Époque précoloniale
Les premiers habitants du Cameroun furent probablement les chasseurs-cueilleurs Baka, des nomades également appelés Pygmées.
La zone couvrant le sud-ouest de l'actuel Cameroun et le sud-est du Nigeria ont été le berceau des peuples bantous au Ier millénaire avant notre ère. Les Tikars, les Bamouns et les Bamilékés migrèrent ensuite pour s'installer sur les hauts plateaux camerounais.
Au nord, la civilisation des Saos, mal connue, s'était développée dans le bassin du lac Tchad. Cette région passa au XVIe siècle sous le contrôle de l'empire de Kanem-Bornou. Le premier état connu des historiens dans la région est celui du Kanem, qui se développa autour du lac Tchad à partir du IXe siècle. Il devint musulman au XIe siècle et atteignit son apogée à la fin du XVIe et au XVIIe siècle. Il imposa sa souveraineté à la majeure partie du territoire camerounais. Mais il se heurta sans cesse à la résistance des peuples et des petits royaumes camerounais (notamment les royaumes kotoko et mandara).
À la fin du XVIe siècle, la grande vague migratoire des Peuls (ou Foulbés, du peul, Fulɓe), peuple de pasteurs nomades qui se déplaçaient d'ouest en est depuis le Macina, atteignit le lac Tchad. Au siècle suivant, les Peuls s'implantèrent dans l'Adamaoua actuel, contribuant à la diffusion de l'islam. Ils s'organisèrent en petits États théocratiques musulmans, dirigés par un lamido, à la fois chef politique et spirituel.
Le royaume Bamoun fut fondé à la fin du XVIe siècle et prit son essor sous le règne de Mboumbouo Mandù, à la fin du XVIIIe siècle, qui étendit son territoire par la force des armes. Il s'employa ensuite à consolider son pouvoir. Au début du XIXe siècle, les États musulmans étendirent et consolidèrent leur pouvoir.
En 1804, Usman dan Fodio et les Peuls du Nigeria lancèrent une guerre sainte contre les Haoussas afin d'étendre le royaume toucouleur. Forts de cet exemple, les Peuls du Sud rallièrent leur cause et propagèrent le djihad dans leur région. Adama, chef des Peuls du sud, prit le titre de cheikh et les plateaux du Sud islamisés prirent le nom d'Adamaoua. Leur capitale, Yola, se trouvait sur la Bénoué. Le lamido Adama mourut en 1847.
Le royaume bamoun dut lutter contre l'expansion peule.
Du XVIe au XIXe siècle
À la recherche de la route des Indes, les portugais arrivent sur les côtes en 1472. Étonné par le nombre de crevettes, le navigateur Fernando Póo baptise le pays « Rio dos Camaroes» ce qui veut dire "rivière des crevettes" (l'estuaire du Wouri). Vers 1532 la traite des Noirs se met en place notamment grâce à la collaboration des Doualas. Les européens n'y fonderont cependant pas d´établissements permanents comme Luanda ou Saint-Louis à cause des côtes marécageuses, difficiles d'accès et infestées de malaria.
Au XVIIIe siècle arrivent les pasteurs peuls ou (Foulbe) venus de l'ouest et refoulent les Kirdis et les Massas de la plaine du Diamaré, entre Logone et Bénoué. Ils islamisent les plateaux du Sud. Leur chef, Ousmane dan Fodio, envoie son guerrier Adam islamiser les plateaux du Sud, rebaptisé Adamaoua. Il est stoppé par le royaume Bamoun. Islamisation du royaume Bamoun sous l'impulsion du roi Njoya. Njoya restera célèbre pour l'alphabet composé d'idéogrammes qu'il crée et pour la carte du pays qu'il fait établir.1
Le protectorat allemand
Après les Portugais viennent les Néerlandais puis les Allemands. Par les contacts avec les Européens et les Sahéliens (Royaume du Kanem-Bornou) débutent des échanges commerciaux réguliers. Le développement de la traite négrière, soit occidentale, soit orientale, la diffusion du christianisme par le sud et de l’islam par le nord, changent profondément les sociétés du Cameroun, favorisant les groupes structurés ayant adopté une religion monothéiste et capables de se procurer des armes à feu, au détriment de l’organisation politique antérieure (comme le Royaume Bamoun).
Sous prétexte de protéger leurs intérêts commerciaux, les Allemands établissent le 5 juillet 1884 leur protectorat du nom de Kamerun. Afin d’assurer l’essor économique du protectorat, les Allemands se lancent dans des travaux importants : construction de routes et de la première ligne de chemin de fer, démarrage des travaux du port de Douala, édification d’écoles et d’hôpitaux, création de grandes plantations (cacaoyers, bananiers, caféiers, hévéas, palmiers à huile...). Mais les indigènes sont pour la plupart soumis au travail forcé et aux châtiments corporels.
Quant aux Baka, ils sont piégés et étudiés comme des animaux ; certains sont emmenés en Allemagne pour être montrés, en cage, dans les expositions coloniales.
La tutelle franco-britannique
Les Allemands perdent leur colonie en raison de leur défaite lors de la Grande Guerre, en 1918 : la Société des Nations confie la partie orientale (la plus grande) à la France et la zone occidentale (deux poches limitrophes du Nigeria) au Royaume-Uni. Chacun de ces deux pays imprimera sa marque à « son » Cameroun, la France adoptant la politique de l’assimilation et le Royaume-Uni celle de l’indirect rule.2
Une fois les territoires conquis et pacifiés, il était parfois difficile de déployer sur place une administration coloniale d'occupation suffisante. Les territoires sous le régime de l'indirect rule étaient alors gérés par des chefs indigènes au profit de la nation coloniale. Ces chefs traditionnels lui garantissaient en général des avantages commerciaux (monopoles de commerce, concessions) et versaient l'impôt, en échange de quoi, la puissance coloniale garantissait militairement leur pouvoir. Les administrations locales étaient souvent directement intégrées à l'administration coloniale britannique. Le principal avantage du régime de l'indirect rule était de réduire la présence coloniale nécessaire. En effet, en s'appuyant sur des dirigeants indigènes, les Britanniques s'assuraient la collaboration de l'administration existante et pouvait ainsi réduire leur présence sur place. Elle garantissait également la loyauté des chefs en place qui avaient ainsi la certitude de ne pas être renversés par d'autres chefs tant qu'ils étaient soutenus par le pouvoir britannique. Ce système fut utilisé aussi dans les colonies françaises pour réduire la résistance au régime de l'indigénat.3
Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Cameroun français se rallia à la France libre en août 1940. La majorité des camerounais éduqués se rallia à la France libre, mais quelques camerounais germanophones furent arrêtés et convaincus d'intelligence avec les allemands. En 1945, il devint un pays sous tutelle de l'ONU, qui remplaçait la SDN. Malgré cela, il devint en 1946 un « territoire associé » de l'Union française.4
La chasse coloniale aux indépendantistes
En 1944, un syndicaliste français, Donnat, créait l'Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC), une centrale syndicale liée à la CGT française et qui, dès sa naissance, fut l'objet d'une campagne hostile des milieux colonialistes, Église catholique en tête. Les 24 et 25 septembre 1945, l'USCC lançait sa première grève générale.
En réaction, les colons et le patronat blanc lancèrent une chasse à l'homme contre les syndicalistes. Les colons furent cependant reçus à coup de fusil par un militant syndical blanc, Lalaurie, qu'ils avaient espéré pouvoir arrêter à son domicile. Celui-ci tua un des dirigeants de la Chambre de commerce. Lui et trois autres syndicalistes échappèrent de peu au lynchage, mais leur procès fut conclu par un non-lieu.
En revanche, on ne sut jamais le nombre d'Africains victimes de ces deux journées de furie colonialiste. Il y eut en tout cas au moins quatre-vingts morts. Les militants syndicaux blancs ayant été rapatriés vers la métropole, la direction de la centrale fut alors assurée par les militants noirs. Ruben Um Nyobé en devenait le secrétaire général adjoint en octobre 1945 et le secrétaire général en 1947. Le 10 avril 1948, il créa un parti indépendantiste, l'Union des Populations du Cameroun (UPC), qui adressa à l'ONU des pétitions réclamant l'indépendance. En 1951, l'UPC rompit avec le RDA (Rassemblement Démocratique Africain), dont elle était une des sections, lorsque ce mouvement, dirigé par l'Ivoirien Houphouët-Boigny, cédait aux instances du ministre de la France d'outre-mer d'alors, François Mitterrand, et s'engagea dans la collaboration ouverte avec l'administration coloniale.
En 1952, l'ONU invita Um Nyobé, qui revendiqua du haut de sa tribune l'indépendance du Cameroun. Il profitait ainsi du fait que les États-Unis plaidaient pour la fin des empires coloniaux dont ils attendaient qu'elle leur ouvre de nouveaux marchés dans le monde. Le dirigeant nationaliste demanda que l'ONU fixe un délai pour que le Cameroun devienne maître de son destin.
