La Slovénie

 

 

Antiquité

Aux temps anciens, le territoire de l'actuelle Slovénie était peuplé de Celtes et d'Illyriens. L'Empire romain conquit la région au Ier siècle, après 200 ans de lutte contre les tribus locales. Les plus importantes cités antiques de la région incluent Celeia (aujourd'hui Celje), Emona (Ljubljana), Nauportus (Vrhnika) et Poetovio (Ptuj).

 

Carinthie

Le tout premier État slave et slovène, la Carinthie, recouvre la plus grande partie du territoire de l'actuelle Carinthie autrichienne et de la Carinthie slovène. Les premiers temps de la Carinthie ne sont pas connus. Une hypothèse suggère que cet État a émergé au VIe siècle, lorsque les Lombards sont partis à l'ouest envahir les régions au nord de l'Italie. La Karantanie existait de manière certaine au VIIIe siècle. En 746, la Carinthie est devenue indépendante de la Bavière.1

Le territoire de l'actuelle Slovénie commence à partir du IXe siècle à passer de main en main au gré des invasions des puissances voisines, qu'il s'agisse de la Bavière, de la République de Venise, ou des Habsbourgs.2

 

Domination allemande

Dès le IXe siècle, les territoires habités par les Carinthiens, plus tard les Slovènes, tombent sous une domination étrangère, notamment un contrôle partiel et coopératif par la Bavière et les ducs de la République de Venise.

Les Slovènes habitant les provinces de la Carinthie, la Carniole et la Styrie vivent alors sous la domination des Habsbourg du XIVe siècle jusqu'à 1918, sans statut juridique spécifique mais ayant des députés à Vienne. Durant une parenthèse de 4 ans, une partie du territoire de l'actuelle Slovénie et de la Croatie passent sous la tutelle de Napoléon sous le nom de Provinces illyriennes.

Tandis que les élites de ces régions se germanisent, les populations paysannes résistent fortement à la germanisation et conservent leur culture et leur langue uniques. Après avoir subi l'influence de la Réforme au XVIe siècle, la région est recatholicisée sous le règne de l'Archiduc Ferdinand d'Autriche (règne 1590-1637), qui devient plus tard empereur et poursuit une politique identique dans les autres territoires des Habsbourg.

Au cours du XIXe siècle, des intellectuels codifièrent le slovène pour en faire une langue littéraire, tandis qu'un nationalisme balbutiant commençait à réclamer l'autonomie de la Slovénie à l'intérieur de l'Empire austro-hongrois.3

 

Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale touche durement le pays, notamment sur le front de Soča à l'ouest du pays. Après que la bataille de Caporetto annonce la fin des combats sur le sol austro-hongrois en 1917, le Parti populaire slovène demande l'instauration d'un État semi-autonome regroupant les slaves du sud. Cette revendication est rapidement reprise par l'ensemble du spectre politique local sous le terme de Mouvement de la Déclaration.

La prise du pouvoir par des nationalistes croates, slovènes et serbes le 6 octobre 1918 lors de la chute de l'Empire conduit à une déclaration formelle d'indépendance de l'État des Slovènes, Croates et Serbes le 29 octobre suivant. Le pays rejoint le Royaume de Serbie (dans lequel le Royaume du Monténégro était déjà entré trois jours avant) afin de former le 1er décembre 1918 le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes qui prendra le nom de Royaume de Yougoslavie en 1929.

Un plébiscite conduit en octobre 1920 cède la Carinthie du sud slovénophone à l'Autriche. L'Istrie revoit ses anciennes frontières vénitiennes sous le Royaume d'Italie par le Traité de Rapallo en 1920, alors que le Traité du Trianon attribue les régions slovénophones de Hongrie (Prekmurje) à la Yougoslavie. La politique fasciste de l'Italie conduit à une résistance armée des populations à l'intérieur des terres slovènes et croates, notamment via la formation du groupe Trieste, Istrie, Gorizia et Fiume (actuellement Rijeka) en 1927, qui est démantelé par la police secrète fasciste en 1941.

 

La Seconde Guerre mondiale

Durant la Seconde Guerre mondiale, après l'invasion de la Yougoslavie, le territoire slovène est partagé entre l'Allemagne, la Hongrie et l'Italie. À l'issue du conflit, la Yougoslavie est reconstituée ; la Slovénie devient la République socialiste de Slovénie, État fédéré de la République populaire fédérative de Yougoslavie proclamée le 29 novembre 1945. Au traité de Paris en 1947, l'Italie perd la quasi-totalité de la Vénétie julienne. L'Istrie est ensuite placée provisoirement dans la zone B du territoire libre de Trieste. Ce territoire est dissous de facto en 1954, quand la zone A comprenant la ville de Trieste est rendue à l'Italie tandis que la zone B est attachée à la fédération yougoslave. Par ce fait l'Istrie se vide par un fort exode offrant une région et un accès stratégique à la mer à l'actuelle Slovénie.

