Origines
Les premiers habitants de la région étaient des ancêtres des Bochimans qui furent progressivement chassés du territoire du futur Mozambique, entre le Ier siècle et le IVe siècle, par des vagues de peuplements de langue bantou, arrivant par la vallée du Zambèze.
Les nouveaux arrivants, contrairement aux chasseurs-cueilleurs originels, maîtrisaient l'agriculture et le travail du fer et avaient contrairement aux Bochimans une société hiérarchique. Le système de formation était tel que les parents apprenaient leur métier aux enfants, de plus les habitants essayaient de mémoriser une tradition orale.
La présence de la route reliant le royaume du Zimbabwe à l'océan Indien favorise l'implantation de nombreux comptoirs commerciaux par les navigateurs indiens, arabes, indonésiens et chinois. Ainsi un capitaine persan, Ibn Shahriyar, dans son Livre des merveilles de l'Inde, rapporte le témoignage d'un marchand arabe du nom d'Ibn Lakis qui en 945, voit arriver sur la côte du Mozambique « un millier d'embarcations » montées par des Waq-Waq qui viennent d'îles « situées en face de la Chine » chercher des produits et des esclaves zeng, mot arabe qui désigne à l'époque la côte orientale de l'Afrique.
Ces échanges existaient donc depuis plusieurs siècles lorsque Vasco de Gama, lors de sa première expédition en 1498, reconnaissait la côte est de l’Afrique, établissant des contacts avec les africains après un débarquement dans la baie de Delagoa, sur le site de la future Lourenço Marques, et avec le sultan Mussa Mbiki dirigeant une petite île au large de Madagascar dans la baie de Mossuril.
C'est le nom de ce sultan, Mussa Mbiki, qui donnera en portugais Moçambique, qui servira tout d’abord à désigner l’île, puis toute la côte africaine lui faisant face.
La colonisation portugaise
Par la signature du traité de Tordesillas en 1494, toute l’Afrique tomba dans la sphère d’influence du Portugal.
La colonisation commença dès le début du XVIe siècle, par la capture de la petite île de Moçambique en 1507, lors de la deuxième expédition de Vasco de Gama, et la construction en 1510 d’un fort carré et d’une ville, São Sebastião de Moçambique, qui furent placés sous l'autorité du vice-roi des Indes résidant à Goa.
Comme leurs prédécesseurs indiens, les Portugais se livrèrent à des trafics très juteux, d’ivoire et développèrent la traite des noirs pratiquées alors par les Arabes, avec le concours de chefs africains.
En 1544, Lourenço Marques explore les côtes continentales, et d'autres comptoirs sont créés. Mais à partir de la période, de 1580 à 1640, pendant laquelle les couronnes portugaise et espagnole sont réunies, ces établissements sont abandonnés plus ou moins à eux-mêmes, au profit de ceux d’Inde et d’Extrême-Orient, nettement plus rentables, et de la colonisation brésilienne. Malgré le déclin de l’intérêt de la métropole, l’activité se poursuit, en particulier la vente d’esclaves à destination de la péninsule arabique et de l’Empire ottoman.
Dans le courant du XVIIe siècle, les Portugais instituent les prazos, qui proviennent au départ de dons de terres que les chefs africains accordent à des aventuriers portugais en échange de leurs services. Le gouvernement portugais à son tour distribue des prazos da Coroa (Plantation de la Couronne) à ses serviteurs les plus loyaux, qu’il charge de pacifier les territoires concédés et qui doivent, en principe, payer des taxes.
En 1752, le territoire du Mozambique est doté d'une administration coloniale autonome par rapport à l'Inde portugaise. Mais cette administration coloniale demeurait liée à une structure d'occupation militaire, dépourvue de systèmes de lois et abandonnée à l'arbitraire des représentants de la métropole.
Au début du XIXe siècle, les descendants des prazeiros, presque tous métissés, vivent sur leurs terres en véritables potentats. Ils obligent les chefs noirs à payer un tribut en ivoire et en esclaves et devant la précarité croissante de leur condition, les Africains fuient leurs villages, augmentant l’insécurité.
Les Britanniques émettent à l'époque de sérieux doutes sur la réalité de l'administration locale dans les colonies portugaises et dénoncent l'inconsistance de la colonisation portugaise. Ces critiques sont d'autant plus fortes qu'en dépit de l'abolition de la traite en 1836, celle-ci continue et est dénoncée par Livingstone.
Lisbonne ne tarda pas à répondre aux critiques britanniques et organisa des expéditions à partir de 1845 pour démontrer sa présence et affirmer son autorité.
En 1877, la ruée vers l’or au Transvaal encouragea les quelques colons à s’aventurer plus vers l’intérieur des terres. São Sebastião de Moçambique perd alors sa prédominance au profit de Lourenço Marques, reliée en 1890 au Transvaal par la première voie ferrée du territoire. Le port de Lourenço-Marquès était en effet devenu le débouché naturel pour l'exportation des minerais du Witwatersrand. Le Mozambique devint alors une dépendance occulte de l'Afrique anglophone.
En 1891, la frontière orientale du Mozambique avec la Zambézie du Sud était fixée par traité. Dans l'opération, les britanniques récupéraient le Manicaland.
Le gouvernement portugais décida alors de confier l'exploitation de la majeure partie du pays pour cinquante ans à trois compagnies privées qui se voyaient attribuer les pouvoirs d'un État sur un territoire et le monopole de son exploitation en échange d'une redevance versée au Portugal. Ces 3 compagnies étaient :
- la Companhia de Moçambique, basée à Beira, qui contrôlait les districts de Manica et Sofala soit 135 000 km2. Ses capitaux étaient essentiellement français mais aussi portugais, britanniques et sud-africains.
- la Compagnie de Zambézie, qui contrôlait les districts de Tete et Quelimane soit 155 000 km2. Ses capitaux étaient essentiellement portugais, allemands, français, sud-africains et britanniques.
- la Compagnie de Niassa, enfin, qui était détenu par des capitaux britanniques et contrôlait tout le nord du territoire mozambicain.
Le bilan de ces compagnies fut décevant. Les politiques définies visant à l’enrichissement de la métropole portugaise et des colons européens, ont eu tendance à négliger le développement des infrastructures sociales (dispensaires, écoles) et de l’équipement du pays. Un accord inter-étatique fut même conclu entre le Portugal et l'Union d'Afrique du Sud, afin de permettre le recrutement de travailleurs migrants mozambicains dans les mines du Transvaal.
