Le nom officiel de la région est « Guyane ». L'ajout de l'adjectif « française » dans les dénominations courantes est une commodité de langage issue de la période coloniale et aujourd'hui obsolète dans la mesure où il n'y a plus à notre époque en français d'ambiguïté quant à la Guyane considérée. Historiquement, il a existé plusieurs autres Guyanes :
- Guyane britannique (Guyana)
- Guyane espagnole (Guyane vénézuélienne et Guayana Esequiba)
- Guyane néerlandaise (Suriname)
- Guyane portugaise (Amapá)
Ces Guyanes s'intègrent au sein du plateau des Guyanes, ensemble géographique délimité au nord et à l'ouest par le fleuve Orénoque au Venezuela, au nord et à l'est par l'Océan Atlantique, au sud et à l'est, au Brésil, par le Río Negro et l'Amazone jusqu'à son embouchure.1
Période précoloniale
Vers le VIe millénaire av. J.-C., premières traces de peuplades amérindiennes : poteries, gravures rupestres, polissoirs, etc. Ces peuplades auraient des descendants qui sont les Emerillons et les Wayampi, parlant le tupi-guarani. Ces premières peuplades auraient commencé le processus de création des terres fertiles de Terra preta, qui quelques millénaires après permettront l'établissement de populations aux densités plus élevées que les sols naturels pauvres ne le permettent.
À la fin du IIIe siècle, venus de l’ouest et du sud, les indiens Arawak et Palikurs, probablement originaires d’Amazonie, arrivent sur le littoral et chassent les premiers habitants, ils parlent des langues de la famille linguistique arawak.
À la fin du VIIIe siècle, des indiens Caraïbes, les peuplades Kali'na (ou Galibis) et Wayana occupent à leur tour les littoraux et l'est de l'actuelle Guyane, ils parlent le caribe.
Plusieurs dizaines de nations amérindiennes ont conjointement ou successivement peuplé la Guyane et l'actuel état brésilien d'Amapa depuis 400 ans.
Des indices archéo-historiques font penser qu'au XVIe siècle, une partie au moins des sous-groupes qui donneront les Wayana, vivait au Nord de l'Amazone. Assez récemment, au début du XVIIIe siècle, remontant progressivement le Paru de leste et le Jari, ils semblent avoir absorbé des peuples de chasseurs cueilleurs (dont Upurui et Opagwana des monts Tumuc Humac). Les Wayampi sont cités par les portugais au XVIIe siècle comme occupant les rives du Rio Xingu au sud de l'Amazone, qu'ils semblent avoir franchi en vagues successives après 1720.
Au XVIIIe siècle, deux nations amérindiennes remontent vers le nord, alors que les envahisseurs venus d'outre-mer colonisent l'Amérique du Sud, amenant armes et microbes inconnus sur ce continent. C'est le temps de la colonisation qui arrive.
Le 5 août 1498, au cours de son troisième voyage, Christophe Colomb longe pour la première fois les côtes de la Guyane. Des populations indigènes amérindiennes occupent le littoral, et sont estimées à environ 30 000 Amérindiens pour la Guyane française, au siècle suivant, ils ne seront plus que 25 000.
À l'hiver 1500, le capitaine espagnol Vicente Yañez Pinzon, qui avait accompagné Christophe Colomb lors de son premier voyage et qu'une tempête jette le 26 janvier dans le deltas de l’Amazone, reconnaît la côte portugaise jusqu'à l'Orénoque, future frontière de la Guyane.2
Dès 1503 commencent les premières implantations françaises dans la zone de Cayenne. Notons notamment celle des Français avec le voyage de Nicolas Guimestre en 1539, suivi par celle de l’Anglais Robert Baker (1562) et celle de Gaspard de Sotelle (1568-1573) qui implante plus de 120 familles espagnoles dans l’île de Cayenne.
De 1596 à 1598, les Anglais John Ley et Lawrence Keymis, et le Hollandais Adrian Cabeliau, effectuent des reconnaissances géographiques précises des côtes de la Guyane. Les vraies implantations humaines apparaissent surtout au XVIIe siècle, par des occupations ponctuelles (quelques années) d’embouchures fluviales, et sont l’œuvre de la France, de l’Angleterre et des Pays-Bas.
En 1604, la colonie de Guyane prend le nom de France équinoxiale.
Esclavage et tentative de peuplement
Si les premières tentatives importantes de colonisations françaises datent des années 1620, elles sont souvent mises à mal par les dissensions internes des colons, les rapports humains médiocres avec les Amérindiens, voire la dureté des conditions de vie, notamment avec la fièvre jaune. De leur côté, les nations amérindiennes doivent faire face à un important taux de mortalité, dû non aux guerres menées face aux colonisateurs, mais à l’action d’épidémies nouvellement importées d’Afrique et d’Europe.
Longtemps, la tutelle du roi de France sur la Guyane est régulièrement contestée ; ce n’est qu’avec la reprise de Cayenne en décembre 1676 par l’amiral Jean d’Estrées que les Français s’implantent définitivement. Et encore ne contrôlent-ils que l’île de Cayenne et, par intermittence, quelques postes militaires aux estuaires fluviaux. Cette présence humaine et militaire faible qui explique en grande partie l’extrême facilité avec laquelle les Portugais du Brésil se sont emparés de l’île de Cayenne pendant les guerres napoléoniennes, île qu’ils ont occupée de 1809 à 1817.
