Le Pakistan

 

 

Avant la partition

La région de l’Indus était l’emplacement de plusieurs cultures antiques comprenant Mehrgarh, une des plus anciennes villes connues du monde, et de la civilisation de la vallée de l’Indus (de 2500 av. J.-C. à 1500 av. J.-C.) à Harappa et Mohenjo-Daro.

Les vagues de conquérants et de migrants, comprenant les Aryens, Perses, Indo-Grecs et Musulmans se sont établis au Pakistan tout au long des siècles, influençant les autochtones. Le pays a une histoire commune avec l’Inde, l’Afghanistan et l’Iran antiques. La région est un carrefour des itinéraires commerciaux historiques, y compris la route de la soie.

Sur le territoire que le Pakistan occupe, la civilisation de la vallée de l’Indus fut influencée au milieu du IIe millénaire av. J.-C. par l’arrivée de la civilisation Aryenne, qui donna lieu au védisme qui a jeté les bases de l'hindouisme. Le Rig-Veda mentionne Arya-Varta (la terre des Aryens) comme Sapta Sindhu (la terre des sept rivières du nord-ouest de l'Asie du Sud, l'une d'entre elles étant l'Indus), cela correspond à la région Pakistanaise du Penjab actuelle. Les empires successifs et les royaumes ont régné sur la région de l’empire perse achéménide autour de 543 av. J.-C., à Alexandre le Grand en 326 av. J.-C. et l’empire de Maurya. Le royaume indo-grec fondé par Demetrius de Bactria a inclus Gandhara et le Pendjab en 184 av. J.-C., et a atteint sa plus grande ampleur sous Ménandre Ier, établissant la période gréco-bouddhiste avec des avancées dans le commerce et la culture. La ville de Taxila (Takshashila) est devenue un centre d’étude important des périodes antiques – les restes de la ville, située à l’ouest d’Islamabad, sont l’un des emplacements archéologiques principaux du pays.

Le Dominion du Pakistan et l’Union indienne sont les deux États créés lors de la partition des Indes britanniques en 1947.1

 

Une poudrière de nationalités

C’est tout d’abord dans les cinquante dernières années de la domination coloniale britannique sur le sous-continent indien qu’il faut rechercher les origines de la situation actuelle au Pakistan. Les frontières artificielles qui furent tracées au 19e siècle par la bureaucratie coloniale britannique visaient à protéger cette partie de l’Empire britannique contre l’expansionnisme de l’Empire tsariste. Elles divisèrent des ethnies entières entre deux ou trois pays, voire plus. Ce faisant, elles laissèrent toute une série de bombes à retardement sur le territoire pakistanais actuel.

Parmi les plus importantes de ces ethnies, on trouve : les Baloutches, qui constituent la majorité de la population de la province du Baloutchistan et sont également représentés par des groupes importants en Iran, en Afghanistan et au Turkménistan ; les Pachtounes, majoritaires dans la province de Khyber-Pakhtunkhwa, qui constituent une part importante de la classe ouvrière des centres industriels pakistanais ainsi que le groupe ethnique le plus important d’Afghanistan ; enfin les Hazaras, qui sont éparpillés dans tout le Pakistan, mais plus particulièrement au Baloutchistan, et sont également représentés par des groupes importants en Afghanistan et en Iran.

Le bain de sang et les déplacements forcés de population qui ont accompagné la partition de l’Inde en 1947 ont créé de nouvelles bombes à retardement : le Bengale oriental (qui fit sécession vingt-quatre ans plus tard pour former le Bangladesh au terme d’une guerre sanglante) ; le Cachemire (qui fut l’objet de deux guerres et d’incessants conflits frontaliers entre l’Inde et le Pakistan) ; le Pendjab (qui fut coupé en deux) ; et Karachi (où des millions de « mohajirs », se retrouvèrent isolés dans une province dont ils ne partageaient ni la langue ni la culture).