En fait, seule la compagnie de Mozambique développa des infrastructures, notamment la ligne de chemin de fer reliant Beira à Salisbury achevé en 1900. Ce fut aussi cette compagnie qui développa la culture commerciale du sucre qui devint la principale exportation du Mozambique.
En 1929, à la fin du mandat de ces compagnies, le territoire du Mozambique était encore pauvre, non développé et mal contrôlé.
Le Mozambique sous le régime de Salazar
L'arrivée au pouvoir au Portugal d'António de Oliveira Salazar marqua le début d'une politique plus volontariste pour développer les colonies. Elle se manifesta en 3 phases différentes et par l'idée novatrice, par rapports aux époques précédentes, qu'il fallait assurer l'intégration du territoire mozambicain et de sa métropole. Ainsi, le cadre juridique et institutionnel du territoire fut enfin déterminé par la détermination du principe de l'indivisibilité de l'État et de la Nation, les gouvernements coloniaux étant une émanation du pouvoir centralisateur de la métropole. Au Mozambique, les organes représentatifs ne concernent cependant que les colons. Aucune consultation ou représentation des populations indigènes dans les conseils exécutifs ou législatifs n'était encore prévue. Un statut indigène est même rédigé afin de réglementer la circulation des africains, leur accès aux lieux public, la répartition territoriale et l'accès à l'emploi.
La politique d'intégration territoriale des colonies à l'espace national portugais menée par le régime salazariste reposait également sur une politique favorable à l'émigration et à l'établissement des Portugais en Angola et au Mozambique. Elle devait être favorisée par le développement des activités productrices comme les mines et l'industrie. Cette politique d'intégration visait les Africains eux-mêmes, qui par une politique d'assimilation "au mérite", pouvaient intégrer la nation portugaise.
En 1930, le nombre de colons européens au Mozambique n'est que de 30 000 personnes. La politique d'intégration territoriale va contribuer à la faire rapidement augmenter pour atteindre 200 000 personnes au début des années 70 (3 % de la population). Néanmoins, l'importance de cette immigration portugaise au Mozambique resta relativement insuffisante et inférieure à ce qui était attendu, les candidats portugais à l'émigration préférant nettement, durant cette période, aller s'établir au Brésil.
Après la Seconde Guerre mondiale, en 1951, le Mozambique et les autres possessions africaines deviennent des provinces portugaises d'outre-mer. D'une manière générale, l'absence de moyens financiers suffisants pour la mise en valeur des ressources naturelles du territoire mozambicain est patent et marqué par un faible développement historique des infrastructures.
Néanmoins, des efforts sont accomplis au niveau des activités agricoles, développées autour de deux grands types d'agriculture, d'un côté les plantations de canne à sucre, de thé, de coprah et de sisal et de l'autre côté le coton.
La principale réalisation d'ampleur du régime fut le développement énergétique, marqué par l'exploitation de gisements charbonniers et par le début de la construction du barrage de Cahora Bassa.
La guerre d'indépendance
Le 25 juin 1962, au Tanganyika, plusieurs groupes anticoloniaux fondèrent le Front de libération du Mozambique (FRELIMO), un mouvement qui prône le rejet global du système colonial-capitaliste dans un contexte de lutte des classes et de lutte révolutionnaire. Le FRELIMO opta pour placer l'insurrection armée au centre de la lutte politique, afin de mobiliser les populations rurales, amenées à constituer la base sociale et politique du mouvement. Il engagea ses premières actions de guérilla à partir de septembre 1964 en dépit des dissensions internes qui affaiblissaient le mouvement. Le COREMO, soutenu par le président zambien Kenneth Kaunda mais aussi allié à l'UNITA angolais et au Congrès Pan Africain, n'arriva pas à s'imposer face au FRELIMO dans le domaine de la lutte armée contre l'administration portugaise.
En 1968, le premier gouverneur civil du Mozambique était nommé, l'armée ayant fourni jusque-là la majorité des gouverneurs coloniaux.
En dépit de l'assassinat en 1969 de son chef historique Eduardo Mondlane, le FRELIMO devint le seul mouvement nationaliste de guérilla à pouvoir lutter contre le pouvoir colonial.
Le FRELIMO est finalement reconnu internationalement comme mouvement de libération nationale. Sa direction tricéphale était alors composée d'un marxiste, Samora Machel, d'un intellectuel, Marcelino dos Santos, et d'un modéré, le révérend Uria Simango. Après que ce dernier eut rejoint le COREMO, Samora Machel prit vite l'ascendant sur le mouvement alors que Dos Santos (un métis) préférait s'effacer devant un Noir représentant la classe ouvrière. Dos Santos demeura néanmoins l'idéologue en chef du FRELIMO.
En 1972, un "mouvement national de résistance" était créé de toutes pièces par les services secrets de Rhodésie avec pour mission de s'attaquer aux bases arrières des mouvements nationalistes de Rhodésie.
En avril 1974, le FRELIMO contrôlait le nord du pays et la région de Tete, soit un tiers du territoire, quant au Portugal, la Révolution des œillets mettait fin à la dictature salazariste. Le FRELIMO devint l'interlocuteur privilégié des Portugais bien qu'en quelques semaines, une trentaine de partis politiques virent le jour au Mozambique. Le 7 septembre 1974, un accord était signé à Lusaka entre le Portugal et le FRELIMO fixant un calendrier pour un cessez-le-feu, l'établissement d'un gouvernement provisoire en vue de la proclamation de l'indépendance du Mozambique.
Une partie des colons portugais fut alors ulcéré de l'abandon annoncé de la colonie. Certains voulurent prendre modèle sur la Rhodésie et à l'instar de Ian Smith, faire déclarer unilatéralement l'indépendance. Une tentative de coup d'État mal préparé a alors lieu. Des colons s'emparèrent des locaux de la radio nationale, occupèrent la centrale téléphonique et libérèrent les agents de la PIDE, la police secrète salazariste, arrêtés lors de la Révolution des œillets. Mais la majorité des colons se résigna en fait à l'arrivée du FRELIMO au pouvoir. Une plus grande majorité d'entre eux se résignait au départ et en quelques mois, la population portugaise tomba de 200 000 à 80 000 personnes, alors que l'indépendance n'avait toujours pas été proclamée. Les derniers soubresauts eurent lieu en octobre 1974. Certains des colons brûlèrent leurs propriétés en partant, la majorité vers l'Afrique du Sud et le Portugal.
