Période précolombienne
Entre le VIIe et le XIe siècles, les Arawaks ont probablement peuplé l'île. Durant cette période, la culture Taïno se développa et environ 1000 après J.-C. était devenue dominante. Des traces de cette culture ont été retrouvées dans le village de Saladero, dans le bassin de l'Orénoque, au Venezuela, ce qui tend à prouver que comme les peuplements antérieurs, les Taïnos sont arrivés à Porto Rico d'Amérique du Sud en passant par les Petites Antilles.
À l'arrivée de Christophe Colomb, une population estimée de 30 à 60 000 Amérindiens Taïnos, menée par le cacique Agüeybaná, habitait l'île, qu'ils nommaient Boriken, "la grande terre du seigneur noble et vaillant". Les indigènes habitaient dans de petits villages dirigés par un cacique et vivaient de chasse, de pêche et de cueillette de fruits et de racines de manioc. Quand les Espagnols arrivèrent en 1493, des conflits avec les Caraïbes qui menaient des raids depuis la chaîne des Antilles, avaient lieu. La domination des Taïnos sur l'île était proche de sa fin et l'arrivée des Espagnols allaient marquer le début de leur extinction. Leur culture reste néanmoins fortement ancrée dans celle du Porto Rico contemporain. Des instruments de musique comme les maracas et le güiro, le hamac et des mots telles que Mayagüez, Arecibo, iguane, et huracán (qui a donné l'anglais hurricane) sont des exemples de l'héritage laissé par les Taïnos.
Les débuts de la colonisation
Le 25 septembre 1493, Christophe Colomb prend la mer, à Cadix, avec 17 navires et 1200 à 1500 hommes, pour son deuxième voyage. Au cours de celui-ci il découvre Porto Rico et la baptise « San Juan Bautista », en l'honneur de Jean, Prince des Asturies, (1478-1497), fils de Ferdinand II d'Aragon et d'Isabelle Ire de Castille. Il en prend possession au nom de la Couronne de Castille, le 19 novembre 1493 en débarquant sur la plage de l'actuelle ville d'Aguadilla.
La première colonie, Caparra, est créée le 8 août 1508 par Juan Ponce de León, un lieutenant de Colomb qui devient plus tard le premier gouverneur de l'île. Les années suivantes, la colonie est abandonnée au profit d'une île proche de la côte nommée Puerto Rico (port riche) qui possède un port naturel. En 1511, un deuxième établissement, San Germàn est fondé au sud-ouest de l'île. Au cours de la décennie 1520, l'île prend le nom de Puerto Rico alors que le port devient San Juan.
La colonisation est à l'image du système de l'encomienda mis en place dans l'ensemble du Nouveau Monde par les Espagnols. Les colons réduisent les Tainos en esclavage et leur fournissent une protection militaire en échange de leur travail. Le 27 décembre 1512, sous la pression de l'Église catholique romaine, Ferdinand II d'Aragon promulgue les lois de Burgos qui modifient le système des encomiendas en un système nommé repartimientos avec pour but de mettre fin à l'exploitation des indigènes. Les lois interdisent l'utilisation de toute forme de punitions à l'encontre des indigènes, régulent leurs heures de travail, leurs paies, leur hygiène et leur santé et les contraignent à être catéchiser. En 1511, les Tainos se révoltent contre les Espagnols. Le cacique Urayoan reprend les plans de Agüeybaná et ordonne à ses soldats de noyer le soldat espagnol Diego Salcedo pour savoir si les Espagnols sont ou non immortels. Après l'avoir noyé, les soldats gardent le corps durant 3 jours pour confirmer sa mort. Toutefois, la révolte est facilement écrasée par Ponce de León et peu de décennies après, la population indigène avait déjà été décimée par les maladies, la violence et un fort taux de suicide.
En réalisant l'opportunité d'étendre son influence, l'Église catholique participe aussi à la colonisation de l'île. Le 8 août 1511, le pape Jules II établit 3 diocèses dans le Nouveau Monde dont un à Porto Rico, les deux autres se situant sur l'île d'Hispaniola. Ces évêchés étant sous l'autorité de l'archevêché de Séville. Alonso Manso est nommé évêque du diocèse de Porto Rico. Le 26 septembre 1512, avant son arrivée sur l'île, la première école d'études avancées est établie par l'évêque. Il prend possession de son diocèse en 1513 et devient le premier évêque à arriver aux Amériques. Porto Rico devient aussi le premier centre ecclésiastique du Nouveau Monde sous le règne du pape Léon X ainsi que le centre de l'Inquisition espagnole dans le Nouveau Monde.
Les esclaves africains arrivent sur l'île dès 1513. Du fait du déclin de la population Taino, de plus en plus d'esclaves sont amenés sur l'île. Cependant, le nombre d'esclaves présents sur l'île est peu élevé par rapport aux îles avoisinantes. En parallèle, des tentatives pour renforcer le contrôle de l'Espagne sur Porto Rico sont tentées dès le début de la colonisation. Les Caribs, une tribu de pirates des Caraïbes attaquent les établissements espagnols le long des côtes des rivières de Dagua et Macao en 1514 et ensuite en 1521 mais à chaque fois, ils sont facilement repoussés par la puissance de feu supérieure des Espagnols.
Les menaces européennes
Les puissances européennes sont attirées par les immenses richesses dont regorge l'Amérique et elles tentent de réduire l'influence espagnole dans le Nouveau Monde au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Les succès des invasions varient et toutes se terminent par un échec de l'envahisseur à prendre le contrôle permanent de l'île. En 1528, les Français reconnaissent l'intérêt stratégique. Ils pillent et brûlent la ville de San Germàn et détruisent de nombreux établissements espagnols incluant Guànica, Sotomayor, Daguao et Loìza avant que la milice locale ne les force à se replier. La seule ville à rester indemne est la capitale San Juan. En 1538 et 1554, les Français mettront à sac la ville de San Germàn.
Les Espagnols sont déterminés à défendre l'île et débutent la construction de fortifications sur l'îlot de San Juan au début du XVIe siècle. En 1532, la construction des premières fortifications commencent avec La Fortaleza près de l'entrée de la baie de San Juan. Sept ans plus tard, la construction de défenses d'importance autour de San Juan débutent avec le Fort San Felipe del Morro le long de la baie de San Juan. Plus tard, les forts San Cristobal et San Jeronimo sont construits grâce aux revenus tirés. En 1587, les ingénieurs Juan de Tejada et Juan Bautista Antonelli redessinent le Fort San Felipe del Morro. Politiquement, Porto Rico est réorganisée en 1580 et devient une capitainerie générale ce qui lui offre plus d'autonomie et une réponse administrative plus rapide aux menaces militaires.
En 1607, Porto Rico sert de port d'approvisionnement pour les navires anglais Godspeed, Susan Constant et Discovery qui sont en route pour établir la colonie de Jamestown, premier établissement anglais dans le nouveau monde.
