L'Éthiopie

 

 

Préhistoire et antiquité

Considérée comme un berceau de l'humanité, l'Éthiopie est avec le Tchad et le Kenya, l'un des pays où l'on retrouve les plus anciens hominidés. On y a découvert Lucy en 1974 et, en 2003, les plus anciens spécimens d'Homo sapiens.

 

Le royaume D'mt (VIIIe ‑ Ve siècle av. J.-C.) est généralement considéré comme la première forme organisée d'un État en Éthiopie. Très peu de traces archéologiques ont subsisté de ce royaume qui aurait eu des relations très étroites avec le royaume sabéen au Yémen. Certains historiens modernes considèrent pourtant que la civilisation D'mt est indigène et qu'elle n'aurait subi que peu d'influence sabéenne ; d'autres estiment qu'elle serait un mélange entre la culture sabéenne dominante et une culture indigène. Après la chute du royaume de D'mt au Ve siècle av. J.-C., divers royaumes ont dominé la région jusqu'à l'émergence, au Ier siècle av. J.-C., du royaume d'Aksoum, premier empire important de l'histoire éthiopienne.

Le royaume d'Aksoum constitue un grand État d'Afrique, sa capitale, Aksoum, est une ville cosmopolite où vivent des Juifs, des Grecs et des populations d'Arabie du Sud. Situé au bord de la mer Rouge, le royaume prospère grâce à l'exportation de produits primaires, se développe autour du commerce et commence à contrôler les principales routes maritimes passant par la région. L'élément caractéristique d'Aksoum est la pratique de l'écriture avec le développement de l'alphabet éthiopien. Vers 330, Ezana, Negus d'Aksoum se convertit au christianisme, qui devient la religion officielle, adoptée par la population locale majoritairement juive et païenne. Vers la fin du VIe siècle, les gouverneurs aksoumites et les garnisons militaires installées en Arabie méridionale sont expulsées par les forces locales avec le soutien des Perses. Son déclin se poursuit avec l'expansion de l'Islam vers la moitié du VIIe qui menace l'hégémonie maritime d'Aksoum. La destruction par les Arabes du port d'Adulis affecte les revenus de l'État, déstabilise l'autorité du royaume et aggrave les troubles internes. Le manque de sécurité rend les routes caravanières impraticables, l'accès à la mer est toujours plus compliqué et les ressources naturelles s'épuisent. Tous ces facteurs contribuent à la chute d'Aksoum et au déplacement du pouvoir politique éthiopien vers le sud

 

Le Moyen Âge éthiopien

Vers 990, le royaume aksoumite s'effondre définitivement. En raison de la progression de l'Islam depuis les côtes, les Chrétiens sont repoussés vers l'intérieur des terres et divers prétendants s'affrontent pour le contrôle du centre du pays. Vers 1140, les Zagwés du Lasta, arrivent au pouvoir. Ils dominent initialement la partie septentrionale de leur province mais à partir du début du XIIIe, ils étendent leur contrôle sur le Tigray, le Bégemeder et l'actuel Welloh. La structure féodale de l'Empire offre aux seigneurs régionaux une relative autonomie. Le souverain le plus célèbre est Gebre Mesqel qui ordonne la construction d'un ensemble d'églises taillées dans la roche. Le soutien de l'Église éthiopienne orthodoxe assure aux Zagwés leur suprématie.

 

En 1270, le dernier souverain zagwé, Yetbarek, est renversé par Yekouno Amlak. L'arrivée au pouvoir de ce dernier marque l'instauration de la dynastie salomonide qui perdure symboliquement de façon presque continue jusqu'en 1974, sans qu'il y ait une continuité familiale. Pendant presque trois siècles, le pays vit une période de développement culturel, administratif, d'extension territoriale et de guerres contre les sultanats musulmans voisins des royaumes chrétiens, bien que ce clivage recouvre plus les dirigeants que les habitants. Cette phase de l'histoire éthiopienne est parfois surnommée l'« âge d'or de la dynastie salomonide ». Amda Syon I mène les premières grandes conquêtes territoriales durant les trente années de son règne (1314 - 1344) ; une expansion consolidée par Dawit I et Yeshaq I de la fin du XIVe au début du XV.

Outre ses succès militaires, l'Éthiopie connaît une phase de développement du christianisme orthodoxe et de la littérature nationale. Dans ce domaine Zara Yaqob semble être le souverain emblématique. Durant son règne de 1436 à 1468, il convertit les habitants du Damot et du Godjam et participe aux débats théologiques est également un auteur, dont l'œuvre la plus connue est le Metsehafe Berhan (Livre de la Lumière). Durant ces siècles, diverses réformes administratives et financières réorganisent l'Empire. Un des éléments caractéristiques de cette période est le déplacement continu de la cour, une pratique à laquelle ont recours la majorité des souverains et qui leur permet de marquer leur domination sur les responsables régionaux, d'assurer leur contrôle du territoire et de répartir la prédation qu'ils exercent sur les ressources.

 

Guerre, trouble et déstabilisation de l'autorité impériale

Cette phase de prospérité s'achève au début du XVIe siècle, sous Lebne Dengel. Les troubles économiques et la forte poussée démographique dans les sultanats islamiques conduisent, en 1527, à l'éclatement d'une guerre entre des forces musulmanes menées par Ahmed Ibn Ibrahim Al-Ghazi, dit Ahmed « Gragne » (gaucher en amharique) et l'Empire chrétien éthiopien. Soutenues par les Ottomans, les troupes d'Ahmed remportent une série de victoires et en 1535, l'Empire éthiopien semble sur le point de s'effondrer. Néanmoins, le cours du conflit va changer à partir de 1541, avec l'arrivée des Portugais auxquels Lebne Dengel a fait appel. Le 21 février 1543, à l'issue de la bataille de Wayna Daga, Ahmed est tué et son armée défaite, laissant derrière lui un pays en ruine et fragilisé.

Face à la faiblesse de l'Empire, les Oromos vont migrer du Balé et du Sidamo, vers le nord, le centre et l'ouest de l'Éthiopie ; ces mouvements de population vont durer trois décennies de 1550 à 1580. La fragilité de l'Éthiopie a encouragé la venue des jésuites. Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, ceux-ci parviennent à imposer le catholicisme au souverain Sousnéyos qui se convertit en 1621. Les protestations s'en suivant se transforment en une véritable guerre civile et Sousnéyos abdique le 14 juin 1632, en faveur de son fils Fasilides. C'est ainsi que se concluait dans le sang une parenthèse de tentative d'occidentalisation d'un pays africain, généralement méconnue par rapport aux entreprises menées et réussies par la Compagnie de Jésus en Amérique Latine ou en Chine. Près d'un siècle de présence européenne (Espagnols, Portugais et Italiens essentiellement) qui a influencé cette Nation qui faisait rêver l'Occident ne serait-ce qu'au regard de la légende du Prêtre Jean.

En 1632, le nouveau souverain fonde Gonder où il fait construire un château. La nouvelle ville devient la capitale du pays ainsi qu'un important centre religieux et commercial. L'année 1632 marque le début de la période gonderienne qui prend fin en 1769 et pendant laquelle les divisions doctrinales de l'Église, la percée de l'islam et la lutte contre les offensives oromos conduisent vers un effondrement annoncé. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, la stagnation économique et la déstabilisation de l'autorité impériale poussent les seigneurs locaux à prendre toujours plus de pouvoirs.

En janvier 1769, avec le meurtre de Iyoas Ier débute le Zemene Mesafent (« l'Ère des Princes »). Jusqu'en 1855, une série de souverains aux pouvoirs limités règnent à Gonder ; les véritables détenteurs du pouvoir sont les maires de palais et les seigneurs locaux. Le Zemene Mesafent constitue une phase de stagnation économique, les innovations étant dissuadées par les guerres incessantes. La population éthiopienne a particulièrement souffert durant cette période et au cours des années 1830, une ancienne prophétie ressurgit selon laquelle un souverain arrivera au pouvoir, instaurera un règne juste et assurera la paix au pays. Vers la moitié du XIXe siècle, les exploits militaires d'un jeune Kassa Hailou semblent annoncer l'avènement de ce monarque tant attendu.

 

L'Empire éthiopien face aux menaces étrangères

De 1855 au début du XXe siècle, trois souverains importants se succèdent. Le premier est Téwodros II dont le couronnement en 1855 marque la fin du Zemene Mesafent et le début de l'histoire moderne du pays. Premier véritable modernisateur, il lance un processus d'expansion, d'unification et de centralisation. Néanmoins, les résistances des notables régionaux devant les mesures adoptées et un conflit avec la Grande-Bretagne conduisent à son suicide en 1868 à Maqdala.

 

Après le bref règne de Tekle Giyorgis (de 1868 à 1871), Kassa Mercha arrive au pouvoir en janvier 1872 sous le nom de Yohannes IV. Moins centralisateur que Téwodros II, il assure néanmoins la suprématie du negusse negest et fait progresser la construction nationale.

 

Toutefois, après l'ouverture du canal de Suez, les agressions étrangères le détournent des questions de politique interne. De 1875 à 1889, il défend les frontières éthiopiennes contre trois pays. Tout d'abord les Égyptiens, auxquels il inflige une lourde défaite en 1875-1876. Ensuite, les Italiens, installés à Metsewa depuis 1885, sont vaincus à la bataille de Dogali en 1887 par ras Alula Engida. Enfin, en partie à la suite d'un accord avec la Grande-Bretagne, Yohannes affronte les Madhistes soudanais. Il meurt de ses blessures le 10 mars 1889, au lendemain de la bataille de Metemma.

