Le Sénégal

 

Le Sénégal est bordé par l'océan Atlantique à l'ouest, la Mauritanie au nord et à l'est, le Mali à l'est et la Guinée et la Guinée-Bissau au sud. La Gambie forme une quasi-enclave dans le Sénégal, pénétrant à plus de 300 km à l'intérieur des terres. Les îles du Cap-Vert sont situées à 560 km de la côte sénégalaise. La capitale du pays est Dakar.

 

Premiers royaumes

Les peuplements se sont progressivement consolidés pour aboutir à la création des premiers royaumes qui se forment au VIIe siècle, les Toucouleurs fondent le Tekrour, le Royaume du Namandirou, puis le Djolof, avec de lointaines parentés avec l'empire du Ghana. Parmi les différents royaumes, le plus puissant au XIVe siècle était l'empire du Djolof qui regroupait le Cayor, le Baol, les royaumes sérères du Sine et du Saloum, le Waalo, le Fouta-Toro et le Bambouk. Au sud du pays, l'État du Kaabu, puis le Fouladou.

Le Djolof était un empire fondé par Ndiadiane Ndiaye, premier bourba (roi) djolof. Il avait été élu comme chef dans ce qui allait devenir le royaume du Oualo, au nord-ouest de l'actuel Sénégal, dans la région du fleuve. Il avait réuni toutes les populations d'ethnie wolof pour fonder cet empire au XIIIe siècle. L'empire s'effondra en 1549, avec la mort du dernier empereur du Djolof, Lélé Fouli Fak, tué par Amary Ngoné Sobel Fall, alors chef de la région du Cayor.

Le Djolof est resté vassal de l'empire du Mali pendant un siècle. À partir de là, les autres États allaient, tour à tour, prendre leur indépendance jusqu'à réduire le grand empire du Djolof aux dimensions d'une royauté dans la partie centrale du pays.1

L´arrivée des Européens précipite l´autonomie des petits royaumes qui étaient sous l´emprise du Djolof. Moins dépendants du commerce transsaharien grâce aux nouvelles voies maritimes, ils se tournent plus volontiers vers les échanges avec le Nouveau Monde. Le déclin de ces royaumes s'explique notamment par les rivalités internes, puis par l'arrivée des Européens qui organisèrent les départs massifs de jeunes Africains vers le Nouveau Monde. Razzias, guerres, épidémies et famines accablent les populations, tandis que les puissants pratiquent le commerce des esclaves, en échange d'armes et de produits manufacturés. Sous l’influence de l’islam, ces royaumes se transforment et les marabouts y jouent un rôle croissant.2

L'islam est introduit au Sénégal pour la première fois entre le VIIIe siècle et le IXe siècle par le biais des commerçants arabo-berbères. Ils diffusent pacifiquement cette religion et convertissent les Toucouleurs, lesquels la propageront partout au Sénégal. Plus tard, au XIe siècle, les Almoravides, aidés des Toucouleurs, tentent d'islamiser les groupes de religion traditionnelle par le Djihad. C'est l'une des raisons qui entraîne la migration des Sérères vers le Sine-Saloum, des Wolofs, des Peuls et des Mandingues, qui étaient tous concentrés au Tekrour. Une légende populaire, chantée par les griots et illustrée par le poète-président Senghor, rattache d'ailleurs la filiation du premier Bourba Djolof Ndiadiane N'Diaye à la dynastie des Almoravides (fondatrice de Marrakech et responsable de l'attaque repoussée par le célèbre « Cid »). L'islam se propage très tôt dans l'empire du Djolof. Mais c'est au XIXe siècle qu'il gagne véritablement l'ensemble des populations, pacifiquement, grâce aux marabouts et leurs confréries tels que El Hadji Malick Sy pour la tidjaniya ou Amadou Bamba, fondateur de la confrérie mouride, qui émerveillent les populations par leur érudition et leurs miracles. C'est également un moyen pour les populations de s'unir et se protéger contre les ravages que connaissent les royaumes au XIXe siècle (djihads répétés, colonisation forcée).

Le XIXe siècle est en effet marqué par la chute des royaumes, l'avancée des colons européens ainsi que par la résistance anticoloniale.

 

Colonisation

La conquête coloniale commence dès la découverte de ces terres en 1442 par le navigateur vénitien Cadamosto pour le compte du Portugal. Les Portugais se lancent alors rapidement dans la traite des Noirs, mais devront bientôt faire face à la concurrence des négriers britanniques, français et hollandais à travers le Commerce triangulaire.

Les Hollandais fondent un comptoir sur l'île de Gorée, la France établit en 1659 celui de Saint-Louis qui deviendra la première capitale du Sénégal. En 1677, les Français occupent à leur tour l'île de Gorée (un des principaux centres du commerce des esclaves avec Saint-Louis et le fort de l'île James en Gambie).3

 

Une économie de traite

Les Européens étaient parfois déçus parce qu'ils espéraient trouver davantage d'or en Afrique de l'Ouest, mais lorsque le développement des plantations aux Amériques, principalement aux Caraïbes, au Brésil et dans le sud des États-Unis actuels, suscite d'importants besoins en main-d'œuvre bon marché, la région bénéficie soudain d'un surcroît d'attention. La papauté qui s’était quelquefois opposée à l’esclavage, ne le condamne plus explicitement à la fin du XVIIe siècle : de fait l’Église a elle-même des intérêts dans le système colonial. Le trafic de « bois d’ébène » constituent aussi un enjeu pour les guerriers qui traditionnellement réduisent les vaincus en esclavage, pour certains peuples spécialisés dans le commerce des esclaves – c’est le cas des Dyula en Afrique occidentale –, pour les États et les royaumes qui s’affrontent par ailleurs, ainsi que pour les négociants privés qui comptent bien s’enrichir dans le commerce triangulaire, même si certaines expéditions se soldent parfois par de véritables catastrophes financières. L’instabilité politico-militaire de la région est aggravée par les traites.

Le Code noir, édicté en 1685, réglemente la traite des esclaves dans les colonies américaines. Au Sénégal, des comptoirs de traite sont établis à Gorée, Saint-Louis, Rufisque, Portudal et Joal, mais la haute vallée du fleuve Sénégal, notamment avec le fort de Saint-Joseph de Galam, constitue au XVIIIe siècle un moteur de la traite française en Sénégambie.

En parallèle, une société métisse se développe à Saint-Louis et Gorée.

L’esclavage est aboli par la Convention nationale en 1794, puis rétabli par Bonaparte en 1802. Aboli dans l’empire britannique en 1833, en France il l'est définitivement par la IIe République en 1848, sous l'impulsion de Victor Schoelcher.

 

L'affaiblissement progressif de la colonie

En 1815 le Congrès de Vienne abolit la traite des Noirs. Mais cela ne change pas grand chose économiquement pour les Africains.

Après le départ du gouverneur Schmaltz (il était entré en fonction au terme du naufrage de la Méduse), c'est le baron Roger. Il encourage notamment le développement de l'arachide, « la pistache de terre », dont la monoculture sera pendant longtemps la cause du sévère retard économique du Sénégal. En dépit de l'acharnement du baron, l'entreprise se solde par un échec.

La colonisation de la Casamance se poursuit également. L'île de Karabane, acquise par la France en 1836, est profondément transformée entre 1849 et 1857 par le Résident Emmanuel Bertrand-Bocandé, homme d'affaires nantais.

 

La colonisation moderne

Commencée au XVIIe siècle la colonisation française perturbe entre autres, la culture du pays. L'arrivée du général Faidherbe marque un tournant dans son ambition et ses modalités.

Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865, pénètre lentement à l’intérieur du pays et jette les bases de la future Afrique-Occidentale française (AOF).

Dans une région où, après l’abolition de la traite négrière, l'agriculture est essentiellement vivrière (mil, sorgho, tubercules...), Faidherbe impose la culture de l’arachide. Il met fin à l'administration traditionnelle locale, crée des tribunaux indigènes et des écoles qui ne sont qu'un moyen d'exercer une menace sur les chefs locaux, telles que l'École des Otages, destinée aux fils de chefs et d'interprètes. Le 21 juillet 1857 le premier corps de tirailleurs sénégalais est créé par le gouverneur Faidherbe.

Conduites par le capitaine de vaisseau Protet, les troupes françaises prennent possession de la côte en 1857 et un petit fort y est construit, mais le chef de bataillon du génie Émile Pinet-Laprade qui élabore un premier plan cadastral en juin 1858 sera le véritable fondateur de Dakar. Les travaux du port de Dakar qui n'était à l'origine qu'un village de pêcheurs, commencent en 1862.

La France obtient le contrôle de la plus grande partie de l’Afrique occidentale à la Conférence de Berlin de 1884–1885, mais la Gambie est attribuée à la Grande-Bretagne.

À la fin du XIXe siècle tout le territoire de l’actuel Sénégal est tombé sous la domination française. En 1902, Dakar remplace Saint-Louis qui devient la capitale de l'Afrique-Occidentale française, l'une des colonies françaises.

 

Résistances

Faidherbe se heurte néanmoins à une vive résistance, notamment à celle de Lat Dior, Damel du Cayor. D'abord animiste, mais converti à l'islam sous l'influence du marabout Maba Diakhou Bâ, Lat Dior mène une véritable guerre sainte contre le colonisateur. En 1865 le Cayor est annexé, ce qui permet de relier Dakar à Saint-Louis par le rail. Lat Dior comprend le risque que représente pour lui l’arrivée du chemin de fer et résiste farouchement, mais il est tué lors de la bataille de Deukhlé le 27 octobre 1886. C'est aujourd'hui un héros national, l'une des plus grandes figures de l'histoire du Sénégal.

En 1850, El Hadj Omar, chef de la confrérie Tidjane, fonde un empire islamique qui s’étend de Tombouctou au Sénégal. Il est battu par la France en 1864, mais les Wolofs prennent le parti de Tall dans un conflit qui dure trente ans.

 

Vers l'assimilation ?

Citoyen français car natif de Gorée, l'une des « quatre communes », Blaise Diagne est le premier député africain élu à l'Assemblée nationale française en 1914. Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est nommé Commissaire de la République de l’ouest africain et chargé de la conscription des tirailleurs. Des troupes noires avaient déjà été enrôlées auparavant, mais ce conflit nécessite un effort particulier et la démarche consiste à faire de cet enrôlement « une affaire purement indigène ». Au sein de l'AOF, c’est le Sénégal qui semble avoir effectué l’effort de guerre le plus important, avec 1,7 % de la population, soit plus de 20 000 hommes. Blaise Diagne deviendra aussi sous-secrétaire d'État aux colonies du cabinet Laval.

