La Tanzanie telle qu’elle existe aujourd’hui est le fruit de la fusion en 1964 de l’État de Zanzibar et du Tanganyika. Contrairement à l’archipel de Zanzibar dont l’histoire nous est relativement bien connue, ayant été dès l’Antiquité un important centre marchand, on sait moins de choses sur l’histoire de l’intérieur des terres, en tout cas jusqu’au début du XIXe siècle, époque où commencèrent les explorations européennes.
L’intérieur des terres (des premiers temps jusqu’au XVIIIe siècle)
La région est supposée avoir été habitée à l’origine par des tribus utilisant une langue à cliquetis de la bouche de la famille linguistique khoïsane, similaire à celle des Bushmen et des Hottentots d’Afrique du Sud. Bien qu’il reste des traces de ces tribus originelles, la plupart ont été déplacées par des populations Bantous migrant depuis l’ouest et le sud et par des Nilotes et d’autres peuples en provenance du nord. Les Bantous sont supposés être arrivés dans la région dès le Ve ou IVe siècle av. J.-C.
Les nilotiques et para-nilotiques sont eux arrivés par vagues successives, les premières au début du Ier millénaire av. J.-C. et les dernières vers le XVIIIe siècle, notamment les Masaïs qui ont migré jusqu’au nord de la Tanzanie à partir du XVe siècle, se heurtant à un certain nombre d’ethnies déjà installées, comme les Gogos ou les Hehes.
Certaines de ces populations africaines avaient atteint un haut niveau d’organisation et contrôlaient de larges territoires quand les explorateurs et les missionnaires européens ont pénétré l’intérieur du pays à partir du début du XIXe siècle
Antiquité : les premiers marchands
La région côtière, au contraire, a subi ses premières influences étrangères dès l’Antiquité. Rhapta, ancienne ville marchande que l’on situe quelque part entre la région de Tanga et le delta du fleuve Rufiji, tout au sud de l’antique territoire de l’Azanie, était un centre marchand familier des commerçants de l’époque romaine en provenance notamment de Grèce, d’Égypte, de Phénicie... Mais ce sont avec les marchands en provenance de la péninsule Arabique, du Golfe Persique et d’Inde que les relations ont été les plus fortes. Les navires, les fameux boutres, poussés par les vents de la mousson, parvenaient à Zanzibar vers décembre en provenance des Indes et de la péninsule arabique. En mars-avril, ils repartaient grâce aux alizés soufflant du sud-est.
Les commerçants ont très tôt compris l’intérêt que pouvait présenter cette côte africaine pour s’approvisionner en or, en ivoire, en bois précieux, en peaux, en cire et peut-être déjà en esclaves.
La région côtière et les îles sont à l’époque habitées par des tribus bantoues africaines, et les interactions entre ces populations indigènes et les marchands perses et arabes ne semblent pas très hostiles. Un manuel grec pour les navigateurs datant du début de notre ère, Le Périple de la mer Érythrée, évoque déjà ces marchands parlant la langue locale et mariés à des femmes africaines.
Les cités-États commerçantes (VIIe-XVe siècle)
À partir du VIIe siècle, certains marchands deviennent si familiers de la région qu’ils choisissent de s’y installer définitivement, et fondent des comptoirs de commerce. Il faut dire aussi que les tensions qui surgissent dans le monde musulman naissant pour savoir qui doit succéder à Mahomet poussent certains à partir trouver refuge dans d’autres contrées.
C’est ainsi qu’on pense que, vers 950, Ali ibn Hasan, sultan de Shiraz, une petite ville de Perse du sud, fuit son pays accompagné de sa famille et de suivants, pour rejoindre la bande côtière d’Afrique de l’est et ses îles.
D’autres vagues de migrants arrivent au XIe siècle, principalement en provenance de la péninsule arabique. Pour ces différents immigrants parlant l’arabe, la terre où ils débarquent est « Zenji-bar », littéralement la terre des noirs en persan, d’où l’origine possible du nom Zanzibar. Sur la côte et les îles, ces nouvelles populations se mélangent culturellement et sociologiquement avec les autochtones africains. C’est la naissance de la culture swahilie, métissage des traditions africaines et des croyances arabo-musulmane. Les langues swahilies, issues de ce métissage et basées sur une structure linguistique bantoue enrichies de nombreux apports d’arabe, sont à l’image de ce mélange culturel.
Des cités-États commerçantes sont fondées par les migrants arabes : Lamu, Pate, Pemba, Zanzibar, Malindi, Mombasa, Sofala. Les Shirazis perses s’installent à Kilwa qui devient le centre de commerce le plus florissant de la région au XIe et surtout au XIVe siècle, en partie grâce au commerce d’ivoire d’éléphants et d’hippopotames, et principalement grâce à l’or en provenance des mines de Sofala, dans l’actuel Mozambique, et à destination de l’Europe et du monde islamique. Kilwa est à cette époque décrite comme étant une des villes les plus élégamment bâties du monde. L’île de Zanzibar prospère également. Des caravanes commerciales s’enfoncent de plus en plus profondément dans les terres jusqu’aux grands lacs pour récupérer les précieuses marchandises qui sont réexpédiées vers le Moyen-Orient.
Mais ces villes se font concurrence et se querellent. Elles n’opposent pas un front uni lorsque les premiers européens arrivent sur la côte à la fin du XVe siècle.
L'intermède portugais (1498-1729)
En 1498, le portugais Vasco de Gama, sur son périple qui le conduit en Inde après avoir passé le Cap de Bonne espérance, longe la côte est-africaine et rencontre une importante hostilité dans ces rapports avec les notables et marchands arabes. L’explorateur et ceux qui l’accompagnent se rendent aussi compte que certaines cités-États swahilies (Kilwa, Mombasa, Lamu, etc.) se livrent à un important et apparemment fructueux commerce de l'or.
En 1502, Vasco de Gama revient dans la région, cette fois-ci à la tête d’une flotte d’une vingtaine de navires bien équipés. Lui et Ruy Lourenco Ravasco menacent les cheiks de Kilwa, Zanzibar et Brava de destructions si un tribut annuel en or n’est pas versé au Roi du Portugal. Les Arabes ne cèdent pas et c’est par la force que les Portugais vont imposer leur domination. Les Portugais n’hésitent pas à faire preuve d’une grande brutalité pour effrayer et mettre au pas les populations locales. Kilwa, la cité la plus au sud, tombe la première en 1502 et est complètement détruite, suivie de Zanzibar en 1503, puis d’autres cités plus au nord (Mombasa, Lamu...). Seule Mogadiscio au nord de la côte échappe aux Portugais. Après une dizaine d’années d’affrontements, qui prennent parfois des accents de guerre sainte entre Chrétienté et Islam, les Portugais peuvent se satisfaire d’avoir pris le contrôle de la plus grande partie de la bande côtière et des îles, mettant la main sur les routes maritimes avec l’Inde et l’orient et sur le commerce de l’or qui les intéresse tant. Zanzibar est alors le principal entrepôt commercial de l’Afrique orientale.
Cependant, surtout à partir du XVIIe siècle, les Portugais eurent du mal à assumer militairement et politiquement leur conquête. Peu nombreux et détestés des populations locales, ils doivent faire face à l’opposition grandissante des swahilis, eux-mêmes de plus en plus fortement soutenus par les Arabes du sultanat d’Oman, situé au nord de la côté swahilie. En 1587, le massacre des Portugais de l’île de Pemba a été une première alerte pour les occupants européens.
En 1698, l’imam de Mascate en Oman, Seif Bin Sultan, encourage les Arabes à se révolter, monte une armée de 3000 hommes, et parvient à reprendre Mombasa aux Portugais, puis Kilwa et Pemba l’année suivante. Les Portugais tentent différentes contre-offensives, reprennent même brièvement Mombasa, mais sont définitivement expulsés de la côte swahilie en 1729, et se réfugient plus au sud au Mozambique.
La domination des sultans omanais
Ce sont donc les Arabes du sultanat d’Oman qui contrôlent désormais la région. Pour les cités de la côte, après avoir subi la domination des Portugais, il n’est pas facile de devenir les vassaux d’un sultan situé à plus de 3000 km au nord, au bout du Golfe Persique. Certaines, comme Mombasa où règne la puissante famille Mazrui, ont même la tentation de faire appel aux anciens occupants, les Portugais, pour se débarrasser de l’envahisseur arabe. Surtout que, en Oman, le régime est affaibli par des luttes de succession entre dynasties pour la récupération du trône.
