L'époque précolombienne
Des vagues successives des migrations de migrants Arawaks, venant du delta d'Orénoque en Amérique du Sud, colonisent les îles de la Caraïbe. Autour de 600 avant Jésus-Christ, les Taïnos arrivent sur l'île, déplaçant les habitants précédents. Les derniers migrants arawaks, les Caribes, commencent à investir les Petites Antilles vers 1100, et étaient en train d'attaquer les villages Taïnos sur la côte est lorsque les espagnols débarquent en 1492, marquant ainsi le point de départ d'une nouvelle phase historique.
Avant l'arrivée des Conquistadors, l'île, qui s'appelait à l'époque Quisqueya, était occupée par des tribus de pêcheurs et d'agriculteurs. Leur répartition géographique est aujourd'hui pratiquement impossible à déterminer du fait que ces tribus étaient très mobiles d'une part et qu'elles furent décimées très rapidement après l'arrivée des Européens, d'autre part. Très peu de preuves attestent encore de leur existence. On peut toutefois citer quatre grandes ethnies : les lucayos, les ciguayos, les tainos et les caraïbes.
L'arrivée des colons
Les Amérindiens accueillent Christophe Colomb comme s'il était un dieu lors de son premier voyage en 1492. Le découvreur baptise l'île « Hispaniola » (Île espagnole). Le système égalitaire des taïnos fait alors face à la société féodale européenne. Les Européens croient alors que les taïnos sont faibles et les traitent avec violence. Colomb tente de mitiger cela quand il quitte l'île avec ses hommes et laisse une première bonne impression.
Colomb conclut une alliance forte avec Guacanagarix, qui était un chef puissant de l'île. Après le naufrage de la Santa María la nuit de Noël, il décide de construire une petite forteresse qu'il appelle justement « La Nativité » avec une garnison d'hommes qui pourront l'aider à revendiquer cette possession. Malgré la richesse et la beauté de l'île, la garnison est secouée par des divisions qui débouchent sur un conflit entre les premiers Européens installés sur l'île. Certains d'entre eux commencent alors à terroriser les membres des tribus taïnos Ciguayo et Macorix jusq'à essayer de kidnapper leurs femmes.
Perçu comme faible par les Espagnols et même par certains membres de sa propre tribu, Guacanagarix tente d'arriver à un accord avec les colons. Le puissant cacique de Maguana, Caonabo, ne peut supporter ces affronts et attaquent les Européens en détruisant le fort « La Nativité ». Guacanagarix est consterné par le tour que prennent les événements mais ne fait rien probablement en espérant que ces étrangers ne reviendront pas.
En 1493, Colomb revient sur l'île lors de son second voyage et fonde la première colonie espagnole dans le Nouveau-Monde et la ville de La Isabela. En 1496, son frère Bartholomè Colomb fonde la ville de Saint Domingue sur la côte sud de l'île qui devient la nouvelle capitale qui reste aujourd'hui la plus ancienne ville européenne habitée de manière continue en Amérique.
Le massacre des taïnos
Durant cette période, le commandement espagnol change de mains plusieurs fois. Quand Colomb part pour une autre exploration, Francisco de Bobadilla devient gouverneur. Les accusations des colons contre Colomb au sujet de sa mauvaise gestion s'ajoutent à la situation politique tumultueuse. En 1502, Nicolás de Ovando remplace De Bobadilla à son poste de gouverneur avec le projet ambitieux d'élargir l'influence espagnole dans la région. Il traitera les taïnos encore plus mal que ses prédécesseurs. Un rebelle, Enriquillo, prend la tête d'un groupe qui avait fui en montagne et attaque les Espagnols à différentes occasions pendant quatorze ans entre 1519 et 1533. Finalement, les Espagnols lui offrent un traité de paix et une ville en 1534. La ville ne dure pas longtemps puisque quelques années plus tard, une rébellion d'esclaves la détruit et tue ses habitants.
Mais la colonisation devient alors très violente et réduit la population locale en esclavage. Ainsi, en cinquante ans, celle-ci est exterminée par les répressions, le travail forcé dans les mines, les plantations et surtout par les épidémies. Sur les 400 000 Tainos vivant initialement sur l'île, 60 000 seraient toujours en vie en 1508 et seulement quelques douzaines en 1535. La résistance désespérée des Taínos face aux Espagnols et à l'esclavagisme s'est également traduite par de nombreux suicides collectifs.
L'arrivée des esclaves africains
Comme la population locale ne suffit plus pour l'extraction minière et le travail dans les plantations, les Espagnols capturent dès 1503 les esclaves en Afrique. L'arrivée massive d'Africains aura une influence considérable sur la culture, la politique et la composition ethnique de l'île.
Les Noirs de même ethnie seront séparés. Cela permet à terme, de leur imposer la langue espagnole. De même, ils recevront des noms espagnols et seront convertis au christianisme. Ainsi donc la traite des Noirs sera un ethnocide où les Africains vont perdre leurs cultures et leurs origines. Leur seule identité sera désormais basée sur la couleur de leur peau (qui peut varier selon l'ethnie). Par la suite les colons britanniques, portugais et français allaient eux aussi importer des esclaves africains. Dans les mentalités européennes, les Noirs seront vus comme un tout, un peuple unique. Cette perception sera renforcée par les théories raciales qui seront mises en place pour légitimer cet esclavage.
La première révolte d'esclaves des Amériques sera en 1522 à Saint Domingue, lorsque des wolofs travaillant dans une plantation de canne à sucre se soulèvent contre l'amiral Don Diego Colon, le fils de Christophe Colomb. De nombreux insurgés parviennent à s'échapper et trouvent refuge dans les montagnes où ils forment des communautés marronnes indépendantes.
Au siècle suivant, les colons français occupent l'ouest de l'île que l'Espagne cède à la France en 1697 par le traité de Ryswick.
La révolution haïtienne
En 1791 débute la révolte des Esclaves de la partie française de l'île menée par Toussaint Louverture qui franchit la frontière pour s'installer dans la partie espagnole ce qui aboutira le 4 septembre 1793 à l'abolition de l'esclavage dans cette partie de l'île, un peu plus tôt que le 2 février 1794 dans toutes les colonies françaises. Les esclaves étaient cependant peu nombreux dans la partie espagnole, moins riche en plantation, et où il suffisait de verser 300 pesos, une somme modeste, pour être affranchi, ce qui entraîne de nombreux métissages.
Les familles riches fuient l'île tandis que la majorité des éleveurs de bétail ruraux restent là bien qu'ils aient perdu leur principal marché. L'Espagne voit alors dans l'agitation l'opportunité de profiter de tout ou d'une partie du tiers restant de l'île et conclut une alliance de convenance avec les anglais et les esclaves rebelles. Mais une fois que les esclaves concluent une paix avec les Français, les Espagnols sont battus par le général jacobin Toussaint Louverture et la France obtient le contrôle de toute l'île en 1795.
La domination française
Dans le cadre du Traité de Bâle signé le 22 juillet 1795, l'Espagne cède la partie est de l'île à la France (l'actuelle République dominicaine) ; Saint Domingue devient donc entièrement française, et la république confie à Toussaint Louverture le commandement dans les deux parties de l'île. Dans la partie ouest, alors la plus riche et la plus peuplée, les grands propriétaires français se sont alliés contre lui aux anglais, par le Traité de Whitehall. Toussaint Louverture réussit à faire la paix avec eux lors de l'Armistice du 30 mars 1798, puis signe avec eux et les américains la convention commerciale tripartite de 1799, qui a pour conséquence de relancer la piraterie des années 1800 dans la Caraïbe.
En 1801, Louverture arrive à Saint Domingue pour proclamer l'abolition de l'esclavage au nom de la République française. En janvier 1802, Napoléon Bonaparte envoie 20 000 hommes à Saint Domingue avec la volonté de rétablir l'esclavage. Cet épisode, connu sous le nom d'expédition de Saint-Domingue, aboutit à l'arrestation d'une partie des rebelles. Mais elle n'arrête pas le soulèvement qui devient une guerre d'indépendance entre octobre 1802 et novembre 1803 et qui se solde par la proclamation à Saint Domingue, le 1er janvier 1804 de la République indépendante d'Haïti. Même après la défaite, une petite garnison française reste sur place. L'esclavage est rétabli et beaucoup de colons espagnols reviennent.