Les XVIIe et XVIIIe siècles sont l'occasion de plus d'attaques contre l'île. Le 25 septembre 1625, les Néerlandais sous la direction de Boudewijn Hendrick attaquent San Juan et assiègent le fort San Felipe del Morro ainsi que la Fortaleza. Les résidents fuient la cité mais les Espagnols dirigés par le gouverneur Juean de Haro réussissent à repousser les troupes néerlandaises du Fort San Felipe del Moro. Au cours de leur retraite, les Néerlandais brûlent la ville. Cela encourage la poursuite de la fortification de San Juan. En 1634, Philippe IV d'Espagne fortifie le fort San Cristobal avec 6 forteresses reliées par une ligne de murs entourant la ville. En 1702, les Anglais assaillent la ville de Arecibo au nord de l'île sans succès. En 1797, les Français et les Espagnols déclarent la guerre à l'Empire britannique. Les Britanniques tentent de s'emparer de l'île en attaquant San Juan avec 7 000 hommes et une armada de 64 navires sous la direction du général Ralph Abercromby. Le capitaine général Don Ramon de Castro réussit à repousser l'attaque.
Au cours de ces attaques constantes, les premiers éléments de la société porto-ricaine apparaissent. Le recensement de 1765 conduit par le général Alejandro O'Reilly montre une population totale de près de 44 883 habitants dont 5037 (11,2 %) sont des esclaves. Un faible pourcentage en comparaison des autres colonies espagnoles de la Caraïbe.
En 1779, des Portos Ricains combattent lors de la Révolution américaine sous le commandement de Bernardo de Gàlvez qui est nommé maréchal de l'armée coloniale espagnole en Amérique du Nord. Les Portos Ricains participent à la prise de Pensacola, la capitale de la colonie britannique de Floride occidentale ainsi qu'à la prise des villes de Bâton-Rouge, Saint-Louis et Mobile. Les troupes porto-ricaines dirigées par le brigadier général Ramon de Castro assistent Bernardo de Galvez dans sa victoire contre la marine l'armée britannique et indienne de 2500 hommes de Pensacola.
Le début du XIXe siècle
Le XIXe siècle est l'occasion de nombreux changements politiques et sociaux à Porto Rico. En 1809, le gouvernement espagnol qui s'oppose à Napoléon Bonaparte se replie sur Cadix, au sud de l'Espagne. Alors qu'elle renouvelle son allégeance au roi, la Junte centrale suprême est invitée à voter pour l'élection des représentants des colonies. Ramon Power y Giralt est nommé délégué local au Cortes de Cadix. La loi Power qui suit désigne 5 ports de libre commerce (Fajardo, Mayagüez, Aguadilla, Cabo Rojo et Ponce) et met en place des réformes économiques dans l'objectif de développer une économie plus efficace. En 1812, la Constitution de Cadix est adoptée. Elle divise l'Espagne et ses territoires en provinces, chacune possédant une corporation ou un conseil local pour promouvoir sa prospérité et la défense de ses intérêts. Cela donne aux Porto-Ricains une citoyenneté conditionnelle.
Le 10 août 1815, le Décret Royal de l'An de Grâce 1815 est promulgué. Il autorise les étrangers à séjourner à Porto Rico (incluant les réfugiés français en provenance d'Hispaniola) et ouvre les ports au commerce avec les nations autres qu'espagnole. C'est le début d'une croissance économique reposant sur l'agriculture (sucre, tabac et café sont les principaux produits). Le Décret donne des terres libres à toute personne ayant juré loyauté à la Couronne espagnole et allégeance à l'Église catholique romaine. Des milliers de familles en provenance de toutes les régions d'Espagne (surtout les Asturies, la Catalogne, Majorque et la Galicie) mais aussi d'Allemagne, de Corse, d'Irlande, de France, du Portugal, des îles Canaries et d'autres territoires émigrent à Porto Rico dans l'espoir d'échapper aux dures conditions économiques de l'époque en Europe. Ils sont surtout attirés par cette offre de terres. Néanmoins, ces quelques gains en autonomie et en droits sont de courte de durée. Après la chute de Napoléon, un pouvoir absolu règne de nouveau en Espagne et celui-ci révoque la Constitution de Cadix. Porto Rico est rétablie dans son ancien statut de colonie et sujette au pouvoir illimité du roi d'Espagne.
L'intégration des immigrants au sein de la culture de Porto Rico entraîne des changements au sein de la société Porto Ricaine. Le 25 juin 1835, la reine Marie-Christine abolit le commerce d'esclaves au sein des colonies espagnoles. En 1851, le gouverneur Juan de la Peruela Ceballos fonde l'Académie Royale des Belles Lettres. L'académie forme des enseignants du primaire, formule des méthodes scolaires et supporte la création littéraire qui promeut les progrès littéraires et intellectuels de l'île. En 1858, le télégraphe est introduit dans l'île avec l'aide de Samuel Morse qui installe une ligne dans la ville d'Arroyo à l'Hacienda La Enriqueta.
Lutte pour l'autonomie
La deuxième moitié du XIXe siècle est marquée par la lutte des Porto Ricains pour l'autonomie. Un recensement de 1860 indique une population de 583 308 hommes. Parmi ceux-ci, 300 406 (51,5 %) sont des Européens et 282 775 (48,5 %) sont des personnes de couleur (descendants d'esclaves africains, mulâtres et métis). 83,7 % de la population est analphabète et vit dans la pauvreté tandis que l'agriculture, principale source de revenus de l'île, est entravée par le manque d'infrastructures de transport, d'outils adéquats et d'équipements. À cela s'ajoute les catastrophes naturelles comme les ouragans et les inondations. L'économie souffre aussi de l'augmentation des coûts et des taxes imposée par la Couronne Espagnole. Enfin, l'Espagne commence à exiler ou emprisonner toute personne demandant des réformes libérales.
Le 23 septembre 1868, des centaines d'hommes et de femmes de la ville de Lares frappés par la pauvreté et séparés politiquement de l'Espagne à la suite de la Révolution demandent l'indépendance de Porto Rico. Le Grito de Lares (le soulèvement de Lares) est planifié par un groupe dirigé par le docteur Ramón Emeterio Betances exilé en République dominicaine et Segundo Ruiz Belvis. Le Docteur Betances fonde le Comité Revolucionario de Puerto Rico (le comité révolutionnaire de Porto Rico) en janvier 1868. Manuel Rojas, Mathias Brugman, Mariana Bracetti, Francisco Ramírez Medina et Lola Rodriguez de Tió sont les figures marquantes de ce soulèvement. Cependant, malgré l'importance de cette révolte, les Espagnols reprennent rapidement le contrôle de l'île.