Sur le plan économique, le XVIIIe siècle signe plutôt un déclin pour la région, même si le lucratif commerce d’esclaves noirs, qui existe depuis environ un millénaire en Afrique de l’est, prend de plus en plus d’ampleur. Il s’agit notamment de répondre aux besoins croissants en domestiques à destination de l’Arabie et du golfe Persique et de fournir de la main-d’œuvre aux notables de Zanzibar et de Pemba pour travailler dans les plantations. Il s’agit aussi d’alimenter les Européens pour leurs nouvelles colonies insulaires de l’océan indien.
La France est un client régulier pour ses plantations de cannes à sucre sur l’île Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion) ou l’île de France (île Maurice). Les caravanes vont chercher les esclaves noirs dans l’intérieur du pays, en évitant les régions dominées par la tribu masaï qui a la réputation d’être un peuple féroce. Deux routes principales sont empruntées. La première, au sud, passe à proximité du lac Malawi pour rejoindre Kilwa. L’autre, plus au nord, part du lac Victoria, pour amener ivoire et esclaves à Bagamoyo. Ce commerce devient si important qu’un vaste marché aux esclaves est construit en 1811 à Zanzibar.
Au début du XIXe siècle, un homme rude mais avisé passe à la tête du Sultanat d’Oman, Sayyid Saïd. Après avoir consolidé son autorité et remis de l’ordre dans les affaires du sultanat dans la capitale Mascate, il s’attaque aux problèmes des territoires extérieurs où la domination omanaise est menacée, notamment par les gouverneurs Mazrui. En effet, en 1814, en plus de Mombasa, le gouverneur Mazrui contrôle Pate et Lamu.
En 1822, Saïd envoie des troupes sur la côte d’Afrique orientale et met au pas une partie des cités rebelles. La famille Mazrui ne tombe pas immédiatement et, pour se rapprocher du théâtre des opérations, Sayyid Said bin Sultan Al-Busaid déplace sa capitale de Mascate à Zanzibar. Ce changement de capitale est aussi un souhait personnel pour le sultan, qui est tombé sous le charme de cette île qu’il vient de découvrir et pour laquelle il a de grands projets. Il lance de nouvelles activités : Zanzibar va ainsi bientôt fournir les ¾ de la production mondiale de clous de girofle, culture qui a été importée de l’île Bourbon en 1812. Le sultan intensifie également la traite des noirs, on estime que 15 000 esclaves transitent chaque année par son port, ce qui en fait l’un des plus importants d’Afrique.
Zanzibar tire de grands profits de ces activités.
En 1840, la famille Mazrui est définitivement matée et Sayyid Saïd devient le leader incontesté de toute la côte est de l’Afrique, de l’actuelle Somalie jusqu’au Mozambique.
La puissance d’Oman est à son apogée, mais le sultan subit de plus en plus les pressions des puissances européennes coloniales qui sont durant la première moitié du XVIIIe siècle en pleine lutte d’influence pour le contrôle de l’océan Indien et des routes maritimes vers l’Asie.
Les Britanniques prennent pied en Afrique de l'Est
Les Britanniques cherchent notamment à éviter que la France ne prenne pied en Afrique de l’Est. Pour les Britanniques, l’existence d’une puissance régionale forte, avec laquelle ils sont en bons termes, n’est pas pour leur déplaire, et le Royaume-uni apporte plutôt son soutien au sultan Sayyid Saïd.
Dans le même temps, les sociétés européennes désapprouvent de plus en plus largement le commerce des esclaves et le Royaume-Uni fait pression sur le sultanat pour réduire la traite des noirs. En 1822, un premier traité, dit de Moresby, est signé par le sultan. Par ce traité, le sultan accepte de rendre illégale la vente d’esclaves à des pays se déclarant chrétiens. Le traité impose également de circonscrire le commerce d’esclaves aux ports d’Oman et d’Afrique de l’est. En 1833, l’empire britannique montre l’exemple en abolissant l’esclavage dans ses colonies et en 1845, Sayyid Saïd signe le traité de Hamerton qui limite la traite des noirs à ses seules colonies d’Afrique de l’est. Mais sur le terrain, ces différents traités diplomatiques mettront des décennies avant d’être totalement appliqués.
Le sultanat multiplie les accords commerciaux et les échanges diplomatiques avec les puissances occidentales (en 1836 avec les États-Unis, 1840 avec la Grande-Bretagne et 1844 avec la France). Ces traités prévoient également l’établissement de consulats étrangers à Zanzibar, une première pour un pays africain subsaharien.
Milieu du XIXe siècle : L’exploration européenne de l’intérieur des terres
À cette époque débutent pour les Européens la découverte et l’exploration de l’intérieur du pays, encore largement « terra incognita ».
Deux pasteurs allemands, Krapf et Rebmann, sont parmi les premiers à parcourir l’intérieur des terres. Krapf traduit la Bible en Swahili et commence les premières évangélisations. Rebmann est le premier Européen à signaler le Kilimandjaro en 1848.
Un peu plus tard, en 1856, deux explorateurs anglais (Richard Burton et John Speke) cherchent à trouver la source du Nil. Ils remontent la piste des caravanes commerciales arabes, et parviennent au lac Tanganyika en 1857-1858, puis Speke atteint une véritable mer intérieure qu’il nomme lac Victoria en l’honneur de sa majesté la reine. Un second séjour en 1861 le conforte dans l’idée qu’il avait bien trouvé par ce lac la source du Nil.
Le célèbre David Livingstone, de son côté, lors de ses expéditions d’exploration du fleuve Zambèze, atteint par le sud le lac Nyassa (aujourd’hui lac Malawi) le 19 septembre 1859, puis en explore les environs. En fait, ce lac avait certainement déjà été repéré des Portugais au XVIIe siècle, mais leurs observations ne furent pas communiquées au reste du monde.
À côté de ces célèbres explorateurs, de nombreux missionnaires parcourent l’intérieur des terres de la côte est-africaine à partir du milieu du XIXe siècle : les spiritains qui s’installent à Morogoro et Kondoa, les anglicans, les pères blancs qui se rendent à Tabora, à Ujiji et Karema, les bénédictins…
La visite de tous ces explorateurs-missionnaires européens et les témoignages qui en reviennent de la vie des populations locales vont accélérer la prise de conscience par les opinions publiques européennes des horreurs liées à la traite des noirs. Livingstone notamment, lors de ses retours d’expéditions en Angleterre, multiplie les conférences et publications pour décrire ce qu’est la réalité du commerce des esclaves en Afrique.
Le déclin du sultanat et les conditions d'une colonisation 1856-1886
En 1856, Sayyid Saïd décède et des luttes fratricides opposent les différents fils du sultan pour sa succession. Finalement, avec l’aide des Britanniques qui interviennent largement dans les affaires du sultanat, c’est le fils aîné Thuwaini qui récupère le trône à Oman tandis que Majid, son frère cadet, prend la tête des possessions de Zanzibar, qui est déclaré indépendant du sultanat omanais. Le territoire sous contrôle du sultanat de Zanzibar comprend alors, outre l’île principale, l’île de Pemba, l’île de Mafia, et la bande côtière qui leur fait face, du Mozambique portugais jusqu’à l’actuelle Somalie (la Côte de Zanguebar). Du côté ouest en direction des grands lacs, la limite de la zone zanzibarite n’est pas vraiment fixée.
À la mort de Majid en 1870, son frère cadet Bargash devient le nouveau sultan de Zanzibar. Les pouvoirs du sultan sont de plus en plus tributaires du bon vouloir du Royaume-Uni, et en 1873, sous la pression, Bargash signe enfin le traité mettant fin à la traite des noirs sur ses terres, même si la possession d’un esclave est toujours autorisée.
Tandis que les Britanniques affirment leur autorité sur leur dominion du sultanat de Zanzibar, les Allemands investissent l’intérieur du continent et, au début des années 1880, signent des traités de bonne entente avec des chefs tribaux africains, ces derniers ne comprenant d’ailleurs pas la plupart du temps les intentions des occidentaux. La compagnie de l’Afrique orientale allemande, fondée par l’aventurier Carl Peters, qui excelle dans cet exercice d’extension de l’influence allemande, enchaîne les signatures de traités « d’amitiés éternelles ».
La rivalité entre Allemands et Britanniques en Afrique de l’est s’exacerbe et de 1886 à 1890, différents accords et traités organisent le partage des zones d’influences entre les deux puissances coloniales, au grand désespoir du sultan Bargash qui fait les frais de ces luttes de pouvoir.
