Le Sri Lanka

 

L’histoire du Sri Lanka est riche d’enseignements. Il est important et nécessaire de revenir sur les racines historiques qui sont à la base de la formation de cet État particulier ayant conduit à l’émergence de deux nationalismes antagoniques : le nationalisme cinghalais bouddhiste et, sa réaction, le nationalisme tamoul.

En février 2011, le Président du Sri Lanka, Mahinda Rajapaksa, a célébré le 63e anniversaire de l’indépendance de l’île. Dans son discours, il a mis en avant la nécessité de « protéger la nation reconstruite », « l’une des plus anciennes démocraties d’Asie », son unité et son caractère unitaire.

Ce discours intervient près de deux ans après la fin de la guerre, le 19 mai 2009, qui a opposé l’État aux « Tigres de libération de l’Eelam tamoule » (LTTE). L’état-major des LTTE a été décimé dans les deux derniers mois d’une guerre sans merci qui a fait des dizaines de milliers de morts depuis le début des années 1980.

Quelque trente années de guerre civile ont transformé le paysage politique sri-lankais. Une île qui, jadis, affichait une politique sociale développée et des indicateurs de développement élevés, le Sri Lanka est aujourd’hui ravagé par la violence d’État, la militarisation de la société et un État autoritaire.

La fin de la guerre n’a en rien ouvert une période de paix et encore moins réglé la question nationale tamoule. Le gouvernement sri-lankais n’a pas cherché à remédier aux causes structurelles qui ont conduit à la guerre civile. L’État reste nationaliste cinghalais et raciste dans son essence et se refuse à toute dévolution des pouvoirs qui permettrait aux différentes communautés d’envisager l’avenir ensemble.

Le Président est en guerre contre sa population. La violence d’État s’exerce aussi contre les Cinghalais, journalistes et militants politiques qui s’opposent à lui mais aussi contre les travailleurs dans leur ensemble. Malgré la fin de la guerre, le gouvernement a maintenu la loi de prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act) qui lui permet de museler ses opposants. Toutes les communautés souffrent de l’effondrement de l’État de droit.

Aucune paix ne peut durer si elle ne repose sur une volonté politique de régler les différends.

L’histoire du Sri Lanka est riche d’enseignements. Elle permet d’illustrer à quel point les attaques contre des minorités sont les prémisses d’attaques plus générales contre les travailleurs quelle que soit leur ethnie. Elles conduisent inévitablement à un affaiblissement, si ce n’est à un effondrement de la démocratie. Il est important et nécessaire de revenir sur les racines historiques qui sont à la base de la formation de cet État particulier ayant conduit à l’émergence de deux nationalismes antagoniques : le nationalisme cinghalais bouddhiste et, sa réaction, le nationalisme tamoul.

 

Les germes des dissensions intercommunautaires

Le Sri Lanka (Ceylan jusqu’en 1972) a été profondément marqué par plusieurs siècles de colonisation. La position stratégique de l’île dans l’océan Indien explique sa conquête successive par les Portugais, les Hollandais puis les Anglais.

Les principales communautés de l’île, les Cinghalais et les Tamouls, trouvent leur origine dans des migrations successives d’Inde. La première eut lieu au VIe siècle avant J.-C. par des indiens venus du Nord ouest et de confession bouddhiste. Ils fusionnèrent progressivement avec d’autres groupes de migrants venus du sud de l’Inde jusqu’à former la communauté Cinghalaise. Cela fut suivie environ 300 ans plus tard par une migration de moindre importance de Tamouls indiens du sud et de confession hindouiste. La migration tamoule se poursuivit dans le nord de l’île sur plusieurs centaines d’années et, à la fin du XIIe siècle, la péninsule de Jaffna constituait un État séparé avec une culture et une langue différente des Cinghalais.

Ni les Cinghalais ni les Tamouls ne peuvent revendiquer être les premiers à avoir peuplé l’île dans la mesure où, lorsqu’ils arrivèrent, Ceylan était déjà occupée par un peuple de chasseurs cueilleurs, les Veddah ou Wanniyaletto qui sont aujourd’hui presque complètement assimilés aux différentes communautés.

Les différentes formations sociales qui émergèrent sur l’île n’étaient cependant pas cloisonnées. Dans le royaume de Kandy, par exemple, la dynastie Nayakka découlait de l’empire Vijayanagar d’Inde du Sud. Bien que la dynastie ait pu être tamoule et à l’origine hindouiste, elle se convertit au bouddhisme et en fut un fervent promoteur.

Sous la colonisation portugaise puis hollandaise, les régions côtières de l’île furent intégrées au commerce mondial des produits agricoles dès le début du XVIe siècle, facilitant l’essor d’un capitalisme marchand. La population du littoral était majoritairement cinghalaise et bouddhiste mais les échanges commerciaux en ont fait un lieu de brassage où se côtoyaient Arabes, Cinghalais, Tamouls et Burghers.

Dans la péninsule du Nord, plus pauvre, seuls les missionnaires s’étaient aventurés, christianisant une minorité de la population auparavant majoritairement de confession hindouiste. Les relations sociales archaïques, en particulier un système de castes rigide, perduraient.

À leur arrivée, à la fin du XVIIe siècle, les Anglais étendirent la domination étrangère à l’intérieur de l’île dans le royaume de Kandy. Ils y développèrent de grandes plantations imposant un nouveau mode de production, le capitalisme de plantation. Ils accaparèrent les terres communales autrefois dévolues au pâturage des troupeaux et les forêts où les paysans pratiquaient la culture sur brûlis, les qualifiant de « terres à l’abandon » pour mieux les revendre à un prix dérisoire à des colons britanniques. Ils développèrent des infrastructures qui permettaient d’acheminer les produits des plantations sur le marché mondial.

Même s’il ne détruisit que partiellement les modes de production précapitalistes, le capitalisme de plantation s’imposa rapidement jusqu’à dominer l’économie de l’île dès le début du XXe siècle.

Les classes dominantes des formations préexistantes en devinrent, presque naturellement, la bourgeoisie compradore. Qu’elles soient d’origine cinghalaise, burgher, musulmane ou tamoule, elles se trouvèrent des intérêts communs avec la bourgeoisie naissante des planteurs. Imprégnées par la culture coloniale, elles envoyèrent leurs enfants étudier à Oxford et Cambridge, afin de leurs assurer une place au côté de l’aristocratie coloniale.

Nombre de bourgeois ceylanais possédaient leur propre plantation de noix de coco, de café ou de caoutchouc. Ainsi, contrairement à l’Inde voisine, Ceylan ne vit pas émerger une bourgeoisie nationale luttant pour son indépendance. Celle-ci ne joua pas un rôle moteur dans les mouvements d’agitation contre le pouvoir colonial à la fin du XIXe siècle. La contestation prit d’abord la forme de mouvements religieux hindous, bouddhistes et musulmans qui luttaient contre les privilèges de la minorité chrétienne (formée à la fois de Cinghalais et de Tamouls) et contre la culture occidentale.

Le pouvoir colonial britannique, qui redoutait une jonction des intérêts des bourgeoisies tamoule et cinghalaise, joua à fond le registre de la division. Les intérêts particuliers et communautaires prirent vite le dessus. Les élites tamoules réclamèrent un traitement de faveur en échange de leurs loyaux services auprès de l’administration coloniale. De leur côté, les Cinghalais construisirent des réseaux d’associations communales, les Mahajana Sabha, reposant sur les élites cinghalaises rurales — médecins ayurvédiques, moines bouddhistes, maîtres d’école...

Le mouvement ouvrier ceylanais émergea en même temps que le capitalisme de plantation. Les ouvriers ceylanais étaient principalement des paysans cinghalais du sud chassés des terres collectives ancestrales par le pouvoir colonial pour aller travailler à la construction des routes, des chemins de fer et dans les docks. Ils gardaient cependant un pied dans le monde rural. Parallèlement, pour assurer les travaux dans leurs plantations et à la ville, les colons britanniques avaient fait appel à des travailleurs tamouls indiens du Tamil Nadu (État du sud de l'Inde) qu’ils maintinrent à distance des travailleurs locaux. Le mouvement ouvrier fut ainsi divisé dès sa naissance.

Bien qu’il y ait eu au début du XXe siècle plusieurs luttes ouvrières regroupant des travailleurs de toutes origines et de toutes confessions, les discours nationalistes et xénophobes des dirigeants nationalistes cinghalais eurent un impact profond sur la classe ouvrière d’origine cinghalaise.

Dans les années 1920, de nouvelles luttes ouvrières permirent le développement d’une classe ouvrière urbaine plus unifiée, défendant ses propres intérêts de classe au-delà des castes qui avaient survécues et de l’appartenance communautaire. Une confédération syndicale et un parti politique sur le modèle britannique du Labour Party virent le jour sous la direction de A.E. Goonesinha. Le contrôle politique qu’il exerçait, à la fois sur le parti et le syndicat, fut cependant fatal au mouvement ouvrier. Durant la grande dépression des années 1930, A.E. Goonesinha n’hésita pas à rendre les travailleurs tamouls des plantations responsables du chômage élevé et à accuser les marchands indiens de déposséder les petits propriétaires terriens ceylanais. L’utilisation du chauvinisme cinghalais fut un moyen facile et rapide de se constituer une base électorale qui lui permit de remporter les élections législatives dans la circonscription cinghalaise de Colombo centre. Ce fut un coup fatal porté au suffrage universel — qui venait tout juste d’être accordé en 1931 — par un politicien peu scrupuleux qui le dévoyait à des fins électoralistes.

