conduit à la fondation du Parti québécois et à sa prise de pouvoir en 1976, prend son essor. À la fin des années 1960, la Commission Laurendeau-Dunton obtient le mandat de faire enquête et rapport sur l'état du bilinguisme et du biculturalisme au Canada. La Loi sur les langues officielles y donne suite lorsqu'elle est adoptée en 1969 par le Parlement. Celle-ci proclame l'anglais et le français comme étant les langues officielles du Canada. Celles-ci sont à égalité devant la loi et toute personne a le droit de recevoir les services de l'administration publique fédérale ainsi que de ses sociétés d'État dans l'une ou l'autre langue. Le Commissariat aux langues officielles sera l'organe responsable de l'application de la loi et de la promotion des deux langues.
Au cours de la décennie 1970 et sous le commandement du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, on assiste à une importante série d'actes illégaux et de scandales entourant la Gendarmerie royale du Canada ayant pour but de contrer le mouvement souverainiste. Mais c'est en 1977 que la Commission MacDonald est mise sur pied avec le mandat d'enquêter sur les activités de la Gendarmerie royale du Canada. Cette dernière donne suite à la Commission Mackenzie de 1969, laquelle avait pour but d'instaurer un contrôle du service de sécurité de la GRC. Suivant les recommandations du rapport de la Commission MacDonald, le Service canadien du renseignement de sécurité sera constitué en 1984 de par une loi du Parlement. Ainsi, le contrôle des services secrets en sera d'autant plus accru et cette nouvelle organisation sera complètement indépendante de la GRC.
Le référendum sur la souveraineté-association du Québec a lieu au printemps de l'année 1980. Le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, promet de modifier la Constitution du Canada lors de la campagne référendaire à la condition que les Québécois votent en majorité contre la sécession du Québec.
Époque contemporaine (depuis 1982)
À l'occasion d'une rencontre spéciale en novembre 1981, les premiers ministres provinciaux et fédéral demandent le rapatriement de la Constitution, pour autant que les procédures d'amendement y soient désormais incluses. Après une série de négociations interprovinciales, les premiers ministres provinciaux et fédéral se rencontrent dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981 afin de parachever les dispositions pour modifier la Constitution. La province du Québec est cependant exclue des négociations. Cette période sera métaphoriquement connue par la suite comme étant la nuit des longs couteaux du Canada. Malgré la non-ratification des modifications par la province de Québec, cette dernière sera reconnue par les Nations Unies comme faisant partie de la fédération. Le Statut de Westminster de 1931 avait soumis le droit de modification constitutionnelle à l'approbation de la Couronne et du Parlement du Royaume-Uni afin d'éviter le retrait unilatéral du Québec de la Confédération. Cependant, certaines personnes soutiennent que l'imposition de la nouvelle Constitution au Québec est illégitime étant donné le principe de la souveraineté des États membres d'une confédération et donc, celui de l'unanimité requise pour la modification du traité de l'union. Le Canada rapatrie tout de même sa Constitution de la Grande-Bretagne le 17 avril 1982 grâce à la loi de 1982 sur le Canada, sous proclamation de la reine Élisabeth II. Cette loi du Parlement britannique crée un État entièrement souverain, bien que les deux pays partagent toujours aujourd'hui le même monarque.Le régime politique demeurera une monarchie constitutionnelle à régime parlementaire selon les dispositions de la loi constitutionnelle de 1867. Dès l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle de 1982, le fédéralisme canadien sera ainsi modifié.
Le mouvement souverainiste québécois
Par suite des profonds changements sociaux et économiques ainsi que de la prise de conscience populaire survenus au Québec pendant la révolution tranquille des années 1960, plusieurs Québécois commencent à revendiquer une plus grande autonomie provinciale sur le plan politique, et même l'indépendance totale du Québec. Ayant été contrainte à une société agraire depuis la Conquête de 1760, la société québécoise commence à s'urbaniser au cours de cette période. La révolution tranquille est le précurseur de l'État moderne que forme le Québec et amène les Québécois à se redéfinir non plus en tant que « Canadiens français » (expression aujourd'hui devenue obsolète et même péjorative pour certains au Québec), mais dorénavant en tant que « Québécois », ce qui mène par conséquent à la formation d'un patriotisme québécois plutôt que canadien. La société moderne se développera notamment grâce à l'État-providence et au développement d'entreprises typiquement québécoises et ce, tout en reprenant les postes stratégiques de l'administration publique tant fédérale que provinciale. Bien que Jean Lesage soit reconnu comme étant le père du nationalisme québécois, plusieurs événements historiques remontant jusqu'au temps de la Nouvelle-France, dont la Rébellion des Patriotes, démontrent que le nationalisme québécois est en fait le fruit du nationalisme canadien-français. Dans cet esprit, René Lévesque fonde le Mouvement Souveraineté-Association en 1967 et supportera la fusion du mouvement l'année suivante avec le Ralliement national pour mener à la formation du Parti québécois. Contrairement à ce parti qui privilégie la démocratie et la voie référendaire pour atteindre l'indépendance, le Rassemblement pour l'indépendance nationale sera quant à lui formé d'une faction indépendantiste plus radicale. Un autre groupe Front de libération du Québec sera à l'origine de la Crise d'Octobre de 1970.
Bien que plusieurs politiciens, dont René Lévesque, aient considéré cette allocution comme étant de l'ingérence politique, le discours de l'ancien président de la République française, Charles de Gaulle, en 1967 à Montréal, a enflammé les foules et a donné un coup de main au mouvement souverainiste en présentant le Québec à la communauté internationale, notamment avec sa célèbre phrase : « Vive le Québec libre ! ».
Dans les années 1960, les politiciens réussissent un tour de force avec l'abolition du Conseil législatif du Québec. Contrairement aux autres provinces canadiennes qui ont aboli le leur dans les premières décennies de la Confédération, le Québec réussit en 1968 à se détacher de cette chambre haute, symbole du contrôle du pouvoir législatif donné aux Canadiens français. Cette chambre donnait suite aux Conseils législatifs du Bas-Canada et de la province unie du Canada. Le lieutenant-gouverneur du Québec demeure toutefois, encore aujourd'hui, le symbole de la monarchie britannique au Québec. Dans le cadre légal de la loi constitutionnelle de 1982, cette institution ne peut cependant être abolie que par une modification de la Constitution par l'accord unanime des législatures provinciales et du Parlement fédéral, bien que la légitimité de cette loi au Québec soit sujet à débat.
Lors du premier gouvernement formé par le Parti québécois en 1976, le premier ministre René Lévesque fait la promotion de la devise nationale : « Je me souviens », laquelle avait été gravée sur la façade de l'Hôtel du Parlement du Québec en 1883 par l'architecte Eugène-Étienne Taché. Au cours des années, cette devise nationale jouera un rôle important pour plusieurs Québécois dans l'élaboration et le développement du patriotisme québécois et ce, en rappelant l'histoire de l'Amérique française. En outre, encore aujourd'hui, certaines personnes ne reconnaissent pas la légitimité du Parlement et du gouvernement fédéral dans les affaires canadiennes-françaises. Sans compter que le Québec n'a jamais signé la loi constitutionnelle de 1982. Cependant, bien que le respect de la culture canadienne-française soit d'intérêt pour plusieurs francophones, le mouvement souverainiste crée une dichotomie dans l'idéologie des francophones du Québec et de ceux des autres provinces, bien que certains groupes, dont les Acadiens, possèdent leurs propres institutions et symboles nationaux tels que la devise « L'Union fait la force ». Bien que la diaspora québécoise soit apparue dès les années 1840 en quête d'une sécurité d'emploi, plusieurs Québécois - anglophones et francophones - quittent le Québec lors de la prise de pouvoir du Parti québécois et de l'entrée en vigueur de la Charte de la langue française. Ceux-ci migrent notamment aux États-Unis ainsi que dans les provinces de l'Ontario et des Prairies. Cet exode suit le déménagement du siège social de plusieurs grandes entreprises canadiennes-anglaises quittant entre autres le centre financier de la rue Saint-Jacques de Montréal pour celui de la rue Bay de Toronto.
L'aliénation entre les deux principaux groupes linguistiques sur la question de la langue et sur les divergences sociales et culturelles est exacerbée par plusieurs événements, dont la Crise de la conscription de 1944 à la Deuxième Guerre mondiale, la crise d'Octobre de 1970 au cours de laquelle la loi martiale est décrétée par le premier ministre fédéral - Pierre Elliott Trudeau - au Québec, ainsi que l'échec des deux conférences constitutionnelles de l'ancien premier ministre du Canada - Brian Mulroney, à savoir l'Accord du lac Meech de 1987 et l'Accord de Charlottetown de 1992. Ces dernières avaient pour but d'amener le Québec à ratifier la Constitution. Nonobstant le caractère sporadique de ces événements, la personnalité possessive et vindicative du Canada anglais à l'égard du Québec, ainsi que le phénomène du dénigrement systématique du Québec, ou Quebec bashing, viendront quant à eux ajouter leur grain de sel à cette frustration continuelle.
Un premier référendum en 1980 conclut que 59,6 % des électeurs rejettent la proposition de souveraineté-association, et un second en 1995 démontre que la souveraineté est rejetée à 50,6 % des voix, bien qu'elle ait été soutenue par 60 % des électeurs francophones. Malgré ces défaites, les résultats du référendum de 1995 sont encore aujourd'hui contestés par plusieurs souverainistes étant donné la faible marge séparant les deux camps, et les allégations que le gouvernement fédéral aurait violé les lois électorales du Québec et même sa propre loi en matière d'immigration et de citoyenneté par l'entremise d'Option Canada. Ces événements ont dégénéré au scandale des commandites de 1996 à 2003, au cours duquel des fonctionnaires fédéraux ont été impliqués dans des détournements de fonds publics afin de promouvoir le Canada au sein de la population québécoise. Par suite du rapport de la vérificatrice générale, la Commission Gomery est mise sur pied en 2004 avec le mandat de faire la lumière sur les agissements du gouvernement fédéral et des proches collaborateurs du cabinet en la matière.
D'autre part, le mouvement souverainiste québécois défend continuellement sa position affirmant que la culture canadienne-française n'est pas considérée à sa juste valeur en politique canadienne étant donné une majorité nettement plus grande de Canadiens anglais, et étant donné les événements historiques. Dans le but de faire front commun et de défendre les intérêts du Québec sur les sujets tombant sous la compétence législative fédérale et ce, en travaillant de concert avec son homologue provincial - le Bloc québécois est fondé en 1991 par l'ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard. Ce nouveau parti souverainiste fait son entrée à la Chambre des Communes en 1993 en tant qu'opposition officielle, et depuis lors, ce dernier a toujours récolté plus de la majorité des sièges alloués au Québec. Principalement, c'est un parti qui se dit social-démocrate et qui prône le droit à l'autodétermination des peuples tel que déclaré par le président américain Woodrow Wilson, après la Première Guerre mondiale, dans le respect de la décolonisation et qui est reconnu dans le droit international de l'Organisation des Nations unies.