La même année, le negus du Shewa (également orthographié choa) est proclamé negusse negest sous le nom de Menelik II. Le troisième grand souverain de cette fin de siècle poursuit le processus d'expansion, d'unification et de modernisation du pays, tout en affrontant les menaces européennes. Il signe avec l'Italie le traité de Wuchale, censé assurer la paix et l'amitié entre les deux pays. Cependant, les Éthiopiens refusent de reconnaître l'interprétation du texte par les Italiens (qui l'utilisent pour notifier un protectorat selon la procédure définie à Berlin) et le dénoncent en 1893. Ce conflit débouche sur une guerre en 1895, qui s'achève par la bataille d'Adoua au cours de laquelle plus de 100 000 Éthiopiens écrasent les forces italiennes en mars 1896. Ce succès garantit à l'Empire son indépendance et la reconnaissance internationale de la souveraineté éthiopienne, même si certains auteurs évoquent alors une « semi-souveraineté ».1

La bataille d'Adoua est l'un des événements majeurs de l'histoire de l'Éthiopie. Dès le lendemain, les répercussions sont immenses. La victoire d'Adoua a un sens déterminant aussi bien pour l'Éthiopie elle-même, en faisant définitivement l'un des seuls pays non colonisés d'Afrique, que pour le reste du monde. À une époque où toute l'Afrique est aux mains du colonialisme européen, la bataille d'Adoua commence à sonner la fin d'une ère et un événement « prémonitoire » comme le dit l'historien Berhanou Abebe. « Pour les peuples qui combattront le colonialisme et les militants qui se battront pour la liberté en Afrique, dans les Caraïbes et dans le reste du Tiers monde, Adoua pose les bases de la négritude, du mouvement panafricaniste et des mouvements pour les droits civiques aux États-Unis » qui y puiseront inspiration.

La défaite d'Adoua ne met pas entièrement fin aux ambitions des puissances coloniales qui à défaut d'occupation du pays optent pour un choix de pénétration économique. Le 13 décembre 1906 est signé à Londres un accord entre la France, l'Angleterre et l'Italie qui, tout en reconnaissant l'indépendance de l'Éthiopie dans ses premiers articles, traduit de l'autre côté cette nouvelle orientation politique de l'Europe : en cas d'événements intérieurs à l'Éthiopie, les puissances coloniales s'attribuent elles-mêmes des « sphères d'influences ». Sir John Harrington, représentant anglais en Éthiopie, fait « campagne pour remettre la construction de la voie ferrée entre les mains d'une compagnie internationale », par ailleurs si « le chemin de fer restera français, les intérêts étrangers sont officiellement reconnus dans son administration qui se doit de comprendre un anglais, un italien et un représentant de Menelik ». Pour De Marinis, député italien, il s'agit d'enfermer l'Éthiopie dans « un cercle de fer » au moyen d'une « politique pacifique de conquête ».

Ménélik est frappé de deux crises d'apoplexie en 1908 et n'est plus en mesure d'assurer le pouvoir.2

 

L’Éthiopie au début du XXe siècle

Au début du XXe siècle, durant les années 1910-1920, deux souverains aux personnalités bien différentes vont se succéder : Ledj Eyassou et Zewditou I. Le premier est officiellement au pouvoir de 1913 à 1916, son bref règne est particulièrement agité. Son désintérêt pour les affaires publiques, sa proximité avec les milieux musulmans et sa politique antagoniste avec les puissances européennes voisines pousse la noblesse éthiopienne à le renverser lors du coup d'État du 27 septembre 1916. Zewditou I arrive sur le trône impérial, son règne voit l'émergence de Tafari Makonnen, nommé régent et prince lors du coup d'État.

Au cours des années 1920, les progressistes et les conservateurs s'opposent à la Cour. Les seconds s'opposent aux volontés d'ouverture sur le monde que défendent les premiers. En 1923, en faisant de l'Éthiopie le premier pays africain adhérant à la Société des Nations, Tafari remporte une victoire.

 

Haile Selassie (1930-1974)

Durant les années 1920, il conduit des politiques de modernisation dans tous les domaines, aussi bien sociaux, avec l'abolition de l'esclavage, qu'économiques et juridiques. Ce processus se poursuit sous son règne débuté le 3 avril 1930, à la suite du décès de Zewditou ; Tafari est couronné le 2 novembre 1930 sous le nom de Haile Selassie I.

Une nouvelle Constitution, la première de l'Histoire éthiopienne, est promulguée en 1931, de nombreuses écoles sont construites, l'économie est réformée et le pouvoir politique centralisé ; tout est entrepris pour mettre l'Éthiopie à l'abri d'une invasion coloniale. Cela n'empêche pas le déclenchement d'une guerre avec l'Italie fasciste en 19353. Soucieux de s'assurer la victoire, Benito Mussolini triple les moyens en hommes : en mai 1936, presque un demi-million d'hommes est engagé sur le théâtre des opérations. Les bombardements chimiques d'artillerie et par avions se poursuivent aussi bien sur le front Nord (jusqu'au 29 mars 1936) que sur le front Sud (jusqu'au 27 avril), employant un total de 350 tonnes d'armes chimiques.

Dans ce contexte, fin janvier, malgré l'emploi massif d'armes chimiques, les armées italiennes du front Nord sont en graves difficultés (harcelé par les troupes du ras Kassa, Badoglio est sur le point d'ordonner l'évacuation de Mékélé). La conduite d'une vraie politique d'extermination envers les Éthiopiens ne se limite pas à l'emploi des armes chimiques mais est conduite avec d'autres moyens, comme l'ordre de ne pas respecter les marquages de la Croix rouge ennemie ce qui conduit à la destruction d'au moins 17 hôpitaux (dont un suédois) et installations médicales éthiopiennes ou par l'emploi de troupes askari (libyens de religion musulmane) contre les armées et la population chrétienne d'Éthiopie. Les membres de la Croix Rouge auprès des troupes éthiopiennes rapportent y être délibérément visés par les troupes musoliniennes.4

De l'autre côté, les troupes du négus, moins nombreuses et moins bien armées, résistèrent parfois héroïquement, comme à May Chaw ou Amba Alagi.

Le 5 mai 1936, après sept mois de conflit, Addis Abeba tombe ; le 9 mai, la victoire est proclamée par Mussolini.

Haïlé Selassié, après une décision majoritaire du Conseil impérial, prend le chemin de l'exil vers l'Angleterre afin de sauvegarder le gouvernement national.

Il lance à Genève un appel à la Société des Nations le 27 juin 1936 devant ses pays membres. Dans son discours, Hailé Sélassié Ier dénonce les agissements de l'occupant comme des actes « barbares », et met en garde la communauté internationale contre les conséquences à venir de leurs positions, déclarant notamment :

« J'ai décidé de venir en personne, témoin du crime commis à l'encontre de mon peuple, afin de donner à l'Europe un avertissement face au destin qui l'attend, si elle s'incline aujourd'hui devant les actes accomplis ».

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936.

« Je déclare à la face du monde entier que le Negusse Negest, le gouvernement, et le peuple d'Éthiopie ne s'inclineront pas devant la force, qu'ils maintiennent leur revendication d'utiliser tous les moyens en leur pouvoir afin d'assurer le triomphe de leurs droits et le respect de l'alliance ».

— Hailé Sélassié, « Appel à la Société des Nations », 27 juin 1936.

Malgré les mises en garde du Negusse Negest devant le danger fasciste que laisse apparaître cette guerre, la Société des Nations se contente de décréter des sanctions économiques jamais entrées en application.

 

L'occupation et la résistance éthiopienne (1936-1941)

La période d'occupation italienne est marquée par la violence de l'occupant et par l'échec de la politique de colonisation. Le développement des mouvements de résistance éthiopiens, ainsi que la violence elle-même qui nourrit en retour la résistance, sont autant d'éléments participant de cet échec.5

 

L'Addis Zemen (1936-1974)

En 1941, année de la libération, s'ouvre une nouvelle période nommée Addis Zemen (en français : Nouvelle Ère) à la suite de la défaite italienne devant les forces anglo-françaises au nord du pays, les Italiens qui occupaient Addis-Abeba ayant capitulé et la Force publique du Congo belge, attaquant au sud, ayant reçu la capitulation italienne d'Asosa.

Dès lors, il s'agit pour Haile Selassie de reprendre les chantiers ouverts en début de son règne. Le pays connaît alors une période d'industrialisation et de croissance économique, mais également divers troubles.6

 

Le problème somalien

Le traité anglo-éthiopien de 1942 arrive à échéance en septembre 1944. L'Éthiopie exige un respect des conditions du traité soit l'évacuation du Haud et du Territoire Réservé par les Britanniques qui cherchent à retenir ces régions pour des raisons stratégiques. Ceux-ci sont finalement placés sous administration britannique jusqu'en 1948.

Le Territoire Réservé est rendu en 1948, mais Ernest Bevin, secrétaire d'État aux affaires étrangères de l'Angleterre, se montre réticent à rendre le Haud et conçoit l'idée d'une Grande Somalie, comprenant la Somalie britannique, italienne, et l'Ogaden éthiopien. Cette idée est reprise par le mouvement de libération somalien en 1955 lorsque le Haud est rendu à l'Éthiopie.

 

Le problème érythréen

Deux mémorandum éthiopiens, l'un à la Conférence de Londres de 1945, le second à la Conférence de la Paix à Paris en 1946, exposent les arguments historiques, économiques et stratégiques de la complémentarité de l'Éthiopie avec l'Érythrée. Les grandes puissances de l'époque, incapables d'aboutir à un consensus s'en réfèrent aux Nations unies qui adoptent la résolution, le 21 novembre 1949, établissant une commission pour l'Érythrée. Celle-ci recommande suivant la résolution 390, la constitution d'une entité séparée rattachée par voie fédérale à l'Éthiopie.

Le 17 octobre 1952 est créée la fédération Éthio-Érythréenne.

Le 14 novembre 1962, l'assemblée érythréenne vote sa dissolution et la réunion de l'Érythrée à l'Éthiopie.