 

La constitution d’un nationalisme cinghalais

Les ressorts nationalistes et racistes furent, par la suite, régulièrement utilisés par les politiciens au pouvoir soit à des fins électorales soit pour mettre en œuvre une politique de classe.

 

Ainsi, la première loi adoptée par le premier gouvernement ceylanais indépendant, le Citizenship Act, rendit apatrides les ouvriers tamouls « indiens » installés depuis trois ou quatre générations dans l’île, sous prétexte qu’ils ne pouvaient prouver qu’ils étaient Ceylanais par filiation ou par naturalisation. La deuxième loi leur retira le droit de vote sous prétexte qu’ils n’étaient pas Ceylanais !

Ces lois privèrent de vote la totalité des ouvriers des plantations du centre et du sud, soit un dixième du corps électoral. Cela permit à l’UNP au pouvoir d’éliminer un million de voix qui se tournaient plus naturellement vers les parties de gauches et en particulier le Lanka Sama Samaja Party, le principal parti ouvrier ceylanais. Ce parti avait été créé dans les années 1930 par de jeunes intellectuels qui avaient été conquis aux idées communistes durant leurs études en Angleterre et aux États-Unis.

Les travailleurs tamouls des plantations ne trouvèrent pas beaucoup d’aide parmi les élus tamouls au parlement. La plupart d’entre eux votèrent ces lois rétrogrades. Un groupe dissident conduit par S.J.V. Chelvanayakam fonda le Parti fédéral. Cependant, son programme ne s’adressait pas aux travailleurs tamouls des plantations qui luttaient pour leurs droits politiques mais aux tamouls lankais — originaires du nord et de l’est de l’île.

Ce fut un coup fatal porté au mouvement ouvrier sri-lankais qui se trouva divisé selon des lignes ethniques. Cette défaite politique majeure en annonçait de futures. L’utilisation des ressorts nationalistes contre une partie de la population, considérée à tort comme étrangère, fut bientôt appliquée à d’autres minorités ethniques et en particulier contre les Tamouls lankais du nord et de l’est de l’île. À partir de 1949, le gouvernement UNP de DS. Senanayake mit en place une politique d’attribution de terres aux paysans cinghalais qui en étaient dépourvus. Cette politique fut appliquée dans l’est de l’île, dans une zone à majorité tamoule. L’arrivée de ces paysans permit de modifier substantiellement la composition démographique et électorale des circonscriptions concernées et ainsi de donner un fief à des politiciens cinghalais qui en étaient dépourvus.

En 1951, Solomon Bandaranaike, poussé par son ambition personnelle, quitta l’UNP pour fonder le Parti Sri-Lankais de la Liberté (SLFP). Il s’appuya sur les Maha Sabha, dont l’un des objectifs principaux était de promouvoir la culture cinghalaise-bouddhiste à travers l’île. Le SLFP se constitua à partir de la petite bourgeoisie nationale cinghalaise, lui donnant un appui dans les masses rurales négligées à la fois par la bourgeoisie compradore de l’UNP et par le LSSP plutôt implanté parmi les ouvriers (même s’il représentait aussi les paysans dans certaines circonscriptions).

1956 constitua un premier tournant politique majeur de l’île. Année des élections présidentielles, 1956 représentait aussi pour les bouddhistes cinghalais le 2 500e anniversaire de la mort de Bouddha ainsi que la date anniversaire du « peuplement de Ceylan » et des origines du peuple cinghalais. La campagne électorale fut l’occasion d’une surenchère chauvine cinghalaise.

Bandaranaike fit campagne derrière le slogan « Sinhala Only » (le cinghalais seulement) et proposa que le cinghalais remplace l’anglais comme seule langue officielle de l’île. Dans les 24 heures qui suivirent son investiture, la mesure était décrétée. Cette loi était d’autant plus injustifiée qu’avant l’indépendance en 1944, le conseil législatif avait voté à une très large majorité une loi adoptant le cinghalais et le tamoul comme langues officielles pour l’éducation, les examens et les débats législatifs, reconnaissant par là même l’importance de l’égalité des langues.

La communauté cinghalaise n’était pas pour autant homogène. Elle était elle-même divisée par des lignes de castes, de classes et des différences régionales. L’État s’identifiait au nationalisme cinghalais mais pas avec la communauté cinghalaise dans son ensemble. Ce sont les classes moyennes et le clergé bouddhiste, à travers les Maha Sabha, qui contribuèrent à la dissémination de l’idéologie nationaliste cinghalaise. Cette petite bourgeoisie était convaincue que cette politique chauvine lui apporterait des emplois en réduisant les opportunités de la minorité tamoule.1

À la suite de la campagne Sinhala Only menée par le nouveau Premier ministre Solomon Bandaranaike, le gouvernement abandonne donc l'anglais en tant que langage officiel du Sri Lanka pour le remplacer par le cinghalais. Tous les postes de fonctionnaires de l'administration gouvernementale ont alors été réservés aux Sri-lankais parlant cinghalais, y compris dans les zones majoritairement peuplées de Tamouls. Le Federal Party of Sri Lanka, un parti tamoul, protesta lors de manifestations pacifiques (satyagraha), brisées par des gangs armés cinghalais, sans intervention de la police. Des émeutes éclatèrent à travers le pays, 150 tamouls furent tués et de nombreux commerces et maisons incendiées. Le gouvernement et des représentants tamouls s'accordèrent en 1957, pour faire du tamoul une langue de travail de l'administration dans les régions habitées par les Tamouls, au Nord et à l'Est du pays. Sous la pression des nationalistes cinghalais, le gouvernement n'appliqua pas cette mesure.

En 1958, de nouvelles émeutes sont provoquées par des nationalistes cinghalais, après l'installation par le gouvernement de quelques centaines de Tamouls dans une zone cinghalaise. Elles font entre 150 et 200 victimes parmi les Tamouls, et 25 000 d'entre eux émigrent vers le nord, suite à de nombreux pillages. Ces événements marquèrent une rupture nette entre les communautés tamoule et cinghalaise.

Une série d'incidents et de vexations vont émailler la tension entre Tamouls et Cinghalais au cours des années 1970-1980. En 1970, l'importation de films, livres ou parutions en tamoul venant d'Inde du Sud est interdite, au nom de la politique d'autosuffisance économique. Le parti politique tamoul indien, le Dravida Munnetra Kazhagam fut également interdit, ainsi que la Tamil Youth League. Ces mesures, en brisant les liens culturels entre Tamouls de l'île et du continent, contrarièrent le mouvement régulier d'étudiants tamouls sri-lankais dans les universités indiennes. Le gouvernement sri-lankais justifia cette politique par son programme d'autosuffisance économique. Dans les années 1970, le gouvernement appliqua une réforme des admissions universitaires, en fonction de quotas sociaux et territoriaux, profitant aux Cinghalais, les Tamouls étant jusque là mieux représentés proportionnellement parmi les diplômés.

En 1970, le nom du pays (Ceylan jusque là) est changé en Sri Lanka, un nom cinghalais.2

 

La progression du séparatisme tamoul

En 1972, Colvin R. De Silva, ancien dirigeant historique du LSSP et alors ministre des Affaires constitutionnelles, élabora une nouvelle Constitution qui, entre autres, accordait au cinghalais le statut d’unique langue officielle et érigeait le bouddhisme en quasi-religion d’État. Il retira la section 29 de la constitution de 1947 qui contenait certaines clauses de protection pour les minorités ethniques et religieuses. La constitution introduisait un nouveau chapitre sur les droits qui s’appliquait aux Tamouls du nord-est mais pas aux Tamouls des plantations parce que ces droits étaient accordés aux seuls citoyens sri lankais.

Au plan économique, la politique du gouvernement était profondément discriminatoire à l’égard de la communauté tamoule. La nationalisation des plantations fut accompagnée d’une redistribution des terres en faveur de la majorité cinghalaise. La politique linguistique du gouvernement privait les jeunes Tamouls d’emplois après leurs études. Les nouvelles normes d’accès à l’université furent perçues par ces jeunes des classes moyennes comme une mesure discriminatoire de plus, de trop, à l’égard de leur communauté. Cette mesure touchait principalement les jeunes Tamouls de Jaffna, plus éduqués. Elle ne concernait pas les jeunes de l’Est, de Vanni et des plantations du centre qui pour la plupart n’accédaient pas à l’université. Elle fut pourtant le déclencheur de mobilisations fortes et de l’entrée en politique d’une nouvelle génération de jeunes Tamouls.3

L'idée d'une nation indépendante, l'Tamil Îlam a été proposée par le Tamil United Liberation Front (TULF) en 1976. Le TULF, une coalition de partis, s'est présentée aux élections législatives sri-lankaises de 1977 en revendiquant la création de cet État tamoul indépendant au Sri Lanka. Elle remporta la plus grande part des sièges de la zone tamoule, mais le gouvernement lui interdit d'être représenté au Parlement, en raison de cette position séparatiste.