De plus, la discorde entre Canadiens anglais et Québécois entraîne la province du Québec à ne déléguer pratiquement aucune de ses compétences législatives à des organismes de collaboration interprovinciale, tendant ainsi à créer une société totalement distincte et se dissociant ainsi de la plupart des accords interprovinciaux et fédéraux qui pourraient compromettre le droit du Québec de faire valoir la culture et le savoir-faire canadiens-français au sein de groupes politiques où les décisions sont prises à la majorité des voix. D'autre part, dans un but de promotion des affaires canadiennes-françaises, le Québec a su tirer profit de sa position géopolitique particulière où il est le seul état majoritairement de langue française en Amérique du Nord, contrairement aux francophones des autres provinces et des États-Unis qui sont souvent noyés et assimilés à la masse d'expression anglaise et pour qui un territoire les circonscrivant est souvent quasiment indéfinissable. De la même façon qu'un pays indépendant, il n'est pas rare de voir des politiciens québécois se porter à la défense des minorités francophones des autres provinces et territoires. Le gouvernement du Québec s'engage même dans des accords extraterritoriaux, voire internationaux, en se donnant pour mission la promotion et l'accroissement des échanges entre personnes de langue française. Ainsi, on peut assister, par exemple, à des ententes conclues avec la Société nationale de l'Acadie, avec les gouvernements des provinces à l'ouest du Québec en matière d'affaires francophones, et même avec les communautés francophones des États-Unis telles que celles des États de la Louisiane et du Maine.
Depuis quelques années, différentes scissions sont apparues au sein du mouvement souverainiste sur la question nationale. Cependant, la souveraineté demeure le but de toutes les divisions. Non seulement de nouveaux partis politiques ont été fondés tels que Québec solidaire, mais des organisations telles que le Conseil de la souveraineté du Québec, les Jeunes Patriotes du Québec et le Réseau de Résistance du Québécois ont été formées afin de regrouper les militants, de promouvoir l'indépendance et d'agir, non pas contre, mais indépendamment de l'aile parlementaire. Ces organisations viennent donc s'ajouter aux Sociétés Saint-Jean-Baptiste ainsi qu'à leur fédération, le Mouvement national des Québécoises et des Québécois, fondés respectivement en 1834 et en 1947.
Dans l'optique de l'avancement continuel vers la souveraineté, certains acteurs du mouvement ont, depuis peu, avancé l'idée de la gouvernance souverainiste pour contrer les inconvénients des référendums populaires. Dans cette stratégie, l'indépendance du Québec est perçue comme une question de fait alors qu'un référendum est une formalité administrative. Par conséquent, un gouvernement souverainiste élu du Québec, notamment du Parti québécois, sera porté à créer des institutions et politiques (constitution, citoyenneté, indépendance politique régionale, etc.) répondant à cette vision de l'avenir du Québec tout en conservant à l'esprit les exigences constitutionnelles canadiennes.
Au printemps 2006, le nouveau gouvernement conservateur du Canada a signé un accord avec le gouvernement du Québec afin que la province joigne les rangs de l'UNESCO en tant que membre associé. Ce faisant, le fédéralisme asymétrique est désormais présent en politique fédérale. De plus, le 27 novembre 2006, la Chambre des communes du Canada a voté, à une majorité écrasante, en faveur d'une motion qui reconnaît que « les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni », une démarche surtout symbolique mais qui constitue un grand pas en avant pour la consolidation du sentiment du statut particulier de la province francophone. Au Canada anglais, les critiques ont fusé, beaucoup craignant qu'on ne donne de nouvelles armes aux indépendantistes québécois.6
La victoire des étudiants québécois (2012)
Après une grève de plusieurs mois, de nombreuses manifestations nocturnes, réprimées sans état d'âme par la police, la détermination des étudiants québécois l'a emporté. La hausse de 82 % sur sept ans des frais de scolarité a été annulée.
La décision du gouvernement de la province d'augmenter les frais de scolarité dans les universités, obligeant de plus en plus d'étudiants à s'endetter auprès des banques, avait provoqué depuis février 2012 un large mouvement d'opposition, suivi dans la plupart des établissements universitaires et Cegep (équivalent d'une classe préparatoire). Des soirées de manifestations, dont certaines massives, avaient eu lieu malgré la répression et malgré la loi sortie des cartons par le gouvernement, visant à restreindre considérablement le droit à manifester. Les manifestants avaient alors reçu le soutien d'une partie de la population, choquée par le recours à une loi liberticide.
Prétendant augmenter le budget des universités sans faire appel aux deniers publics, le gouvernement Charest avait pensé pouvoir maintenir la hausse face à la mobilisation étudiante, jusqu'aux élections du 4 septembre. Son parti de droite, le PLQ, a perdu et le parti québécois jusqu'alors dans l'opposition, le PQ, qui se dit souverainiste et se présente comme à gauche, l'a emporté. Sa dirigeante, Pauline Marois, devenue Premier ministre, avait promis d'annuler la hausse des frais de scolarité et l'a fait le 20 septembre 2012.
Cette victoire de la mobilisation des étudiants s'étend jusqu'à l'abrogation de la loi antimanifestation promulguée par Charest. Même si les frais de scolarité restent élevés -- 2 168 dollars canadiens, soit environ 1 700 euros par an --, même si leur montant sera indexé sur l'inflation et continuera de peser lourdement sur un étudiant sur deux qui vit au-dessous du seuil de pauvreté canadien, ce recul fut ressenti comme un succès.7
Un vent de révolte souffle sur le Québec (2015)
Trois ans après les manifestations monstres contre la hausse des frais d'inscription, les étudiants québécois sont redescendus dans la rue le 2 avril 2015 pour dénoncer les politiques d'austérité du nouveau gouvernement de la province de Québec. Des manifestations pacifiques violemment réprimées par les forces de l'ordre, dans une indifférence quasi générale...
Mobilisations contre l’austérité
Il y a trois ans, les rues de Montréal et de Québec se remplissaient d’étudiants, bien décidés à lutter contre la décision du gouvernement de la province de Québec d’augmenter les frais d’inscription à l’université. Un mouvement historique qui débuta le 13 février 2012 et qui allait durer des mois. Tous les jours ou presque, les étudiants descendaient dans la rue pour exiger un accès aux études supérieures et l’abrogation de la loi visant à augmenter les frais d’inscription. Les sit-in, les occupations d’universités rythmaient alors le quotidien des étudiants déterminés à se faire entendre par le gouvernement de M.Jean Charest.
Mais trois ans plus tard, plus rien ou presque. Les étudiants sont retournés dans leurs universités et les scènes des manifestations semblent lointaines. C’était sans compter sur les nouvelles mesures d’austérité annoncées par le nouveau premier ministre québécois, Philippe Couillard, élu un an auparavant. Les mesures annoncées la semaine d'avant visaient en effet à couper de manière drastique dans les dépenses publiques et notamment dans l’éducation et la santé. Cette décision a provoqué la colère des étudiants qui dénoncent « les pires compressions dans l’éducation depuis 20 ans ».
Le 21 mars, les associations et syndicats d’étudiants votent la grève afin de dénoncer le budget restrictif et néolibéral du gouvernement québécois. Le 23 mars, plus de 50 000 étudiants participent à la grève dans les universités et les campus de la province. Et puis, le 2 avril, « jour de grève nationale », ils étaient plus de 135 000 à suivre le mouvement de grève dans les universités et environ 75 000 personnes à descendre dans la rue pour manifester à Montréal. Familles, professeurs, étudiants, travailleurs, tous sont venus dire leur colère face aux politiques antisociales qui leur sont imposées.
Les étudiants, fer de lance de la contestation, dénoncent ardemment les politiques d’austérité imposées coup sur coup par les gouvernements successifs. Depuis maintenant plus de 20 ans, et suivant les politiques néolibérales menées aux États-Unis et en Europe, le gouvernement québécois, et dans une plus large mesure l’État canadien, mènent une guerre sans merci contre les derniers acquis de l’État-Providence. Santé, éducation, culture, tous les services publics reçoivent les foudres des obsédés de la « rigueur budgétaire ».
D’ailleurs, le premier ministre québécois a jugé urgent de « reprendre le contrôle de nos finances publiques ». Pour atteindre les objectifs budgétaires, des mesures très impopulaires sont mises en œuvre comme par exemple l’augmentation croissante du prix de l’électricité. De plus, ces politiques ont instauré une concurrence toujours plus accrue dans la gestion des affaires publiques. Les syndicats dénoncent ainsi la privatisation des services publics et des programmes sociaux.
Ces manifestations font écho aux rassemblements de masse des indignés en Espagne, des anti-austérité en Grèce ou encore des étudiants à Londres ou à Santiago du Chili. Même si les situations peuvent varier selon les pays, le dénominateur commun de toutes ces révoltes, est néanmoins le rejet des politiques néolibérales qui font des services publics, et notamment de l’éducation, une « denrée » de plus en plus rare, réservée aux plus aisés. En Angleterre, trois ans auparavant, le premier ministre David Cameron annonçaient des mesures pour augmenter les frais d’inscription à l’université. Même son de cloche au Chili avec le président Sebastian Pinera, remplacé ensuite par la présidente Michelle Bachelet qui a promis de revenir sur les décisions de son prédécesseur.
L’éducation, qui devient un produit de luxe, entraîne un phénomène inquiétant qui se généralise : l’endettement des étudiants. Véritable bombe à retardement, ce phénomène pourrait bientôt devenir la nouvelle bulle financière en voie d’explosion.
Par ailleurs, il faut noter que le combat contre les mesures d’austérité n’est pas le seul motif qui a poussé les manifestants dans la rue à Montréal. En effet, ces derniers luttent également contre les hydrocarbures et les conséquences environnementales désastreuses qu’ils provoquent dans le pays. Les manifestants dénoncent notamment le Plan Nord de l’ex premier ministre, Jean Charest et de son successeur Philippe Couillard, un plan qui a pour but d’étendre l’exploitation minière. Ainsi, au volet socio-économique vient s’ajouter un volet écologique.
Mesures liberticides et répressions policières
Pour contrer les manifestants, le gouvernement québécois a usé de tous les moyens pour intimider les étudiants. Il y trois ans déjà, les forces de l’ordre n’hésitaient pas à réprimer brutalement ceux qui avaient osé battre le pavé. Les scènes montrant des étudiants aux visages ensanglantés témoignaient de la violence avec laquelle les policiers chargeaient les personnes venues manifester. Les policiers ayant échoué à renvoyer les manifestants chez eux, le gouvernement de M. Charest avait donc décidé d’utiliser l’arsenal législatif pour faire taire la contestation étudiante. Le 18 mai 2012, soit deux mois après le début des manifestations, la loi 78 fut promulguée. Elle restreignait alors le droit de manifestation, la liberté d’expression ainsi que la liberté d’association. Une loi qui créa un tollé notamment au sein d’un groupe d’historiens qui déclara que : « Rarement, a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec ».
En juin de la même année, l’article municipal 19.2 du règlement sur la paix et le bon ordre de la ville de Québec créa une forte polémique. Cet article déclara illégal toute manifestation dont le parcours ne serait pas communiqué à l’avance. Une mesure qui visait avant tout à décourager les manifestants. Puis, en 2012 comme aujourd’hui, les policiers utilisent l’article 501 de la sécurité routière pour empêcher les manifestants de se rassembler dans les rues, arguant qu’ils gênent la circulation. Bref, autant d’articles et de lois liberticides qui n’ont qu’un seul objectif, hier comme aujourd’hui : celui de mettre fin à la contestation étudiante. Mais rien y a fait, ces étudiants étaient là et tenaces.