Après la débâcle de l'expédition de Saint Domingue en décembre 1803, les espagnols, pour ménager Napoléon Bonaparte ont toléré une présence française sur les terres espagnoles, pour les gouverner, sous les ordres du général Jean-Louis Ferrand et du général François-Marie Perichou de Kerversau, par ailleurs préfet colonial de la Guadeloupe, dans la partie est de l'île, aujourd'hui République Dominicaine. Le général Jean-Louis Ferrand est confronté au départ massif des espagnols depuis 1795 et à l'abandon des élevages, principale activité de la partie espagnole. Il décide alors le lancement de grandes plantations sucrières avec des maîtres français, qu'il autorise à aller capturer des noirs dans la partie occidentale, ce qui déclenche une expédition punitive de Dessalines.
Le génocide de 1805
Fin février 1805, après s'être fait couronné empereur Jacques Ier d'Haïti, Jean-Jacques Dessalines avec ses troupes part dans deux directions : une partie vers le nord (Dajabón-Santiago-La Vega-Saint Domingue) commandée par Henri Christophe, et une autre vers le sud (Hinche-San Juan de Maguana (es)-Azua-Baní-Santo Domingo) commandée par Dessalines en personne. Sur la route sud, l'empereur haïtien se rend compte que les habitants de San Juan de Maguana (es) et de Baní ont évacué leur ville pour se protéger, aussi, il considère que la population autochtone ne mérite pas sa clémence. Le 6 mars, en s'approchant de la capitale, il ordonne d'incendier la ville de San Carlos en périphérie de Saint Domingue et de commencer le siège de la ville. Le 25 mars, Dessalines ordonne l'extermination totale de la population sous son contrôle. Ces populations sont alors déportées vers les grandes villes d'Haïti où elles sont tuées en place publique par écrasement (par des chevaux ou des bêtes de somme) et écartèlement.
Trois jours plus tard, arrivent à Saint Domingue trois frégates et deux brigantins français. Dessalines décide de replier ses troupes en Haïti. En avril 1805, Dessalines, Christophe et leurs troupes rasent entre autres Santiago, Moca, La Vega, Azua, San Juan de Maguana (es), Baní et massacrent les habitants qui n'ont pas fui dans la Cordillère centrale. Environ 10.000 personnes ont ainsi été tuées. Ces massacres ont assis la base de deux siècles d'animosité entre les deux pays.
Les Français occupent alors la partie orientale de l'île. Mais les meneurs d'une révolte populaire, Ciriaco Ramirez et Cristóbal Uber Franco, sont alors appuyés par le gouverneur de Porto Rico, le général Toribio Montes, face aux autorités créoles qui étaient au service de la France dans la région orientale. Le 17 septembre 1807, Juan Sánchez Ramírez profite de la présence d'un navire espagnol à Samaná pour écrire et demander de l'aide au gouverneur Montes. Les Français sont ensuite battus par les habitants hispanico-créoles, sous le commandement de Juan Sánchez Ramírez, à la bataille de Palo Hincado le 7 novembre 1808 et le siège de Saint Domingue est abandonné le 9 juillet 1809 avec l'aide de la Marine royale britannique.
Restauration de la colonie espagnole
La capitulation française a lieu à Saint-Domingue le 9 juillet 1809. Le pays se replace alors volontairement sous l'autorité de l'Espagne. La période entre 1809 et 1821 est connue comme celle de « La España Boba », littéralement de la stupide Espagne, puisque ce pays, se désintéressant d'une colonie aux ressources épuisées, n'y exerçait pratiquement aucun pouvoir.
Les grandes familles dont celle du futur propriétaire terrien et premier président dominicain, Pedro Santana, finissent par devenir les leaders du sud-est, la loi du plus fort devient la règle. L'ancien gouverneur et propriétaire José Núñez de Cáceres déclare l'indépendance de la colonie comme l'État de Haïti espagnol le 1er décembre 1821 en demandant son admission à la République de Grande Colombie. Neuf semaines plus tard, les forces haïtiennes dirigées par Jean-Pierre Boyer occupent le pays. Il entre à Saint Domingue le 9 février 1822 et réunifie alors l'ensemble de l'île.
L'occupation haïtienne
L'occupation militaire dure 22 ans, jusqu'à la chute de Boyer, elle est généralement vue comme une période de brutalité, bien que la réalité soit plus complexe. Les vingt-deux ans permettent l'expropriation de grands propriétaires fonciers et des réformes avortées pour exporter les produits agricoles, pour rendre obligatoire le service militaire, restreindre l'utilisation de l'espagnol et éliminer les coutumes traditionnelles telles que les combats de coqs.
Mais cela renforce finalement le sentiment national des dominicains qui se démarquent des Haïtiens par leur langue, leur culture, leur religion et leurs coutumes. Cette période permet également la fin de l'esclavage dans la partie orientale de l'île.
La constitution d'Haïti interdit l'accès à la propriété de terres aux blanc et les familles de propriétaires terriens sont expropriées par la force. La majorité d'entre eux partent pour les colonies espagnoles de Cuba et Porto Rico ou pour la Grande Colombie indépendante, généralement avec le soutien des fonctionnaires haïtiens qui sont devenus propriétaires de leurs terres.
Les tentatives de redistribution de la terre rentre en conflit avec le système de gestion des terres communales qui avait surgit avec l'économie agricole. Les nouveaux esclaves émancipés se voient obligés de produire, sous le Code rural de Boyer, à des fins commerciales. Dans les zones rurales, l'administration haïtienne était en général trop inefficace pour faire appliquer ses propres lois. À Saint Domingue, les effets de l'occupation se font sentir le plus et marque le départ du mouvement pour l'indépendance.
L'indépendance
En 1838, Juan Pablo Duarte fonde une société secrète appelée La Trinitaria (es) pour se libérer du joug haïtien. Avec ses futurs compagnons Matías Ramón Mella et Francisco del Rosario Sánchez, il parvient à donner son indépendance à la partie orientale de l'île. En 1843, ils s'associent avec un mouvement haïtien pour renverser Boyer. En raison de leur pensée révolutionnaire et leur lutte pour l'indépendance de la République dominicaine, le nouveau président d'Haïti, Charles Riviere-Hérard, envoie en exil et emprisonne les principaux membres de la Trinitaria.
Au même moment, Buenaventura Báez, un exportateur d'acajou et député à l'Assemblée nationale d'Haïti, négocie avec le consulat général de France l'établissement d'un protectorat français. Au cours d'une insurrection pour devancer Báez, les membres de La Trinitaria (es) déclarent le 27 février 1844, l'indépendance de la République dominicaine avec le soutien par les Pères de la Patrie, Ramón Matías Mella et Francisco del Rosario Sánchez, héros de la guerre d'indépendance, ainsi que Juan Pablo Duarte alors encore en exil. Mais les militaires conduits par le général Pedro Santana, après la prise de Saint Domingue prennent le pouvoir. Malgré les attaques incessantes de la part des Haïtiens, la République dominicaine est de nouveau indépendante.
Le régime dictatorial de Pedro Santana
La première constitution est adoptée le 6 novembre 1844. Le gouvernement sera dirigé par un président avec de nombreuses tendances libérales, mais l'article 210, imposé par la force à l'assemblée constitutionnelle par Pedro Santana, donnait à ce dernier les mêmes privilèges qu'à un dictateur tant que la guerre d'indépendance ne serait pas finie. Ils lui ont servi à gagner la guerre, mais également à persécuter, exécuter et conduire à l'exil de ses adversaires politiques, parmi lesquels Duarte était le plus important.
Durant la première décennie d'indépendance, Haïti tente à plusieurs reprises de reprendre la partie orientale de l'île : en 1844, 1845, 1849, 1853, et en 1855-1856. Bien que chaque tentative soit un échec, Santana utilise les menaces d'une invasion haïtienne pour justifier le renforcement de ses pouvoirs dictatoriaux. Pour l'élite dominicaine (majoritairement composée de propriétaires terriens, de commerçants et de prêtres), la menace d'une invasion par Haïti est suffisante pour solliciter l'annexion d'un pouvoir extérieur. Utilisant les eaux profondes du port de la baie de Samaná comme hameçon, des négociations sont menées durant les deux décennies suivantes avec le Royaume-Uni, la France, les États-Unis et l'Espagne pour déclarer un protectorat sur le pays.