À la suite du Grito de Lares, des réformes politiques et sociales sont mises en place tout au long de la fin du XIXe siècle. Le 4 juin 1870, la loi Moret est adoptée grâce aux efforts de Román Baldorioty de Castro, Luis Padial et Julio Vizcarrondo. Elle émancipe les esclaves nés après le 17 septembre 1868 ou étant âgés de plus de 60 ans. Le 22 mars 1873, l'Assemblée nationale espagnole abolit officiellement l'esclavage avec quelques clauses. En 1870, les première organisations politiques de l'île sont créées et deux fractions émergent. Les traditionalistes se rassemblent au sein du Partido Liberal Conservador (parti libéral conservateur) dirigé par José R. Fernàndez Pablo Ubarri et Francisco Paula Acuña. Il défend l'assimilation au sein du système politique espagnol. À l'opposé, les autonomistes du partido Liberal Reformista (parti réformiste libéral) dirigés par Romàn Baldorioty de Castro, José Juliàn Acosta, Nicolàas Aguayo et Pedro Geronimo Goico défend une politique de décentralisation vis-à-vis de l'Espagne. Les deux partis changent ensuite de nom pour devenir respectivement le parti espagnol inconditionnel et parti fédéral réformiste. En mars 1887, le parti fédéral réformiste est réformé et devient le parti autonomiste porto ricain. Il essaie de créer une identité politique et légale pour Porto Rico. Il était dirigé par Román Baldorioty de Castro, José Celso Barbosa, Rosendo Matienzo Cintrón et Luis Muñoz Rivera.1
Île cédée par l'Espagne aux États-Unis d'Amérique
Le 25 juillet 1898, pendant la guerre hispano-américaine, Porto Rico fut envahie par les États-Unis après un débarquement à Guánica. Le 10 décembre 1898, le traité de Paris, signé entre les États-Unis d'Amérique et l'Espagne, est ratifié par le Sénat américain après un débat houleux. En échange de 20 millions de dollars, l'Espagne cède ses dernières possessions d'Amérique latine – Cuba et Porto Rico – ainsi que les Philippines.2
Démocratisation
En 1945, Luis Muñoz Marín gagne les premières élections démocratiques de l'histoire de Porto Rico, et en 1952, il aide Porto Rico à obtenir une autonomie partielle vis-à-vis des États-Unis. Depuis cette date, Porto Rico a le statut d'État Libre Associé dépendant des États-Unis, la loi fédérale américaine s'applique à Porto Rico, le représentant de l'État a le titre de gouverneur et les représentants portoricains à Washington n'ont qu'un rôle d'observateur. Pourtant à cette date est créé le Comité olympique portoricain.
Tutelle américaine
La situation de l'État Libre Associé de Porto Rico est souvent assimilée à celle d'un pays autonome non souverain. Le thème du statut de l'État est, depuis les années 1950, le principal thème politique portoricain ; les 2 principales positions étant l'indépendance ou l'intégration comme 51e état fédéré des États-Unis. Trois référendums ont été réalisés en 1967, 1993 et 1998 mais n'ont pas conduit à la modification du statut d'État Libre Associé au sein des États-Unis.
En juin/juillet 2000-2007, le Comité spécial de la Décolonisation de l'ONU a demandé aux États-Unis de réduire leurs interventions armées et de laisser tous les courants d'opinion s'exprimer. Des améliorations se sont fait sentir.
Le 23 décembre 2000, une semaine avant son départ, le président Bill Clinton décide de passer une Task force, une directive qui impose de régler, à une date indéterminée, les problèmes liés au statut de Porto Rico en organisant un référendum ne laissant le choix qu'entre l'indépendance ou l'intégration comme 51e État des États-Unis. George W. Bush n'a pas appliqué cette décision et les attentats du 11 septembre 2001 ont détourné l'attention de la question.
En 2003 la gouverneur Sila Calderón dans son discours du 25 juillet, a proposé de créer une assemblée constituante afin de résoudre le problème du statut politique de l'île pour 2004 ; Un fort mouvement en faveur de la création d'une république associée émergeant à cette époque.
En mars 2003, la marine américaine abandonne l'Île de Vieques où se trouvait une base militaire depuis plus de 60 ans. Cette décision intervient alors que la base navale était occupée par de nombreux campements de désobéissance civile, dont des campements de il Parti indépendantiste portoricain (PIP), de l'église catholique romaine et du Parti Populaire Démocrate. Cette occupation fait suite à une manifestation de 100 000 personnes à San Juan en 2000 après la mort accidentelle d'un civil.
En 2004, le président américain George W. Bush, déclare que l'île devrait obtenir le même statut que les îles Mariannes.
En novembre 2004 est élue Anibal Acevedo Villa du Parti Populaire Démocrate comme gouverneur.
Nouvelles tensions
Le 23 septembre 2005, Filiberto Ojeda Ríos dirigeant historique des Macheteros, groupe indépendantiste portoricain, est abattu à l'âge de 70 ans par des agents FBI, après plus de 30 ans de cavale.
Le 10 février 2006 des agents du FBI ont arrêté sur le territoire portoricain des chefs indépendantistes dont : Lilliana Laboy dirigeante syndicaliste et Secrétaire exécutive de la Coordination Caribéenne et Latino-américaine de Porto Rico ; William Mohler, chef du comité indépendantiste ; José Rodríguez, indépendantiste retraité.
Mais ils ne sont pas parvenus à s'emparer de Norberto Cintrón Fiallo, autre dirigeant indépendantiste, après des échauffourées. Cette démonstration de force, armes aux poings avec équipement d'intervention portant le sigle FBI, s'est soldée, après utilisation de gaz lacrymogène et coups de feu, par de multiples arrestations dont celle de journalistes et plusieurs blessés. Le FBI a justifié cette intervention comme une intervention anti-terroriste en prévention d'attentats potentiels sur le territoire américain incluant Porto Rico (inscrit ainsi dans le communiqué de presse en anglais).
L'information n'est quasiment pas relayée dans la presse internationale. Plusieurs médias locaux condamnent cette action la qualifiant de "retour en arrière de 50 ans" et l'accusent d'entraver la liberté d'opinion et la liberté de la presse.
Le 1er mai 2006, à la suite de querelles politiques entre les divers organes du pouvoir et la banque fédérale américaine, empêchant un nouveau prêt au gouvernement portoricain, les 95 000 fonctionnaires portoricains ne peuvent ainsi plus être payés (depuis le 15 mai), fermant écoles, hôpitaux et universités.