Une guerre coloniale de quinze années
En 1955. Le haut-commissaire français au Cameroun se livra à une série de provocations qui finirent par déclencher des émeutes à Douala, à Yaoundé et dans d'autres villes plus petites. " On vit la troupe massacrer les Africains avec une sorte d'enthousiasme sadique ", écrivait Mongo Beti dans son livre Main basse sur le Cameroun. Et, une fois de plus, le nombre des morts resta inconnu.
En juillet 1955, l'UPC fut interdite. Ses dirigeants s'exilèrent ou entrèrent dans la clandestinité. En juin 1956, Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer dans le gouvernement de Front républicain du socialiste Guy Mollet, faisait voter par le Parlement français une loi-cadre instituant un " exécutif indigène ", présidé par le gouverneur français mais flanqué d'un vice-président africain. Cette équipe devait rendre des comptes à une assemblée locale, où les colons restaient surreprésentés. Censé apaiser la situation, ce dispositif exacerba le sentiment national des Camerounais.
En juillet 1956, Pierre Messmer, gaulliste et ancien légionnaire, devint à son tour haut-commissaire du Cameroun. Il était chargé de mettre en œuvre cette loi dite d'autonomie que l'UPC dénonçait comme un " semblant d'émancipation ". L'État français empêcha la participation de celle-ci aux élections locales de décembre 1956 en faisant traîner le processus qui aurait dû la sortir de l'illégalité. Il ne resta plus à l'UPC qu'à appeler à l'abstention, ce qu'elle fit avec un certain succès.
L'assassinat de deux colons, attribué à tort ou à raison à des membres de l'UPC, servit alors de prétexte pour réprimer le parti indépendantiste. L'impérialisme français réagit au Cameroun comme il l'avait fait en Indochine et comme il continuait alors de le faire en Algérie.
Les villageois furent réunis dans des camps de regroupement, tandis que l'armée quadrillait le pays. Tout Africain découvert hors de ces camps était considéré comme un ennemi et risquait sa vie. Il y eut des massacres et des tueries notamment dans le sud du pays.
En réaction, on estime qu'un tiers de la population prit le chemin du maquis, notamment dans les zones forestières. Les indépendantistes s'armèrent comme ils pouvaient, de fusils de chasse, lances et arbalètes. Puisque le parti d'Um Nyobé préférait l'indépendance à la pseudo-autonomie imaginée par la puissance coloniale, il fut déclaré " hors-la-loi ". L'armée pénétra dans les forêts où était installée l'UPC. L'étau se resserra autour d'Um Nyobé, qui fut assassiné le 13 septembre 1958 d'une rafale de mitraillette. Sa dépouille fut exhibée dans son village pour montrer qu'il était bien mort, puis son cadavre fut escamoté dans un coulage de béton.
Un Cameroun toujours " dépendant "
Mais la mort du principal dirigeant de l'UPC n'arrêta pas la rébellion. L'ouest du pays s'embrasa, tandis que la France installait un dictateur à sa solde, Ahidjo. Le 1er janvier 1960, derrière le paravent des fêtes de la pseudo-indépendance offerte par de Gaulle, la répression se poursuivait contre les indépendantistes. Le Cameroun " indépendant " restait de fait dans le pré carré français. Par exemple, les matières premières du sous-sol étaient d'abord la propriété de la France. Les dirigeants camerounais ne pouvaient en disposer que si le gouvernement français n'était pas intéressé.
L'armée nationale du Cameroun déclaré " indépendant ", encadrée et mise sur pied par la France qui en avait formé les cadres et continuait de l'épauler, menait une guerre totale aux partisans de l'indépendance. Elle allait durer finalement quinze ans, de 1955 à 1970. D'autres dirigeants de l'UPC furent assassinés : Félix Moumié, empoisonné par un agent des services secrets français ; Osendé Afana mort au maquis en 1966 ; Ernest Ouandié, fusillé en 1970 après une parodie de procès.
Cette guerre coûta la vie à des dizaines de milliers de Camerounais, peut-être même des centaines de milliers. On utilisa les tanks, les bombardements aériens y compris au napalm pour reconquérir les zones où la population sympathisait avec l'UPC, et contre tous ceux qui aspiraient à une véritable indépendance, c'est-à-dire débarrassée de la tutelle coloniale ou néocoloniale afin que la population puisse enfin bénéficier des richesses du pays accaparées par les trusts français.5
Polémique sur le nombre de victimes
Au sujet du nombre de victimes, les avis diffèrent. Pour le pilote d'hélicoptère français, Max Bardet, ayant opéré au Cameroun à cette époque, il aurait été commis un véritable génocide : « En deux ans, l'armée régulière a pris le pays bamiléké, du sud jusqu'au nord, et l'a complètement ravagé. Ils ont massacré trois ou quatre cent mille Bamilékés, un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Les sagaies contre les armes automatiques, les Bamilékés n'avaient aucune chance. (...) Les villages avaient été rasés, un peu comme Attila, tu passes, tu ne laisses rien. Peu de Français sont intervenus directement. J'en ai connu trois ou quatre, c'est tout. »
En 2001, l'écrivain camerounais Mongo Beti indiquait : « Les estimations varient d'un plancher de soixante mille morts, chiffre brandi par les dirigeants officiels, à quatre cent mille, statistique revendiquée par les dirigeants nationalistes radicaux. C'est bien connu, les bourreaux minimisent, les victimes maximalisent. »6
Une guerre cachée : comment la France a massacré les résistants entre 1956 et 1971
Le génocide français au Cameroun pendant la guerre de l’indépendance du pays reste encore volontairement ignoré. Les réactions officielles de la France à ces accusations (jusque-là inconnues de l’opinion publique internationale) continuent de susciter des interrogations.
Le 13 septembre 1958, le roman noir des crimes de la France au Cameroun, allait se poursuivre avec la décapitation de l’ensemble du leadership politique de l’UPC (Union des Populations des Cameroun) en commençant par la figure historique du mouvement d'indépendance Ruben Um Nyobé puis les assassinats politique par l'Etat français se poursuivront avec Roland Félix Moumié, Ossendé Afana, Ernest Ouandié.
L'année 1958 vient de marquer l'arrivée du général De Gaulle au pouvoir par un “coup d'État" ou "putsch démocratique" dans le contexte des "événements d'Algérie". Dès lors, le président de la République française devient chef des armées et n'a de compte à rendre à personne. Il mène avec son État-major seul les guerres dans l'ombre (au Biafra de 1 à 2 millions de morts, au Cameroun de 40.000 à des centaines de milliers de morts,...) sans que le Parlement n'ait à se prononcer. La France entre dans un régime constitutionnel évocateur d'une monarchie républicaine ou d'une semi-dictature. Le Parlement et donc les concitoyens et les médias sont dépossédés de la politique étrangère et de l'exécutif.
Les massacres dirigés par l'État français et leurs tirailleurs camerounais depuis la IVème République (sous Mitterrand, Defferre, Messmer and co) vont s'intensifier dans tout le Cameroun et passer aux massacres à grande échelle particulièrement en pays Bassa et Bamiléké où de nombreux résistants ont trouvé refuge. Pierre Messmer, Haut commissaire fraîchement renommé par De Gaulle puis promu en 1960 au rang de Ministre des Armées, utilisera les grands moyens : massacres de masse, ratissage, assassinats, décapitations, bombardements, napalm, camps de concentration et torture systématisé sont abondamment usité pour parvenir au "nettoyage" des régions indépendantistes du Cameroun où l'UPC (parti politique indépendantiste au Cameroun) a son fief.
À l'approche de l'indépendance promise en 1960 par de Gaulle, la France met en place une administration néocoloniale. On installe ainsi le président Amadou Ahidjo, et l'on dote le pays d'une Constitution sur mesure, assortie d'accords secrets d'assistance militaire. Les conseillers du Président sont nommés par les Français. Au nombre desquels Samuel Kamé, qui avoue son admiration pour les régimes fascistes et cite volontiers Hitler et Goebbels. C'est avec ces alliés que Paris prépare son ultime opération avant de retirer le gros de ses troupes : la liquidation de l'UPC, qui persiste à combattre pour une authentique indépendance.
Des camps à l'allemande
Depuis la fin 1959, les opérations antiguérilla se sont intensifiées. La torture n'a plus pour seul but de faire parler les chefs maquisards, elle devient systématique à l'égard des opposants. Gégène, baignoire, balançoire, importées d'"Indo" ou d'Algérie, sont pratiquées dans tous les postes de police. Des prisonniers sont jetés vivants dans les chutes d'eau de la rivière Metchié. L'un deux, en tombant entraînera d'ailleurs dans la mort un gendarme français. Des camps de concentrations sont édifiés. Ancien haut-commissaire (il sera plus tard ambassadeur, puis maire de Cannes), Maurice Delaunay évoque, dans ses Mémoires, celui de Bangou : "J'avais été prisonnier en Allemagne, je savais comment ça se passait ! J'avais fait un camp avec des barbelés, des miradors". Il abrite 700 à 800 détenus, gardés par des gendarmes français et camerounais.