Le 24 mars 2015, la police a procédé à des arrestations de masse. Pas moins de 274 étudiants ont été encerclés alors qu’ils manifestaient devant le Parlement Québécois. Ils ont tous écopé d’une amende de 220 dollars dont ils devront s’acquitter. Deux jours plus tard, soit le 26 mars, une manifestation pacifique a dérapé. Les policiers usèrent de gaz lacrymogènes contre les manifestants. Une jeune étudiante, Naomi Trembley-Trudeau fut violemment et lâchement prise à partie par un policier, Charles Scott Simard qui fut accusé par les manifestants d’avoir tiré presque à bout portant sur la jeune manifestante. Les images montrant la jeune fille à terre, les lèvres déchirées et ensanglantées témoignent de la violence de l’attaque.
Le jeudi 2 avril encore, alors que la manifestation prenait fin, des policiers s’en sont pris aux manifestants, les rouant parfois de coups et procédant à de nombreuses arrestations.
Ces scènes de violence sont malheureusement courantes au Québec où, comme aux États-Unis par exemple, les mouvements sociaux, et notamment ceux menés par les étudiants, sont durement réprimés.
Il faut dire que les policiers québécois jouissent du soutien des partis dominants qui leur permet d’agir en toute impunité. Le maire de Québec a par ailleurs apporté son soutien aux policiers en déclarant « les étudiants qui se plaignent de brutalité policière n’ont qu’eux à blâmer ». Le ministre de l’Éducation, François Blais, a quant à lui menacé « d’expulser de l’Université les étudiants qui exagèrent pour donner l’exemple » avant de déclarer avec mépris et arrogance « on fait ça avec les enfants pour corriger leur comportement ».
Encore une fois, ces scènes de répression policière rappellent les violences perpétrées lors du mouvement Occupy Wall Street à New-York, des manifestations étudiantes à Londres ou à Santiago du Chili. Autant d’exemples qui montrent le vrai visage du système répressif libéral. Quand l’ordre capitaliste se sent menacé, il n’hésite pas à envoyer sa machine répressive pour mater ceux qui osent défier l’ordre établi.
La force comme recours ultime face aux protestataires. Une violence arbitraire qui met en exergue le visage noir des sociétés libérales. Les droits de l’homme, la démocratie, la liberté sont ainsi réduits à néant lorsqu’il s’agit de faire passer des lois impopulaires. Le cas du Québec en est le parfait exemple. Face à cet État de droit en décrépitude, les manifestants ont appelé à un rassemblement le 10 avril 2015 pour dénoncer notamment les atteintes à la liberté d’expression et les violences policières.
Circulez y’a rien à voir
Le moins que l’on puisse dire après ces rassemblements monstres, c’est que les médias dominants ne se sont pas bousculés pour couvrir les manifestations. En témoigne le peu voire le manque d’informations concernant les événements au Québec. Ni les chaînes de télévision, ni les journaux, ni les radios ne se sont penchés sur ce qui se passait au Canada.
Sur la chaîne française d’information continue I-Télé, silence radio. Le journal de 20h de France 2 s’est également montré très discret vis-à-vis des événements outre-Atlantique. Sur le site internet du quotidien Le Monde, un ridicule article de deux paragraphes relatant brièvement les manifestations. Sinon, on peut trouver sur ce même site un article intitulé « Au Québec, des chats s’encartent à des partis politiques ». Sans commentaire.
Quant au quotidien Libération, également très discret, il a préféré parler d’ « échauffourées » pour qualifier les violences policières. Un euphémisme qui en dit long sur ce coupable et complice silence médiatique. Pourquoi trois jours après les manifestations, aucun média ou presque ne s’est-il intéressé aux manifestations anti-austérité ?
Comment expliquer qu’un mouvement d’une telle ampleur portant des revendications légitimes ne retienne pas l’attention des grands médias ? Peut-être considèrent-ils que ce genre d’informations n’intéressera pas l’opinion publique préférant ainsi insister sur les faits divers comme en témoigne l’obsession qu’est devenu pendant plus de 10 jours le crash de l’Airbus de la Germanwings ? Néanmoins, ce qui explique le mieux ce silence médiatique, c’est sans doute la volonté de ne pas souffler des idées de révolte à ceux qui, en Europe, de Paris à Londres en passant pas Lisbonne, souffrent des politiques de rigueur imposées par les institutions financières internationales.
Montrer ces images de manifestations d’étudiants, de familles, de professeurs, de travailleurs pourrait encourager tous ceux qui font face dans leur pays à des politiques visant au désengagement de l’État dans les services publics. La révolte est contagieuse, c’est pour cela que nos chers médias, aux mains de puissants hommes d’affaires eux-mêmes à l’origine de ces mesures d’austérité, ne font pas état des révoltes en cours au Québec et dans le monde. Lorsque les étudiants descendaient dans la rue à Santiago du Chili ou à Bogotá pour exiger la fin des politiques néolibérales, la presse n’y faisait que rarement écho.
Cela a au moins le mérite de confirmer le rôle de garant de l’ordre social qu’ont les médias dominants dans les pays occidentaux. Promouvoir le système dominant et réduire au silence ceux qui le contestent. Une gymnastique journalistique exécutée à merveille.
Conclusion
Les révoltes qui secouent le Québec s’inscrivent dans un ensemble plus large et qui porte sur des revendications devenues mondiales. En effet, le point commun entre les mouvements étudiants, syndicaux au Canada, en Angleterre, en Espagne, en France, en Grèce, au Chili, est le rejet des politiques néolibérales qui visent à imposer l’austérité à perpétuité.
La « rigueur » ou l’« équilibre » budgétaire qui revient comme un leitmotiv dans la bouche de néolibéraux tels que l'ancien premier ministre français Manuel Valls ou le premier ministre belge Charles Michel devient un but obsessionnel que chaque dirigeant souhaite atteindre le plus rapidement possible pour satisfaire ses maîtres à Bruxelles.
Pour ce faire, ils imposent des mesures très impopulaires comme la hausse des frais d’inscription à l’université, le gel des salaires, la suppression du nombre des fonctionnaires, les coupes drastiques dans les budgets de l’État. Tout ceci sous prétexte que « l’État n’a plus les moyens » et qu’il n’y a donc « pas d’alternative ». Pourtant ce n’est pas l’argent qui manque. Les inégalités socio-économiques explosent dans les pays et dans le monde. La crise, désastreuse pour le plus grand nombre, s’avère être une manière pour d’autres d’augmenter de manière spectaculaire leur capital.
De plus, face au terrorisme médiatique et intellectuel qui affirme que seul le chemin néolibéral est possible étant donné le montant élevé des dettes souveraines, il serait intéressant et fondamental de révéler qui sont les véritables responsables de l’explosion des dettes publiques. En France par exemple, le collectif pour l’Audit Citoyen de la Dette a estimé dans une étude que 59 % de la dette française était illégitime. Cette dernière n’étant pas le fruit, comme aiment à le répéter les « experts » et les économistes dominants, de l’explosion des dépenses publiques puisqu’elles ont relativement peu augmenté depuis les années 1980 mais du fait que l’État s’est lui-même privé de recettes fiscales en exonérant les plus grandes entreprises et en créant des niches fiscales favorables à la fortune des plus riches. Tout ça dans le but de satisfaire une classe bourgeoise toujours plus avide de profit et d’argent.
Enfin, force est de constater que ces politiques néolibérales imposées depuis maintenant trente ans ont clairement échoué partout où elles ont été mises en place. Que ce soit en Amérique Latine dans les années 1980-1990 ou aujourd’hui en Europe, les mesures d’austérité ont fait explosé le chômage, la pauvreté, les inégalités, la dette... Mais rien n’y fait, les adeptes de ces politiques antisociales et antihumaines ne semblent pas prêts à l’autocritique et à la constatation de leur échec pourtant flagrant.
Sans doute que la classe dominante se permet d’enfoncer tous les jours un peu plus le clou car elle n’a pas en face d’elle de puissants opposants, conscients de leur situation et des intérêts de leur classe, organisés pour lutter contre les coups de butoir du système économique mondial. Le rapport de force est aujourd’hui largement en faveur de la classe possédante qui sait à travers ses médias, ses écoles, ses institutions, faire accepter aux citoyens les politiques qu’elles lui imposent. Elle parvient alors à créer un relatif consensus qui lui permet de continuer sa marche en avant. Et quand certains se lèvent face à cet état de fait injuste et inégal, alors elle fait appel à sa machine répressive dans le but de faire rentrer dans le rang les récalcitrants.
De Montréal à Athènes en passant par Madrid, New-York ou Bruxelles, les manifestations anti-austérité sont la preuve que la classe dominante n’a toutefois pas complètement gagné la bataille. Les foyers de résistance qui ont porté au pouvoir des présidents progressistes en Amérique Latine sont la preuve que malgré les contradictions, les erreurs, les manquements, un autre monde, une autre civilisation, une autre société, un autre système sont possibles. Pour cela, la lutte internationale sera fondamentale et déterminera sans doute l’issue de la bataille en cours.8
Le Canada, plaque tournante de l’industrie minière... et de ses magouilles
Par Ivan du Roy (Bastamag.net).
Trois sociétés minières sur quatre ont leur siège social au Canada. Pourquoi un tel attrait ? Le Canada est un véritable paradis pour ces entreprises : elles peuvent y spéculer tranquillement sur les gisements du monde entier tout en y étant protégées en cas de crimes environnementaux et de violations de droits humains. Une réalité bien éloignée de l’image plutôt sympathique que véhicule le pays. Entretien avec Alain Deneault, coauteur du livre enquête Paradis sous terre.
Basta ! : 75% des sociétés minières mondiales ont leur siège au Canada. Pourquoi ?
Alain Deneault : Il y est plus facile de spéculer en bourse sur la valeur présumée d’un gisement minier. On peut y mettre en valeur non seulement les « réserves » qu’une mine contient, soit ce qu’il est effectivement possible d’extraire, que les « ressources », c’est-à-dire tout ce qu’une mine contient et que l’on pourrait éventuellement exploiter. Ainsi, à la bourse de Toronto, il est possible de valoriser une richesse avérée, mais également la ressource présumée ou espérée : une richesse plus grande que ce qui a été évalué par les géologues, en fonction des évolutions des techniques ou des coûts d’exploitation. La bourse de Toronto a ainsi longtemps été très spéculative, jusqu’au scandale Bre-X, une société canadienne qui a gonflé artificiellement les réserves espérées de ses mines d’or, avant de faire faillite, faisant perdre 4,7 milliards d’euros à ses actionnaires en 1997.
L’industrie minière dispose ainsi d’une manne d’argent drainée par la Bourse de Toronto, issue des fonds de pensions, des compagnies d’assurance et des banques. Entre 2007 et 2011, 220 milliards de dollars canadiens (168 milliards d’euros) de titres miniers y ont été échangés. Le gouvernement a mis en place des programmes fiscaux pour inciter et faciliter l’investissement dans le secteur minier. Un véritable pipe-line alimente ainsi en flux financier les projets miniers dans le monde, de la Zambie à la Roumanie, que ces projets comportent des risques ou non.