L'accès à la mer dont bénéficie le pays facilite le développement économique dans les années d'après-guerre et l'ouverture internationale.

Néanmoins la réunion des deux entités exacerbent les revendications des mouvements séparatistes, le Djabha (Front de Libération Érythréen) et le Cha'abiya (Front populaire de libération de l'Érythrée). L'historien éthiopien Berhanou Abebe note à cet égard que les grandes puissances de l'époque ne se montrent pas non plus favorablement disposés à cette union : « le parti unioniste représentait la force politique organisée le plus efficacement et qu'il ne reçut aucune organisation extérieure d'aucune sorte.(...) Le déploiement de forces extérieures contre les intérêts éthiopiens en Érythrée indique, de surcroît, que les principales puissances occidentales n'étaient pas favorablement disposées à l'égard des revendications unionistes ».

 

Les troubles intérieurs

Les tensions internes éclipsées par l'euphorie de la libération ne tardent pas à refaire surface. Une première tentative d'assassinat du Negusse Negest a lieu par le blatta Tekkelé. Une autre a lieu le 5 juillet 1951, fomentée par le dejazmach Negache Bezabbeh, petit-fils de Téklé Haymanot.

Le 14 décembre 1960, un putsch est mené par le commandant en chef de la Garde Impériale, le général Menguistu Neway, instigué par son frère Guermamé formé aux États-Unis. Les insurgés emprisonnent les notables au Palais, les exterminent et forment un gouvernement sous l'égide du Prince Asfa Wossen. Le Negusse Negest rentre d'urgence d'une visite officielle au Brésil, les auteurs du putsch sont tués ou capturés.

Des révoltes paysannes commencent à voir le jour dans les années 1960 en opposition au système de taxation des revenus agricoles. C'est notamment le cas dans la région du Balé en 1963, où le conflit est exacerbé par la superposition des revendications du Front de libération de la Somalie occidentale. La région est placée sous garde de la 4e division en 1966. Une autre révolte se produit dans le Godjam en 1968, et fait l'objet d'une intervention militaire dénoncée pour sa violence. L'armée finit par se retirer.

En 1965, un mouvement en faveur d'une réforme agraire prend le leitmotiv de marèt larachou (« la terre au cultivateur »).

 

La révolution éthiopienne

Au début des années 1970, une famine de très large ampleur ravage la région du Wollo. Rapidement, le régime tente très vite de masquer la situation ; un rapport préparé à l'automne 1972 par le ministère de l'Agriculture et la FAO (Commission de l'alimentation et de l'agriculture des Nations Unies) sur la situation est même passé sous silence avec la complicité de l'agence. Le 17 avril, les étudiants manifestent et ouvrent les yeux du pays sur l'ampleur de la situation ; une répartition des terres plus juste fait partie des premières revendications. Des heurts violents les opposent à la police. Le 28 avril, un nouveau gouverneur est nommé dans le Wollo et des ravitaillements sont envisagés. Néanmoins, le gouvernement continue à minimiser l'ampleur de la situation. Haile Selassie I admet finalement son incapacité à gérer la situation et fait appel à l'aide internationale. Les pertes humaines sont estimées à 200 000 personnes.

Les professeurs, universitaires et intellectuels sont au premier rang de la contestation qui se prépare à la suite de l'annonce d'une réforme du secteur de l'éducation. Celle-ci préconise entre autres de limiter l'éducation aux stricts besoins économiques du pays et de conserver la part infime d'étudiants accédant au cursus secondaire : pour beaucoup ce rapport condamne la jeunesse à l'illettrisme et au statut de prolétaire, par ailleurs les enfants des classes dirigeantes ne sont pas concernés par ces réformes. Le 14 février, les étudiants manifestent et font face à une riposte armée de la police. Le 18 février les professeurs accompagnés des conducteurs de taxis, qui entendent protester contre une hausse de 50 % du prix du carburant, bloquent la capitale. De nombreuses attaques contre les propriétés de la classe dirigeante ont lieu.

Face à un mouvement populaire d'ambition révolutionnaire touchant tous les secteurs de la société, le régime ne peut plus compter que sur ses forces armées. Vers la fin du mois d'avril 1974, un comité de représentants élus comprenant tous les échelons de l'armée se met en place sous le nom de Comité de Coordination des Forces armées, plus connu sous le nom de Derg (Comité en amharique). Les ambitions du Derg sont initialement confuses : il rend initialement allégeance au Negusse Negest, effectue les arrestations ordonnées par le régime, et condamne les manifestations populaires progressistes. Le Derg présente sa propre liste de revendications au Premier ministre. Celle-ci ne clarifie pas sa direction qui reste assez confuse à cette époque, une confusion révélatrice, comme le note John Markasis, de l'incertitude du comité sur sa capacité à assumer le pouvoir. Le Derg pousse le Premier ministre à présenter sa démission le 22 juillet, remplacé par Mikael Imru.

Les intellectuels et universitaires éthiopiens continuent parallèlement leur offensive. L'abolition du régime féodal et l'indépendance face au capitalisme étranger sont définis comme les seules bases possibles d'un changement radical. Le Derg, dénoncé comme non représentatif, masque initialement sa confusion. En août 1974, il se saisit de la première des demandes des contestataires : le renversement de Haile Sélassié. Le 12 septembre, l'annonce de sa déposition est faite dans tout le pays. Cette destitution met ainsi fin à la plus vieille dynastie du monde.

Le Derg assure le rôle de chef d'État, la constitution est suspendue et le parlement dissout. Le nouveau gouvernement interdit toute opposition au principe du Ethiopia Tikdem, et se refuse à toute alliance avec aucun autre groupe populaire : la prise de pouvoir est ainsi très vite perçue dans la population et particulièrement chez les intellectuels comme une trahison de la révolution du peuple. La presse attaque très vite les prétentions du Derg à être représentatif du mouvement qui l'a porté. Le Derg inclut les intellectuels radicaux comme des « ennemis au progrès et de la nation » et fait arrêter les étudiants manifestant. Le 23 novembre, 59 personnalités du régime de Haile Selassie sont exécutées, un tournant dans le régime, qualifié par la presse de « fasciste ».

La question érythréenne ouvre un second front contre le régime du Derg opposé à tout compromis avec les deux mouvements séparatistes : le Front de libération érythréen (FLE) et le Front populaire de libération de l'Érythrée (FPLE). Le 23 novembre, le général Aman Mikael Andom, chef d'État et partisan d'une solution pacifique est abattu. La bataille d'Asmara de février 1975 achève de polariser la population érythréenne à la suite des récits des atrocités commises par les troupes du Derg.

 

 

La dictature militaire (1975-1991)

 

Le PMAC et les années de contradiction (1975-1976)

Rapidement, après novembre 1974, le Derg est dominé par deux personnages, ses deux vice-présidents. Le premier d'entre eux, Mengistu Haile Mariam dont les ambitions personnelles l'opposent très vite aux officiers plus éduqués du régime qui rejettent ses solutions radicales. Le second est Atfanu Abate, considéré comme l'un des plus sérieux rivaux, les éliminations brutales qui suivront ne lui laisseront pas l'occasion de le distancer. Malgré le changement de régime, l'aide militaire américaine vers l'Éthiopie ne faiblit pas : Washington réagit très peu à la nationalisation des investissement étrangers dans le pays et considère favorablement les demandes d'assistance militaire de la part du Derg, les experts américains considérant que « cette très longue relation avec le pays vaut la peine d'être préservée. » « Nous recevons en même temps des livres marxistes imprimés en Chine, et des armes modernes fabriquées aux États-Unis » cite Le Monde daté du 7 juin 1975.

En janvier et février 1975, une première vague de nationalisation est annoncée. Dans la déclaration de politique économique de février 1975 une économie en trois tiers est envisagée : un secteur réservé à l'État, un secteur conjoint État-privé et un secteur privé assez large. Le secteur de l'État s'accroît ainsi de près de 30 000 postes. Sur la question de la répartition des terres, le Derg proclame la réforme le 4 mars 1975 : toutes les terres rurales deviennent les propriétés collectives de l'État ; cette mesure suscite les plus grandes manifestations et les plus enthousiastes de l'histoire du pays.

Alors que le régime tente de récupérer la sympathie des paysans, la situation des ouvriers urbains n'est quasiment pas améliorée par la nouvelle législation du travail promulguée en décembre 1975. Celle-ci ne propose ni salaire minimum, ni aucune mesure de sécurité sociale. Le Derg commence alors à s'attaquer à l'existence même des syndicats en développant de nouvelles structures concurrentes appelées « comités de travailleurs » ; les syndiqués sont soumis à une campagne d'intimidation. Le Derg ordonne la suspension de l'union des syndicats jusqu'aux élections du prochain congrès et les dirigeants sont emprisonnés. Le régime décide plus tard de mettre fin à l'activité de l'organisation et retient prisonnier ses représentants. Le 25 septembre 1975, des membres des forces de sécurité ouvrent le feu sur des personnes distribuant des tracts de l'union à l'aéroport d'Addis-Abeba, causant plusieurs morts. L'état d'urgence est déclaré, de larges vagues d'arrestations touchent des ouvriers syndiqués, des intellectuels et des étudiants.

 

Le durcissement du régime : la dictature (1976-1987)

Ayant épuisé les réformes socio-économiques inspirés du mouvement populaire, le Derg se montre non seulement incapable de concevoir de nouvelles mesures dans les mois suivant, mais voit aussi resurgir avec d'autant plus de force l'une des premières revendications du mouvement : celle d'un gouvernement du peuple. Parallèlement le Derg suit une transformation interne clarifiant la nature du régime : la plupart des membres sont décimés au cours de purges violentes ramenant le pouvoir dans les mains d'une clique de plus en plus réduite.