L'annexion à l'Espagne
Ayant échoué dans ses tentatives d'annexer le pays par les États-Unis ou la France, Santana entame des négociations avec la reine Isabelle II d'Espagne et le capitaine général de Cuba pour que l'île redevienne une colonie espagnole. La Guerre civile américaine empêche le pays de faire valoir la doctrine Monroe. En Espagne, le premier ministre Leopoldo O'Donnell soutient une nouvelle expansion coloniale en menant une campagne dans le nord du Maroc et en prenant la ville de Tétouan. En mars 1861, à la demande de Santana, l'Espagne annexe officiellement la République dominicaine.
La guerre de Restauration
Ce rattachement est contesté et le 16 août 1863, la guerre de Restauration éclate et les rebelles établissent un gouvernement provisoire. Les troupes espagnoles reprennent Saint Domingue mais les rebelles fuient vers les montagnes dans la zone frontière mal définie avec Haïti. Le président haïtien, Fabre Geffrard, leur offre l'asile et des armes et envoie un détachement de ses gardes présidentiels (les tirailleurs) pour se battre à leurs côtés.
La guerre se conclue en 1865 par la victoire des Dominicains et le retrait définitif du Royaume d'Espagne.1
Impérialisme et dictature
« La République dominicaine est secouée par des révoltes et des coups d'État, et les États-Unis interviennent à plusieurs reprises à la fin du XIXe siècle pour assurer le paiement des dettes. De 1916 à 1924, les Américains occupent même le pays. Pendant cette période, les États-Unis procèdent à une remise en ordre, à leur profit, de l'économie et mettent aussi sur pied une Garde nationale, dont ils confient le commandement à un jeune officier, Rafael Leónidas Trujillo y Molina. À partir de 1930, celui-ci impose son pouvoir absolu sur l'État, pouvoir fondé sur la terreur, une répression très dure et un culte effréné de la personnalité. L'île devient son domaine privé, et il contrôle toute la vie économique. »2
Le 2 octobre 1937, Trujillo ordonne le massacre des Haïtiens, connu sous le nom de Massacre du Persil, à l'ouest de la République dominicaine. De 15 000 à 30 000 Haïtiens travaillant dans les champs de cannes sont tués, pour beaucoup d'entre eux à la machette. La frontière entre Haïti et la République dominicaine est fermée et un filtrage des Haïtiens est instauré. Le régime tente de justifier cette atrocité arguant du prétexte de la peur des infiltrations, mais en réalité Trujillo croit que le gouvernement haïtien de Sténio Vincent coopère avec des Dominicains en exil pour le renverser. Après des pressions des États-Unis, Trujillo accepte d'indemniser Haïti.
En 1938, lors de la conférence d'Évian Trujillo propose aux Juifs fuyant les persécutions nazies de se réfugier en République dominicaine, il se déclare près à accueillir 100 000 d'entre eux. Entre 1940 et 1945, 5 000 visas dominicains furent émis à destination des Juifs persécutés, mais seul 645 d'entre eux vinrent réellement en République dominicaine. Trujillo les installa dans la ville de Sosúa avec le soutien financier du Joint. Trujillo cherchait vraisemblablement à effacer l'image du Massacre du Persil dans l'opinion américaine et aussi à "blanchir" la race dominicaine.3
Le pillage de l'économie nationale
Trujillo et sa famille établissent un quasi-monopole sur l'économie nationale. Au moment de sa mort, il détient une fortune d'environ 800 millions de dollars, sa famille et lui possèdent environ 50 à 60 % des terres cultivables (environ 700.000 hectares) et ses entreprises représentent 80 % de l'activité commerciale de la capitale. Il exploite le sentiment nationaliste pour acheter la majorité des plantations de canne à sucre du pays et les raffineries des corporations américaines, il dirige un monopole dans le commerce du sel, du riz, du lait, du ciment, du tabac, du café et des assurances. Il s'approprie deux grandes banques, différents hôtels, des installations portuaires, la compagnie aérienne et une compagnie de transport maritime. Il baisse de 10 % le salaire de tous les employés du secteur public (prétendument en faveur de son parti) et il reçoit une partie des revenus de la prostitution.
La Seconde guerre mondiale augmente les exportations dominicaines engendrant un essor économique et une expansion des infrastructures nationales dans les années 1940 et jusqu'au début des années 1950. Durant cette période, la capitale devient un centre administratif pour le centre national de transport maritime et l'industrie mais les nouvelles routes mènent comme par hasard aux plantations et aux usines de Trujillo et les nouveaux ports bénéficient aux exportations provenant des entreprises de Trujillo.
La mauvaise administration et la corruption donnent lieu à de grands problèmes économiques. À la fin des années 1950, l'économie se détériore en raison d'une combinaison de dépenses excessives pour un festival célébrant le 25e anniversaire du régime, pour l'achat de moulins à sucre et des centrales électriques privées, et une décision d'investir dans la production de sucre d'État qui se révèle être un échec.
L'assassinat de Trujillo et la fin du régime
En août 1960, l'Organisation des États américains (OEA) impose à Trujillo des sanctions diplomatiques pour sa complicité dans la tentative d'assassinat du président vénézuélien Rómulo Betancourt.
De crainte que le pays puisse s'unir contre Trujillo et le remplacer par un communiste, la CIA aide un groupe de dissidents dominicains à assassiner Trujillo sur le chemin de sa maison de campagne près de San Cristóbal le 30 mai 1961.
Les sanctions se maintiennent après la mort de Trujillo. Son fils, Ramfis Trujillo (es), prend le pouvoir de facto mais est renversé par ses deux oncles après une dispute au sujet de la possible libéralisation du régime. En novembre 1961, la famille Trujillo, forcée à l'exil, se retire en France. Celui qui était jusque là un président fantoche, Joaquín Balaguer Ricardo, prend finalement le pouvoir.
En janvier 1962, un Conseil d'État composé de membres modérés de l'opposition est créé avec des pouvoirs législatifs et exécutifs séparés. Les sanctions de l'OEA sont levées le 4 janvier, et après la démission du président Joaquín Balaguer Ricardo le 16 janvier, Rafael Bonnelly prend la tête du gouvernement dominicain. En 1963, Juan Bosch est proclamé président, mais un coup d'État militaire le renversera en septembre de cette même année.
Le difficile chemin vers la démocratie
Après le coup d'État, un triumvirat prend le pouvoir et la dictature réapparaît le 24 avril 1965 mais la croissante insatisfaction engendre une nouvelle rébellion militaire le 24 avril 1965 demandant le retour de Bosch. Les insurgés, officiers réformistes, civils et combattants fidèle à Bosch sous le commandement du colonel Francisco Alberto Caamaño (es), et qui se font appeler les « constitutionnalistes » mènent un coup d'État en prenant le Palais national. Immédiatement après, les forces militaires conservatrices du colonel Elías Wessin y Wessin (es), qui se font appeler les « loyalistes », répondent par des attaques des chars et des bombardements aériens contre Saint Domingue.
La seconde occupation américaine
Le 28 avril 1965, par suite de la crainte de voir le pays tomber sous contrôle communiste, les militaires américains interviennent officiellement pour protéger les ressortissants étrangers et les évacuer. Lors de ce qu'on appelle l'Opération Power Pack, 23.000 marines américains sont envoyés en République dominicaine. L'armée des États-Unis reste sur le territoire jusqu'en septembre 1966 et passe le relais à la Force interaméricaine de paix (es), une force d'Amérique Latine conduite par le Brésil qui sera démantelée en 1967.
Refusant la victoire militaire, les rebelles constitutionnalistes forment rapidement un Congrès constitutionnaliste qui élit Francisco Alberto Caamaño (es) président du pays. Les fonctionnaires américains s'y opposent et soutiennent le général Antonio Imbert Barrera (es).
Les affrontements continuent jusqu'à la déclaration d'une trêve le 31 août 1965. La majorité des troupes américaines partent peu après et ensuite, la surveillance et les opérations de paix sont confiées aux troupes brésiliennes mais les dernières troupes américaines restent dans le pays jusqu'en septembre 1966. Au final, 44 soldats américains sont morts dont 27 en action, 172 sont blessés. On estime qu'entre 6.000 et 10.000 Dominicains sont morts, la majorité d'entre eux sont des civils.
Face aux menaces et aux attaques en cours, ce qui inclut une attaque particulièrement violente à l'Hôtel Matum de Santiago de los Caballeros, Caamaño accepte un accord imposé par les États-Unis. Le président provisoire dominicain, Héctor García Godoy (es), envoie le colonel Caamaño comme attaché militaire à l'ambassade dominicaine au Royaume-Uni.