En 1919, certains troubles agitent Dakar. Le tirailleur Cheikou Cissé, né au Soudan et blessé pendant la guerre, est condamné à la peine de déportation perpétuelle par le conseil de guerre de Dakar, et envoyé au bagne de Nouvelle-Calédonie. Mort en 1933, il a fait l'objet d'une lutte de la part des milieux anticolonialistes français (dont le Secours rouge international et la SFIC communiste).

Député en 1945, le magistrat Lamine Guèye donne son nom à la loi Lamine Guèye du 25 avril 1946, plus tard intégrée à la Constitution de la Quatrième République, « étendant la citoyenneté française aux indigènes des colonies françaises ».

Cette assimilation est généralement présentée comme une utopie ou un mythe.

 

La Seconde Guerre mondiale

Trois mois après l’appel lancé par le Général de Gaulle le 18 juin 1940 et la déclaration de Pétain du 22 juin, le contrôle politique et militaire de l'AOF constitue un véritable enjeu. Un affrontement naval au large de Dakar, connu sous le nom de bataille de Dakar ou « opération Menace », oppose du 23 au 25 septembre 1940 de Gaulle et les Alliés d'une part et les forces restées fidèles au gouvernement de Vichy, dirigées par le gouverneur-général Boisson, d'autre part. C’est un échec cuisant pour les forces franco-britanniques. L'AOF finit par se rallier à de Gaulle en novembre 1942, après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord.

Les Sénégalais font l'objet de multiples formes de discrimination raciale, car le régime de Vichy affirme clairement le principe de supériorité de la race blanche. En outre leur niveau de vie se détériore en raison des confiscations et de l'arrêt des importations françaises.

Pendant toute la guerre, le Sénégal fournit des tirailleurs à l'armée française. Sur les 63 000 engagés en France en 1940, 24 000 sont morts ou portés disparus au moment de l'Armistice. Ceux qui reviennent du front ont du mal à se réinsérer dans la société africaine et n'obtiennent pas la reconnaissance qu'ils espéraient. Le 30 novembre 1944, des tirailleurs se mutinent à Thiaroye, réclamant l’égalité de solde et de prime de démobilisation avec les soldats français. La répression fait 35 morts et de nombreux blessés.

En Casamance, la prêtresse charismatique Aline Sitoé Diatta incarne la résistance contre la domination coloniale et milite pour le refus de contribuer à l'effort de guerre exigé, mais elle est arrêtée et déportée en 1942.

Créé initialement en 1939, juste avant la Seconde Guerre mondiale, de fait le franc CFA naît officiellement le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d'Afrique ».

 

La marche vers l'indépendance

La Seconde Guerre mondiale contribue à une prise de conscience qui ouvre la voie à une autonomie progressive des colonies, puis aux indépendances. L’Empire colonial français cède d’abord la place à l’Union française en 1946 qui confère au Sénégal un statut de territoire d'outre-mer. Ces avancées sont pourtant jugées insuffisantes et la montée de l’anticolonialisme dans de nombreux pays aboutit au vote de la loi-cadre du 23 février 1956 qui permet au gouvernement de modifier le statut de ces territoires. Comme d’autres, le Sénégal conquiert une autonomie accrue, ainsi que le suffrage universel pour les hommes et les femmes.

 

En 1958, après son retour dans l’arène politique à la suite du putsch d’Alger, le général de Gaulle propose un projet de constitution soumis à un référendum dans tous les États africains. Lors du référendum constitutionnel du 28 septembre 1958, 97,2 % des Sénégalais optent pour le statut d'État membre dans le cadre de la Communauté et le pays se dote d'une constitution proche du modèle français.

 

Soucieux de préserver l’unité régionale, le Soudan français (actuel Mali) et le Sénégal fusionnent en janvier 1959 pour former la Fédération du Mali, qui devient complètement indépendante le 20 juin 1960 et dont la capitale est Dakar. Cette indépendance est la conséquence des transferts de pouvoirs convenus dans l'accord signé en France le 4 avril 1960. Un déséquilibre économique et des rivalités personnelles provoquent le démembrement de la fédération le 20 août 1960. Le Sénégal et le Mali déclarent leur indépendance et entrent séparément à l’ONU le 28 septembre 1960.

 

Le Sénégal adopte un régime parlementaire et Léopold Sédar Senghor, poète à la renommée mondiale, est élu président. Mamadou Dia, avec qui il avait fondé l’Union progressiste sénégalaise (UPS), est son Premier ministre.

 

Crise politique de décembre 1962

Alors que le Premier ministre Mamadou Dia incarne le sommet de l’État dans un système politique bicéphale (la politique économique et intérieure pour lui, la politique extérieure pour Senghor), ses relations avec le Président s’enveniment peu à peu. Dia milite pour une rupture plus nette avec la France et prépare une sortie planifiée de l'économie arachidière. Cette volonté, exprimée déjà en 1961 dans un ouvrage, heurte les intérêts français.

Dans un discours sur « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme » le 8 décembre 1962 à Dakar, le Premier ministre Mamadou Dia prône le « rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». Cette déclaration, à caractère souverainiste, motive des députés les jours suivants à déposer une motion de censure contre le gouvernement afin de marquer leur soutien à Senghor. Jugeant cette motion irrecevable, Mamadou Dia tente d'empêcher son examen par l'Assemblée nationale au profit du Conseil national du parti, en faisant évacuer la chambre le 17 décembre et en faisant empêcher son accès par la gendarmerie. Malgré ce qui est qualifié de « tentative de coup d'État » et l'arrestation de quatre députés, la motion est votée dans l'après-midi au domicile du président de l’Assemblée nationale, Lamine Guèye.

Mamadou Dia est arrêté le lendemain par un détachement de paras-commandos, avec quatre autres ministres, Valdiodio N'diaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils sont traduit devant la Haute Cour de justice du Sénégal du 9 au 13 mai 1963 ; alors que le procureur général ne requiert aucune peine, ils sont condamnés à 20 ans d’emprisonnement au centre spécial de détention de Kédougou (Sénégal oriental). Lors de leur incarcération, des personnalités comme Jean-Paul Sartre, le pape Jean XXIII ou encore François Mitterrand demandent leur libération. Mais Senghor reste sourd jusqu'en mars 1974, année à laquelle il décide de les gracier et de les libérer. Ils sont amnistiés en avril 1976, un mois avant le rétablissement du multipartisme au Sénégal. Parmi leurs avocats durant cette période, on compte Abdoulaye Wade et Robert Badinter.

Aujourd'hui encore cet épisode dramatique de l'Histoire du Sénégal reste un sujet délicat car beaucoup considèrent cet événement comme la première véritable dérive politicienne de la part de Senghor, dans un pays qui passait alors pour un modèle de démocratie.

 

L'hégémonie du Parti socialiste

Le 11 décembre 1962, Mamadou Dia, alors premier ministre du Sénégal, est arrêté et emprisonné pour avoir préparé un coup d’État. Le 7 mars 1963 une nouvelle constitution est adoptée par référendum, instaurant un régime présidentiel qui attribue tous les pouvoirs au chef de l’État et fait la part belle à l’UPS, le parti dominant, voire unique.

Le Sénégal s’engage peu à peu dans la voie de l’économie mixte et joue un rôle significatif dans le domaine diplomatique, notamment en négociant avec l’Afrique du Sud. Organisé à Dakar en 1966 à l'initiative du chef de l'État de l'époque, le président Senghor, le premier Festival mondial des arts nègres affirme pour la première fois la négritude de façon solennelle et festive.4

 

Le concept de négritude

« La négritude » est un courant littéraire et politique, créé durant l'Entre-deux-guerres, rassemblant des écrivains noirs francophones, dont Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop et René Depestre notamment. Lié à l'anticolonialisme, le mouvement influença par la suite nombre de personnes proches du Black nationalism, s'étendant bien au-delà de l'espace francophone.

La naissance de ce concept, et celle d'une revue, Présence africaine, qui paraît en 1947 simultanément à Dakar et à Paris, va faire l'effet d'une déflagration. Elle rassemble des Noirs de tous les horizons du monde, ainsi que des intellectuels français, notamment Sartre. Celui-ci définit alors la négritude comme : « la négation de la négation de l'homme noir ».

Pour Senghor, la négritude est « l'ensemble des valeurs culturelles de l'Afrique noire » ou encore : « La négritude est un fait, une culture. C'est l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Océanie. »

Pour Césaire, « ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l'assimilation culturelle ; le rejet d'une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique. »5

En juillet 1959, peu avant l'indépendance du Sénégal, Léopold Sédar Senghor présente, lors du congrès constitutif du Parti de la Fédération Africaine, le rapport Pour une voie africaine du socialisme. Senghor exprime sa vision du rôle du socialisme dans l'histoire de la négritude et dans le développement du continent africain. Senghor adopte certains éléments du marxisme mais juge les théories de Marx datées, et surtout inadaptées au contexte africain, car nées dans le contexte de la société européenne du XIXe siècle. Senghor mêle les concepts tirés de Marx à une spiritualité inspirée des travaux de Pierre Teilhard de Chardin et refuse l'athéisme ainsi que la notion de lutte des classes, jugeant cette dernière contraire à la tradition africaine d'unanimité et de conciliation. Le président sénégalais théorise un « socialisme existentiel » qui commencerait par assurer aux Africains l'abondance en développant les forces productives. Le socialisme vu par Senghor se marie avec le concept de négritude, qu'il envisage comme étant l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir ; pour lui, la victoire de la négritude est celle du socialisme.

Au niveau international, Senghor envisage, après avoir réussi sans violence la décolonisation, une nouvelle « décolonisation culturelle et économique », qui consisterait à remettre en cause le système impérialiste pesant sur les pays producteurs.