La première des pressions exercées par la junte reste l'opposition populaire dirigée par les intellectuels, les ouvriers et les étudiants. La campagne de propagande basée sur l'envoi massif des étudiants dans les campagnes prend fin au début de 1976, du fait de l'hostilité de plus en plus grande des universitaires face au gouvernement militaire. Ils sont remplacés, comme les professeurs, par des militaires et des sympathisants du régime, le Derg prenant des mesures sévères contre leurs prédécesseurs : un nombre indéterminé de ces militants universitaire est tué dans des heurts avec les autorités, beaucoup sont emprisonnés, des centaines traversent les frontières pour se réfugier à l'étranger.

La campagne prend fin officiellement en juillet 1976.

En décembre 1976, une délégation éthiopienne se rend à Moscou et signe un accord d'assistance militaire avec l'Union soviétique. En avril, l'Éthiopie résilie son accord d'assistance militaire avec les États-Unis et expulse les forces militaires basées en Éthiopie (base de Kagnew). En juillet 1977, la Somalie de Siad Barre attaque l'Éthiopie pour soutenir les indépendantistes de la province de l'Ogaden. Le conflit voit la défaite de la Somalie en mars 1978.

Les années sous Mengistu sont marquées par un gouvernement totalitaire et la militarisation du pays financée par l'URSS et Cuba. En 1977 et 1978, des milliers de personnes suspectées d'être des ennemis du Derg sont torturées ou tuées. Lorsque les corps ne sont pas abandonnés aux hyènes, les familles doivent payer la balle qui a servi à l'exécution. Cette période est nommée la « terreur rouge ». Les slogans annoncent : « Pour un révolutionnaire abattu, mille contre-révolutionnaires exécutés ». 30 000 étudiants sont mis en prison et 5 000 sont tués en une seule semaine.

La guerre civile provoque l'abandon et la destruction des cultures et détourne une part importante des énergies et crédits vers les opérations militaires. En 1979, une famine importante touche le Nord du pays du Wollo à l'Érythrée. À cette occasion, le régime entame une politique de déplacements forcés, dite de « villagisation ». Cette politique obéit à plusieurs objectifs : les autorités poussent d'une part les paysans à abandonner les zones sinistrées -pour cause de famine ou de guérilla- pour les transférer dans les régions du Sud plus clémentes et plus sures, de l'autre ces déplacement diminuent les capacités de regroupements dans les régions du Nord hostiles au régime. Cette politique est conduite à une plus grand échelle, lors de la famine de 1984-1986 : d'octobre 1984 à mai 1986, 2 800 000 personnes sont déplacées.

En 1984, le Parti des travailleurs d'Éthiopie (PTE) est créé, et le 1er février 1987, une nouvelle Constitution suivant le style soviétique est soumise à un référendum. Celle-ci est officiellement approuvée par 81 % des votants, et en suivant la Constitution, le pays est renommé « République démocratique populaire d'Éthiopie » le 10 septembre 1987. Mengistu devient président.

 

La chute du régime (1988-1991)

La fin des années 1970 et surtout les années 1980 voient la montée en puissance des mouvements nationalistes régionaux. Le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) et le Front populaire de libération de l'Érythrée (FPLE) coordonnent leurs opérations à partir de la moitié des années 1980 tandis que le Front de libération Oromo progresse. En plus des rébellions, le pays est touché par une crise économique, causée par le manque d'investissements privés dans l'économie aux mains de l'État. La famine de 1984-1985 porte un coup en plus au régime du Derg qui dans un premier temps ne réagit pas, pour ensuite autoriser l'aide internationale. Mengistu veut répondre à cette crise en relocalisant les paysans vers des terres plus fertiles mais les manières brutales employées, les collectivisations rendent la mesure impopulaire. Une nouvelle réforme visant à déplacer les habitants des villages convainc définitivement les paysans qui soutiennent les mouvements de guérillas à la fin des années 1988. Enfin, « pilule amère » pour la classe dirigeante éthiopienne qui « commence à peine à savourer l'institutionnalisation de l'ordre socialiste », le nouveau pouvoir à Moscou annonce la Perestroïka et la Glasnost. Le régime du Derg perd donc un important soutien au niveau international. En 1988-1990, les quelques annonces d'ouverture de l'économie arrivent trop tard, dans le nord, les guérilleros prennent l'avantage.

En mars 1988, le FLPE remporte la bataille d'Afabet, un succès décisif dans un bastion du gouvernement central. Les séparatistes érythréens amassent une importante quantité de matériel militaire, déterminant dans la poursuite de la guerre et ouvrent la route vers Mitsiwa et Asmara. En février 1989, le FLPT, soutenu par la population local et un contingent du FLPE remporte la bataille d'Endeselassié, une défaite lourde pour Mengitsu puisque qu'environ 23 000 soldats gouvernementaux sont faits prisonniers. L'importance de ces succès est rappelée par Bahru : « Afabet et Endeselassie marquent le début de la fin du régime de Mengistu ».

Désormais, le FLPT se fixe un nouvel objectif : après la libération régionale, le mouvement doit libérer tout le pays. Telles sont les conditions dans lesquelles le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) a été créé. Cette coalition comprend alors divers partis dont le Mouvement démocratique du peuple éthiopien, devenu le Mouvement national démocratique Amhara et l'Organisation démocratique des peuples Oromo. Néanmoins, la prédominance du FLPT dans la coalition ne fait aucun doute. À la fin de l'année 1989, le FDRPE remporte une bataille décisive au mont Gouna et en février 1990, Mitsiwa tombe aux mains du FLPE. La victoire de Gouna est suivie de celle de Maragngna dans le Wello ; le FDRPE organise alors quatre opérations : l'opération Téwodros, Wallelegn et Bilisumaf walqituma qui permettent respectivement la conquête du Godjam, du Wello et du Wellega. L'encerclement de la capitale étant assuré, le FDRPE se trouve en position de force face au gouvernement qui souhaite négocier. Voyant la défaite arriver, Mengistu quitte le pays le 21 mai 1991, passe par le Kenya pour ensuite se réfugier au Zimbabwe. L'armée gouvernementale en Érythrée s'effondre et la capitale est laissée aux forces du FDRPE qui pénètrent à Addis-Abeba le 28 mai 1991. La date est depuis devenue jour de fête nationale.7

 

L'Éthiopie sous le FDRPE

De 1991 jusqu'en 1995, le pays est dirigé par un gouvernement de transition chargé de mener l'Éthiopie vers un régime démocratique. En 1992, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) remporte les premières élections multipartites de l'Histoire du pays et prépare une nouvelle Constitution. L'année suivante, le référendum pour l'indépendance de l'Érythrée, effectué en accord avec le FDRPE, voit la victoire des séparatistes. En 1994, l'assemblée constituante vote la ratification de la nouvelle Constitution qui entre en vigueur en août 1995. La République fédérale démocratique d'Éthiopie est officiellement proclamée et Negasso Gidada en devient le président. La transition s'est effectuée rapidement et dans une atmosphère relativement calme.8

La transition de quatre ans a été « tranquille » et « rapide ». La volonté d'introduire les droits de l'Homme et la légalité s'est d'abord heurtée à la réalité politique d'un État disposant de peu d'infrastructures dans lequel la force de la loi est peu effective. Le nouveau régime offre une liberté de mouvement et de circulation des gens et des capitaux ; en outre, les observateurs étrangers peuvent librement visiter le pays. Des médias libres apparaissent et les organisations de masse héritées du Derg disparaissent.
Le bilan des réformes économiques est mitigé. Si l'économie éthiopienne reste influencée par le rôle de l'État, jamais dans son histoire, une telle marge de liberté n'a été laissée aux investisseurs privés. Les terres restent une propriété du gouvernement, une mesure qu'il défend affirmant vouloir éviter un exode rural. Les finances publiques ont été contrôlées, la proportion des dépenses militaires a baissé et les ministères coordonnent leurs activités avec les régions. Le gouvernement a lutté avec succès contre l'inflation forte que tous les autres pays anciennement socialistes ont connu.

Après quelques années d'entente cordiale, les relations diplomatiques entre l'Éthiopie et l'Érythrée se dégradent progressivement et en 1998, le nouvel État indépendant déclenche une guerre en raison de différends territoriaux non résolus. Le conflit, qui a coûté la vie à près de 80 000 personnes, s'achève en 2000 par une victoire militaire éthiopienne ; en revanche, d'un point de vue juridique, l'Érythrée parvient à obtenir la ville de Badmé, une des localités à l'origine des tensions. Depuis, une Force de maintien de la paix des Nations unies est présente sur la frontière commune qui reste fermée ; les relations demeurent tendues.

 

Les élections de mai 2005

Le scrutin de 2005 constitue un « changement significatif dans l'histoire politique de l'Éthiopie » puisqu'il s'agit de la « première élection authentiquement disputée ». En effet, les partis politiques de l'opposition, qui ont boycotté les scrutins de 1995 et 2000 décident de participer ; on compte au total 35 partis pour les élections fédérales et régionales. La première surprise, aussi bien pour le pouvoir que pour l'opposition, a été l'annonce des scores et de la participation qui a atteint 90 %. Le changement important est la lourde perte subie par le FDRPE qui passe de 90 % à 60 % de sièges au Conseil des Représentants des Peuples ; l'opposition, quant à elle, passe de 12 à 174 sièges. Les deux principaux partis d'opposition sont la Coalition pour l'Unité et la Démocratie (CUD), surnommée Qenejet, créé en 2004 et comprenant quatre partis et les Forces démocratiques éthiopiennes unies (FDEU). La CUD a obtenu un résultat important notamment à Addis Abeba où elle a remporté tous les sièges du conseil, moins un, ainsi que la totalité des 23 sièges d'Addis Abeba au Conseil des Représentants.