 

La montée de la violence

De nouvelles émeutes éclatèrent en 1977. À Jaffna, depuis plusieurs années, des groupes de militants tamouls avaient sporadiquement agressé des policiers, majoritairement cinghalais, sans que ceux-ci ne puissent les arrêter. Le 13 août 1977, lors de festivités de carnaval, un accrochage opposa de jeunes tamouls et des policiers ayant abusé de leur pouvoir pour racketter des commerçants. Un policier fut tué, ainsi que quatre civils tamouls deux jours plus tard. Le marché de Jaffna fut ensuite incendié par la police et le leader du TULF passé à tabac. À l'annonce de la mort d'un policier cinghalais, des groupes d'étudiants cinghalais montèrent une émeute, s'attaquant aux maisons, commerces et temples tamouls. Ces émeutes s'étendirent à Kandy, Matale, Polonnaruwa. Le Premier ministre Junius Jayewardene, devant le Parlement, accusa le TULF d'être responsable des émeutes. Les émeutes gagnèrent alors Colombo, Panadura et Kalutara. Le 20 août, le gouvernement décréta le couvre-feu et déploya l'armée pour faire cesser les émeutes.

Ces émeutes coûtèrent la vie à 300 civils selon les groupes tamouls (100 selon l'enquête officielle), et déplacèrent 25 000 Tamouls dans le pays. Elles dévoilèrent l'implication des extrémistes cinghalais du Sri Lanka Freedom Party et radicalisèrent la jeunesse tamoule, considérant que la stratégie légaliste du TULF était dépassée.

Entre le 31 mai et le 2 juin 1981, à Jaffna, un groupe criminel incendia plusieurs bâtiments d'importance pour la communauté tamoule, dont le marché, les bureaux des députés des circonscriptions locales, du quotidien Tamil Newspaper et de la bibliothèque publique de Jaffna. La destruction de la bibliothèque fut très douloureusement ressentie par la communauté tamoule, avec la disparition de 95 000 volumes, dont des manuscrits anciens uniques. Des témoins rapportèrent la présence de policiers parmi les incendiaires.

 

Le déclenchement de la guerre

Rejetant les politiques gouvernementales, une partie de la jeunesse forme des organisations militantes, dont certaines financées par l'attaque de banques. Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), plus communément désignés sous le nom de "Tigres tamouls", deviennent rapidement la plus importante d'entre elles. En réponse, le gouvernement intensifie sa présence militaire au nord du Sri Lanka.

 

Le Pogrom du juillet noir

Le 23 juillet 1983 une attaque des LTTE contre une unité militaire gouvernementale, à Jaffna, coûte la vie à 13 soldats sri-lankais. L'enterrement, deux jours plus tard, de ces soldats, dans la capitale, Colombo, donne lieu au déclenchement, en représailles contre la communauté tamoule, de pogroms connus sous le nom de pogrom du juillet noir (Black July Pogrom). Les violences (meurtres, pillages, incendies), provoquées par des groupes de civils cinghalais, s'étendent aux principales villes sri-lankaises majoritairement cinghalaises. Le gouvernement impose un couvre-feu, mais il ne met un terme aux violences qu'après la visite du ministre indien des Affaires Étrangères, Narasimha Rao, mandaté par Indira Gandhi, le 28 juillet.

Bien que les pogroms aient été déclenchés par des réactions spontanées de civils cinghalais, le rôle du gouvernement dans ce drame a été trouble. Des témoins ont ainsi affirmé que des membres de l'United National Party (UNP), parti de la majorité gouvernementale, étaient impliqués dans l'organisation des émeutes. De plus, lors du déroulement de ces violences, la police et l'armée, dominées par les Cinghalais, n'ont pas agi pour les faire cesser. De nombreux témoignages visuels ont poussé à conclure à une préparation minutieuse des pillages et des meurtres commis de sang froid. Des émeutiers, à Colombo, se servirent des listes électorales pour trouver leurs victimes tamoules. D'autres furent conduites sur les lieux des exactions par des bus appartenant à l'État. Cette implication du gouvernement a été interprétée comme la volonté de son aile dure de "donner une leçon" à la minorité tamoule. Le président de l'époque, Junius Richard Jayawardene aurait également couvert ces actions.

Diverses ONG et agences internationales ont estimé qu'entre 1 000 et 3 000 Tamouls ont été tués durant ces émeutes. Plus de 18 000 maisons et commerces ont été détruits. Des centaines de milliers de Tamouls ont fui leur pays pour l'Inde ou la diaspora en Europe, Australie ou au Canada. Des milliers de jeunes Tamouls ont rejoint les rangs des LTTE. Bien qu'une commission présidentielle ait, à la fin des années 1990, conclu à l'assassinat de 1 000 Tamouls, aucune procédure judiciaire n'a depuis été engagée.

 

Le début des combats

Le pogrom du juillet noir est ordinairement considéré comme le commencement de la guerre civile au Sri Lanka. En 1985, des négociations entre des représentants tamouls et le gouvernement échouent.

En 1987, le conflit s'intensifie. L'armée gouvernementale accule les combattants des LTTE dans la péninsule de Jaffna, principale ville majoritairement tamoule, au nord de l'île. En avril 1987, les deux forces engagées lancent l'une contre l'autre une série d'opérations particulièrement sanglantes. En juillet 1987, les LTTE lancent leur premier attentat-suicide : un combattant tamoul conduit un camion piégé dans l'enceinte d'un camp de l'armée sri-lankaise, et tue quarante soldats en explosant.

Initialement, plusieurs groupes de combattants tamouls coexistaient. Les LTTE étaient partisans d'une stratégie comme celle de l'OLP, à savoir une organisation unitaire pour combattre l'armée gouvernementale. Progressivement, les LTTE ont absorbé ou éliminé les autres groupes militants tamouls. En conséquence, plusieurs organisations tamoules furent obligées de couper tout contact avec le gouvernement sri-lankais, tandis que des partis politiques tamouls légaux restèrent opposés à la vision des LTTE d'un Eelam tamoul indépendant. Des violences et des meurtres entre Tamouls ont résulté de ces oppositions.

 

L'implication de l'Inde

L'Inde s'est impliquée dans le conflit dans les années 1980 pour plusieurs raisons : le désir de ses dirigeants d'affirmer le statut de puissance régionale de leur pays, les inquiétudes vis-à-vis des volontés indépendantistes des Tamouls de l'Inde, parallèlement aux inquiétudes vis-à-vis de la situation des Tamouls du Sri Lanka. La sympathie envers ces derniers est particulièrement forte dans l'État indien du Tamil Nadu, en raison de l'appartenance ethnique commune.

Dans les années 1980, le gouvernement fédéral indien et le gouvernement du Tamil Nadu ont soutenu, de différentes manières et alternativement, les deux parties du conflits. Il est cependant largement admis que l'Inde a apporté un appui financier au LTTE et accueilli sur son sol des camps d'entraînement pour ses combattants.

 

Air Lanka vol 512

Le 3 mai 1986 : Air Lanka vol 512 était un Lockheed L-1011 Tristar, qui était arrivé à l'Aéroport International Bandaranaike en provenance de London Gatwick Airport via Zurich et Dubaï et était prêt à rejoindre les Maldives, îles de l'océan Indien, lorsqu'une explosion a déchiré l'avion en deux au moment de l'embarquement. Le vol transportait essentiellement des touristes français, allemands, britanniques et japonais. 21 personnes ont été tuées dans l'avion dont 13 étrangers – deux Britanniques, 2 allemands , 3 français, 2 japonais, un habitant des Maldives et un pakistanais – et blessant 41 autres personnes. Le gouvernement conclut que la bombe avait été posée par le LTTE afin de saboter les pourparlers de paix.

 

L'Indian Peace-Keeping Force

En 1987, l'Indian Air Force parachute des rations alimentaires sur Jaffna, alors assiégée par l'armée sri-lankaise. Un accord est signé le 29 juillet entre le Premier ministre indien Rajiv Gandhi et le Premier ministre sri-lankais Junius Richard Jayawardene. Cet accord prévoit que le gouvernement du Sri Lanka fasse des concessions aux revendications tamoules, ce qui implique une décentralisation en faveur des provinces, un referendum sur le futur statut des provinces de l'est et du nord du Sri Lanka et un statut officiel accordé à la langue tamoule (qui a été par la suite inscrit dans le 13e amendement de la constitution sri-lankaise).

Le gouvernement indien accepte de rétablir l'ordre dans le nord et l'est du Sri Lanka, par l'intermédiaire d'une force d'intervention, l'Indian Peace-Keeping Force (IPKF), et d'aider les insurgés tamouls. Les LTTE, bien qu'initialement réticents, acceptent de rendre leurs armes à l'IPKF. Le gouvernement sri-lankais doit faire face dans le même temps à une révolte dans le Sud, organisée par le parti marxiste Janatha Vimukthi Peramuna (JVP). Il demande à l'Inde d'intervenir militairement, immédiatement après la signature de l'accord entre les deux Premiers ministres. L'IPKF est chargée de faire respecter la cessation des combats et de désarmer les groupes tamouls rebelles. Parallèlement, l'armée sri-lankaise déplace ses troupes du Nord vers le Sud et mate la rébellion du JVP.