La colonisation humaine de la Guyane est d’abord le fait de travailleurs européens, les « engagés », également appelés les « trente-six-mois » parce que liés par un contrat de trois années à leur maître. Ce quasi-esclavage européen, faute de volontaires, est très vite remplacé par une servitude d’origine africaine, qui est employée dans les habitations (exploitations agricoles) à la culture des produits coloniaux : sucre, épices, chocolat et café. Comme dans les autres colonies françaises, l’esclavage est en grande partie régi par les textes du Code noir (1685). Cette société d’habitation reste le modèle économique dominant en Guyane jusqu’à la deuxième abolition de l’esclavage en 1848. Elle n’a toutefois pas réussi à apporter un vrai développement à la Guyane, qui reste la région pauvre et sous-peuplée, voire maudite, de l’ensemble colonial français en Amérique. Lors du traité d'Utrecht en 1713, le roi de France Louis XIV, afin de limiter les conflits locaux avec la colonie portugaise du Brésil, pose les bases de la frontière entre le Brésil et la France.
L’expédition de Kourou, menée à partir de 1763 à la demande de Choiseul et dirigée par le chevalier Étienne-François Turgot, gouverneur, Jean-Baptiste Thibault de Chanvalon, intendant, Antoine Brûletout de Prefontaine, commandant, mais très mal préparée, pour établir une vraie colonie européenne d’agriculteurs d'origine européenne dans les savanes de l’Ouest guyanais, est un échec retentissant : presque tous les colons « survivants » s’enfuient de Guyane pour rejoindre la métropole. Seuls restent en Guyane des colons allemands et canadiens, qui s’implantent durablement à Kourou, Sinnamary, Malmanoury, Corossony et Iracoubo, et y fondent une société originale (et métissée) d’agriculteurs exploitants en Guyane.
Pendant la Révolution elle devient pour la première fois (Collot d'Herbois et Billaud-Varenne), lieu de déportation politique ; ceux-ci seront suivis en 1798, alors que La Guyane est érigée en un département, des « déportés de fructidor » et de prêtres réfractaires : Counamama et Sinnamary seront le cimetière de la plus grande partie d’entre eux.
L'esclavage est aboli en 1794 dans toutes les colonies, avant que Napoléon Ier ne se laisse convaincre de le poursuivre en 1804. Il n’est définitivement supprimé par décret que le 27 avril 1848, sous l’impulsion de l'abolitionniste Victor Schoelcher. La disparition de la main-d’œuvre servile met un point d’arrêt à l’économie coloniale traditionnelle.
Pour pallier ce manque de main-d’œuvre, développer la Guyane, et surtout débarrasser la métropole d’opposants politiques républicains et de délinquants de droit commun, le Second Empire crée des bagnes en Guyane avec la loi de la transportation. Ils accueillent des transportés, des déportés puis également des relégués jusqu’en 1946. Dans les années 1930, les Établissements Pénitentiaires Spéciaux, dits aussi « bagnes des Annamites », sont implantés dans le Territoire de l’Inini. Peuplés d’opposants politiques et d’intellectuels indochinois, mais aussi de petits délinquants, voleurs et proxénètes, ces bagnes seront un échec cuisant.
Les essais de peuplement de la Guyane par des ouvriers « libres » issus de l’immigration (Afrique, Inde, États-Unis, Madère…) ne seront pas plus durables.3
Ruée vers l'or
En 1855, est découvert par Félix Couy le premier site aurifère sur un affluent de l'Approuague. Des tonnes d'or sont extraites de la rivière Inini, un affluent du Haut-Maroni, dans le sud-ouest du pays. C'est le début d'une ruée vers l'or qui durera jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et qui amènera de nombreux émigrants provenant essentiellement des Antilles. Une banque de prêt et d'escompte est créée ce qui attire d'autres investisseurs qui affluent face à la demande qui se fait de plus en plus forte, mais qui repartiront à partir de 1873 lorsque la France connaîtra une grande dépression jusqu'en 1892.
En 1860, la liberté de navigation sur le fleuve Maroni est consacrée.
À partir de 1861, la France et la Hollande se contestent le territoire richement aurifère du cours supérieur du fleuve Maroni. Les Français estiment que le cours d'eau formateur est le Tapanahoni, alors que les Hollandais soutiennent que c'est le Lawa. En 1891, la contestation est arbitrée par le tsar de Russie au détriment de la France qui perd une zone de 25 000 km2, riche en minerais d'or.
Vers la fin du XIXe siècle, viennent s'installer en Guyane des Libanais et des Chinois de Formose, de Singapour et Chine.
En 1900, un arbitrage définitif rendu par le Conseil fédéral suisse fixe la frontière franco-brésilienne sur l'Oyapock, au détriment de la Guyane française qui perd un territoire de 260 000 km2.
XXe siècle
Au début du siècle, après la ruée vers l'or, la population amérindienne est décimée et se monte plus qu'à 1 500 personnes.
Entre 1910 et 1930, c'est le plus haut de la ruée vers l'or. Plus de 10 000 chercheurs d'or écument la forêt guyanaise ce qui entraîne une croissance du commerce local, et la fermeture des dernières grandes plantations.