Mamadou Dia, Premier ministre de Senghor jusqu'à leur rupture en 1962, envisage la construction d'un socialisme dans la tradition communautaire, dans le cadre d'un plan économique établi avec un objectif global, qui serait celui d'une civilisation mondiale solidaire. Sur le plan économique, pour Senghor comme pour Dia, la coopérative doit être l'instrument clef du socialisme africain : les unités économiques de base doivent être les coopératives villageoises, qui combineront traditions africaines et valeurs démocratiques. Dans la pratique, néanmoins, les premières prennent le pas sur les secondes, et le Sénégal connaît une stagnation économique dès 1963 : l'Office national de commercialisation agricole pour le développement (ONCAD) est créé par la suite pour encadrer les Centres régionaux d'assistance au développement (CRAD) qui distribuent semences et matériels aux coopératives. Au plan idéologique, l'approche de Senghor fait l'objet de critiques, y compris dans les milieux politiques sénégalais, sur son aspect trop intellectualisant et davantage tourné vers une réflexion sur l'essence de l'africanité que vers une analyse des réalités sociales.6

Le 14 juin 1966, l'UPS – le parti du pouvoir – fusionne avec le Parti du rassemblement africain (PRA), alors seul parti d'opposition légal. Une nouvelle révision de la constitution est effectuée le 20 juin 1967.

Senghor est réélu le 25 février 1968 (personne ne s'était présenté contre lui). La situation est similaire pour les élections législatives où seul une liste se présente, celle de l’UPS. Néanmoins, la situation économique est mauvaise et des troubles sociaux éclatent, notamment à l’Université, dans la mouvance de mai 68. Un mot d’ordre de grève générale est même lancé, mais le gouvernement parvient à enrayer le mouvement. Les étudiants se remettent en grève en avril-juin 1969. L'état d'urgence est proclamé le 11 juin et Senghor prend conscience de la nécessité de démocratiser le pays.

La révision constitutionnelle du 26 février 1970 met en place un régime présidentiel plus modéré et crée un poste de Premier ministre qui est confié à Abdou Diouf.

La sécheresse de 1972 provoque de nouveaux troubles sociaux, et l’agitation augmente fortement dans les milieux scolaire et universitaire. Cependant, Senghor remporte l’élection présidentiel du 28 janvier 1973 avec 97 % des suffrages et Abdou Diouf reste Premier ministre.

En juillet 1974 la fondation du Parti démocratique sénégalais (PDS) est autorisé. Son dirigeant est Abdoulaye Wade. De plus, plusieurs prisonniers politiques, dont Majhemout Diop, sont libérés.

La révision constitutionnelle de 1976 n'autorise que trois partis politiques, nécessairement rattachés à l’une des trois idéologies suivantes : démocratie libérale, démocratie socialiste, communisme ou marxisme-léninisme, et, selon le modèle américain, désigne le Premier ministre comme successeur du Président en cas de défection de celui-ci. Les autres partis existants luttent pour obtenir leur reconnaissance officielle. Le 26 février 1978 Senghor est réélu pour la cinquième fois avec 82,5 % des voix. Son parti, l’UPS qui après son adhésion à l’Internationale socialiste est devenu le Parti socialiste (PS), l’emporte avec un score comparable devant le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Abdoulaye Wade. Le troisième parti, le Parti africain de l'indépendance (PAI), conduit par Majhemout Diop, n’obtient aucun siège à l’Assemblée nationale. Abdou Diouf demeure premier ministre.

 

Vers le pluralisme et la démocratie

En décembre 1980 Senghor annonce sa démission et, conformément à la Constitution, désigne comme son successeur Abdou Diouf qu’il a préparé à cette fonction de longue date. Le caractère exceptionnel – en Afrique, voire dans le monde – d’un retrait volontaire en cours de mandat présidentiel a été maintes fois souligné. Habib Thiam est nommé Premier ministre.

De fait cet héritage n’est pas de tout repos. Un incident dans une école de Ziguinchor dégénère et l’agitation gagne les milieux de l’enseignement dans tout le pays. Par ailleurs la situation économique est particulièrement critique, en raison de phénomènes naturels, de la conjoncture internationale, mais aussi d’erreurs de gestion imputables au gouvernement.

Abdou Diouf prend ses fonctions le 1er janvier 1981 et promet le pluralisme politique et la consolidation de l’ouverture démocratique. Dès le mois d’avril, la limitation du nombre des partis est abrogée. Le Code électoral est aussi remanié. Un scrutin mixte est adopté pour les législatives et le nombre de députés passe de 100 à 120. Abdou Diouf réduit aussi les interventions du gouvernement dans l’économie et élargit les engagements diplomatiques du Sénégal, en particulier avec les autres pays en développement.

Lorsque le Président gambien Dawda Jawara est victime d'un putsch le 30 juillet 1981, l'armée sénégalaise se porte à son secours et rétablit la situation en quelques jours. En décembre de la même année, Abdou Diouf signe avec Dawda Jawara un traité constituant la Confédération de Sénégambie, une union avec la Gambie dont le principe était posé depuis l’indépendance. Mais son application est suspendue en septembre 1989.

Lui-même sera réélu en 1983, 1988 et 1993, même si son score s’effrite à chaque consultation, passant de 84 à 73, puis à 58 % des suffrages. D'abord perçu comme un héritier, Abdou Diouf joue pleinement son rôle. Musulman, alors que son prédécesseur était catholique, il bénéficie du soutien des puissantes confréries.

D'abord reconduit le 27 février 1983, Abdou Diouf supprime quelques semaines plus tard le poste de Premier ministre. L'agitation estudiantine reprend en février 1987.

Lors de l’élection présidentielle du 28 février 1988 Abdou Diouf est encore réélu à une large majorité et le même jour le Parti socialiste remporte également les élections législatives. La régularité de ces consultations électorales est mise en doute par l’opposition.

 

Le conflit en Casamance

Peu enclins à la soumission, les Casamançais, le plus souvent d'origine diola, ont déjà résisté à l'islamisation, à l'esclavagisme et aux tentatives de mainmise de l'administration coloniale française. Or la promesse d'autonomie prêtée au président Senghor dans les années 1960 tarde à se concrétiser et la région, surnommée le « grenier du Sénégal », se sent plus que jamais pénalisée par son enclavement naturel – à la fois exploitée et négligée par le pouvoir central. Les tensions latentes éclatent au grand jour après le retrait de Senghor (Sérère et catholique) en 1981. Un premier incident se produit lors d'une manifestation indépendantiste à Ziguinchor le 26 décembre 1982, puis un autre, plus grave, le 6 décembre 1983, qui se solde par la mort de trois gendarmes et plusieurs blessés.

Des affrontements entre un groupe séparatiste, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), installé dans le sud de la Casamance, et les forces gouvernementales se succèdent alors pendant une vingtaine d'années, faisant plusieurs centaines de victimes au total. Des milliers de mines antipersonnel sont aussi enfouies dans le sol, entraînant l'exode des populations et l'arrêt brutal du tourisme qui avait pourtant connu un essor remarquable dans les années 1970.

Après l'échec de plusieurs cessez-le-feu en 1991, 1993 et 1999, un nouvel accord est signé à Ziguinchor le 30 décembre 2004 entre le ministre de l'Intérieur Ousmane Ngom et l'abbé Augustin Diamacoune Senghor, chef du MFDC. Celui-ci meurt deux ans plus tard, tandis que les factions rebelles continuent de s'entre-déchirer.

Dans l'intervalle le déminage et la reconstruction de la région se poursuivent et les touristes y reviennent peu à peu, mais des incidents ou des accidents continuent de se produire ponctuellement.7

 

La crise entre le Sénégal et la Mauritanie

Entre 1989 et 1991, le conflit sénégalo-mauritanien a opposé le long du fleuve Sénégal deux pays riverains, la Mauritanie et le Sénégal.

Les deux pays riverains du fleuve Sénégal sont impliqués dans un conflit qui puise notamment ses sources dans un affrontement ethnique de longue date. Depuis plusieurs siècles la région du fleuve est habitée à la fois par des populations noires autochtones peul, wolof, bambara et soninké et des populations arabo-berbères en provenance du nord. Les périodes de sécheresse successives accentuent encore ces mouvements migratoires et les nomades maures tendent à se sédentariser, notamment dans les villes. L'OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve) et notamment la construction des barrages, tel celui de Diama, altèrent encore l'équilibre précaire entre éleveurs et agriculteurs. En Mauritanie la réforme foncière de 1983 renforce la place de l'État et s'éloigne des régimes coutumiers, soulevant avec plus d'acuité le problème des nombreux paysans transfrontaliers. En parallèle le pays, soucieux de renforcer son identité au sortir de l'indépendance, a renforcé ses liens avec le monde arabe, alors que le Sénégal reste attaché à la francophonie.

C'est ainsi que le poids de l'histoire et notamment de la colonisation par ses délimitations artificielles, les affrontements inter-ethniques, la dégradation de l'environnement physique et économique, conduisent dès 1988 à une dégradation des relations entre les deux États qui, d'incident en incident, durcissent leurs positions respectives. Une situation explosive se crée, que ne manqueront pas d'attiser les médias, prompts à privilégier la dimension ethnique du conflit.8

Les premiers incidents frontaliers significatifs éclatent en avril mai-juin 1989. Peu après les commerçants mauritaniens de Dakar sont pillés et les Sénégalais de Nouakchott subissent de graves violences. Les deux pays décident de rapatrier leurs ressortissants. Cette crise se solde par la rupture des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Mauritanie qui ne seront renouées que le 3 avril 1992, des dizaines de milliers de victimes dans les deux pays, des milliers de réfugiés de part et d'autre, dont beaucoup attendent encore leur retour, sans parler des répercussions non négligeables sur la politique intérieure sénégalaise. Elle marque durablement les relations entre les différentes communautés.9

 

Élection présidentielle : Diouf battu, Wade n'apportera pas le changement

Le 19 mars 2003, Abdoulaye Wade, candidat libéral du PDS (Parti Démocratique Sénégalais), est sorti vainqueur du second tour de l'élection présidentielle. Cela met fin à quarante ans de domination du Parti Socialiste dont les leaders, au travers de Léopold Senghor puis d'Abdou Diouf, se sont succédé au pouvoir depuis 1960, date de l'indépendance du Sénégal.

La victoire d'A. Wade a été accueillie par une foule en liesse dans les bidonvilles de Dakar et les faubourgs de toutes les grandes villes du pays. Elle exprimait ainsi son mécontentement à l'égard du président sortant.