Peu de concessions incluses dans l'accord indo-sri-lankais sont respectées. Lorsque les combattants des LTTE refusent de déposer les armes, l'IPKF essaye de les y contraindre par la force, ce qui conduit à un conflit avec les Tamouls qu'elle était censée initialement protéger. Les troupes indiennes sont accusées d'atteintes aux droits de l'homme et font face à une hostilité croissante de la population tamoule. De leur côté, les nationalistes cinghalais sont opposés à la présence prolongée de l'armée indienne sur le sol sri-lankais.

Cette situation amène le gouvernement sri-lankais à demander le départ des troupes indiennes. Dans le même temps, il engage des négociations avec les LTTE, au point d'arriver avec eux à un accord de cessez-le-feu. Malgré cela, les LTTE et l'IPKF continuent à s'affronter, et, selon certains rapports, les gouvernements sri-lankais ont paradoxalement aidé les rebelles à se fournir des armes (jusqu'en 1987, l'Inde était le principal fournisseur), afin de précipiter le départ de l'IPKF. Constatant l'accumulation de pertes dans les rangs de son armée avec un total de 1 100 morts, le gouvernement indien décide d'évacuer ses troupes du Sri Lanka en mars 1990.

 

L'assassinat de Rajiv Gandhi

Le soutien de l'Inde aux combattants indépendantistes est définitivement abandonné en 1991, après l'assassinat de l'ex-Premier ministre Rajiv Gandhi par une Tamoule, probablement combattante des LTTE, lors d'un attentat-suicide dans un meeting électoral. La presse indienne a affirmé que le leader des LTTE, Velupillai Prabhakaran, avait décidé d'éliminer Rajiv Gandhi, qui était en voie de remporter les élections générales indiennes, car il craignait que ce dernier, une fois revenu au pouvoir, ne redéploie l'IPKF au Sri Lanka.

En 1998, un tribunal indien a jugé les LTTE et son leader Prabakharan responsables de cet assassinat. En 2006 dans une interview, Anton Balasingham, idéologue des LTTE, regrette cet assassinat mais refuse de reconnaître la responsabilité des Tigres tamouls. Le gouvernement indien reste un observateur du processus de paix en cours, et demande régulièrement l'extradition de Velupillai Prabhakaran.

 

La poursuite de la guerre dans les années 1990

Durant les années 1980 et 1990, les gouvernements sri-lankais successifs révoquent certaines des mesures discriminatoires. Le tamoul est reconnu par l'État comme une langue officielle du Sri Lanka. Des représentants des communautés cinghalaises et maures (musulmans, plus de 7 % de la population), prétendent aujourd'hui avoir été victimes de discriminations par effet de balancier, ce que nient les représentants tamouls, qui estiment que ces changements de politique étaient le minimum concevable et sont intervenus trop tardivement.

 

L'escalade de la violence

Avec le retrait de l'IPKF, les LTTE ont pris le contrôle de vastes zones dans le nord de l'île, où ils ont établi une administration se substituant à celle du gouvernement. En 1990, il est question d'un cessez-le-feu, alors que les LTTE sont occupés à éliminer des groupes tamouls rivaux et que le gouvernement doit faire face à une nouvelle révolte instiguée par le JVP. Dès que les LTTE et l'armée gouvernementale ont consolidé leurs bases, ils rompent le cessez-le-feu et s'affrontent à nouveau. Le gouvernement, soutenu au niveau diplomatique et matériel par la République populaire de Chine depuis les années 1980 suite à un embargo sur les armes de l'Occident lance une offensive pour reprendre Jaffna.

Cette phase de la guerre, surnommée Eelam War II, est marquée par une violence sans précédent. Le gouvernement place la péninsule de Jaffna sous embargo, bloquant l'entrée de vivres et de médicaments. L'armée de l'air du Sri Lanka bombarde implacablement cette zone, attaquant des bâtiments civils, dont des écoles, des hôpitaux, des églises et des temples. De jeunes Tamouls suspectés d'être des rebelles sont sommairement exécutés. Les LTTE répliquent en attaquant des villages cinghalais ou maures, et en y massacrant les habitants. Le gouvernement arme alors des milices musulmanes pour qu'elles puissent se venger sur des villages tamouls. Les LTTE expulsent les musulmans de Jaffna. La vue de cadavres brûlant sur le bord des routes devient commune dans le nord et l'est de l'île. Dans tout le pays, des escadrons de la mort capturent et assassinent des Cinghalais ou des Tamouls suspectés d'être des sympathisants du JVP ou des LTTE.

La plus grande bataille de la guerre se déroule en juillet 1991, quand la base militaire sri-lankaise de l'Elephant Pass, qui contrôle l'accès à la péninsule de Jaffna, est encerclée par 5 000 combattants des LTTE. Plus de 2 000 tués sont à déplorer de part et d'autre durant ce siège d'un mois, avant qu'une force de 10 000 soldats ne vienne renforcer les troupes gouvernementales.

En février 1992, une nouvelle série d'offensives gouvernementales échoue dans la tentative de conquête de Jaffna. En mai 1993, le président sri-lankais, Ranasinghe Premadasa est tué par le LTTE dans un attentat-suicide.

 

Années 1990

Lors des élections législatives de 1994, l'United National Party (UNP), parti cinghalais au pouvoir, est vaincu. Suscitant de grands espoirs, le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) prend la tête du gouvernement avec un programme de paix. Un cessez-le-feu est obtenu en janvier 1995, mais les négociations qui s'ensuivent restent sans lendemain. Les LTTE brisent le cessez-le-feu en avril. C'est une nouvelle phase de la guerre, Eelam War III, qui commence.

Le nouveau gouvernement s'engage alors dans une stratégie de "guerre pour la paix". Déterminé à reprendre Jaffna, il envoie des troupes supplémentaires dans la péninsule. Plusieurs parties de la ville sont réduites en ruines par l'armée gouvernementale, qui s'attaque encore une fois aux bâtiments civils, pour y déloger les combattants rebelles. Les pertes civiles ont été en conséquence particulièrement élevées. En décembre 1995, l'armée gouvernementale parvient à prendre le contrôle de Jaffna, ce qui n'était plus arrivé depuis près de dix ans. Les LTTE et plus de 400 000 civils s'enfuient dans la région de Vanni, à l'intérieur des terres. La plupart de ces réfugiés sont retournés à Jaffna dans l'année qui a suivi. En juillet 1996, les Tigres Tamouls remportent une bataille à Mullaitivu.

Le gouvernement lance une nouvelle offensive en août 1996. Ces combats provoquent le départ de 200 000 réfugiés. La ville de Kilinochchi est conquise fin septembre. En mai 1997, 20 000 soldats gouvernementaux essaient d'organiser une ligne de ravitaillement vers Jaffna à travers la zone de Vanni contrôlée par les LTTE, mais ils échouent. Dans le cadre de ces opérations, des civils sont régulièrement tués par chaque camp.

En mars 1999, lors de l'Opération Rana Gosa, l'armée gouvernementale envahit le district de Vanni par le sud, conquiert quelques territoires, mais ne parvient pas à déloger les LTTE de la région. Ceux-ci lancent à leur tour une offensive avec l'Opération Unceasing Waves ("vagues incessantes"), en novembre 1999. Ils reprennent le contrôle de l'ensemble de la région de Vanni, à la suite de 17 attaques, au cours desquelles des milliers de morts sont à déplorer. Les combattants rebelles avancent vers Elephant's pass et Jaffna, à Kilinochchi, coupant définitivement les forces sri-lankaises dans la péninsule de tout ravitaillement par la terre.

En avril 2000, les LTTE lancent une nouvelle offensive, en direction du nord, et attaquent l'Elephant Pass où sont regroupés 17 000 soldats sri-lankais. Le 22 avril, ils prennent le contrôle de cette zone stratégique qui coupait la péninsule de Jaffna du district de Vanni depuis 17 ans.

Les LTTE instaurent unilatéralement un cessez-le-feu, en décembre 2000. Ils le rompent le 24 avril 2001. L'armée gouvernementale lance alors l'opération Agni Khiela, tentant de reprendre, sans succès, le sud de la péninsule de Jaffna.

 

Guérilla maritime

Cette guerre civile est l'une des rares où la guérilla possède une marine de guerre ; cette branche est nommée Tigres des mers (Sea Tigers), et les batailles navales ont eu lieu assez régulièrement avec la marine du Sri Lanka pour le contrôle des voies d'approvisionnement de l'île dans le détroit de Palk.

Elle a possédé plusieurs centaines de vedettes rapides en fibre de verre équipées de mitrailleuses et de lance-roquettes, elle permettait de mettre en place et de ravitailler les groupes de combat ; elles servent aussi à harceler la marine srilankaise.

Les Tigres des mers ont longtemps possédé des installations portuaires bien adaptées, de petits chantiers navals ainsi que des radars mobiles.