Le gouvernement de Joaquim Balaguer (1966-1978)
En juillet 1966, le président Balaguer, chef du Parti Réformiste (qui s'appelle de nos jours Parti réformiste social chrétien (PRSC), est élu en mai 1970 et en mai 1974. Les deux fois, la plupart des partis de l'opposition doivent retirer leurs candidatures à cause des pressions et de la violence des militants pro-gouvernementaux.
Le 28 novembre 1966, une nouvelle constitution est promulguée. Celle-ci stipule que le président est élu pour un mandat de quatre ans.
Balaguer mène des réformes économiques visant à ouvrir le pays aux investisseurs étrangers tout en protégeant les industries d'état et certains intérêts privés. Ce modèle de développement économique ambigu produit des résultats mitigés. Le taux de croissance reste soutenu au cours des neuf ans de pouvoir de Balaguer (taux de croissance annuel moyen de 9,4 % entre 1970 et 1975). Les investissements étrangers (principalement américains) ainsi que l'aide étrangère se développent alors que les devises tirées des exportations de sucre atteignent un niveau élevé grâce au cours élevé de cette denrée sur le marché international.
Cependant ces bonnes performances macroéconomiques ne s'accompagnent pas d'une distribution équitable des richesses créées. Alors qu'un groupe de nouveaux millionnaires fleurit durant le gouvernement de Balaguer, les pauvres deviennent toujours plus pauvres. De plus, ces pauvres sont la cibles de la répression de l'État. Leur revendications socioéconomiques sont étiquetées comme communistes et traitées comme telles par l'appareil répressif de l'État.
L'intermède de Guzmán et de Blanco (1978-1986)
Aux élections de mai 1978, Balaguer est défait par Antonio Guzmán du Parti révolutionnaire dominicain (PRD). Balaguer ordonne à l'armée de détruire les urnes et se déclare lui-même vainqueur. Le président américain, Jimmy Carter refuse de reconnaître la prétendue victoire de Balaguer. Face au manque de soutien venant de l'extérieur, Balaguer reconnaît sa défaite. Antonio Guzmán prend le pouvoir le 16 août 1978, c'est la première fois qu'une transition politique d'un président élu se déroule de manière pacifique.
À la fin des années 1970, la croissance économique ralentit considérablement au fur et à mesure que le prix du sucre baisse et que le prix du pétrole augmente. L'augmentation de l'inflation et du chômage entraîne une vague d'émigration massive de la République dominicaine vers New York.
Le candidat du PRD à la présidence, Salvador Jorge Blanco, gagne les élections de 1982 face à Balaguer et à Bosch, et le PRD a obtenu une majorité dans les deux assemblées du congrès. Afin de relancer l'économie, le gouvernement met en place des mesures drastiques d'austérité recommandées par le Fonds monétaire international (FMI). En avril 1984, les prix des produits de première nécessité étant en hausse, les émeutes se sont multipliées et auraient entraîné la mort de centaines de personnes par le biais des forces de l'ordre. Ce contexte socio-économique difficile prépare le retour de Balaguer aux élections de 1986.
La troisième présidence de Balaguer (1986-1996)
Balaguer retourne au palais présidentiel avec ses victoire en 1986 et 1990. Les élections de 1990 sont marquées par la violence et le soupçon de fraude électorale. Il en est de même pour les élections de 1994 qui sont caractérisées par une violence générale destinée à intimider les membres de l'opposition. Balaguer gagne à nouveau en 1994 mais la majorité des observateurs considèrent que les élections ont été truquées. Les opposants réclament une réforme constitutionnelle et électorale. Sous la pression des États-Unis, Balaguer accepte d'organiser des nouvelles élections pour 1996 auxquelles il ne participe pas.
Afin de relancer l'économie, il a initié une série de grands travaux publics. Néanmoins en 1988, le pays glisse dans une dépression économique caractérisée par l'inflation et la dévaluation de la monnaie. Les difficultés économiques, couplées aux problèmes d'accès aux services élémentaires (électricité, eau, transports) ont suscité un mécontentement populaire qui est la cause de manifestations, parfois de violences, mais surtout d'une grève générale qui paralyse le pays en juin 1989.
En 1990, Balaguer instaure le second plan de réformes économiques. Après avoir signé un accord avec le FMI, équilibrant le budget et diminuant l'inflation, la République dominicaine connaît une période de croissance économique marquée par une inflation modérée, un certain équilibre entre importation et exportation, ainsi qu'un PIB en constante hausse.
La première présidence de Leonel Fernández (1996-2000)
En juin 1996, Leonel Fernández est élu président pour un mandat de quatre ans, désormais la durée officielle du mandat. Il gagne avec plus de 51% des votes au nom du parti de Juan Bosch, le Parti de la libération dominicaine (PLD) et par une alliance avec Balaguer. Le premier acte important de Fernández est la vente de quelques entreprises publiques. On vante les mérites du nouveau président pour avoir mis fin à des décennies d'isolement et pour avoir amélioré les relations avec d'autres pays des Caraïbes. En revanche, il est critiqué pour ne pas lutter contre la corruption et pour ne pas soulager la pauvreté qui touche 60 % de la population.
La présidence de Hipólito Mejía Domínguez (2000-2004)
En mai 2000 Hipólito Mejía Domínguez est élu président au nom du parti de centre-gauche, le Parti révolutionnaire dominicain. Il est élu dans le cadre d'un mécontentement populaire à cause des coupures d'électricité et la privatisation récente du secteur.
Durant la présidence de Mejía Domínguez, l'inflation augmente de manière significative et le peso dominicain voit sa valeur fluctuer de manière importante. La valeur du peso passe de un dollar américain pour seize pesos à un dollar pour soixante pesos. Au moment où il quitte la présidence, un dollar s'échange pour quarante-deux pesos.
La République dominicaine participe à la coalition américaine en Irak en rentrant dans la Brigade hispano-américaine dirigée par l'Espagne durant la Guerre en Irak. Toutefois, le pays retire ses 300 hommes en 2004.4
L’ajustement au bout du fusil
En 2004, l’île caribéenne de la Hispaniola bouillonne. Alors que la république haïtienne célèbre le bicentenaire de son indépendance au beau milieu d’une très profonde crise politique, les secteurs populaires de la République dominicaine se mobilisent contre les politiques ’fondomonétaristes’ de leur président, de plus en plus contesté.
Peu de gens le savent ou s’en souviennent, mais c’est en République dominicaine, en avril 1984, qu’eut lieu l’un des premiers soulèvements anti-Fonds monétaire international (FMI). Deux ans après la signature d’un accord entre le gouvernement Blanco et l’institution financière, les classes populaires, devant l’aggravation de la situation sociale, s’étaient rebellées. Une rébellion réprimée dans le sang. Plus d’une centaine de personnes y avaient perdu la vie.
Un tel rappel historique ne tient pas seulement de l’anecdote, mais doit servir à garder en mémoire une des manières par lesquelles les ajustements structurels sont imposés contre la volonté populaire aux pays du Sud. Un tel rappel est d’autant plus d’actualité que la République dominicaine a connu deux jours de grève générale, les 28 et 29 janvier 2004, massivement suivie et accompagnée de manifestations fortement réprimées, épisodes de plus d'une grave crise que traverse le pays.
L’origine de la crise
Selon Pedro Franco, « les organismes multilatéraux et les diverses agences et institutions liées à l’application de politiques néo-libérales ont tenu durant plusieurs années le discours selon lequel la République dominicaine possédait un bas taux d’endettement externe, une grande stabilité économique, (...) ce pourquoi ils lui conseillèrent non seulement l’endettement extérieur, la suppression des barrières douanières pour donner le champs libre aux accords de libre échange et (...) la privatisation du grand patrimoine d’entreprises publiques (...) » (Alai, 29-01-04). Les gouvernements successifs ont fidèlement appliqué les recommandations des bailleurs de fonds internationaux faisant plonger des milliers de Dominicains dans la misère.
L’époque où les indicateurs économiques faisaient de la République dominicaine un des pays les plus stables économiquement parlant des Amériques est révolue. Durant les années 90, le pays a bénéficié d’un haut taux de croissance économique, avec une progression moyenne du Produit intérieur brut (PIB) de 6%. Le secteur touristique et les zones franches industrielles y contribuant largement. En 2003, le PIB a chuté de 1,3 %. L’inflation a grimpé drastiquement à plus de 40 % - la plus élevée d’Amérique latine. La hausse démesurée des prix et la dévaluation accélérée du peso dominicain explique en grande partie le succès de la grève générale, la seconde en trois mois, et l’appui dont elle a bénéficié dans toutes les classes sociales.