Au cours d’une première conférence, à Berlin en 1886, le Royaume-Uni et l’Allemagne reconnaissent la souveraineté du sultan sur Zanzibar, mais dans le même temps réduisent fortement l’étendue des zones où s’exerce cette souveraineté. Le sultan, outre les îles de Zanzibar, Pemba, Mafia et Lamu, ne possèdent plus qu’une bande côtière de 16 km de large qui va du Cap Delgado (dans l’actuel Mozambique) jusqu’à Kipini (dans l’actuel Kenya). À l’Allemagne revient l’intérieur du continent jusqu’aux grands lacs, région qui sera bientôt appelée le Tanganyika, plus le Burundi et le Rwanda ; l’ensemble de ces possessions forme la nouvelle Afrique orientale allemande (Ostafrika). La frontière entre les territoires allemands et britanniques est une simple ligne droite tracée vers l’ouest depuis la rivière Tana jusqu'au lac Victoria. Avec cette frontière, le Kilimandjaro est dans le territoire allemand.
En 1888, les Allemands, qui ne se satisfont pas de ce partage des terres qui les gène puisqu’ils doivent traverser la bande côtière zanzibarite pour accéder à l’intérieur des terres, négocient avec le sultan un bail pour pouvoir exploiter la côte. Des tensions apparaissent et le chancelier Bismarck dépêche des troupes sur place.
La situation se décante avec le traité Heligoland-Zanzibar, signé en 1890. L’Allemagne récupère l’archipel de Heligoland située au large de ses côtes européennes et en contrepartie renonce à d’autres prétentions sur la côte orientale de l’Afrique et reconnaît la suprématie du Royaume-Uni sur Zanzibar. Cette même année, le Sultan perd officiellement tout contrôle sur la petite bande côtière qui était censé être sous sa mainmise, et il lui est donné un statut équivalent à un fonctionnaire payé par la Couronne Britannique.
En 1891, les Britanniques imposent la constitution d’un gouvernement à Zanzibar, et nomment à sa tête Lloyd Mathews (en). À la mort du sultan régnant, en 1896, un fils de l’ancien sultan Bargash, Khalid, se proclame sultan et s’empare du palais royal de Zanzibar. Les Britanniques interviennent militairement, ils bombardent le palais, et chassent Khalid qui est remplacé par un nouveau sultan, Hamud Ben Mohammed le 27 août 1896. En 1897, le statut d’esclave est définitivement aboli sur l’île, malgré l’opposition des notables locaux, principalement arabes et indiens, qui craignent la disparition de cette main d’œuvre bon marché si pratique pour les plantations de clous de girofles.
La colonisation allemande du Tanganyka : 1886-1919
Les Allemands, de leur côté, ont de grandes ambitions pour leurs nouvelles « possessions » africaines, mais la prise en main du pays ne se fait pas sans heurts.
Dès 1888-89, des soulèvements éclatent dans plusieurs villes côtières (Bagamoyo, Pangani, Tanga). Ils sont durement réprimés par les Allemands.
En 1891, le gouvernement allemand, constatant l’incapacité de la Compagnie de l’Afrique orientale allemande à tenir le pays, prend le contrôle direct des opérations et déclare l’intérieur du pays protectorat allemand. Un gouverneur est nommé, et Dar es-Salaam, alors simple petit port de commerce de 5000 habitants, est choisie comme capitale du fait de sa baie portuaire en eaux profondes, plus pratique pour les bateaux à vapeur allemands.
Les Allemands, pour investir le continent, remontent les anciennes routes caravanières arabes jusqu’aux grands lacs et aux points de passage importants. Région après région, après avoir pris le contrôle par la force, ils installent des postes militaires et s’assurent de la docilité des chefs tribaux locaux, ou remplacent ces derniers par d’autres plus soumis.
Avant l’arrivée de ces colons à la fin du XIXe siècle, certaines des ethnies et tribus qui habitent l’intérieur du continent ont atteint un niveau d’organisation et de développement tout à fait remarquable. On peut citer les Masaï, dont tout le système de société est construit sur l’âge des individus, le peuple Nyamwezi, à l’époque dirigé par le chef Mirambo, les Hehe, et d’autres royaumes comme les Chagga et les Haya.
À l’arrivée des Allemands, les Hehe, emmenés par le chef Mkwawa Mwamyinga, craignant pour leur indépendance et contestant les concessions de terres décidées par les colons pour la nouvelle culture du coton, se rebellent et attaquent avec succès les positions allemandes à partir de 1891 (bataille de Lugalo). Sur un autre front, les Allemands ont également fort à faire avec les Nyamwezi, plus à l’ouest, qui commencent les hostilités en avril 1892. Les rebelles sont matés avec brutalité, le chef Nyamwezi, Isike, attrapé et pendu au début 1893. En 1894, un imposant corps expéditionnaire de plusieurs milliers de soldats est constitué pour mettre définitivement au pas les Hehe. Il parvient à prendre d’assaut la place forte de Kalenga, mais le chef Mkwawa réussit à s’échapper et continue la lutte pendant 4 années en organisant une guérilla de harcèlement des Allemands. Cependant ces derniers arrivent peu à peu à leurs fins, et, en 1898, Mkwawa, traqué, épuisé et désespéré par la victoire inéluctable des occupants européens, se suicide. Sa tête, tranchée par un Allemand, est rapatriée dans un musée à Brême où elle restera jusque dans les années 1950.
Avec la fin de la rébellion Hehe, les Allemands disposent de quelques années de répit, contrôlant assez facilement quelques soulèvements disparates et jamais unis contre l’ennemi commun.
Jusqu’à ce qu’éclate en 1905 une importante révolte, qu’on appela rapidement la révolte Maji Maji, du nom d’un esprit censé habiter les montagnes Uluguru au sud de Dar-es-Salaam et dont on prétend qu’il procure à l’eau qui coule du massif le pouvoir de protéger des balles. Les habitants de cette région, auxquels se joignent d’autres tribus plus au sud, attaquent les Allemands simplement armés d’arcs et de lances. Les Allemands matent la rébellion de manière impitoyable, en menant une politique de terre brûlée, qui, outre les victimes aux combats, fait de nombreux morts par famine du côté des populations indigènes. Les estimations vont de 75 000 à 120 000 morts au total du côté africain, jusqu’à la fin de la rébellion en 1907. Certains ont vu dans la révolte Maji-Maji la première manifestation d’un nationalisme tanzanien.
Le gouvernement allemand tire un certain nombre d’enseignements de cet important soulèvement qui a touché tout le sud-est du pays. Les budgets de financement des colonies sont augmentés et une administration plus libérale est mise en place en remplacement du régime semi-militaire qui prévalait auparavant.
Durant cette période, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, les Allemands vont promouvoir dans le pays un certain nombre de projets pour développer les infrastructures et amorcer le démarrage de l’économie. En 1911, est achevée la première ligne de chemin de fer, entre Tanga au nord de la côte, et Moshi au pied du Kilimandjaro. En 1914, c’est la ligne centrale qui est inaugurée, de Dar-es-Salaam à Tabora, près du lac Tanganyika.
L’agriculture est encouragée, notamment dans les régions fertiles au pied des grands volcans (Mont Méru, Kilimandjaro). De nouvelles plantations et cultures sont introduites, comme le café et le thé dans le nord et le coton dans le sud. Le sisal, fibre végétale servant à faire des cordages ou des tapis, est importé de sa région d’origine, le Mexique, par l’agronome allemand Richard Hindorff.
Les Allemands ont également besoin de personnes instruites pour occuper les postes de fonctionnaires dans l’administration naissante. La construction d’écoles est encouragée, ce qui complète les initiatives pour la scolarisation déjà menées par de multiples missionnaires chrétiens avant l’arrivée des colons.
Une autre conséquence de la présence allemande est la généralisation de la langue swahilie. Ayant rapidement compris qu’il était illusoire de vouloir faire apprendre l’allemand, les colons s’appuyèrent sur la langue pratiquée par les populations locales les plus instruites, à savoir les minorités arabes et swahilies parmi lesquelles étaient recrutés les fonctionnaires. De plus, le swahili avait l’avantage de commencer à être écrit en caractères latins, et les Allemands encouragèrent son apprentissage dans les écoles religieuses et gouvernementales. La pratique du swahili devint un critère d’embauche dans l’administration.
La Première Guerre mondiale
La première guerre mondiale a complètement stoppé les projets de développement et d’aménagement que les Allemands avaient entrepris en Afrique de l’Est. À la fin des hostilités, le pays se retrouve avec une administration totalement démantelée et une économie au point mort. Pour subsister, les populations africaines retrouvent un temps leurs anciens modes de vie.