À la suite de ces événements et de la non-traduction de la Task force du président Bill Clinton, l'ONU, via le Comité spécial de la Décolonisation, ouvre une étude judiciaire de la situation "étatsuno-portoricaine". Le 14 juin 2006, le comité dénonce le déni du droit à l'autodétermination du peuple portoricain, réaffirme que les Nations-Unies reconnaissent la singularité culturelle du peuple de Porto Rico dans les Caraïbes et en Amérique latine. Ce communiqué dénonce aussi les interventions du FBI et la persécution des mouvements indépendantistes portoricains et réclame la libération des prisonniers politiques portoricains (certains sont en prison depuis plus de 25 ans). Enfin le comité réaffirme qu'il suivra avec attention l'évolution de la condition portoricaine.3
Le 29 avril 2010, la Chambre des représentants des États-Unis permet, par un vote de 223 voix contre 169, un processus formel d'auto-détermination pour l'île.
Le 6 novembre 2012, le gouverneur de Porto Rico organise un référendum demandant aux Porto Ricains de proroger jusqu'en 2020 le statut actuel d' « État libre associé » ou Commonwealth.4
« Plusieurs possibilités s’offrent au peuple portoricain : le maintien du statut actuel d'État libre associé, l’indépendance, ou au contraire l’annexion à l’Union des États-Unis.
Porto Rico est défini par le statut de Commonwealth, territoire rattaché aux États-Unis. Les Portoricains possèdent la nationalité américaine mais ne peuvent voter aux élections présidentielles que lorsqu’ils déménagent aux États-Unis, et n’ont aucun pouvoir au congrès américain (ils n’élisent qu’un membre à la Chambre des Représentants et celui ci n’a pas le droit de vote). Le statut actuel d’État libre associé est ainsi pour le moins ambigu, et amène de nombreux portoricains à le qualifier de statut post-colonial et à s’interroger sur leur condition de « sous-citoyens ».
« Cuba et Porto Rico, deux ailes d’un même oiseau »
José Marti illustra si joliment les similitudes entre Cuba et Porto Rico : " Les deux ailes d'un même oiseau, elles reçoivent les fleurs ou les balles dans le même cœur ". Deux ailes, deux îles similaires aux destinées opposées : alors que l’une s’est libérée, l’autre est restée captive, pour poursuivre la métaphore de José Marti.
Cuba et Porto Rico gagnent leur indépendance de la couronne espagnole en 1898, pour passer sous contrôle américain en 1905, sous l’Amendement Platt, qui fait des deux pays des protectorats américains.
Mais leurs trajectoires prennent par la suite deux directions opposées. Alors que Cuba parvient à se libérer de l’ingérence américaine, d’abord partiellement en 1935 avec la révocation de l’Amendement Platt par une politique de « bon voisinage », puis définitivement avec le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, Porto Rico est dès lors restée sous le joug américain.
Fidel Castro a d’ailleurs fait pendant longtemps de l’indépendance de Porto Rico son cheval de bataille, défendant avec ferveur les militants indépendantistes et dénonçant notamment l’occupation du camp militaire américain de l’île de Vieques.
Il faut attendre 1952 pour que l’île bénéficie d’une autonomie partielle, et ce n’est qu’en 2000 que le gouverneur de Porto Rico reconnaît l’espagnol comme première langue officielle de l’État (alors que le gouverneur suivant revient ensuite sur la langue anglaise).
Enfin, en 2010, la Chambre des représentants des États-Unis permet un processus formel d'auto-détermination pour l'île. Le gouverneur de Porto Rico est tenu d’organiser un référendum en novembre 2012 qui demande aux Portoricains de proroger (ou non) jusqu'en 2020 le statut actuel d' « État libre associé ».
Le référendum sur le statut inclut la question du maintien du statut d’État libre associé, et en cas de réponse négative, une seconde question propose à la population de choisir entre trois options : annexion, indépendance ou État Libre Souverain.
¿Que quieren los boricuas ?
La place de Porto Rico au sein des États-Unis n’a jamais cessé de diviser les Portoricains.
Lors des précédents référendums, en 1993 et 1998, les Portoricains ont reconduits le statut d’État libre associé à 48.6 % et 50.3 %.
D’après les derniers sondages précédent le référendum, 51 % resteraient en faveur du statut actuel.
Parmi ceux qui voteraient en faveur d’un nouveau statut (et répondront donc négativement à la première question), 44 % de la population serait favorable de l’accession à l’Union, contre 42 % qui choisiraient de se rapprocher de l’indépendance avec le statut d’État Libre Souverain, et 4 % voteraient une indépendance complète de l’île.
Quelles sont les différences idéologiques de ces positionnements ?
Vu des États-Unis, les nuances d’indépendance ou de rapprochement peuvent sembler dérisoires et symboliques, alors qu’elles sont l’objet de vifs débats chez les Portoricains.
Pour les défenseurs du statut actuel d’État libre associé, celui-ci constitue un compromis qui garantit les bénéfices économiques tout en préservant une certaine autonomie culturelle et administrative. Les défenseurs du statut d’État libre souverain souhaitent, eux, accroître cette autonomie sans pour autant abandonner les liens avec les États-Unis.
Au contraire, les tenants de l’annexion à l’Union revendiquent généralement les avantages économiques mais aussi une proximité culturelle et considèrent l’accession à l’Union comme la dernière étape nécessaire qui permettrait aux Portoricains de jouir pleinement de leurs droits de citoyens américains.
Les partisans du statut actuel, de l’annexion ou d’un État libre souverain sont en désaccord sur le degré d’autonomie de l’île mais ne contestent pas structurellement les relations avec les États-Unis. En revanche, les indépendantistes coupent le cordon et prônent une rupture totale.
L’âge d’or du Parti Indépendantiste Portoricain (PIP), qui réunissait 20 % des voix en 1952 est maintenant révolu. Constituant seulement 4 % de la population, les indépendantistes sont minoritaires. Cependant, sans pour autant être militants au sein du parti, une partie de la jeunesse portoricaine s’interroge sur les incohérences du statut et les problématiques de leur île. Les idées et slogans indépendantistes ont par exemple été brandis pendant la grève des étudiants de l’Université de Porto Rico en 2010 qui portait pourtant sur les coupes budgétaires dans l’éducation.
Le groupe emblématique Calle 13 est devenu le porte parole d’une génération vivant entre les États-Unis et l’île, consciente des discriminations dont sont victimes les Portoricains et désireuse de renforcer les liens de l’île avec l’Amérique latine.
Les paroles de leurs chansons dénoncent à la fois la corruption de la classe politique de Porto Rico, l’ingérence et l’oppression des États-Unis, et revendiquent l’identité latine de leur île.
Chômage, criminalité et émigration
Les indices sociaux et économiques demeurent les pires des États-Unis et se situent dans la moyenne caribéenne.
La position géographique de l’île et son statut particulier en fait malheureusement l’une des plaques tournantes du trafic de drogues. Situé au cœur de la Caraïbe (entre les Grandes et Petites Antilles), lieu de passage du narco trafic de l’Amérique vers l’Europe, Porto Rico est en outre séparé de l’île d’Hispaniola par les 140 kilomètres du Canal de la Mona, par lequel transitent illégalement des milliers d’immigrés Cubains, Haïtiens ou Dominicains qui tentent de gagner le territoire américain via Porto Rico.