Les frustrations envers un État fédéral jugé inefficace et dispendieux s'accumulent et, en parallèle à la crise économique que traverse l'ensemble du bloc socialiste dans les années 1980, les tensions entre les partis communistes slovène et serbe (dirigé par Slobodan Milosevic) s'exacerbent. Le 27 septembre 1989, le Parlement slovène réforme la constitution de la République et retire le monopole du pouvoir politique à la Ligue des Communistes de Slovénie tout en affirmant le droit pour la République de quitter la Fédération. Le 7 mars 1990 le terme « socialiste » est retiré du nom de l'État, qui devient "République de Slovénie" tout en restant membre de l'État yougoslave.

 

L'indépendance

Le 23 décembre 1990, un référendum sur l'indépendance aboutit avec près de 89 % des voix. La déclaration formelle d'indépendance intervient après le passage d'une loi en ce sens le 25 juin 1991. Un court conflit armé a lieu lorsque les troupes slovènes sont confrontées à une tentative d'intervention yougoslave. La guerre s'étend sur une dizaine de jours, à l'issue desquels l'accord de Brioni est signé sous les auspices de la Communauté européenne le 7 juillet 1991. L'armée yougoslave commence son retrait et le dernier soldat quitte le territoire le 26 octobre suivant.4

 

Ensuite, la Slovénie s’est tournée vers l’Occident, adoptant les réformes de marché prescrites, et a adhéré à l’OTAN en 2004 et à l’Union européenne (UE) en 2007. Dotée d’une population ethniquement slovène à plus de 90 %, elle n’a pas connu les troubles qui ont ravagé les autres républiques ex-yougoslaves, bien que plusieurs dizaines de milliers de citoyens qui en étaient originaires aient été expulsés ou « effacés » des registres, privés de papiers, et donc de travail, de pension, d’enseignement… Pas plus que dans les États baltes, où des centaines de milliers de russophones ont connu, ou connaissent, un semblable « effacement », la plupart des associations de défense des droits de l’homme ne se sont guère émues de cette situation qui n’a été que partiellement réglée suite à de discrètes pressions de l’UE.5

 

Profonde crise économique, politique et sociale

Alors que pendant des années la Slovénie était présentée comme un « modèle de transition » à l’économie de marché et à la « démocratie » pour les pays d’Europe Centrale et de l’Est, le mythe commence à s’effriter. En effet, après des mois de mobilisations des masses contre la corruption et les partis du régime instauré depuis plus de vingt ans, combinées à des journées de grève et de mobilisation, certes isolées, appelées par la bureaucratie syndicale pour répondre à la pression de la base remontée contre les mesures d’austérité, le gouvernement de Janez JanÅ¡a (centre-doit), arrivé au pouvoir au début de l'année 2012, est tombé le 27 février 2013. Le tout sur fond d’une crise politique et économique profonde.

Les mobilisations ont commencées au mois de novembre 2012 à Maribor, deuxième ville du pays, contre des mesures prises par le maire. Très vite la contestation a gagné tout le territoire du pays allant jusqu’à remettre en cause l’ensemble du régime politique corrompu. Des manifestations massives se sont déroulées dans les grandes villes du pays, ainsi que des grèves dans le secteur public contre les mesures d’austérité. C’est finalement à la suite d’un rapport rendu par la Commission pour la lutte contre la corruption qui incrimine le premier ministre JanÅ¡a, que la coalition au pouvoir a éclaté et qu’une motion de censure a été votée au Parlement contre le gouvernement.

Du fait de ces événements, le gouvernement de JanÅ¡a a non seulement perdu le soutien de ses partenaires politiques mais aussi d’une partie des classes dominantes et du capital impérialiste. Ces derniers, à l’image du Citigroup, conseillaient alors de former un nouveau gouvernement afin de désamorcer la crise politique, et pouvoir ainsi mener les réformes structurelles, débarrassés de la pression sociale s’exerçant par la rue. Ce projet butte cependant sur un obstacle majeur : l’oligarque Zoran Jankovic, maire de Ljubljiana et principale figure d’opposition au gouvernement précédent baigne également dans de vifs scandales de corruption. Il est de fait discrédité et dans l’incapacité de jouer le rôle de remplaçant. Face à cette impasse, et pour cependant maintenir l’image d’un renouvellement du personnel politique, c’est la figure d’Alenka BratuÅ¡ek, Première Ministre par intérim nouvellement arrivée en politique, qui est mise en avant pour former ce nouveau gouvernement, et fédérer autour d’elle… les anciens partenaires de JanÅ¡a !