En 1919, à la suite du Traité de Versailles, les alliés se répartissent le contrôle des territoires de l’ancienne « OstAfrika » allemande. Le Royaume-Uni se voit confier le mandat de ce qui est désormais officiellement appelé le Tanganyika. Les Belges récupèrent eux le « Ruanda-Urundi » (aujourd’hui le Rwanda et le Burundi). On estime alors à 3 500 000 personnes la population du Tanganyika.
Le Tanganyika : 1919-1964
Le premier gouverneur britannique de la Tanganyika est Sir Horace Byatt, de 1920 à 1924. Le pays qu’il doit administrer est économiquement exsangue et totalement désorganisé, et le Royaume-Uni ne fournit qu’un faible soutien financier. La première préoccupation du gouverneur est de sécuriser la situation des populations africaines. En 1923, il prépare une ordonnance qui vise à s’assurer que les droits fonciers des populations africaines sont respectés. Il s’attire les foudres d’une partie des colons britanniques qui souhaiteraient une politique qui leur soit plus favorable, comme au Kenya par exemple.
Sir Donald Cameron, gouverneur de 1925 à 1931, cherche à imprimer un nouveau dynamisme au pays. Le principe clé de sa politique part du concept de « gouvernement indirect » (indirect rule en anglais), déjà expérimenté par les Britanniques au Nigeria. Cette politique consiste, pour administrer et diriger le pays, à s’appuyer sur les structures politiques traditionnelles existantes et à agir presque en conseiller auprès des autorités indigènes, plutôt que de traiter ces dernières comme de simples agents administratifs subordonnés aux ordres centralisés venant des Européens. Sir Donald Cameron, qui conçoit le rôle des Britanniques comme étant de créer les conditions d’un transfert progressif de la responsabilité du pays aux Africains, met aussi l’accent sur l’éducation, qui voit son budget augmenté.
Le 18 juin 1926 est créé un conseil législatif, composé de 20 membres nommés par le gouverneur.
Sur le plan économique, le gouverneur s’active pour faire avancer des projets de développement. En 1928, il obtient du gouvernement britannique l’approbation et le soutien financier pour un projet de prolongement de la ligne centrale de chemin de fer de Tabora à Mwanza. La politique du gouverneur vis-à-vis des colons propriétaires terriens est plus accommodante, car Cameron a besoin de leur soutien politique et ils sont une importante contribution à l’économie de la Tanganyika.
Mais la Tanganyika bute tout de même sur un désintérêt global du Royaume-Uni pour cette colonie, handicap auquel s’ajoute la crise financière de 1929 qui a pour conséquence de freiner brutalement les projets de développement économique dans le pays.
À partir des années 1920, il est à noter que les Britanniques font venir de nombreux Indo-pakistanais au Tanganyika. Pour occuper des postes dans l’administration et participer aux constructions d’infrastructures, cette population immigrée présente en effet l’avantage d’être généralement plus instruite que la moyenne des Africains et est parfaitement anglophone.
Beaucoup restèrent définitivement en Afrique de l’Est, et, au départ des Britanniques, se convertirent dans le commerce. Encore aujourd’hui, la plupart des commerces de certaines grandes villes tanzaniennes sont tenus par des Indo-pakistanais.
Dans le même temps, les conditions d’une future autonomie politique émergent progressivement dans la société. Des coopératives de producteurs agricoles indépendants se forment et en 1929 est créée l’association africaine de Tanganyika (TAA) par l’élite africaine du pays dont le niveau d’instruction monte.
Les années 1930 sont difficiles pour le Tanganyika. Le pays doit faire face à une importante crise économique et le Royaume-Uni ne fait pas de gros efforts financiers pour compenser le manque de ressources locales. Le financement du système éducatif est notoirement insuffisant et, régulièrement, le gouverneur fait appel aux missionnaires religieux pour assurer l’existence et le fonctionnement des écoles, le salaire d’un enseignant religieux étant beaucoup plus faible que celui d’un enseignant fonctionnaire britannique.
De plus, durant cette période, des rumeurs circulent qui prétendent que le Tanganyika va être rétrocédé à l’Allemagne hitlérienne. L’incertitude qui en découle freine les projets et les prises d’initiatives.
Après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle le Tanganyika est utilisé par les Britanniques comme centre de production de certaines matières premières et cultures utiles aux approvisionnement de l’effort de guerre (café – caoutchouc), l’Organisation des Nations unies nouvellement créée met en place un système de mise sous tutelle pour les populations qui ne s’administrent pas encore elles-mêmes. Ainsi en décembre 1946, l’ONU confie-t-il la tutelle du Tanganyika au Royaume-Uni, avec comme perspective de parvenir à l’autodétermination et à l’indépendance. Il faudra une quinzaine d’année pour que cela soit le cas.
Les îles de Zanzibar et Pemba de 1886 à 1964
De leur côté, les îles de Zanzibar et de Pemba connaissent une certaine stabilité politique du début du XXe siècle jusqu’au début des années 1960. Le territoire est toujours protectorat du Royaume-Uni, qui maintient en place le système politique du sultanat, tout en officialisant son exercice du pouvoir en constituant en 1925-26 des conseils exécutifs et législatifs à la place du conseil consultatif. Sur le plan économique, les premières décennies du XXe siècle sont marquées par une grande crise du marché du clou de girofle, qui crée des tensions entre les communautés indiennes et arabes.
À partir du milieu des années 1950 se forment différents partis politiques plutôt indépendantistes, et chacun avec une dimension ethnique assez marquée. Le ZNP (Zanzibar National Party) est essentiellement composé d’Arabes. Beaucoup d'ouvriers agricoles africains, souvent issus des anciennes populations esclaves, se retrouvent pour leur part dans le parti ASP (Afro-Shirazi Party), aux tendances assez radicales. Pendant la présence des colons européens, allemands puis britanniques, les sociétés africaines furent bouleversées dans leur fonctionnement et leurs traditions.
L’expansion des religions chrétiennes et des systèmes économiques occidentaux, c’est-à-dire notamment la monétarisation des échanges, modifia totalement les relations et les rapports de force inter-tribales. Ces changements identitaires et culturels furent cependant plus ou moins prononcés d’une tribu à l’autre. Certains, comme les Masaïs, restèrent résolument à l’écart de cette « modernisation » de la société.
L'indépendance et la création de la Tanzanie
En 1953, Julius Nyerere, enseignant né en 1922, passé par Édimbourg pour terminer ses études, prend à 31 ans la tête de la TAA, qu’il transforme rapidement en un véritable parti politique – le Tanganyika African National Union (TANU) – qui prône l’indépendance. Celle-ci est accordée par la Grande-Bretagne le 9 décembre 1961, sans aucune violence.
En 1961, la population était de 6 millions de Noirs, 213 000 Asiatiques principalement originaires du sous-continent indien et 66 000 Européens principalement britannique.
Le budget est déficitaire malgré l'aide du Royaume-Uni et de la banque internationale pour la reconstruction et le développement. L'économie est celle d'un pays du tiers-monde et le tourisme avec ses 5 500 000 de livres sterling apporte une part importante des recettes du pays. Celui-ci dispose à cette date de 43 aérodromes.
Julius Nyerere est un court temps premier ministre, puis à la suite des élections de décembre 1962, devient le premier président de la République du Tanganyika.
L’indépendance de Zanzibar et Pemba est obtenue le 10 décembre 1963. Le nouvel État commence par être contrôlé par les partis initiés par les Britanniques (une coalition du ZNP et de petits partis de Pemba). Mais, à peine un mois plus tard, en janvier 1964, les tensions communautaires qui couvent depuis des années se libèrent, et le parti ASP, étant écarté depuis longtemps du pouvoir alors qu’il est majoritaire dans les urnes, déclenche une révolution. Celle-ci fait de nombreuses victimes dans les rangs des communautés arabes et indiennes. On estime à environ 10 000 le nombre de personnes qui furent massacrées dans la nuit du 11 au 12 janvier à Zanzibar. À la suite de ce renversement, Karume, leader de l’ASP, devient président de la République de Zanzibar.