À partir de 1923, après la visite du journaliste Albert Londres, celui-ci de retour en métropole, se fait l'écho des conditions de vie des bagnards guyanais. Une vaste campagne d'opinion s'enclenche, menée par Albert Londres, le député de la Guyane Gaston Monnerville et de nombreux journalistes, et aboutit en 1938, à une loi mettant fin au bagne, interdisant de fait, tout nouveau transport de bagnards, les peines de travaux forcés étant abolies dans le droit pénal français. Au total, quelque 90 000 bagnards auront été déportés en Guyane. Cependant, la fermeture effective n'aura lieu qu'en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et les derniers rapatriements eurent lieu en 1953 et le dernier forçat embarqua le 1er avril. La fermeture du bagne, met de nouveau à bas l'économie du territoire et entraîne un dépeuplement.
En 1938, une commission franco-hollando-brésilienne détermine le point de trijonction marquant le point séparant les territoires français, surinamais et brésilien.
En 1940, la Guyane se déclara en faveur du maréchal Pétain et ne rallia la France libre qu'en mars 1943. Dans les bagnes, des détenus mouraient de faim ou de maladie. Après la guerre l'état sanitaire du territoire est déplorable ce qui oblige le gouvernement français à prendre des mesures sanitaires importantes.
En 1946, la Guyane obtient le statut de département français, mais le territoire a beaucoup de peine à décoller économiquement à cause des coûts de production élevés et sa balance commerciale est très déficitaire.
En 1961, la population du territoire se monte à 33 000 habitants.
À partir de 1963, se pose la question d'un nouveau centre spatial français aussi près possible de l'équateur pour remplacer celui de Colomb-Béchar en Algérie. La décision, prise par le général de Gaulle, de la construire en Guyane est prise en 1964 car ce territoire présente de nombreux avantages :
- une situation géographique privilégiée à proximité de l'équateur et favorable aux missions géostationnaires ;
- une large ouverture sur l'océan autorisant toutes les inclinaisons d'orbites ;
- l'absence de cyclones et de tremblements de terre ;
- la faible densité de population ;
- de plus il s'agit d'un territoire national français.
Construit à partir de 1965, le nouveau Centre Spatial Guyanais (CSG) s'est depuis développé, au rythme de l'aventure spatiale française (sonde « Véronique », lanceur « Diamant B ») puis européenne (lanceur « Europa II »), puis avec le programme européen des lanceurs Ariane, qui va être un véritable succès commercial et mondial. C'est aujourd'hui le port spatial de l'Europe.
Le 9 avril 1968, est lancée la première fusée-sonde « Véronique ». Depuis cette date jusqu'en 2003, plus de cinq cents lancements ont été réalisées à partir du Centre de Kourou dont plus de 160 lancements « Ariane », dont le premier exemplaire a décollé le 24 décembre 1979.
Dans les années 1970, le Suriname, malgré la convention de 1978 et l'accord de coopération de 1988, reprend à son compte les thèses hollandaises et conteste la frontière fixée sur le Litani ; les cartes surinamaises indiquent la frontière sur le Marouini. Cependant, depuis la guerre civile qui a dévasté le Surinam de 1986 à 1991, la revendication territoriale n'est plus officiellement évoquée.
À partir de 1982, avec les lois sur la décentralisation, un transfert de compétence de l'État vers les organisations territoriales est mis en place.
Le 15 juin 1988 est lancé le premier exemplaire du lanceur Ariane 4 et le 4 juin 1996 est lancé le premier lanceur Ariane 5 (le vol 501), son premier vol commercial a eu lieu le 10 décembre 1999.
Dans les années 1990, la Guyane, territoire français donc intégré dans l'Union européenne. Elle attire alors de forts courants migratoires en provenance des pays voisins en crises économiques et sociales, comme Haïti, le Suriname (ex-Guyane hollandaise) et le Brésil.
XXIe siècle
En novembre 2008, le département de Guyane est bloqué par de nombreux barrages routiers érigés pour protester contre le prix des carburants à la pompe. Le président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane (CCIG) Jean-Paul Le Pelletier annonce la fermeture du port de commerce et de l'aéroport international de Rochambeau.4
En janvier 2010, les Guyanais rejettent par 69,8 % de « non » le statut d'autonomie selon l'article 74 de la Constitution et approuvent (57,49 % de « oui ») le passage à une collectivité unique.
Démographie
La population de la Guyane est estimée à 244 118 habitants en 2013.
La population est essentiellement groupée dans quelques communes sur le littoral, le long de la RN1 (bande littorale) et au bord des grands fleuves et de leurs estuaires. De nombreuses communautés coexistent, venant de 80 pays, avec aujourd'hui une quarantaine de nationalités, dont :
- Les Créoles guyanais (environ 40 % de la population)
- Les Amérindiens répartis en six ethnies (les Lokonos et les Palikur qui sont de langue arawakienne, les Kali'na et les Wayana qui sont de langue caribe, les Wayampi et les Tekos qui sont de langue tupi). Ils représentent environ 9 000 personnes.
- Les descendants des Noirs Marrons, appelés « Bushinengués » (les Saramacas, les Paramacas, les Alukus (ou Bonis), les Djukas, les Kwintis et les Matawais). Ils représentent au moins 4 000 personnes.
- Les H'mongs, originaires d'Asie, arrivés le 6 septembre 1977, représentent environ 2 000 personnes regroupées dans les communes de Roura (village de Cacao) et Mana (village de Javouhey).
- Les Français originaires de France métropolitaine représentent actuellement environ 12 % de la population.
- Les autres populations (Chinois, Libanais, Brésiliens, Haïtiens, Surinamais, Guyaniens, Hindustanis, Javanais du Suriname, Laotiens, St. Luciens, etc.) représentent près de 40 % de la population de Guyane.