Néanmoins, elle conteste les résultats et accuse le régime d'avoir trafiqué les résultats ; Human Rights Watch a également critiqué le déroulement des élections. La CUD annonce qu'elle refuse de siéger à l'ouverture du parlement afin de protester contre les résultats. Des manifestations éclatent en novembre 2005 et la direction de la CUD a été emprisonné. À cette occasion, l'opposition s'est divisée puisque les FDEU se sont opposés à la décision de la CUD et les membres élus ont siégé à l'ouverture du parlement. Les divisions continuent de marquer les partis politiques de l'opposition. Les troubles et contestations post-électorales ont amené à de nouveaux votes dans 31 circonscriptions. Le 9 août, les résultats officiels sont annoncés et le FDRPE est déclaré vainqueur.

 

L'intervention en Somalie

Après quelques interventions ponctuelles, estimant la sécurité de leur pays menacée, les troupes éthiopiennes pénètrent officiellement en Somalie en décembre 2006 avec le soutien des États-Unis. Leur objectif est de combattre les troupes des tribunaux islamiques, qui menaceraient l'Éthiopie, et de soutenir le gouvernement fédéral de transition (TFG). La campagne est officiellement achevée en moins d'une semaine, et permet au gouvernement somalien de s'installer à Mogadiscio. Plusieurs milliers de soldats éthiopiens stationnent ensuite en Somalie, engagés dans des combats, en particulier dans Mogadiscio. Alors que l'Éthiopie annonce un retrait de son armée au début février 2007, elle y reste, confrontée à des attaques et des attentats.
Après un accord politique en octobre 2008, l'armée éthiopienne quitte officiellement le territoire somalien en décembre 2008, laissant les troupes de l'Union africaine (Amisom) seul soutien du gouvernement.9

 

Troubles à l'intérieur du pays

À l'intérieur de ses frontières, l'Éthiopie est également confrontée à deux rebellions armées : le Front de libération Oromo et le Front national de libération de l'Ogaden, qui ont redoublé d'activité en 2007.

Birtukan Mideksa, dirigeante du principal parti d'opposition l'Unité pour la démocratie et la justice (UDJ), est arrêtée le 28 décembre 2008. Cette arrestation fait suite à une réunion publique en Suède à laquelle participait Birtukan Mideksa où elle s'exprimait sur les conditions de sa libération en 2006, et y expliquait notamment que la grâce qu'on lui avait accordée il y a un an était le résultat de tractations politiques et non pas une faveur du gouvernement. Des responsables du gouvernement éthiopien ont considéré que ses propos valait négation de sa demande de grâce. Le ministère de la Justice émet une déclaration annulant la grâce qui lui avait été octroyée et rétablissant la peine de réclusion à perpétuité prononcée à l'origine. Elle est incarcérée à la prison de Kaliti, à la périphérie d'Addis Abeba.

Le 16 avril 2009, a lieu la première grande manifestation politique depuis la violente répression de 2005, limitée à 250 personnes par le gouvernement à Addis Abeba, afin d'obtenir la mise en liberté du leader de l'opposition.10

 

 

Élections législatives de 2010

Constitutionnellement, l’Éthiopie, pays multiethnique le plus peuplé d’Afrique subsaharienne après le Nigeria, est une démocratie parlementaire ! Selon les résultats officiels des législatives éthiopiennes 2010, l’EPRDF (Front révolutionnaire et démocratique du peuple éthiopien) de Meles Zenawi (premier ministre issu de la guérilla tigréenne) et de ses alliés, au pouvoir depuis 19 ans, a remporté tous les 545 sièges de l’Assemblée nationale. Près de 32 millions d’Éthiopien-ne-s étaient appelé-e-s aux urnes, le 23 mai 2010, pour les élections générales, les quatrièmes du genre après la chute, en 1991, du régime « socialiste » autoritaire de Mengistu Hailemariam. Plus de 6000 candidat-e-s ont candidaté pour la députation.

Le souvenir de la répression postélectorale de 2005 a plané sur les têtes pendant ce scrutin, d’autant que le pouvoir a, depuis, encore renforcé son emprise sur le pays. En effet, des violences avaient ensanglanté la proclamation des résultats de ce scrutin quand l’opposition avait dénoncé des irrégularités dans le comptage des voix. La période qui a suivi ces élections avait été marquée par une répression sanglante dans la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD) qui a défié l’EPRDF. Plus de 200 personnes ont été tuées par les forces de sécurité, des milliers de citoyens, dont des leaders, des membres et des supporters de l’opposition ainsi que des journalistes, ont été emprisonnés lors des affrontements entre le EPRDF et la CUD qui ont duré plus de deux mois. Les principaux dirigeants de l’opposition avaient été emprisonnés et plusieurs condamnés à la perpétuité pour « déstabilisation de l’ordre constitutionnel » ; ils ne furent libérés qu’après avoir exprimé leurs regrets et beaucoup furent contraints de quitter leur pays. De leur côté, des policiers anti-émeute ont été tués par des protestataires que le gouvernement a vite fait de qualifier de hooligans. Cette année-là, l’EPRDF s’est au final attribué le score national de 59,8%, ce qui lui donnait 327 sièges au parlement fédéral tandis que la CUD aurait fait 19,9% donc 109 sièges.

C’est parce qu’elle anticipait les tricheries du pouvoir que l’opposition a formalisé dès février 2009 son unité à travers une nouvelle alliance, le Forum pour le dialogue démocratique en Éthiopie (FDDE). Le FDDE a immédiatement annoncé des plans pour élargir l’espace démocratique. La loi anti-terroriste votée par le parlement éthiopien le 7 juillet 2009 retire dans certains cas aux journalistes le droit de protéger leurs sources; selon la nouvelle loi, « les journalistes doivent dévoiler leurs sources lorsqu’ils font des reportages sur le terrorisme ». Le nouvel arsenal juridique contre le terrorisme autorise des arrestations et des fouilles sans le mandat d’un juge. Il a ainsi permis de détenir pendant un mois l’un des candidats d’opposition au Sud du pays.

Meles Zenawi, en campagne, a mis en avant son « bilan économique » : une croissance autour de 10 %, une inflation maîtrisée et des exportations en hausse. Très tôt le pouvoir a pris des mesures pour s’assurer une victoire électorale. L’enjeu pour lui c’était à la fois la victoire et le déroulement « paisible » du scrutin. Et rien n’a été laissé au hasard : 220 000 agents électoraux à la solde du pouvoir, selon l’opposition, ont été déployés dans le pays ; 160 observateurs internationaux « étaient acceptés s’ils se focalisaient sur le processus du déroulement des élections plutôt que sur les résultats, à l’issue de leurs observations ».

L’opposition réclame de nouvelles élections. Elle se retrouve ainsi dans un nouveau bras-de-fer avec l’EPRDF comme cinq ans plus tôt. Dès le soir du scrutin, elle dénonçait fraudes et irrégularités massives dans plusieurs régions : bourrages d’urnes, absences d’isoloir, pressions exercée sur les votants. Le 25 mai, Meles Zenawi s’est proclamé vainqueur. Les États-Unis critiquent pour la forme l’irrégularité du scrutin car que leur poulain Zenawi tienne d’une main de fer ce rempart contre l’intégrisme islamiste qu’est l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique ne peut pas les mécontenter. Les forces démocratiques unies d’Éthiopie auront à cœur de concevoir et mettre en œuvre une alternative cohérente aux conflits ethniques postélectoraux potentiels que l’Etat-EPRDF clientéliste induit et attise pour diviser et perdurer.11

 

Décès de Meles Zenawi

Dans la nuit du 20 au 21 août 2012, Meles Zenawi décède en pleine fonction après 21 ans au pouvoir. Conformément à la Constitution (article 73), Haile Mariam Dessalegn est désigné comme Premier ministre par la Chambre des Représentants des Peuples.12

 

 

Élections législative de 2015

Le parti au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire (EPRDF), qui règne depuis près d’un quart de siècle, 24 ans au total sans partage, a, sans surprise, remporté les élections générales, notamment les législatives. Il a remporté la totalité des sièges au Parlement. Les résultats ont été annoncés le lundi 22 juin 2015 par la commission électorale.

Alors que l’opposition, qui perd le seul siège qui lui restait au Parlement, dénonce des fraudes et pointe du doigt un pays au parti unique, la Commission électorale, elle, affirme que les élections se sont bien déroulées, soulignant qu’elles ont été « libres, équitables et crédibles ». Pourtant, tout au long de la campagne, l’opposition a dénoncé de nombreux obstacles mis en place par le pouvoir, tels que le refus d’enregistrer leurs candidats, le harcèlement et l’arrestation de leurs militants, ou encore l’absence d’espace médiatique pour s’exprimer.

Il faut dire que le pouvoir emporte les 500 circonscriptions dans lesquelles il présentait des candidats. L’opposition ne sera donc pas représentée au Parlement éthiopien qui est totalement à la guise du pouvoir.13

 

 

Économie

L'économie de l'Éthiopie est très fragile car elle est essentiellement fondée sur l'agriculture. Or, le pays a souvent été touché par la sécheresse, des pénuries alimentaires, ainsi que par des conflits politiques qui ont contribué à ralentir son développement économique. Aujourd'hui, malgré certaines améliorations, l'Éthiopie reste parmi les pays les plus pauvres du monde.14

Les résultats économiques en Éthiopie font l'objet d'interprétations variées aussi bien entre le gouvernement et l'opposition que des experts internationaux, lié au fait que les privatisations et les réformes structurelles recommandées par les institutions financières internationales ne sont effectuées qu'avec modération par les autorités éthiopiennes. Ainsi l'OCDE note que « la privatisation joue un rôle clé dans les réformes lancées au milieu des années 1990 ». Alors que le premier ministre éthiopien Meles Zenawi dénonce dès 2003 des « pressions exercées par le Fonds monétaire international sur le gouvernement pour vendre ses entreprises publiques, mais nous résisterons à ces mesures qui pourraient provoquer l'effondrement de notre économie ». Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, l'Éthiopie est un exemple flagrant des dérives de la mondialisation, notant que les mesures préconisées par des institutions financières internationales comme le FMI ont systématiquement freiné les progressions sociales.