Ainsi, le trafic de drogue et la violence gangrènent depuis quelques années la société portoricaine.
Plusieurs facteurs expliquent et alimentent le problème.
Tout d’abord, l’impact de la crise financière a été particulièrement important sur l’île. Depuis 2008, le chômage et la pauvreté n’ont cessé d’augmenter. Le taux de chômage, qui s’élève à 14 % en 2012, est plus élevé que les autres États des États-Unis (8.3 % au niveau national). Les statistiques du recensement national indiquent, en outre, que 45.6 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2011, 0.6 % de plus qu’en 2010. De même, les inégalités économiques sont particulièrement criantes. D’après l’économiste portoricain Sergio Marxuach « 20 % des plus pauvres de Porto Rico bénéficient seulement de 1.7 % du total des ressources de l’île, alors que les 20 % des plus riches bénéficient de 55.3 % de ces ressources ».
En outre, la corruption est un véritable fléau. En 2010, le FBI a réalisé à Porto Rico une grande opération de nettoyage contre la police locale. Il s’est soldé par l’arrestation de 130 fonctionnaires publics (policiers, militaires et gardiens de prison), pour corruption et complicité de trafic de drogue. En 2011, la publication d’un rapport fédéral du Ministère de la Justice a révélé la corruption, la brutalité, et les arrestations arbitraires de la police à Porto Rico. Le taux d’impunité provoque la consternation et une crise de confiance s’est installée au sein de la population et des médias.
Dans ce contexte, la criminalité ne cesse d’augmenter et a atteint un niveau historique en 2011, avec plus de 1000 homicides, ce qui place l’île en tête des États-Unis. Les homicides ne sont plus cantonnés aux règlements de comptes entre narcotrafiquants. S’ils constituent la majorité des victimes, des victimes de balles perdues sont également reportées. Largement alimenté par les médias, le sentiment d’insécurité et de violence est maintenant omniprésent et le port d’armes à feu généralisé.
L’émigration devient alors la solution échappatoire à cette situation désastreuse. En effet, d’après le bureau du recensement des États-Unis, Porto Rico est l’État dont la population est le plus en déclin. Environ 4.6 millions de Portoricains d’origine vivent aux États-Unis, contre 3.7 millions d’habitants sur l’île.
Mais les Portoricains demeurent des "sous-citoyens", assimilés bien souvent aux autres immigrés hispaniques, qu’ils résident sur leur île natale ou sur le continent. L'exemple d'Angel Rodriguez, basketteur de Kansas State, à qui l'équipe et les supporters adverses de Southern Mississipi avaient hurlé « Where is your Green Card ?!» (où est ta carte verte?), est significatif. (La carte verte permet de résider aux États-Unis).
La dualité des deux langues officielles est également symptomatique du rapport de domination. À Porto Rico, le bilinguisme de l’île est géré comme un problème au lieu d’être considéré comme une richesse. L’espagnol est parfois vécu par les portoricains comme une sous-langue, au contraire de l’anglais, langue du succès et de l’expatriation. Cependant, l’enseignement de l’anglais n’est pas non plus généralisé dans les écoles et collèges, mais plutôt réservé à l’élite de San Juan, capitale administrative et économique. Finalement, le « spanglish » est bien souvent de vigueur à Porto Rico et seuls les portoricains les plus favorisés sont parfaitement bilingues.
De toute évidence, le statut juridique actuel de Porto Rico n’est plus acceptable.
À juste titre, les Portoricains se sentent abandonnés par Washington et se vivent comme des sous-citoyens. Il est grand temps pour eux de choisir leur destinée.
Quelque sera leur décision, la préservation de la culture et la langue, le renforcement d’une intégration régionale caribéenne et latino-américaine pour éviter la fuite des cerveaux déjà bien entamée, et éviter le piège caribéen d’une mono-économie fondée sur le tourisme, sont autant de conditions nécessaires à la « survie » et l’émancipation de l’île. »5
Résultat
Le résultat du référendum du 6 novembre 2012 à donné 65 % des votes en faveur du changement de statut pour devenir un État des États-Unis.
Un « oui » pour un « non »
Par James Cohen.
Le 6 novembre 2012, les Portoricains ont-ils choisi de transformer leur île en cinquante et unième État de l’Union fédérale américaine ? Pour M. Luis Fortuño, gouverneur en exercice et dirigeant du Nouveau Parti progressiste (PNP) au moment du référendum, la réponse ne fait guère de doute : en votant à plus de 61 % pour l’incorporation aux États-Unis, explique-t-il à l’unisson de nombreux médias, les électeurs ont exprimé un « refus clair de la continuation du statut territorial actuel » et soutenu l’« admission de Porto Rico comme État de l’Union » .
Le résultat du référendum, dont la division en deux questions pouvait prêter à une certaine confusion, est pourtant moins évident qu’il n’y paraît. Le premier volet portait sur le maintien du statut actuel. 53,97 % des 1 798 987 votants (une participation de 77,71 %) ont répondu négativement : c’est la première fois depuis sa naissance, en 1952, que cet État libre associé (ELA) aux États-Unis se voit ainsi renié. Nettement plus ambiguë, la seconde question préjugeait d’une réponse négative à la précédente et offrait aux Portoricains le choix entre trois possibilités : l’incorporation aux États-Unis (ou estadidad), l’indépendance nationale et une forme d’État associé décrit comme « souverain ». L’option ELA en tant que telle n’était pas présente. Bon nombre des partisans du statut existant ont donc protesté en votant blanc, sans que leurs 498 000 bulletins soient comptabilisés. Incluses dans le calcul, ces voix auraient représenté 26,5 % des suffrages. Le score de l’incorporation serait ainsi passé de 61 % à 44 % : moins que les 46 % enregistrés aux référendums de 1993 et de 1998, quand les électeurs portoricains, privés de l’option ELA sur le bulletin, avaient protesté en cochant à plus de 50 % la case « aucune des options antérieures ». La solution « État associé souverain » a eu les faveurs de 24,2 % des électeurs, tandis que l’indépendance n’a recueilli que 3,98 % des votes.
En dépit de leur score très modeste, les partisans du Parti indépendantiste de Porto Rico (PIP) se réjouissent du rejet de l’ELA, qu’ils interprètent comme le commencement d’un processus de « décolonisation », cent quinze ans après la conquête de l’île par les États-Unis. Pour M. Fernando Martín García, juriste et dirigeant historique du PIP, l’un des artisans du référendum dans les coulisses, le « non » à la première question est une excellente nouvelle, d’autant que l’incorporation ne constitue pas à ses yeux un réel danger : le Congrès des États-Unis, qui devait se prononcer dans les prochains mois, allait selon toute probabilité la refuser. En effet, les élus, notamment les plus marqués à droite, ne se montrent guère enthousiastes à l’idée d’accueillir sous la bannière étoilée un État défavorisé (45 % de ses habitants vivent sous le seuil de la pauvreté) et hispanophone, qui serait vraisemblablement représenté au Congrès par des démocrates.