Au 7 août 2006, selon Survival International, « dans la partie amazonienne du département français de la Guyane vivent aujourd'hui quelque dix mille Amérindiens dont les droits à la propriété collective de leurs terres, sur lesquelles ils étaient autrefois souverains, ne sont toujours pas reconnus ».
Délinquance
Un rapport sociologique de 2013 sur la délinquance en Guyane souligne que les violences physiques et la délinquance organisée seraient plus importante en Guyane que partout ailleurs en France. La Guyane est en seconde position (après la Corse) pour les délinquances économiques et financières. La Guyane aurait un taux d'homicides équivalent à ceux du Brésil et du Guyana, et supérieur à celui de son voisin le Suriname. La Guyane serait la plus inégale des régions françaises : ainsi chaque année, 5 000 enfants n'y seraient pas scolarisés en primaire, la justice est sous-dimensionnée et l'on observe des carences dans la mise en place des dispositifs d'insertion et de formation.
La situation économique de la Guyane est jugée difficile, le taux de chômage officiel au deuxième semestre 2013 est de 21,3 %.
L'économie est fortement dépendante de l'Hexagone et de l'industrie spatiale (Centre spatial guyanais).
Santé
Le paludisme et la dengue (avec des formes hémorragiques depuis le début des années quatre-vingt-dix, parfois mortelle) ont une incidence élevée en Guyane. La fièvre jaune présente également un risque significatif, de même que la tuberculose. Des difficultés d’accès à l’eau potable sont rencontrées dans de nombreuses communautés et quelques prises d’eau en rivière destinées à alimenter le réseau d'eau potable peuvent être certaines années non-opérationnelles en raison d'intrusions salines venues de l'océan atlantique (le front salé et son évolution saisonnière a été observé par le BRGM la Mana et le Maroni pour les modéliser et mieux anticiper ce phénomène). Un manque d'accès au réseau d'eau potable augmente le risque de maladies infectieuses entériques. La Guyane est aussi le département où la prévalence du sida/VIH est la plus élevée ; Selon l'ARS en 2012, « Les Caraïbes sont la deuxième région la plus touchée au monde par le VIH/SIDA après l’Afrique ».
En 2012, la mortalité infantile dont par maladies infectieuses et parasitaires (même hors-sida) y est la plus élevée de France, bien plus que dans la métropole française (elle est de 551 pour 100 000 en Guyane, pour un taux métropolitain de 182 selon une étude de la Drees et de l'Inserm). La mortalité périnatale et la mortalité maternelle y dépassaient celles des autres DOM.5
Orpaillage en Guyane
L'or de Guyane est exploité depuis plus de 150 ans. Aujourd'hui, l'or est extrait :
- soit de manière légale, par des exploitations soumises au Code Minier, la filière préférant alors utiliser le terme d'opérateur minier plutôt que d'orpailleur. Fin 2012, une trentaine de sociétés (artisans et PME) exploitaient le sous-sol guyanais.
- soit de manière illégale et clandestine ; on parle généralement d'orpaillage illégal, avec en 2008 plusieurs milliers de chercheurs d’or clandestins, venus principalement de régions défavorisées du Brésil ou du Suriname ; ces « garimpeiros », exploitent le sous-sol, avec tous les problèmes qui en découlent : saccage d’une des forêts tropicales uniques au monde, la moins fragmentée pour cette surface. Le mercure utilisé (produit utilisé pour agglomérer les petites particules d'or) contamine les populations amérindiennes, et un climat de violence de type Far West existe depuis les années 1990, dont les Brésiliens et orpailleurs eux-mêmes sont victimes.
Le Parc national du sud de la Guyane (ou Parc national amazonien de Guyane) lui-même n'a pas échappé à l'orpaillage illégal. L'Office national des forêts a estimé fin 2005 qu'en Guyane 1 333 kilomètres de cours d'eau étaient directement impactés par les chantiers miniers, principalement illégaux, et 4 671 km de fleuves et rivières touchés par les pollutions, en aval de ces chantiers. De plus, selon l'ONF de 2000 à 2005, les déboisements des orpailleurs sont passés de 4 000 à près de 11 500 hectares.
La DRIRE (maintenant intégrée dans la DREAL) évalue chaque année le butin des clandestins entre 5 et 10 tonnes d’or, soit entre un peu moins de 120 millions et 220 millions de dollars au prix de l’once en 2008 commente Axel May dans « Guyane française, l'or de la honte ». En 2007, 113 opérations « Anaconda » ont été conduites contre les orpailleurs clandestins. Elles n'ont que freiné leur expansion, malgré la destruction de matériel pour une valeur de 23 millions d'euros, la saisie de 12 kg d'or et de 71 kg de mercure. Le GIR (Groupe d’intervention régional) avec la justice guyanaise ont mis en évidence des réseaux d’immigration clandestine, de proxénétisme, de contrebande. Un risque est de reporter la pression d'orpaillage sur le Suriname voisin, encore plus touché que la Guyane.
Depuis mars 2008, une opération d'envergure est enfin menée sous le nom d'opération « Harpie », et commence à porter ses fruits. Les opérations militaires se multiplient sur les sites clandestins, avec destructions systématiques de tout le matériel trouvé sur place et des contrôles renforcés, tant sur les routes que sur les fleuves. Mais la tâche à accomplir reste immense pour éradiquer ce fléau.