Par ailleurs le rôle de ces institutions dans l'abandon de l'Accord international sur le Café en 1989, est vivement dénoncé par les altermondialistes et les ONG, cet abandon ayant conduit à la disparition de tous les outils de contrôle des prix par les pays producteurs soumis depuis aux fluctuations boursières, et à une chute du prix de revient aux producteurs du café (divisé par deux entre 1988 et 2003). Selon un rapport de l'ONG Oxfam, « le café est une véritable mine d'or pour les torréfacteurs internationaux » tandis que les producteurs « ne reçoivent qu'environ 6 % de la valeur du paquet de café vendu dans les supermarchés et les épiceries ».

En 2005 le documentaire Black Gold (en) rend compte des conditions d'exploitation du café en Éthiopie par les multinationales. Une polémique éclate entre l'Éthiopie et l'Association nationale de Café américaine (National Coffee Association) dirigée par Starbucks en 2007, cette dernière s'opposant à une procédure de labellisation du café dont la mise en place pourrait rapporter 88 millions de dollars par an à l'Éthiopie selon Oxfam.

En mai 2009, un rapport de l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture met au jour une tendance se développant en Afrique, et en Éthiopie prise en exemple dans le rapport, consistant en l'achat de terres agricoles à grande échelle par des investisseurs étrangers. Le rapport montre que ces transactions, si elles peuvent créer des opportunités au niveau des infrastructures, peuvent également se révéler nuisibles, les populations locales étant généralement insuffisamment indemnisées des pertes de terre (p. 93), la production étant dirigée vers les besoins des investisseurs privés étrangers (par exemple, en biocarburant, p. 50, 100, compagnie Flora EcoPower (Allemagne), p. 41). Le rapport indique que ces investisseurs sont aussi bien les pays asiatiques, ceux de la péninsule Arabique, que l'Union européenne et les États-Unis bien que ces derniers soient plus rarement dénoncés à ce sujet dans la presse internationale (p.34).15

 

Selon la Banque mondiale, 33,5% de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2010.16

 

 

Vol de terre en Éthiopie

La crise alimentaire de 2008, qui s’est traduite par de violentes émeutes de la faim un peu partout dans le monde en voie de développement, a favorisé de manière inattendue un marché d’un genre nouveau apparu quelques années plus tôt : celui de la vente ou de la « location des terres agricoles ». C’est une véritable frénésie : d’immenses superficies de terres, concentrées en majorité dans les pays du Sud, font l’objet de transactions foncières, avec ou sans le consentement de leurs habitants. L’« accaparement des terres » (« land grabbing » en anglais) concerne 60 à 80 millions d’hectares de terrains parmi les plus fertiles, arrachés aux petits agriculteurs au profit de l’agrobusiness ou de la finance. Quelle que soit la finalité — production agricole ou investissement financier —, les bénéfices échappent presque toujours aux communautés locales. L’exemple de l’Éthiopie est emblématique : le pays a faim, tout en étant riche en terres agricoles (35 % du territoire, dont 40 % de terres arables).

 

«Vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! »

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

État parmi les plus densément peuplé du continent africain, l’Éthiopie compte 85 millions d’habitants dont 83 % en milieu rural, vivant essentiellement de l’agriculture familiale. C’est une république fédérale composée de neuf régions fondées à l’origine sur la distribution géographique des familles ethno-linguistiques. Mais le pouvoir autoritaire, détenu par le tigréen Meles Zenawi (mort en 2012) depuis la chute de la junte militaire en 1991, s’est appliqué à placer ses hommes à la tête de toutes les régions. Dans cet État autoritaire, le contrôle des médias et des communications est strict, l’accès à Internet quasi inexistant. Journalistes et opposants au régime subissent quotidiennement les violences policières et sont souvent arrêtés. En 2010, l’organisation Human Rights Watch (HRW) soupçonnait le gouvernement d’utiliser les aides de l’étranger — en grande partie américaines — pour faire taire la dissidence et recommandait aux donateurs internationaux de s’assurer de la destination des fonds qu’ils mettaient à la disposition du pays.

 

Code foncier, réforme agraire

Historiquement, la codification des régimes fonciers engendrait une certaine disparité entre les régions du Nord et celle du Sud. Au milieu des années 1970, lors de la réforme agraire, toutes les terres agricoles furent promulguées « biens collectifs » et devinrent de fait « propriété » de l’État. Les associations paysannes attribuèrent aux familles qui le souhaitaient quelques acres à cultiver et un droit d’usufruit de parcelles n’excédant pas 10 hectares. En réalité, une partie de la population fut exclue de cet arrangement : les pasteurs, par exemple, qui représentent environ 12 % de la population, n’y ont pas été associés. Par ailleurs, les droits d’accès et d’utilisation ont été accordés à des groupes ethniques plutôt qu’aux communautés qui se transmettaient ces droits traditionnels d’une génération à l’autre. Il existait aussi un droit d’accès aux espaces communs pour le pâturage, la chasse, la pêche et la cueillette des plantes médicinales.

La Constitution de 1995 entérine le statut de la terre comme « propriété commune de la nation et du peuple éthiopien », qui, de ce fait, ne peut être vendue ou échangée. Cultivateurs et pasteurs se voient garantir l’accès gratuit à la terre et la protection contre l’éviction. Cependant, le gouvernement peut exproprier une propriété privée au nom d’un « objectif public d’intérêt général », contre une compensation égale à la valeur du bien. Un peu plus de six millions de familles de paysans ont ainsi fait certifier leurs droits fonciers sur environ 20 millions de parcelles. Mais l’année suivante, une disposition adoptée pas quatre régions (Gambella, Afar, Somali et Benighangul-Gumuz) en a autorisé la location ou le leasing...

Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les paysans sont très loin de disposer de 10 hectares. Samuel Gebreselassie, de l’organisation Future Agricultures Consortium, constate : « En 2000, 87,4 % des familles rurales disposaient de moins de 2 hectares de terres ; 64,5 % d’entre elles géraient des exploitations inférieures à un hectare et 40,6 % des exploitations inférieures ou égales à 0,5 hectares. De si petites fermes sont en général morcelées en 2 ou 3 parcelles. Une ferme de taille moyenne ne peut générer qu’environ 50 % du revenu minimum nécessaire à un foyer pour vivre au-dessus du seuil de pauvreté. » Or, pour qu’une famille éthiopienne moyenne de quatre enfants puisse se nourrir convenablement, 2 hectares au moins sont nécessaires. Davantage si elle espère vendre le surplus sur le marché pour gagner un peu d’argent.

Pour les institutions onusiennes (FAO et Banque mondiale en tête), on désigne par « accaparement de terres » les terrains cédés dont la superficie s’étend sur au moins 1 000 hectares, c’est-à-dire 10 km2, ce qui représente l’autosuffisance alimentaire pour 500 familles. HRW conteste cette échelle de référence et la ramène à 200 hectares au lieu de 1 000. Il est donc question de 227 millions d’hectares de transactions foncières dans le monde depuis 2006. En France, la surface moyenne des exploitations agro-industrielles est de 78 hectares et les plus grandes fermes céréalières peuvent atteindre 116 hectares.

 

Villagisation, déplacements forcés

Entre 1974 et 1991, le gouvernement du Derg s’était préoccupé du déséquilibre de la répartition géographique de sa population. 85 % des habitants vivaient sur les hauts plateaux (60 % du territoire), où se trouve d’ailleurs la capitale Addis-Abeba, pour une densité de 150 personnes au km2. Une gestion calamiteuse des ressources naturelles et agricoles a abouti à la destruction de 77 % du couvert forestier et à la dégradation des sols par l’agriculture intensive. Dans les basses terres, par contre, on a perpétué le mode d’agriculture mixte avec rotation des cultures, et l’utilisation des bœufs pour la traction des charrues et le labour. Les éleveurs déplaçaient leurs bêtes de pâturage en pâturage selon des règles locales bien définies.

Avec les famines récurrentes qui ont frappé le pays, il n’en fallu pas davantage au « Derg » pour imaginer qu’un transfert de population des hauts plateaux vers les terres basses rétablirait la situation dans le sens souhaité. Plusieurs tentatives de villagisation à marche forcée ont été menées — brutalement encadrées par l’armée ou la police — et ont tourné au fiasco, coûtant la vie à des milliers de personnes.

Deux décennies plus tard, Meles Zenawi s’est lui aussi prêté à l’exercice, avec cette fois le ministre de l’agriculture et du développement rural. En 2003, il entreprend de déplacer toute une population des hauts-plateaux vers des sites de réinstallation « volontaires » (sic) dans les basses terres de l’Oromia à 90 km au nord ouest de la ville de Bedele. En deux phases, 14 000 foyers soit 68 000 personnes (dont 20 % de moins de cinq ans) sont alors répartis sur sept sites. En 2004, une enquête instruite par Disaster Prevention and Prepardeness Commission fait apparaître de graves problèmes de malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes et allaitantes. Ses conclusions sont édifiantes : « Il y a sept dispensaires et un centre de santé pourvu des principaux médicaments et vingt trois professionnels de santé. Cependant le nombre de soignants est insuffisant en comparaison du nombre d’habitants... Il n’y a pas d’école, les enfants n’ont pas accès à l’éducation... Les sept villages sont accessibles par temps sec mais les chemins sont impraticables pendant la saison des pluies... Un petit marché a émergé dans le centre cependant les habitants n’ont aucun pouvoir d’achat... Les moulins à grains manquent, les familles doivent attendre parfois deux semaines avant d’y accéder... L’approvisionnement en eau potable est défaillant... L’équipe a également constaté que les derniers arrivants étaient mal équipés, notamment en ustensiles de cuisine... 0,4 % possède un animal domestique (des chèvres) ».