Contrairement à ce que prétendit à l’époque le gouvernement britannique du Premier ministre travailliste Attlee, la partition de l’Inde n’avait pas grand-chose à voir avec les aspirations religieuses de sa population. Sans doute Attlee souhaitait-il récompenser la Ligue musulmane de Jinnah pour avoir soutenu l’effort de guerre britannique durant la Deuxième Guerre mondiale, contrairement au Parti du Congrès de Gandhi. Mais surtout, puisque l’indépendance de l’Inde était désormais inévitable, il lui fallait s’assurer qu’elle ne s’accompagnerait pas d’une radicalisation susceptible de mettre en danger le pillage du sous-continent par l’impérialisme. La partition de l’Inde permit à la bourgeoisie britannique de faire d’une pierre deux coups : en dressant une partie de la population contre l’autre, elle noya l’enthousiasme qu’aurait pu engendrer l’indépendance dans un bain de sang et d’amertume ; et en scindant le pays en deux États rivaux, elle évita de se retrouver face à une Inde unie, dirigée par un régime qui, fort de sa popularité et de la taille de sa population, aurait pu faire preuve de trop d’indépendance au goût du capital occidental.

Aujourd’hui, soixante-dix ans après la partition, la population du sous-continent continue à payer chèrement ces calculs cyniques. Et tout particulièrement celle du Pakistan. Car si les minorités ethniques de ce pays artificiel auraient pu s’intégrer dans la vaste entité économique et sociale d’une Inde unifiée indépendante, elles se trouvèrent piégées dans une entité pakistanaise bien plus petite et bien plus pauvre, qui avait peu de choses à leur offrir. L’idée que l’islam pouvait constituer un ciment suffisant pour rassembler ces minorités disparates au sein d’un pays artificiel ne tarda pas à se révéler totalement illusoire. Des forces centrifuges virent le jour, avec des revendications autonomistes, voire indépendantistes, revendications qui furent à leur tour alimentées par chaque tentative du pouvoir pakistanais pour renforcer son autorité sur l’ensemble du pays.

Le pouvoir répondit à ces revendications en recourant aux méthodes de tous les États bourgeois, une répression brutale. Cela conduisit à une spirale de radicalisation et de répression, qui vit l’émergence de groupes nationalistes armés. Il y eut d’abord les guérillas nationalistes cachemiries puis, dans les années 1970, celles des Baloutches. Dans les années 1990 vinrent les milices armées du MQM, qui imposèrent leur loi sur de vastes zones de l’agglomération de Karachi au nom de la minorité « mohajir ». Dans le même temps, des groupes armés issus des groupes de l’extrême droite islamiste commençaient à être actifs le long de la frontière afghane, au nom d’un islam radical, tout en cherchant à s’appuyer sur le nationalisme pachtoune.

 

L’impérialisme, l’armée et l’extrême droite islamiste

Très tôt, la nécessité de contenir ce mélange explosif donna à l’armée pakistanaise un rôle disproportionné. Mais ce qui fit vraiment gonfler son importance fut le choix de l’impérialisme américain de s’en servir comme de l’un des piliers de son ordre régional.

En 1951, le commandant en chef britannique de l’armée pakistanaise fut remplacé par un Pakistanais, le général Ayub Khan. Mais celui-ci restait un pur produit de l’armée britannique puisqu’il avait fait ses classes à l’académie militaire britannique de Sandhurst et combattu dans les rangs de l’armée britannique durant la Deuxième Guerre mondiale.

Néanmoins, peu après sa désignation, les États-Unis ouvrirent une délégation militaire permanente au quartier général de l’armée pakistanaise, à Rawalpindi. Dans le même temps, le Pakistan conclut un Pacte de défense mutuelle avec les États-Unis, avant de rejoindre deux organismes créés à leur instigation dans le cadre de la guerre froide, l’Otase, qui était alors le pendant de l’OTAN en Asie du sud-est, et Cento, qui était son équivalent au Moyen-Orient.

En 1958, après avoir perdu leur allié irakien à la suite du renversement de sa monarchie probritannique, les États-Unis renforcèrent leurs liens avec l’armée pakistanaise. Une base aérienne américaine fut construite près de Peshawar (près de la frontière afghane) et l’armée de l’air américaine obtint le droit permanent d’utiliser les aéroports civils pakistanais. L’aide américaine afflua, remplissant à la fois les arsenaux de l’armée pakistanaise et les poches très profondes de ses officiers supérieurs.