Point d’orgue de la crise que traverse le pays : le 13 mai 2003, le gouverneur de la Banque centrale révélait aux pays le contenu d’un rapport élaboré par des représentants du FMI, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Banque mondiale avalant la commission d’une fraude spectaculaire de la Banque Internationale (BANINTER). « La crise bancaire qui éclata au cours du second trimestre provoqua une forte vague d’incertitude et de méfiance, une croissante dollarisation et une fuite de capitaux considérable. » (CEPAL, ibid). Pour contenir la détérioration du système financier et sauver les banque touchées par la crise, les pouvoirs publics injectèrent d’énormes ressources, d’où l’augmentation de la dette publique. Elle représentait 20,9 % du PIB en 2002 et est passée à 47,9 en 2003 (CEPAL, ibid).
Autre constante de la politique gouvernementale de ces dernières années : la privatisation du patrimoine public. « En quelques années, l’État est parvenu à vendre l’essentiel de ses sociétés (...) tout en doublant, en deux ans, la dette externe du pays. » (Le Courrier, 22-08-03). Des privatisations aux conséquences bien connues : licenciements, abandon des infrastructures et des programmes sociaux. « Aujourd’hui, le gaz est devenu un produit de luxe, l’eau et surtout l’électricité font le plus souvent défaut. Depuis la privatisation de l’électricité en 1998, les hausses de prix du courant et les apagones (coupures) sont devenus la hantise des habitants, ceux-ci pouvant être privés d’électricité durant plus de dix heures ». (Le Courrier, 22-08-03) Le pays a d’ailleurs connu de nombreuses manifestations anti-apagones. En 2002, quelques 50 personnes avaient été tuées dans de telles protestations.
Pour un moratoire sur la dette
« Cette période difficile arrive à son terme, car dans les prochains jours, nous commencerons à recevoir les crédits en dollars de l’assistance financière provenant des accords avec le FMI », affirmait, durant le conflit, le président de la République Hipólito Mejía. (http://www.elcaribe.com.do/)
En effet, le 29 août 2003 le FMI approuvait un stand by agreement avec les autorités dominicaines de 600 millions de dollars « pour soutenir le programme économique du pays », avec à la clé la recette habituelle concoctée à Washington : augmentation du surplus fiscal primaire, réforme du système des impôts, vente du patrimoine public, etc. Les propos rassurants du Président sur les bienfaits de l’assistance financière du Fonds étaient vains. Cet accord est contesté par les organisations populaires depuis sa signature et son rejet faisait partie des revendications principales des grévistes qui exigent également un moratoire sur le remboursement de la dette extérieure.
La seule réponse du gouvernement pour tenter d’imposer ses contre-réformes a été la répression. À la suite de cette grève, on dénombre 8 victimes et plus de 400 arrestations, dont celles de dirigeants populaires comme Ramon Almanzar, leader de la coalition Unité du Peuple, regroupant 11 organisations de gauche et candidat aux prochaines élections présidentielles. Pour justifier une telle répression, Pedro Franco Badia, secrétaire d’État aux Affaires intérieures, s’est fendu d’une déclaration des plus culottées : « Nous essayons d’éviter un attentat contre ces dirigeants populaires ». Les défenseurs du Consensus de Washington ne savent décidément plus quoi inventer pour justifier par tous les moyens l’imposition de politiques contestées massivement dans toutes les Amériques.5
La deuxième présidence de Leonel Fernández (2004-2012)
En mai 2004, Leonel Fernández est ré-investi président, le transfert de pouvoir a lieu le 16 août 2004.
Le président met en place des mesures d'austérité pour faire baisser l'inflation et sortir le pays de la crise économique. Au premier semestre de 2006, la croissance économique est de 11,7 % et la valeur du peso dominicain descend à 28 pesos pour un dollar mais cela ne dure pas et le peso se stabilise à 34 peso pour un dollar.
Son gouvernement est caractérisé par la construction de grands ouvrages publics et les réformes institutionnelles mais aussi par l'augmentation de l'insécurité, les cas de narcotrafic, la corruption administrative et le clientélisme politique.
La présidence de Danilo Medina (2012-)
Fernández est remplacé lors des élections présidentielles de 2012 par un membre de son propre parti, Danilo Medina. Mejía, principal participant du Parti révolutionnaire dominicain, a été battu dès le premier tour par Medina.6
République dominicaine : Un panorama politique
Le Nouvelliste publie ci-après un texte de Jean Michel Caroit, journaliste français installé en République dominicaine et correspondant du Journal Le Monde. Ce texte est une présentation faite le 11 octobre 2012 devant le CERI à Sciences-Po à Paris. Si certaines informations ont évolué depuis et d'autres démenti, la pertinence du texte demeure pour bien comprendre la politique en République dominicaine.
Permettez moi de vous faire part d’une série d’observations sur les développements récents en ma qualité de correspondant de presse basé en République dominicaine.
Dans un article publié le mois dernier, l’intellectuel dominicain Andrés L. Mateo qualifie l’ex-président Leonel Fernandez de prince du simulacre. « Leonel Fernandez, écrit le romancier et essayiste, a multiplié par trois la dette en huit ans, il a maintenu des emplois fictifs au profit de plus de 18.000 militants de son parti de la libération dominicaine, il a laissé la corruption prospérer comme élément de cohésion autour de son leadership, il a dépensé des millions de dollars en voyages pour alimenter son ego et pourtant il s’est construit l’image d’un leader mondial », dénonce Andrés L. Mateo, prix national de littérature en 2004.
Sans nul doute, Leonel Fernandez a séduit la grande majorité de ses interlocuteurs sur la scène internationale. Ses propos raisonnés, son ton professoral, ont rassuré ses pairs et les investisseurs étrangers à qui il se présentait comme le garant d’une forte croissance accompagnée d’une impeccable stabilité macroéconomique.
De fait, la croissance de l’économie dominicaine est restée l’une des plus fortes d’Amérique latine et des Caraïbes au cours des vingt dernières années. Malgré la crise internationale, elle a atteint 4,5% en 2011 et ne sera que légèrement inférieure cette année.
Mais cette forte croissance n’a pas permis de faire reculer la pauvreté. Derrière les plages bordées de cocotiers qui attirent plus de 4 millions de touristes par an, plus de 40 % de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté.
Les taux de mortalité infantile et d’exclusion scolaire sont parmi les plus élevés de la région. Les inégalités se sont creusées entre les masses appauvries des campagnes et des bidonvilles et la caste liée au pouvoir qui exhibe des richesses souvent mal acquises.
Quant à la fameuse stabilité macroéconomique, le mythe a volé en éclats depuis que Leonel Fernandez a quitté le palais présidentiel, le 16 août 2013. Son successeur Danilo Medina, qui appartient au même parti que Leonel Fernandez, a reconnu qu’il héritait d’une situation économique très délicate.
Les membres de son équipe économique, les mêmes que sous Leonel Fernandez, ont admis que le déficit public consolidé avait explosé, atteignant 8 % du produit intérieur brut. Les coupures de courant, moins fréquentes durant la campagne électorale, se sont à nouveau intensifiées. Face au déséquilibre des finances publiques, Danilo Medina a fait appel au Fonds monétaire international.
Une mission du FMI s’est rendue à Saint-Domingue en septembre et n’a pu que constater la gravité de la situation en raison de l’ampleur du déficit fiscal et des pertes du secteur électrique, supérieures à 100 millions de dollars par mois. L’éventuelle signature d’un accord avec le FMI, qui permettrait d’obtenir de nouveaux crédits, a été reportée à l’année prochaine et devrait être accompagnée de strictes conditions.
En attendant, Danilo Medina a annoncé un pacte fiscal, euphémisme désignant une forte hausse des impôts, notamment de l’ITBIS, la TVA locale. Elle devrait augmenter de deux points, de 16 à 18% et être étendue à des produits de consommation courante jusqu’ici exemptés.
Ces mesures sont mal accueillies tant par les milieux d’affaires que par la population. Alors que la République dominicaine est championne du monde de la corruption et de la mauvaise gestion des deniers publics, selon le dernier classement du Forum économique mondial de Davos, ils exigent le châtiment des corrompus du gouvernement précédent ainsi qu’une réduction et une rationalisation de la dépense publique avant d’être mis à contribution.