L'année 1960 est terrible. "Je décide d'entreprendre une véritable reconquête", écrit le Premier ministre, Michel Debré. Une note secrète (mars 1960) de l'état-major, dirigé par le général Max Briand, recommande d'"annihiler les groupes terroristes...et leurs sympathisants", ce qui autorise les massacres de masse. Briand a rapporté cette riche idée : exposer les têtes coupées des rebelles sur la place publique. L'ouest du pays est bombardé. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées dans "des villages de regroupement". En octobre, le SDECE (future DGSE) repère le chef de l'UPC, Felix Moumié, à Genève et le fait assassiner (empoisonnement) par son agent William Bechtel."
Officiellement le chiffre de 40.000 morts a été avancé même si l'ancien Premier ministre François Fillon dénie l'existence de la guerre française au Cameroun, officieusement certains avancent un bilan de centaines de milliers de morts (selon un collectif d'historiens franco-camerounais : Kamerun) voir de millions.
Le ministère français des Affaires étrangères a profité de l'été pour répondre - en toute discrétion - à la question d'un député français à propos de la guerre du Cameroun. Comme le pouvoir sarkoziste avant lui, le pouvoir hollandiste a craché à la figure des Camerounais (et des Français) qui aimeraient voir les autorités françaises reconnaître les pages les plus sombres de leur histoire coloniale. Les services du ministère des Affaires étrangères entretiennent en effet le traditionnel black out en expliquant, une fois de plus (et dans un style quasi orwellien), que "la période évoquée appartient à l'Histoire et aux historiens à qui il appartient [...d'] apporter leur éclairage sur la période" (sic)...
Or, il existe des dizaines de livres et d'articles réalisés par les historiens sur la "période" en question. Est-ce parce qu'ils prouvent tous que la France a commis des atrocités à cette époque que les services de M. Fabius ont fait semblant d'ignorer ces travaux ?
Dans le quotidien français Le Monde du 23 juin 2008, on peut lire ceci :
"La France choisit le futur président Ahidjo, non sans avoir tout fait pour écraser le principal parti d'indépendance, l'UPC (Union des populations du Cameroun)... La répression contre l'UPC est d'une extrême violence : tortures, assassinats, exposition des têtes coupées des victimes, bombardements...Épaulées par l'armée française, les forces camerounaises appliquent ses méthodes. Dix années de terreur et des centaines de milliers de morts seront nécessaires pour venir à bout de l'opposition. Aujourd'hui, Paul Biya, héritier du régime Ahidjo, conserve le soutien de la France".
Résultat des courses, après plus de 15 ans de guerre menée par la France et ses tirailleurs camerounais (de 1956 à 1971) contre la résistance, un régime totalitaire néo-colonial est toujours en place et est soutenu par l'État français dans la plus grande indifférence de ses concitoyens sous-informés par des médias qui marchent au pas. Les élections sont truquées, la classe politique est complètement corrompue, l'opposition laminée, paupérisation et absence réel de contrôle national de l'économie font les beaux jours des multinationales, des banques et des ONG françaises dans la grande tradition françafricaine.
Le Monde du 4 octobre 2011 récidive : "Avant et après la proclamation officielle de l'indépendance de ce pays, le 1er janvier 1960, Paris a tout essayé pour briser les mouvements qui, portés principalement par l'Union des populations du Cameroun (UPC), réclamaient une indépendance réelle respectant la souveraineté populaire. Dans ce territoire placé sous la tutelle de l'ONU en 1946 - mais administré par la France et le Royaume-Uni -, la IVe République, sous les ordres de François Mitterrand, Gaston Defferre ou Pierre Messmer, a déclenché une véritable guerre au milieu des années 1950. Bâillonnement de l'opposition, création de milices sanguinaires, torture à grande échelle, déplacement des populations, guerre psychologique, assassinats : les méthodes de la "guerre révolutionnaire" - et parfois les hommes chargés de les appliquer - sont les mêmes que celles mises en œuvre au même moment en Algérie. La Ve République du général de Gaulle a poursuivi la même politique de répression après l'"indépendance" confiée au candidat choisi par Paris, le président Ahmadou Ahidjo. En accentuant encore la guerre à l'ouest du pays à l'aide de bombardements intensifs, qui mirent à feu et à sang toute la région "bamiléké". Combien de morts ce terrible conflit a-t-il provoquées ? De 61 000 à 76 000, comme l'estimait l'ambassade du Royaume-Uni en 1964 ? 120 000, comme le rapportait deux ans plus tôt André Blanchet, alors journaliste au Monde ? Davantage, comme l'affirment certains commentateurs ? 7
Rien que de parler de cette période à un Bamiléké, cela provoque l’effroi. De cette terrible répression, la presse française, complètement muselée, et aveuglée par la crise algérienne, ne dira mot. Il est impossible de trouver au Cameroun des documents sur ces massacres : le gouvernement d’Ahidjo, à la solde de la France, a soigneusement tout occulté. Et ce grand crime de la France prémédité, planifié, qu’elle a réussi à étouffer jusqu’aujourd’hui, a continué encore pendant plusieurs années : ce sont finalement peut-être 400.000 Bamilékés qui furent massacrés, ou peut-être plus...
Voilà ce qu’en dit François-Xavier Verschave :
« Le service Afrique du Sdece (services secrets français) enfante et instruit une filiale camerounaise, le Sédoc : sous la direction de Jean Fochivé, elle sera vite réputée pour sa sinistre « efficacité ». On y torture à tour de bras. Côté police, un redoutable professionnel français, Georges Conan, démontre ses talents - dont celui de multiplier les aveux et dénonciations.
Quelques exemples de tortures :
La Balançoire : les patients, tous menottés les mains derrière le dos et entièrement nus, dans une pièce à peine éclairée, sont tout à tour attachés, la tête en bas, par les deux gros orteils, avec des fils de fer qu’on serre avec des tenailles, et les cuisses largement écartées. On imprime alors un long mouvement de balançoire, sur une trajectoire de 8 à 10 mètres. À chaque bout, un policier ou un militaire, muni de la longue chicotte rigide d’un mètre, frappe, d’abord les fesses, puis le ventre, visant spécialement les parties sexuelles, puis le visage, la bouche, les yeux. Le sang gicle jusque sur les murs et se répand de tous côtés. Si l’homme est évanoui, on le ranime avec un seau d’eau en plein visage. L’homme est mourant quand on le détache. Et l’on passe au suivant...
Vers trois heures du matin, un camion militaire emmène au cimetière les cadavres. Une équipe de prisonniers les enterre, nus et sanglants, dans un grand trou. Si un des malheureux respire encore, on l’enterre vivant...
Le Bac en ciment : les prisonniers, nus, sont enchaînés accroupis dans des bacs en ciment avec de l’eau glacée jusqu’aux narines, pendant des jours et des jours. Un système perfectionné de fils électriques permet de faire passer des décharges de courant dans l’eau des bacs. Un certain nombre de fois dans la nuit, un des geôliers, "pour s’amuser", met le contact. On entend alors des hurlements de damnés, qui glacent de terreur les habitants loin à la ronde. Les malheureux, dans leurs bacs de ciment, deviennent fous !...
« Oui j’affirme que cela se passe depuis des années, notamment au camp de torture et d’extermination de Manengouba (Nkongsamba) ».
« Ils ont massacré de 300 à 400 000 personnes. Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre armes automatiques. Les Bamilékés n’avaient aucune chance. Les villages avaient été rasés, un peu comme Attila », témoigne le pilote d’hélicoptère Max Bardet. « J’appris avec ces phrases le massacre littéralement inouï d’une population camerounaise au tournant des années soixante, dit encore François-Xavier Verschave. Je m’attachais à en savoir davantage. Ce ne fut pas facile, tant la terreur, là-bas, produit encore son effet. Ce n’est pas terminé. »
Le peuple bamiléké reste encore aujourd’hui très traumatisé.8
Lors de sa visite au Cameroun le 3 juillet 2015, François Hollande a rencontré son homologue Paul Biya. Ensemble, ils ont évoqué des dossiers sensibles, dont la guerre contre l’Union des populations du Cameroun (UPC).
En conférence de presse, François Hollande a notamment évoqué la mémoire douloureuse des relations franco-camerounaises. « C’est vrai qu’il y a eu des épisodes tragiques dans l’histoire. Il y a eu une répression dans la Sanaga-Maritime en pays Bamiléké et je veux que les livres soient ouverts pour les historiens », a-t-il déclaré.