Le mécontentement populaire visant de front les partis et les représentants politiques du « régime de transition », la manœuvre pour désamorcer durablement la révolte populaire qui traverse le pays s’avérait très difficile. Et cela d’autant plus qu’une crise économique aiguë touche le pays, et accentue la dégradation des conditions de vie des masses.

 

Un pays durement frappé par la crise mondiale

La Slovénie, pays d’un peu plus de deux millions d’habitants, membre de l’UE depuis 2004 et ayant adopté l’euro depuis 2007, connaissait jusqu’en 2008-2009, pic de la crise capitaliste mondiale, une situation macroéconomique relativement stable et « saine » : chômage aux alentours de 5 %, une dette d’à peine plus de 20 % du PIB, un budget excédentaire, croissance de 4 à 5 %… Brutalement frappée par la crise, son économie s’est depuis effondrée et presque tous les indicateurs sont passés au rouge.

En trois ans le déficit budgétaire (par an) a atteint 6,4% du PIB, sa « croissance » en 2009 a été de -8 % et reste anémique, et le chômage frôle 9 % des actifs en 2013, le secteur privé étant le plus touché. En effet, ce chiffre aurait pu être encore plus élevé sans l’intervention de l’État qui a essayé de maintenir la « paix sociale » en embauchant dans le secteur public et en augmentant les salaires des fonctionnaires (au moins jusqu’à l’arrivée de JanÅ¡a au pouvoir). Cependant, cet « achat de la paix sociale » a été l’un des facteurs de l’augmentation très rapide de la dette de l’État. Bien que certains analystes parlent d’une dette faible (un peu plus de 45 % du PIB) par rapport à la moyenne de l’UE (87 %), ce qui impacte c’est la rapidité avec laquelle celle-ci a monté : elle est passé de 8,2 milliards d’euros en 2009 à 17 milliards en 2012 !

Autre facteur fondamental pour comprendre cette fulgurante augmentation de la dette publique : la recapitalisation des entreprises publiques en difficulté, notamment du secteur bancaire (fortement contrôlé par l’État) très exposé aux « actifs toxiques » liés à la spéculation immobilière. C’est d’ailleurs en ce sens que l’un des objectifs fondamentaux du gouvernement JanÅ¡a, élu fin 2011, était de créer une « Bad Bank » qui reprendrait les créances douteuses pour assainir le système bancaire, ce qui coûterait 4 milliards d’euros. En réalité, ces « créances douteuses » s’élèveraient à 6,5 milliards d’euros, soit 18% du PIB. Voilà pourquoi, beaucoup d’analystes prédisent inévitable la demande d’aide financière internationale (auprès du FMI notamment) pour la Slovénie.

 

Approfondir la « thérapie de choc » néolibérale

À la différence d’autres pays de la région ayant vécu le processus de restauration du capitalisme, en Slovénie le rythme des privatisations a été relativement plus lent. En effet, dans le contexte de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de montée du sentiment national/nationaliste, il était dangereux pour le régime qui se mettait en place d’appliquer des politiques trop clairement pro-impérialistes, de trop ouvrir l’économie nationale aux capitaux étrangers. D’autant qu’une telle politique aurait porté atteinte aux intérêts des bureaucrates nationaux, aspirant à devenir propriétaires des entreprises d’État sous leur contrôle. Conserver le contrôle sur ces quelques secteurs fondamentaux de l’économie a permis à la bureaucratie restaurationniste des années 1990 et 2000 d’instaurer une « transition » vers le capitalisme sans contestation sociale, dans une région déjà fortement perturbée par des conflits armés et qui fut l’un des foyers de contestation ouvrière les plus importants dans les années 1980, alors que la bureaucratie yougoslave tentaient d’appliquer des politiques d’ajustement dictées par le FMI pour faire face au grave endettement de la Yougoslavie « socialiste ».

Cette situation a créé un « capitalisme d’amis » qui reposait « notamment sur les anciens directeurs des entreprises publiques, traditionnellement liés aux gouvernements de centre-gauche qui ont dirigé le pays de l’indépendance à 2004 ». Ce n’est en effet qu’à partir de cette date, et avec l’entrée à l’UE, que le processus de privatisations s’est accéléré, bénéficiant d’ailleurs les mêmes oligarques dirigeant les entreprises d’État. Ceci n’empêchant pas le fait que « la Slovénie dispose toujours d’un des meilleurs systèmes de santé du monde, et l’éducation y est entièrement gratuite jusqu’au troisième cycle universitaire ».