Les organisations populaires regroupées au sein du Forum social alternatif ont exigé que l’ex président Leonel Fernandez soit traduit en justice pour sa responsabilité dans l’explosion du déficit fiscal. « Les coupables doivent payer les pots cassés, le peuple n’a pas à payer de nouveaux impôts », a lancé Victor Geronimo, porte parole du Forum social alternatif. Il a annoncé des manifestations et des grèves.
Déjà, au cours des dernières semaines, des mouvements de protestation ont eu lieu contre les coupures de courant, de plus en plus longues et fréquentes. Elles provoquent d’importantes pertes de produits frais dans les colmados, les petites épiceries de quartier. Elles paralysent les petites entreprises qui n’ont pas de groupe électrogène et suscitent le mécontentement de la population qui ne peut utiliser de ventilateurs ni de climatiseurs en ces périodes de forte chaleur.
Comment en est-on arrivé là et pourquoi le parti de la libération dominicaine, le PLD, le parti au pouvoir, a-t-il gagné une troisième élection présidentielle consécutive ? Selon Participacion ciudadana, la principale organisation de la société civile, je cite « la dépense publique démesurée et irresponsable à des fins purement électorales a provoqué le plus important déficit fiscal de l’histoire dominicaine » fin de citation.
En d’autres termes, le parti au pouvoir a sacrifié la stabilité macroéconomique pour acheter les élections grâce aux vieilles pratiques clientélistes. On ne peut résoudre le problème sans sanctionner ceux qui l’ont créé, ajoute Participacion ciudadana.
Durant plusieurs mois, Leonel Fernandez a semblé tenté par une nouvelle candidature consécutive, pourtant interdite par la Constitution. Lorsqu’il y a finalement renoncé, sous la pression d’influents secteurs dominicains et de Washington, il a imposé son épouse, Margarita Cedeno, comme candidate à la vice-présidence. Grâce à l’important budget de son bureau de la première dame, Margarita Cedeno s’est construit une popularité fondée sur l’assistanat aux plus pauvres. Après l’élection, elle a demandé, et obtenu du président Danilo Medina, de coordonner l’ensemble des programmes sociaux. Une manière de préparer l’avenir.
« La campagne électorale n’a pas été équitable », soulignait Francisco Alvarez, responsable de Participacion ciudadana peu avant le scrutin. Cette organisation a dénoncé j’ouvre les guillemets « la participation active et permanente du président de la République dans la campagne, accompagné de hauts fonctionnaires, avec du personnel, des véhicules et du carburant payés par l’État » fin de citation. Des institutions publiques ont multiplié les distributions d’aliments et d’appareils électroménagers lors de meetings du candidat Medina.
La Fondation Justicia y transparencia (justice et transparence) s’est également inquiétée « des dépenses sans précédent de cette interminable campagne ». Elle a calculé qu’au cours des quatre derniers mois de campagne, les partis politiques ont dépensé au moins 4 milliards 500 millions de pesos (90 millions d’euros), une somme considérable dans ce pays de 10 millions d’habitants.
74,7 % du total ont été dépensés par le PLD, le parti au pouvoir, 25,2 % par le Parti révolutionnaire dominicain, PRD, principale formation de l’opposition et 0,1 % par les quatre candidats « alternatifs ».
Selon l’économiste Bernardo Vega, l’explosion des dépenses publiques au cours des huit premiers mois de 2012 s’explique aussi par la volonté de Leonel Fernandez de préparer sa propre réélection en 2016.
Cet ancien gouverneur de la banque centrale et ex ambassadeur à Washington observe que le déficit entre mai, le mois de l’élection, et août, le mois de la passation de pouvoirs, celui qu’il appelle le déficit de la réélection, a été supérieur au déficit de janvier à mai, celui qui a favorisé l’élection de Danilo Medina.
Au cours des huit premiers mois de l’année, les dépenses en travaux publics, l’une des principales sources de corruption, ont augmenté de 134% par rapport à la même période de 2011. Leonel Fernandez a passé ses derniers mois de mandat à inaugurer des bouts de route, des projets et des édifices, parfois inachevés, pour tenter de faire remonter sa cote de popularité.
La nouvelle victoire du PLD, s’explique aussi par les divisions et la faiblesse de l’opposition. Le PRD, principale formation de l’opposition et membre de l’internationale socialiste, est divisé en deux factions.
Cette division a été habilement entretenue par Leonel Fernandez qui a appuyé en sous main Miguel Vargas, le président du PRD. Miguel Vargas, qui a été impliqué dans plusieurs affaires de corruption, n’a rien fait pour favoriser l’élection du candidat de son parti à l’élection présidentielle, Hipolito Mejia.
Président entre 2000 et 2004, Hipolito Mejia est resté populaire parmi les militants de base. Mais il s’est heurté au rejet des classes moyennes et supérieures qui n’ont pas oublié la corruption et la fin désastreuse de son mandat après la faillite frauduleuse de trois grandes banques en 2003.
Personnage atypique, il s’est fait connaître par son langage fleuri, parfois vulgaire et n’a pas voulu écarter de son entourage plusieurs personnages peu fréquentables.
Quant au parti réformiste social chrétien, la formation conservatrice fondée par l’ancien caudillo Joaquin Balaguer, il a été en grande partie phagocyté par le PLD. Une bonne partie de ses cadres, dont son dirigeant Carlos Morales Troncoso, ont rallié Leonel Fernandez qui leur a distribué des portefeuilles et des sinécures. Danilo Medina a conservé la quasi totalité de ces ministres réformistes.
La sale campagne menée contre Hipolito Mejia par la Force nationale progressiste, un petit parti d’extrême droite allié du PLD, a sans nul doute joué un rôle dans la victoire de Danilo Medina. Fondé par l’avocat Vinicio, Vincho, Castillo, un des plus proches conseillers de Leonel Fernandez, ce petit parti a fait de la lutte contre l’immigration haïtienne son principal cheval de bataille.
Un autre élément a favorisé la victoire du parti au pouvoir : le contrôle de la grande majorité des médias, l’achat massif d’espace, dans la presse, les radios et les chaînes de télévision, ainsi que la rémunération de centaines de journalistes pour chanter les louanges de Leonel Fernandez et de son successeur.
L’achat de documents d’identité pour empêcher les sympathisants de l’opposition de voter a été la principale irrégularité dénoncée par le PRD. Cette pratique a provoqué plusieurs incidents violents qui ont fait au moins cinq blessés par balles durant la journée électorale.
La mission d’observation de l’Organisation des Etats américains (OEA) a déploré ces irrégularités ainsi que « la forte ingérence » du président de la république sortant dans le processus électoral. Elle a néanmoins ratifié les résultats officiels proclamant la victoire de Danilo Medina avec 51 % des suffrages.
C’est à force de persévérance que Danilo Medina a fini par accéder à la présidence de la République dominicaine. Né il y a 60 ans dans une famille modeste dans la bourgade d’Arroyo Cano proche de San Juan de la Maguana, au sud-ouest de la République dominicaine, il a rejoint le PLD dès sa fondation, en 1973, par l’ancien président Juan Bosch. Après des études de chimie et d’économie, il s’est consacré à ce parti qui a évolué du marxisme au centre-droit après la mort de son fondateur.
Député en 1986, deux fois réélu, Danilo Medina a joué un rôle décisif, comme directeur de campagne, dans la victoire de Leonel Fernandez à l’élection présidentielle de 1996. Candidat à son tour en 2000, Danilo Medina a été battu par Hipolito Mejia. En 2004, il a de nouveau dirigé la campagne de Leonel Fernandez, qui a remporté un deuxième mandat.
En dépit d’un pacte entre les deux hommes, Leonel Fernandez a refusé de lui céder la place en 2008 et les relations entre les deux hommes sont devenues glaciales jusqu’à la dernière campagne présidentielle. Après la nomination de son épouse Margarita Cedeno comme candidate à la vice présidence, Leonel Fernandez a activement fait campagne en faveur de Danilo Medina.
Danilo Medina s’est engagé à « continuer ce qui est bien, corriger ce qui est mal et faire ce qui n’a jamais été fait ». Signaux contradictoires : il a promis d’importants changements dans son discours inaugural peu avant d’annoncer un gouvernement dont plus de la moitié des membres appartenait à celui de Leonel Fernandez.