Qu’entendez-vous par « free mining » ?
C’est la manière très singulière au Québec et au Canada de gérer l’accès aux ressources du sous-sol. Il s’agit littéralement de prendre possession des droits du sous-sol d’un territoire donné en cliquant sur un site Internet du ministère des ressources naturelles. On peut ensuite procéder à des forages d’exploration indépendamment sans avoir l’autorisation des propriétaires fonciers sur ce territoire. La loi sur les mines confère un grand nombre d’avantages aux sociétés minières. Elle permet notamment ce qu’on appelle le « claiming » : revendiquer légalement une portion du sous-sol, ce qui octroie des droits d’exploration qui supplantent ceux des propriétaires fonciers, et vont même jusqu’à la possibilité de les exproprier. Des militants québécois ont montré l’absurdité de la loi en revendiquant des droits d’exploration dans un parc en plein centre de Montréal.
Comment le Canada soutient-il l’industrie minière hors de ses frontières ?
Le Canada bénéficie d’une image internationale qui inspire la confiance. Mais c’est un pays façonné par le secteur minier. Une véritable diplomatie de complaisance y a émergé. Les diplomates canadiens font pression sur les autorités locales des pays où les compagnies s’installent, pour les amener notamment à adopter des codes miniers d’inspiration canadienne. Ces pressions vont par ailleurs jusqu’à demander l’expropriation des populations civiles présentes sur les gisements. Et si l’affaire tourne mal – tensions, révoltes, graves pollutions ou ONG trop curieuses –, vous disposez, grâce au Canada, d’une couverture judiciaire pour votre société minière. Bref, on ne vous dérangera pas ! Un groupe de juristes de l’université d’Oxford (Oxford Pro Bono Publico) estime que le Canada est un pays anormalement difficile pour poursuivre une entreprise pour les méfaits qu’elle commet à l’étranger.
N’est-ce pas au pays où la loi est enfreinte de poursuivre une entreprise criminelle ?
C’est oublier la place de la corruption et les effets qu’ont eu dans les pays du Sud les politiques dévastatrices du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, que le Canada a toujours soutenues. On sait bien que le système judiciaire congolais, par exemple, ne permet pas de poursuivre une société sur place. Une société canadienne, Talisman Energy, aurait été poursuivie pour son implication dans la guerre civile au Soudan si elle n’avait pas quitté ce pays d’Afrique pour éviter que ce soit le cas. Mais c’était parce qu’elle était cotée à la bourse de New York. Cela n’aurait pas été possible au Canada. Le Canada s’est officiellement donné comme mandat de lutter contre la corruption. Mais, selon un rapport critique de l’OCDE, une seule société y a été épinglée en dix ans ! À la bourse de Toronto, une société minière est obligée de divulguer une information seulement si celle-ci est en mesure d’affecter le cours de l’action…
Les compagnies minières canadiennes se sont particulièrement impliquées dans les guerres civiles en République démocratique du Congo (RDC). Pourquoi n’ont-elles jamais été inquiétées ?
Le livre Paradis sous terre, tout comme Noir Canada que j’ai écrit avec Delphine Abadie et William Sacher, et qui a été attaqué en justice par la multinationale Barrick Gold, en traitent abondamment. Début 1990, le pouvoir de Mobutu vacille. La dictature est lâchée par ses soutiens français et belge. Et mise sous pression par la Banque mondiale pour que le Zaïre – aujourd’hui RDC – ouvre ses sociétés publiques d’exploitation minière aux capitaux privés. Précisons que la RDC est le seul pays au monde où tous les éléments du tableau périodique sont présents dans le sous-sol (le tableau périodique recense tous les éléments chimiques, dont les éléments métalliques, de l’argent au zinc, ndlr). C’est dire l’ampleur des richesses minières ! Bref, tout est à prendre alors que la guerre civile débute. BarrickGold y acquiert une concession de 82 000 km2 (l’équivalent de l’Autriche, ndlr).
Le problème, c’est que les sociétés minières signent des contrats avec les belligérants. Pour alimenter sa guerre vers la prise du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila leur accorde des concessions qu’il a sécurisées. Des contrats invraisemblables sont signés avec des filiales dans des paradis fiscaux. Dans un rapport, l’ONU cite neuf sociétés canadiennes qui n’ont pas respecté les principes directeurs de l’OCDE, des critères éthiques pourtant a minima. Le Canada a donc une énorme responsabilité morale. L’ONU a demandé au gouvernement de diligenter des enquêtes sur ces sociétés, car les experts onusiens n’avaient pas les moyens judiciaires et financiers de les mener à terme. Or, jusqu’à présent, aucune commission parlementaire – comme l’a fait la France pour son rôle au Rwanda – n’a été créée.
Comment expliquez-vous cette omerta ?
Le mot est bien choisi. Prenez le Conseil consultatif international de BarrickGold, leader mondial de l’extraction d’or : aux côtés de George Bush Senior ou de l’ancien Président de la Bundesbank Karl Otto Pölh, on y retrouve Paul Desmarais, qui gère un empire médiatique. D’autres empires médiatiques canadiens sont contrôlés par des investisseurs également présents dans le secteur des ressources naturelles. La presse ne va donc pas couvrir les affres de l’industrie minière. Les Canadiens sont tenus dans l’ignorance. Or, c’est leur épargne qui est placée dans l’industrie minière, dont ils sont devenus de fait les actionnaires. D’ailleurs, quand on évoque la situation d’un point de vue critique, ces derniers se montrent sensibles au problème parfois davantage en tant qu’épargnant qu’en tant que citoyen. Enfin, il est très facile de poursuivre des citoyens ou des intellectuels en diffamation, à la différence des États-Unis où ils sont protégés par l’amendement sur la liberté d’expression. Au Canada, dans la hiérarchie des valeurs juridiques, la réputation passe avant la liberté d’expression.
Pourquoi cette omniprésence du secteur minier au Canada ?
Le Canada n’est ni une nation ni une république, mais une colonie qui a mis en place des institutions spécialement pour exploiter les ressources naturelles. Aujourd’hui, les gaz de schiste, le pétrole issu des sables bitumineux ou les mines d’amiante constituent des legs coloniaux. Notre pays n’est toujours pas une république, il reste une monarchie constitutionnelle. La souveraine est Elizabeth II et le Premier ministre se comporte souvent comme un gouverneur. Les gens ne se considèrent pas comme des citoyens d’une république mais comme des personnes qui disposent de droits individuels garantis par un État, qui a la fonction d’une sorte de police d’assurance a minima. Ils ne se sentent donc pas liés à ses décisions, qui ne sont pas perçues comme étant prises en leur nom. Au contraire de la France où le schéma républicain, même critiquable, peut avoir son efficacité. Le poids du secteur minier révèle le Canada sous son vrai jour : une colonie créée au service de grands oligopoles.
La France est en train de réformer son code minier. Et l’extraction minière est de retour en Europe avec les gaz de schiste ou des projets de nouvelles mines, comme en Roumanie. Que nous conseillez-vous pour éviter la dérégulation du secteur ?
L’Europe importe la majeure partie de ses minerais. Si elle décide de relancer l’extraction, les entreprises canadiennes d’exploration risquent fort de débarquer. La question du droit du sous-sol ne doit pas se penser au détriment du droit à la propriété foncière. Et il faut différencier les types d’exploitation : extraire de l’or, de l’uranium ou du diamant n’a pas les mêmes conséquences ni la même pertinence que le cuivre ou le fer. L’or, c’est de la folie : des centaines de litres d’eau à la seconde avec l’utilisation de produits chimiques toxiques qui provoquent l’apparition d’arsenic. Quant aux royalties, si tant est qu’on juge sensé de permettre certains chantiers d’exploitation, il faut les prévoir à la source, dès que le minerai est prélevé, pour que les redevances ne concernent pas que les profits. Sinon, cela revient à dire à une entreprise : prend mon or ou mon cuivre, et si tu réalises des marges en les revendant, je te prendrai un pourcentage. Ce ne serait pas sérieux ! Heureusement, des garde-fous se manifestent plus rapidement en Europe en cas de dérapages. Je rappelle qu’en Argentine, BarrickGold a voulu dynamiter un glacier en haute montagne ! 9
Nouvel entretien avec Alain Deneault et William Sacher
Par Anne Joly (revuedeslivres.fr).
Comparé notamment aux USA, le Canada est souvent présenté comme une société ouverte, politiquement libérale et progressiste, dotée d’un État social particulièrement développé qui garantit de nombreux droits politiques, sociaux et économiques à ses habitants. Qu’en est-il vraiment ?
Alain Deneault : Deux choses. D’abord, le Canada a longtemps développé un « marketing politique » du type de celui dont parle Christian Salmon dans son essai Storytelling. Ces techniques discursives consistent à le faire paraître tel que vous le rappelez. Les émissaires politiques canadiens, surtout ceux issus du Parti Libéral au pouvoir de 1993 à 2006, ainsi que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) ont défendu, et continuent de mille manières de soutenir l’idée que le Canada est cette démocratie exemplaire que l’on croit, l’ami du genre humain et surtout un acteur international pour la paix et le développement dans le monde. Cette défense et illustration des vertus canadiennes ont surtout été le paravent d’opérations commerciales menées au bénéfice d’entreprises canadiennes dans les pays du Sud depuis plusieurs décennies. Ensuite, le Canada change à cet égard. Le gouvernement conservateur du Premier ministre Stephen Harper, à Ottawa depuis 2006, est plus rétrograde que n’importe quel dirigeant états-unien ayant pu se trouver en poste en même temps que lui. Le Canada est aujourd’hui un État qui se retire officiellement du Protocole de Kyoto, qui est en guerre contre l’Afghanistan, qui soutient aveuglement les politiques le plus incendiaires du gouvernement israélien, qui met explicitement l’ACDI au service des entreprises minières dans le monde – quoique ce soit dans un contexte de grande controverse –, tout en pratiquant un contrôle idéologique sur la moindre organisation qu’il dirige ou subventionne, y compris les organisations civiques. Les artistes, les femmes, les étrangers, les chômeurs sont autant de catégories ouvertement discriminées par le gouvernement.
Dans quelle mesure cette situation de relative plus grande justice sociale dépend-elle du système que vous décrivez dans Noir Canada et dans Paradis sous terre ?