L'indépendance du Mozambique
Le 25 juin 1975, l'indépendance du Mozambique était proclamée et Samora Machel en devenait le premier président de la république. Selon les accords passés avec le gouvernement portugais, des élections pluralistes devaient être organisées et un gouvernement d'union nationale devait assurer la stabilité du nouveau pays. En fait, le FRELIMO accapara immédiatement le pouvoir que les Portugais lui avaient donné, et s'aligna politiquement sur le bloc soviétique, en mettant en place un État socialiste. Les élections pluralistes n'eurent pas lieu. La nouvelle constitution proclamait l'établissement d'une démocratie populaire, fondée sur un système de parti unique et d'élections indirectes.
L'état économique et social paraissait alors déplorable mais le nouveau gouvernement comptait sur l’aide économique et politique de l’Union soviétique et de Cuba relayant alors celles qui étaient apportées jusque là par le Portugal et l'Afrique du Sud.
Cependant, le pays allait s'enfoncer dans une guerre civile attisée par des intérêts qui dépassaient ceux du Mozambique.
La guerre civile
Le FRELIMO, s'appuyant alors sur sa légitimité au sein de la population mozambicaine, se proclama comme le parti unique.
Samora Machel mit alors en place un régime socialiste et dictatorial, nationalisant les industries et les fermes. Il tenta de regrouper autoritairement les villageois dans des villages communautaires, inspirés des villages tanzaniens d'Ujamaa, dans le but de favoriser l'accès aux services et à l'éducation de la population mais aussi pour subroger les anciennes plantations coloniales par des fermes d'État.
Sur le plan international, le Mozambique se conforma aux sanctions économiques internationales contre la Rhodésie et l'Afrique du Sud en dépit de ses propres intérêts économiques ce qui accentua la désorganisation économique, politique et sociale du pays. Le pays accordait également asile aux mouvements nationalistes en lutte contre les systèmes ségrégationnistes de Rhodésie et d'Afrique du Sud. Mais en moins de deux ans, suite au départ massif des cadres portugais, de l'échec rapide des fermes d'État, de l'effondrement du trafic portuaire et ferroviaire, conséquence de l'hostilité du gouvernement mozambicain à la Rhodésie et à l'Afrique du Sud, le pays était ruiné et au bord de la banqueroute. La campagne de sabotage systématique menée par la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO), financé et soutenu d'abord par la Rhodésie puis par l'Afrique du Sud, finit par plonger le pays dans une guerre civile qui allait durer 16 ans.
En 1979, le FRELIMO pensa avoir vaincu la résistance lorsqu’André Matzangaissa, le chef de la RENAMO, fut abattu mais au contraire, la guérilla se maintint.
Après l'indépendance du Zimbabwe en 1980, l'Afrique du Sud prit la relève de la Rhodésie dans le soutien financier et logistique à la RENAMO. Le pays était alors coupé en deux. La RENAMO oscillait entre être un mouvement de rébellion ou un groupement mafieux adepte du banditisme et du sabotage. Toutes les voies de communication étaient effectivement coupées, les lignes de transport d'énergies sabotées et les aménagements ruraux détruits. Le port de Maputo sombra dans l'apathie alors qu'une sécheresse dévastatrice s'abattait sur le pays causant famine et déplacement de la population. Le Mozambique allait devenir pendant une quinzaine d'années l'un des trois pays les plus pauvres au monde et sera tributaire de l´aide internationale notamment en provenance des pays scandinaves.
Dès 1980, le FRELIMO avait pris acte de l'échec de sa politique économique et sociale. Samora Machel avait imputé cet échec aux éléments ultra-gauchistes du FRELIMO. L'agriculture familiale fut alors réhabilité et les fermes d’État réformées.
En 1983, le pays tournait le dos au socialisme et adhérait au FMI et à la Banque mondiale. Les capitaux occidentaux, notamment portugais, commençaient à revenir au Mozambique.
En 1984 a lieu à Komatipoort une rencontre au sommet entre Pieter Botha, président d'Afrique du Sud, et Samora Machel aboutit à l'accord de Nkomati prévoyant l'arrêt de l’aide du Mozambique au congrès national africain en échange de la fin du soutien sud-africain au RENAMO. Mais ce fut un échec, aucun des signataires ne respectant sa signature. En même temps le pays adhéra au FMI et à la banque mondiale et obtint ainsi une aide au développement des pays de la CEE et des USA.
En 1986, l'avion présidentiel dans lequel se trouvait Samora Machel de retour de Zambie se dérouta et s'écrasa en Afrique du Sud, à 300 m de la frontière mozambicaine. Neuf passagers furent rescapés des restes du tupolev piloté par un équipage soviétique mais le président Samora Machel figurait parmi les morts. L'enquête internationale dirigée par le juge sud-africain Cecil Margo, à laquelle participèrent officieusement les Soviétiques et les Mozambicains, conclut à une série de négligences de l'équipage.
Après une courte période d'intérim, Joaquim Chissano succédait au père de l'indépendance mozambicaine. Il entreprit immédiatement un rééquilibrage diplomatique et pacifia ses relations avec le Malawi voisin, que Samora Machel avait accusé de donner refuge à la RENAMO. Il effectua un virage économique en procédant aux premières privatisations dans l'industrie alors que les Sud-Africains eux-mêmes étaient encouragés à réinvestir dans le pays.
En 1988, Chissano se détourna de l'URSS qui par deux fois avait refusé de lui accorder l'accession au COMECON. Si Chissano maintint néanmoins le traité d'amitié entre les deux pays, il se tournait uniquement vers les Européens et les États-Unis pour obtenir une aide financière.
Le 13 septembre 1988, à Songo, Joaquim Chissano et Pieter Botha renouvelèrent la coopération entre leurs pays respectifs pour sauver le barrage de Cahora Bassa. Le rapprochement entre les deux gouvernements fut facilité par l'entregent de Pik Botha, le ministre sud-africain des affaires étrangères qui devint un habitué de Maputo. En juillet 1989, Le FRELIMO abjurait le marxisme. Peu de temps après, Chissano accueillait encore une fois Pieter Botha sur le site du barrage de Cahora Bassa au moment de l'achèvement des travaux de la commission tripartite (Portugal, Mozambique, Afrique du Sud) pour la réhabilitation du grand projet de développement électrique.
En 1990, alors que les dictatures d'Europe de l'Est s'effondrent les unes après les autres (précédant celle de l’Union soviétique en 1991) et que Frederik de Klerk légalisait l'ANC en Afrique du Sud, les premiers pourparlers de paix avaient lieu entre le FRELIMO et le RENAMO, débouchant en novembre sur une nouvelle constitution, reconnaissant le pluralisme politique.