Les orpailleurs illégaux, bénéficiant parfois de la téléphonie moderne et du GPS et/ou encadrés par des réseaux mafieux et armés, se sont faits plus mobiles et discrets depuis les années 1990. Opérant parfois aussi de nuit, et sous le couvert des arbres, ils se rendent plus difficile à repérer. Le mercure et les carburants, ainsi que les armes, la drogue et l'alcool, font également l'objet d'un commerce caché, qui s'accompagne localement de prostitution et violences.
La recherche et la vente clandestines de ce métal génèrent aussi de graves conflits sociaux, médiatisés notamment par le film du documentariste Philippe Lafaix La Loi de la jungle, plusieurs fois primé. Ce film explique comment des milliers de clandestins travaillent en Guyane dans des conditions très difficiles, sans aucune couverture sociale ni sanitaire, souvent soumis à la violence (pots de vin, travail forcé, vols, torture, agressions, meurtres…).
Spécificité guyanaise
L'or guyanais (et surinamien) est diffus et présent en faible quantité. Les orpailleurs illégaux traitent de grandes quantités de terre directement dans la crique (circuit d'eau ouvert), avec des méthodes qui entraînent toutes d'importants impacts sur les écosystèmes et la santé humaine, en particulier à cause du mercure. Ce produit hautement toxique a des impacts plus durables et graves que les dégâts paysagers faits par l'extraction à l'eau sous pression. Les exploitation légales n'ont pas le droit d'utiliser le mercure et opèrent en circuit d'eau fermé. Elles en retrouvent parfois amalgamé à l'or en exploitant d'anciens chantiers (on parle de "repasse") et le sol en contient naturellement beaucoup plus que la moyenne planétaire.
Les populations amérindiennes semblent être les plus touchées par les séquelles de l'orpaillage (en particulier les Wayanas). Du mercure sédimente dans les sédiments du barrage EDF de Kourou où il peut se méthyler et favoriser l'intoxication mercurielle de la faune et de la population. Ce mercure pourrait à terme avoir des effets jusque dans l'estuaire du Sinnamary et au-delà. Plusieurs études de l'InVS ont montré que le taux de mercure ne cesse de croître chez les Amérindiens vivant près des fleuves et consommant du poissons, et que ces taux dépassent souvent le seuil de risque pour la santé.
Le Parc national du sud de la Guyane (ou Parc national amazonien de Guyane) est également touché par l'orpaillage illégal et les déboisements faits par des orpailleurs.
Confrontés à de véritables opérations militaires, les orpailleurs clandestins n'hésitent plus à tirer sur les Amérindiens du Haut-Maroni. Les morts sont nombreux mais les médias nationaux restent silencieux. Deux gendarmes ont été tués par des bandits lors d'une intervention Harpie durant l'été 2012.
Déforestation
Une autre conséquence de l'exploitation de l'or alluvionnaire est la déforestation qui résulte du remaniement des sols. Ces exploitations étant souvent situées dans les lits mineurs ou majeurs des cours d’eau, qui sont aussi des corridors biologiques naturels, elles contribuent à la fragmentation écologique des écosystèmes. Les sols tropicaux sont toujours fragiles. Sur les sites orpaillés illégalement ils sont totalement détruits : la couche fertile superficielle contenant la matière organique est décapée, et lessivée vers les fleuves ou recouverte de « stériles » (déchets miniers). La loi impose aux sociétés minières une remise en état du site après l'exploitation. Les aides à la re-végétalisation ont donné depuis les années 2000 des résultats encourageants.
Dégâts écologiques collatéraux
L'exploitation aurifère a de nombreux impacts indirects.
- Dérangement de la faune ;
- Perturbation du cycle de l'eau et destruction des écosystèmes aquatiques ;
- Création de pistes ;
- Vols d'hélicoptères et/ou avions (bruit, besoin de pistes, risques liés aux carburants, à l'entretien, aux accidents, etc.) ;
- Rejets de déchets divers ;
- Pollution par le plomb, source de saturnisme : Pour des raisons pratiques, les clandestins dispersés dans la jungle consomment beaucoup de viande de brousse chassée au moyen de balles ou grenaille de plomb, souvent par des chasseurs professionnels peu préoccupés par la toxicité des munitions qu'ils utilisent ou par le fait que certaines espèces soient rares, menacées ou protégées par la loi. Cette chasse peut se faire au détriment des ressources des Amérindiens, lorsque ceux-ci sont encore présents sur les sites ou à proximité. En France métropolitaine, le plomb est au moins interdit dans les zones humides ;
- Abandon de déchets et matériaux par les clandestins.6
Le mouvement social de 2017
Le mouvement social de 2017 en Guyane débute le à Kourou et se généralise sur tout le territoire guyanais dans les jours suivants. Son origine est liée à l'insécurité et au manque d'infrastructures dont se disent victimes les habitants de ce département français d'outre-mer. Il a provoqué le report de tir d'un lanceur Ariane ainsi que du retard dans l'arrivée de plusieurs satellites au Centre spatial guyanais. La situation se débloque par l'accord de Guyane, signé le et par lequel le gouvernement Cazeneuve finit par débloquer plus d'un milliard d'euros pour financer des projets visant notamment à améliorer les soins, la sécurité, l'économie et le fonctionnement de la justice dans le département.7
Contexte : Une histoire coloniale et ses séquelles
Il y avait certes des raisons immédiates au mécontentement. Mais on comprend mieux la situation en Guyane en revenant brièvement sur son histoire, car bien des raisons de la colère sont liées aux séquelles coloniales. La Guyane est en effet une ex-colonie française d’Amérique du Sud. Ses 91 000 km2 sont enclavés entre le Brésil et le Surinam (ex-colonie hollandaise), dont 80 000 km2 de forêt amazonienne. La Guyane compte 500 kilomètres de frontières, avec le Brésil au sud et à l’est, et le Surinam à l’ouest. Le Guyana (ex-Guyane britannique) est situé un peu plus à l’ouest, à côté du Surinam. La Guyane française compte aujourd’hui 250 000 habitants.