Depuis 1981, Diouf était à la tête de l'État après avoir été des années durant le Premier ministre de Senghor. Il s'était surtout fait remarquer comme un bon valet de l'impérialisme français. Durant ces deux décennies, la situation de la population sénégalaise, et plus particulièrement des couches les plus pauvres, n'a cessé de se dégrader dans les villes comme dans les campagnes. Tandis que le clan de Diouf et la caste dirigeante plongeaient à pleines mains dans les caisses de l'État et protégeaient les profiteurs de tout poil, Diouf a appliqué la politique d'austérité que lui dictaient le FMI et ses bailleurs de fonds français et américains. Cela a conduit à des coupes franches dans les budgets sociaux (hôpitaux, éducation...), à l'abandon de nombreux services publics comme le ramassage des ordures ou l'entretien des routes, au blocage des salaires et à des licenciements massifs dans la fonction publique. La dévaluation brutale du franc CFA en 1994, imposée par la France et qui a divisé par deux la parité entre la monnaie locale et le franc français, n'a fait qu'amplifier la paupérisation, en provoquant l'augmentation des médicaments, des produits alimentaires et des vêtements importés. Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, 400 000 personnes vivraient en 2003 avec moins de 75 centimes par jour dans les bidonvilles de Dakar.

Pourtant, la population pauvre n'avait pas grand-chose à attendre de celui qui s'est présenté comme l'incarnation du " sopi " (changement, en langue wolof). Car Wade, comme tous ceux qui s'opposaient à Abdou Diouf dans ces élections, n'était qu'un vieux routier de la politique et un démagogue qui avait lui aussi sa part de responsabilité dans la situation économique du pays. Après avoir rejoint L. Senghor, il fut longtemps un des cadres du PS avant de rompre avec lui en 1973. Passé dans l'opposition, à de multiples reprises il a tenté d'offrir ses services à A. Diouf. Il fut même par deux fois, en 1992 et 1995, son ministre d'État. À ce titre, il a cautionné la politique d'austérité et toutes les attaques contre le monde du travail. Le fait qu'il présentait Moustapha Niasse, arrivé troisième des candidats du premier tour et fraîchement rallié à Wade, comme son futur Premier ministre, était tout un symbole. Après avoir été directeur de cabinet de Senghor et ministre de Diouf pendant dix-sept ans, Niasse a attendu jusqu'en 1999 pour rompre avec Diouf et le PS.

Alors, si les travailleurs, les paysans et les petites gens n'avaient rien à regretter dans le fait d'avoir mis fin au règne de Diouf, ils n'avaient pas grand-chose à attendre de son successeur. Abdoulaye Wade a su canaliser les voix de tous les mécontents, mais il n'allait pas défendre d'autres intérêts que ceux de son clan et ceux des privilégiés. En tout cas, il n'incarnait aucunement le changement politique et social que la population sénégalaise attendait.10

 

Présidence d'Abdoulaye Wade

Le 26 septembre 2002 le Sénégal vit une tragédie nationale avec le naufrage du Joola, le ferry qui reliait Dakar à Ziguinchor en Casamance. Plus de 1 800 passagers y perdent la vie. Les négligences constatées suscitent une forte rancœur à l’égard des pouvoirs publics. La région, déjà affectée par son enclavement, perd sa liaison maritime pendant trois ans et l'île de Karabane, ancienne escale, ne peut plus compter que sur les pirogues.

Ce drame n'est pas sans conséquences sur la carrière de Mame Madior Boye qui est remplacée par Idrissa Seck, maire de Thiès et numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS). Seck sera Premier ministre du 4 novembre 2002 au 21 avril 2004. Son ministre de l'Intérieur Macky Sall lui succède lorsqu'il tombe en disgrâce en raison de ses responsabilités dans la gestion des chantiers de Thiès et peut-être de ses ambitions nationales.

Abdoulaye Wade est facilement réélu lors de l’élection présidentielle de 2007, et malgré le mot d'ordre de boycott de l'opposition lors des élections législatives consécutives, il dispose d’une majorité écrasante à l'Assemblée nationale et au Sénat, rétabli en début d'année.

Le Président mène une politique libérale ouvertement revendiquée. Le Sénégal devient une terre d’élection pour les investisseurs d’Europe, mais aussi des émirats du Golfe – c'est le cas de Dubaï Ports World qui enlève l’exploitation du port de Dakar –, du Brésil, de Chine, d’Iran ou d’Inde – par exemple avec le géant mondial de la sidérurgie, Arcelor Mittal. Abdoulaye Wade appelle également à la création d’États-Unis d’Afrique et de grands travaux d’infrastructures ont été lancés en vue du 11e sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui s’est tenu à Dakar en mars 2008.

La politique gouvernementale essuie des revers, comme l’inexorable recul du secteur agricole (arachide, coton…), l’effondrement de l’industrie chimique en 2006, le développement insuffisant du secteur tertiaire ou l’engorgement persistant de la capitale. Le pays reste très dépendant de l’aide extérieure, notamment des subsides envoyés par l’importante diaspora sénégalaise. Le ralentissement de la croissance et un taux de chômage élevé poussent bien des jeunes Sénégalais à l’émigration, parfois au péril de leur vie. L’augmentation du coût de la vie, notamment liée à la hausse des cours du pétrole, suscite des manifestations de rue en novembre 2007.11

 

Entre 2000 et 2010, Wade relève la situation économique du pays avec un taux de croissance (+ 4 %) supérieur à celui des années 1990, une inflation contenue et des ressources de l’État en augmentation. Mais elle se détériore au début de son quinquennat avec en 2008 une dette publique qui atteint 21,4 %, une croissance de 2,5 %, contre 4,3 % en moyenne pondérée sur les dernières années, et un chômage qui ne baisse pas, atteignant 47 % de la population active, plaçant le revenu de 54 % des Sénégalais sous le seuil de pauvreté. Le pays conserve sa quatrième place dans les économies d'Afrique de l'Ouest, malgré la perte d'attrait de la Côte d'Ivoire du fait des troubles intérieurs, et l'afflux de l'aide internationale qui équivaut à plus de 10 % du PIB sénégalais.

 

Manifestations contre la vie chère

Des troubles liés à la « vie chère » naissent en 2008, alors que le FMI note que « le choc engendré par l’augmentation des prix des aliments et de l'énergie a eu un impact sur la balance des paiements qui représentait 5,25 % du PIB en 2008 » ; les problèmes sont aggravés par les retards de paiement du secteur public.12

La population laborieuse connaît les pires difficultés pour se nourrir à cause de la flambée des prix, notamment du riz, de l'huile, du pain et du lait en poudre. Cinq à six mille personnes ont à nouveau manifesté dans les rues de Dakar le 26 avril 2008. À l'initiative des partis d'opposition au président Wade, cette manifestation avait comme objectif de protester contre la vie chère mais aussi contre le report des élections locales. De nombreux manifestants portaient des T-shirts où l'on pouvait lire : " On a faim, ça suffit ! ". Ils brandissaient également des sacs de riz vides et des casseroles.

Cette situation n'a pourtant rien de naturel. Au moment de la crise, dans le dernier numéro de leur mensuel Le Pouvoir aux Travailleurs, l'Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes donnent quelques explications en ce qui concerne le riz :

Au Sénégal, il ne manque ni la terre ni l'eau pour cultiver du riz. Même la Casamance, qu'on a coutume d'appeler " le grenier du Sénégal ", est obligée d'importer cette denrée. Plusieurs facteurs entrent en compte dans l'explication de cette raréfaction du riz local. Il y a le fait qu'à cause de l'état de guerre que connaît cette région depuis plus de vingt ans, les paysans ont été contraints d'abandonner leurs terres pour trouver refuge en ville. La plupart de leurs terres sont transformées en champs de mines.

En dehors de la Casamance, il y a la région du fleuve, où les terres et l'eau ne manquent pas. Mais au lieu de cultiver des produits vivriers, les paysans ont été littéralement contraints de pratiquer des cultures d'exportation comme l'arachide. Cela rapporte des devises à l'État. Ce dernier a préféré importer du riz, soi-disant meilleur marché que celui produit localement. On se souvient que, sous la présidence d'Abdou Diouf, c'est la famille de ce dernier qui avait le monopole de l'importation du riz. Plus on en importait, plus elle s'enrichissait. C'est ainsi que même le peu de riz qui était cultivé localement a décliné petit à petit jusqu'à devenir quantité négligeable. Alors que l'État a su trouver des engrais, des semences et des techniciens pour encourager la culture de l'arachide, les cultures vivrières ont été délaissées parce que non rentables aux yeux des dirigeants. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance n'ont fait que continuer ce que le colonialisme français avait imposé au Sénégal.

(...) Le Sénégal pourrait produire du riz sans grande difficulté, pour peu que les autorités s'y impliquent sérieusement. Il pourrait aussi agir énergiquement sur les prix, en baissant par exemple les taxes douanières sur les denrées de base, en obligeant les commerçants grossistes, les détaillants et les transporteurs à réduire leurs marges bénéficiaires sur ces produits. Il pourrait en même temps, s'il en avait la volonté politique, relever les salaires, à commencer par ceux qui sont au bas de l'échelle. Mais le gouvernement ne fera rien de tout cela s'il n'y est pas contraint par la force.13

 

Corruption, pauvreté et instabilité gouvernementale

Décrit comme mégalomane et machiavélique, cherchant à rester dans l'Histoire mais aussi au pouvoir, Abdoulaye Wade est soupçonné de couvrir la corruption de sa famille et de ses proches et alimente progressivement par sa gestion du pouvoir les craintes.

Ainsi, en 2000, une des ses premières décisions est de dissoudre le Conseil économique et social et le Sénat, en le justifiant par des raisons d'économies et leur inutilité, mais il leur redonne vie en mai 2007, en choisissant lui-même les 65 sénateurs. Il modifie plusieurs fois la constitution sans aucune consultation ni validation des chambres parlementaires, établissant le quinquennat en 2001 et rétablissant le septennat en 2008.