Cependant, avec l’approfondissement de la crise dans le pays et en Europe, des factions de la bourgeoisie nationale associées à l’impérialisme cherchent à accélérer et à approfondir le processus de privatisation des secteurs stratégiques et potentiellement rentables de l’économie slovène encore sous contrôle de l’État, notamment le secteur bancaire. C’était un objectif affiché du gouvernement déchu de Janez JanÅ¡a. Ainsi, son ministère des finances avait annoncé la création d’un Holding souverain regroupant toutes les entreprises publiques en vue de faciliter leur privatisation. Parmi les entreprises à privatiser on trouvait la Nova Ljubljanska Banka (la banque la plus importante du pays), Telekom Slovenije, la compagnie nationale d’énergie Petrol, etc.

Mais cette intervention de l’État pour créer des conditions plus favorables au capital ne se limite pas aux privatisations. Elle va au-delà , notamment en adoptant des mesures pour baisser le soi-disant « coût du travail » en libéralisant le marché du travail. Ainsi, au dernier trimestre 2012 le coût de la main d’œuvre avait reculé de 2,1% par rapport à l’année d'avant. Aussi, on prévoyait dans le budget de 2013 des coupes dans l’éducation, dans la santé et dans les dépenses en général de l’État. Également, en mai 2012 le gouvernent et la bureaucratie syndicale avaient signé un accord qui prévoyait, entre autres, la baisse de 8 % des salaires des fonctionnaires.

Un autre facteur de pression pour augmenter la « compétitivité » de la Slovénie et devenir plus attractive pour les capitaux internationaux et pour les fonds de l’UE, c’est l’entrée de la Croatie à l’UE en juillet 2013. En effet, la Slovénie pouvait perdre son statut « d’investissement pont » vers les marchés des pays issus de l’ex-Yougoslavie et de la région. Or, le « dilemme » pour les partis du régime est que pour atteindre cet objectif ils devront continuer à appliquer de dures attaques contre les travailleurs et les couches populaires, au risque d’attiser encore plus la révolte populaire qui secoue le pays.

 

Mécontentement populaire et remise en cause du régime

Entre la pression à l’attractivité des capitaux étrangers, à la compétitivité internationale, et celle de la rue, la marche de manœuvre est étroite. Voilà pourquoi certains secteurs souhaitent la formation d’un « gouvernement technocratique de transition », à l’image de ce qui s’est fait en Grèce ou en Italie (!), jusqu’aux prochaines élections en 2015 : « cette transition permettrait de stimuler le capital nécessaire pour les institutions financières. En outre, il permettrait la mise en œuvre des mesures d’austérité ».

Cette tentation pour une option de type « bonapartiste », violant les mécanismes les plus élémentaires de la démocratie bourgeoise, répond à une perte de légitimité de l’ensemble des partis du « régime de transition », instauré depuis plus de vingt ans. On assiste d’ailleurs à un mouvement similaire en Bulgarie . En effet, le mécontentement qui s’exprime à travers la dénonciation « des politiciens » et de la corruption, est un reflet du malaise populaire face à la dégradation des conditions de vie et de travail, conséquence des mesures d’austérité prises par les différents gouvernements. Mais c’est aussi une expression de la perte de légitimité de la propagande bourgeoises sur "la fin de l’histoire" qui a connu son apogée dans les années 1990 et un peu au-delà. Dès lors, l’approfondissement des politiques néolibérales apparaissent, dans la situation actuelle, comme une « provocation ». La révolte populaire en Slovénie sonne la fin du discours triomphaliste qui accompagnait le « régime de transition », discours qui se décompose sur la base d’une crise historique du système capitaliste au niveau mondial.

L’expression de ce profond mécontentement et mépris vis-à-vis du régime politique est particulièrement vive chez les jeunes qui sont nés dans les années 1980-1990. En effet, « la crise a réussi à changer le visage de l’Europe telle que nous la connaissions, et la situation est particulièrement visible chez les jeunes de l’UE. Les jeunes du sud, autrefois heureux d’étudier et de chercher un emploi dans leur pays d’origine, partent maintenant en direction du nord à la recherche d’opportunités (…) En même temps, ceux qui choisissent de rester dans leur pays sont incapables de trouver un emploi et se voient dans l’obligation démoralisante de retourner vivre chez leurs parents (...) En Slovénie, l’insatisfaction chez les jeunes s’est généralisée, le chômage a grimpé de 2 % à 17,5 % rien que l’année dernière ».