De septembre 2006 à octobre 2007, la marine Sri-Lankaise coule en haute mer les 8 navires-dépôts constituant la base arrière logistique du mouvement. Cette destruction a marqué le véritable tournant de cette guerre. Dépendant de la mer en raison de l’insularité du pays, les Tigres tamoul perdent leurs capacités d’approvisionnement. Cela se traduit par l’affaiblissement rapide de leur flotte armée, privée de la logistique indispensable et incapable de poursuivre une course à la supériorité technologique ; puis la prise de contrôle progressive de la mer par la marine srilankaise ; et enfin la défaite des forces terrestres du LTTE en raison de la pénurie en vivres, armes et munitions.

Le LTTE est également la première guérilla à avoir développé des submersibles, bien que leur utilisation au combat ne semble pas avoir été constatée.

 

La série des attentats-suicides

Les attentats-suicides et les bombes à retardement des LTTE explosent à de nombreuses reprises dans les villes, les bâtiments gouvernementaux, les transports publics, tuant des centaines de civils. En janvier 1996, les Tigres tamouls commettent leur plus sanglantes attaques-suicides, dans la Banque centrale de Colombo, tuant 90 personnes et en blessant 1 400. En octobre 1997, ils ciblent le centre des affaires, dans la capitale, et en janvier 1998, un camion piégé endommage le Sri Dalada Maligawa à Kandy, l'un des temples bouddhistes les plus sacrés au monde.

En réponse à ces attentats, le gouvernement sri-lankais déclare les LTTE hors-la-loi et incite d'autre gouvernements étrangers à faire de même. L'Inde l'avait déjà fait en 1992, les États-Unis listent les LTTE comme organisation terroriste en 1997, avant le Royaume-Uni en 2000. Ces proscriptions rendent plus difficile pour les Tigres tamouls la récolte de fonds pour leurs activités.

En décembre 1999, les LTTE essaient de tuer la présidente sri-lankaise Chandrika Kumaratunga. Celle-ci perd un œil dans l'explosion.

En juillet 2001, les LTTE commettent une attaque-suicide contre l'aéroport international Bandaranaike. Ils détruisent huit avions des forces aériennes sri-lankaises et quatre avions de la Sri Lankan Airlines, portant ainsi un coup sévère à l'industrie touristique.

Plusieurs attentats à la bombe touchent régulièrement le pays depuis le début du conflit.

 

Tentatives de paix

En 2000, des ONG ont estimé que la population déplacée dans le Sri Lanka s'élevait à plus d'un million de personnes, vivant dans des camps ou sans-abris.

Un important mouvement en faveur de la paix s'est développé dans les années 1990. Il se traduit par des conférences, des médiations et de nombreux efforts pour tisser des liens entre les deux communautés.

Dès février 2000, la Norvège est sollicitée en tant que médiateur entre les belligérants mais ses efforts ont échoué.

 

Recrudescence des violences depuis 2005 et défaite du LTTE

Le gouvernement, pour reprendre l'initiative, augmente le budget de la défense (5 % du produit national brut soit environ un milliard d'euro) et les effectifs de son armée (500 % d'augmentation entre 1985 et 2005) et achète des armements principalement à des États non-occidentaux dont principalement la République populaire de Chine, l'Ukraine, le Pakistan, l'Iran et la Libye.

460 000 personnes sont déplacés internes en 2007 suite aux combats.

Le 6 août 2006, 17 travailleurs humanitaires d’Action contre la faim (ACF), tous d’origine tamoule, étaient découverts abattus d’une balle dans la tête sur leur base de Muttur, à l’est. Les auteurs de ces actes n'ont toujours pas été démasqués. Cela constitue l’un des plus importants assassinats de personnels humanitaires. En 2015, pour la première fois, un rapport de l'ONU désigne les forces gouvernementales comme responsables de ces meurtres.

 

De puissantes offensives gouvernementale depuis 2007 ont fait reculer la rébellion qui contrôlait en 2005 la côte ouest de l'île à une zone circonscrite dans le nord fin 2008. Le 2 janvier 2009, l'armée sri-lankaise lors de la bataille de Kilinochchi parvient à s'emparer de Kilinochchi, la "capitale" des rebelles des Tigres tamouls.

 

Le 25 janvier 2009, 50 000 militaires de l'armée srilankaise ont pris le contrôle de Mullaitivu après des combats contre 2 000 tigres tamouls qui le 24 janvier avaient fait sauter un barrage pour tenter de les ralentir. Il s'agissait de la dernière ville aux mains des indépendantistes et les insurgés sont, selon l'armée gouvernementale, dorénavant confinés dans la jungle sur un territoire de 20 km de long sur 15 km de large.

Les organisations humanitaires internationales s'inquiètent à cette date du sort de 150 000 à 300 000 civils coincés dans la région de Mullaittivu et que les Tigres utiliseraient comme boucliers humains.

Malgré quelques coups d'éclat comme un nouveau bombardement aérien à partir de deux avions légers de Columbo, le 23 février 2009, le LTTE demande un cessez-le-feu rejeté par le gouvernement dont les forces investissent la dernière localité aux mains de la guérilla le 24 février.

Au 25 avril 2009, le LTTE est retranché dans une zone de 13 km² à Puttumatalan, étroite bande côtière du district de Mullaithivu encerclé par l'armée srilankaise mais la présence de dizaines de milliers de civils complique la situation humanitaire.

Certains estiment à cette date à 50 000 le nombre de personnes bloquées dans la zone des combats demeurant jusqu'alors hors d'atteinte et 100 000 autres qui ont réussi à atteindre des camps de réfugiés. Selon l'ONU, plus de 6 500 civils ont probablement déjà été tués et 14 000 blessés depuis le début de l'année 2009 dans les combats.

Le 16 mai 2009, le LTTE perd son accès à la mer, vital pour son approvisionnement, et dépose les armes le lendemain. Plus de 250 dirigeants et cadres du LTTE ont été tués dans ces derniers combats sur les plages de Mullaitivu.

Le 18 mai, Velupillai Prabhakaran, dirigeant historique du LTTE, est tué par l'armée gouvernementale mais les sites proches du LTTE annoncent qu'il est toujours vivant et ne reconnaissent son décès que le 24 mai 2009 .

Au 19 mai 2009, 265 000 personnes déplacées sont enregistrées dans des camps selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Au 30 mai 2009, les chiffres des pertes civiles dans la dernière bataille ont été déclarés sous-estimés par l'ONU et le chiffre de 20 000 morts est avancé dans la presse ; John Holmes, secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des affaires humanitaires, déclare que l'on ne saura sans doute jamais combien de civils ont péri dans les derniers affrontements.

Le 25 avril 2011, des experts de l'ONU ont déclaré qu'un bilan de 40 000 civils tués ne peut pas être écarté.4

 

Une victoire militaire ne saurait mettre fin à un conflit politique qui remonte à loin. Même si l’on condamne l’usage par les LTTE d’attentats suicides, de la violence et de l’assassinat au sein du mouvement national tamoul ou à l’encontre de Tamouls musulmans, la responsabilité historique et présente du régime cinghalais s’avère écrasante.

La guerre contre les Tigres a aussi servi de prétexte au régime autoritaire de Rajapaksa pour limiter les libertés démocratiques de tous les citoyens. Le gouvernement a lancé ses escadrons de la mort contre les journalistes indépendants et les critiques de sa politique guerrière.

La lutte pour les libertés démocratiques dans l’île et, singulièrement, pour le respect des droits et de la culture tamouls, reste toujours d’actualité.

Toute paix durable exige la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple tamoul. L’autonomie doit être accordée aux régions à majorité non cingalaise et l’égalité entre les citoyens doit être garantie, seules garanties de paix et de démocratie dans un État multi-ethnique et multiculturel.5

 

 

Dérive autoritaire

 partir de la réélection de Mahinda Rajapakse (United People's Freedom Alliance), en 2010, les association des droits de l'homme dénoncent le glissement vers la dictature qui s'opère au Sri Lanka. Ces associations dénoncent : les lois qui renforcent le pouvoir de l'exécutif au détriment du parlement, l'étatisation de l'économie, les discriminations envers les tamouls, le musèlement des médias, l'emprisonnement et même la torture qui frappent les opposants, les pleins pouvoirs données à l'armée, la corruption, les fraudes électorales, la non-réparation des dommages causés par la guerre contre les indépendantistes tamouls, les Tigres de libération de l'Îlam tamoul (1983-2009) et la guérilla marxiste du Janatha Vimukthi Peramuna (1971 et 1987-1989), ainsi que son refus de l'aide humanitaire envoyé aux camps de réfugiés tamouls. Certains craignent même le retour à la dictature nationaliste et raciste pro-cinghalais et anti-tamoul ayant dirigé le pays entre 1960 et 1987. 6

 

 

Quelques enseignements de l’histoire d’une oppression

Ce rappel historique de la question tamoule au Sri Lanka permet de tirer des enseignements politiques valables pour d’autres continents et pour d’autres luttes et qui lui donnent une portée universelle.