Migration massive vers le continent
Farouche défenseur de l’ELA et opposant historique du PNP, le Parti populaire démocratique (PPD) a pu se consoler de sa défaite au référendum par sa courte victoire aux élections générales organisées le même jour. En plus d’installer son jeune dirigeant, M. Alejandro García Padilla, au poste de gouverneur, il a repris le contrôle des deux chambres législatives. Seul le poste de représentant (comisionado residente) à Washington, occupé par M. Pedro Pierluisi, demeure aux mains du PNP. Mais, pour contrer l’influence de ce partisan de l’incorporation, le PPD peut compter sur le Prime Policy Group, un lobby proche des républicains dont il loue depuis peu les services pour la modique somme de 50 000 dollars par mois.
La défaite du PNP montre que les débats sur le statut de l’île ne sont pas parvenus à éclipser le mécontentement que suscite le gouvernement depuis le début de la crise. Admirateur de Ronald Reagan, M. Fortuño a en effet cristallisé la colère populaire en faisant adopter, dès mars 2009, la « loi 7 » sur l’« état d’urgence fiscale », qui a abouti au licenciement de trente mille fonctionnaires — soit plus de 14 % de l’effectif total — et déclenché une grève générale. Les affrontements au sein de l’université publique de Porto Rico ont également contribué à ternir l’image du PNP : afin d’imposer une hausse de 800 dollars des frais d’inscription, le gouvernement avait ordonné fin 2010 l’occupation du campus de Río Piedras par la police. Laquelle s’était alors rendue coupable de nombreux actes de brutalité.
Le nouveau gouverneur García Padilla, en poste depuis le 2 janvier 2013, a rapidement tenté de se démarquer de son prédécesseur. Lors de son discours d’investiture, il a vanté son attachement à l’éducation, à la santé, au bien-être social, avant d’en appeler au « courage » du peuple portoricain pour affronter « le chômage, la dette publique (…), la dégradation sans précédent de notre crédit, les chiffres angoissants de la criminalité et la fragmentation sociale ». Dans un entretien qu’il nous a accordé, il a même soutenu « l’approche de [M. François] Hollande » contre « l’approche de [Mme Angela] Merkel »… Mais la prise de distance reste surtout rhétorique, et les ambitions progressistes du PPD, organisation fondée dans les années 1930 au moment du New Deal, se sont largement évaporées. En relevant l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires au prétexte de l’aggravation de la dette publique, M. García Padilla s’est d’emblée inscrit dans les pas de son prédécesseur.
Début 2013, la dette de l’île atteignait 67 milliards de dollars, pour un service annuel de 4 milliards de dollars d’intérêts. À la fin de l’année 2012, après l’épuisement du plan de relance de l’administration Obama (American Recovery and Reinvestment Act, d’une valeur de 7 milliards de dollars), l’ELA de Porto Rico a évité in extremis une situation de non-règlement des salaires des fonctionnaires. Les agences de notation ont alors dégradé les notes des bons du Trésor portoricain, leur évitant de justesse d’être classés parmi les « obligations pourries ».
Pourtant, la situation sociale nécessiterait une intervention publique d’envergure : le taux de chômage, qui a atteint 16,5 % au plus fort de la récession, se situait début 2013 à 13,8 %. Plus inquiétant encore, Porto Rico affiche un taux d’activité particulièrement bas : moins de 40 %, contre 63 % aux États-Unis. Avec un revenu médian par foyer de 20 425 dollars — contre 58 526 dollars dans les cinquante États de l’Union —, il serait, et de loin, l’État le plus pauvre des États-Unis en cas d’incorporation, tout en restant bien plus riche que les républiques caribéennes voisines. Moins grâce à son appareil productif qu’au soutien financier de Washington : établis en 2010 à 17,2 milliards de dollars, les « fonds fédéraux » protègent les habitants de l’ELA d’une misère plus radicale, tout en renforçant les liens de dépendance.
Pour fuir la détresse économique, beaucoup de Portoricains de toutes conditions sociales sont partis vivre sur le continent. Entre 2000 et 2010, la population est passée de 3,8 à 3,72 millions d’habitants — et peut-être moins : avouant une possible erreur de calcul, le service du recensement indique que les émigrants pourraient se révéler trois ou quatre fois plus nombreux . Depuis 2009, et pour la première fois, on compte plus de personnes d’origine portoricaine sur le continent que sur l’île.
Voilà autant de symptômes de la dépendance historique de l’économie portoricaine à l’égard de celle des États-Unis. Mis en place dès les années 1950, le modèle d’industrialisation « par invitation » — un système d’incitations fiscales pour les sociétés américaines — s’est essoufflé, avant d’être progressivement éliminé entre 1996 et 2006. Les emplois et le tissu industriel créés dans ce cadre n’ont pas suffi à empêcher l’exode des Portoricains. En permettant aux entreprises de soustraire leurs profits aux circuits économiques du pays, le modèle n’a jamais engendré une dynamique autonome de développement. L’économiste James Tobin observait déjà en 1975 — et le constat reste valable — l’exceptionnel décalage entre le produit intérieur brut (PIB) et le produit national brut (PNB) de Porto Rico, c’est-à-dire entre le revenu engendré dans l’île et le revenu de ses habitants.
Il est peu probable que cet écart se résorbe au cours des prochaines années. Ici, les clivages se dessinent toujours davantage selon les options statutaires, brouillant les enjeux économiques et sociaux. Il n’est donc guère étonnant que, à la tête du PNP, M. Pierluisi, démocrate et fervent soutien de l’administration Obama, succède à M. Fortuño, notoirement proche des républicains du Tea Party. Tous deux étant favorables à l’incorporation…6
Porto Rico doit sortir du piège de la dette
Par Pierre Gottiniaux.
Depuis la fin du XIXe siècle, Porto Rico est une sorte de colonie des États-Unis qui ne dit pas son nom. Officiellement, les quelques îles qui la constituent sont un « territoire non incorporé » ayant un statut de Commonwealth, c’est-à-dire un statut d’État souverain mais au rayon d’action limité. Le système législatif portoricain est ainsi largement influencé par les États-Unis, qui l’ont remodelé à leur sauce. Et ce sont les tribunaux américains qui ont abrogé la loi sur la faillite de l’État, dont disposent pourtant toutes les économies dites développées, y compris les États-Unis. Pourtant, cette loi serait bien utile au gouverneur de ce territoire, qui déclare lui-même que « la dette de Puerto Rico est impayable ».
D’où vient cette dette ?