Entre-temps, le général Ayub Khan avait pris le pouvoir dans un coup d’État. Il devait le conserver jusqu’à ce que, en 1969, cinq mois de manifestations finissent par le forcer à démissionner. Un an après, son successeur, le général Yahya Khan, face à une nouvelle montée du mécontentement, légalisa les partis politiques, introduisit le suffrage universel (pour la première fois depuis la naissance du Pakistan), annonça la transformation du pays en une fédération de provinces semi-autonomes et organisa des élections. Ce furent ces élections qui permirent au PPP d’accéder pour la première fois au pouvoir, sous la direction de son fondateur, Zulficar Ali Bhutto.

Mais les généraux ne restèrent pas longtemps dans leurs casernes. En juillet 1977, le général Zia ul-Haq fit un coup d’État. Ali Bhutto fut arrêté, ainsi que des milliers de membres du PPP et de militants de gauche, et les partis politiques furent interdits. Mais l’objectif de Zia n’était pas seulement de rétablir l’ordre. Il visait aussi à éradiquer jusqu’au souvenir de l’expérience de liberté vécue par les classes pauvres au cours des nombreuses luttes qu’elles avaient menées entre 1968 et 1976. Pour ce faire, Zia institutionnalisa certaines des formes les plus archaïques de l’islam.

Jusque-là, si la plupart des politiciens pakistanais faisaient allégeance à l’islam, la religion n’avait jamais joué un rôle important dans les institutions du pays. En fait, l’appellation de République islamique n’avait été inscrite dans la Constitution qu’en 1973, sous le régime prétendument progressiste d’Ali Bhutto ! Mais Zia alla beaucoup plus loin, ajoutant des éléments de la charia dans la Constitution, notamment des châtiments barbares pour certaines infractions. En outre, il introduisit les infâmes lois sur le blasphème selon lesquelles le seul fait d’être accusé d’avoir insulté l’islam et, par la même occasion, le régime, était passible de la prison à perpétuité, voire de la peine capitale.

Dans le cadre de l’islamisation de la société pakistanaise menée sous Zia, l’État confia aux religieux de nombreuses fonctions sociales, en particulier dans l’enseignement et l’aide sociale. Cette politique donna aux partis et institutions religieuses une légitimité et un poids social qu’ils n’avaient jamais eus auparavant. Tout en resserrant considérablement le contrôle exercé par le pouvoir sur l’ensemble de la société, cela créa une atmosphère de réaction qui étouffa toute forme d’opposition et justifia, entre autres, de revenir en arrière sur la relative liberté dont les femmes avaient commencé à bénéficier tout récemment dans les zones urbaines.

La dictature de Zia revint également sur le programme de nationalisation réalisé sous Ali Bhutto, au moins au profit de ses protégés, car nombre des entreprises dénationalisées furent tout simplement incorporées dans l’immense empire industriel et commercial contrôlé par l’armée. Parmi ces protégés, il y avait un certain Nawaz Sharif, qui venait juste d’être nommé au poste de ministre des Finances du Pendjab par le gouverneur de la province, lui-même ancien directeur général de l’ISI, les services secrets pakistanais. Moyennant quoi l’affaire familiale des Sharif, le groupe sidérurgique Ittefaq, lui fut rendue. Ainsi commença la carrière de Nawaz Sharif, dans l’ombre de l’armée, à la fois en tant que politicien (il fut bientôt nommé Premier ministre du Pendjab) et en tant qu’homme d’affaires (Ittefaq connut une croissance aussi mystérieuse que météorique sous la dictature de Zia).