Après quarante ans de pouvoir socialiste, le paysage politique est devenu instable sous sa présidence, avec de nombreuses allées et venues entre les partis politiques du fait d'une gestion solitaire du pouvoir. Il nomme six Premiers ministres, quatre présidents de l'Assemblée nationale, trois chefs d'état-major généraux des armées et plus d'une centaine de ministres, dont certains ne sont restés en poste que quelques mois. Le président Wade a promu plus de généraux en sept ans qu'Abdou Diouf et Senghor en 40 ans. Des traditions ont été rompues en nommant un commandant des pompiers au grade de général, un chef d’état-major particulier du président de la République issu de la gendarmerie, un général nommé à l'intendance.14

« Le Sopi », « changement » en wolof, avait suscité d’immenses espoirs pour la population sénégalaise, mais au bout de cette aventure politique, c’est le désenchantement. Le pays s’enfonce dans la corruption avec notamment l’affaire de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci), dirigée par le fils de Wade, Karim, qui pour les seuls frais de fonctionnements, a coûté plus de 16 milliards de francs CFA. Il connaît une désorganisation grandissante, à l’image des multiples délestages d’électricité que subissent quotidiennement les populations. Les prix des produits de première nécessité explosent, le kilo de sucre de 500 FCFA est passé à 700, l’huile de 3 000 à 3 700 et la bonbonne de gaz a elle aussi augmenté de 500 FCFA. Le taux de chômage est de 49 %, l’espérance de vie atteint péniblement 56 ans et l’indice de développement humain place le Sénégal en 144e position sur 169, révélant la situation catastrophique du pays.15

Wade avait promis du travail pour les jeunes, mais le chômage frappe plus de la moitié de la population active et pousse chaque année des milliers de jeunes à risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour tenter de gagner clandestinement un pays européen. Les hôpitaux, les écoles, les transports publics, le réseau électrique ainsi que les canalisations d'évacuation des eaux sont également à l'abandon ; résultat, la population subit d'incessantes coupures de courant et de nombreuses maisons sont envahies par les eaux à la moindre pluie.

La situation ne vaut pas mieux dans les campagnes. Les paysans ne disposent que de moyens archaïques et ne peuvent couvrir les besoins alimentaires du pays. Ils sont de plus exposés à l'accaparement des terres arables que le gouvernement cède complaisamment à des sociétés étrangères qui ne visent nullement à satisfaire la population sénégalaise mais développent des cultures destinées à l'exportation.

La corruption et les détournements de fonds publics sont monnaie courante. Wade a mis le pays en coupe réglée, offrant de nombreuses sinécures à sa femme, ses enfants et à ses proches.16

L'érection du monument de la Renaissance africaine, inauguré en avril 2010, ignoré par les touristes et critiqué pour son coût pharaonique, son financement opaque, la participation du régime autocratique de la Corée du Nord, est désigné comme un symbole de sa mégalomanie.

Les principaux cadres du parti au pouvoir, le PDS, ont été progressivement écartés (Idrissa Seck, Macky Sall, Aminata Tall...) alors que la question de la future succession d’Abdoulaye Wade, réélu à 80 ans, se pose.

Quand, dans une atmosphère de fin de règne, il propose une modification du scrutin présidentiel afin de permettre l'élection d'un « ticket » (président et vice-président) à la tête de l'exécutif avec seulement 25 % des voix au premier tour, Abdoulaye Wade est soupçonné de chercher à se maintenir au pouvoir et à attribuer la fonction de vice-président à son fils Karim qui lui succéderait automatiquement s'il venait à quitter la tête du pays. Devant les violentes manifestations qui éclatent en juin 2011, principalement à Dakar, Abdoulaye Wade renonce à son projet le 23 juin.

Les magistrats se plaignent d'un usage politique de la justice, et on assiste sous le régime de Wade à un recul des libertés individuelles : journalistes emprisonnés, manifestations réprimées, gardes à vue et convocations fréquentes devant les tribunaux. Il lui est aussi reproché de favoriser sa confrérie religieuse, celle des Mourides, au détriment d'une stabilité religieuse qui faisait la réputation du Sénégal.

Au niveau international, il s'appuie sur des nouveaux partenaires économiques au Moyen-Orient et en Asie et promeut le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), projet panafricain visant à faire entrer l'Afrique dans le commerce mondial et à se libérer de l'assistanat. Mais il s'isole diplomatiquement, en se positionnant contre l'avis de l'Union africaine concernant la crise libyenne, tandis que les principaux partenaires du Sénégal, les États-Unis et la France, critiquent son attachement au pouvoir.

À partir de la fin 2011, plusieurs mouvements sociaux se forment, dans le secteur médical, celui des transports et dans l'éducation nationale. Critiqué à Dakar, en particulier par la jeunesse, mais conservant en partie sa popularité dans les campagnes, Abdoulaye Wade est investi, le 23 décembre 2011, candidat du Parti démocratique sénégalais à l'élection présidentielle de 2012.

Malgré la contestation de l’opposition politique et civile, réunie au sein du M23 (« Mouvement du 23 juin », en référence aux manifestations de juin 2011), pour laquelle cette nouvelle candidature est inconstitutionnelle du fait qu'il a déjà effectué deux mandats, la présence au scrutin présidentiel de Wade est validée par le Conseil constitutionnel le 27 janvier 2012, contrairement à celle de Youssou N'Dour.

Comme craint par les observateurs, cette annonce entraîne des affrontements violents jusqu'à la fin de la campagne électorale qui font au moins six morts.

À l'issue du premier tour, lors duquel Wade vote sous les huées d'opposants, il arrive en tête avec 34,81 % des suffrages exprimés, mis en ballotage par son ancien Premier ministre, Macky Sall, alors qu'il espère une large victoire dès le premier tour. Il est battu le 25 mars 2012 par Macky Sall, qui recueille 65,80 % des voix. Wade félicite le vainqueur au soir du second tour et quitte ses fonctions présidentielles le 2 avril 2012.17

Deux polémiques marquent alors les premiers jours de Macky Sall à la présidence du Sénégal : sa visite à son homologue français, Nicolas Sarkozy, à quelques jours de sa défaite à la présidentielle française, et la publication de son patrimoine, dont les 1,3 milliard de Francs CFA étonnent.18

 

Macky SALL ou le changement dans la continuité coloniale

Par Komla Kpogli.

Dans une Afrique où il est de coutume pour les tyrans de s’accrocher à leur fameux fauteuil présidentiel, lorsque dans un territoire un satrape perd le pouvoir, c’est plutôt normal que les partisans du changement pour le changement soient aux anges. Des Africains du territoire du Sénégal et beaucoup d’autres étaient à la fête après que Abdoulaye Wade ait été sorti et qu’on ait porté, par vote, à sa place son ancien premier ministre Macky Sall. Mais si on prenait un peu de recul, on constatait que ce changement n’annonçait rien de nouveau et même, il faut oser le dire, rien de bon. C’était juste un changement de personne pour mieux ancrer le système.

Tout d’abord : le nouvel élu se définit lui-même comme un libéral. Wade est aussi un libéral et il l’a toujours revendiqué et assumé. Qu’est-ce dont qu’un libéral dans le champ politico-économique ? Un libéral c’est un partisan sur le plan politique de la démocratie et des libertés individuelles ; et sur le plan économique c’est un capitaliste. Dans le contexte africain où les États ne sont que le visage d’autrui, l’expérience a montré que le libéral est un fervent partisan de la suppression des barrières douanières, de la libéralisation du mouvement des capitaux, de la construction des infrastructures moins rentables pour le pays mais bénéfiques aux entreprises transnationales, de l’augmentation des taxes et impôts, de la privatisation des secteurs publics de l’eau, de l’électricité, de la réduction des dépenses de santé, de l’éducation, de la réduction des salaires, du blocage des avancements voire du dégraissage dans la fonction publique, de la suppression de tout soutien public aux agriculteurs et de tous les frais affectés au bien-être de notre peuple. Bref, le libéral est celui qui a pour mission de transposer mécaniquement le modèle libéral en Afrique et détruire la vision africaine de la vie en communauté. Et toutes ces mesures ne visent rien sauf à faire des économies pour payer la « dette » et attirer les « bailleurs » et les « opérateurs économiques étrangers ». Un libéralisme de plus en plus rejeté violemment dans son berceau occidental où on lui cherche désespérément des alternatives mais revendiqué sous les cieux africains. Macky Sall est de ceux-là qui vantent la fameuse initiative PPTE qui énonce débilement que plus un pays alourdit sa pauvreté et sa dette, plus il va vers son développement.

Ensuite : Macky Sall est un homme du système. Il a été nourri à la mamelle de l’ex-président Wade auprès de qui il a fait ses premières armes depuis les années 1980 au sein du PDS (Parti Démocratique Sénégalais). Élu président de la cellule Initiatives et Stratégies et secrétaire général de la Convention régionale du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Fatick en 1998, il fut l’un des artisans en 2000 de la victoire de Wade qui le récompense en le nommant Conseiller Spécial. Son ascension ne s’arrête pas là . En 2001, Sall devient ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique, puis ministre d’État en 2002 à différents postes. En avril 2004, il est nommé vice-président du comité directeur du Parti démocratique sénégalais (PDS) et le 21 avril 2001 Macky Sall est nommé Premier ministre par Abdoulaye Wade, poste qu’il occupe jusqu’à la réélection d’Abdoulaye Wade en 2007.

Continuant sa carrière, Sall passe de la primature à la présidence de l’Assemblée nationale le 20 juin 2007. C’est à ce poste qu’il va rencontrer sa première pierre d’achoppement. Certain d’être par son parcours politique un fils du président Wade, il "ose" convoquer Karim Wade, fils du président Wade à l’Assemblée pour audition sur les travaux de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI). Le courroux du vieux lion de la Teranga Wade est immédiat. Il opte pour les liens du sang en punissant le « fils politique » au bénéfice de Karim. Le poste de numéro 2 du PDS est supprimé par le comité directeur qui décide aussi de réduire le mandant du président de l’Assemblée de cinq à un an. L’infamie est insupportable pour Sall qui démissionne du PDS et crée son propre parti, l’Alliance pour la République. Comme on peut le voir, Macky Sall est un homme du système qui l’a fait du début jusqu’à son niveau actuel. Il ne l’a jamais remis en cause et ne le fera pas. Macky Sall se définissant comme un libéral n’a jamais posé de question sur l’économie coloniale dans laquelle le territoire du Sénégal baigne en compagnie de tous les autres avec le Franc CFA à l’appui. Jamais de question non plus sur les cultures coloniales notamment l’arachide dans laquelle le territoire du Sénégal excelle. Jamais, il n’a mentionné que le cadre africain est un cadre vicié et impropre au développement à cause de son extraversion absolue depuis des siècles à présent. Il n’a pas quitté le navire colonial (État colonial) parce que fondamentalement il est mauvais et que piloté avec la boussole étrangère, il ne peut donc que mener le peuple africain du Sénégal à l’accident final.