Le statut ô combien privilégié de Puerto Rico lui permet de bénéficier d’une série de mesures extrêmement intéressantes pour sa population, dont des mesures d’exonérations fiscales pour les investisseurs états-uniens ainsi que l’exonération fiscale des intérêts payés sur les titres de la dette portoricaine. Ce qui fait de Puerto Rico une sorte de paradis fiscal, et qui ne voudrait pas vivre au paradis ? Je vous le demande !
Par contre, comme Puerto Rico, ce n’est pas non plus tout à fait les États-Unis, les investissements dans des titres de la dette n’y sont pas aussi sûrs. Ils nécessitent donc des taux d’intérêt bien plus élevés, oscillant entre 8 et 10 %. Pour les investisseurs, c’est carrément Byzance ! Imaginez : ils ramassent du 8 % (minimum), net d’impôt et, cerise sur le gâteau, les lois de Puerto Rico stipulent que le paiement des intérêts est prioritaire sur tout autre poste de dépense de l’État ! Les détenteurs de capitaux ne se sont donc pas fait prier pour venir proposer aux gouvernements successifs des milliards de dollars de prêts, les dirigeants trouveront bien quelque chose à en faire… Et ces derniers se sont évidemment empressés d’accepter. Mettez une carotte devant le nez d’un âne, il y a peu de chances pour qu’il vous demande ce que vous voulez en échange…
Dépendance accrue aux marchés
Lorsque la « crise » de 2007 a éclaté, l’État a vu ses recettes fondre, ce qui a provoqué une forte contraction de l’économie et donc une augmentation du déficit. Puerto Rico a alors dû accroître son niveau de financement sur les marchés, augmentant ainsi sa dépendance à l’endettement.
En 2013, la faillite de la ville de Detroit eut un effet « collatéral » insoupçonné sur Puerto Rico. D’un seul coup, les investisseurs friands de titres de la dette des collectivités publiques états-uniennes ont commencé à s’en détourner, se disant certainement que si l’État commence à s’inquiéter de ses villes surendettées, ce n’est pas bon signe pour les affaires. Puerto Rico a donc commencé à avoir du mal à trouver des acheteurs pour ses titres, et a dû emprunter directement aux banques, à des taux encore plus élevés.
Las, le gouvernement s’est dit : « il y a quelque chose qui cloche dans notre façon de faire, c’est sûr ». Et ça aurait pu être le début d’une réflexion intéressante, mais ils ont finalement voulu jouer l’originalité. Ils en sont venus à se dire que ce niveau insoutenable d’endettement était forcément dû aux dépenses excessives de l’État, comme en Grèce et dans la plupart des pays du monde. Et donc, comme en Grèce et dans la plupart des pays du monde, ils ont mis en place des mesures d’austérité ! Le résultat est foudroyant : environ 60 % des adultes qui sont sans emplois ou n’en cherchent même plus, 45 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté (56 % des enfants sont touchés !), plus de 150 écoles publiques fermées, des inégalités de revenus supérieures à tout autre état américain et une émigration massive passée d’une dizaine de milliers de personnes par an avant 2010 à une moyenne de 48 000 par an entre 2010 et 2014. Et une dette qui continue d’augmenter, comme en Grèce et dans la plupart des pays du monde (surprise !).
Maintenant, Puerto Rico se retrouve sous une forte pression de la part de ses créanciers, car les liquidités manquent pour faire face aux prochaines échéances (comme en Gr… Bon, ça va, j’arrête, vous avez compris). La dette portoricaine s’élève désormais à quelques 73 milliards de dollars, dont 18 milliards qui seront à rembourser d’ici 2020. Le pays a déjà fait défaut une première fois au mois d’août 2015, sur une échéance de 58 millions $. Le 1er décembre 2015, une échéance de 355 millions $ se profilait, suivie de près par une autre échéance de 330 millions $ le 1er janvier, et l’agence de notation Moody’s voyait déjà un nouveau défaut se profiler. L’ambiance risque de ne pas être à la fête pour le gouvernement.
Défaut, banqueroute, austérité… Que choisir ?
Le gouverneur, Alejandro Garcia Padilla, demande aux créanciers de restructurer la dette de Puerto Rico, affirmant que, s’il y est obligé, il préférera faire défaut plutôt que de suspendre les services sociaux de base à ses 3,5 millions d’habitants (je sais, ça sonne un peu comme une blague, mais c’est lui qui le dit). Seulement, le petit Puerto Rico, face à ses créanciers, aura intérêt à la jouer bien fine. Attention aux risques de procès de la part de créanciers malintentionnés, notamment les fonds vautours qui sont déjà à la manœuvre pour racheter des titres portoricains, dans l’anticipation d’une restructuration de laquelle ils tenteront de tirer profit.
De son côté, l’administration Obama, dans sa « grande mansuétude », a proposé que Puerto Rico ait accès au fameux Chapitre 9, qui prévoit la mise en faillite ordonnée d’une collectivité publique états-unienne, la protégeant ainsi de ses créanciers, au même titre que Detroit. En échange, une commission de supervision sera mise en place, pour mettre en œuvre les réformes fiscales dont Puerto Rico « a besoin » pour se sortir de son endettement massif : de nouvelles fermetures d’écoles publiques, des réductions supplémentaires des dépenses de santé, de nouvelles coupes dans les subventions et les salaires publics…
Et s’il y avait une autre voie ?
Le plan d’Obama ne permettra pas le redressement économique de l’île, qui sera étouffée par des mesures d’austérité mortifères, dont l’efficacité n’a jamais été prouvée, bien au contraire. De même, une restructuration qui verrait les officiels de Puerto Rico s’asseoir avec leurs créanciers autour d’une table de négociation n’aurait que fort peu de chance d’aboutir à une issue favorable pour les habitants de l’île. Le seul moyen efficace connu à ce jour, mais (bizarrement ?) fort peu présenté par les médias, est de renverser le rapport de force entre l’île et ses créanciers, en suspendant le paiement de la dette et en lançant un audit intégral de la dette extérieure publique de Puerto Rico, afin de déterminer quelle part de cette dette doit être remboursée, et quelle part peut être déclarée illégitime, illégale, odieuse ou insoutenable et doit être purement et simplement annulée – les taux d’intérêt indécents ou le statut de colonie américaine de l’île sont déjà de sérieuses pistes pour aller dans ce sens.