Mais ce début de crise des régimes politiques en Europe, prend une signification toute particulière dans les pays ayant connu des processus de restauration du capitalisme dans les années 1990, notamment dans ceux comme la Slovénie qui faisaient figure de « modèle à suivre » pour les autres. Alors qu’à la chute des régimes staliniens en Europe centrale et de l’Est, le capitalisme, dans sa version néolibérale de surcroît, et la démocratie bourgeoise étaient présentés comme les seules options capables de résoudre les problèmes des masses, aujourd’hui les masses, de manière confuse, commencent à remettre en cause ces « certitudes » mêmes. C’est un coup porté à toute la propagande impérialiste des dernières décennies, non seulement en Europe mais au niveau mondial.

Les vents sont en train de changer. Le système capitaliste et ses crises est en train de poser les bases pour que les travailleurs et les classes populaires commencent à se poser des questions sur d’autres alternatives à cette société d’exploitation et oppression6. En ce sens, les anticapitalistes révolutionnaires ont un rôle fondamental à jouer en mettant en avant la perspective de la construction d’une vraie société socialiste, et non l’imposture aberrante que les peuples de la moitié de l’Europe ont connu pendant presque cinquante ans.

 

Un nouveau maillon de la crise

Après Chypre, la Slovénie, dont l'agence de notation Moody's a dégradé en mai 2013 la note de deux points, faisant entrer ses engagements financiers dans la catégorie « spéculatifs », autrement dit « obligations pourries ».

Quelques jours auparavant, la Nova Ljubljanska Banka, première banque du pays, venait d'annoncer qu'elle avait besoin d'une augmentation de capital de 367 millions d'euros pour renflouer ses caisses. L'an passé, elle avait déjà demandé et obtenu une injection de 380 millions d'euros. Cette banque, détenue à 86 % par l'État, est dans le rouge depuis plus de deux ans, alors que la Slovénie, pays de la zone euro, enchaîne désormais sa deuxième année de récession consécutive.

C'est tout le secteur bancaire slovène, un secteur privé mais majoritairement détenu par l'État, qui est confronté à une montagne de mauvaises créances qui met en péril la capacité même de la Slovénie à se financer. Le FMI estime à un milliard d'euros le seul besoin de recapitalisation des trois principaux établissements. Et au total la Slovénie aurait besoin de quatre milliards d'euros.

Les difficultés rencontrées par les banques slovènes sont la conséquence directe de la crise mondiale. Après l'indépendance de cette ex-république yougoslave et son intégration dans l'Union européenne en 2004, ces établissements avaient offert une destination de choix aux investissements venus d'Italie ou de Grèce. Or la crise de leurs secteurs bancaires respectifs a entraîné un retrait massif de leurs fonds, au moment ou le secteur immobilier local mais aussi les assurances, gros consommateurs de capitaux, s'avèrent eux-mêmes gangrenés par les investissements hasardeux. Après l'explosion de la crise bancaire en 2008, la dette de la Slovénie a doublé en deux ans !

Désormais, l'OCDE mais aussi l'Union européenne ou le FMI jugeaient indispensable que la Slovénie mette en place des « réformes de grande envergure ». Sous leur pression de plus en plus forte, tout comme celle des agences de notation, le gouvernement slovène est prié de privatiser et de tailler dans les emplois publics. Il souhaite baisser les salaires des fonctionnaires de 15 %, supprimer la prime de 13e mois, faire travailler les enseignants trois heures de plus par semaine, réduire les allocations familiales. Mais l'ancien Premier ministre Janez Jansa a déclaré que cela ne suffirait pas.

En mars et avril 2013, les manifestations ont exigé la tenue de nouvelles élections législatives, des mesures contre la corruption et le gel des mesures d'austérité. Nombre de manifestants portaient des symboles communistes ou de l'ex-Yougoslavie.

Les salariés se battent comme ils peuvent : la principale confédération syndicale, la ZSSS, issue elle aussi de l'ancienne nomenklatura, s'affirme « comme un partenaire actif dans le processus de privatisation ». On fait mieux comme défenseur des salariés ! Un des deux quotidiens de référence, Dnevnik, écrivait en début d'année : « La stratégie de choc du Premier ministre Jansa et son principe, prendre aux pauvres et donner aux riches, ont été rendus possibles grâce à l'absence de réaction et la servilité des médias, mais aussi à l'attitude des syndicats et de l'opposition de gauche. »

Jansa est tombé en février 2013 victime de son impopularité et d'une énième affaire de corruption. Mais la nouvelle Première ministre, Alenka Bratusek, n'a pas changé de politique, elle qui a mis le remboursement aux créanciers internationaux en tête de ses priorités. En Slovénie comme ailleurs, la population est priée de payer la note de la crise. Mais il n'est pas sûr qu'elle accepte ! 7

 

Élections législatives de 2014

Le 27 janvier 2013, le gouvernement Janša s'est ainsi effondré, après des accusations de corruption. Janša a plus tard été condamné à deux ans de prison, et à une amende de 37 000 euros.