Cette déclaration est la première d’un chef d’État français sur ce drame de l’histoire franco-camerounaise. Jamais un président français ne s’était prononcé sur cette grave blessure dans l’histoire des deux nations. C’est un événement historique et un tabou qui est brisé9. On attend désormais que le génocide soit inscrit dans les manuels scolaires français et que les journaux télévisés de 20H révèlent à des millions de téléspectateurs le massacre perpétré par l'armée française au Cameroun.
Après l'indépendance
Le Cameroun français acquit son indépendance le 1er janvier 1960 et devint la République du Cameroun. L'année suivante, la colonie britannique se divisa en deux après un référendum d'autodétermination. Le Nord, principalement musulman, choisit d'intégrer le Nigeria. Quant au Sud, principalement chrétien, il choisit de rejoindre la République du Cameroun pour former la République fédérale du Cameroun.
Le 20 mai 1972, le président Ahidjo organisa un référendum pour mettre fin au système fédéral en vigueur jusqu'à cette époque. Le référendum fut largement gagné et le 20 mai devint la fête nationale d'un Cameroun qui s'appellera désormais « République Unie du Cameroun ».
À la même époque, le président Ahidjo adopte la nouvelle doctrine économique du Cameroun, le libéralisme planifié, qui mènera quelques années plus tard, le pays dans la voie du sur-endettement.10
Cette doctrine avait pour but de concilier le capitalisme et le socialisme. Elle a été mise en œuvre à partir de 1965, après l'abandon officiel par le pays du socialisme africain jusque vers le milieu des années 1980 et l'accession de Paul Biya au pouvoir. C'est une doctrine fortement interventionniste et nationaliste.
Dans le libéralisme planifié, l'État définit les axes économiques stratégiques, gère les ressources naturelles et encadre les investissements étrangers pour les diriger dans des secteurs géographiques ou économiques spécifiques. L'État se substitue à une initiative privée supposée défaillante dans certains secteurs, jugés prioritaires par le pouvoir politique. Dans ce cadre, de nombreuses coentreprises ont été établies avec des investisseurs étrangers.
L'investissement privé camerounais est encouragé dans tous les secteurs car le développement économique doit être endogène.
Le manque de transparence dans la gestion de la rente pétrolière a développé la corruption. Les investissements de l'État se sont généralement révélés peu pertinents et de nombreuses entreprises d'État se sont rapidement révélées être des éléphants blancs et ont rapidement fait faillite. Toutefois, une minorité a profité de la mainmise de l'État sur certains secteurs économiques pour se « placer ».
Il semble également que la planification était peu efficiente. Le coût des emplois créés était parfois démesuré dans certains secteurs
De 1973 à 1983, la dette du Cameroun a été multipliée par 8, passant de 431,4 millions de dollars US à 3367,4 millions de dollars US. Le service de la dette atteint alors 20 % du budget de l'État.11
De façon inattendue, Ahidjo âgé de 58 ans, qui tient le pays d'une main de fer en ayant réduit à néant la contestation de son régime, si forte au début de son règne, décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir et de céder sa place à son successeur constitutionnel, Paul Biya, le 4 novembre 1982, officiellement pour raisons de santé.12
La présidence de Paul Biya (1982-)
Le 6 avril 1984, une tentative de coup d’État, fomentée, selon certains, par Ahmadou Ahidjo réfugié en France, vise à assassiner Paul Biya. Pendant près d’une semaine des combats opposent l’armée, restée fidèle, à la garde présidentielle, composée d’hommes du Nord. Les mutins de la garde présidentielle sont exécutés. À la suite de ces événements, Paul Biya change d’orientation politique alors qu’il est encore entouré des anciens caciques de l’ex-président, souvent originaires du nord du pays.13
Biya tente de remédier progressivement aux maux légués par son prédécesseur en renouvelant totalement les cadres et les structures du parti unique, rebaptisé en 1985 Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). Il réussira même à y rallier quelques opposants "de l'intérieur". L'ouverture se marquera également lors des élections municipales d'octobre 1987, pluralistes dans le cadre du parti unique. Quelques mois plus tard, Biya est réélu président, tandis que la quasi-totalité des députés sont battus par des nouveaux venus lors des législatives.
Néanmoins, des affrontements violents à Yaoundé avaient mis aux prises étudiants et policiers dès décembre 1987 et, la situation économique empirant, de nouveaux troubles sociaux éclatèrent à partir de 1989. Le 5 décembre 1990, l'Assemblée nationale adopte une série de lois destinées à contrôler la création de nouveaux partis, alors que la Constitution prévoyait explicitement le multipartisme intégral. Plusieurs partis "proches du pouvoir" se font ainsi reconnaître sans problèmes, mais la plupart des partis d'opposition, dans le pays ou en exil, refusent de cautionner ce "multipartisme sous contrôle".
Dès le mois d'avril 1991, les opérations « villes mortes », les émeutes et les manifestations s'étendent à l'ensemble du pays. Pour tenter de résoudre la crise politique, le Président Paul Biya rétablit le poste de Premier ministre, annonce des élections et une réforme constitutionnelle. Devant l'ampleur des mobilisations, un état d'urgence de fait est instauré avec la création en mai 1991, de « commandements militaires opérationnels » pour pacifier le pays. Le Président Biya ayant annoncé les élections législatives pour le 16 février 1992, le Premier ministre Sadou Hayatou ouvre le 30 octobre 1991, la conférence tripartite gouvernement-opposition-société civile destinée à définir le cadre électoral et l'accès aux médias publics. L'opposition se divise entre les partisans du préalable d'une conférence nationale et ceux qui sont favorables à une participation immédiate à la compétition électorale.
En 1992, des élections présidentielles multipartites ont lieu. Paul Biya est réélu président (39,9 %) devant John Fru Ndi (35,9 %), candidat du Social Democratic Front (SDF). Les résultats sont très contestés. Suite à des manifestations et des incidents dans la région de Bamenda, l'état d'urgence y est décrété. Le 21 janvier 1996 ont lieu les premières élections municipales pluralistes, le RDPC emporte 65 % des communes mais de grandes villes dont Douala passent au SDF. Le 10 février 1996, les Sawa de Douala protestent contre la désignation de maires non-sawa dans les mairies d'arrondissement remportées par SDF.
Le 27 février 1996, un décret présidentiel érige une dizaine des plus grandes villes en "communes à régime spécial", dont la plupart avaient été gagnées par l'opposition, afin de confisquer le pouvoir aux mairies. L'opposition dénonce vivement cette mesure et lance en mai 1996, les opérations « ville morte » relativement peu suivie.14
Vers une présidence à vie
Biya remporte successivement l’élection présidentielle en 1997, en 2004 puis en 2011. L'opposition et la communauté internationale ont émis de nombreux doutes sur la validité des résultats de chacune de ses élections. Les doutes ont notamment portés sur la transparence de chacune des élections.
Le 11 octobre 2004, il est reconduit pour un nouveau septennat après vingt-deux ans passés à la tête du pays, face à une opposition divisée, à l’issue d’un scrutin sujet à caution.
En décembre 2007, lors de son discours de fin d’année à la nation, il annonce son intention de modifier la Constitution qui limite alors le mandat présidentiel à deux exercices. Pour ce faire, il doit changer la loi 6.2 de la constitution en vigueur qui limite les mandats présidentiels. Il compte sur la majorité absolue que son parti possède à l’Assemblée nationale. Cette déclaration soulève beaucoup de remous au sein des populations et des partis politiques.15
Biya doit partir !
De violentes manifestations ont éclaté fin février 2008, notamment à Douala, capitale économique et premier port du pays, et à Yaoundé, la capitale politique. D'autres grandes villes telles que Bafang, Bamenda, Kumba et Nkongsamba ont été touchées.
Les manifestants, en majorité des jeunes, ont été brutalement réprimés par la police et l'armée. L'opposition et les ONG parlent de plus d'une centaine de morts et de près de 2 000 arrestations. L'armée a quadrillé les rues de Yaoundé et de Douala, tandis que la justice a condamné à tour de bras les émeutiers arrêtés.
Tout a commencé le 23 février, lorsque les chauffeurs routiers et les transporteurs urbains ont fait grève pour protester contre l'augmentation du prix de l'essence. À peine le gouvernement avait-il tenté de désamorcer le conflit en annonçant une baisse de cinq à six francs CFA (1 centime d'euro), que la population descendait dans les rues pour à son tour protester contre la vie chère. Car au Cameroun, comme dans bien d'autres pays d'Afrique, la hausse des prix des produits de première nécessité a été vertigineuse en 2008. La flambée des prix des produits comme le bœuf, le poisson, l'huile, le riz, le sucre, la farine et l'essence rend insupportable la vie quotidienne de la population pauvre. Même ceux qui gagnent un salaire n'arrivent plus à faire face à la hausse du coût de la vie. Et que dire de tous ceux qui n'ont pas de travail, que les syndicats évaluent à 70 % de la population active ?