Comme toutes les ex-colonies françaises d’Amérique, ce territoire fut une terre de traite et d’esclavage des Noirs. Et ce, pendant au moins deux siècles, jusqu’à l’abolition en 1848. En 1946, il est devenu, au moins juridiquement, un département français comme la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion. Mais ce n’est qu’après une cinquantaine d’années que la Guyane comme les départements d’outre-mer de la France purent bénéficier plus ou moins des mêmes avantages sociaux que la population de l’Hexagone, et encore par des luttes ouvrières et populaires ainsi que des revendications d’égalité sans cesse reprises. Et on le voit bien aujourd’hui, ce n’est pas fini.
En décembre 2015, une petite évolution statutaire a fait de ce département, tout comme de la Martinique, une collectivité territoriale (collectivité territoriale de Guyane, CTG), dotée d’une assemblée unique, après suppression des conseils régional et général. La Guyane française est aussi tristement connue pour le bagne, aujourd’hui disparu, et qui pendant très longtemps a été son image négative : le pays du bagne !
La métropole coloniale française a toujours considéré la Guyane comme une possession qui ne méritait pas la même considération que les départements de l’Hexagone, voire que celle concédée aux Antilles françaises. Oui, il y a bien une hiérarchie dans le traitement des Français de France, ceux des Antilles, et ceux de la Guyane. Le sentiment qui prévaut aujourd’hui dans la tête et le cœur des Guyanais est d’être méprisés, d’être d’éternels laissés-pour-compte de l’État français. Et ils ont raison.
D’un autre côté, la France et l’Union européenne, avec les grosses sociétés du monde entier, tirent aujourd’hui des milliards de bénéfices des satellites portés par la fusée Ariane sur la base de Kourou en Guyane et maintenant aussi par les Soyouz russes, tout comme la bourgeoisie française a profité pendant des siècles de l’exploitation des esclaves de Guyane et des richesses. Aujourd’hui, l’or, le bois de Guyane notamment rapportent beaucoup à certaines sociétés capitalistes. Mais les retombées pour les populations autochtones sont misérables. Pas loin de ce concentré de technologie ultra-moderne qu’est la base spatiale de Kourou, les Amérindiens notamment et d’autres communautés autochtones vivent misérablement, parfois sans eau courante et potable et sans électricité.
Le « pacte d’avenir » France-Guyane, avec deux milliards à la clef, promis en 2013 par François Hollande, n’a jamais vu le jour entièrement. Et cela n’a fait qu’augmenter le ressentiment de la population.
L’explosion de colère
Le 21 mars, la grève des travailleurs de la société Endel et un barrage à l’entrée du centre spatial de Kourou ont eu pour conséquence l’ajournement du départ de la fusée. En même temps, les travailleurs d’EDF s’étaient mis en grève car le réseau obsolète les obligeait à des dépannages incessants. Puis ce fut le tour du port maritime, de la CTG, de la préfecture et de l’aéroport d’être bloqués.
Les tout premiers barrages ont été constitués à l’initiative des travailleurs en grève soutenus par le principal syndicat du pays, l’Union des travailleurs guyanais (UTG). Il y avait aussi des travailleurs du centre médico-chirurgical de Kourou.
Puis le mécontentement s’est étendu comme une traînée de poudre à l’ensemble de la population. L’insécurité grandissante fait de la Guyane le territoire le plus dangereux de France : on compte un meurtre par semaine. Le chômage, la décomposition des services publics, dans l’éducation et la santé notamment, le sentiment d’être méprisé et discriminé par l’État français, tout cela à la fois a fait exploser une colère contenue depuis longtemps.
La population a mis en place des barrages routiers, principalement aux ronds-points, dans les villes et villages. Mardi 28 mars, ces barrages ont été partiellement levés pour permettre la tenue de deux grandes manifestations à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni. Ces deux manifestations furent particulièrement massives ; avec 15 000 manifestants, elles sont les plus importantes de l’histoire de la Guyane.
La mobilisation populaire s’est organisée autour des multiples collectifs qui se sont constitués d’un bout à l’autre de la Guyane : collectif des commerçants, collectif des agriculteurs, collectif des transporteurs, collectif des avocats, collectif qui réclamait un commissariat à Kourou, et bien d’autres, par profession, par ville, village ou quartier, chez les lycéens aussi. Beaucoup de ces collectifs étaient donc ceux du petit patronat local. Ils voisinaient avec ceux des pauvres et de la population des quartiers populaires ; ou encore, ceux des Amérindiens, doublement laissés pour compte. La population donnait parfois à ces collectifs des noms évocateurs de la faune, de la flore ou de l’histoire de Guyane, comme le collectif des toucans ou celui des lumineux constitué à Saint-Laurent-du-Maroni par les lycéens du lycée Lumina Sophie, qui porte le nom d’une dirigeante de l’insurrection du Sud en Martinique en 1870.