Le 4 octobre 1992, à Rome, fut signé un accord de paix sous l’égide de la communauté de Sant'Egidio et avec l’appui de l'ONU, entre Joaquim Chissano pour le FRELIMO et Afonso Dhlakama pour le RENAMO. Il prit effet le 15 octobre.
Une force de maintien de la paix, l’ONUMOZ, fut alors déployée au Mozambique. Ses derniers contingents quittèrent le pays en 1995.
La guerre civile avait finalement fait un million de victimes, autant de réfugiés dans les pays voisins et quatre millions de déplacés à l’intérieur du pays.
La démocratie
En 1994, les élections donnèrent vainqueur le FRELIMO de Joaquim Chissano et malgré de nombreux témoignages de fraude, le RENAMO respecta le résultat, se cantonnant à l’opposition politique.
Le retour à la paix provoqua le retour de 1,7 million d’expatriés, ainsi que le retour de quatre millions de déplacés à l’intérieur du pays. Économiquement, le pays doit alors procéder à de grandes réformes recommandées par les grandes institutions internationales. Certaines semblent contre-productives comme la dérégulation du secteur de la noix de cajou qui fait disparaître 90 % des emplois de cette industrie exportatrice.
En 1995, le Mozambique adhère au Commonwealth, devenant le premier membre de celui-ci à n’avoir jamais fait partie de l’empire britannique. En décembre 1999 se tiennent de nouvelles élections qui donnent encore la victoire au FRELIMO. Des irrégularités poussent le RENAMO à menacer un retour à la guerre civile, mais suite à sa défaite devant la cour suprême, il finit par y renoncer. À la fin des années 90, le Mozambique bénéficia du processus d’allégement de la dette des pays les plus pauvres.
À la fin des années 90 et au début des années 2000, le pays fait appel à des agriculteurs blancs d'Afrique du Sud et du Zimbabwe pour relancer des exploitations agricoles ou redévelopper les cultures de tabac, de maïs, de soja, de piment, de tournesol.... Le gouvernement leur proposa concrètement des terres à la location pour des périodes de 50 à 100 ans, le but étant de favoriser l'emploi local.
En 2000, un cyclone et l’inondation qui le suit dévastent le pays, tuant plusieurs centaines de personnes.
En 2001, Joaquim Chissano indique qu'il ne se représenterait pas une troisième fois, et c’est Armando Guebuza qui lui succède à la tête du FRELIMO, remportant encore les élections de décembre 2004.
En 2005, plusieurs exploitations agricoles louées aux agriculteurs blancs firent faillite. Ceux-ci mirent en cause la politique des gouvernements occidentaux orientés vers l'aide à la réduction de la pauvreté et non vers le développement des ressources locales et en aucun cas vers le développement à long terme de l'agriculture.
En 2006, le pays comptait 19 millions de Mozambicains dont 1/3 vivant dans les villes, conséquence d'une urbanisation rapide intervenue au cours de l’interminable guerre civile. S’il demeure l’un des pays les plus pauvres du monde, où l’espérance de vie est d’à peine 41 ans, le Mozambique connaît depuis 1995 une croissance annuelle qui atteint 9 % en 2005.1
Les révoltes de la faim
Les émeutes de la faim qui ont eu lieu en septembre 2010 au Mozambique ont mis le pays sur le devant de la scène.
Après la fin de la guerre civile, le Mozambique était devenu, dans les années 80, un bon élève du FMI à tel point que l’OCDE ne fut pas avare de félicitations « le Mozambique offre l’exemple d’une heureuse transition après un conflit : le pays a enregistré une croissance économique impressionnante de 8 %, en moyenne entre 2000 et 2006, et il a su préserver sa stabilité macro-économique et politique. »
Déclenchées après une augmentation de l’eau, de l’électricité et du pain, les émeutes ont duré trois jours dans la capitale Maputo et se sont propagées à travers les grandes villes du pays.
La première réponse du gouvernement, à la misère de la population, fut une répression qui a causé treize morts, dont deux enfants et des centaines de blessé-e-s. L’obsession du gouvernement transparaissait à travers les déclarations des ministres et des responsables de la police : rétablir l’ordre coûte que coûte, assumant même au début le fait que les troupes tirent à balles réelles sur des manifestant-e-s désarmé-e-s pour se rétracter quelques heures après. Le seul argument avancé fut que la manifestation était illégale, argument éculé qui a déjà été utilisé pour justifier la répression de 2008, lors des émeutes de la faim et, celle plus ancienne d’automne 2000, contre les fraudes électorales.
Le Mozambique, comme bien d’autres pays, s’est engouffré dans le libéralisme économique avec un FRELIMO, le parti au pouvoir dépositaire de la libération du pays, qui s’est métamorphosé en représentant des capitalistes, et ceci en dépit d’une phraséologie socialisante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’était alors Armando Guebuza, homme d’affaire multimillionnaire, qui était à la tête du pays. Ainsi tout sera fait pour attirer les capitaux. À titre d’exemple, les investissements directs de l’étranger (IDE), de 108 millions de dollars US en 2005 passeront à 588 millions en 2008, mais en 2007 les dépenses de santé étaient de 18 dollars par personne !
Si les IDE, au cours des dernières années ont augmenté, ils sont surtout le fait de méga projets qui ont peu de retombées économiques positives pour la population. L’exemple de MOZAL est, à cet égard, significatif. Ce grand complexe industriel, de production d’aluminium, qui a coûté près de 2.1 milliards de dollars, engrangeant des revenus annuels de plus de dix millions de dollars, ne paie quasiment pas d’impôt car ce complexe bénéficie, comme les autres, d’une franchise fiscale avoisinant les 100 %. Même l’OCDE, qui passe difficilement pour une officine altermondialiste, dans son rapport de 2008 souligne qu’ « un meilleur rendement de l’impôt sur les sociétés conforterait les revenus publics » et, de manière plus explicite, donne comme conseil au gouvernement : « il lui faudra mobiliser d’avantage de recettes fiscales en provenance, notamment, des mégaprojets ».