Deux ans après le coup d’État de Zia, les troupes soviétiques envahirent l’Afghanistan. Du jour au lendemain, le Pakistan, qui était déjà considéré par les dirigeants américains comme faisant partie de la ligne de front dans la guerre froide, du fait de sa frontière commune avec le régime prosoviétique afghan, acquit une importance unique. Il n’était pas question pour l’impérialisme américain de laisser passer une telle occasion d’affaiblir l’influence soviétique, et le Pakistan était le seul intermédiaire possible pour une telle opération. L’armée pakistanaise, et plus spécifiquement son agence de renseignement, l’ISI, furent chargées d’armer les forces les plus anticommunistes existant en Afghanistan, ses seigneurs de guerre islamistes. Pour mener cette tâche, l’ISI se servit des partis de l’extrême droite islamiste pakistanaise, notamment de la JUI (Assemblée du clergé islamique), qui présentait l’avantage supplémentaire d’avoir une base pachtoune comme la plupart des seigneurs de guerre islamistes afghans de l’autre côté de la frontière.

En 1988, Zia mourut dans un mystérieux accident d’avion, sans doute exécuté par une faction rivale au sein de l’armée. Mais les gouvernements civils qui se succédèrent au pouvoir ensuite, que ce soit sous la direction du PPP ou celle du PML, conservèrent pour l’essentiel ses orientations politiques. Seul le langage changea. Le processus d’islamisation se poursuivit sans grand changement, les lois sur le blasphème ne furent pas abrogées, pas plus que les éléments de la charia qui avaient été inscrits par Zia dans la Constitution.

Mais les choses furent un peu plus compliquées dans l’armée. Tant que les troupes soviétiques avaient occupé l’Afghanistan, le soutien de l’armée pakistanaise à la politique américaine d’armement des groupes islamistes afghans avait été sans faille. Mais après le retrait soviétique, les luttes traditionnelles entre factions reprirent au sein de l’armée pakistanaise, chaque faction mettant en avant ses propres pions sur l’échiquier afghan. En particulier, tout indique que ce fut l’ISI qui, au moins au début, et sans forcément avoir obtenu l’aval des États-Unis, finança et arma les talibans dans leur marche vers le pouvoir.

Dans le même temps, l’extrême droite religieuse pakistanaise prospérait. Depuis l’époque de Zia, ses différents courants disposaient d’un immense réseau social couvrant l’enseignement, l’aide sociale et la santé, ce qui leur permettait de toucher une large section de la population pauvre souffrant cruellement du manque de services publics. Qui plus est, certains de ces partis (comme le JUI) qui jusque-là n’avaient jamais obtenu de scores électoraux significatifs, furent invités à entrer au gouvernement, principalement pour lui garantir le soutien de la faction de l’armée à laquelle ils étaient liés. Mais par un effet de ricochet, ces partis gagnèrent ainsi en légitimité et recrutèrent plus largement.

 

L’invasion occidentale de l’Afghanistan et ses conséquences

Vers 1993, le rôle joué par l’armée pakistanaise en Afghanistan finit par avoir un effet boomerang au Pakistan même. Ce rôle avait engendré toute une activité économique, basée d’un côté sur la contrebande d’armes en direction de l’Afghanistan et de l’autre sur celle d’héroïne en sens inverse. À présent que la demande d’armes diminuait en Afghanistan, le Pakistan était submergé d’armes de tous types à des prix défiant toute concurrence. À Karachi en particulier, ce déluge d’armes contribua à transformer la guerre de gangs entre le MQM et les milices rivales en un véritable bain de sang.

Dans le même temps, des combattants islamistes pakistanais qui avaient été envoyés en Afghanistan au cours des années précédentes étaient revenus au pays, avec un seul objectif en tête : conserver au Pakistan leur statut de seigneurs de guerre dont ils avaient bénéficié en Afghanistan. Nombre d’entre eux avaient des liens avec l’une ou l’autre des factions de l’armée, ce qui leur donnait accès à des armes et à un financement. Certains étaient liés aux talibans, désormais au pouvoir en Afghanistan, d’autres avec des seigneurs de guerre rivaux dont les combattants cherchaient refuge au Pakistan pour échapper aux talibans. Les uns et les autres commencèrent à former des groupes armés, utilisant à leur profit le terrain accidenté de la région frontalière afghane, notamment dans les zones tribales de la FATA et le Baloutchistan oriental, dans le but déclaré d’établir leur propre califat, si ce n’est sur tout le territoire pakistanais, pour l’instant en tout cas au moins sur les petits territoires où ils avaient établi leurs bases. Par indifférence ou par crainte d’un embourbement, l’armée choisit de ne pas s’y opposer. Et ce fut dans ces zones hors la loi, où l’autorité de l’administration fédérale était une fiction lointaine pour la population éparse, que les groupes terroristes islamistes actuels commencèrent à entraîner leurs nouvelles recrues et à préparer leurs futures offensives sur l’ensemble du pays.