Mais la vie chère n'est pas la seule cause de ces émeutes. Il y a également le projet de révision de la Constitution qui permettrait au dictateur Paul Biya, qui est déjà au pouvoir depuis vingt-cinq ans, de briguer un nouveau mandat en 2011. D'où les cris des manifestants mêlant des " Non à la vie chère " avec ceux de " Biya doit partir ". Biya accuse les manifestants d'être manipulés par l'opposition. Comme si la population n'avait pas d'yeux pour voir la richesse insolente d'une classe dirigeante corrompue s'étaler au grand jour, et ce depuis l'indépendance ? Comme si elle n'avait pas les moyens de comprendre que les principales ressources du pays sont accaparées par de grandes multinationales étrangères qui pillent le sous-sol et la forêt équatoriale, et qui sont responsables de la pauvreté.16
La démocrature en crise
Depuis sa prise de pouvoir en 1982, Paul Biya a rendu encore plus pauvre l’immense majorité de son peuple vivant pourtant dans un pays riche en matières premières.
Le Cameroun peut être considéré comme une exception en Afrique puisqu’il est dirigé par ceux qui ont lutté militairement, avec les colonisateurs, contre le mouvement d’indépendance nationale incarné, à l’époque, par l’UPC (Union des Peuples du Cameroun). Une guerre qui fera des milliers de morts et où l’armée française n’hésitera pas à utiliser le napalm. Cette infamie originelle continue de peser sur des dirigeants qui ne peuvent même pas se targuer d’avoir gagné la liberté et la dignité pour leur peuple. En effet, Biya n’est autre que le premier ministre d’Ahidjo, l’homme de l’ancienne puissance coloniale. Considéré comme le dauphin, Biya n’a pas eu la patience d’attendre son tour et s’est emparé du pouvoir au premier signe de faiblesse d’Ahidjo.
Biya n’a fait que suivre la politique de son prédécesseur en maintenant un centralisme oppressif sur le pays, en transformant le parti du pouvoir – le RDPC – en parti-état, en distillant les divisions ethniques. Il a développé une politique de clientélisme, s’entourant d’une classe dirigeante composée de baronnie et de clan ; autant de vecteurs de corruption qui s’entre-déchirent entre générations, entre ethnies, entre militaires et civil, etc.
Parallèlement, les conditions de vie de la population se sont considérablement dégradées avec une augmentation du travail informel au détriment du travail normé, un chômage endémique pour les jeunes qui représentent près de la moitié de la population, un délabrement des services de santé et d’éducation, des salaires misérables pour les fonctionnaires qui les poussent à monnayer leurs services.
L’échéance sur laquelle tout le monde avait les yeux fixés était celle de 2011, date de l'élection présidentielle. Biya a fait changer la constitution lui permettant de se représenter, même s’il continuait à entretenir le flou sur sa candidature. Tirant les leçons de ses propres actes passés, Biya s’est appliqué à éliminer tous les dauphins déclarés ou potentiels en utilisant le plan épervier, un plan anti-corruption, dépendant directement de la Présidence qui se révèle être une arme redoutable contre les différentes factions dirigeantes. Épervier plane sur la tête de chaque cacique du pouvoir, leur impose le silence et leur soumission. Pour Biya c’est tout bénéfice car, en même temps qu’il se débarrasse de ses concurrents, il donne des gages à la population et à la communauté internationale sur sa volonté d’assainir le pays, même si personne n’est dupe. Les pays occidentaux font semblant d’y croire, seule la stabilité du pays compte car elle permet aux multinationales de piller le pays en tout quiétude.
Pour la population, la volonté est forte d’obtenir un changement, de virer Biya et toute sa clique de parasites, mais comment y arriver ? Au niveau électoral en 1992, Fru Ndi du SDF (acronyme anglais du Front Social Démocrate) avait gagné, mais la victoire fut volée par Biya. Depuis l’opposition dans sa grande majorité a boycotté celle de 1997. La question se pose aussi sur la tactique électorale car les élections sont à un tour, celui qui a le plus grand nombre de voix l’emporte, ainsi en 2004 la division de l’opposition et les fraudes ont permis à Biya de conserver le pouvoir.
Au niveau des luttes, tout le monde a en mémoire les grandes manifestions de 2008 qui ont ébranlé tout le pays, contre la pénurie alimentaire et contre le changement de la constitution permettant à Biya de briguer un quatrième mandat .Ces mobilisations ont été durement réprimées faisant des dizaines de morts et ceci sans changement notable, si ce n’est une augmentation des salaires des fonctionnaires.
L’opposition n’a pas pris la direction politique de ce mouvement et n’a pas réussi à le structurer et à l’ancrer dans les quartiers populaires. L’enjeu est d’être capable d’offrir une alternative aux luttes populaires afin qu’elles ne soient pas dévoyées, par des fractions du clan Biya, vers des conflits ethniques car ce risque est réel.17
La réélection de Paul Biya : Un dictateur soutenu par l'impérialisme français
Paul Biya a été réélu avec 78 % des voix à l'issue de l'élection du 9 octobre 2011. Il est ainsi reconduit pour un sixième mandat, en dépit des nombreuses irrégularités constatées durant le scrutin.
Pour pouvoir se représenter, Biya avait fait modifier en 2008 la Constitution, supprimant la clause limitant le nombre de mandats présidentiels. À l'époque, le despote avait dû affronter la colère de la rue. Les manifestants dénonçaient la vie chère, du fait de la flambée des prix de l'essence et des denrées de première nécessité, mais également la révision constitutionnelle. La réaction du régime avait été violente, entraînant la mort d'une centaine de personnes et l'arrestation de près de deux mille opposants.
Biya n'est que le deuxième président du Cameroun depuis l'indépendance de 1960. Dictateur absentéiste, il séjourne souvent à l'étranger. Un de ses séjours à La Baule avait fait scandale, ayant coûté 800 000 euros pour trois semaines.
Si la classe dirigeante bat des records de corruption, un tiers de la population n'a pas accès à l'eau potable et à l'électricité. Le salaire mensuel minimum y est l'un des plus bas de cette région d'Afrique, la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage des jeunes dépasse les 30 %. Le pays est pourtant riche en ressources naturelles : agricoles, minières, forestières et pétrolières. Mais elles sont accaparées par les grandes multinationales, où les entreprises françaises se taillent la part du lion. Parmi ces prédateurs, il y a notamment le groupe français Bolloré, qui contrôle les activités du port de Douala mais aussi la seule ligne de chemin de fer du pays et, grâce à sa participation dans la Socapalm, plusieurs dizaines de milliers d'hectares plantés en palmiers à huile. Parmi les autres filiales de grands groupes français pillant les richesses du Cameroun, on trouve encore la Compagnie fruitière, Vilgrain, Lafarge, Vinci, Bouygues, sans parler du groupe Rougier qui contribue au pillage des ressources forestières.
Depuis l'indépendance de cette ancienne colonie, les représentants de l'impérialisme français ont toujours protégé les intérêts de ces entreprises en soutenant le régime en place, notamment en encadrant et en équipant son armée. Un soutien que perpétuait le gouvernement de Sarkozy et celui de Hollande.18
La Chine contre la France au Cameroun
Le voyage de Paul Biya en 2011 en Chine à la tête d’une importante délégation de personnalités nouvellement promues pour la conclusion d’importants accords de coopération avec le principal rival des pays occidentaux en Afrique a tendu à signifier dans l’ordre subliminal son refus des injonctions occidentales.
La Chine est partenaire financier et technologique du Cameroun dans d’importants projets économiques : Le palais polyvalent des sports de 5000 places à Warda (Yaoundé), l’hôpital gynéco-obstétrique de Douala, le projet Back Bône de transmission par fibre optique à Kye-Ossi, le projet de construction du centre pilote des technologies agricoles de Nanga Eboko, les projets de construction des stades de Limbé et de Bafoussam et le projet de construction de la mini-centrale hydro-électrique de Mekin, constituent certaines des principales réalisations de prestige de la Chine au Cameroun. À cela, il convient d’ajouter le projet d’adduction d’eau potable de Camwater dans les villes de Douala et Yaoundé, la construction des barrages de Lom Pangar, de Memve’ele, Mekin ainsi que la construction du port en eau profonde de Kribi.
Le Cameroun, qui entend devenir un pays émergent à l’horizon 2035, a ainsi complété son partenariat avec la Chine par la conclusion d’une série d’accord en juillet. L’intensification des relations sino-africaines au cours des trente dernières années témoigne de l’intérêt marqué de Pékin non seulement pour les matières premières et les terres arables, mais aussi de son souci de contourner l’Europe par le sud en vue de s’assurer des réserves énergétiques pour les besoins de son industrie. Les investissements directs étrangers chinois ciblent, en priorité, les pays riches en ressources minières dont le Cameroun.