Pour pallier l’absence de politique fiscale des grandes entreprises, le gouvernement compte sur l’aide au développement, mais quand celle-ci baisse, comme ce fut le cas en 2010, passant de 52 % à 45 %, le gouvernement tenta de faire payer la population en augmentant les prix. Le président Guebuza avait beau promettre, lors de la campagne présidentielle en octobre 2009 : « nous allons travailler pour garantir le succès de la lutte contre la pauvreté », pourtant le niveau de vie est toujours aussi bas, l’espérance de vie stagne depuis des années à 48 ans et, a priori, les mesures d’augmentations de 17 à 30 % du prix pain, cumulées à celle de l’électricité de 13 % et des carburants de 8 %, ne vont pas dans le sens de la lutte contre la pauvreté, contrairement à ce que prétend le gouvernement. En effet, il considère que sa politique d’augmentation des prix « est l’unique solution pour sortir le pays de la pauvreté ».
Le 2 septembre 2010, après un conseil des ministres exceptionnel, le porte parole du gouvernement, Alberto Nkutumula, déclarait que « le gouvernement va continuer sa politique économique. L’augmentation des prix est irréversible. » Quelques jours plus tard, ce dernier a dû annuler les augmentations de prix pour éviter un embrasement du pays. Les gens sont à bout, ils sont réduits à vivre au jour le jour, particulièrement ceux du secteur informel qui représentent les trois quarts de la population.
En effet rien n’a été fait pour eux malgré l’augmentation régulière du taux de croissance de l’économie. Il est vrai que croissance ou pas, le social est un facteur dans le libéralisme dont le seul objet est d’être … sacrifié.2
Alors que le Mozambique regorge de richesses potentielles, notamment minières et énergétiques, la majorité de sa population vit dans un dénuement extrême. Pire, elle doit subir les conséquences de la spéculation capitaliste qui prend pour cibles le blé et le riz, quitte à affamer des millions de pauvres.
Au Mozambique, la colère de la population n'a sans doute pas fini de s'exprimer.3
14 millions d'hectares... pour les biftecks des pays riches
En 2014, le gouvernement du Mozambique a conclu un accord louant au Brésil et au Japon 14 millions d'hectares pour y produire du soja. Le Brésil est le premier producteur et exportateur mondial de soja. Quant au Japon, il en est un gros consommateur et importateur.
Le soja est une culture industrielle, orientée vers l'alimentation du bétail des pays riches. Au Brésil, elle s'est bien souvent développée au détriment des cultures vivrières, et donc de l'alimentation humaine.
Un tiers de la population du Mozambique est sous-alimentée. En produisant du soja à grande échelle, le pays deviendrait exportateur agricole, et produirait encore moins pour sa population.4
Filipe Nyusi élu président
Le 15 octobre 2015, Filipe Nyusi, candidat du FRELIMO, est élu président pour cinq ans avec 57,3%.
Agé de 55 ans, Filipe Nyusi sera le premier président à ne pas avoir participé à la lutte pour l’indépendance. Ingénieur de formation, il a longtemps travaillé à la tête de la compagnie nationale des chemins de fer, avant de rejoindre le gouvernement en 2008, où il a occupé les fonctions de ministre de la Défense. On le dit un fidèle du président sortant Armando Guebuza à qui il doit sa nomination au gouvernement et sa désignation en mars 2015 comme candidat du parti à la présidentielle.
Le FRELIMO, parti au pouvoir depuis trente-neuf ans, sort vainqueur des élections législatives avec une majorité absolue de 55,97% au Parlement.5
Néolibéralisme et guerre civile
Entretien avec Michel Cahen, l’un des meilleurs spécialistes français de l’Afrique Lusophone.
Considères-tu les élections comme crédibles ?
La réponse est forcément nuancée. Pour simplifier, je dirai « non ». Le résultat ne correspond pas à la volonté des Mozambicains, ce qui ne veut pas dire que la Renamo a gagné à chaque fois et qu’elle a été exclue par la fraude du Frelimo. Il y a eu de la fraude à chaque fois mais sur le plan technique ce n’est pas simplement une question de fraude.
Un paysan sait très bien qu’il vit mieux s’il a la carte du parti au pouvoir que s’il est dans l’opposition, un commerçant qui a besoin d’un prêt à la banque sait qu’il ne l’aura pas s’il n’a pas la carte du parti, pour être professeur ou infirmière, il faut la carte, pour être un chef traditionnel reconnu par le gouvernement, pour des tas de choses on sait bien qu’on vit mieux si on a la carte ; tout cela pèse énormément sur les consciences. C’est ce que les sociologues appellent le néo-patrimonialisme, c’est-à-dire l’utilisation des ressources de l’État à des fins privés.
L’État est profondément « partidarisé », presque autant aujourd’hui que sous le parti unique : tout le monde sait que l’État, c’est le Frelimo, ce n’est pas du tout un État (plus ou moins) indépendant comme en Europe ou dans les pays véritablement pluralistes. Cela pèse évidemment sur les gens : il y a parfois des situations caricaturales où le nombre d’adhérents du Frelimo est plus important que le nombre de ses électeurs…
Oui, il y a de la fraude, par exemple en 1999, il y a eu une fraude gigantesque à l’aide d’un programme informatique clandestin qui a inversé les résultats : la Renamo avait probablement gagné l’élection présidentielle, probablement pas les législatives. Cela a provoqué un phénomène de rétraction lors des élections suivantes, en 2004 et en 2009, où l’électorat de la Renamo n’a tout simplement plus voté. Dans les entrevues que j’ai pu faire, les gens me disaient : « je vais voter mais ensuite mon vote est remplacé donc je ne vote plus, cela ne sert à rien ». Cela est compréhensible mais a renforcé le pouvoir. On voit que les taux d’abstention ont été systématiquement beaucoup plus forts dans les zones d’implantation traditionnelle de la Rénamo que dans celles du pouvoir.
Est-ce que ces fraudes sont suffisantes à chaque fois pour inverser les résultats ? Difficile à dire, mais est-ce qu’elles ont transformé des résultats à chaque fois, c’est évident. Lors des dernières élections que j’ai observées sur place en octobre 2014, qui ont eu lieu après une crise en 2013/14 au cours de laquelle la Renamo avait partiellement repris les armes, celle-ci a doublé son score. Les gens avaient recommencé à voter, notamment des jeunes très pauvres du Nord qui ont voté pour la Renamo parce qu’ils savent qu’elle a des armes.
Les armes, est-ce un plus pour les partis ?
Il faut bien comprendre la situation, et ne pas être eurocentrique avec nos visions de Blancs du Nord. On n’est pas dans une société de tradition démocratique, au Mozambique à l’époque précoloniale les royaumes n’étaient pas démocratiques, la société coloniale n’était pas démocratique, la première période post-coloniale avec, au nom du « marxisme-léninisme », le parti unique n’était pas démocratique et le régime néo-patrimonial actuel ne l’est pas non plus ! On n’est pas dans des sociétés de citoyens, on est dans une société de sujets.