Un nouveau gouvernement a alors été formé par Slovénie positive (PS), les Sociaux-démocrates (SD), DL, et DeSUS. La leader de Slovénie positive, Alenka Bratušek, est alors devenue Première ministre.

Le 25 avril 2014, Slovénie positive a tenu son congrès à Brdo pri Kranju, afin notamment d'élire son nouveau président. Deux personnes se sont alors portées candidats : l'ancien dirigeant du parti Zoran Janković et la présidente sortante Alenka Bratušek. Les trois autres partis membres de la coalition gouvernementale, SD, DL and DeSUS ont menacé de quitter le gouvernement en cas d'élection de Jankovič à la tête de Slovénie positive. En dépit de ces menaces, les membres du parti ont porté Janković à leur tête, ouvrant la voie à de nouvelles élections législatives.

Le 1er juin 2014, le président slovène Borut Pahor a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections le 13 juillet.

 

Résultat

Le parti de centre gauche de Miro Cerar, un novice en politique, est arrivé largement en tête. Le nouveau parti de la Gauche unie affilié au Parti de la gauche européenne, a surpris en recueillant plus de 6,0 % des suffrages exprimés, ce qui en fait la 4e force politique du pays. Le SDS de Janez Janša alors en prison pour corruption peine à atteindre 20 %, tandis que Slovénie positive perd tous ses élus en ne récoltant que 2,9 % des voix.

Sept partis, dont celui de la Première ministre sortante (Alliance d’Alenka Bratušek), devaient être représentés dans le nouveau Parlement.

 

Conséquences

Miro Cerar, qui dispose de 36 sièges sur 90 au Parlement, entame le 14 juillet des consultations en vue de la constitution d'une coalition. Tous les partis parlementaires se sont dits prêts à discuter, à l'exception du Parti démocratique slovène (SDS) de l'ancien premier ministre Janez Janša, qui purge une peine de prison de deux ans pour corruption. Arrivé deuxième avec un peu plus de 20 % des suffrages, le parti a dénoncé des élections "injustes" en raison de l'emprisonnement de son leader et annoncé qu'il boycotterait les sessions au Parlement.8

 

 

Nouveaux visages du fascisme

Des rassemblements de masse simultanés dans tout le pays, y compris un nombre considérable de personnes qui protestaient dans des petites villes et des villages, le taux élevé de méfiance à l’égard des politiques institutionnelles, la mobilisation dispersée à travers les médias sociaux. À l’hiver 2012/2013, certaines des caractéristiques des manifestations de masse, appelées le soulèvement, étaient à bien des égards ouvertes, anti-autoritaires et même anticapitalistes, et ont contribué à la chute du pouvoir de droite. le ministre Janez Janša et son gouvernement. À l’hiver 2016, au milieu de ce que les autorités ont qualifié de « crise des migrants », voici les caractéristiques de la vague de manifestations qui s’est presque transformée en le plus grand soulèvement de droite jamais vu par la Slovénie et bénéficiant du soutien du même parti politique qui était tombé une fois en raison de la pression publique.

En même temps que l’image du fascisme se modifie, passant de petits groupes organisés néo-nazis à des courants patriotiques plus généraux, nous constatons également la radicalisation en un militantisme accru chez les anciens et les nouveaux fascistes organisés. Qu’est-ce qui a changé et quelles pourraient être les réponses potentielles à la nouvelle forme de fascisme en Slovénie et au-delà ?

 

Histoire de fond

La politique organisée de la haine, émanant à la fois de partis politiques institutionnels et de groupes néo-nazis organisés, n’est pas nouvelle en Slovénie et fait partie intégrante de la transition du socialisme au capitalisme. En ce qui concerne les groupes néo-nazis organisés, la Slovénie a connu une montée en puissance depuis les années 1990. Les activités politiques vont des concerts à huis clos aux attaques publiques contre des personnes, des organisations et des structures anti-autoritaires, anti-capitalistes et antiracistes. Un grand nombre de ces attaques sont passées inaperçues ou ont été qualifiées de violences de rue, même si certaines ont retenu davantage l’attention, telles que les attaques skinhead néo-nazies de 2001 contre une personne de couleur et en 2009 contre le barreau des LGBT et un journaliste à Ljubljana.