 

Faire table rase pour les investisseurs et l’agrobusiness

Miges Baumann, responsable de la politique de développement de l’ONG catholique Pain pour le prochain n’en croit pas ses yeux lorsqu’il parcourt la région de l’Oromia en 2007 : « Notre véhicule quitte Mojo à toute allure et se dirige vers le Sud-Ouest en traversant le haut plateau éthiopien. Nous longeons une clôture récemment érigée — 5 minutes, 10 minutes, 15 minutes passent. La clôture semble s’étirer à l’infini. Il n’y a pas grand chose à voir derrière, mis à part quelques arbres et un peu d’herbe. “Il s’agit de terres clôturées destinées aux investisseurs étrangers”, explique mon accompagnateur. Mon regard balaie cette énorme surface. »

En contradiction avec la Constitution, mais en vertu de la disposition de 1996, Zenawi a confié à l’Agricultural Investment Support Directorate (AISD), agence du ministère de l’agriculture, la mission de soumettre à la location de larges territoires aux investisseurs étrangers. Selon une étude minutieuse réalisée par The Oakland Institute dans un rapport publié en 2011, au moins 3,6 millions d’hectares de terres ont d’ores et déjà été transférés à des investisseurs, chiffre confirmé par HRW qui ajoute que 2,1 millions d’hectares de terres supplémentaires sont actuellement mis à disposition via la BIA dans des conditions extrêmement attrayantes : prix de location dérisoires et ressources en eau disponibles abondantes. HWR précise que les programmes de réinstallations des autochtones concernent le sort de 1,5 million de personnes : 500 000 dans la région d’Afar, 500 000 en Somali, 225 000 en Benishangul-Gumuz, et 225 000 en Gambella.

 

 

Utilisations des terres, accaparement du sol

Dans la région agropastorale de Gambella, 42 % des terres ont été confisquées, les habitants priés d’aller voir ailleurs. Une première vague de villagisation étalée sur trois ans a débuté en 2010 pour déplacer 45 000 foyers Anuaks et Nuer. Il s’agissait, disait-on, de reloger les communautés dans des villages plus modernes dotés de meilleures infrastructures (écoles, centres de santé, routes, marchés) et enfin, d’octroyer à chaque foyer 3 ou 4 hectares de terres irrigables. Ce qui semblait attrayant sur le papier s’avérait désastreux dans la réalité : ces projets ne tenaient pas compte des besoins les plus élémentaires des troupeaux, c’est-à-dire paître et boire. Ensuite, aucune disposition n’avait été envisagée par l’intendance pour faire la soudure entre le moment où les champs seraient abandonnés avec les récoltes et celui où les nouvelles parcelles vivrières, préalablement défrichées, semées, irriguées et cultivées, porteraient leurs fruits. Sur place en 2011, HRW expliquait qu’après avoir opposé un refus au plan d’aménagement présenté par le gouverneur de région, les habitants ont été contraints de quitter les lieux, chassés par les forces de police et l’armée. Cette répression aurait fait trois cents morts, beaucoup de villageois ont été emprisonnés arbitrairement et de nombreuses femmes ont été violées.

La suite est tristement connue : pas de moulin à grain, pas d’accès à l’eau potable, des écoles sans enseignants et des enfants privés de scolarité, et des centres de santé qui ne fonctionnent pas. Les personnels de santé et les enseignants ont été forcés de travailler dans le secteur de la construction simplement pour permettre au chantier d’avancer... Les adolescents, quant à eux, devaient également participer aux travaux s’ils voulaient obtenir l’autorisation de passer leurs examens ! Finalement, les familles n’ont reçu pour toute compensation que des parcelles de 0,25 à 0,50 hectares de terres, en général peu fertiles, et qu’elles doivent en outre défricher sans outils... Plusieurs villages ont été abandonnés, les paysans ayant fui les violences policières : 1 500 se sont réfugiés au Kenya en mai 2011, et 2 150 en décembre de la même année.

La colère des populations autochtones n’entrave en rien les stratégies qui se décident dans les couloirs des ministères. On cite souvent, au nombre des acquéreurs, le groupe saoudien Saudi Star et la compagnie indienne Karuturi. Le premier permet à l’Arabie saoudite de préserver ses ressources naturelles, en premier lieu l’eau, élément essentiel du « deal ». À la seconde de faire un profitable business. Il ne faudrait pas sous estimer la présence en Éthiopie de l’Europe, des États-Unis ou d’Israël, très présents, notamment dans la production d’agrocarburants. Derrières les hautes clôtures qui ceignent ces immensités livrées à la surexploitation, parfois sous la garde de la police locale, c’est l’artillerie lourde de l’agrobusiness que l’on utilise pour remodeler les paysages à l’aide d’une flotte de bulldozers : tunnels en plastique à perte de vue, mécanisation, intrants pétrochimiques. Les habitants dépossédés, repoussés au-delà de ces barrières physiques et culturelles, ont vu la forêt, dont ils dépendent pour le bois, les fruits et les plantes médicinales, disparaître, les rivières détournées et leur mode vie anéanti. La seule option qui leur soit offerte est d’être recrutés comme ouvriers agricoles, exploités pour le compte de ceux qui les ont ruinés. Ou rejoindre les bidonvilles.

 

 

Qui dévore les terres éthiopiennes ?

Pour justifier l’expropriation illégale des populations les plus vulnérables (et les plus discriminées) — ne répondant pas à un « objectif public d’intérêt général » — le gouvernement explique, sans rougir de ce gros mensonge, que les terres cédées n’étaient pas exploitées...

L’objectif est bien de mettre un terme aux pratiques de ces communautés paysannes qui conjuguent l’agriculture traditionnelle et l’agropastoralisme avec le savoir ancestral. Ces techniques nécessitent sans doute d’être modernisées, afin d’améliorer les rendements et de faciliter le travail des hommes et des femmes. Mais l’agriculture vivrière est le parent pauvre de la politique éthiopienne, qui ne lui accorde aucun intérêt. Le manque de formation des paysans ne favorise pas l’essor d’une petite agriculture respectueuse de l’environnement et en mesure de nourrir le pays. Déjà, si les familles paysannes disposaient d’au moins 4 ou 5 hectares de terres arables de qualité et convenablement irriguées, le pays pourrait peu à peu atteindre l’auto-suffisance alimentaire. La politique résolument orientée vers le sacrifice d’une grande partie des terres au profit d’intérêts étrangers l’en éloigne résolument.

Depuis 2006, les importations de matières premières agricoles de base ont explosé. En tête, le blé suivi du sorgho et de l’huile de palme. Sans trop de surprise, en 2010, l’huile de palme provient pour 83 % de Malaisie, le blé pour 42 % des États-Unis, de même que — très inattendu — les 95 % de sorgho importés !

L’argument choc du pouvoir pour légitimer ce pillage d’État consiste à affirmer que l’Éthiopie a besoin de devises étrangères pour acquérir les infrastructures indispensables au développement du pays. On peut l’entendre... Mais dans ce cas, comment expliquer que des terres louées 300 euros par hectare et par an en Malaisie le soit ici à 1,5 euros pour une qualité équivalente ? 17

 

 

Malgré la répression, la contestation gagne du terrain

Depuis le début du mois d’août 2016, l’opposition au gouvernement éthiopien prend de plus en plus d’ampleur. Quand le district de Wolkait, traditionnellement rattaché à la région Amhara, a été administrativement attribué à la région du Tigré, cela a déclenché des manifestations.

Depuis des décennies, les Tigréens ont été bien accueillis dans cette région riche et fertile. Mais désormais ce sont des dirigeants fédéraux tigréens et non amharas qui administreront Wolkait et ses habitants. Lors des manifestations, les forces de sécurité n’ont pas hésité à réprimer. Il y a eu plusieurs dizaines de morts et des centaines de personnes emprisonnées. Puis le mouvement de protestation s’est vite étendu au-delà de ce district. Les habitants des grandes villes de la région d’Amhara sont aussi descendus dans les rues pour montrer leur totale solidarité. La répression a continué.

Assez rapidement, les populations de la région d’Oromia ont soutenu le mécontentement des Amharas en manifestant dans les grandes villes. Ces populations oromos sont depuis des mois en lutte contre le gouvernement. En effet l’État accapare des centaines de milliers d’hectares de terre pour les vendre à de gros capitalistes, en chassant les paysans. Dans l’affrontement avec les forces de sécurité, il y a déjà eu des centaines de morts dans cette région. Cette fois-ci les Oromos ont fait cause commune avec les Amharas. Le gouvernement continue à réprimer.

En réaction à la férocité du pouvoir central dans ces deux régions, les grandes villes ont été déclarées « villes mortes ». Les habitants sont restés chez eux. Cela a eu beaucoup de succès. Dans certains endroits, les forces de sécurité ont essayé de faire sortir de force les habitants de leurs maisons. Ceux qui résistaient ont été bastonnés, emprisonnés et même tués. Beaucoup de gens ont fui dans la brousse. Les autorités ne donnent aucun chiffre sur le nombre de victimes. Mais elles pourraient se compter par centaines ou par milliers.

Ce qui se passe en Éthiopie est le résultat d’une politique menée par les dirigeants au pouvoir depuis vingt-cinq ans. En 1991, le Front de libération du Tigré (TPLF) a pris le pouvoir en éliminant le dictateur Mengistu Hailé Mariam. Le successeur, Meles Zenawi, a créé le parti gouvernemental : le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), dont le TPLF demeure la composante dominante. Au cours des élections, des députés EPRDF ont de ce fait remporté la majorité au Parlement. En même temps, les dirigeants ont subdivisé le pays en huit fédérations autonomes correspondant environ aux huit grandes ethnies du pays. Le fait de subdiviser les régions par ethnie est nouveau dans son genre, en tout cas dans l’histoire du pays. Les Tigréens représentent 6 % de la population, alors que les Oromos et les Amharas sont environ 60 %. Ainsi ces deux ethnies considèrent que le gouvernement actuel n’est pas représentatif et, en plus, prend des mesures sans tenir compte de l’avis des populations.