Quand je dis cela, je n’ai pas du tout une vision culturaliste pour dire que les Africains seraient des sujets et non pas des citoyens, pas du tout, parce que la même personne, à un moment donné, peut être un sujet, puis le lendemain un citoyen. On l’a bien vu lors de la révolution en Tunisie où les gens, qui cherchaient avant à s’accommoder de Ben Ali et du pouvoir en place, sont passés pour une grande partie d’entre eux à la rébellion et ont fait une révolution d’une importance, comme on le sait, continentale.
Un citoyen est quelqu’un qui, lorsqu’il est mécontent, va exiger que la république satisfasse ses droits : le droit à l’éducation, à la santé, à la nourriture, etc. Le sujet, lui, recherche non pas des droits, mais la faveur du Maître. Ainsi par exemple, en 2008 et 2010, il y a eu des émeutes dans la capitale à Maputo contre les augmentations de tous les produits de première nécessité, c’était des émeutes purement sociales qui n’ont eu aucune conséquence politique immédiate.
Je me rappellerai toujours un jeune émeutier qui mettait le feu à des pneus et qui disait « Tamos chorar pra nosso pai » – « nous pleurons pour notre père », c’est-à-dire : « Nous implorons le président de la République d’être gentil avec nous ». C’était la demande d’une faveur : que le Maître daigne être bon avec le peuple. Ces mêmes gens en 2009, ont revoté pour le Frelimo. Aujourd’hui cela pourrait peut-être changer, mais donc c’est une société de sujets dans laquelle les gens ne recherchent pas directement plus de démocratie (bien sûr, nous les sociologues et historiens pourrons analyser cela comme la recherche confuse de la démocratie), mais dans l’immédiat ce qu’ils cherchent c’est un bon maître qui les débarrassera d’un mauvais.
Alors justement parlons du « mauvais maître »…
Le mauvais maître, c’est le président de la République, Armando Guebuza qui a exercé deux mandats Très autoritaire, c’est un vrai bandit qui est devenu extrêmement riche du fait d’importantes prévarications, il a endetté l’État clandestinement, le FMI a d’ailleurs rompu ses relations avec le Mozambique.
En ce moment, la situation est assez difficile et le chef de la rébellion, Afonso Dhlakama est retourné en brousse, parce que toutes les négociations avec le Frelimo ont échoué. Le pouvoir a essayé de le tuer à plusieurs reprises, mais il s’en est toujours sorti. Il a résisté et a vaincu militairement les troupes du Frelimo dans son fief. En tant que chef de guerre qui sait résister au Maître, il a de nouveau acquis la réputation d’être lui-même un maître et donc un chef alternatif : les gens ont été attirés par cela, on peut l’expliquer de manière simple.
Il y a un troisième parti d’opposition, le MDM (Mouvement démocratique du Mozambique), une scission de la Renamo, qui a attiré des gens très différents. Ce parti n’est pas de gauche (il y a aucun parti de gauche au Mozambique), mais il attire des gens qui, s’il y avait un parti de gauche, iraient vers ce parti : des fonctionnaires, des intellectuels, des paysans dans certaines régions. Le MDM a eu un discours pacifiste en expliquant que, lui, n’avait pas d’armes, se différenciant ainsi du Frelimo et de la Renamo.
Ce discours pourrait me plaire et me plaît, mais pour les gens ce fut le contraire : « Si vous n’avez pas d’armes, comment allez-vous faire pour nous protéger du Frelimo ? » Les gens qui pouvaient être attirés par le MDM ont voté pour la Rénamo, un vote utile en faveur des groupes armés.
Le Frelimo n’a jamais partagé le pouvoir, ni sur le plan politique, ni sur le plan social. Toutes les nouvelles ressources minérales : le gaz découvert dans le Sud, le pétrole offshore au nord, les grandes mines de charbon remises en route dans le centre ne profitent qu’à l’élite. Cette minorité est en train de devenir de plus en plus riche alors que le peuple, s’il ne s’appauvrit pas, n’améliore pas sa situation depuis la fin de la guerre civile. Cela créé un mécontentement très fort qui malheureusement ne s’exprime pas encore par la volonté d’une république démocratique, mais par une volonté de changer de maître.
Le Frelimo applique toujours la règle du «the winner-takes-all » (le vainqueur prend tout). Ainsi quand il gagne les élections au plan national, avec ou sans fraude, il prend non seulement le gouvernement et tous les postes de gouverneurs, même dans les régions où l’opposition est majoritaire, mais aussi tous les postes d’administrateurs de district, tous les chefs de poste, tous les directeurs de service, les chefs traditionnels ne seront reconnus que s’ils ont la carte du pouvoir, donc les gens peuvent voter ce qu’ils veulent, en réalité la totalité de l’administration et de l’État restent identiques.
Cela crée des situations d’exaspération. J’ai constaté dans le Nord du pays quand j’ai suivi la campagne, qu’il y a beaucoup de jeunes gens (surtout des garçons) très pauvres, ruraux ou urbains, sans aucun espoir, qui étaient prêts à repartir en guerre. Ce qui aurait été suicidaire pour la Renamo il y a vingt ans, pas très longtemps après la guerre civile, devient possible aujourd’hui : une nouvelle génération apparaît, des tas de jeunes savent qu’on vit mieux avec une kalachnikov que sans. La guerre devient un projet de vie et la Renamo aujourd’hui n’a pas de problèmes pour les recruter et reprendre la lutte armée.