L’Afrique fournit désormais un tiers du pétrole importé à la Chine, deuxième consommateur mondial de pétrole derrière les États-Unis. La Chine se procure ses besoins en hydrocarbures du continent africain de l’Angola (premier fournisseur de la Chine devant l’Arabie Saoudite), du Cameroun, du Congo Brazzaville, du Gabon, du Nigeria et du Soudan, ces deux derniers pays étant les plus gros bénéficiaires des investissements directs chinois sur le continent. À cela s’ajoute un intérêt non négligeable pour d’autres ressources telles que le bois (60% de la production africaine est vendue en Chine) et les matières premières agricoles pour lesquelles elle déploie une grande politique d’acquisition des terres arables dans les pays comme le Zimbabwe, le Congo ou le Cameroun.
L’Afrique abrite un millier d’entreprises chinoises, un chiffre en constante augmentation. Le volume des échanges a été multiplié par dix depuis 2000 pour atteindre 107 milliards de dollars en 2008.
Sur le plan de l’agriculture, le Cameroun a cédé 10 000 hectares de terres agricoles pour une durée de 99 ans à Sino Cam Iko. La multinationale chinoise spécialisée dans la production et la commercialisation de produits agricoles s’est installée sur trois sites dont Ndjoré, (un site de 4000 hectares situé à 100 kilomètres de la capitale camerounaise) et Nanga-Eboko (2 000 hectares situés à 170 kilomètres de Yaoundé). À Nanga-Eboko, Sino Cam Iko a planté des cultures expérimentales de fruits et légumes, de maïs ainsi que 200 variétés de riz, tandis que le site de Ndjoré est affecté à la culture du manioc. Ce dispositif est complété au Zimbabwe par l’acquisition par la société publique China International Water and Electric du droit d’exploiter plus de 100.000 hectares de maïs dans le sud du pays, en République démocratique du Congo où le géant chinois des télécommunications, ZTE International, a acquis 2,8 millions d’hectares de forêt pour y planter des palmiers à huile, enfin en Tanzanie, où une entreprise de semences chinoise, la Chongqing Seed Corp a décidé de s’implanter sur 300 hectares en Tanzanie où le manque de céréales contraste avec l’abondance des terres cultivables.
L’intensification de la présence chinoise au Cameroun a suscité des critiques, déplorant l’asymétrie de la relation sino-camerounaise du fait de la prépondérance chinoise dans le processus de contrôle des projets communs et de la balance déficitaire des échanges au détriment du Cameroun.
La France au Cameroun ou « la fin du pré-carré français au Cameroun »
En 2014, cent trente filiales d’entreprises françaises opèrent au Cameroun et une centaine d’établissements de droit local appartenant à des ressortissants français sont installés sur place. Les principales entreprises phares du CAC 40 français y ont pignon sur rue, se livrant à la mise en valeur, -en coupe réglé ?- d’un pays situé à la bordure méridionale du Sahara, à la limite septentrionale de la forêt équatoriale et du bassin du Congo face au Golfe de Guinée.
En un mot à l’épicentre d’une zone de turbulences aiguisée par la compétition des puissances pour le contrôle des ressources énergétiques du Golfe de Guinée et les réserves minières de la zone nigérienne.
Le groupe des entreprises françaises opérant au Cameroun comprend Péchiney, Castel, Brasseries et Glacières International, Lafarge, CFAO pour l’industrie, le Groupe Bouygues, SGE, Comsip Cam pour le BTP, Total-Fina-Elf pour le pétrole.
Le groupe Bolloré, pour la gestion des infrastructures portuaires, et le secteur bois, en compagnie sur ce secteur avec les firmes de Thanry et Pasquet, Rougier.
- Sodecoton (capital à 30% détenu par la Compagnie française de développement des fibres textiles) pour le secteur coton
- Le grossiste Agrisol SA dans le secteur de la banane.
- Deux entreprises à participation française Nocusa et Socusam pour le sucre.
Mais le tableau est loin d’être paradisiaque. Pollution, bénéfices économiques aléatoires pour les autochtones, multiples atteintes à l’environnement émaillent le quotidien des entreprises françaises sous les tropiques. « L’empire noir de Bolloré en Afrique », objet de deux enquêtes de la presse française, au printemps 2011, a valu à leurs auteurs « France inter » et le journal en ligne « Rue 89 » des poursuites judiciaires pour diffamation. Le groupe Bolloré passe pour être un des gros utilisateurs de l’armé judiciaire comme arme de dissuasion contre toute critique fouillée à son égard.
Premier partenaire économique du Cameroun, la France a paru céder du terrain au profit de la Chine. Certes le port de Douala est toujours géré par le Groupe Bolloré, le voyagiste de Nicolas Sarkozy, la France n’est plus le principal partenaire du Cameroun. Dans une interview accordée en mai 2007, Georges Remi Belinga, responsable des douanes dans le Littoral parle de « la fin du pré-carré français au Cameroun » et l’explique par la volonté des Africains de trouver des marchés plus favorables d’acquisition de produits de haute technologie au moindre coût.
Pour qui sonne le glas ?
Nul n’est dupe de l’humanitarisme français. Les engagements français en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali, et en République Centrafricaine résultent, prioritairement, de la volonté de Paris de reprendre la main après la déstabilisation de sa diplomatie du fait du « Printemps arabe », dans une manœuvre visant à détourner l’attention et d’éviter ainsi que l’opinion se polarise sur une situation intérieure difficile, en lui offrant un dérivatif nationaliste.
Le renouveau du Cameroun passe par un double mouvement de remise en ordre sur le plan interne et de mise au clair des rapports entre le Cameroun et la France, entre l’Afrique et la France, dont la condition préalable devrait être la répudiation solennelle par la France de sa posture moralisatrice, dispensatrice de leçon de conduite sur la bonne gouvernance, sur fond d’un discours parasité par les scandales récurrents de la vie politique française qui ont pour nom rétro commissions vedettes de Taïwan, Clearstream, Karachi, Ziad Takieddine, contrat MISKA, Woerth Bettencourt et Tapie Lagarde.
« Afrique en miniature », le Cameroun est représentatif du continent de par sa géographie, ses variétés climatiques, ses groupes ethniques et culturels, de même que son histoire parmi les plus complexes du continent.
Les africanistes de tous acabits qui gravitent dans l’orbite présidentielle française devraient intégrer dans leurs projections intellectuelles le fait que le Cameroun constitue l’assise de l’Adamouawa, littéralement, selon la transcription phonétique du terme en arabe, « l‘Adam et Eve » par référence symbolique au statut matriciel de l’Afrique, « Berceau de l’humanité », qui dispense ainsi les Africains, selon les conseils judicieux de Nicolas Sarkozy de faire leur entrée dans l’Histoire alors qu’ils sont les ancêtres de l’humanité, bien antérieurs en tout cas à la Hongrie et à la France. De ce point central de l’Afrique devrait surgir le renouveau.
Le compte à rebours a commencé pour Paul Biya. Les lois de la biologie sont impitoyables. Sa sortie de l’histoire est programmée. Scellée, inexorablement.
Quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise, la France est solidaire du passif du régime et ne saurait se défausser d’un si long protectorat d’un mandat si calamiteux.
La main d’œuvre africaine, les richesses de l’Afrique n’ont pas pour vocation première d’entretenir le train de vie de la classe politique française. La France-Afrique passe en priorité par une alliance au profit des gouvernés, non des gouvernants, au bénéfice de l’Afrique et non exclusivement au bénéfice de la France...En fidélité à la mémoire de Ruben Um Nyobé et Félix Moumié, les chefs mythiques du combat nationaliste camerounais décapités par la France.
Pour qui sonne le glas ? Du pré carré français au Cameroun ? De la mandature Biya ? Des deux à la fois, jumeaux pendant un quart de siècle? Qu’il est dur d’être après avoir été ? 19
Port, Rail, Plantations… Le triste bilan de Vincent Bolloré au Cameroun
Grâce au rachat de vieilles entreprises coloniales Françaises et à la privatisation d’une part importante du patrimoine économique national, le groupe Bolloré est devenu un acteur incontournable dans le tissu économique comme dans la vie politique du Cameroun. Concessionnaire de la société de chemin de fer Camrail depuis 1999 (jusqu’en 2034), il a obtenu la concession du terminal à conteneurs du port de Douala en 2005 (jusqu’en 2020). Ses diverses agences, regroupées sous la marque Corporate Bolloré Africa Logistics depuis septembre 2008, sont présentes dans la capitale économique, Douala, dans la capitale politique, Yaoundé et dans le nord du pays, à Garoua.
La gestion de l’ensemble des flux de production d’aluminium produit à l’usine d’Edéa, gérée par le géant Canadien Rio Tinto-Alcan, la logistique de la construction du pipeline Tchad-Cameroun, opéré par Exxon-Mobil, et la logistique "door to door" pour le compte de Total font partie des "références" Camerounaises dont se flatte le groupe sur son site internet.