Dès son arrivée au palais présidentiel, Danilo Medina a affiché un style plus modeste et austère que son prédécesseur. À la différence de Leonel Fernandez toujours entouré d’une nuée de militaires et de gardes du corps, il se fait accompagner d’une escorte discrète.
Il a promis de consacrer 4 % du produit intérieur brut à l’éducation. Cette obligation constitutionnelle n’a pas été respectée par l’ex-président Fernandez malgré une forte mobilisation de la jeunesse. Le système éducatif dominicain est l’un des plus déficients d’Amérique latine.
Danilo Medina a promis de résoudre la sempiternelle crise électrique d’ici la fin de son mandat. Faite à de nombreuses reprises par Leonel Fernandez durant ses trois mandats présidentiels, cette promesse n’a jamais été tenue. Le service électrique dominicain demeure l’un des plus coûteux et des plus déficients de la région et constitue l’un des principaux obstacles à la compétitivité des entreprises.
Le nouveau président a annoncé des mesures contre la criminalité qui a fortement progressé en liaison avec le rôle croissant de la République dominicaine comme plaque tournante du trafic de cocaïne en provenance d’Amérique du sud et à destination de l’Europe et des États-Unis.
Il a promis une revalorisation du traitement des policiers, dont le salaire de base n’est que de 5.500 pesos, soit 115 euros par mois, alors que certains hauts fonctionnaires dominicains sont parmi les mieux payés du monde.
Le nombre de militaires et de policiers impliqués dans la criminalité et les trafics n’a cessé d’augmenter. Le nombre alarmant d’exécutions extrajudiciaires, 289 l’an dernier, dans ce pays où la peine de mort est théoriquement abolie, n’a pas enrayé l’explosion de la délinquance.
Pour dynamiser la croissance, le président Medina mise sur le tourisme. Son objectif est de faire passer le nombre de visiteurs étrangers de 4 millions l’an dernier à 10 millions dans dix ans. Il compte aussi sur le marché de la république voisine d’Haïti, deuxième destination des exportations dominicaines. Il a proposé la signature d’un accord de libre échange à son homologue haïtien Michel Martelly, présent à sa prestation de serment.
La relation avec Haïti, qui partage l’île d’Hispaniola avec la République dominicaine, est l’un des principaux enjeux de la politique extérieure. Historiquement complexe, cette relation a souvent été conflictuelle. Je m’en tiendrai ici à son évolution depuis le terrible séisme du 12 janvier 2010, qui a dévasté Port-au-Prince et tué plus de 250.000 personnes en Haïti. Le président Fernandez et la population dominicaine ont été les premiers à se porter massivement au secours de leurs voisins haïtiens.
Cette solidarité, souvent spontanée, de simples citoyens, a contribué à effacer les préjugés réciproques. Les autorités dominicaines ont multiplié les interventions auprès de la communauté internationale pour que les promesses d’aide à la reconstruction d’Haïti soient tenues. Leonel Fernandez est apparu sur la scène internationale comme un avocat au service de son voisin plongé dans l’adversité.
Bien sûr, les entreprises dominicaines ont légitimement cherché à tirer profit des marchés de la reconstruction. Mais, cette image positive a été entachée par un scandale de corruption impliquant l’un des plus proches collaborateurs de l’ex président Fernandez, le sénateur Félix Bautista. Ce scandale binational a provoqué la démission du premier ministre haïtien Garry Conille, qui avait découvert le pot-aux-roses.
Jean Max Bellerive, le prédécesseur de Garry Conille, avait attribué huit contrats de construction, en une seule journée, le 8 novembre 2010, pour un montant de 385 millions de dollars à trois compagnies appartenant au sénateur Félix Bautista. Une commission d’audit formée par Garry Conille a jugé que l’attribution de ces contrats, financés par des fonds vénézuéliens, avait été irrégulière et portait préjudice aux intérêts de l’Etat haïtien.
Selon des documents comptables que nous avons obtenus avec la journaliste d’investigation dominicaine Nuria Piera, le président haïtien Michel Martelly a reçu des versements, en chèques et en liquide, d’un montant de 2.587.000 dollars d’entreprises appartenant au sénateur Félix Bautista et à ses proches.
Ancien tailleur, Felix Bautista est devenu l’un des principaux contributeurs du PLD, le parti au pouvoir à Saint-Domingue, dont il est secrétaire à l’organisation. Ses entreprises ont prospéré grâce aux juteux contrats de travaux publics attribués par l’Office de coordination des travaux de l’État qu’il a longtemps dirigé. Considéré comme un fils par Leonel Fernandez, Felix Bautista a accumulé une fortune d’une ampleur telle qu’il confiait récemment à un journaliste en ignorer le montant.
Depuis le retour au pouvoir de Leonel Fernandez en 2004, ses affaires ont rapidement prospéré en République dominicaine et se sont étendues à Haïti et à Panama. Mis en cause dans plusieurs affaires de malversation et de détournement de fonds publics, et pour l’attribution d’un contrat de gré à gré à une entreprise du narcotrafiquant Figueroa Agosto, Félix Bautista a échappé à la justice, contrôlée par le président Fernandez. Il jouit d’une immunité parlementaire depuis son élection au Sénat en 2010.
En janvier 2013, à l’occasion du deuxième anniversaire du séisme, le président Fernandez a inauguré à Limonade, près du Cap-Haïtien, une université « donnée » par la République dominicaine à Haïti. Derrière ce geste largement salué, se cachaient une fois encore les intérêts de Felix Bautista et de son associé Micalo Bermudez, un autre homme de confiance du président Fernandez. Son entreprise, Constructora Mar, a obtenu le contrat de construction.
La récente relance de la commission mixte bilatérale, en sommeil depuis plusieurs années, répondait au souci de Saint-Domingue de développer le commerce avec Haïti, devenu le deuxième marché des produits dominicains après les États-Unis.
Mais l’épineux dossier migratoire n’a pas été évoqué, du moins publiquement. La République dominicaine s’est pourtant de fait rappeler à l’ordre par le comité des droits humains de l’ONU à propos des discriminations dont sont victimes les immigrants haïtiens et leurs descendants.
Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent de nombreux cas de « dénationalisation » de Dominicains d’origine haïtienne qui menacent de transformer des dizaines de milliers de personnes en apatrides. Leonel Fernandez a confié la direction de la migration à un dirigeant de la Force nationale progressiste. Ce choix a été ratifié par Danilo Medina. Comme si on confiait en France la direction des affaires migratoires à un responsable du Front national.
La nouvelle constitution promulguée en 2010 a mis fin au jus soli et son application rétroactive permet aux autorités de dépouiller de leur nationalité de nombreux descendants de migrants haïtiens nés sur le sol dominicain. Sous la pression de la hiérarchie catholique, la nouvelle constitution de Leonel Fernandez a également interdit toute forme d’avortement, y compris lorsque la vie de la mère est en danger ou en cas de viol d’une adolescente.
Depuis un quart de siècle que je vis en République dominicaine, j’ai été témoin de changements impressionnants. Ce pays qui était alors le secret le mieux gardé des Caraïbes s’est ouvert au monde. Les investisseurs étrangers ont afflué, Espagnols dans le tourisme, Canadiens dans le secteur minier, et Français comme Orange dans les télécommunications ou Alstom pour la construction du métro.
Le laxisme et la corruption des autorités ont aussi attiré les blanchisseurs d’argent sale, pour des montants considérables, estimés à plus d’un milliard de dollars par an. Le tourisme a exposé la société dominicaine au regard de millions de visiteurs.
La capitale s’est hérissée de tours, et de grands centres commerciaux, au point que lors de la fête nationale, le 27 février 2013, le président Fernandez se félicitait de voir Saint-Domingue ressembler à un petit New York. La population dominicaine a doublé en moins de trente ans. La migration a créé une diaspora dynamique, aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe, dont les transferts de fonds et l’influence ont contribué à changer le pays.
Il y a 25 ans, alors que régnait encore Balaguer, l’héritier du dictateur Rafael Leonidas Trujillo, le PLD de Juan Bosch représentait l’espoir d’une gestion publique moins corrompue. Mais l’appât de l’argent, la corruption de la justice, la soif de pouvoir et le pragmatisme ont fait oublier les enseignements du professeur Juan Bosch.
Les douze ans de présidence de Leonel Fernandez n’ont pas résolu la crise énergétique ni construit un État honnête et efficient. La corruption s’est étendue et sophistiquée.