L’invasion occidentale de l’Afghanistan, en 2001, mit les cercles dirigeants pakistanais face à un dilemme : d’un côté, ils étaient déterminés à conserver leur relation spéciale avec les États-Unis et l’aide économique et financière qu’elle impliquait, et cela nécessitait de satisfaire pleinement aux exigences militaires et logistiques des États-Unis ; mais, de l’autre, ils devaient tenir compte du fait que l’invasion occidentale était si impopulaire dans toutes les couches de la société pakistanaise qu’aucun parti n’osait la soutenir ouvertement.

Non sans ironie, ce qui sauva les institutions politiques pakistanaises et l’establishment d’un discrédit total fut le fait que l’invasion eut lieu sous la loi martiale décrétée par le général Musharraf, dont la déclaration en 1999 avait été si sévèrement condamnée par Washington ! Dans la mesure où elle suspendait le fonctionnement normal des institutions politiques, la loi martiale permit aux partis pakistanais de laisser à Musharraf la responsabilité de satisfaire aux exigences des États-Unis, tant qu’il fut dictateur en titre, puis à un petit parti issu du PML qui gouverna en son nom après son élection à la présidence du pays, parti qui disparut dans les oubliettes de l’histoire lors des élections de 2008.

Au sein de l’armée, l’invasion entraîna de profondes dissensions. Les factions qui avaient poussé les talibans vers le pouvoir ne voulaient pas perdre ce qu’elles considéraient comme un État client, mais elles ne pouvaient pas y faire grand-chose, au moins au début de l’invasion. De leur côté, les autres factions avançaient leurs propres pions sur l’échiquier afghan, afin de profiter de la nouvelle donne résultant de la chute des talibans. Quant à Musharraf, qui avait fait partie des cercles dirigeants de l’ISI dans la première partie des années 1990, et était par là même impliqué dans le soutien aux talibans, il connaissait trop bien les arcanes de l’institution militaire pour prendre le risque d’un affrontement destiné à y restaurer l’ordre. D’autant que, de toute façon, quelles que fussent les rivalités qui les opposaient, les factions de l’armée avaient trop à perdre à une scission ouverte qui aurait affaibli le poids économique et social de l’institution militaire. Et c’est ainsi que les factions de l’armée purent continuer à poursuivre chacune ses propres objectifs, du moment qu’elles restaient suffisamment discrètes pour ne menacer ni l’unité de l’armée ni le flot de l’aide américaine.

Mais cette politique de laisser-faire eut des conséquences imprévues. Du fait du choix des États-Unis de favoriser les seigneurs de guerre du nord de l’Afghanistan, qui avaient plus de liens avec l’Inde et les républiques d’Asie centrale qu’avec le Pakistan, les pions de l’armée pakistanaise, principalement des Pachtounes du sud de l’Afghanistan, se trouvèrent marginalisés par le nouveau régime mis en place par les États-Unis et choisirent de s’opposer à l’occupation occidentale. Après la chute des talibans, les opérations militaires occidentales se multiplièrent dans les régions afghanes frontalières du Pakistan, entraînant un afflux de combattants islamistes afghans au Pakistan, qui vinrent renforcer leurs homologues pakistanais, tandis que le flot continu des réfugiés afghans fuyant la guerre leur fournissait un réservoir de recrues potentielles.