Enfin : Macky Sall est Grand Croix de l’Ordre national du Lion et Grand Officier de l’Ordre de la Pléiade de la Francophonie. Il a été surtout fait Grand Officier de la Légion d’Honneur française, le 25 mars 2008 en plein trouble avec son mentor Abdoulaye Wade par l’Ambassadeur français Jean-Christophe Ruffin. Les textes de la Légion sont clairs : « La Légion d’honneur est la plus haute décoration française. Elle récompense les mérites acquis par les citoyens, en dehors de toute considération sociale ou héréditaire et ce, dans tous les secteurs d’activité du pays. » La Légion d’Honneur n’est attribuée qu’aux français, comme le précise l’article R.16 du Code de la Légion d’Honneur. À titre exceptionnel toutefois les étrangers peuvent être décorés en fonction de leur personnalité et des services rendus à la France. Macky Sall est-il français ? Si, oui dans ce cas, les Africains du Sénégal auront élu un français qui ne peut que travailler pour son pays à la tête de ce territoire. Il y aurait alors erreur sur la personne. S’il ne l’est pas, quels sont donc ces services que Macky Sall a rendu, rend et rendra encore à la France pour qu’il ait cette récompense ? On peut aisément le deviner, mais bien malin est celui qui pourra montrer des preuves quand on sait que la caractéristique principale de la Françafrique est de procéder dans l’opacité. Mais étant à plusieurs reprises ministre des mines, de l’énergie et de l’hydraulique, on peut imaginer des contrats en faveur des multinationales françaises. Mais, pas seulement. Avec cette médaille, il n’est pas seulement question de récompenser les services rendus dans le passé. Il est probablement question aussi de préparer le terrain pour d’autres bonnes œuvres dans le futur en faveur de la Métropole. Car, la France a ceci de particulier qu’elle sait repérer très tôt les bons chevaux sur lesquels elle mise depuis leur plus jeune âge en leur offrant des gadgets les plus clinquants afin de les mettre sous son contrôle très tôt. C’est cette caste que les coloniaux appelaient « l’élite indigène » dont la mission est de lier solidement les territoires d’Afrique à la Métropole. Et c’est dans ces relations que vivent jusqu’ici les territoires africains.

Dans un cadre colonial comme c’est le cas dans l’Afrique actuelle, le pouvoir d’État ne peut être remis en n’importe quelle main. Il ne peut que quitter une main soumise pour retomber dans une autre encore voire plus servile. Lorsque, par le hasard de l’histoire, ce pouvoir parvient à un homme qui n’est pas coopté par la Métropole, la vie de ce dirigeant devient un enfer. Tout est mis en œuvre pour l’assassiner (Sankara et bien d’autres) ou pour le renverser (Laurent Gbagbo et bien d’autres). Ce système ne peut dès lors se sentir que renforcé si la transmission du pouvoir se fait avec la participation du peuple à travers la voie électorale comme c’est le cas au Sénégal. Le peuple africain de ce territoire vient de "choisir" le changement de personne dans la continuité d’un système.

Mais pour beaucoup d’Africains tout ceci n’est qu’accessoire, l’essentiel étant que Wade, le "vieux Wade" s’en aille. Ainsi donc, en poursuivant la curiosité de visiter ce qu’on appelle la toile et les réseaux sociaux, on s’aperçoit que ce qui préoccupe effectivement ce n’est ni de se demander de quoi cette fameuse alternance et cette « leçon de démocratie » a le nom, ni d’interroger la politique dont Macky Sall est porteur, ni d’étudier le cadre dans lequel le « nouvel élu » devra agir, ni de mesurer les résultats que cet homme a fait, puisqu’il a été au pouvoir depuis 10 ans et ceux qu’il pourra obtenir avec ses nouvelles responsabilités. Non, tout ceci n’est que questionnements académiques voire hors-sujet. Ce qui intéresse et qui est motif de joie c’est que non seulement Wade et Cie aient quitté le pouvoir, mais encore que la nouvelle première dame du territoire du Sénégal ne soit pas une « blanche », mais une noire, une Africaine.

Que les compatriotes du Sénégal aient mis en échec le projet Sarkowade qui visait à monarchiser ce territoire avec un plan qui devrait léguer le trône présidentiel à Karim Wade après le règne de son père, c’est un fait, mais si « le changement » doit uniquement signifier pour beaucoup le changement de personne à la tête de nos territoires et l’avènement d’une première dame noire au lieu d’une blanche alors là, on est plus que mal barrés. À ce coup, il n’est pas étonnant que l’Afrique soit toujours dans la colonisation sans que beaucoup s’en aperçoivent.

En conclusion, il faut redire que le cadre africain est un cadre colonial. Il fonctionne pour satisfaire les besoins de l’extérieur au mépris des préoccupations endogènes. Tant que ce cadre ne sera pas remis en cause, détruit et reconstruit à l’aune des valeurs et des besoins intérieurs, c’est peine perdue qu’on se tue à doter les proto-États africains de présidents et des gouvernements. Espérer que l’Afrique sortira des rapports d’exploitation et de soumission qu’elle entretient avec l’extérieur (notamment avec l’Occident) avec des élections à l’issue desquelles on attend des élus des réformes revient à jouer à une poule qui couve des œufs pourris avec l’espérance que les 21 jours de couvaison déboucheront sur l’éclosion de poussins. On ne réforme pas la colonisation, on la détruit. Si tel n’est pas le cas, alors les rapports coloniaux deviennent selon les mots prononcés dans son allocution radiotélévisée du 6 avril 1962 par De Gaulle, des "rapports de coopération" qui en réalité continuent par servir la Métropole.

Les Africains doivent se rendre à l’évidence que lorsqu’on ne maîtrise pas son espace, on ne peut le transformer. Les africains du Sénégal peuvent avoir le sentiment de choisir « leur président », mais ils ne décident de rien du tout. Ils vivent sur un territoire qu’ils ne maîtrisent pas. D’où l’urgence de ne pas se satisfaire d’un changement qui n’en est pas un. D’où l’urgence de refuser de célébrer le faux et le mirage.

Le travail revient donc une fois encore aux filles et fils du peuple noir. Lorsque chacun assumera sa part de responsabilité avec gravité en pensant à l’avenir et au devenir de nos enfants, nous pourrons nous lever pour dire non à un système qui présente nos illusions comme nos plus brillantes réussites. Et ceci nécessite de la formation, des stratégies les plus redoutables et des hommes cohérents, aguerris et capables d’organiser la masse au mieux désordonnée, au pire, orientée quasi-totalement vers un paradis dont l’accès est conditionné par la pauvreté sur terre, la soumission à toute autorité y compris la plus crasse sous le fallacieux prétexte qu’elle vient de "Dieu". Seul un État véritable, une construction maîtrisée de l’intérieur peut conduire les populations d’Afrique à la satisfaction de leurs besoins. Mais pour arriver à cet État en Afrique, il faudra nécessairement et préalablement mettre à sac les proto-États érigés en Afrique par le colonialisme uniquement pour ses propres besoins.19

 

 

Dakar : le « déguerpissement » des pauvres

En novembre 2014, à l'occasion du 15e sommet de la Francophonie, le gouvernement sénégalais et les autorités municipales de la capitale ont mis les bouchées doubles pour que la ville d'accueil apparaisse devant les caméras de télévision comme une ville calme, propre et accueillante.

Pour cela, le gouvernement du président Macky Sall a décidé d'aménager les abords de certaines artères de la capitale, d'arracher les mauvaises herbes, de ramasser les détritus, mais aussi de débarrasser le centre-ville des mendiants et des petits vendeurs qui risquent de gâcher le paysage des hôtes de luxe.

Des policiers et des employés municipaux ont été mobilisés massivement pour participer à « l'opération de désencombrement ». C'est ainsi que dans plusieurs rues du quartier du Plateau (Carnot, Jules-Ferry, Joseph-Gomis, Ponty, etc), des petits vendeurs ont été brutalisés. Certains n'ont même pas eu le temps de ramasser leur marchandise.

Aux abords du pont de la Patte d'Oie, les petits commerçants ont réagi devant la brutalité des forces de l'ordre. Ils ont investi la rue et brûlé des pneus sur la route menant vers la passerelle. Ils ont raison de ne pas se laisser faire, d'autant plus que c'est grâce à cette petite activité de commerce le long des rues qu'ils parviennent tant bien que mal à survivre, sinon ils crèveraient de faim.

Ces opérations de « déguerpissement » (c'est le terme utilisé par les autorités) ne datent pas d'aujourd'hui. Elles se pratiquent depuis l'époque de Senghor. À chaque fois que Dakar doit abriter une conférence internationale, les autorités politiques ont coutume de rafler les mendiants de la ville et de les parquer loin des yeux et des caméras. Et puis, une fois les festivités terminées, ce qu'on a voulu cacher un temps revient au galop car il n'a jamais été question de trouver ne serait-ce qu'un début de remède à la question de la misère et de la mendicité mais tout juste d'y mettre provisoirement un voile.

Tous les gouvernements qui se sont succédé ont eu recours aux mêmes pratiques. Et plus les années passent, plus le nombre de mendiants et de petits vendeurs de rue augmente. La seule solution que les pouvoirs successifs ont trouvé, c'est d'augmenter la répression contre les pauvres.

En 2014, la trouvaille de Macky Sall c'est, en plus de la répression contre les pauvres, d'interdire toute manifestation publique du 10 novembre au 5 décembre. Son objectif c'est de museler ses opposants politiques, en particulier ceux du PDS de l'ex-président Wade, qui pourraient être tentés de profiter du sommet de la Francophonie pour occuper la rue et dénoncer l'emprisonnement de Karim Wade (pour « enrichissement illicite »).

L'interdiction n'a pas du tout empêché le PDS de faire une marche de protestation et de tenir un meeting public à la place de l'Obélisque le 21 novembre. Et si le gouvernement a fini par tolérer ce qu'il venait d'interdire, c'est parce qu'il sait que la menace de répression ne fait que renforcer l'envie des partisans de Wade de défier le pouvoir de Macky Sall.20

 

 

Pour Charlie à Paris, contre Charlie à Dakar

Macky Sall et Ibrahim Boubacar Keïta, les présidents du Sénégal et du Mali, ont participé aux côtés de Hollande à la marche de soutien aux journalistes de Charlie Hebdo assassinés par des islamistes fanatiques. Ils ont fait semblant de soutenir la liberté d’expression face à l’intolérance et à l’obscurantisme. Mais ce n’était que pure hypocrisie, pour figurer comme des « démocrates » et surtout pour faire de la lèche à leurs maîtres et protecteurs de l’ancienne puissance coloniale.