Le 26 avril 1964, Le Tanganyika et Zanzibar fusionnent pour former la République Unie de Tanzanie. Nyerere devient le président de l’État nouvellement créé, tandis que Karume, restant président de Zanzibar, devient le vice-président de la Tanzanie. Dans les faits, même si l’union est bien célébrée avec le reste du pays, Zanzibar a conservé jusqu'à aujourd’hui une large autonomie. En pratique, c’est le gouvernement central tanzanien qui s’occupe des domaines « nationaux » de la politique à Zanzibar : Défense, Intérieur, affaires étrangères, tandis que le gouvernement local zanzibarite traite des sujets comme l’éducation, l’économie…1
La présidence de Nyerere : 1964-1985
Nyerere revendique l'unité africaine : « Sans unité, les peuples d'Afrique n'ont pas de futur, sauf comme perpétuelles et faibles victimes de l'impérialisme et de l'exploitation. »2
Soucieux d’accélérer l’émancipation des Africains par rapport au monde occidental, inspiré par les expériences communistes en Chine, Nyerere s’engage résolument dans une politique socialiste. En février 1967, lors de la déclaration d'Arusha, il définit les principes et doctrines qu’il souhaite voir suivre par le pays. Selon l’idéal de Nyerere, tout cela doit conduire à la création d’une société égalitaire, juste, solidaire, qui trouve dans ses propres ressources les moyens de son autosuffisance. L’éducation est la priorité numéro un. Il faut dire qu’il y a urgence dans ce domaine : la Tanzanie ne produit à cette époque que 120 diplômés par an.
Les premières mesures concrètes d’application de cette politique ne tardent pas à arriver. Les principales industries et sociétés de services sont nationalisées, les impôts augmentés pour une plus grande répartition des richesses. C’est sur le plan de l’agriculture, principal secteur économique du pays, que les changements sont les plus forts. Appelé Ujamaas, c’est-à-dire cofraternité, des communautés villageoises sont organisées sur des principes collectivistes. Des incitations financières encouragent la formation de coopératives. Les premiers résultats sont décevants, et le premier choc pétrolier de 1973 assombrit fortement les perspectives économiques du pays. À Zanzibar, l’Afro-Shirazi Party mène une politique implacable et totalitaire, à tendance ouvertement révolutionnaire. Les propriétés arabes et indiennes sont nationalisées. Quelques désaccords apparaissent même entre Nyerere et Karume, ce dernier voulant se rapprocher davantage du monde communiste que le président tanzanien qui cherche lui à ménager au maximum les relations avec les Occidentaux.
En 1972, Karume est assassiné, pour des motifs qui restent assez obscurs.
Pendant ces années, très faiblement soutenue par les occidentaux, la Tanzanie reçoit l’aide de la Chine, qui souhaite pour sa part augmenter son influence en Afrique de l’Est. C’est avec un soutien chinois que la ligne de chemin de fer TAZARA (ou TANZAM) de Dar-es-Salaam à la Zambie est construite en 1975. C’est aussi sur le modèle des communes chinoises que sont créés 800 villages collectifs, regroupant des populations d’origine ethniques et tribales différentes, et déplacées de force en camion. On estime qu’en 4 ans, de 1973 à 1976, 9 millions de personnes sont ainsi déplacés. Cette politique, dont on ne peut nier qu’elle permet un certain brassage entre les différentes ethnies qui composent la population tanzanienne, casse brutalement les repères humains et communautaires des individus.
Ces politiques dirigistes apportent de moins en moins les résultats escomptés. Les productions manufacturière et agricole régressent, la planification de l’économie par l’administration est inefficace.
Sur le plan politique, les partis (le TANU de Nyerere et l’ASP) se rapprochent et fusionnent en 1977 pour former le Chama cha Mapinduzi (CCM), c’est-à-dire le parti de la Révolution.
Les relations de la Tanzanie avec ses voisins africains (en particulier ceux du nord, l'Ouganda et le Kenya) se détériorent au fil des années. Les intentions étaient pourtant bonnes puisque ces trois pays ont formé en 1967 la East Africain Community (Communauté est-africaine) dans le but de constituer à terme un marché économique commun. Les premières coopérations visent notamment à uniformiser la politique des changes et de contrôle des devises.
Mais le Kenya, plutôt proche des pays occidentaux, s’éloigne de plus en plus de la Tanzanie soutenue par les communistes chinois, et la frontière entre ces deux pays est même fermée de 1977 à 1983. En Ouganda, Idi Amin Dada, qui nourrit des ambitions d’expansions territoriales, reproche à son voisin tanzanien d’héberger des opposants à son régime. L’Ouganda attaque la Tanzanie à la fin de l’année 1978 et envahit les environs du lac Victoria. Les Tanzaniens, avec l’aide du matériel militaire chinois, parviennent, au bout de plusieurs mois d’efforts, et au prix de lourdes pertes humaines, à reprendre les territoires perdus et occupent même l’Ouganda pendant presque deux ans.
Cette guerre a coûté cher, environ 500 millions de dollars ; et au début des années 1980, sans réelle industrie, avec un secteur agricole improductif, la Tanzanie est l’un des pays les plus pauvres de la planète.
Le pays s’enfonçant dans l’échec, Nyerere commence à modifier progressivement sa politique dirigiste menée depuis le milieu des années 1960. Avec l’intervention de plus en plus grande de la Banque mondiale et du FMI, les incitations financières à la production collectivistes sont en partie réorientées vers un investissement pour les grandes fermes de l’État et pour les infrastructures routières. En 1984, la possibilité d’une propriété privée des moyens de productions apparaît et la société est, très progressivement, libéralisée.
En 1985, Nyerere, le « mwalimu » (l’instituteur), choisit, contrairement à l’habitude prise par la plupart des autres chefs d’État africains, de se retirer de la politique, après avoir tout de même conservé le pouvoir pendant 24 années. C’est Ali Hassan Mwinyi, alors président depuis 1980 de l’archipel de Zanzibar, qui prend sa succession.3
Héritage de Nyerere
L'époque de Julius Nyerere fut considérée comme celle du " socialisme africain ", un " socialisme " qui s'apparentait plus à un nationalisme soucieux de conserver une partie des richesses autrefois totalement pillées par les puissances coloniales.
Sur le plan international, on lui tressa l'auréole d'un dirigeant " à la farouche volonté d'indépendance vis-à-vis des grandes puissances ". Il apporta son soutien à de nombreux partis politiques et à des mouvements de libération engagés dans la lutte contre les puissances coloniales. En 1978, Nyerere envoya des troupes en Ouganda contre le dictateur Idi Amin Dada. Il protesta contre " l'attitude arrogante, provocante et mercantile " de la France qui vendait des armes au régime raciste de Pretoria, et se fit un chef de file du " non-alignement ".
Nyerere consacra son existence à tenter vainement de rendre viable le petit État de Tanzanie. Il voulait, disait-il, que dans " son " pays, on puisse " travailler ensemble pour le bien de tous ". Mais, en 1975, le revenu moyen par tête d'habitant restait inférieur à 400 francs par mois. Il refusa de céder aux " diktats " du FMI, parce que, affirmait-il, " si nous acceptions ces conditions, il y aurait des émeutes dans les rues de Dar es-Salaam ". C'est donc la crainte de la révolte des plus pauvres et des plus déshérités qui l'inspira, et non la volonté de s'appuyer sur cette révolte pour renverser l'ordre impérialiste.4
De 1985 à aujourd’hui
Ali Hassan Mwinyi accélère l’ouverture et la libéralisation progressive du pays. En 1992, il autorise le multipartisme. En 1995, les premières élections multipartistes ont lieu, même si entachées de sérieux doutes sur leur régularité. Elles voient la victoire de Benjamin William Mkapa, un des disciples de Nyerere, qui est réélu en 2000. Mkapa doit faire face à de nombreuses difficultés qui grèvent le décollage tant espéré du pays : crise économique, épidémie de sida, afflux de réfugiés qui fuient les guerres du Burundi. À Zanzibar, des velléités indépendantistes émergent parfois, mais jusqu’à présent, l’Union tanzanienne est préservée. En 1998, des attentats visent les ambassades américaines de Dar es-Salaam et de Nairobi au Kenya : on compte plus de 250 victimes et 5 000 blessés.
Après les élections de décembre 2005, Jakaya Kikwete devient le nouveau président de la république, le quatrième depuis la création de la Tanzanie5. Il restera au pouvoir jusqu'au 5 novembre 2015.6
« Ubinadamu na mshikamano » («Humanité et solidarité» en swahili »)
En 2010, la naturalisation en Tanzanie de plus de 160.000 personnes est passé quasiment inaperçu dans la presse occidentale. Il est vrai qu’il ne s’agissait ni de tueries, ni de massacres, mais d’une bonne nouvelle venant de l’Afrique et, qui plus est, dérangeante pour les dirigeants des pays riches. D’autant que l’ampleur et la manière dont elle s’est effectuée en fait une première mondiale. En effet, précédé par un débat qui a débouché sur un large consensus de la classe politique reflétant le sentiment de la population, cet octroi de la nationalité a impliqué largement les principales autorités locales.