Tout d’abord, les organisations du mouvement ouvrier ne doivent jamais abandonner une partie des leurs. On ne peut prétendre émanciper les travailleurs de l’exploitation tout en laissant une minorité d’entre eux désignés à la vindicte raciste, voire pire en participant directement à leur oppression. Les discriminations et les violences exercées contre une minorité ethnique se retournent toujours plus tard contre l’ensemble des travailleurs et des organisations qui se réclament d’eux. Le Sri Lanka en est la triste illustration. Les travailleurs cinghalais n’ont rien gagné de l’oppression des Tamouls et le LSSP et le PCC, en les laissant tomber, ont précipité leur dégénérescence.

En ce qui concerne les « Tigres Tamouls », la militarisation à outrance et le jusqu’au-boutisme se sont alimentés de la négation des droits démocratiques des Tamouls eux-mêmes et ainsi de la possibilité d’auto-organiser les luttes. Aucune société socialiste et démocratique ne peut être créée par des organisations qui justifient le meurtre au nom des nécessités de la lutte armée.

Dans tous les combats contre l’oppression nationale, ou contre l’oppression que subissent certaines ethnies, il est important de reconnaître le droit à l’autodétermination. La seule solution progressiste est la défense de l’égalité entre citoyens quelque soit leur origine, sexe ou religion. Aujourd’hui, les conditions matérielles et politiques de l’exercice du droit à l’autodétermination ne sont pas réunies. Le Sri Lanka étant un État multiethnique et multi religieux, il est indispensable que les minorités se voient accorder des droits spécifiques, en particulier dans les domaines politiques, culturels et linguistiques, de façon à contrer leur oppression et discriminations historiques.

Aujourd’hui, justice et réparation doivent être accordés aux Tamouls et aux Musulmans qui ont été déplacés et dépossédés pendant la guerre ainsi qu’aux Tamouls des plantations qui restent marginalisés économiquement. Au contraire, le gouvernement a profité de la « victoire » militaire remportée contre les « Tigres Tamouls » en 2009 pour restreindre toujours plus les libertés démocratiques, empêcher toute opposition et sur cette base s’attaquer à l’ensemble des travailleurs quelle que soit leur origine ethnique. Les orientations économiques ont accentué les inégalités de développement et la pauvreté pour la majorité de la population. En conséquence, il n’y aura pas d’avancées sociales si les solutions mises en avant pour satisfaire les revendications des minorités opprimées ne sont pas liées à la lutte de classe de tous les travailleurs sri lankais pour la justice sociale et la redistribution des richesses. Dans cette perspective, la dévolution des pouvoirs pourrait être décisive dans la mesure où elle retirerait du pouvoir à l’État autoritaire et centralisé actuel pour le donner aux communautés locales et aux minorités.7

 

 

Élection présidentielle de 2015

Lors de l'élection présidentielle du 8 janvier 2015, Mahinda Rajapakse fut battu par Maithripala Sirisena, également membre du SLFP (Parti de la liberté du Sri Lanka).8

 

Qui est ce nouveau président ?

Le parti Nava Sama Samaja (NSSP), un parti de la pseudo-gauche, a fait l’éloge de Sirisena en le présentant comme un « géant » qui a combattu la domination des multinationales au Sri Lanka tout en occupant un poste dans le cabinet du gouvernement Rajapakse. En fait, c’est un homme voué à la défense des intérêts de l’élite bourgeoise et de l’impérialisme. Il a pris le pouvoir lors des élections présidentielles du 8 janvier dans le cadre d’une opération de changement de régime instiguée par l’ancien président pro-États-Unis, Chandrika Kumaratunga, et le chef du Parti national uni (UNP), Ranil Wickremesinghe. Ils ont agi avec le feu vert de l’administration Obama.

La carrière politique de Sirisena a commencé vers la fin des années 1960. En tant que jeune de la campagne élevé dans une famille paysanne dans la région de Polonnaruwa, il a adhéré à la section jeunesse du Parti communiste maoïste de Ceylan mené par N. Shanmugadasan. Les groupes maoïstes ont pu prospérer parmi les jeunes de la campagne au Sri Lanka et en Inde en raison de la trahison du Lanka Sama Samaja Party (LSSP), qui a répudié le trotskisme et le socialisme internationaliste et qui est entré dans un gouvernement de coalition avec le Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP) en 1964, un parti bourgeois.

Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) a été formé dans la foulée de la trahison du marxisme par le LSSP. Le JVP faisait la promotion d’un populisme nationaliste cingalais et canalisait le désabusement des jeunes de la campagne vers la perspective maoïste sans issue de la « lutte armée ». Sirisena a été arrêté durant la suppression de l’insurrection aventureuse du JVP en 1971, pendant laquelle l’armée a massacré plus de 15.000 jeunes de la campagne.

On ne sait avec certitude si Sirisena était un membre du JVP à l’époque. Cependant, lorsqu’il est sorti de prison en 1972, après 15 mois en détention, il s’est immédiatement joint au SLFP et s’est voué à l’une des institutions clés de la classe dirigeante du Sri Lanka.

Les loyaux services de Sirisena au SLFP lui ont permis de se hisser parmi ses rangs. De secrétaire de district pour la ligue jeunesse en 1979, il est devenu président du mouvement jeunesse du SLFP en 1983. En 1989, il a été sélectionné comme candidat du SLFP et a remporté un siège au parlement lors de l’élection la même année. De 1994 à 2001, il a travaillé comme ministre dans le gouvernement du président Kumaratunga, majoritairement contrôlé par le SLFP. Tout juste avant les élections parlementaires de décembre 2001, dans lesquelles l’UNP a gagné de nouveau le contrôle du parlement, Sirisena a été sélectionné pour être le secrétaire général du SLFP. Il a occupé ce poste pendant les 13 années suivantes jusqu’à ce qu’il déserte Rajapakse le 21 novembre 2014 et qu’il annonce qu’il se présenterait comme candidat à la présidence.

Malgré toute la sympathie qu’il a feinte pendant les élections pour les travailleurs, Sirisena a défendu et aidé à mettre en œuvre les attaques sur le niveau de vie et les droits démocratiques orchestrées par les gouvernements de Kumaratunga et Rajapakse. Il est entièrement complice dans la promotion du chauvinisme cingalais et les crimes commis contre la population tamoule pendant la guerre civile contre les Tigres de libération de l’Îlam Tamoul (LTTE) séparatistes.

Sous Rajapakse, qui est devenu président en novembre 2005, Sirisena a servi comme ministre pour différentes enveloppes destinées à l’agriculture et, après 2010 et jusqu’à sa course à la présidence, il a occupé le poste de ministre de la Santé.

Dans une entrevue avec le Daily Mirror le 2 janvier, Sirisena s’est vanté qu’il était le ministre de la défense de facto en six occasions après que Rajapakse ait rompu un cessez-le-feu avec le LTTE en 2006 et qu’il ait relancé la guerre avec une cruauté redoublée. De manière significative, Sirisena a déclaré : « J’étais le ministre responsable de la Défense pendant les deux dernières semaines de la guerre [en 2009], pendant lesquelles la plupart des chefs du LTTE ont été tués et pendant que le général Fonseka était à la tête de l’armée. »

Selon des enquêteurs des Nations Unies, au moins 40.000 civils tamouls ont été massacrés dans la phase finale de la guerre, la majorité pendant les deux semaines où Sirisena était le ministre de la Défense de facto. Les chefs du LTTE et les combattants qui ont tenté de se rendre étaient exécutés sommairement et les civils étaient massacrés par des bombardements sans discrimination.

Malgré toute la publicité entourant Sirisena qui le présente comme « fils de paysan », son passé politique montre qu’il est hostile à toute tentative de soulager la pauvreté et le manque d’infrastructures dont souffrent les paysans pauvres. En tant que ministre de l’Agriculture, il a dirigé des politiques qui favorisaient les fermiers riches et n’a rien fait pour remettre en cause le contrôle exercé par les multinationales sur les produits nécessaires à l’agriculture comme les grains ou les fertilisants.

Lorsque des milliers de cultivateurs de riz ont manifesté en mars 2012 pour une hausse des prix, Sirisena, alors ministre de la Santé, les a dénoncés comme faisant partie d’une « conspiration internationale » visant à « punir le président [Mahinda Rajapakse] et les héros de guerre ».

La « conspiration » consistait en une campagne financée par les États-Unis et les pays européens pour l’investigation des crimes de guerre commis lors du massacre à la fin de la guerre civile. Cette campagne représentait le moyen par lequel les grandes puissances cherchaient à faire pression pour que Rajapakse mette un terme au développement de ses relations militaires et politiques avec la Chine. Trois ans plus tard, Sirisena a été installé à la présidence avec le soutien des puissances impérialistes dans le but de détourner de manière définitive le Sri Lanka de la sphère d’influence de la Chine, et en ligne avec le « pivot » agressif vers l’Asie des États-Unis contre le régime chinois.

Comme ministre de la Santé, de 2010 à novembre 2014, Sirisena a tenté de supprimer toutes les luttes des travailleurs de la santé qui défendaient leurs conditions de travail. Il a cherché à obtenir des injonctions du tribunal pour interdire des grèves et autres manifestations. En août 2014, il a déployé la police et l’armée dans les hôpitaux en réaction à une grève des travailleurs de la santé qui luttaient pour une hausse de salaire.