À leur retour dans leur capitale respective, ils n’ont pas tardé à remettre leur boubou à l’endroit, en soutenant les manifestations contre les caricatures du prophète Mahomet à l’appel des organisations musulmanes. Macky Sall a même dépêché son Premier ministre pour figurer parmi les manifestants qui ont brandi des pancartes du genre « Je ne suis pas Charlie » ou « Je suis Kouachi », du nom d’un des assassins des journalistes de l’hebdomadaire satirique. À Bamako aussi, des dignitaires du pouvoir ont défilé aux côtés des manifestants hostiles à Charlie Hebdo.

Ce que les dirigeants de Dakar et de Bamako ont montré, c’est qu’ils ne veulent surtout pas déplaire aux dignitaires religieux locaux, car ceux-ci ont une grande influence auprès de la population. Macky Sall n’hésite pas à interdire les manifestations des partis de l’opposition, mais il n’est pas question pour lui de froisser les grands marabouts de Touba et de Tivaouanne.21

 

 

Massacre de Thiaroye : les familles des victimes réclament la vérité

À l’occasion du 1er décembre 2016, jour anniversaire du massacre par l’armée française en 1944 de tirailleurs sénégalais rassemblés dans le camp de Thiaroye dans la banlieue de Dakar, des familles de victimes ont à nouveau réclamé d’avoir accès à toutes les archives, et demandé la révision du procès des survivants condamnés à l’époque pour insubordination.

La Seconde Guerre mondiale n’était pas encore terminée que l’armée française commençait à se débarrasser des 140 000 hommes qu’elle avait enrôlés de force dans les colonies d’Afrique noire. Les mille qui se retrouvèrent entassés dans des conditions lamentables dans le camp de Thiaroye étaient restés prisonniers en France pendant toute la guerre, dans un des camps que l’armée allemande faisait garder par des policiers français. En novembre 1944, les tirailleurs avaient été renvoyés au Sénégal avec seulement un quart de leur solde et la promesse de leur verser le reste à leur arrivée. Une fois hors de métropole, il n’en était plus question.

Désarmés, les hommes du rang furent abandonnés à leur sort, l’armée voulant les faire déguerpir sans rien leur donner. Fin novembre, déterminés à ne pas se laisser jeter comme des chiens, ils bloquèrent la voiture du général dirigeant le camp qui promit de leur payer leur dû. Mais au matin du 1er décembre, rassemblés par les officiers, les soldats se retrouvèrent face à des automitrailleuses qui firent feu. Entre 300 et 400 d’entre eux périrent sous les balles, jetés ensuite à la va-vite dans des fosses communes. Les survivants qui n’avaient pas réussi à prendre la fuite furent ensuite condamnés à plusieurs années de prison pour rébellion.

Pendant des années l’armée française, avec la complicité de l’État, fit tout son possible pour occulter l’ampleur du massacre, ne reconnaissant que 35 victimes à l’occasion de la reprise en main d’une prétendue mutinerie. Tourné en 1988, le film de Sembene Ousmane dénonçant ce crime ne fut programmé que dix ans plus tard dans quelques rares salles en France.

C’est seulement en 2012, lors d’un voyage officiel au Sénégal, que Hollande parla pour la première fois de répression sanglante. Il fit alors la promesse de transférer au Sénégal les archives des événements conservées en France. Mais au-delà de ces timides pas officiels vers la reconnaissance du crime commis par l’armée française, Hollande a continué en réalité à couvrir un massacre prémédité et exécuté de sang-froid. Il n’est même pas allé jusqu’à autoriser l’accès aux archives des forces françaises, restées au Sénégal jusqu’en 2011, qui contiendraient la liste exacte des victimes, l’emplacement des fosses communes, ainsi que des témoignages édifiants venant d’officiers ayant participé au massacre.

Comme l'ont dénoncé les familles des victimes, Hollande et son ministre des Affaires étrangères, Ayrault, ont continué à refuser de reconnaître que les tirailleurs ne faisaient que réclamer leur dû et que les officiers français avaient alors perpétré un massacre de sang-froid. Hollande s’inscrit ainsi dans la continuité de ses prédécesseurs à la tête de l’État et en défenseur des intérêts de l’impérialisme français en Afrique, couvrant jusqu’à ses pires crimes.22

 

 

La population dans la rue

Les jeunes et la population des grandes villes sénégalaises sont descendus dans la rue pendant trois jours, les 3, 4 et 5 mars 2021, pour réclamer la libération de l’opposant Ousmane Sonko. Ils ont affronté les forces de répression qui ont fait au moins cinq morts avant qu’il ne soit finalement libéré le 8 mars pour être placé sous contrôle judiciaire.

Ousmane Sonko, très populaire, en particulier dans la jeunesse, s’est fait connaître dès 2016 par son combat contre la corruption. Alors haut fonctionnaire de l’Inspection générale des impôts, il fut radié suite à ses écrits accusant le chef de l’État et son frère de malversations financières. Élu député l’année suivante, il arriva troisième aux élections présidentielles de 2019 avec 15 % des voix. Il dénonce également avec son parti, le Pastef (Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité), le pillage de l’économie sénégalaise par l’impérialisme français. Coutumier des formules choc, il avait ainsi déclaré, lors d’une visite de Macron au Sénégal, que le président Macky Sall « ferait un bon préfet de nos ancêtres les gaulois ». Autant de positions politiques qui ne peuvent que lui valoir une large sympathie dans la population.

Ousmane Sonko fut accusé du viol d’une employée d’un salon de beauté. Il se rendait à la convocation du juge d’instruction entouré d’une foule de partisans lorsque la police l’a interpellé à mi-chemin d’un parcours émaillé de nombreux heurts et l’a incarcéré pour troubles à l’ordre public. La colère de la population a alors explosé, dépassant largement les rangs de ses partisans, et les manifestations ont tourné à l’émeute, non seulement dans la capitale Dakar, mais sur toute l’étendue du territoire. Les partisans de Sonko dénonçaient dans son inculpation pour viol une manœuvre destinée à l’empêcher de se présenter aux prochaines élections présidentielles en 2024. L’utilisation de la justice pour arriver à ses fins politiques était tout à fait dans les habitudes de Macky Sall, qui aurait pu vouloir se présenter à un troisième mandat. Mais, au-delà des manœuvres du président, l’arrestation d’Ousmane Sonko est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase tant la population sénégalaise était exaspérée par la situation.

La misère ne cessait d’augmenter, et le gouvernement de Macky Sall aggravait encore la situation des plus pauvres. Sa police harcelait ceux qui tentaient de survivre en faisant du petit commerce dans la rue et confisquait leurs marchandises. Le couvre-feu lié au coronavirus représentait une restriction supplémentaire empêchant de pratiquer les multiples activités qui permettent de gagner sa vie quand on n’a pas d’emploi régulier. Les prix ne cessaient d’augmenter, pour les produits alimentaires mais aussi pour les loyers, les transports, et les revenus des travailleurs ne suivaient pas. De plus en plus de jeunes risquaient alors leur vie pour fuir la misère en prenant la mer sur des embarcations incapables d’affronter l’Océan.

Les entreprises françaises implantées au Sénégal ont été particulièrement visées pendant ces trois jours. Des magasins Auchan ont été attaqués et pillés. Dans ces attaques s’exprimait la haine de la population contre l’impérialisme français et ses dirigeants, qui n’ont cessé de présenter le Sénégal, et en particulier le régime de Macky Sall, comme un modèle de démocratie. Mais, pour bien des participants à ces actions, il s’agissait simplement de procurer à leur famille de quoi se nourrir. Des stations-service Total ou des péages autoroutiers gérés par Eiffage ont également été pris pour cible.

En obligeant Macky Sall à libérer Ousmane Sonko, et aussi à annoncer qu’il réduisait l’amplitude du couvre-feu, celles et ceux qui sont descendus dans la rue pendant ces trois jours ont montré qu’ils pouvaient faire reculer le pouvoir. À sa sortie de prison, Sonko a demandé la libération des prisonniers politiques et aussi que Macky Sall déclare publiquement renoncer à se présenter à un troisième mandat en 2024. Mais pour assurer leur survie face à la misère qui les frappe, les travailleurs et la jeunesse du Sénégal ont bien d’autres revendications qu’un changement de président. Leur mobilisation a montré qu’ils peuvent trouver la force de les imposer.23

 

 

Macky Sall s’en va, pas la colère

Macky Sall, le président du Sénégal, a annoncé le 3 juillet 2023 qu’il ne se présenterait pas aux élections de février 2024. Il déblayait depuis des années la voie pour son troisième mandat, mais les sanglantes émeutes qui ont eu lieu en juin 2023 et la pression des grandes puissances ont eu raison de son obstination.

Ces émeutes ont fait officiellement 16 morts. Elles ont éclaté à l’occasion du procès d’Ousmane Sonko, accusé de viol.

En mars 2021, le procès avait finalement été reporté, pour se tenir en juin 2023. À partir de février, les affrontements se sont succédé dans plusieurs grandes villes du pays, dont la capitale Dakar, jusqu’à l’explosion finale qui a eu lieu le 1er juin à l’annonce du verdict. Celui-ci lavait Sonko de l’accusation de viol, mais le condamnait à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », lui interdisant de se présenter aux élections de 2024. Dans ces conditions, l’annonce par Macky Sall de sa candidature en 2024 aurait immanquablement provoqué une nouvelle explosion de colère, Ousmane Sonko ayant d’avance appelé ses partisans à manifester pour « finir le combat ».

Si Sonko est populaire, tous ceux qui descendaient dans la rue n'étaient pas pour autant ses partisans. Beaucoup l'ont fait simplement pour crier leur haine d’un gouvernement qui était sourd à leur détresse. Les conditions de vie, déjà bien difficiles, n’ont cessé de s’aggraver suite à la flambée des prix consécutive à la crise du Covid en 2019, puis à celle qui a déferlé sur tous les pays pauvres avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Face à ce désastre frappant la population pauvre, Macky Sall n’a fait que multiplier les promesses non tenues. Telle est la cause profonde de l’explosion de colère qui a secoué le pays, et que craignent aussi bien les dirigeants sénégalais que ceux des grandes puissances qui pillent les richesses du pays. Le dimanche précédant l’annonce de son retrait, Emmanuel Macron avait téléphoné à Macky Sall pour lui dire, selon le journal Jeune Afrique, que « la France pourrait l’appuyer s’il décidait de se tourner vers d’autres horizons à l’issue de son actuel mandat », une manière de l’inciter à jeter l’éponge.