Il y a donc un risque de reprise de la guerre civile…
Exactement, je continue à le craindre. Il faut bien comprendre qu’Afonso Dhlakama – le président de la Renamo – est en fait un modéré et s’il n’y a pas eu d’émeutes et d’attaques sanglantes contre les sièges du Frelimo partout dans le pays avec des jeunes ruraux venant les attaquer au coupe-coupe, c’est parce Dhlakama leur a dit de ne pas bouger. Il y avait notamment un gros problème avec les anciens combattants de la Renamo : contrairement à ceux du Frelimo, ils n’ont en général pas de pensions de l’État, ils n’ont rien eu à l’exception d’un petit subside de l’Onu, lors de leur démobilisation en 1992-93. Ils sont rentrés chez eux y compris quand il y avait eu des massacres au sein de la famille. On a fait les cérémonies nécessaires destinées aux esprits des ancêtres pour qu’ils pardonnent les crimes. Les jeunes soldats ont été réintégrés, sauf qu’ils ont été ensuite extrêmement ostracisés par les autorités. L’administration 100 % Frelimo les traitait de bandits armés, l’appellation officielle de l’époque contre la guérilla. Beaucoup sont alors retournés dans les anciennes bases de la Renamo où ils ont formé des villages d’anciens combattants où ils vivaient dans une très grande pauvreté, d’autant plus que la Renamo avait de moins en moins d’argent et ne pouvait pratiquement plus les aider. En 2007, une association d’anciens combattants de la Renamo a été créé, mais qui ne fonctionna pas. Je pense que le président de la Renamo, Afonso Dhlakama, n’en voulait pas parce que cela aurait créé un vrai pouvoir au sein de son parti et qu’il veut rester seul maître à bord. Quand il a décidé en 2008 de ne plus vivre dans la capitale et de venir à Nampula (dans le Nord), des centaines d’anciens combattants sont venus entourer sa maison pour faire pression sur lui, il devait absolument obtenir quelque chose pour eux. C’est à ce moment-là, en 2012, qu’il a décidé de repartir en brousse dans le centre, sa zone d’origine, et les anciens combattants l’ont suivi. Le Frelimo a essayé de désarmer ces gens et de tuer Dhlakama plusieurs fois sans jamais y parvenir. Mais les affrontements militaires sont purement défensifs du côté de la Renamo : dès qu’une colonne du Frelimo avançait vers ces zones, la Renamo attaquait. C’est toujours la Renamo qui a eu le dessus, augmentant le prestige de Dhlakama.
Dans la troupe gouvernementale, il y a énormément de désertions, la révolte des jeunes contre la conscription s’est transformée en émeute à Beira, deuxième ville du pays. Les accords de paix du 5 septembre 2014 ont permis à la Renamo de participer aux élections d’octobre 2014 et elle a doublé ses voix. Depuis, la situation est bloquée car la Renamo ne reconnaît pas les résultats des élections, elle considère que le Frelimo a fraudé, ce qui est absolument certain mais il est très difficile dans les localités de le prouver. Je ne sais pas dans quelle mesure cela a changé ces résultats mais, comme compromis, la Renamo a proposé de nommer les gouverneurs dans les régions où elle est majoritaire, les six régions du centre et du nord. Le Frelimo a systématiquement refusé cela. Il y avait aussi eu un accord de « départisation » de l’État accepté par la commission mixte de négociation, mais dès le lendemain le groupe parlementaire du Frelimo a refusé et a enterré le projet.
Au début, le nouveau président Felipe Nyusi, devait se démarquer de l’ancien président Guebuza et il a donné l’impression d’être ouvert pour négocier avec la Renamo pendant quelques mois. Mais de plus en plus il ne parle que de la voie armée, refuse toute réforme constitutionnelle : cela veut dire retour à la guerre civile. Il y a au sein du Frelimo, je ne sais pas si c’est le président lui-même qui ne contrôle pas son appareil de sécurité ou joue un double jeu cynique, mais il y a de toute évidence une aile du Frelimo qui pense que l’on peut régler le problème militairement. Il y a des escadrons de la mort qui exécutent de nombreux dirigeants locaux et régionaux de la Renamo, un peu comme dans les dictatures latino-américaines des années 1960/70. Il y a eu trois tentatives d’assassinat de Dhlakama lui-même qui, miraculeusement, ont toutes échoué ; un attentat réussi contre le secrétaire général de la Renamo qui a été grièvement blessé, un autre qui a tué le représentant de la Renamo au conseil national de défense, qui est pourtant un organisme officiel. Pour l’instant ils ne se sont pas encore attaqués aux députés, mais cela va venir. Il y a vraiment l’idée qu’on peut régler le problème militairement, ce qui est à mon avis complètement fou. Même si Dhlakama est tué, il est évident qu’ils ont pensé au problème et que le successeur est déjà désigné. À la limite, cela ne peut qu’empirer car s’il y a un problème de leadership au sein de la Renamo, il va y avoir un éparpillement de groupes armés dans tout le pays, alors qu’aujourd’hui c’est un groupe extrêmement discipliné, une armée de guérilla qui obéit à son chef.
Il y a des combats d’une intensité parfaitement comparable à celle de la première guerre civile dans le centre, dans la zone de Gorongosa, dans le nord-ouest de la province de Tete, sur la zone frontalière avec la Zambie et le Malawi et dans certains endroits de la Zambézie – cette grande province du centre nord – notamment autour de Morrumbala. Ils ne se sont pas encore étendus à la totalité du territoire, mais à mon avis cela va continuer parce que le Frelimo pense qu’il peut gagner la guerre. Quant à la Renamo, elle doit améliorer son rapport de force pour de futures négociations et a tout intérêt à développer une guerre de guérilla.
C’est un avenir sombre pour le Mozambique…
Il y a des milliers de réfugiés au Malawi venus de la région de Tsangano, dans le nord de la province de Tete, mais maintenant les réfugiés viennent aussi de la province de Zambezia. Ils ne fuient pas la Renamo, mais les exactions du Frelimo. La politique de l’armée consiste à attaquer la population elle-même pour faire le vide autour des bases de la Renamo. Avec une très grande mauvaise foi, le Frelimo ne reconnaît pas qu’il y a des réfugiés au Malawi, ce qui évidemment envenime les relations avec ce pays car cela coûte cher de maintenir des camps de réfugiés.
La situation est extrêmement dégradée au Mozambique, y compris au niveau économique, aggravée par le pillage des ressources de l’État. Par exemple le pays a emprunté 800 millions de dollars pour l’achat de bateaux fabriqués en France, par EMATUM – une société de pêche de thon – qui en fait est une couverture pour acheter des armes. Au-delà de ce scandale connu, il y a deux autres emprunts clandestins. L’État est endetté de 2 milliards de dollars en plus de la dette reconnue, entraînant la rupture des relations avec le FMI. La monnaie – le metical – est en train de dégringoler, ce qui renchérit les importations, notamment d’Afrique du Sud, parce que le rand est une monnaie qui tient mieux le choc et probablement que cela va engendrer une augmentation des prix des biens de consommation courante dans les villes et déboucher sur des émeutes urbaines. Il est possible que les problèmes sociaux, les émeutes urbaines, une société civile qui reste faible, conjugués avec la pression de la Renamo, obligent le gouvernement à des négociations de paix, mais cela reste peu probable parce que les questions politico-économiques et militaires ont des temporalités différentes.