Les notables ont aussi constitué un collectif des maires. IIs ont défilé avec leur écharpe tricolore et un drapeau guyanais en tête pour flatter le sentiment régionaliste général qui était dans l’air du temps depuis quelques années.
Une partie du mécontentement des transporteurs et petits patrons était causée par le fait que la répartition des marchés du chantier de la future Ariane 6 leur échappait. Il semble que la grosse société Eiffage était bien mieux lotie ou qu’elle ait même bénéficié du marché en totalité.
Les 500 frères contre la délinquance
Quant aux 500 frères contre la délinquance, ce collectif d’hommes en noir, encagoulés, que l’on voyait un peu partout, il s’agissait à l’origine, il y a un peu plus d’un mois, d’un groupe constitué pour réagir à l’insécurité, aux cambriolages, aux meurtres et assassinats qui sont légion en Guyane. Dirigé par un policier en disponibilité, ce groupe avait au départ mis en cause les immigrés. Se défendant d’être une milice, ils en ont toutefois bien des caractéristiques. Par la suite, avec l’implication de la population immigrée dans le mouvement et sur les barrages – Surinamiens, Brésiliens, Haïtiens –, les 500 frères contre la délinquance ont dû remiser leurs déclarations anti-immigrés. Il y aurait même eut désormais des immigrés dans leurs rangs.
Même s’ils furent applaudis par la population dans les meetings des ronds-points, même si leur stature, leurs cagoules noires, l’apparence de détermination qu’ils exprimaient tant par leur accoutrement que dans leurs propos, leur donnaient une image de groupe radical, prêt à tout, aux yeux de la jeunesse et de la population, ces 500 frères ne proposaient pas de solution. Du reste, ils n'étaient pas l’émanation directe de la mobilisation populaire, mais un groupe à part, constitué avant le mouvement populaire et proche aussi de la police.
C’était à la population elle-même de s’organiser et de freiner les prétentions éventuelles des 500 frères à contrôler le mouvement populaire, et aux 500 frères à apporter une aide à la population mobilisée tout en se plaçant sous son contrôle.
Les intérêts de classe des travailleurs de Guyane
Bien que les travailleurs et les pauvres furent la colonne vertébrale de la grève générale, bien que ce soient eux qui ont démarré le mouvement, bien qu’ils aient répondu massivement à l’appel à la grève générale de l’UTG et de ses 37 syndicats fédérés, la tête du mouvement était ailleurs, avec plusieurs pôles d’influence plus ou moins en compétition, entre les notables locaux, les 500 frères, voire des collectifs de petits patrons.
Il est frappant de constater que le cahier de revendications publié lundi 27 mars par les collectifs et signé du Kolèktif pou la Gwiyan Dékolé (Collectif pour le décollage de la Guyane), le plus important, comportait une série de revendications concernant les agriculteurs, les Amérindiens, les enseignants, les transporteurs et bien d’autres, mais aucune ne concernait les travailleurs des entreprises. Ce cahier ne comportait pour l’instant aucune revendication ouvrière. Aucune augmentation de salaire, aucune revendication d’amélioration des conditions de travail n’y figurait. Plus généralement, on ne voyait pas non plus de revendications spécifiques pour les pauvres des quartiers défavorisés et pour les chômeurs.
Dans la manifestation du 28 mars, on a vu des banderoles réclamer de l’embauche. C’était peut-être un timide début d’expression des revendications ouvrières. Certes, beaucoup de revendications concernaient aussi, indirectement, les travailleurs, mais aucune ne leur était propre. C'étaient celles des collectifs : la construction de cinq lycées, de dix collèges, 500 classes primaires, la construction de routes, l’amélioration du réseau électrique, des crédits pour la santé et tout ce qui concerne l’amélioration de la vie générale de la population.
Cependant, si les revendications propres des travailleurs n’ont pas été prises en compte, celles du Medef local, elles, l’ont été. Le cahier de revendications des collectifs stipulait bien la création d’une zone franche sociale et fiscale sur dix ans conforme à ses vœux, ou encore la mise en place du Small Business Act pour améliorer la compétitivité des petites et moyennes entreprises. On a vu le représentant du Medef local, Stéphane Lambert, sur le principal barrage, faire des déclarations de soutien au mouvement général et parler d’allègement du coût du travail. Cela voulait dire baisse des cotisations patronales, gel des salaires, pas d’embauches autres que sur des subventions publiques, etc.
Le représentant du Medef de Guadeloupe, Bruno Blandin, a fait immédiatement écho aux propos de son homologue de Guyane, mercredi 29 mars, tout comme le Medef de Martinique. Il a soutenu le mouvement populaire de Guyane. Tout cela, pour mettre en avant les revendications patronales d’aide aux entreprises, en réclamant encore plus d’allégements de toute sorte pour le patronat antillo-guyanais, qui serait discriminé par rapport au patronat de l’Hexagone.
Le patronat du Medef des Antilles-Guyane, regroupant en grande partie le lobby patronal, blanc et béké (les descendants des grandes familles esclavagistes), jouait aussi sur la fibre régionaliste pour mieux profiter du mouvement et mettre en avant ses revendications. Parmi ceux qui faisaient entendre leur camp, les patrons du Medef avaient donc une longueur d’avance sur les travailleurs dans le cadre de ce mouvement.8
Après l’accord du 21 avril
Le 21 avril, un protocole d’accord entre le collectif qui dirigeait la grève générale et le gouvernement a été signé par les deux parties. Le « Kolektif pou la gwiyann dekolé » (collectif pour le décollage de la Guyane) a ensuite mis un terme aux barrages routiers et à la grève générale.