S’il a abandonné les chantiers forestiers après avoir participé, selon certaines ONG, au "pillage" de la forêt Camerounaise, le groupe gère toujours un parc à bois, grâce à sa Société d’Exploitation des Parcs à Bois du Cameroun (SEPBC).
Il contrôle par ailleurs d’immenses plantations, soit directement, via Safacam qui exploite 8 400 hectares de palmiers à huile et d’hévéas, soit indirectement, via la société Belge Socfinal qui gère 31 000 hectares de palmiers à huile dans le pays. Les responsables du groupe Bolloré jurent ne pas "contrôler" les plantations de Socfinal. Ce que contestent la plupart des observateurs.
La mainmise progressive du groupe Bolloré sur ce vaste patrimoine et la "rationalisation" à marche forcée de ces "actifs" ne sont pas sans poser d’importants problèmes. Le premier d’entre eux est d’ordre symbolique et politique.
L’accaparement d’entreprises coloniales par de lointains jeux financiers et la cession de secteurs stratégiques des économies nationales Africaines par le biais des privatisations, ne peut qu’inciter une partie des Camerounais à considérer l’intrusion de Bolloré comme une forme de néo-colonialisme. Et cela d’autant plus que le Cameroun, ancien territoire sous tutelle Française pendant la période coloniale, reste géré par une élite locale qui, héritière d’une indépendance dessinée par les Français eux-mêmes, agit plus en fonction de ses intérêts propres que de l’intérêt général.
Alors que les dirigeants du groupe Bolloré s’affichent fréquemment avec le Président Paul Biya, sa femme Chantal ou certains autres hauts responsables du régime, beaucoup de Camerounais se demandent jusqu’où va l’ingérence de Bolloré dans les affaires intérieures de leur pays.
Nombreux sont ceux, par exemple, qui se sont interrogés, début 2008, sur le limogeage du directeur général du Port Autonome de Douala (PAD), Emmanuel Etoundi Oyono, par le Président Paul Biya... alors même que ce dernier venait publiquement de le féliciter pour sa gestion du PAD. Paie-t-il la remise en cause de certains avantages obtenus, les années précédentes, par le groupe Bolloré ?, se demande alors le quotidien Camerounais Mutations.
Allégations aussitôt démenties par le groupe, avec modestie : "Ce serait prétentieux de croire que le Président de la République du Cameroun est à la solde du groupe Bolloré " Pour Pius Njawe, l’emblématique directeur du journal Le Messager, l’ingérence du groupe Bolloré dans la vie politique du Cameroun ne fait pourtant aucun doute. "C’est une sorte d’État dans l’État, explique-t-il dans un récent reportage diffusé sur France Inter Bolloré., c’est une illustration parfaite de la FrançAfrique !".
Quand bien même on exagérerait l’influence politique de Bolloré, il est indéniable que son implantation au Cameroun est ressentie comme une mutilation par une partie de la population locale. C’est le cas par exemple depuis que le groupe a obtenu, en partenariat avec le groupe Sud-Africain Comazar, le contrat d’exploitation de la Regifercam (devenue Camrail). Construit dans le sang à l’époque coloniale, nationalisé à l’indépendance en 1960, et étendu au Nord et à l’Ouest du pays par la suite, ce réseau ferré était devenu un des symboles de la souveraineté économique et de l’intégration nationale du pays. La cession de sa gestion à un groupe Français apparaît dès lors comme un triste retour au passé.
L’amertume est d’autant plus grande que la mise en concession a eu pour conséquence l’augmentation des tarifs pour le transport voyageurs et la fermeture des lignes "non rentables" : offrant de bien meilleurs retours sur investissement, c’est surtout le "réseau utile", c’est-à-dire le transport des marchandises, qui a profité en priorité de la mise en concession.
"Du fait de la participation des ancêtres aux travaux forcés qui ont permis la pose du rail, l’on s’est approprié ce dernier comme un héritage", observe ainsi le chercheur Claude Abe en étudiant la situation autour du tronçon Yaoundé-Douala. "La suppression des arrêts et des gares est vécue comme une fabrique de l’oubli et du dépaysement de l’identité de soi ; c’est-à-dire comme une brouille du lien culturel et historique qui unit les vivants aux morts".
Le ressentiment est tout aussi profond autour des plantations industrielles récupérées par le groupe Bolloré.
Personne n’oublie les conditions de travail qui y régnaient il y a seulement soixante-dix ans. Comme l’a rappelé dans son autobiographie l’ancien syndicaliste Gaston Donnat, qui vécut au Cameroun dans les années 1940, des villageois étaient désignés par les chefs traditionnels, sur ordre des administrateurs coloniaux, pour être déportés vers les plantations, corde aux cous et encadrés par des miliciens. Installés dans des baraquements, retenus prisonniers par des clôtures, et toujours surveillés par des gardes armés, nombre d’entre eux ne sortirent jamais des plantations.
Compte tenu de ce lourd contexte historique, la "gestion sociale" dans les filiales Africaines du groupe Bolloré se devrait donc d’être irréprochable. Elle est loin de l’être. "Sa gestion des ressources humaines est du cuir dont on fait les cravaches", note le journal d’enquêtes sociales Le Plan B, qui constate qu’en moins de dix ans de concession un tiers des trois mille six cents salariés de la Camrail ont été licenciés. En conséquence, ces dix années ne furent pas de tout repos pour les leaders syndicaux de Camrail qui durent subir des infiltrations patronales, des mutations forcées, des licenciements punitifs et même, pour certains, des mois d’emprisonnement.
À certains égards, les syndicalistes sont devenus les souffre-douleur de l’entreprise, au moment où toutes les populations villageoises sacrifiées sur l’autel de la "modernisation" protestaient, par des marches pacifiques ou en élevant des barricades sur les voies ferrées, contre "le caractère asocial de certaines restructurations (…) et les visages inhumains de la privatisation". Sur le port de Douala, les relations sociales ne sont pas non plus au beau fixe. Dominante à travers ses différentes filiales enchevêtrées, la multinationale Bolloré y est notamment suspectée de chercher à asphyxier les acconiers Camerounais. Que nenni, rétorque le conglomérat, qui trouve de bon ton de reprocher aux contestataires une "utilisation maligne d’arguments nationalistes"…
La situation n’est pas meilleure dans les plantations de la Société Camerounaise des palmeraies (Socapalm), ancienne société publique, privatisée en 2000 et détenue depuis à 38,75 % par Bolloré, via le groupe Belge Socfinal.
Les syndicats reprochant entre autres au groupe "le limogeage en série des cadres Camerounais au profit des cadres Belges", les grèves et protestations se multiplient.
Dans la plus grande plantation de palmiers à huile du Cameroun, à Kienké, on assiste même, selon la correspondante au Cameroun du journal Français Libération, à "un Germinal sous les tropiques". Des milliers d’ouvriers y travaillent, six jours par semaines, sans couverture sociale et sans même de gants, pour 22 francs CFA par régime de 15 kg récolté.
Les plus privilégiés peuvent de cette façon gagner 53 euros par mois… quand la cascade de sous-traitants qui les emploient n’oublient pas de les payer. Et lorsque, fin 2007, le leader d’un syndicat improvisé – les autres sont souvent achetés – s’élève contre ces pratiques, et contre l’insalubrité et la surpopulation des baraquements où les travailleurs sont parqués, il est prestement arrêté par la police. Et les autorités lui glissent à l’oreille : "Si tu continues, on va te tuer".
Les choses ont peu de chances de s’améliorer. Car si Bolloré a conservé ses exploitations de palmiers à huile malgré le recentrage de son groupe sur le secteur des transports et de la logistique depuis le début des années 2000, c’est qu’il mise sur les agro-carburants, censés servir dans un avenir proche de substituts "écologiques" aux énergies fossiles.
Aussi les plantations de palmiers à huile du groupe au Cameroun (Socapalm, Safacam, Ferme Suisse), ne cessent-elles de s’étendre, provoquant l’expulsion des populations, manu militari et sans dédommagement, et la destruction progressive des forêts et des cultures traditionnelles locales. Principales victimes : les Bagyeli, plus connus sous le nom de "pygmées".
"Certains d’entre eux sont maintenant entourés de toute parts par les plantations, dans lesquelles on ne leur permet pas d’entrer", s’inquiète par exemple Julien-François Gerber qui a enquêté sur la plantation de Socapalm à Kienké. "S’ils le font et si les gardes les attrapent, ces derniers les expulsent à coup de bâtons. Ils sont forcés de vivre dans une zone marécageuse inondable où pullulent moustiques et maladies associées".