En dépit des tentatives toujours présentes (depuis la fin des années 1980) dans le spectre de la politique institutionnelle de droite pour créer une relation patriotique avec le nouvel État slovène et ses symboles, le patriotisme n’était pas un choix public clair pour la plupart des gens. Lentement, cela a commencé à changer avec le sport de masse, les nombreux conflits frontaliers avec la Croatie dans les années 2000 et la lente pénétration de ces sujets dans la sphère publique, dans les écoles et même dans les jardins d’enfants. Cela a lentement contribué à la montée en puissance de plusieurs organisations patriotiques, qui ont une image publique moins radicale: des actions qu’elles mènent dans la rue à leur apparence et à leur habillement publics, en particulier en ce qui concerne les postes qu’elles occupent. Par conséquent, ils recrutent une population beaucoup plus large, en particulier parmi les jeunes.

En 2009, des groupes patriotiques ont tenté d’intensifier la haine anti-musulmane et d’organiser une manifestation contre la construction de la première mosquée à Ljubljana, mais ont été stoppés par les vastes activités du front antifasciste, qui comprenaient un grand nombre d’acteurs différents, luttant pour la ville ouverte et tolérante. Dans le même temps, nous avons assisté à une haine auto-organisée venant d’en bas, notamment en 2006, lorsque les villageois d’Ambrus (et d’autres endroits également) se sont organisés en foule, qui a pourchassé la famille rom Strojan dans les bois et en dehors. de leur village avec le bon pogrom.

Bien que les journalistes aient largement relaté les liens entre les plus grands partis politiques de droite et les membres de groupes organisés néo-nazis, il est important de ne pas tirer de conclusions fondées sur des théories du complot. La haine organisée dans les rues slovènes fonctionne pour la plupart de manière autonome, mais elle est certainement encouragée par l’esprit général du moment dans l’environnement politique institutionnel, où des politiciens de droite ont constamment inscrit leur politique à l’ordre du jour contre la communauté LGBTQ ( prévention des adoptions, des mariages, etc.), des Roms, des migrants, etc.

 

Fermeture de la Slovénie pour les migrants

À l’automne 2015, lorsque des responsables de l’Union européenne ont déclaré l’état d’urgence dans les Balkans en raison de l’augmentation des flux migratoires, la Slovénie est devenue la figure centrale de la fermeture de la soi-disant route des Balkans. Dès que la Hongrie a fermé ses frontières, la Slovénie est devenue le principal point de transit et le deuxième pays d’Europe à fermer sa frontière sud avec des barbelés, encourageant ses voisins de l’ex-Yougoslavie à arrêter également le transport de migrants. Cela a été orchestré par un parti politique slovène, qui a remporté la campagne électorale à l’ordre du jour de l’état de droit, des droits de l’homme et de la politique centriste. Dès le début de la prétendue crise, ils ont adopté le discours de la sécurité et de la peur, disciplinant principalement la population nationale par la création d’un ennemi extérieur à l’image de l’Autre, un migrant. Ils ont activement contribué à la situation qui a ouvert un espace pour une rhétorique de haine plus ouverte et des actions de la part des partis politiques de droite et des groupes organisés fascistes et patriotiques, aux citoyens plus ou moins auto-organisés, radicalisés dans un discours anti-migrant. .

Quand, en janvier et février 2016, le gouvernement slovène a commencé à rechercher des centres potentiels pour les réfugiés dans les petites villes du pays, les groupes susmentionnés ont commencé à se mobiliser sur les réseaux sociaux. Les manifestations ont commencé à se succéder dans des petites villes qui n’avaient même jamais assisté à des activités de manifestation auparavant. Les 300 personnes ont manifesté à Kidričevo, 200 à Vrhnika, 300 à Lenart, 3 000 à Šenčur (population totale de 3 121 personnes) et tout cela en moins de trois semaines. Malgré la présence d’hommes politiques établis issus de partis de droite et de transports payés et organisés pour les manifestants (nous avons également pu voir les insignes et les visages de groupes patriotiques et fascistes organisés), la majorité de ces personnes étaient auto-organisées.

Vers la même période, nous avons constaté une présence accrue de groupes fascistes dans les rues, plusieurs attaques contre le squat autonome Sokolski dom de Novo Mesto, dont celle avec cocktail Cocktail Molotov, où des personnes rassemblaient des vivres et des vêtements pour des réfugiés pour le viol de femmes de gauche (parce qu’ils soutiennent les migrants), et plus tard (en juillet 2016), ont organisé une attaque massive néo-nazie contre l’usine autonome Rog, l’un des rares endroits de Ljubljana, où les migrants sont autorisés à passer leur temps librement et organiser des activités (bien que l’attaque elle-même soit étroitement liée à une tentative d’expulsion de Rog).