Ce protocole d’accord prend acte du 1,086 milliard accordé déjà par le gouvernement pour les besoins urgents en infrastructures. Quant aux mesures chiffrées à 2,1 milliards réclamés en plus par le collectif et que le gouvernement refusait, il est dit dans le protocole que « l’État (…) s’engage à ce qu’elles fassent sans délai l’objet d’un examen prioritaire pour programmer et mettre en œuvre un plan additionnel tant d’investissement que de fonctionnement. » L’État ne s’engage donc pas fermement. Mais ce qu’il qualifiait de sommes « irréalistes » devient aujourd’hui envisageable. Et cela, c’est la détermination des travailleurs et de la population de Guyane qui l’aura permis.
L’accord, sous la pression de certains notables, et dirigeants du principal syndicat, UTG (Union des travailleurs guyanais) formule en plus la nécessité d’un processus d’évolution statutaire de la Guyane vers une plus grande autonomie.
Même si beaucoup reste encore à faire sous forme de mesures additionnelles, ce qui a déjà été obtenu par la lutte permettra la création et la rénovation d’un certain nombre de services publics, de ponts, de routes. Il y a aussi la cession gratuite de 250 000 hectares à la collectivité territoriale de Guyane et aux communes et surtout l’attribution de 400 000 hectares aux peuples autochtones, Amérindiens et Bushiningués africains ayant fui dans les forêts à l’époque de l’esclavage et constitué des communautés libres.
Ceux qui en Guyane se sont battus jusqu’au bout ont donc gagné. Ils ont tenu tête notamment aux patrons du Medef et autres socio-professionnels qui s’étaient désolidarisés du mouvement après avoir obtenu satisfaction pour eux. C’est la détermination des travailleurs, de la population, et du collectif qui a payé. Il faut noter que le blocage du décollage des fusées Ariane de Kourou n’a pas été la moindre des actions qui montrait cette détermination et gênait le gouvernement.9
Des braises sous la cendre
Lors de sa visite en Guyane, les 26 et 27 octobre 2017, Emmanuel Macron a tout fait pour ignorer et mépriser à distance les manifestants de Guyane. Ce sont eux qui ont manifesté dès le premier soir de son arrivée et sous ses fenêtres. Cependant, le chef de l’État a refusé de rencontrer les dirigeants du « Kolektif Pou Lagwiyann Dékolé ». C’est ce collectif, que Macron juge illégitime, qui avait pourtant dirigé la mobilisation populaire d’avril dernier et bloqué la vie économique du pays, jusqu’à empêcher la fusée Ariane de décoller.
En réalité, pendant son séjour, Macron n’a été préoccupé que par le mouvement social de protestation guyanais et ses dirigeants. C’est à lui qu’il s’était adressé à distance en le traitant de délinquant et d’illégitime. C’est encore à lui qu’il a déclaré qu’il n’était pas venu distribuer des milliards et que cet argent était celui des Français. Et à ce propos, de quels Français parlait Macron ? Ceux de l’Hexagone ou ceux de l’ancienne colonie de Guyane ? Il est permis de se poser la question devant le mépris affiché pendant son séjour.
Mais Macron devait bien saupoudrer ici et là des promesses, comme tous les chefs d’État se rendant en outre-mer. Chirac avait bien promis un tunnel entre les deux îles de Guadeloupe, sous la rivière Salée... Il est revenu sur la cession de centaines de milliers d’hectares de terres au peuple amérindien. Mais les Amérindiens de Guyane se demandent qui sera réellement propriétaire de ces terres : la collectivité de Guyane ? Les municipalités où les Amérindiens sont nombreux ? Ou les paysans amérindiens eux-mêmes ? Ceux-ci rappellent fort justement que c’est la colonisation française qui a volé ces terres à leurs ancêtres il y a plusieurs siècles.
La population se demande aussi si le projet évoqué par Macron d’une immense mine d’or à Saint-Laurent-du-Maroni, aux conséquences catastrophiques pour la population, sera maintenu ou non. Les Amérindiens et les opposants au projet s’inquiètent par exemple des millions de tonnes de boues issues du processus pour séparer l’or de la roche au moyen de cyanure. Déjà les populations amérindiennes et bushinengués subissent les conséquences désastreuses de l’orpaillage clandestin : la pollution au mercure des eaux fluviales. C’est en partie cela, aggravé par le sous-développement chronique, qui avait poussé les Amérindiens et Bushinengués à se joindre aux grandes manifestations d’avril 2017.
Du reste, dès le dimanche suivant le départ de Macron, un barrage routier d’habitants de Montsinéry-Tonnégrande s’est formé. Sur leurs pancartes on lisait : « Eau, électricité, voirie », « Signalisation pour nos enfants », « Ras le bol des promesses ». Il a fallu l’intervention brutale des gendarmes pour les disperser à coups de grenades lacrymogènes.
Le gouvernement n’en a pas fini avec le mécontentement populaire en Guyane. Macron l’a senti. Malgré une fermeté affichée en paroles, il a convenu que la question des deux milliards manquants sur les trois exigés par le collectif serait tout de même étudiée. Un point marqué grâce à l’expression de la colère populaire.10
Sources