C’est en partie ce que propose Bernie Sanders, le candidat à l’investiture démocrate en 2016 qui bouscule quelques peu le jeu politique américain. Dans une lettre écrite au secrétaire du trésor américain, Jacob Lew, Bernie Sanders presse l’administration d’organiser une rencontre entre le gouvernement de Puerto Rico, les principaux créanciers de l’île, les représentants des fonds de pension qui ont investi dans la dette portoricaine et les syndicats, afin de mettre sur pied un plan de remboursement réaliste et juste. Il s’oppose clairement à plus d’austérité, précisant qu’il est impossible d’extraire du sang de la pierre (it’s impossible to get blood out of a stone). Encore mieux, le candidat démocrate plaide pour un audit de la dette de Puerto Rico préalablement à toute restructuration, précisant simplement que tout prêt conclu en désaccord avec la constitution devrait être mis de côté… Ce qui nous semble évidemment un peu léger, mais de la part d’un élu américain, c’est déjà énorme. Bernie Sanders réclame enfin que Puerto Rico puisse avoir recours à la loi sur la faillite des collectivités publiques, dite Chapitre 9, et que la couverture sociale soit étendue aux habitants de l’île, qui paient les mêmes cotisations que les citoyens américains vivant dans les 50 états fédéraux, mais ne reçoivent en moyenne que la moitié du taux de remboursement, ce que le candidat considère comme une discrimination à l’égard de citoyens américains. Sur ce dernier point, il serait difficile de lui donner tort, mais pour ce qui est du Chapitre 9, on a vu dans le cas de Detroit que celui-ci n’a pas empêché les créanciers d’obtenir de terribles mesures d’austérité. Ce n’est donc pas la bonne solution. La réalisation d’un audit intégral de la dette avec suspension de paiement devrait aboutir à soulager durablement l’économie portoricaine. Si en plus celui-ci s’accompagnait de mesures sociales visant à recréer de l’emploi, améliorer les systèmes de santé et d’éducation, lutter contre la pauvreté et donc contre l’émigration, Puerto Rico aurait vite fait de se défaire du joug de la dette…
Les grands médias états-uniens, en bons chiens de garde du capitalisme veillant sur leur sphère d’influence comme sur un troupeau, font planer toutes sortes de menaces des plus effrayantes sur le sort de Puerto Rico. Le New York Times écrit ainsi qu’un défaut de paiement entraînerait probablement l’île, ses créanciers et ses résidents « dans des limbes financiers dont ils pourraient prendre des années à sortir ». De là à dire que Puerto Rico pourrait s’enfoncer dans les océans après avoir subi une tornade abominable, un tsunami d’une ampleur jamais connue de mémoire de pêcheur et une attaque de goélands zombies dévoreurs d’homme, se serait risquer de me faire insulter par le tout Hollywood pour avoir révélé la fin du film avant sa sortie en salle… Malheureusement, croire que le gouvernement empruntera une autre voie que la désormais sacro-sainte austérité, relève tout autant de la pure science-fiction. L’histoire récente l’a montré, sans mobilisation populaire massive, comme en Équateur ou en Islande, pas d’échappatoire aux logiques tordues des créanciers et des gouvernements complices.7
Référendum sur le statut de Porto Rico de 2017
Le référendum a lieu dans un contexte politique compliqué, Porto Rico étant toujours lourdement endetté et subissant une politique d'austérité. L'opposition, qui souhaite soit l'indépendance, soit le maintien du statut actuel, boycotte le scrutin, reprochant un vote biaisé et ne pouvant que porter en tête l'option visant à faire de Porto Rico un État américain. De plus, ce référendum est purement consultatif, donc le président Donald Trump n'est pas obligé d'en tenir compte, sans compter que le boycott rend les résultats peu représentatifs. Enfin, le coût de ce référendum est par ailleurs critiqué.
Résultat
Le statut d'État américain remporte une écrasante majorité des suffrages avec 97 % des votants ayant choisi cette option. La participation est néanmoins très faible, avec moins de 24 % des inscrits ayant voté, à la suite d'un appel au boycott du scrutin par une partie de la classe politique portoricaine.8
Ouragan Maria : Porto Rico se bat pour survivre
Par Monique Dols, Lance Selfa.
Presque deux mois après l’ouragan Maria qui a frappé Porto Rico le 20 septembre 2017, l’île s’adapte à une nouvelle réalité.
Comme l’a dit un activiste que nous avons rencontré, l’ouragan Maria a arraché les feuilles des arbres et a aussi arraché le mince voile qui dissimulait à peine la pauvreté et la misère généralisées.
Les premières semaines après la tempête ont été une période durant laquelle les gens ont travaillé uniquement pour assurer la sécurité de leurs familles, de leurs amis et de leurs proches, en utilisant des méthodes de communication alternatives pour atteindre les gens dans différentes régions. Avec très peu de soutien de la part du gouvernement, les gens ont mis leurs ressources en commun pour nettoyer leurs maisons et essayer de sauver ce qui était récupérable.
À la mi-novembre, environ les deux tiers des résidents de l’île sont encore sans électricité. Bien que les autorités promettent de rétablir l’alimentation électrique de 95% des habitants d’ici à la mi-décembre, les tentatives de réparation du réseau électrique ont déjà souffert de nombreux problèmes et pannes.
En conséquence, beaucoup de gens doivent compter sur des générateurs électriques pour la production d’électricité, ce qui pollue l’air et provoque des nuisances sonores. Sans électricité fiable, les gens luttent pour conserver et cuisiner la nourriture, nettoyer leurs vêtements et garder les médicaments dont ils ont désespérément besoin, comme l’insuline.
Tandis que 75% de l’île dispose de l’eau courante au moment de la rédaction de cet article (le 28 novembre 2017), les gens font encore la queue pendant des heures pour obtenir de l’eau en bouteille, parce que l’eau du robinet n’est pas potable suite à la tempête. Dans la région de Rio Piedras à San Juan, l’eau du robinet était d’une couleur bleue lorsqu’elle sortait des robinets.
Les pénuries de certains produits se répercutent à des moments différents, créant des augmentations brusques de prix. Par exemple, juste avant notre arrivée, il y avait une pénurie de produits anti-moustiques, ce qui, maintenant, relève d’une nécessité sur l’île.
Officieusement, le nombre de morts informels est de l’ordre de 900, mais il est probable que ce soit plus, car le réseau de communication reste insuffisant, les rapports sont peu nombreux et le système médical est encore en crise.
Pourtant, malgré cette crise du système sanitaire, le navire médical de la US Navy – l’USS Comfort – lorsqu’il était ancré dans le port de San Juan (où accostent habituellement les navires de croisière) a été terriblement inadéquat pour répondre aux besoins des malades de Porto Rico.
Avec les médecins du Centro Médico de San Juan, l’hôpital principal de l’île, fonctionnant souvent à une lampe torche, beaucoup de gens voulaient savoir ce qu’il fallait faire pour être admis sur l’USS Comfort. Les autorités avaient installé quelques tentes sur la promenade le long du quai, et nous avons vu des douzaines de personnes – certaines avec des déambulateurs ou des bonbonnes d’oxygène – alignées dans une chaleur étouffante, attendant un traitement.
La compréhension commune sur l’île est que les gouvernements locaux et fédéraux ont complètement abandonné les Portoricains ordinaires.9
Sources