AD : Ce n’est précisément pas parce que la pauvreté est un tabou au Canada qu’elle n’existe pas. Et l’approche répressive qu’adoptent ces dernières années les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ainsi que leurs tribunaux, sitôt qu’un mouvement social s’organise, témoigne de crispations à venir. On a des bonnes raisons de penser que les populations manifesteront leur colère lorsqu’on les privera de plusieurs de leurs acquis, ce qui est en cours. On vit pour le moment dans l’illusion de la pérennité d’un système. L’activité boursière canadienne en grande partie étalonnée sur l’activité minière internationale et la spéculation qui lui est relative semblent profiter aux Canadiens en général. Les Canadiens confient leur épargne à des fonds de retraite, compagnie d’assurance, banques et autres institutions, sans parler des gouvernements eux-mêmes, qui placent ses actifs dans des titres miniers à Toronto. La population s’enrichit sur la base des résultats boursiers. Elle se prend une très faible cote. D’un point de vue économique, la question consiste à savoir si les coûts investis par les pouvoirs publics pour soutenir cette industrie, notamment les subventions en recherche et les très nombreux abris fiscaux dont profitent les investisseurs eux-mêmes, est à l’avantage des populations. L’autre question, plus fondamentale, consiste en la mesure du coût éthique de ce système. Les Canadiens ont du sang dans les piscines qu’ils creusent dans leurs jardins. Qu’est-ce qu’il en coûte pour que la valeur d’une action augmente à la bourse de Toronto ? Faut-il, de l’autre côté du miroir, dans les pays du Sud, corrompre des dictateurs, soutenir des rébellions, polluer massivement des territoires, porter atteinte à la santé publique, pratiquer l’évasion fiscale… On soulève difficilement ces questions au Canada. Ce sont nos petits secrets de famille nationale, et qui aborde la question risque même de se faire traîner devant les tribunaux pour « diffamation »…
William Sacher : À contre-courant des prétentions théoriques et discursives gouvernementales, du multicuturalisme libéral, des discours sur la justice sociale canadienne et de son image de parangon écologiste, nos travaux ont montré qu’il semble plus approprié de concevoir les conquêtes successives des grands espaces qui ont jalonné l’histoire du Canada comme une suite de violentes dépossessions. Diverses catégories de populations (autochtones, colons, et aujourd’hui également des classes moyennes) en ont fait les frais.
Le territoire canadien regorge de richesses naturelles (minerais, pétrole, bois, ressources en eau) qui ont été exploitées au cours des dernières décennies au prix de destructions socio-ambientales et culturelles de grande ampleur. Il faut par exemple se rappeler qu’il existe au Canada 10.000 mines abandonnées dont les déchets non traités polluent de façon chronique les réseaux hydrographiques. Les coupes à blanc orchestrées par les grandes sociétés forestières ont défiguré la forêt Boréale, une destruction à grande échelle qui reste également méconnue du grand public canadien. On pourrait également citer les conséquences dramatiques des grands barrages québécois, érigés au cours des trente dernières années.
L’histoire bégaie cependant. Au Québec, le gouvernement libéral de Jean Charest (qui a sévit durant 9 années jusqu’aux élections de septembre 2012) a fait la promotion de son « Plan Nord », dont l’objectif est d’équiper la partie nord inexploitée de la belle province en infrastructures énergétiques et de transports afin de favoriser, notamment, l’exploration et l’exploitation minière par les grandes sociétés transnationales.
Les législations permettant un accès illimité au territoire, outrageusement favorables aux sociétés privées du secteur extractif et des ressources naturelles en général, les investissements publics en infrastructures ainsi qu’un laxisme permanent dans le domaine de l’environnement ont largement contribué à cette situation. Tout au long des 150 dernières années, la Bourse de Toronto a bien entendu servi de levier financier et spéculatif et à ces conquêtes aux conséquences dramatiques.
Il apparaît ainsi que nombreuses sont les populations qui au sein même des frontières canadiennes ont fait – et continuent de faire – les frais d’un modèle « extractiviste » prédateur, avant que ce dernier modèle ne soit plus récemment exporté au Sud (au cours des vingt-cinq dernières années, à la faveur de la mise en œuvre du projet néoliberal à l’échelle globale).
Quel degré de conscience collective les Canadiens ont-ils du système décrit par Noir Canada et Paradis sous terre ?
AD : Les choses s’améliorent. En 2008, les gens tombaient des nues lorsqu’on leur exposait ce système. Maintenant, même des instances conservatrices comme le quotidien de droite La Presse (propriété de la famille Desmarais présente dans le passé chez Barrick Gold et encore aujourd’hui chez Total et ailleurs), qui nous méprisait lorsque nous avons exposé nos premiers résultats de recherche, font semblant de découvrir le problème par lui-même. L’idée que les sociétés minières dans les pays du Sud agissent hors de tout contrôle est répandue. Quelques projets de loi intéressants ont été déposé par l’opposition dans la dernière législature, mais tout se fait très lentement. Les sociétés minières sont défendues par une législation politique qui a été créée au XIXe siècle précisément pour défendre les grandes entreprises d’exploitation dans le secteur des ressources naturelles. Encore aujourd’hui, en vertu d’une jurisprudence qui concerne davantage des positions idéologiques de classe que « la science du droit », les tribunaux continuent de pencher systématiquement pour les sociétés minières lorsqu’elles sont confrontées à des citoyens qui veulent obtenir réparation.
WS : C’est d’abord, à mon sens, la virulence et le niveau d’organisation des luttes menées au Sud – en Indonésie, en Afrique, mais tout particulièrement en Amérique Latine – contre l’activité minière qui a conduit à un niveau de conscience accru. Je pense également que la circulation de l’information à l’échelle internationale a joué un certain rôle. Depuis la fin des années 90, l’ONU, la presse internationale, les grandes ONG ou encore des rapports parlementaires ont régulièrement fait état d’accusations d’abus graves dont les transnationales canadiennes ont fait l’objet dans les pays où elles sont actives.
Ainsi, au cours des cinq dernières années, les médias canadiens n’ont plus eu le choix que d’informer la population et les investisseurs – le plus souvent avec une grande défiance – de l’existence de ces mouvements de protestations, dont l’intensité et le nombre ne sont que la logique réaction à la prolifération de projets miniers et à l’augmentation soutenue des sommes investies dans ce secteur à l’échelle mondiale. La prise de conscience a ainsi dépassé les cercles militants auxquels elle restait confinée auparavant.
Cela étant dit, le rôle du Canada dans les nouvelles formes de colonisations et de dépossessions liées au projet néolibéral et à la conquête de nouveaux territoires d’exploitation reste à mon sens très mal compris par les canadiens en général. La force du lobby minier à Ottawa, la propagande gouvernementale en faveur de « l’exploitation minière soutenable », l’intense concentration dans l’industrie médiatique, la dépendance financière des journaux à l’égard de la publicité corporative, et les éventuelles poursuites judiciaires qui frappent les acteurs critiques – nous en avons personnellement fait les frais – continuent d’empêcher efficacement la tenue d’un véritable débat public sur les conséquences de ce nouvel impérialisme canadien.
Ainsi, même s’il faut accueillir avec optimisme la visibilité grandissante des conséquences de l’activité minière, je crois qu’une large majorité des classes moyennes canadiennes reste inconsciente du lien direct qui existe entre leur épargne et les drames qui se jouent sur le terrain. Les fonds de pensions publics et privés et les fonds communs dans lesquels elles investissent dirigent une bonne partie de ces capitaux vers les entreprises minières, qu’elles soient des juniors prometteuses, ou des sociétés major extractrices bien établies. Désinformées sur la nature et la légitimité du soutien moral, financier, politique et diplomatique que le gouvernement apportent aux sociétés minières qui lèvent des fonds à la bourse de Toronto et dont l’activité est fort contestée, elles n’ont pas les moyens de comprendre le statut privilégié du Canada comme véritable « Suisse » pour les sociétés minières à l’échelle internationale.
Existe-t-il des forces politiques de quelque importance qui s’emparent de cette question et travaillent à la mettre au cœur du débat public ?
AD : L’association Mining Watch est très active et exemplaire à bien des égards. Amnistie Internationale a produit également une documentation intéressante. Sur un mode plus consensuel et unanimiste, des groupes comme l’ONG Développement et paix ont eu un impact sur une partie plus conservatrice de la population. Les partis d’opposition intègrent la critique, notamment le Nouveau Parti Démocratique. Et il y a enfin celles et ceux qui se présentent comme des « experts » qui représentent « la société civile » sans réelle légitimité, dans des cadres de délibérations multipartites s’organisant sur le mode de la « bonne gouvernance », sans que l’on sache trop s’il s’agit de résistants ou de collaborateurs politiques.
WS : Au Québec, probablement une des provinces où les critiques sont les plus virulentes, les mouvements de protestations contre les projets extractifs (gaz de schiste, pétrole, exploration et exploitation minière) qui se multiplient se sont fédérés depuis trois à quatre ans. L’exemple de la « Coalition pour que le Québec ait Meilleur Mine » est édifiant. En quelques années, ce mouvement est devenu si important que le gouvernement a été obligé de reconnaître comme un interlocuteur crédible. Il a réussi à avoir une incidence relative sur les processus politiques et législatifs liés au secteur minier.
La question du réchauffement climatique et de la transition énergétique est-elle à l’ordre du jour au moins dans certains secteurs de la société canadienne ?
WS : Le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto. Le mouvement écologiste a crié au scandale. Cette question a plus de visibilité que celle du Canada comme paradis du secteur extractif, c’est certain. À mon sens, les mouvements écologistes sont si faibles dans leurs revendications qu’elles en sont fonctionnelles à la logique du marché, laquelle est sans doute une des grandes responsables de la crise écologique globale. Par exemple, le mouvement écologiste s’est longtemps cantonné à défendre le protocole de Kyoto, lequel se base sur la supposée toute-puissance du marché pour résoudre nos problèmes de pollution atmosphérique…
Existe-t-il au Canada des mouvements d’opposition significatifs à l’exploitation des gaz de schiste ?
WS : Depuis 2010 et l’arrivée des premiers projets de cette industrie au Québec, l’opposition à l’exploration et l’exploitation du gaz de Schiste est particulièrement virulente. Les mobilisations massives de populations des zones rurales découvrant la permissivité des lois minières canadiennes ont certainement donné une grande visibilité à ce mouvement.
La Ministre des Ressources Naturelles du nouveau gouvernement fraîchement élu (septembre 2012) a d’ailleurs répondu positivement aux diverses mobilisations en émettant un moratoire sur cette industrie.10
Les Premières nations sonnent la révolte sociale et écologiste
« L’inertie, c’est fini ! ». Tel est le slogan qui marque le réveil des Premières nations canadiennes. Frappés par de graves inégalités et discriminations, menacés par la folie extractive de l’industrie pétrolière et minière, ignorés du gouvernement ultra-conservateur, peuples autochtones, métis et inuits du Canada sonnent la révolte sociale et écologique. Mené par des femmes, leur mouvement multiforme, Idle No More, s’étend des lointaines plaines glacées aux métropoles, en passant par les réseaux sociaux.
Des cérémonies traditionnelles indiennes et des danses rituelles au cœur des centres commerciaux, pour sensibiliser le passant. Des petites silhouettes vêtues de gilets phosphorescents qui marchent le long des routes, avec quelques banderoles, dans le blanc de l’hiver canadien, puis dans la lumière du printemps. Ou des manifs toniques, au rythme des tambours, où l’on arbore plumes rouges et pattes d’ours. Et aussi des blocages d’autoroute et des grèves de la faim. Du folklore ? Non, un vaste mouvement social qui commence à fédérer les Premières nations canadiennes. Soit un million de personnes (près de 4% de la population se déclarent autochtones ou amérindiennes). Idle No More, « L’inertie, c’est fini », c’est tout cela, d’un océan à l’autre : un mouvement multiforme, non structuré, sans formulaires d’adhésion, ni salariés, ni assemblées générales. Son objectif : empêcher le gouvernement ultra-conservateur canadien de détruire ressources et environnement, et combattre inégalités et discriminations. Le défi est d’ampleur.