Il y a plus d’un million de personnes atteintes d’une maladie du rein dans les régions rurales du Sri Lanka, la plupart étant des cultivateurs de riz. Sirisena a rejeté des propositions de l’Organisation mondiale de la Santé voulant que le gouvernement de Colombo devait trouver des moyens pour remédier à la crise, comme l’amélioration de l’approvisionnement d’eau potable et l’interdiction de certains produits chimiques toxiques liés aux maladies du rein.

Sirisena a été choisi par Kumaratunga, Wickremesinghe du Parti national uni et par Washington comme le représentant de la campagne pour évincer Rajapakse en raison de son parcours politique. Il est, dans tous les sens du mot, le fidèle serviteur de la bourgeoisie et de l’impérialisme. Son opposition de novembre 2014 est le résultat de discussions et de préparations ayant pris place sur une longue période. Il y a des preuves que dès l’année 2011 l’ambassade américaine cherchait à cultiver des relations avec celui-ci. En juin 2013, Sirisena a voyagé aux États-Unis pour recevoir le « Health Leadership Award » de l’université Harvard, après avoir été sélectionné par l’ambassade américaine au Sri Lanka et l’agence du département d’État américain USAID et clairement identifié comme un individu avec qui il serait possible de travailler au sein de l’establishment sri lankais.

En entrevue avec le Daily Mirror, Sirisena a expliqué de manière partielle ce qui l’a poussé à déserter Rajapakse. « Le parlement est contrôlé par cette famille [Rajapakse] », a-t-il déclaré. « Les ministères sont sous le contrôle de cette famille, la justice est contrôlée par cette famille, l’armée et l’ensemble du secteur d’État, de l’entreprise et de l’investissement sont directement sous le contrôle de cette famille. »

Ces critiques n’étaient pas uniquement formulées par les ministres du gouvernement. Les investisseurs transnationaux et l’élite patronale locale éprouvaient beaucoup de frustration quant à la richesse contrôlée par la clique de Rajapakse. Lors de la campagne électorale, cette frustration a coïncidé avec la volonté de l’impérialisme américain de remodeler la politique étrangère du Sri Lanka sous la forme de dénonciations d’importants projets d’investissement financés par la Chine, dont, selon la rumeur, la clique de Rajapakse bénéficiait largement.

Maintenant que Sirisena a été installé à la présidence, Washington, le Fonds monétaire international et le capital étranger s’attendent à ce qu’il livre la marchandise. Son régime n’amènera pas la paix, la prospérité et la démocratie. Ses maîtres exigent la restructuration du libre marché dans le but d’ouvrir le marché sri lankais à l’investissement impérialiste, ainsi que l’intensification des mesures d’austérité afin de diminuer les conditions de vie de la classe ouvrière et des masses rurales opprimées.

L’administration Sirisena est surtout chargée d’intégrer le Sri Lanka dans les intrigues des États-Unis en Asie-Pacifique afin de miner l’influence diplomatique et économique de la Chine.9

 

 

Morts de misère

Le 14 avril 2017, une montagne d’ordures de 91 mètres de haut s’est effondrée dans une immense décharge près de Colombo, la capitale du Sri Lanka. Le bilan est de 29 morts. 23 millions d’ordures s’entassent dans cette décharge, et 800 tonnes sont déversées chaque jour.

Un mois auparavant, le même drame s’est produit en Ethiopie, où l’effondrement d’une décharge a fait 113 morts.

Des richesses sans nombre d’un côté, la vie dans des décharges à ciel ouvert de l’autre : voilà une image très concrète du capitalisme.10

 

 

Terrorisme au Sri Lanka

Des kamikazes se sont fait exploser, le 21 avril 2019 au matin, dans trois hôtels de luxe de Colombo, la capitale, et trois églises chrétiennes où était célébrée la messe de Pâques. 253 personnes ont trouvé la mort, dont de nombreux enfants et une quarantaine d’étrangers. Des familles entières ont été décimées. Le nombre de blesséEs serait d’environ 500.

 

L’empreinte de Daech

Les attentats ont visé l’économie de l’île (via l’industrie de tourisme), mais ils étaient avant tout anti-chrétiens. Ils ont été commis par une organisation islamiste locale qui s’était récemment renforcée et « radicalisée », le National Tawheed Jamaath (NTJ). Ce dernier a reçu un entraînement et une aide logistique internationale, vraisemblablement fournis par Daech, qui a revendiqué l’opération. De l’Afghanistan à Mindanao (Philippines), l’Asie est en effet devenue la principale région d’expansion de l’État islamique.

La radicalisation du NTJ se nourrit de la crise économique qui frappe l’île, mais aussi d’un sentiment de marginalisation de la population musulmane, victime collatérale de la guerre qui a opposé le pouvoir à l’organisation armée des Tigres tamouls (LTT) qui revendiquait la création d’un État dans le nord et l’est du pays – et qui s’est attaquée aux musulmanEs habitant l’est. Le gouvernement a brisé la capacité de combat des LTT en 2009, au prix d’un terrible massacre de civils. Après les Tamoules, c’est la minorité musulmane qui est devenue la cible du chauvinisme cingalais et subit des harcèlements quotidiens.

 

Irresponsabilité criminelle

Le régime a favorisé le développement d’organisations bouddhistes fondamentalistes d’extrême droite qui portent une grande responsabilité dans la spirale des violences. Il s’est désintéressé du sort des minorités musulmanes ou chrétiennes et ne les a pas protégées. Du coup, la transformation du NTJ est passée inaperçue. De même, tout occupé par la guerre des chefs qui oppose le Premier ministre et le Président, il n’a même pas su prendre en compte des informations fournies par les services secrets indiens qui annonçaient des attaques imminentes contre des églises. Une irresponsabilité criminelle.

Du Moyen-Orient à l’Asie, les communautés chrétiennes sont régulièrement la cible d’attaques meurtrières, voire forcées à l’exil, éradiquées. Sur le plan international, les victimes du terrorisme restent certes en majorité musulmanes ; mais elles tombent le plus souvent sous les coups aveugles d’organisations fondamentalistes islamistes, avec en toile de fond le conflit Iran-Arabie saoudite. La responsabilité de Ryad dans les attentats au Sri Lanka, comme en bien d’autres lieux, est engagée car, les pétrodollars aidant, elle impose à l’encontre des traditions de l’islam local l’obscurantisme wahhabite. Ce qui n’empêche pas Paris ou Washington de faire de l’Arabie saoudite un allié stratégique.

 

Des attentats qui doivent nous interpeller

Ce n’est pas d’aujourd’hui que des chrétienEs sont ciblés, nous avons écrit à ce sujet, mais nous n’avons développé aucune tradition de solidarité à leur égard, contrairement à d’autres (musulmans, juifs…). Coupable myopie. Le mot « anti-chrétien » (ou tout autre équivalent) n’est pas entré dans le lexique de gauche – ce qui laisse la droite faire librement l’inverse, elle qui priorise souvent sa solidarité envers les communautés chrétiennes d’ailleurs, affirmant qu’elles seraient « des nôtres », au risque mortel de les présenter comme des étrangerEs dans leur propre pays.

Les fondamentalismes religieux ou (ethno-)nationalistes constituent de redoutables armes de destruction des cohésions sociales et des solidarités populaires. Au Sri Lanka, le risque est maintenant de voir la communauté musulmane toute entière tenue pour collectivement responsable des crimes des djihadistes – tel est d’ailleurs précisément l’un des objectifs poursuivis par ces derniers. Après le dimanche sanglant de Pâques, la police a protégé des églises et des mosquées, mais le régime est (très) autoritaire, l’État sécuritaire, le théofascisme bouddhiste et le chauvinisme cingalais agressifs. MusulmanEs et chrétienEs doivent être conjointement défendus.

Beaucoup de manifestations de solidarité interconfessionnelle ont lieu au Sri Lanka même, un antidote à la haine.11

 

 

Élection présidentielle de 2019

Le candidat de la gauche souverainiste, Gotabaya Rajapaksa a remporté les élections présidentielles, le 16 novembre 2019, avec plus de 52 % des voix. Il était soutenu par les minorités musulmane et tamoule.

Cette élection intervient après des mois de crise politique – une tentative de putsch de l’ex premier ministre – et les attentats sanglants commis en avril 2019.

Le 21 novembre 2019, après la démission du Premier ministre sortant Ranil Wickremesinghe, le nouveau président nomme son frère Mahinda comme Premier ministre.12

 

 

De la crise à la faillite

Bousculée par des semaines de manifestations, la famille Rajapaska, qui contrôle le sommet de l’État au Sri Lanka, a été obligée de sacrifier le grand frère, Mahinda.

Le 9 mai 2022, celui-ci a démissionné de son poste de Premier ministre, pour tenter de sauver la présidence de son cadet, Gotabaya. Plusieurs autres membres du clan avaient déjà démissionné de leur ministère les semaines précédentes.