Cette naturalisation massive concerne les réfugié-e-s qui ont fuit leur pays en 1972, le Burundi, où sévissait des conflits ethniques sanglants entre les Hutu et les Tutsi. La Tanzanie de l’époque était dirigée par Julius Nyerere qui a tenté de construire un « socialisme » tenant compte des réalités africaines et du poids de l’agriculture dans l’économie du pays. C’est ainsi que le concept d’ujamaa a été développé dans la déclaration d’Arusha, document fondateur et programmatique. Les ujamaas sont des entités à partir des communautés de village où devait s’organiser l’activité économique et s’exercer le pouvoir. Souvent, lorsqu’on parle de « socialisme tanzanien », on évoque le socialisme des villages.
De nombreux reproches peuvent être adressés à Nyerere, notamment en matière de liberté et de démocratie. Ainsi les populations ont été victimes d’actes bureaucratiques du fait de la conception stalinienne du parti unique, partagé tant par le modèle soviétique que chinois, dont il s’est largement inspiré dans la réalité, en dépit des réflexions particulièrement intéressantes sur la nécessité de l’implication et de la participation des populations à la construction du socialisme. Mais en parallèle à ces critiques, il faut reconnaître qu’il fut un soutien sans faille pour les combattant-e-s anticolonialistes des pays africains encore sous la tutelle du Portugal, un soutien également pour les combattant-e-s anti-apartheid de l’Afrique australe. Ses convictions panafricanistes et anticolonialistes se sont concrétisées dans les actes, fait plutôt remarquable, alors que nous sommes tellement habitué-e-s au double langage de la part des dirigeant-e-s des pays africains qui, d’un côté, dans des discours lénifiants, prônent l’indépendance et l’unité du continent et, de l’autre, livrent leurs pays au pillage des multinationales occidentales. Le cas le plus flagrant en est donné par le colonel Kadhafi qui se targuait de vouloir réunifier l’Afrique et dont les migrants africains étaient aussi mal traités par l’administration en Libye qu’en Europe.
La Tanzanie était une terre d’accueil pour les réfugié-e-s africain-e-s et, ainsi, les 160 000 réfugié-e-s dont, fait significatif, le nom officiel était de « résident-e-s invité-e-s», se sont vu-e-s offrir un lopin de terre qui leur a permis de développer une activité économique, d’être autosuffisant-e-s et ainsi de s’intégrer dans le pays sans aucune difficulté. Ce ne fut plus le cas pour la seconde vague de réfugié-e-s burundais-e-s des années 90 où ces dernier-e-s, comme dans la plupart des cas, ont été parqué-e-s dans des camps, survivant seulement grâce à l’aide internationale.
Cette naturalisation est une belle démonstration que la solidarité panafricaniste n’est pas qu’une utopie et qu’elle peut être réelle et partagée par les peuples, à condition évidemment que les dirigeant-e-s des pays ne mènent pas des politiques ethnicistes et xénophobes pour rester au pouvoir et que les conditions économiques permettent à chacun de vivre. À un moment où en France les Sarkozy et Besson se refusaient à régulariser les Sans-papiers, procédaient à des expulsions indignes et tentaient de développer un climat xénophobe et ethniciste autour de l’identité nationale, la leçon d’humanité et de solidarité de la Tanzanie et de sa population était salutaire.7
La forêt qui pousse
Élu en 2015, le nouveau président de Tanzanie s’est illustré par une politique audacieuse de redressement national et de lutte contre l’exploitation des ressources du pays.
On ne la pas vu venir. Sous les radars de la plupart des grands médias français, le nouveau gouvernement tanzanien s’est mis au travail et a bousculé le schéma national. En même temps, il faut admettre que l’actualité du continent africain perce difficilement le brouillard médiatique que soulèvent les agissements des groupuscules islamistes dans la région. « L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse » dit un proverbe issu de l’intelligence collective. Cette forêt, c’est John Pombe Joseph Magufuli qui, le 5 novembre 2015, devenait Président de la République de Tanzanie avec 58% des voix exprimées. Âgé de 59 ans, diplômé en mathématiques et en chimie, il a occupé divers postes au sein des gouvernements précédents notamment comme ministre des Travaux ou bien de la Pêche et de l’Élevage. « C’est un pur produit du système, et pourtant John Magufuli ne ressemble à personne » écrit le journal Jeune Afrique.
A l’instar de son homologue français Emmanuel Macron qui affirmait, dans les premiers mois de son mandat, qu’il ne céderait rien aux « fainéants », M. Magufuli s’est également déclaré hostile à ces derniers.… mais précisant qu’il s’adressait aux « agents du gouvernement » pour lesquels l’époque de tolérance « est terminée ». Affublé du pseudonyme « le Bulldozer » (« Tingatinga » en swahili), le nouveau dirigeant a mené campagne avec pour mot d’ordre la lutte contre la corruption et a rapidement joint la parole aux actes. Parmi ses premiers coups d’éclats : une visite surprise au ministère des Finances et une discussion directe avec le ministre afin de l’exhorter à « lever suffisamment de fonds pour offrir une éducation gratuite comme promis ». L’annulation des cérémonies pour la fête de l’Indépendance arguant qu’il était « honteux de dépenser tant d’argent » quand, dans le pays, tant de gens mourraient encore de choléra et d’autres maladies. Il réduisit drastiquement le nombre de fonctionnaires autorisés à participer aux voyages officiels tout comme il diminua de 90% le budget alloué aux dîners réservés aux députés avant l’ouverture de séance du Parlement. Les montants économisés furent utilisés pour l’achat de lits et de draps pour les hôpitaux. Autre mesure symbolique, le nouveau dirigeant réduisit son salaire de 100 000 dollars à 7 000 dollars.
« Certains analystes disent que M. Magufuli est plus populaire que son parti » écrit la journaliste Ruth Nescoba dans un article pour la BBC. Son parti, Chama Cha Mapinduzi (CCM, le Parti de la révolution), est fondé en 1977 suite à la fusion du parti Tanganyka African National Union (TANU) et l’Afro Shirazi Party (ASP). Le CCM est alors le parti unique de la République de Tanzanie, elle-même créée en 1964. Dirigé par Julius Nyerere, le pays s’oriente à l’époque vers le socialisme africain appuyé par la Chine communiste. Une courte expérience qui prend fin dès les années 80 avec une progressive reconversion dans les politiques libérales et l’aboutissement, en janvier 1992, du multipartisme. Malgré les changements, le CCM est resté jusqu’à aujourd’hui le parti indétrônable de la scène nationale. Celui qui fut le principal rival du président aux élections, M. Edward Lowassa, provient lui-même du parti au pouvoir. Ancien premier ministre, il est écarté lors de la primaire de 2015 au profit de M.Magufuli. Mauvais joueur, il quitte le CCM pour rejoindre l’opposition (le parti Chadema ou Parti de la démocratie et du progrès) et en devient immédiatement le candidat pour l’élection présidentielle. Battu de nouveau, il conteste le résultat malgré un écart important de voix. « C’est moi le président de la Tanzanie : John Pombe Joseph Magufuli - affirmera le vainqueur dans son discours d’investiture - et maintenant nous allons nous mettre au travail ».
Pièce centrale des ambitions politiques affichées par le nouveau pouvoir, la Tanzania Revenue Authority (TRA), chargée de la perception de l’impôt, s’est rapidement retrouvée sous les projecteurs. Dès novembre 2015, son commissaire général M. Rished Bade est arrêté suite à la découverte d’un trou dans les comptes publics estimé à 40 millions de dollars. S’en est suivi une succession de dirigeants jusqu’à la nomination de M.Charles Kichere en novembre 2016. « Ensemble, nous construisons notre nation » clame le slogan sur le site officiel de la TRA. Sur celui-ci, le visiteur peut y trouver les informations sur l’augmentation progressive des recettes fiscales (plus de 3 trillions de shilling tanzanien pour le troisième trimestre de 2017). Une reprise en main qui a suscité des critiques au sein des secteurs économiques peu habitués à l’impôt, accusant la TRA de les « harceler ». « Notre gouvernement valorise les investisseurs et les hommes d’affaires. Une grosse partie de notre budget dépend des taxes a expliqué le premier ministre Kassim Majaliwa selon le journal sud-africain The Citizen. Diplomate, il a également ajouté : « Nous demandons à ceux qui se sont sentis traités injustement par la TRA de déposer leur plainte aux autorités compétentes ». Aucune augmentation du taux d’imposition sur les entreprises n’a été mise en place par le nouveau gouvernement tanzanien (30% depuis 2009). Il s’agit donc d’une politique de lutte à l’encontre de l’évasion fiscale à grande échelle que mène M.Magufuli.