L’héritage trujilliste de l’autoritarisme, de la flagornerie, du culte du chef et du népotisme perdure. Rien n’a été fait pour réduire le nombre d’armes en circulation alors que l’épidémie de féminicides s’étend. Le gouvernement dominicain n’a pas fait de proposition alternative face à l’échec de la guerre contre la drogue, un des défis majeurs qu’affronte la région avec le réchauffement climatique.
Pourtant l’espoir demeure. La mobilisation d’une partie de la jeunesse contre la corruption et en faveur de l’environnement et de l’éducation est encourageante. Danilo Medina a promis de corriger ce qui est mal et de faire ce qui n’a jamais été fait. Comme la présidente brésilienne Dilma Rousseff, il lui faudra affronter de puissants intérêts au sein même de son parti.
La République dominicaine dispose de multiples avantages comparatifs gaspillés en raison de la corruption d’une grande partie de sa classe dirigeante et de la déficience de son système éducatif. Outre son emplacement géographique, son climat, la beauté de ses paysages et la richesse de sa terre, la République dominicaine, l’un des pays les plus métissés du monde offre un exemple de tolérance dans un monde où les conflits ethniques et religieux sont loin d’avoir disparu.
Je vous remercie pour votre attention.7
Racisme d’État en République Dominicaine
En 2013, la République dominicaine a voté une loi raciste qui retire la nationalité dominicaine aux citoyens qui auraient le malheur d’avoir des parents haïtiens. La procédure leur permettant de redemander la nationalité dominicaine a pris fin en février 2015 et celle pour régulariser le statut de leurs parents immigrés le 17 juin 2015. Désormais, des dizaines de milliers de personnes sont menacées d’expulsion du pays où elles ont travaillé presque toute leur vie, et d’autres menacées d’expulsion du pays où elles sont nées.
Être expulsé de son propre pays ? Cela peut devenir possible en République Dominicaine, où des milliers d’hommes, femmes et enfants nés de parents haïtiens sont sous la menace d’être envoyés en Haïti, où ils n’ont pour la plupart jamais vécu.
Le 23 septembre 2013, la Cour Constitutionnelle a émis l’arrêt 168/13 qui ordonne la révocation de la nationalité dominicaine de Juliana Deguis. Cette jeune femme de parents haïtiens est née il y a vingt-neuf ans en territoire dominicain. Elle n’a jamais mis les pieds à Haïti. Sa vie, elle l’a vécue à Yamasá, un village situé au nord de Saint Domingue, où elle a mené normalement sa vie jusqu’au jour où l’administration a refusé de lui délivrer un acte de naissance. L’arrêt l’a déchue de sa nationalité au motif que ses parents étaient en situation dite « irrégulière » quand elle est née. Au-delà de son cas personnel, la violence de la décision de justice est telle qu’elle s’applique à tout citoyen dominicain né de parents étrangers en situation « irrégulière » entre 1929 et 2007.
Sous la pression locale et internationale, un plan de « naturalisation » a ensuite été mis en place pour réexaminer la situation de ces Dominicains révoqués de leur nationalité. Le quiproquo s’est accentué quand ce dispositif a été mené en parallèle d’un plan national de régularisation des travailleurs immigrés sans papiers. Le 17 juin était la date-limite pour entrer dans ces dispositifs. Bilan : sur 53 000 Dominicains déchus de leur citoyenneté, seuls 8755 ont pu remplir la procédure. Quand bien même le gouvernement annonce aujourd’hui le rétablissement de la nationalité au reste de la population en question, le procédé reste un leurre : si la décision de restituer leur droit à la nationalité est effective, que fait-on de ces longues années d’existence civique mutilées ? Et, d’abord, à quoi sert cette naturalisation pour une population déjà dominicaine ? Que vaut cette nationalité inscrite dans un registre civil spécifique qui distingue des « qualités » de dominicains ? Par ailleurs, des 500 000 travailleurs haïtiens recensés, seulement 288 000 ont réussi à s’inscrire au plan de régularisation sans savoir quel sera leur véritable sort juridique puisque seulement 1,6% des immigrés registrés disposent de l’ensemble de la documentation nécessaire pour régulariser leur statut. Dans l’attente d’une décision claire de la part du gouvernement, le résultat est là : des milliers d’immigrés et de dominicains sont toujours susceptibles d’être expulsés à n’importe quel moment.
À la ségrégation de fait qui déniait l’accès de ces populations nationales et étrangères aux démarches administratives nécessaires pour être scolarisé, travailler, se loger ou se soigner, s’ajoute désormais une ségrégation légale, voire la menace d’une expulsion de leur propre territoire.
Qui sont ces personnes qui ne mériteraient pas de vivre en République Dominicaine et d’en être des citoyens ? Principalement les enfants d’une immigration haïtienne venue depuis un siècle, pour travailler dans les grandes plantations de canne à sucre, et par la suite dans les secteurs de l’agriculture et du BTP. Pendant des décennies, les employeurs – en l’occurrence l’État et plus récemment le privé – ont régulé ces déplacements en accordant un statut migratoire de « transit », qui permettait de maintenir des conditions de travail précaires et de nier l’accès des migrants à un ensemble de prestations sociales.
Pour opérer pareille relégation sans être suspecté d’une quelconque discrimination, les magistrats de la Cour se sont réfugiés derrière la force juridique. Il s’agit pourtant d’une affaire éminemment politique, en ce qu’elle cible ouvertement une population du fait de son origine ethnique. Similaire aux mesures qui rappellent les pires moments de notre histoire contemporaine, elle puise sa source dans les idéaux et les intérêts d’une certaine élite qui n’a cessé d’agiter la supposée menace à l’encontre du « caractère national dominicain » que représenteraient les Haïtiens. L’arrivée au pouvoir du Parti de la Libération Dominicaine, et sa décision de s’allier avec un parti conservateur notoirement anti-haïtien et avec les élites économiques détentrices des industries sucrières, ont précipité ce retour du refoulé.
Ces idées datent de la période de l’indépendance (1844), conquise contre l’occupant haïtien, et non contre l’empire espagnol comme dans la plupart des républiques latino-américaines. Depuis, les dirigeants de la branche conservatrice du pays ont fréquemment utilisé la question haïtienne pour bâtir un discours nationaliste fondé sur les oppositions espagnol/créole, catholicisme/vaudou ou la plus tranchante de toutes, celle entre les noirs (Haïtiens) et les Dominicains, quel que soit leur métissage. Partir de ces critères pour définir l’appartenance légale à la Nation est un moyen d’imposer l’hégémonie d’une minorité politique et de s’en servir pour faire disparaître du panorama national toute personne étrangère à ces normes. Sous couvert d’intérêt national, ce racisme d’État refait surface aujourd’hui et légitime l’exclusion sociale et spatiale d’une population noire majoritairement reléguée aux strates les plus basses du monde du travail (journaliers, ouvriers et employés).
Ce n’est pas un hasard si ce sont ceux qui subissent le plus durement la régression des droits sociaux (conditions de travail, rapports salariaux, éducation, santé) qui sont subitement proclamés illégitimes sur le territoire. Par la création d’un climat de tension en distinguant entre « Eux » et « Nous », notamment dans les classes populaires, cette violence institutionnelle est un moyen de dissimuler le retrait de l’État social dominicain.
Malgré les mobilisations contre ces mesures, les condamnations de plusieurs instances des droits de l’homme, de gouvernements et d’une partie de la presse internationale, l’État dominicain affirme que sa décision est irrévocable.
Ce racisme d’État qui se cache derrière la force du droit vient rayer l’histoire même d’un peuple : celle d’une classe ouvrière immigrée et de leurs enfants dominicains. C’est une affaire politique, que seule la politique peut régler. Quand la dignité humaine est en péril, ni les lois ni les institutions ne sont irrévocables.8
Élection présidentielle de 2020
« Cette élection, qui a connu un très fort taux d’abstention, a abouti à la victoire de Luis Abinader, homme d’affaires, candidat du Parti Révolutionnaire Moderne (PRM), parti issu d’une scission du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD).
Le grand vaincu est le Parti de la Libération Dominicaine (PLD), qui outre la présidence, alors exercée par Danilo Medina, perd également la majorité au Congrès Dominicain.
Les élections ont été dominées par le coronavirus, et Abinader a centré sa campagne sur le ''changement'', avec deux axes principaux : la lutte contre la corruption et la croissance économique. »9
Sources