L’élite s’est grandement enrichie, mais ce ne sont pas des bourgeois au sens de Marx, ce sont des affairistes, des prédateurs, des bandits qui vivent du vol des ressources de l’État ou du détournement de l’aide internationale. Ils ne procèdent pas à une accumulation primitive du capital en organisant l’exploitation des travailleurs. De vrais bourgeois verraient que leur intérêt est de négocier avec la Renamo, parce que ce n’est pas un parti révolutionnaire qui va établir le socialisme, c’est un parti pro-capitaliste. Mais non, ces gens-là ont le pouvoir et ils veulent le garder. Ils ne peuvent le faire que s’ils ont le monopole sur l’appareil d’État et donc ils ne le lâcheront qu’absolument contraints. Pour l’instant je reste donc extrêmement pessimiste.6
Total profite, la population souffre
Au début de l'année 2021, Total a annoncé qu’il allait retirer une partie de son personnel du site de Cabo Delgado au Mozambique, à cause de l’insécurité. Le groupe pétrolier y est engagé dans un immense projet de gaz liquéfié où il a prévu d’investir 20 milliards de dollars. Mais les attaques de groupes djihadistes ne cessaient de se rapprocher de ses installations.
Depuis 2010, la découverte de gigantesques champs gaziers en mer a attiré dans la région les principales compagnies pétrolières mondiales. Total, ExxonMobil, ENI se partagent l’essentiel du gâteau, financés par le gratin des banques mondiales. Les réserves sont estimées à 5 000 milliards de mètres cubes, du même niveau que celles du Nigeria, où se trouvaient jusqu’à maintenant les principaux gisements d’Afrique.
Rien dans ce pactole ne profitera à la population du Mozambique. Le gaz extrait en mer, après avoir été liquéfié dans une usine sur la côte, sera exporté en Europe ou en Asie. Des contrats pour la construction de 19 méthaniers géants ont été signés à cet effet avec les armateurs japonais ou grecs. Il en sera du Mozambique comme du Nigeria qui, bien qu’étant le premier producteur de pétrole d’Afrique, doit importer la quasi-totalité de celui qu’il consomme, faute de raffineries dignes de ce nom.
Les revenus fiscaux générés par les sommes que les compagnies pétrolières voudront bien déclarer iront dans la poche des dirigeants du pays et ne serviront certainement pas, contrairement aux déclarations hypocrites du FMI, à « réduire drastiquement la pauvreté ». Le Mozambique est l’un des 25 pays les plus corrompus du monde et ses finances ne se sont pas encore relevées du scandale de la « dette cachée », lorsqu’on apprit en 2016 que l’État avait emprunté dans la plus totale opacité 1,7 milliard d’euros pour l’achat de navires. Les compagnies pétrolières arrosent généreusement l’élite gouvernementale pour arracher un champ de production en mer, un emplacement sur terre ou la protection de l’armée.
La population pour sa part a déjà pu mesurer les maux qu’allait lui apporter l’arrivée des compagnies pétrolières. De nombreux paysans et pêcheurs ont été expulsés de leurs villages pour faire place aux nouvelles installations. Des groupes djihadistes, alimentés en recrues par toutes ces frustrations, ont pris de plus en plus d’ampleur. Ils attaquent les installations et le personnel des compagnies pétrolières, et persécutent les villageois. Celles-ci entretiennent pour se protéger de véritables petites armées : hommes des entreprises françaises dites de sécurité, mercenaires sud-africains ou russes du groupe Wagner. Les villageois, eux, n’ont aucune protection et tentent de survivre entre les exactions des djihadistes et celles de l’armée mozambicaine. Le conflit a déjà fait 4 500 victimes, et 250 000 déplacés ont dû quitter leur foyer.
Avec le capitalisme, la découverte de richesses dans un pays pauvre est un pactole pour les trusts et les élites dirigeantes, mais une calamité pour la population.7
Économie
Le Mozambique est l'un des pays les plus pauvres du monde. La moitié de sa population y vit sous le seuil de pauvreté.
L'économie repose essentiellement sur l´agriculture. Environ un actif sur cinq travaille dans le secteur primaire. Des années 70 à 90, l'agriculture était entièrement collectivisée. Depuis les années 2000, elle juxtapose des petites fermes familiales et de grandes exploitations appartenant à de grandes entreprises. Les agriculteurs n'arrivent pas à satisfaire les besoins alimentaires mais le pays exporte néanmoins du coton, du sucre, du coprah, une forte production de noix de cajou et une forte production de crevettes.
Les principaux atouts de développement du pays sont dans les secteurs du tourisme et dans l'industrie minière. En 2007, de grands projets d'exploitation du sous-sol ont vu le jour pour exploiter les sables minéralisés, le charbon, l'or, la bauxite, le cuivre, l'argent et le tantale. L'économie et la politique sont aux mains d'une très petite élite descendant des assimilados, les africains assimilés par les Portugais durant l'époque coloniale, et une autre plus importante venant de l’Afrique du Sud, voisine. La plupart de la main d'œuvre est mal formée. Le système de formation porte les stigmates du passé colonial avec un système secondaire et universitaire peu développé. L'ancien système de formation africain n'avait pas pu évoluer à cause de la traite négrière, la colonisation portugaise a ensuite occidentalisé les élites en leur imposant une scolarité portugaise, mais juste de niveau primaire. Les élites qui ont conduit le pays à l'indépendance n’ont pu que transmettre à la masse l’éducation qu'ils ont, eux, reçue. L'économie est frappée par la fuite des cerveaux, les rares universitaires formés préférant s'expatrier.
La croissance du PIB est à peu près de 7 % chaque année. Cependant le manque d'infrastructure, la corruption et la forte prévalence du VIH (qui a réduit l'espérance de vie à 48 ans) sont des freins au développement, ainsi que la présence de conflits armés ou d'instabilités civiles à ses frontières, ou des troubles locaux subsistant encore de façon sporadique à la suite de la longue guerre civile, et des difficultés environnementales avec leurs lots de populations déplacées à la suite de graves inondations et de périodes d'intense sécheresse.8
D'après la Banque mondiale, 68,9% des Mozambicains vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2008.9
Santé
Au Mozambique, des dizaines de milliers de personnes meurent ou tombent malades en raison du manque d'accès à l'eau potable. La dysenterie, le choléra et les autres maladies hydriques figurent parmi les principales causes de mortalité, avec le paludisme et le sida. Selon les Nations unies, chaque année, plus de 20 000 enfants décèdent de maladies hydriques.10
Sources