Chantier de poids pour la nouvelle équipe du « Bulldozer », le cas des multinationales dans le secteur minier. Ancienne colonie britannique, le pays est riche en matières premières comme l’or, les diamants, le cuivre, etc. Comme tout le continent, les terres tanzaniennes sont soumises aux appétits voraces des grandes firmes. En mars 2017, le gouvernement annonce un audit sur les compagnies minières afin de vérifier « si les taxes existantes sont bien payées ». Principale entité dans le collimateur du pouvoir, la compagnie Acacia Mining qui a vu plus de 250 de ses containers bloqués sur le port de Dar-es-Salam pour subir une inspection. Détectant une sous-déclaration du poids des minerais exportés, le président limogea le ministre des Mines. L’entreprise, propriétaire de trois sites miniers dans le pays, se vit imposer une amende de 190 milliards de dollars. Dès l’été, une suspension d’octroi de nouvelles licences aux entreprises étrangères est déclarée. S’ouvre alors une période de négociation entre le gouvernement africain et la puissante multinationale Barrick Gold Corporation, première société mondiale productrice d’or, dont la filiale africaine est Acacia Mining. Le nouvel accord est conclu en octobre et redéfini les termes d’exploitation des minerais et de répartition des bénéfices. Celui-ci aboutit à la décision de créer une nouvelle compagnie tanzanienne dans laquelle le gouvernement aura un pouvoir de décision sur les opérations futures. Les bénéfices seront redistribués sur une base de 50/50 entre la nouvelle entreprise et l’État. Parallèlement, le groupe Barrick, dont le siège se trouve au Canada, accepte de payer une indemnisation de 300 millions de dollars au gouvernement tanzanien.
Autre coup de filet, le cas de l’entreprise britannique Petra Diamonds. Le 31 août 2017, les autorités tanzaniennes ont bloqué le départ, en direction de la Belgique, d’une cargaison de diamants accusant la compagnie d’avoir sous-évalué la valeur de celle-ci (estimée à 15 millions de dollars, le double selon les autorités). En conséquence, le ministre des Finances Philip Mpango à déclaré l’intention du gouvernement de « nationaliser » les pierres précieuses. L’entreprise a, de son côté, suspendu son activité et a informé que plusieurs de ses employés ont été interrogés par les autorités.
« Les élites le détestent mais le peuple l’adore ! » s’exclame le média francophone Jeune Afrique. Rien d’étonnant à ce que la nouvelle équipe aux manettes s’attire les foudres de certains acteurs économiques. Sans doute l’altération de l’ancien ordre des choses accentue le risque, pour le pouvoir en place, de se retrouver demain au coeur de tensions géopolitiques dont la courroie de transmission repose habituellement sur le traitement médiatique. Cas d’école dans le domaine, le Venezuela bolivarien illustre parfaitement ces mécanismes de désinformation et omissions qui caractérisent les enjeux médiatiques dans les questions internationales. Toutes les failles et les crimes imputables au régime ciblé seront grossis à la loupe. « Tanzanie : les espaces de liberté menacés » pour bbc.com en janvier 2017, « Le président de la Tanzanie fait fi de la liberté de la presse » titrait lemonde.fr en mars de la même année. En août, le site web de RFI informait que la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme dénonçait le mauvais traitement fait aux journalistes par les autorités tanzaniennes. Une constante propre aux gouvernements qui ambitionnent de rebattre les cartes ? 8
Économie de la Tanzanie
L'économie de la Tanzanie est, à bien des égards, typique d'un pays en voie de développement : essentiellement axée sur l'agriculture et l'industrie minière, elle dispose d'une base industrielle quasi-inexistante et peu compétitive. Le tourisme y constitue une source appréciable et croissante de devises.
Le secteur minier correspond à environ 3 à 4 % du PIB tanzanien, une proportion que le gouvernement espère porter à 10 % d'ici 2025, notamment par le biais d'une libéralisation du secteur déjà largement entamée dans le courant des années 1990. Les investisseurs, attirés par la politique volontariste engagée au tournant du siècle, versent des royalties sur la valeur extraite (3 % sur la plupart des métaux, 5 % sur les diamants et pierres précieuses) mais ne sont soumis à l'impôt sur les sociétés que lorsque l'investissement initial a été couvert (une clause réévaluée depuis 2006). Les sommes versées au gouvernement sont passées de 2,2 à 68,9 millions de dollars annuels entre 1997 et 2005, tandis que la valeur exportée faisait un bond de 45 à 693 millions de dollars sur la période 1995-2004. De par sa jeunesse, le secteur minier tanzanien est qualifié par les experts d'« immature » : les besoins en formation et équipements sont encore énormes pour bénéficier, à volumes équivalents, de la même manière aux Tanzaniens qu'aux Botswanais (autre nation au sous-sol riche). Enfin, l'industrialisation massive du secteur, si elle profite au pays par le biais d'entrée massive de devises, n'a pas d'effets aussi positifs en termes d'emplois, plusieurs centaines de milliers de petits exploitants artisanaux se retrouvant expropriés ou ne peuvent soutenir la concurrence technologique des grands groupes.9
Selon la Banque mondiale, 28,2% de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2011.10
Éducation
L'arrivée de l'éducation en Tanzanie remonte à l'époque coloniale. En effet, la colonisation a entraîné l'apparition de la scolarisation dans le pays, sur un modèle occidental puisque l'Allemagne est la dite colonisatrice. Sa politique d'enseignement est calqué sur ce qu'on appelle l'assimilationnisme. Viens ensuite le modèle britannique, lorsque l'Allemagne ne possède plus la Tanzanie, qui est basé sur le différentialisme. Ces façons d'enseigner ont profondément marqué le modèle éducatif Tanzanien. Peu avant l'Indépendance, le système scolaire est caractérisé par une forte ségrégation des Européens, des Asiatiques (Asiatiques principalement venue d'Inde) et des Africains, au détriment de ces derniers. Quoi qu'il en soit, les deux puissances colonisatrices n'ont jamais considéré l'éducation en Tanzanie comme un souci majeur, un point important de leur politique coloniale. Cela a laissé une importante séquelle pour l'avenir (pendant l'Indépendance), avec un système éducatif très peu rodé et très fragile.
Avec l'arrivée de l'Indépendance, et Julius Nyerere au pouvoir, le problème de la discrimination raciale au sein de l'éducation devient une priorité absolue pour le premier président Tanzanien. C'est donc une volonté de changement radical qui apparaît ici, avec la politique éducative pour l'autosuffisance mise en place à la fin des années 1960. Avec Nyerere au pouvoir, l'éducation va prendre une nouvelle figure. Sa vision de l'éducation va partager les avis, certains verront en elle quelque chose de novateur, pour d'autres au contraire, elle ne serait que la continuité d'une éducation de colonie. Cette éducation porte le nom de Education for Self-reliance notée ESR. Elle est considérée par les dirigeants (comme dans de nombreux pays Africains) comme un moteur de développement mais aussi, et surtout, comme un moyen de faire un certain type de société.
Cependant, l'éducation ne permit pas de constituer le type de société souhaité, ceci en partie dû à la crise économique des années 1980. Cette crise fit intervenir le FMI en Tanzanie, sous la demande du président A.H.Mwinyi, FMI qui regarda les institutions éducatives présentes et qui remania le système avec certains plans d'ajustement structurel. Le Ministère de l'éducation nationale vit son budget resserré, ce qui limita encore le champ et la liberté d'action des politiques Tanzaniennes en matière d'éducation.
Aujourd'hui, l'alphabétisation est définie en Tanzanie par : tout individu de plus de 15 ans capable de lire et d'écrire le Swahili, l'Anglais ou encore l'Arabe. Ce chiffre s'élève à 69,4 % de la population en 2011, et plus précisément: 77,5 % des hommes, 62,2 % pour les femmes. Ainsi, la Tanzanie se classe au 167e rang mondial en matière d'alphabétisation. Les dépenses pour l'éducation étaient de 6,8 % du PIB en 2008. La scolarité et la vie professionnelle sont souvent réservées aux hommes.
Santé
Le taux de fécondité est estimé à 5 enfants par femme tandis que le taux de mortalité infantile est de 66,93 pour mille. L'espérance de vie est de 52,85 ans en 2011, environ 14 ans de moins que l'espérance de vie moyenne dans le monde. L'âge moyen total est de 18,5 ans, pour les femmes de 18,7 ans et pour les hommes de 18,2 ans. La croissance démographique annuelle est de 2,5 %.