Le mouvement a été fondé à l’automne 2012 par quatre femmes, dont deux autochtones, dans la province de la Saskatchewan, à l’ouest du Canada. C’est encore une femme qui permet sa médiatisation et son entrée sur la scène publique : Theresa Spence, une cheffe de la réserve d’Attawapiskat (Ontario), qui mène un jeûne de six semaines dans un tipi à deux pas du Parlement d’Ottawa. Theresa Spence s’était déjà illustrée, en 2011, en décrétant l’état d’urgence dans sa réserve devant l’insalubrité des abris, sans eau ni électricité, où des familles entières vivaient dans le froid.
Quand le Canada voulait « tuer l’indien en eux »
Une lutte en forme de revanche pour ces femmes des Premières nations, touchées de plein fouet par les inégalités. Celles qui n’ont pas pu terminer leurs études subissent deux fois plus le chômage que les Canadiennes non autochtones (un taux de chômage respectif de 20,5 % contre 9,2 %). Les femmes se déclarant des Premières nations, « Métisses » ou « Inuites » perçoivent des revenus 25% inférieurs à leurs concitoyennes. Tout en ayant plus souvent à charge leur famille. Beaucoup sont victimes de violences domestiques dans les réserves, et d’assassinats dans les grandes villes de l’ouest du pays, où les plus défavorisées se prostituent. En matière sociale, la liste de leurs revendications est donc longue : communautés vivant dans la misère malgré les subventions, alcoolisme extrême, dépressions, suicides au moins trois fois plus nombreux que dans le reste de la population...
Sans oublier le « syndrome des pensionnats », du nom de la politique d’État qui en 150 ans a enlevé plus de 150 000 enfants autochtones à leurs parents pour les placer dans des pensionnats où régnait la maltraitance. Le but : « Tuer l’Indien en eux ». Le gouvernement canadien s’en était excusé en 2008. L’ancien Premier ministre Paul Martin a qualifié cette politique de « génocide culturel ».
Dernière barrière humaine
C’est par ses mobilisations écologistes que le mouvement s’illustre. Sa priorité est de lutter contre les lois anti-environnementales du gouvernement de Stephen Harper, le Premier ministre canadien (de 2006 à 2015). Fin 2012, sous la pression avérée de l’industrie des oléoducs (l’Association canadienne de pipelines d’énergie), et indirectement des grandes compagnies pétrolières présentes en Alberta – dont Total, qui y exploite les sables bitumineux –, le gouvernement a réduit comme peau de chagrin la protection des milliers de lacs et rivières du pays. Il a également limité les processus d’évaluation environnementale préalables à l’exploitation de ressources naturelles, et diminué la possibilité pour les Premières nations d’être consultées sur ces questions.
Les réserves indiennes, souvent situées dans de vastes espaces naturels au nord du pays, sont particulièrement menacées par ces nouvelles règles du jeu. Elles risquent de voir augmenter les ravages des industries pétrolières et minières. « En Alberta, où sont exploités les sables bitumineux, les Premières nations font venir de l’eau en bouteilles alors qu’elles vivent au bord des fleuves. Les poissons ont trois yeux, la bouche déformée, les canards sont englués dans les bassins de contention.... », s’insurge Melissa Mollen-Dupuis, la représentante du mouvement au Québec. Elle fait référence aux témoignages des habitants de la communauté autochtone de Chipewyan, confortés par l’étude du biologiste David Schindler, qui fait état d’une concentration exceptionnelle de plomb et de mercure dans la rivière Athabasca. Une étude contestée par le gouvernement fédéral et le lobby pétrolier. « Nous protestons contre la fracturation hydraulique (pour l’extraction du gaz de schiste, ndlr), contre les coupes abusives dans les forêts, contre l’exploitation des sables bitumineux. Nous sommes la dernière barrière humaine entre le gouvernement et les ressources naturelles ! », poursuit-elle.
Colossale dette écologique
Intégrer la dette environnementale qu’accumule le gouvernement et les compagnies pétrolières et minières auprès des Premières nations, pour faire baisser la bonne note du Canada, attribuée par des agences de notation, sur les marchés financiers. Telle est l’idée suggérée par un leader autochtone d’Idle No More en Colombie-Britannique, Arthur Manuel. Puisque les ressources naturelles sont extraites de territoires dont certains sont légalement protégés par des traités, autant en tenir la comptabilité. Et cette dette est colossale. En 2012, épaulée par l’étude de l’économiste Fred Lazar, les 49 communautés de la « Nation Nishnawbe Aski », dans le nord de l’Ontario, ont adressé symboliquement au gouvernement de la province une facture de 127 millions de dollars canadiens (97 millions d’euros). « Soit une annuité correspondant à une infime partie de la dette totale sur un siècle » !
Autre spécificité d’Idle No More : son fonctionnement. « Chaque matin, les quatre fondatrices et les leaders dans chaque province (le Canada en compte dix, ndlr) utilisent Facebook pour échanger sur les actions à venir. Elles sont répercutées sur le site officiel d’Idle No More », explique Widia Larivière, cofondatrice du mouvement au Québec. Rien n’est imposé, et au sein même de chaque Province, des communautés ou des individus prennent des initiatives au nom du mouvement, sans forcément nous consulter. Toute l’information passe par les réseaux sociaux. Les gens se mobilisent au cas par cas. »
Au Québec, on a ainsi pu assister à des « teach-in » (inspiré du mot « sit-in »), ateliers d’apprentissage ou mini-conférences sur le mouvement, et à des manifestations dans les rues de Montréal tout autant que dans des communautés très éloignées. Une marche de 1600 kilomètres a été menée par de jeunes Autochtones du Nunavik (grand Nord du Québec) baptisée le « Chemin des êtres humains » (« The Journey of Nishiyuu »), en cri, la langue amérindienne la plus parlée au Canada. Le périple entamé mi-janvier et en raquettes par sept jeunes de 17 à 21 ans, par un froid polaire, s’est achevé avec près de 300 marcheurs à Ottawa, la capitale fédérale, deux mois plus tard. Ils n’ont pas été reçus par le Premier ministre – Stephen Harper était parti à l’aéroport accueillir des pandas venus de Chine... – mais par des centaines de supporters, des sympathisants du mouvement Occupy, des écologistes, et par la gauche parlementaire.
« Ce mouvement me décolonise moi-même »
Idle No More est plus qu’un mouvement. C’est également une forme de thérapie collective, charriant une fierté identitaire qui relève de la survie, tant la culture des Premières nations a été méthodiquement annihilée. Les marcheurs du « Chemin des êtres humains », dont certains étaient dépressifs et toxicomanes, comme de nombreux jeunes Autochtones, ont dit combien la marche, inspirée par les longs trajets à pied que leurs ancêtres accomplissaient pour commercer, avait eu un rôle thérapeutique et identitaire. « Ce mouvement me décolonise moi-même », commente Widia Larivière, qui a ressorti pour les manifestations un petit tambourin offert par sa mère qu’elle n’avait jamais utilisé.
Au plan politique, Idle No More a permis aux représentants autochtones – rassemblés au sein de l’assemblée des Premières nations – de rencontrer Stephen Harper au plus fort de la contestation, en janvier 2013, sans que leurs revendications soient satisfaites pour le moment. Mais le mouvement se poursuit, même s’il a disparu des médias canadiens depuis que Theresa Spence a cessé sa grève de la faim... Idle No More s'est d’ailleurs allié avec une autre organisation autochtone, Defenders of the Land (« Défenseurs de la terre ») pour concocter un « été de la souveraineté » qui promettait d’être agité. Au menu des revendications : la révocation de la nouvelle loi qui laisse le champ libre à l’exploitation des ressources naturelles, l’adoption d’un système électoral à la proportionnelle au niveau fédéral, la mise en œuvre au niveau canadien de la déclaration onusienne des droits des peuples autochtones... et une enquête nationale sur les meurtres et disparitions des femmes autochtones.11
Pour faire avancer la paix : combattre le militarisme canadien
Par Raymond Legault (ancien président de l'union des artistes au Québec) et Collectif Échec à la guerre. Le 8 octobre 2014.
C’était, il y a quelques jours, la Journée internationale de la paix (21 septembre). Alors que sévissent de nombreux conflits dans le monde, une question simple se pose : comment pouvons-nous, ici même au Québec et au Canada, contribuer à favoriser la paix dans le monde ?
Par la bouche du gouvernement Harper – et sans opposition significative à la Chambre des Communes – une voie nous est proposée. C’est celle, simpliste et destructrice, du militarisme : dans un monde où de graves dangers menaceraient notre sécurité, il faut s’armer et livrer de nouveaux combats, supposément glorieux. Depuis plusieurs années, rien n’est épargné pour nous enfoncer profondément dans cette voie.
Mentionnons d’abord, la politique de « défense », nommée Le Canada d’abord, qui annonce, en 2008, des dépenses militaires de 490 milliards de dollars sur 20 ans, pour accroître l’effectif des Forces canadiennes et les doter des engins de destruction aériens, maritimes et terrestres les plus sophistiqués qui soient. Récemment, on apprenait que cela inclurait une importante flotte de drones armés. En lien avec ce programme d’acquisitions militaires sans précédent, le gouvernement Harper fait la promotion d’une nouvelle prospérité économique fondée sur l’expansion de l’industrie militaire et « de sécurité » canadiennes et sur l’accroissement de ses exportations. La signature, en février 2014, du plus important contrat d’exportation manufacturière – 10 milliards de dollars pour la fourniture, sur 14 ans, de véhicules blindés légers et autres équipements militaires à l’Arabie saoudite – en est une illustration inquiétante. Surtout si on se rappelle que l’Arabie saoudite est un des pays les plus répressifs de la planète et que c’est avec ce type de véhicules qu’elle a écrasé dans le sang le printemps arabe au Bahreïn voisin en 2011.
Cette orientation militariste se manifeste par un empressement à prendre part aux guerres décidées par les États-Unis, dans le cadre ou non de l’OTAN. Les cas de l’Afghanistan et de la Libye viennent immédiatement à l’esprit. Plus récemment, des avions de combat et des équipements militaires ont été rapidement déployés dans le contexte de la crise en Ukraine et des conseillers militaires ont été envoyés en Irak, face aux avancées de l’État islamique.
Le Canada d’aujourd’hui se caractérise aussi par des déclarations incendiaires concernant divers points chauds de l’actualité internationale, prenant tour à tour pour cibles la Russie, la Chine, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, etc. Ce faisant, le Canada attise les conflits plutôt que de contribuer à les résoudre et il érode la légalité internationale – vilipendant l’ONU et ses institutions – plutôt que de la renforcer. Cet été, nous avons été témoins de nouveaux sommets dans cette voie dangereuse quand le gouvernement Harper a été le seul de la planète à soutenir sans l’ombre d’une critique l’agression meurtrière d’Israël contre Gaza et à blâmer les Palestiniens et les Palestiniennes eux-mêmes des crimes commis à leur égard !
Des budgets de relations publiques considérables sont octroyés pour accroître le recrutement militaire, favoriser l’omniprésence de l’armée dans les événements sportifs et festifs et glorifier la guerre par diverses commémorations. Depuis 2012, dans le cadre des préparatifs du 150e anniversaire du Canada, des dizaines de millions de dollars ont été dépensés pour commémorer la guerre de 1812, de même que les Première et Deuxième guerres mondiales, tentant ainsi de mousser un nouveau patriotisme militaire.