Rien ne dit cependant que ce retrait suffira. La situation dramatique dans laquelle vivent les travailleurs sénégalais demeure, et ne peut que s’aggraver encore avec la crise qui s’approfondit partout dans le monde. Pour y résister, ils ne peuvent compter sur aucun des candidats à la présidence qui vont se déclarer, ni même sur Sonko lui-même car, au-delà de ses déclarations, celui-ci ne pourra que poursuivre la même politique en faveur des couches privilégies du Sénégal et des bourgeoisies impérialistes24. Pour s’opposer à cette descente vers toujours plus de misère, les Sénégalais ne peuvent compter que sur leur capacité à s’organiser et à prendre en main leur propre destin.24

 

 

Un nouveau président, et après ?

Le 24 mars 2024, Bassirou Diomaye Faye, qui représentait Ousmane Sonko déclaré inéligible, a remporté les élections présidentielles sénégalaises dès le premier tour. La large victoire de ces deux hommes à peine sortis de prison est apparue comme un camouflet pour le président Macky Sall, mais aussi pour l’impérialisme français.

La population a fêté le résultat en descendant crier sa joie dans les rues des grandes villes sénégalaises. Ousmane Sonko apparaît depuis des années comme l’opposant le plus résolu au régime de Macky Sall et à la tutelle qu’exerce encore l’impérialisme français sur son ancienne colonie. Radié en 2016 de son poste de directeur des impôts pour « manquement à l’obligation
de réserve » après avoir dénoncé les affaires louches du président, il a alors fondé son parti, le Pastef, (Patriotisme, travail, éthique et fraternité) et est arrivé troisième aux élections présidentielles de 2019 avant de devenir maire de Ziguinchor, la grande ville de Casamance. La répression dont il a été victime n’a fait qu’accroître sa popularité.

 

Les opposants, cibles de la répression

En 2021 Ousmane Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse, ce qui devait l’empêcher de se présenter aux élections de 2024. Puis, en juin 2023, une nouvelle condamnation, cette fois pour appel à l’insurrection et diffamation envers un ministre, l’a fait radier des listes électorales. L’annonce de ces verdicts a fait descendre toute une partie de la  jeunesse dans la rue, avec en réponse une répression à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre de ce régime que Macron présente comme la vitrine de la démocratie en Afrique de l’Ouest. La police a fait ainsi 14 morts en mars 2021 et 24 en juin 2023. Les trusts français comme Auchan, Total, Eiffage, étaient alors visés au même titre que les bâtiments officiels.

À l’approche des élections présidentielles initialement prévues le 25 février, Macky Sall a tenté une ultime manoeuvre en prétendant les reporter au 15 décembre, une date tardive qui a déclenché à nouveau la colère de la population. Trois personnes ont été tuées par les forces de répression dans les manifestations qui ont suivi. Devant le risque d’une explosion sociale, tout ce que le Sénégal compte de partis politiques, d’anciens chefs d’État ou de dignitaires religieux se sont précipités auprès de Macky Sall pour lui dire de ne pas s’obstiner, bientôt rejoints par les représentants d’autres pays africains et des grandes puissances. C’est devant ces pressions que Macky Sall a plié rapidement et autorisé à nouveau les manifestations, fixant les élections au 24 mars et libérant les opposants parmi lesquels Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.

 

Qu’attendre du nouveau pouvoir ?

Les dirigeants du Pastef, hier emprisonnés, vont donc se retrouver à la tête du pays. Bien des travailleurs et des jeunes voient dans ce changement un moyen de mettre fin à la pauvreté, à la misère endémique qui pousse beaucoup d’entre eux à s’aventurer sur des bateaux surchargés, au risque de leur vie, pour tenter de rejoindre l’Europe.

Les déclarations du nouveau président pourraient cependant doucher cet enthousiasme. Ses premières paroles n’ont pas été pour les travailleurs, pour la majorité pauvre de la population, mais pour rassurer les dirigeants des grandes puissances : « Je voudrais dire à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux que le Sénégal restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse », a t-il déclaré. Autant dire que l’objectif n’est pas de chercher à s’affranchir de la domination impérialiste qui étrangle le Sénégal comme tous les pays pauvres, mais tout au plus de diversifier un peu les partenaires ou de sortir du franc CFA, ce qui ne garantit pas une amélioration du sort de la population. C’est ce que montre l’exemple de pays ayant leur propre monnaie, le Nigeria ou le Ghana. Et quand on voit Bassirou Diomaye Faye accepter sans sourciller le ralliement d’Abdoulaye Wade, président de 2000 à 2012, connu pour sa corruption, et de son fils Karim, il y a lieu de douter qu’il fasse vraiment changer les choses.

Le programme électoral du nouvel élu comporte un catalogue de promesses parlant d’un « État  interventioniste », agissant pour « l’accès aux marchés publics des entreprises à capitaux nationaux » ou « l’appui aux champions nationaux ». Il semble donc surtout destiné à répondre aux intérêts des couches aisées de la population et des possédants. Il ne contient rien qui soit de nature à résoudre les problèmes de la population pauvre dans un pays où les prix des aliments ne cessent d’augmenter, où la hausse des loyers oblige les travailleurs à se loger de plus en plus loin alors que les transports sont défaillants, et où le chômage est tel que la plus grande partie de la population ne survit que grâce à des petits boulots aléatoires, vendeuses de rue ou taxis à la sauvette.

Au Sénégal comme dans toute une partie de l’Afrique, le rejet ô combien justifié de l’impérialisme français, du pillage auquel il se livre et de l’arrogance de ses représentants a porté de nouveaux dirigeants au pouvoir. Mais cela ne doit pas créer des illusions parmi les travailleurs ni à s’en remettre à ces dirigeants.

Le sort des travailleurs du Sénégal repose entre leurs propres mains. Il dépend de leur capacité à engager la lutte sur un programme de lutte regroupant derrière eux toute la population pauvre, en lien avec les travailleurs des autres pays d’Afrique et au-delà.25

 

 

Économie

Le Sénégal possède la quatrième économie de la sous-région ouest africaine après le Nigeria, la Côte d'Ivoire et le Ghana. Le Sénégal est la deuxième économie en Afrique de l’Ouest francophone derrière la Côte d’Ivoire. Son économie est très tournée vers l'Europe et l'Inde. Ses principaux partenaires économiques sont la France, l'Inde, l'Italie, la chine et les États-Unis.

Comparé aux autres pays du continent africain, le Sénégal est très pauvre en ressources naturelles. Ses principales recettes proviennent de la pêche du tourisme et de l'aquaculture mais compte tenu de sa situation géographique et de sa stabilité politique, le Sénégal fait partie des pays africains les plus industrialisés avec la présence de multinationales majoritairement d'origine française et dans une moindre mesure américaine.

Par ailleurs, les transferts financiers venus de la diaspora sénégalaise (l'émigration en Europe et aux États-Unis) représentent aujourd'hui une rente non négligeable. On estime que le flux financier généré par l'émigration sénégalaise est au moins égal au volume d'aides de la coopération internationale (soit 37 dollars par habitant et par an).

Le poids de la dette extérieure de ce pays pauvre très endetté (PPTE) et le secteur agricole qui emploie à peu près 70 % de la population sénégalaise laisse peu de marge pour un décollage économique. De plus, l'agriculture sénégalaise est très sensible aux aléas climatiques et aux invasions acridiennes.
Il faut prendre en considération que la population du Sénégal souffre de plusieurs inégalités de revenus. C'est un phénomène assez courant dans cette région africaine. En effet, les 5 % des ménages les plus riches s'accaparent 47 % des revenus alors que 80 % des gens les plus pauvres réussissent à capter moins de 28 % des revenus. En 1994, la monnaie est dévaluée et une politique de libéralisation est activement menée. Le Sénégal essaye de rentrer dans les conditions requises par le Fonds monétaire international (FMI) afin de bénéficier d'un allègement de la dette pour le développement du pays. Depuis 2006, le Sénégal est dans la liste des pays éligibles.

 

En 2014, le taux de chômage est de 32 % et 44 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.26

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9n%C3%A9gal
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_S%C3%A9n%C3%A9gal
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9n%C3%A9gal
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_S%C3%A9n%C3%A9gal
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9gritude
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisme_africain
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_S%C3%A9n%C3%A9gal
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_s%C3%A9n%C3%A9galo-mauritanien
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_S%C3%A9n%C3%A9gal
(10) René Cyrille http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1655/dans-le-monde/article/2003/10/12/1154-senegal-election-presidentielle-diouf-battu-wade-napportera-pas-de-changement.html
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_S%C3%A9n%C3%A9gal
(12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdoulaye_Wade
(13) http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2077/dans-le-monde/article/2008/05/21/17705-senegal-nouvelle-manifestation-contre-la-vie-chere.html
(14) https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdoulaye_Wade
(15) Paul Martial http://www.npa2009.org/content/wade-met-le-s%C3%A9n%C3%A9gal-en-danger
(16) Roger Meynier http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2270/dans-le-monde/article/2012/02/01/26562-senegal-la-population-manifeste-son-rejet-de-wade.html
(17) https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdoulaye_Wade
(18) https://fr.wikipedia.org/wiki/Macky_Sall
(19) Komla Kpogli http://www.legrandsoir.info/senegal-macky-sall-ou-le-changement-dans-la-continuite-coloniale.html
(20) L'Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes (UATCI-UCI) https://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2418/dans-le-monde/article/2014/12/03/35894-dakar-le-deguerpissement-des-pauvres.html
(21) L’Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes (UATCI-UCI) http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2429/leur-societe/article/2015/02/18/36431-pour-charlie-paris-contre-charlie-dakar.html
(22) Gilles Boti http://journal.lutte-ouvriere.org/2016/12/07/massacre-de-thiaroye-les-familles-des-victimes-reclament-la-verite_73132.html
(23) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/03/10/senegal-la-population-dans-la-rue_155424.html
(24) Daniel Mescla https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/07/05/senegal-macky-sall-sen-va-pas-la-colere_725429.html
(25) Daniel Mescla https://www.lutte-ouvriere.org/journal/article/senegal-nouveau-president-apres-165348.html
(26) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_du_S%C3%A9n%C3%A9gal