On relève la présence de plusieurs maladies infectieuses :
- de la dengue
- de la fièvre jaune
- de la fièvre de la vallée du Rift
- du paludisme, maladies dont une forme sévère touche Dar Es Salaam.
- du choléra. Il est endémique, en particulier sur l'ile de Zanzibar et à Dar es Salaam et prend souvent la forme d'une épidémie.
- de la Trypanosomiase (maladie du sommeil) notamment dans les grands parcs animaliers du pays. La maladie du sommeil reste cependant rare en Tanzanie.
- du sida en particulier (8,8 % soit 1,6 million de personnes, 12e rang mondial).11
La Perche du Nil et le lac Victoria
En Tanzanie, dans les années 60, la Perche du Nil, un prédateur vorace, fut introduite dans le lac Victoria à titre d’expérience scientifique. Depuis, pratiquement toutes les populations de poissons indigènes ont été décimées. Mais à Mwanza (Tanzanie), cette tragédie a débouché sur une industrie d’exportation encouragée par la Banque mondiale et l’Union européenne notamment, puisque la chair blanche de ce gros poisson est très prisée au Nord. Chaque jour, des dizaines de tonnes de filets de perche du Nil s’envolent dans des avions-cargos Iliouchine de l’ex-Union soviétique surchargés. Ils se relaient sans cesse sur l’aéroport délabré de la ville, emportant la principale richesse de la région, dont Mwanza est devenue dépendante. Outre des carcasses de poissons récupérées pour la population locale qui n’a pas les moyens de se payer la chair du poisson, ils laissent sur place violence, prostitution, drogue, sida, misère et famine. Mais ils n’arrivent pas vides, puisque Mwanza semble être la porte d’entrée du trafic d’armes en Afrique centrale. L’Afrique exporte donc la vie – le lac Victoria est considéré comme le berceau de l’humanité – et reçoit des engins de mort… Selon Hubert Sauper, cette histoire est véritablement « une allégorie ironique et effrayante du nouvel ordre mondial. Mais la démonstration serait la même en Sierra Leone et les poissons seraient des diamants, au Honduras, ils seraient des bananes, et en Irak, au Nigeria ou en Angola… ils seraient du pétrole brut. »
En général, les pays africains doivent brader leurs ressources au plus offrant pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de leur dette. Les grandes puissances et les multinationales de l’agro-alimentaire ont réussi à inverser la donne à leur avantage : alors qu’elles sont demandeuses de ces biens primaires détenues par le Sud, qu’ils soient agricoles ou miniers, elles en fixent les prix et profitent d’un modèle économique dont le pays détenant les richesses est devenu absolument dépendant.12
La perche du Nil, un pur symbole de la mondialisation
À la formation de la Tanzanie, Julius Nyerere, leader panafricaniste et tiers-mondiste, acteur principal de la lutte pour l’indépendance du pays, en devient le premier président. Il le restera jusqu’en novembre 1985. En février 1967, il prononce le célèbre discours d’Arusha, où il jette les bases d’une politique économique autonome, qu’il articule autour de trois principes : "un gouvernement honnête, l’égalité entre les riches et les pauvres, l’indépendance économique". Il prône l’authenticité tanzanienne. Il rend l’école obligatoire et trace les grandes lignes d’une profonde réforme de l’enseignement "Education for self-reliance", l’éducation pour compter sur ses propres forces. Le système de santé est modifié, et à partir de 1972, de nouveaux centres ruraux de santé sont créés, ceci s’accompagnant de l’accroissement de personnels de santé. L’accent est mis sur la médecine préventive, avec des campagnes d’éducation à la santé, de vaccinations. Sur le plan économique, il donne un rôle fort et central à l’État : le 6 février 1967, toutes les banques d’affaires privées sont nationalisées, ainsi que, dans les mois qui suivent, de nombreuses sociétés privées. Des coopératives d’État sont créées, pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire. L’agriculture est choisie comme domaine décisif de l’activité économique. La propriété agricole est exploitée selon un système communautaire, basé sur des collectivités rurales nommées "ujamaa", d’un terme swahili : "communautés économiques et sociales rurales dans lesquelles les gens vivent ensemble et travaillent ensemble pour le bien de tous" selon Nyerere, et qui deviendront le symbole du socialisme tanzanien.
Le début des années 1980 est très difficile au niveau international, avec le déclenchement de la crise de la dette. La Tanzanie est particulièrement touchée car Nyerere s’appuyait beaucoup sur l’aide étrangère, qu’elle soit anglaise, allemande ou chinoise, pour financer sa politique. La dette est passée de 212 millions de dollars en 1970 à 5,3 milliards en 1980. La corruption qui règne dans le pays n’arrange rien. La situation devient vite intenable.
En 1985, Nyerere quitte le pouvoir sur un bilan mitigé, et ses successeurs, Ali Hassan Mwinyi (1985-1995) puis Benjamin Mkapa, lancent le pays sur la voie de la libéralisation économique. L’économie est ouverte aux capitaux étrangers, ruinant de nombreuses petites entreprises tanzaniennes. Les conséquences sociales sont terribles. En 2005, pour ce pays de 36 millions d’individus, le revenu annuel moyen par habitant est de 290 dollars. À cause des ravages du sida, l’espérance de vie à la naissance est tombée à 43 ans. Plus d’un Tanzanien sur trois vit au-dessous du seuil de pauvreté, selon les statistiques officielles. Depuis 1998, un système de TVA unique à 20% frappe durement les plus démunis, alors que le gouvernement a supprimé le soutien aux prix agricoles pour les petits producteurs et les subventions sur les produits de première nécessité pour la population. Les grands domaines agricoles appartenant à l’État ont été privatisés et les petits paysans n’ont plus reçu d’intrants agricoles tels que les semences et les engrais, désorganisant toute la production dont dépend pourtant le pays, dont près de 90% de la population active s’adonne à l’agriculture. Les principales exportations, qui permettent de se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, sont le café et le coton. Les exportations de bois ont décliné, de même que les ventes de sisal, jadis l’une des richesses du pays, et de clous de girofle de Zanzibar. L’exportation de la perche du Nil, poisson prédateur du lac Victoria, est venue s’ajouter récemment aux exportations traditionnelles.
Le film Le Cauchemar de Darwin, aborde cet aspect de l’économie tanzanienne, et toutes les conséquences sur place (misère, violence, sida, famine, etc.).
Pour toutes ces raisons, la Tanzanie fait partie des pays pauvres très endettés (PPTE), ouvrant droit théoriquement à une réduction de sa dette. Elle a atteint le point d’achèvement en novembre 2001. Cela fut l’occasion d’un communiqué de presse auto-satisfait du FMI et de la Banque mondiale qui parlait de 3 milliards de réduction du service de la dette... mais sur une période de vingt ans ! La valeur nette de la dette devait diminuer de 54 %, selon les prévisionnistes très optimistes du FMI. Patatras ! Loin de décroître, conformément aux proclamations médiatisées, la dette de la Tanzanie est toujours à la hausse. Pendant ce temps, elle applique les politiques néolibérales dictées par les institutions internationales.
Certes, quelques sommes libérées par l’initiative PPTE ont été investies dans l’éducation, avec pour but d’éliminer les droits d’inscription à l’école primaire. La Banque mondiale peut alors proclamer que "du jour au lendemain, 1,6 million d’enfants sont retournés à l’école". Mais tout ceci n’est que de la politique-spectacle : rien n’est fait pour briser la spirale d’une dette qui est passée de 6,7 milliards de dollars à la fin 2001 à 7,5 milliards de dollars deux ans plus tard (dont 3,5 envers la Banque mondiale qui est de loin son principal créancier). Phénomène inquiétant, le ratio dette/exportations utilisé par le FMI et la Banque mondiale pour décider de la soutenabilité d’une dette, est passé de 105 % à la fin 2001 à 140 % à la fin 2003. Entre 1980 et 2002, la Tanzanie a remboursé, au titre de service de la dette, 4,3 milliards de dollars qui ont cruellement manqué aux services sociaux sur place.
En somme, la Tanzanie est totalement sous contrôle des grandes puissances. Elle exporte ses richesses naturelles (comme la perche du Nil) et financières (via le mécanisme de la dette). Pendant ce temps, sa population se débat dans la misère. La Tanzanie représente un condensé des pires conséquences du mécanisme de la dette. À ce titre, la démonstration du Cauchemar de Darwin est éclatante.13
Sources