 

Résister à la politique de haine

Comme nous l’avons déjà vu en 2009, l’élan des activités publiques de droite en 2016 a été une nouvelle fois interrompu par des manifestations antifascistes. Le Front antiraciste et les membres de la droite ont organisé des manifestations dans la même rue devant le centre d’asile fin février 2016 à Ljubljana. La manifestation antifasciste a attiré davantage de personnes dans les rues, des activistes aux travailleurs culturels et aux migrants eux-mêmes, tandis que la manifestation de droite comprenait divers groupes, allant des citoyens âgés « préoccupés » aux néo-nazis, mobilisés par le biais de médias sociaux, avec anti-migrants patriotiques. rhétorique.

Par la suite, d’un côté, nous avons constaté un soutien public pour arrêter la montée de la politique fasciste en Slovénie; D’autre part, nous avons vu de nouveau les parlementaires discuter de la violence et de l’extrémisme de gauche. La réponse de la gauche institutionnelle a alors été d’accepter ce jeu de deux extrêmes opposés et au lieu de parler de société ouverte et inclusive, elle a pris part à une discussion sur l’extrémisme en Slovénie, en essayant de montrer que l’extrémisme de droite était plus dangereux.

Renforcer les lois anti-extrémisme est un programme commun en Slovénie et en Europe, qui aboutit souvent à des lois plus strictes qui donnent plus de pouvoir à la police pour surveiller les mouvements sociaux d’en bas, entraînant régulièrement des poursuites terroristes contre des anarchistes et rarement, voire jamais, des actions de ce genre. extrémistes de droite contre lesquels ils sont censés être visés. Cependant, il reste que 2015 a été la plus grande progression des activités militantes des groupes fascistes. Comme dans le reste de l’Europe, où les sentiments anti-immigrés et anti-musulmans font revivre la scène de droite dans la politique institutionnelle et dans la rue, nous observons la même chose en Slovénie. Nous ne traitons plus de groupes néo-nazis classiques (seulement), ni de politiciens de droite.

 

Communauté de privilégiés

Dans le passé, les réponses de la gauche à ce type de problèmes étaient simples : conquérir le pouvoir de l’État. Ensuite, il serait utilisé pour la criminalisation des activités fascistes. Pendant un certain temps, cette tactique a peut-être été un succès pour les détenteurs de privilèges (peau claire, sexe masculin, documents officiels), alors que les personnes poussées à la périphérie de nos sociétés sont toujours la cible de la violence fasciste. Aujourd’hui, au lendemain de la crise économique, la politique de la haine se propage dans un nouveau spectre de société où jeunes mères, voisins, camarades de classe et enseignants défilent sous le drapeau patriotique et les slogans de la nécessité de protéger notre culture « authentique ». Le génie est sorti de la bouteille et la politique institutionnelle n’a pas de réponse à cela.

Comme dans le reste de l’Europe, le nouveau visage du fascisme commence à créer une situation dans laquelle la Slovénie se transforme en une communauté de privilèges fermée. En outre, le langage de la propriété est largement utilisé pour justifier ce type de situation. Le gouvernement slovène a d’abord revendiqué son territoire – en construisant un grillage pour protéger les frontières. Leurs homologues des partis politiques de droite et des groupes patriotiques ont présenté l’idée que les relations sociales slovènes seraient mises en danger par l’Autre, par des migrants qui auraient prétendu vouloir occuper leur emploi, leurs femmes, leur culture et leurs valeurs. Ils se placent à des postes de responsabilité qui déterminent la réalité de tous en Slovénie. Par conséquent, la principale lutte contre de telles politiques autoritaires de haine,

La question qui se pose à de tels mouvements, qui n’ont pas encore fait ses preuves, est de savoir comment démontrer ce que signifie lutter contre la montée du fascisme dans la société. Comment développer des tactiques et un espace politique ouvert dans lesquels des personnes qui ne sont pas sujettes à la politique de la haine et qui manquent de co-orateurs pour s’y opposer puissent se retrouver ? C’est d’autant plus urgent dans une situation où les tactiques de la gauche, comme nous l’avons vu en Slovénie, peuvent facilement être réappropriées par les foules fascistes auto-organisatrices. La tâche est donc aussi une lutte pour des idées, des principes et un contenu politique concret de politique ouverte anti-autoritaire qui se mobiliserait contre la haine croissante de nos sociétés.9

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Slov%C3%A9nie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Slov%C3%A9nie
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Slov%C3%A9nie
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Slov%C3%A9nie
(5) Georges Berghezan https://www.investigaction.net/fr/Il-y-a-20-ans-la-Yougoslavie/
(6) Philippe Alcoy http://www.legrandsoir.info/profonde-crise-economique-politique-et-sociale-en-slovenie.html
(7) Éric Tolian http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2337/dans-le-monde/article/2013/05/16/29947-slovenie-un-nouveau-maillon-de-la-crise.html
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_slov%C3%A8nes_de_2014
(9) Tjaša Pureber http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article48313