L’ascension des Rajapaska tient à leur rôle dans la répression que l’armée a exercée contre la minorité tamoule, mettant fin dans le sang à la rébellion des Tigres en 2009. Mahinda, président de 2005 à 2015, avait dû céder sa place à l’opposition après avoir perdu les élections. Mais en 2019, profitant de l’émotion suscitée par des attentats islamistes – 258 morts et près de 500 blessés – ce clan avait repris le pouvoir, jamais avare de démagogie nationaliste flattant la majorité cinghalaise et bouddhiste.

Depuis, le Sri Lanka s’enfonce dans une crise économique sans solution. La pandémie, renforçant l’effet des attentats, l’a privé des ressources du tourisme. Le pays s’est endetté considérablement et n’a plus de réserves de devises. L’accélération de l’inflation mondiale a rendu les importations hors de prix : la roupie sri lankaise a perdu 30 % de sa valeur en mars. L’électricité ne fonctionnait plus que de manière intermittente, les malades ne trouvaient plus de médicaments, ou bien hors de prix. Même les chaussures étaient considérées comme des biens non-essentiels dont l’importation a été stoppée. Le gouvernement a cru bon de maquiller l’impossibilité financière d’importer des engrais chimiques, dont les prix s’envolaient sur les marchés internationaux, en une bonne action pour l’environnement. Mais la production agricole a chuté, la disette était là et dans la population pauvre on sautait des repas.

Les manifestations étaient quotidiennes dans la capitale, Colombo, demandant le départ du président. Même le clergé bouddhiste, qui avait soutenu le nationalisme violent des Rajapaska, s’est retourné contre eux et s’est montré dans la rue. Les manifestants, repoussés par la police lorsqu’ils essayaient d’atteindre le palais présentiel et les ministères, ont incendié les maisons de certains ministres.

Le 8 mai 2022, les Rajapaska ont mobilisé leurs partisans, qui ont attaqué les protestataires antigouvernementaux à coups de bâtons, accompagnés par les gaz lacrymogènes de la police. Deux députés ont tiré sur des manifestants et ont fait des morts. Le couvre-feu a été décrété sur toute l’île, neuf personnes sont mortes et 300 ont été blessées, mais le Premier ministre a quand même dû jeter l’éponge, après avoir essayé en vain de convaincre l’opposition de rejoindre son gouvernement pour le stabiliser. Dès que la place a été libre, les politiciens de l’opposition ont formé un nouveau gouvernement, sous l’autorité affaiblie du président Gotabaya Rajapaska.

Le nouveau Premier ministre, Ranil Wickremesinghe, était un cheval de retour qui gouvernait pour la quatrième fois. Au vu de la déconfiture économique, il n’a pu que promettre des sacrifices à la population, annonçant : « Les deux mois à venir seront les plus difficiles de nos vies », la crise économique « va aller de pire en pire avant une amélioration ». Le 16 mai, il a dû avouer qu’il n’y avait plus qu’une journée de stock de carburant. Quatre pétroliers ont été financés par une ligne de crédit d’urgence débloquée par l’Inde voisine mais, quand ils ont accosté, le sursis n'était que de quelques jours. Avec son ministre de l’Économie, Wickremesinghe a supplié la population d’arrêter de faire la queue aux stations-service, où les gens se rencontraient et d’où partaient des manifestations spontanées. Impuissant, le nouveau gouvernement a indiqué qu’il allait imprimer plus de billets de banque, tout en reconnaissant que cela accélérerait l’inflation.

Il voulait en finir avec les manifestations et l’instabilité politique qu’elle provoquait. Mais, pour desserrer l’étau de la crise économique mondiale dans laquelle ce pays se débat, la classe ouvrière et la population pauvre n’ont rien à attendre d’un tel pouvoir politique.13

 

 

Les manifestants font tomber le président

Le 9 juillet 2022, au cours d’une manifestation regroupant peut-être 100 000 personnes à Colombo, la capitale du Sri Lanka, le palais présidentiel a été envahi. Le président Gotabaya Rajapaksa a été obligé de fuir.

Le gouvernement s’apprêtait à négocier un nouvel emprunt avec le FMI. Cela aurait immanquablement signifié des hausses de prix des produits de première nécessité, des privatisations, une diminution des retraites et la suppression de 800 000 emplois publics. En réaction à ces menaces, des grèves, bien qu’interdites, ont eu lieu dans le secteur de l’énergie et de la santé. Des ouvriers agricoles et d’autres travailleurs ont réquisitionné des trains pour se rendre à la manifestation du 9 juillet dans la capitale.

Incapables d’en finir avec la contestation, et cibles des manifestants, il semble que le président et le Premier ministre aient été lâchés par les dirigeants de l’armée et de la police. Les policiers qui ont tiré sur la foule le 9 juillet, faisant trois morts et 55 blessés, ont été désavoués par leur hiérarchie. Le président a trouvé refuge sur un navire de guerre, à moins qu’il n’y ait été contraint.

Sa résidence a pu être envahie sans heurts : les manifestants ont pris des photos dans les pièces luxueuses, ont mangé les denrées rares et se sont baignés dans la piscine présidentielle.

Le changement annoncé à la tête de l’État a probablement été autant décidé par l’état-major de l’armée que par l’impérialisme américain. Le 10 juillet à Washington, la commission des Affaires étrangères du Sénat affirmait : « L’armée et la police doivent faire preuve de retenue et faire partie de la solution et non du problème. Tous les partis doivent se mettre ensemble pour former un nouveau gouvernement .»

L’armée était pour l’instant épargnée par la contestation qui ciblait les hommes politiques. Mais le corps des officiers est la colonne vertébrale de cet État en faillite et il a une forte tradition de répression. Les généraux se tiendront derrière les nouveaux président et Premier ministre, dont les noms étaient débattus par les partis d’opposition, et qui gouverneront pour faire payer la crise aux travailleurs.14

 

 

Le régime veut reprendre la main

Après des mois de protestation contre les pénuries et l’inflation, et après l’envahissement de son palais, le président srilankais Gotabaya Rajapaksa a été obligé de s’enfuir à Singapour, d’où il a envoyé sa démission le 13 juillet 2022. Mais le régime, après un moment de flottement, n’a pas tardé à reprendre la main.

Le Premier ministre, Ranil Wickremesinghe, adoubé par le Parlement, est devenu président par intérim alors que c’est un proche de l’ancien dirigeant et que les manifestants réclamaient également son départ. D’ailleurs, nombre des membres du nouveau gouvernement sont des soutiens connus et revendiqués du clan Rajapaksa. Sitôt investi, le nouveau président a envoyé des centaines de policiers et de soldats armés de fusils d’assaut et de matraques pour expulser les derniers manifestants qui occupaient le palais et qui avaient pourtant annoncé qu’ils quitteraient le bâtiment pacifiquement. L’intention de faire un exemple parmi ceux qui protestaient est évidente : l’intervention s’est soldée par 48 blessés et neuf arrestations.

Le régime a tenté de reprendre la situation en main, alors que la crise économique continuait à s’aggraver. Dans ce pays pauvre, largement dominé par l’impérialisme, les pénuries de nourriture, de médicaments, de carburant, les coupures d’électricité, rendent la vie des classes populaires insupportable. Le nouveau gouvernement a annoncé la réouverture des écoles, mais seulement trois jours par semaine, faute d’essence pour les transports en commun. Aucun des problèmes vitaux des classes populaires n’a été réglé, mais le gouvernement a repris les négociations avec le FMI, ce qui laissait prévoir des plans d’austérité en échange de prêts.15

 

 

Sources

(1) http://npa2009.org/content/retour-sur-l%E2%80%99histoire-d%E2%80%99une-oppression-les-tamouls-du-sri-lanka
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_du_Sri_Lanka
(3) Danielle Sabaï. Avril-mai 2011. Publié dans Inprécor n°573-574 de mai juin 2011. http://npa2009.org/content/retour-sur-l%E2%80%99histoire-d%E2%80%99une-oppression-les-tamouls-du-sri-lanka
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_du_Sri_Lanka
(5) http://npa2009.org/content/sri-lanka-une-victoire-militaire-obtenue-au-prix-d%E2%80%99un-massacre-de-civils
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Sri_Lanka
(7) Danielle Sabaï. Avril-mai 2011. Publié dans Inprécor n°573-574 de mai juin 2011. http://npa2009.org/content/retour-sur-l%E2%80%99histoire-d%E2%80%99une-oppression-les-tamouls-du-sri-lanka
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mahinda_Rajapakse
(9) Sujeewa Amaranath et W.A. Sunil http://www.mondialisation.ca/qui-est-le-nouveau-president-du-sri-lanka-maithripala-sirisena/5425958 Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 16 janvier 2015
(10) https://www.lutte-ouvriere.org/breves/morts-de-misere-88580.html
(11) Pierre Rousset https://npa2009.org/idees/international/terrorisme-au-sri-lanka-dernier-avertissement-en-date
(12) https://www.investigaction.net/fr/elections-au-sri-lanka-lenjeu-strategique/
(13) Luc Détroit https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/05/18/sri-lanka-de-la-crise-la-faillite_325508.html
(14) Amanda Hunt https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/07/12/sri-lanka-les-manifestants-font-tomber-le-president_377145.html
(15) Camille Paglieri https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/07/27/sri-lanka-le-regime-veut-reprendre-la-main_384572.html