Mettant en danger la souveraineté alimentaire des populations, l’expansion des plantations et le détournement de l’huile de palme pour la fabrication d’agro-carburants menacent aussi l’environnement. L’usine installée dans la plantation de la Socapalm à Kienké rejette ainsi une huile souillée, probablement mélangée à des produits chimiques, qui se déverse dans les cours d’eau environnants. "Les habitants interviewés sont parfaitement conscients du danger que cette pollution peut représenter pour la santé, et la pêche est évidemment devenue impraticable dans l’affluent en question", poursuit Julien-François Gerber. "Mais ils se débrouillent comme ils peuvent, notamment en recyclant cette huile de mauvaise qualité et en la vendant à des huiliers et savonniers artisanaux".
Le Cameroun ne fait malheureusement pas exception. Sur le port d’Abidjan (Côte d’Ivoire) aussi, les conflits sociaux sont fréquents entre les travailleurs locaux et le groupe Bolloré, gestionnaire du port depuis 2004.
S’agissant de la Sitarail, société de chemin de fer Ivoiro-Burkinabé qu’exploite le groupe depuis 1994, les griefs des syndicalistes ne sont pas sans similitudes avec ceux qu’expriment leurs homologues Camerounais. Quant aux plantations, on trouvera sur internet un rapport édifiant réalisé en 2005 par la Mission des Nations Unies au Liberia (UNMIL) sur la situation des droits de l’homme dans cinq plantations d’hévéas Libériennes.
Y sont décrites, noir sur blanc, les méthodes utilisées par la plantation gérée par Socfinal : compression des coûts grâce au recours massif à la sous-traitance, utilisation de produits cancérigènes malgré le manque de formation et d’équipement offerts aux ouvriers, travail d’enfants de moins de quatorze ans, bâillonnement des syndicats, licenciements arbitraires, maintien de "l’ordre" par des milices privées, évictions des villageois gênant l’expansion de la zone d’exploitation.
Un seul détail manque dans cet exposé accablant, constatent les journalistes Nicolas Cori et Muriel Gremillet : le nom de Bolloré.
Certes, le rapport mentionne que la plantation Libérienne appartient à une société basée au Luxembourg, Intercultures. Mais il n’est nulle part précisé qu’Intercultures appartient au groupe Belge Socfinal, dont le groupe Français Bolloré détient 38,75 %. "Pourtant, c’est bien Vincent Bolloré qui est derrière tous ces événements, précisent les deux journalistes. Grâce à l’opacité de son groupe il peut engranger de l’argent au Liberia, sans que son image en soit altérée". 20
Grave accident ferroviaire chez Bolloré
Le 21 octobre 2016, un train surchargé a déraillé au Cameroun, entre les deux principales villes du pays, la capitale Yaoundé et Douala, faisant au moins 79 morts et 551 blessés, selon l’état actuel des recherches sur place.
Juste avant, la route reliant ces deux villes avait été coupée, à la suite d’un effondrement de la chaussée. Pour faire face à un soudain afflux de voyageurs, la compagnie ferroviaire Camrail a alors décidé d’ajouter des voitures supplémentaires au train habituel. Il y avait donc huit voitures en plus des neuf déjà en place et le total des passagers a sans doute atteint 1 200 ou 1 300.
Est-ce la masse des voitures en supplément qui a entraîné le déraillement ? Peut-être, mais ce n’est pas sûr. Des voyageurs ont fait état d’une vitesse qui leur a paru excessive. D’autres ont émis l’hypothèse de freins défectueux sur certains wagons. À la suite du déraillement, les quatre dernières voitures se sont empilées dans un ravin et des cadavres y gisent peut-être encore.
Peu de temps après l’accident, le ministre des Transports, manifestement mal informé et cherchant à couvrir les autorités, a déclaré à la télévision qu’il voulait « apporter un démenti catégorique à une information malveillante qui fait état d’un déraillement ». Beaucoup de Camerounais réclamaient sa démission.
Mais la responsabilité essentielle appartient à la Camrail. Cette société a succédé à la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun, lorsque cette dernière a été privatisée en 1999. Le groupe Bolloré y est largement majoritaire, avec 77,4 % du capital. Ce même Bolloré possède les installations d’un grand nombre de ports de l’Afrique de l’Ouest, dont le terminal pour conteneurs à Douala, ainsi que divers chemins de fer.
Bien que sa publicité prétende que « Bolloré railways place la sécurité avant tout », en réalité, la ligne camerounaise n’était pas particulièrement soignée. Construite à voie étroite, du temps de la colonisation – un mètre entre les rails, alors que l’écartement international est de 1,43 mètre – elle nécessite des locomotives anciennes adaptées à cet écartement. L’ensemble est donc un matériel ancien, vieillissant, inadapté et faisant courir des risques.
Bolloré, patron de presse et de télévision, qui au même moment faisait face à une grève à i-Télé, et qui possède le journal gratuit Direct Matin, voulait que cela ne se sache pas. Dans une dépêche de l’AFP faisant état de la catastrophe ferroviaire du Cameroun et signalant que la Camrail appartenait à Bolloré, cette précision a disparu du journal imprimé.
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Serviteur à vie de l’impérialisme français
Le 22 octobre 2018, Paul Biya a sans surprise été réélu président du Cameroun. Ce dictateur perpétue depuis 36 ans un pouvoir basé sur la corruption, la défense des intérêts de l’impérialisme français et une féroce dictature.
Paul Biya a bien rempli le rôle que lui assignaient les dirigeants de l’impérialisme français. Le pétrole, les minerais, le bois ont été bradés aux multinationales. Les trusts français en profitent largement. Les compagnies françaises, Total et Perenco, assurent l’exploitation, le raffinage et la distribution du pétrole. Rougier y a exploité les bois précieux jusqu’en juillet 2018. Et on pourrait allonger la liste des sociétés françaises ou étrangères qui pillent le pays.
Cette vente à l’encan des ressources du pays va de pair avec une corruption massive. Chaque contrat donne lieu à des versements de pots-de-vins qui profitent avant tout au président et à son clan, mais aussi à une multitude de responsables à tous les niveaux. Les opposants, eux, sont systématiquement pourchassés, emprisonnés et parfois purement et simplement exécutés. En 2008, la répression des manifestations contre la vie chère fait plus d’une centaine de morts dans les grandes villes du pays.
Cette terreur systématique a aujourd’hui des conséquences particulièrement dramatiques dans la partie anglophone du pays. L’existence de cette minorité d’environ 20 % de la population est l’une des nombreuses aberrations de l’histoire coloniale. Le Cameroun fut en effet une colonie allemande jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, à l’issue de laquelle la France et la Grande-Bretagne reçurent chacune le mandat de gouverner une partie du pays. Lors des indépendances des années soixante, une partie de la zone anglaise choisit de fusionner avec le Nigeria mais une autre, riche en gaz et en pétrole, se rallia au Cameroun francophone, attirée par la promesse d’un État fédéral.
Depuis, les Camerounais anglophones subissent la même oppression que le reste du pays, mais leur situation particulière a donné naissance à des mouvements réclamant un statut d’autonomie. D’abord le fait d’intellectuels, cette opposition a peu à peu évolué, du fait de la répression du pouvoir, vers des grèves d’enseignants et d’avocats il y a deux ans, pour en arriver aujourd’hui à des groupes armés. La population de la zone est aujourd’hui prise entre les feux croisés de l’armée camerounaise et de mouvements indépendantistes qui ont proclamé l’indépendance de l’Ambazonie, le nom qu’ils donnent à la région. Les deux bandes armées se disputent en fait le contrôle des énormes richesses du sous-sol de la région. Ainsi, les élections, qui n’ont pratiquement pas pu avoir lieu, ont été précédées d’un exode massif de la population craignant les violences des deux camps. Tel est le bilan du régime de prédation mis en place au Cameroun par l’impérialisme français.22
Économie
L'économie du Cameroun est la plus diversifiée d’Afrique centrale, non seulement grâce à de nombreuses implantations étrangères mais aussi à de nombreux groupes nationaux. On retrouve dans le pays, des activités très variées notamment dans les secteurs forestiers et agricoles (cultures de rente et vivrières), les hydrocarbures, l’industrie autour des boissons, sucrerie, huilerie, savonnerie, minoterie, aluminium, ciment, métallurgie, première transformation du bois, etc.
Le pays dispose également de ressources naturelles agricoles (bananes, cacao, café, coton, miel), forestières, minières (bauxite, fer, cobalt, nickel, manganèse, diamant, marbre) et pétrolières. Les compagnies minières junior de Vancouver ou de Toronto, jugeant qu'il "sera un pays minier de grande ampleur dans les années à venir".
La population active se répartissait en 2010 entre secteurs primaire (19,7 %), industriel (31,4 %) et tertiaire (48,9 %). 75 % de la main-d'œuvre urbaine travaillerait dans le secteur informel et 6 ménages sur 10 tireraient au moins une partie de leurs revenus de ce secteur informel. Cette importance du secteur informel aurait tendance à croître de plus en plus depuis la crise économique.23
En 2007, 39% de la population vivait sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale.24
Sources