Le militarisme : un fléau
Pour le Premier ministre Harper, les choses sont simples : « les forces armées canadiennes sont les meilleures au monde » et « L’histoire nous enseigne que la paix éclot rarement en des sols non remués ». Quant à nous, comme un grand nombre de nos concitoyens et concitoyennes, nous n’éprouvons aucune fierté face au rôle guerrier des militaires canadiens et, surtout, nous tirons des leçons bien différentes de l’Histoire.
Soyons clairs. Rien de bon ne pourra jamais sortir d’une vision manichéenne du monde où s’opposent les forces du Bien et du Mal, vision que partagent d’ailleurs les intégrismes politico-militaro-religieux de part et d’autre. La déshumanisation, voire la démonisation de populations entières, qui découlent d’une telle vision, servent à justifier l’oppression, l’écrasement, les massacres, les génocides.
Non, Monsieur Harper, la guerre n’est pas un simple brassage de sol qui y ferait éclore la paix ! La guerre est la pire des activités humaines, tant par la mort, les souffrances et la destruction qu’elle engendre impitoyablement, que par ce qu’elle saccage dans chaque être humain qui la mène. Le militarisme, qui fonde les rapports entre peuples et individus sur la force, la violence et la domination est l’antithèse des aspirations universelles à l’égalité, à la justice et à la paix. Il se manifeste aussi par une violence sexuelle exercée à l’égard des femmes, tant celles du « camp ennemi » qu’au sein même des armées.
Presque toujours, les intérêts stratégiques, économiques ou politiques qui président aux décisions de faire la guerre sont occultés par une propagande mensongère, qui exagère les menaces ou qui instrumentalise des urgences humanitaires bien réelles à des fins beaucoup moins nobles que celles qu’on proclame.
Les conséquences de ce nouveau militarisme dans lequel on tente d’enrôler la société entière sont terribles, pour qui veut bien s’ouvrir les yeux. Tant en Irak qu’en Afghanistan et en Libye, les interventions militaires occidentales ont dévasté ces pays, approfondi leurs divisions internes et les ont laissés à feu et à sang. Ici même, des mesures d’exception portant atteinte aux libertés civiles et des mécanismes de surveillance totalitaire ont été mis en place. Une culture du secret, de désinformation et de censure s’installe. Et tout ce branle-bas militariste entraîne un détournement massif des fonds publics, au détriment des fonctions sociales de l’État de plus en plus négligées.
Appel à nos concitoyen.ne.s
Il est illusoire de travailler à l’avènement d’un monde de paix et de justice sans s’opposer à la montée du militarisme ici même au Canada et sans dénoncer les prétentions humanitaires derrière lesquelles il tente de se cacher. Quel qu’en soit le prétexte, protestons contre toute implication du Canada dans des guerres ou démonstrations de force de l’OTAN. Protestons contre le détournement des ressources publiques dans la guerre et sa glorification.
Cet automne, à l’occasion du Jour du Souvenir, nous porterons le coquelicot blanc pour symboliser ces prises de position et pour commémorer toutes les victimes des guerres, dont la grande majorité sont des civils. Et nous invitons vivement tous ceux et celles qui partagent nos convictions à le porter également.12
Canada : une histoire de deux systèmes monétaires
Même le pays le plus riche au monde en ressources est tombé dans le piège de la dette. Ses programmes gouvernementaux qui faisaient autrefois sa fierté sont sujets à des coupes budgétaires drastiques -des coupes qui auraient pu être évitées si le gouvernement n'avait pas abandonné la possibilité d'emprunter à sa propre banque centrale dans les années 70.
Dans un article publié le 5 avril 2013 à Ottawa, la Chambre des Communes du Canada a voté une vague de coupes budgétaires et de mesures d'austérité. Pour l'essentiel elle consiste en la perte de 19.200 emplois du secteur public, une réduction du budget des programmes fédéraux de 5,2 milliards de $ par an, et le recul de l'âge de la retraite de 65 à 67 ans. Ceci au nom d'une dette qui se montait alors à plus de 581 milliards de dollar canadiens, soit 84% du PIB.
Rappel :
Un jeu en ligne publié par le journal local "the Globe and Mail" donnait aux lecteurs la possibilité de faire eux-mêmes des simulations d'équilibre budgétaire. Les paramètres incluaient la réduction drastique des versements aux fonds d'aide aux personnes âgées, aux caisses de retraite, aux frais de santé, et à l'éducation, aux transports, à la défense, à l'aide aux pays en voie de développement et aux aides internationales plus généralement. Et bien sûr la hausse des impôts. Un article publié sur la même page titrait :"Le gouvernement n'a en fait pas beaucoup de leviers à sa disposition pour boucler un déficit budgétaire abyssal. Il peut soit augmenter les impôts, soit réduire les dépenses ministérielles."
Il semble qu'aucun participant à ce jeu, ni les concepteurs ni qui que ce soit n'ait été en mesure de jouer sur le paramètre principal du budget : les intérêts versés aux détenteurs de la dette. Un graphique sur le site web du ministère des finances canadien intitulé "Où vont vos impôts" indique que le paiement de ces intérêts se montent à 15% du budget -plus que la santé, la sécurité sociale et les autres formes de salaire différé réunies. La page date de 2006 et a été mise à jour en 2008, mais les montants sont vraisemblablement peu différents aujourd'hui.
Futé pour un penny, idiot pour une livre
Parmi les autres coupes en 2012 le gouvernement a annoncé qu'il pourrait cesser la production de penny canadiens, qui coûte aujourd'hui plus cher à frapper que leur valeur propre. Le gouvernement se concentre sur les penny et ignore les livres -la part massive de la dette qui aurait pu être épargnée en empruntant directement à la Banque du Canada.
Entre 1939 et 1974, le gouvernement empruntait en effet à sa banque centrale. Ce qui, en fait, rendait sa dette dépourvue d'intérêt, dès lors que le gouvernement possédait la banque et en percevait les intérêts. D'après des chiffres fournis par Jack Biddell, ancien inspecteur des finances du gouvernement, la dette fédérale restait à un niveau peu élevé, n'évoluait quasiment pas et était parfaitement supportable durant ces années. Le gouvernement a pu ainsi financer simplement sur le crédit de la nation et avec succès plusieurs projets publics d'envergure, y compris la production d'avions de combat durant et après la seconde guerre mondiale, des aides à l'éducation pour les soldats de retour, les allocations familiales, les retraites pour les personnes âgées, l'autoroute transcanadienne, le projet de route de navigation sur le St. Laurent et une couverture maladie universelle pour tous les canadiens.
La dette a explosé à partir de 1974, lorsque le Comité de Bâle fut mis en place par les gouverneurs des banques centrales des 10 pays membres de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), dont le Canada. Un objectif clef du comité était de "maintenir la stabilité monétaire et financière". Pour atteindre ce but, le Comité déconseilla le financement direct d'une nation auprès de sa propre banque centrale sans intérêts, et encouragea à la place le financement auprès des créanciers privés, tout cela au nom "du maintien de la stabilité de la monnaie" :
Le présupposé était que le fait d'emprunter à une banque centrale ayant le pouvoir de créer de l'argent sur ses livres conduirait à l'augmentation de la masse monétaire et des prix. Emprunter à des créanciers privés par ailleurs était considéré comme ne favorisant pas de tendance inflationnaire, puisque cela revenait à recycler de l'argent existant déjà. Ce que les banquiers se sont bien gardés de révéler, bien qu'ils le savaient eux-mêmes de longue date, c'était que les banques privées créent l'argent qu'elles prêtent, exactement de la même que les banques publiques. La différence restant qu'une banque publique restitue les intérêts au gouvernement et à la communauté nationale, tandis qu'une banque privée transfert les intérêts dans son capital, pour être ensuite réinvesti, de nouveau avec intérêts, attirant progressivement l'argent hors de l'économie productive.
La courbe de la dette, qui commença son ascension exponentielle en 1974, évolua jusqu'à la verticale en 1981, date à laquelle les taux d'intérêts de la réserve fédérale US furent portés à 20 %. Aggravée de 20 % chaque année, la dette double sous les quatre ans. Les taux canadiens ont grimpé jusqu'à 22 % durant cette période. En 2012, le Canada a déjà réglé plus de 1000 milliards de dollars canadiens pour sa dette -près de deux fois le montant de la dette elle-même. S'il avait emprunté auprès de sa propre banque tout au long, il serait non seulement libéré de la dette mais disposerait même d'un surplus conséquent aujourd'hui. C'est vrai aussi pour les autres pays.
Le coup en douce des banquiers
Pourquoi les gouvernements paient-ils des financiers privés pour générer une créance qu'ils auraient pu eux-mêmes émettre, et ce sans intérêts ? D'après le professeur Carroll Quigley, le mentor de Bill Clinton à l'université de Georgetown, tout cela faisait partie d'un plan concerté et mis au point par une clique de financiers internationaux. Il écrivit en 1964 dans "Tragédie et Espoir" :
Les pouvoirs du capitalisme financier ont un autre but à long terme, rien moins que de créer un système mondial de contrôle financier dans des mains privées capable de dominer le système politique de chaque pays et l'économie de l'ensemble du monde. Ce système devait être contrôlé de manière féodale par les banques centrales du monde agissant de concert, par des accords secrets fruits de nombreuses réunions privées et conférences. Le sommet du système devait être la Banque des Règlements Internationaux à Bâle en Suisse, une banque privée détenue et contrôlée par les banques centrales mondiales qui étaient elles-mêmes des sociétés privées.
Chaque banque centrale...cherchait à dominer son gouvernement par sa capacité à contrôler les prêts du Trésor, à manipuler les taux de changes, à influencer le niveau de l'activité économique dans le pays, et à influencer des politiciens coopératifs au travers de récompenses sous forme économique dans le monde des affaires.
En décembre 2011, cette accusation a été répercutée dans un recours porté auprès de la Cour Fédérale Canadienne par deux citoyens et un think tank en économie canadiens. Le juge constitutionnel Rocco Galati a mené une action pour le compte de William Krehm, Ann Emmett, et COMER (le Comité pour une Réforme Monétaire et Économique) afin de revenir au rôle original de la Banque du Canada, y compris concéder des prêts sans intérêts aux structures municipales, régionales et fédérales pour des dépenses liées au "capital humain" (éducation, santé, et autres services sociaux) et aux infrastructures. La plainte stipule que, depuis 1974, la Banque du Canada et les politiques financières et monétaires du Canada ont été dictées par des banques privées étrangères et des intérêts financiers menés par la BRI, le Forum pour la Stabilité Financière (FSF) et le Fond Monétaire International (FMI), outrepassant la souveraineté du Canada représentée par son parlement.
Aujourd'hui ce coup en douce a été si bien dissimulé que les gouvernements et les joueurs eux-mêmes sont convaincus que les seules alternatives pour résoudre la crise de la dette sont lever d'impôts, réduire drastiquement les services publics, ou bien vendre les biens publics. Nous avons oublier qu'il reste encore une autre option : réduire la dette en empruntant directement à la banque du gouvernement lui-même, qui rend ses profits aux caisses publiques. Supprimer les intérêts s'est avéré réduire le coût moyen des projets publics d'environ 40 %.13
Élection fédérale canadienne de 2015
Enjeux de la campagne
La situation économique est un des principaux enjeux de la campagne : après la crise de 2008, l'économie canadienne a renoué temporairement avec la croissance mais est en contraction depuis le début de l'année 2015, notamment sous l'effet de la chute du prix du pétrole.