Depuis vingt-cinq ans, ce gouvernement au pouvoir a pris soin de mettre à la tête de l’État et de l’administration des hommes de l’ethnie tigréenne, ainsi que les grands officiers de l’armée et de la police. De même, il est de notoriété publique que la région du Tigré a toutes les faveurs de l’État pour la construction d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, de routes et l’aménagement des villes.

Le pays, comme la plupart des pays d’Afrique, est frappé par la crise économique. Et cette politique ethniste et régionaliste exaspère encore plus les populations et ne fait qu’empirer la situation. (…)

Les États impérialistes d’Europe et d’Amérique font semblant de ne pas se préoccuper de cette situation, car ils ne veulent pas mettre à mal le gouvernement éthiopien aux yeux du monde. Ce pays leur sert de gendarme en Afrique de l’Est, comme avant-poste pour la lutte contre le terrorisme venant surtout de Somalie. Ce service rendu à l’impérialisme permet à l’Éthiopie de recevoir des aides financières et militaires.18

 

 

Les ravages de la guerre

En fin d'année 2020, près de 45 000 personnes ont dû se réfugier au Soudan voisin pour fuir les combats entre l’armée nationale et les troupes de l’État régional du Tigré. La capitale du Tigré, Mekele, une ville de 500 000 habitants, a été bombardée et finalement prise par l’armée nationale.

La population de la région paie ainsi la lutte pour le pouvoir engagée depuis plusieurs années entre les dirigeants d’Addis-Abeba, la capitale fédérale, et ceux du Tigré. Jusqu’en 2018, le pouvoir central était aux mains de dirigeants originaires du Tigré. Cette région n’abrite pourtant que 6 % de la population, mais l’élite tigréenne a toujours fourni une partie des dirigeants du pays. De plus, c’est un mouvement de guérilla tigréen, le TPLF, qui a renversé en 1991 la junte militaire à la tête du pays. Mais en 2018 Abiy Ahmed, appartenant à l’ethnie majoritaire du pays, les Oromos, a été élu Premier ministre. Il a entrepris de mettre fin à la toute-puissance des dirigeants tigréens.

La lutte s’est alors engagée. Abiy Ahmed a destitué des dirigeants tigréens et lancé en vain des mandats d’arrêt contre certains d’entre eux. Lorsqu’il a annoncé que les élections prévues en août 2020 étaient reportées à une date ultérieure à cause de l’épidémie de coronavirus, le Tigré a organisé ses propres élections le 9 septembre et déclaré qu’il ne reconnaissait plus le gouvernement central. La guerre a alors commencé. Dans ce combat pour le pouvoir, Abiy Ahmed a pu s’appuyer sur le ressentiment suscité par les dirigeants tigréens. Ceux-ci avaient outrageusement profité de leur situation pour piller les caisses de l’État central et favoriser leur propre ethnie, comme lorsqu’ils ont annexé toute une partie des terres appartenant aux Amharas, l’ethnie de la région voisine. Alors que les cultivateurs amharas et tigréens vivaient en paix et que, notamment, les mariages mixtes sont fréquents, la guerre allait aiguiser les tensions ethniques.

Pendant qu’Abiy Ahmed et les dirigeants tigréens s’affrontaient pour le pouvoir, les travailleurs éthiopiens plongeaint dans la misère. Les entreprises des pays impérialistes exploitent en Éthiopie une des mains-d’œuvre les moins chères du monde. Les ouvrières travaillant pour les grandes marques de la confection doivent se contenter de salaires représentant un tiers de ceux du Bangladesh. Sur ce point, il y a unanimité dans la classe dirigeante éthiopienne, quelle que soit son origine. Tous s’en prévalent pour chercher à attirer toujours plus d’investisseurs et atteindre ainsi un taux de croissance de plus de 8 % par an. Mais, pour les travailleurs, il est de plus en plus difficile de se nourrir et de se loger. Les prix des aliments de base que sont le mil et le sorgho ont plus que doublé en un an, sous les coups de la crise économique mondiale et du coronavirus. Et si la guerre devait durer, cela ne pourrait que s’aggraver.

Les politiciens et les capitalistes qui créent cette situation sont les ennemis mortels des travailleurs, qu’ils soient à Addis-Abeba, au Tigré ou installés dans les grandes puissances. La classe ouvrière et toute la population pauvre ne peuvent mener la lutte contre eux qu’au coude-à-coude, quelle que soit leur ethnie.19

 

 

La guerre des cliques dirigeantes

Un an après le début de la guerre déclenchée par le président éthiopien Abiy Ahmed pour s’opposer à la sécession de l’État régional du Tigré, le conflit a ensuite embrasé les régions voisines avec des conséquences dramatiques pour la population.

Contrairement à ce que proclamait alors Abiy Ahmed, la guerre n’a pas pris fin avec le bombardement et la prise de la capitale régionale tigréenne Mekele en novembre 2020. Le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) a continué le combat et repris la ville en juin 2021. L’armée d’Abiy Ahmed a alors mis en place un blocus autour du Tigré pour tenter de réduire la résistance en empêchant toute entrée de vivres et de médicaments dans la région. Mais les troupes du TPLF ont réussi à briser ce barrage et ont pénétré dans d’autres régions.

Cette année de guerre a été un enfer. La famine a touché plusieurs centaines de milliers de personnes, privées même de l’aide humanitaire internationale. Les armées des deux camps ont multiplié les exactions et des viols ont accompagné la prise des grandes villes ou des villages. Dans cette triste besogne l’armée de l’Érythrée voisine est venue prêter main-forte à celle d’Abiy Ahmed. Mekele et d’autres villes importantes ont été régulièrement bombardées par l’aviation éthiopienne.

Des réfugiés venus des régions en guerre ont afflué dans la capitale Addis-Abeba. La misère était partout visible dans les rues, alors que la population avait déjà été lourdement éprouvée par la hausse considérable des prix intervenue les mois précédents. La police a raflé les jeunes qui traînaient et qui n’avaient pas de carte d’identité sur eux, qui étaient principalement des réfugiés. Parfois très jeunes, ils ont été envoyés combattre le TPLF et utilisés comme chair à canon par l’armée éthiopienne.

Dans la capitale ­Addis­-­Abeba tous les biens des Tigréens ont été confisqués. Abiy Ahmed a tenté de susciter l’union nationale autour de sa personne en s’appuyant sur le mauvais souvenir laissé par les dirigeants tigréens lorsqu’ils étaient au pouvoir avant lui. Ils monopolisaient alors les fonctions publiques et les places lucratives dans l’économie, et la plupart des habitants de la capitale n’avaient nulle envie de les voir revenir et piller à nouveau les ressources de l’État fédéral.

Les grandes puissances, et en premier lieu les USA, ont menacé l’Éthio­pie de sanctions si un ­cessez-le-feu n’intervenait pas. Leurs dirigeants se moquent pourtant bien de la population éthiopienne. Pour eux, le pays est avant tout le lieu où ils peuvent bénéficier de la main-d’œuvre la moins chère d’Afrique pour faire tourner des usines fournissant les grandes marques de prêt-à-porter. Des ouvrières chassées de leurs campagnes pour faire place à des plantations elles aussi aux mains du capital étranger s’y épuisent jour et nuit. Pour que cela continue, il faut une certaine stabilité. Abiy Ahmed l’a apportée lors de son arrivée au pouvoir en mettant fin à la guerre avec l’Érythrée voisine et en a été remercié par le prix Nobel de la paix. Mais désormais il compromet les investissements par cette guerre. C’est ce que l’impérialisme lui reproche.

La population pauvre éthiopienne, elle, n’a rien à attendre de bon ni d’Abiy Ahmed, ni des dirigeants tigréens. Tous ont largement prouvé que leur seule ambition était de s’enrichir en servant d’intermédiaire au capital étranger. Ils n’hésitent pas, pour accaparer le pouvoir, à jeter la population dans une guerre fratricide et sanglante, prélude peut-être à un conflit régional avec l’Érythrée devenue partie prenante du conflit.

Pour la population et les travailleurs d’Éthiopie, toutes régions et ethnies confondues, en finir avec les horreurs de la guerre et de l’exploitation impliquerait de s’unir pour se débarrasser de tous ces dirigeants.20

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'%C3%89thiopie
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Benito_Mussolini
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'%C3%89thiopie
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'%C3%89thiopie
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'%C3%89thiopie
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'%C3%89thiopie
(11) Pierre Sidy https://www.npa2009.org/content/ethiopie%C2%A0%E2%80%93-conflits-postelectoraux-potentiels
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(13) Assanatou Baldé http://www.afrik.com/elections-en-ethiopie-victoire-du-parti-au-pouvoir-un-parlement-sans-opposition
(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_l'%C3%89thiopie
(15) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thiopie
(16) http://www.journaldunet.com/economie/magazine/1164746-pays-pauvres/1164811-ethiopie
(17) Agnès Stienne https://www.monde-diplomatique.fr/2013/12/STIENNE/49912
(18) Cet article est extrait du numéro de septembre du mensuel Le pouvoir aux travailleurs, édité par l’organisation trotskyste Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI). http://journal.lutte-ouvriere.org/2016/10/12/ethiopie-malgre-la-repression-la-contestation-gagne-du-terrain_71412.html
(19) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/12/02/ethiopie-les-ravages-de-la-guerre_153285.html
(20) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/11/17/ethiopie-la-guerre-des-cliques-dirigeantes_188324.html