En lançant la campagne le 2 août 2015, Stephen Harper déclare que « La gestion de l'économie reste la priorité première » des conservateurs. Il souligne le bon bilan de son gouvernement et notamment que, depuis le creux de la crise économique de 2008, l'économie canadienne a créé 1,3 million d'emplois et qu'« il n'y a jamais eu plus de Canadiens et de Canadiennes au travail qu'aujourd'hui ». Selon Harper, les difficultés économiques depuis le début de l'année sont sans lien avec la politique conservatrice et sont à imputer à « l'instabilité politique dans le monde » et au « ralentissement en Chine, aux États-Unis ». Il propose de « continue[r] avec un programme discipliné […] qui comprend des baisses de taxes et des impôts ».
Ce bilan est toutefois contesté par l'opposition. Thomas Mulcair, qui fait de l'économie un des axes principaux de sa campagne, insiste sur le fait que le Canada compte 200 000 chômeurs de plus qu'avant la crise. Selon lui, Harper « a le pire bilan de croissance économique de tout premier ministre depuis les années 1960 ». Le NPD propose de « relancer l’économie et aider les Canadiens à retrouver du travail » notamment dans le secteur manufacturier, d'augmenter les retraites et de porter le salaire minimum fédéral à 15 dollars l'heure.
Les libéraux soutiennent quant à eux que le projet du NPD n'est pas crédible. Ils promettent de réduire les impôts de la classe moyenne et d'augmenter ceux des plus aisés tout en réduisant les allocations pour enfants pour les familles riches.
Le Parti libéral souhaite par ailleurs investir 65 à 125 milliards de dollars en infrastructures et annonce pour cela un déficit public de 10 milliards de dollars à résorber en trois ans. Cette proposition est critiquée par le NPD, qui accuse Justin Trudeau d'avoir changé d'avis sur le déficit. Tom Mulcair propose lui d'équilibrer le budget dès l'année prochaine. Quant à Stephen Harper, il juge que Justin Trudeau « ne sait pas de quoi il parle » quand il parle de finances publiques.
Sécurité
Après la fusillade du 22 octobre 2014 à Ottawa, le gouvernement conservateur a fait adopter la loi antiterroriste (C-51) qui renforce notamment les pouvoirs des services de renseignement. Dans sa campagne, Harper souligne que « des gens et des groupes violents veulent tuer des Canadiens », se référent notamment aux actions de l'État islamique. Pour lui, la loi C-51 donne « aux agences de sécurité les moyens et les outils dont elles ont besoin pour contrer cette menace » et il critique l'opposition qui voudrait « affaiblir nos services de sécurité » et « retirer nos troupes [d'Irak] ».
Le Parti libéral a soutenu la loi C-51, malgré quelques critiques et la promesse de l'amender s'ils sont élus. Pour Justin Trudeau, la loi met en péril certaines libertés mais comporte plus d'aspects positifs que négatifs.
Autochtones
Selon l'Assemblée des Premières Nations, le vote des Autochtones pourrait faire basculer le résultat dans 51 circonscriptions alors que les partis d'opposition espèrent une participation accrue des électeurs autochtones pour défaire le Parti conservateur.
En effet, le gouvernement de Stephen Harper a eu des relations particulièrement difficiles avec les Premières Nations au cours de son mandat. En 2012/2013, il a notamment été confronté au mouvement Idle No More qui l'accusait notamment de violer les traités ancestraux.
Le gouvernement Harper a par ailleurs refusé la création d'une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, malgré les demandes des représentants autochtones, préférant donner des moyens aux enquêtes policières.
Procès de Mike Duffy
Le procès de Mike Duffy s'ouvre au mois d'août 2015, en pleine campagne électorale. Duffy est accusé de fraude, abus de pouvoir et corruption pour avoir notamment facturé au Sénat des dépenses liées à la campagne de Stephen Harper de 2011 et d'avoir ensuite remboursé le Sénat grâce à un chèque de 90 172 $ que lui a fait le chef de cabinet de Stephen Harper, Nigel Wright.
Durant le procès, les différents témoignages et la diffusion par la GRC des courriels des membres du cabinet du Premier ministre laissent apparaître que des proches conseillers de Stephen Harper étaient informés de ces agissements et ont tenté, après qu'ils ont été rendus public, de les présenter sous un jour positif.
Stephen Harper maintient que, malgré l'implication de son entourage direct, il n'a pas été informé du remboursement des frais par un chèque de Nigel Wright. En campagne, le premier ministre refuse de répondre aux questions sur le procès de Mike Duffy.
Port du niqab lors des cérémonies de naturalisation
Après l’annulation par la Cour fédérale d'un règlement du gouvernement conservateur, interdisant le port du niqab lors des prestations de serment de naturalisation, un débat éclate à ce sujet. Le gouvernement Harper entend porter le cas devant la Cour suprême et annonce vouloir inscrire l'interdiction dans une loi s'il est réélu. Pour Stephen Harper, « Quand les nouveaux citoyens prêtent serment, ils doivent le faire à visage découvert, c'est une question de respect pour nos valeurs fondamentales d'égalité et d'ouverture. » Selon des études d'opinion, cette interdiction du niqab est largement majoritaire chez les Canadiens (82 % s'y disent favorables), et plus encore au Québec (93 %) où ce débat fait écho à celui sur la Charte des valeurs.
À l'inverse, Justin Trudeau pense que ce débat fait partie d'« une politique de peur et de division » : pour le chef libéral, le Canada est « un pays qui protège les droits des minorités », ce qui inclut le droit de porter le niqab.
Selon le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, sur les quatre dernières années, seules deux femmes ont refusé de se dévoiler soit « 0,0003 % des nouveaux Canadiens qui ont participé à une cérémonie de prestation de serment. »
Partenariat transpacifique
Le 5 octobre 2015, une entente sur le partenariat transpacifique (PTP) est annoncée. Stephen Harper qualifie l'annonce de ce traité de libre-échange de « jour historique pour le Canada » tout en assurant que les secteurs ouverts à la concurrence internationale, notamment les agriculteurs, recevront des éléments de compensation pour 4,3 milliards de dollars tout en reconnaissant que certaines industries « devraient s'adapter ».
Justin Trudeau n'indique pas formellement qu'il soutient le PTP tout en affichant le soutien de principe du Parti libéral au libre-échange et aux accords commerciaux.
Résultats de l'élection fédérale
L'élection voit le Parti libéral de Justin Trudeau, le fils de l'ancien Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, remporter une majorité des sièges de la Chambre des communes. Les libéraux ont gagné en popularité tout au long de la campagne électorale en concurrençant notamment le Nouveau Parti démocratique de Tom Mulcair, qui formait l'Opposition officielle depuis 2011 et a commencé la campagne en tête des intentions de vote. Le Premier ministre conservateur Stephen Harper, qui tentait de remporter un quatrième mandat consécutif malgré une popularité affectée par un ralentissement de l'économie et plusieurs scandales pendant son mandat, est défait après plus de neuf années au pouvoir. Son parti forme l'Opposition officielle.14
Le racisme tue
Six personnes ont été tuées et huit autres blessées dans l’attaque d’une mosquée au Québec, le 29 janvier 2017. Tous étaient des Canadiens binationaux, algériens, tunisiens, marocains ou guinéens.
Ce soir-là, un homme encagoulé a ouvert le feu sur les participants à la prière. L’agresseur a été arrêté par la police et aussitôt inculpé de meurtre. Il s’agit d’un étudiant connu pour ses idées nationalistes et antiféministes dans son université ainsi que sur les réseaux sociaux. Il y affirmait partager les propos les plus réactionnaires du président américain Donald Trump et se posait en admirateur de Marine Le Pen.
La mosquée avait déjà été la cible de gestes de haine. En juin 2016, une tête de porc y avait été déposée en période de ramadan, accompagnée d’une note « Bon appétit ». Des lettres d’insultes à caractère raciste y avaient également été adressées. Ces actes destinés à faire régner un climat d’insécurité parmi les musulmans se sont finalement conclus par une tuerie. Le Canada compte un peu plus d’un million de musulmans parmi ses 36 millions d’habitants et a par exemple accueilli 40 000 Syriens en un an.
Qu’il s’agisse du geste d’un déséquilibré ou d’un attentat terroriste planifié, ces assassinats montrent en tout cas que les propos d’une Marine Le Pen ou d’un Donald Trump peuvent inspirer des tueurs.15
Un charnier d’enfants découvert
Au mois de mai 2021, la découverte dans la province de Colombie-Britannique, des restes de 215 enfants, très probablement amérindiens, a secoué le pays.
C’est à Kamloops, ville des Rocheuses, sur le site qui abritait autrefois une des 130 écoles indiennes résidentielles, que cette macabre découverte a été faite. Ce réseau « éducatif » a été créé en 1870 par le gouvernement canadien. La dernière école a fermé en 1996.
Ces pensionnats étaient destinés aux enfants des tribus amérindiennes qui peuplaient auparavant le Canada, des rives de l’océan Atlantique à celles du Pacifique et de l’Arctique. Le gouvernement prétendait leur offrir une éducation en les confiant à des congrégations chrétiennes. En fait, il les éloignait de leurs parents et de leur tribu, pour les couper de leur langue natale et de leur culture.
En 2015, une commission officielle avait enquêté sur les mauvais traitements subis par les enfants. Elle avait confirmé que 51 d’entre eux étaient morts dans l’école de Kamloops de 1914 à 1963. De son côté, la tribu Tk’emlúps te Secwépemc se doutait qu’il y avait eu bien plus de victimes et n’a pas cessé de les rechercher. Ce sont ces découvertes qui ont été rendues publiques le 27 mai. La commission avait identifié plus de 4 000 enfants morts dans ces écoles, indiquant que le chiffre pouvait atteindre 6 000. Son président avait même évoqué 15 000 victimes.
Pendant plus d’un siècle, l’État canadien n’a accordé que peu de moyens à ces pensionnats, où les enfants avaient faim et étaient punis s’ils parlaient leur langue natale. Les coups et les abus sexuels y étaient fréquents. Les plus jeunes des victimes avaient trois ans.
À l’annonce de la découverte du charnier de Kamloops, des tribus ont manifesté leur colère à travers le pays, jusqu’au Québec, éloigné de 4 000 kilomètres. En réaction, des gouverneurs de provinces canadiennes et des maires ont mis les drapeaux en berne et le Premier ministre, Justin Trudeau, a assuré les tribus qu’il « faisait ce qu’il fallait » pour apaiser leur souffrance. Mais les autorités canadiennes ne peuvent prétendre qu’elles ignoraient les conséquences de la politique raciste menée constamment par l’État, colonial puis indépendant. Dès 1909, un médecin avait envoyé au gouvernement un rapport où il s’alarmait du taux de mortalité très élevé dans ces écoles. Les mauvais traitements avaient continué, tout comme plus généralement l’oppression et la spoliation des tribus amérindiennes.
Les paroles attristées des autorités actuelles n’effaceront pas les crimes du passé.16
Sources