 

Le terrorisme de l’extrême droite islamiste s’étend

Comme on pouvait s’y attendre, l’armée se montra réticente à s’en prendre aux seigneurs de guerre pakistanais. Lorsque des troupes recevaient l’ordre de se mettre en marche en direction de l’un de leurs califats pour y rétablir l’ordre, rien ne semblait jamais se passer. Il est vrai que la population locale semblait nourrir encore plus de haine pour l’armée que pour les seigneurs de guerre. Mais il ne manquait pas de témoignages sur les complicités qui existaient entre les officiers de haut rang et les seigneurs de guerre qu’ils étaient censés pourchasser.

Cependant, dans le reste du pays, le soutien apporté par le régime de Musharraf à l’occupation occidentale de l’Afghanistan poussait davantage de recrues dans les bras de l’extrême droite islamiste, qui organisait sans cesse des manifestations de protestation, occupait des édifices publics et faisait imposer la charia par ses groupes armés dans certaines zones urbaines. Cette agitation atteignit son point culminant en juillet 2007, lorsque le pouvoir décida de chasser les groupes islamistes qui s’étaient barricadés dans le complexe de la Mosquée rouge, à Islamabad. Les occupants étaient armés et l’assaut par la police dura une journée entière. On estima qu’il avait fait au moins 400 morts.

Sans doute la violence politique n’était-elle pas nouvelle au Pakistan. Les luttes entre factions rivales et les divergences politiques se réglaient souvent par des assassinats, des enlèvements, des actes de torture, etc. En particulier, les politiciens comme les militaires recouraient souvent à de telles méthodes pour se débarrasser de juges d’instruction qui prenaient leur travail trop au sérieux, de rivaux ou tout simplement de critiques trop virulents.

En outre, il existait de longue date une forme de violence politique proche du gangstérisme pur et simple, comme la guerre de racket entre gangs politiques qui pourrissait la vie des bidonvilles de Karachi. Il y avait aussi ce qu’on appelle au Pakistan les opérations de land-grab (vol de terre), où les groupes armés de telle ou telle milice politique se livraient à des raids destinés à terroriser les habitants de tout un quartier et à les forcer à fuir, pour libérer le terrain au profit de vautours de l’immobilier ou de gros propriétaires terriens. L’illégalité régnait souvent en maître, soit parce que la police locale était corrompue, soit parce qu’elle avait trop peur de s’affronter à des bandes armées disposant d’appuis dans les hautes sphères de l’État.

Mais le massacre de la Mosquée rouge en 2007 marqua un tournant : les attentats terroristes commencèrent à s’étendre à une grande partie du pays et leur nombre n’a cessé d’augmenter depuis. En 2013, on estime que les attentats de l’extrême droite islamiste ont fait 55 000 morts depuis l’invasion de l’Afghanistan, dont les deux tiers depuis 2007.

Les groupes islamistes choisirent deux types de cibles. D’un côté ils s’attaquèrent aux institutions publiques, la police et ses milices supplétives, les centres administratifs et les services publics et sociaux (écoles primaires, cliniques itinérantes, etc.). Néanmoins, de façon significative, ils ne s’attaquèrent que très rarement à l’armée, et seulement autour de leur pré carré, le long de la frontière afghane, ce qui en dit long sur les liens qui existaient entre ces groupes et l’institution militaire. D’un autre côté, en particulier dans les zones urbaines, les groupes islamistes s’attaquèrent à ceux qu’ils appelaient les infidèles, c’est-à-dire des non-musulmans ou des musulmans faisant allégeance à une variante différente de l’islam. Au Baloutchistan et à Karachi, la minorité hazara, qui est chiite, paya ainsi un tribut particulièrement lourd à ces attaques. Dans le reste du pays, les principales cibles furent les chrétiens et les ahmadis, une secte musulmane réformiste dont les membres s’étaient vu refuser le droit de se réclamer de l’islam et avaient été privés de leurs droits civiques dans les années 1970.

Le PPP, qui fut au pouvoir sans interruption entre 2008 et 2013, choisit le plus souvent d’ignorer ces vagues d’attentats. Dans les régions les plus reculées, il chercha même un terrain d’entente avec certains seigneurs de guerre en les autorisant officiellement à appliquer leur version de la charia sur le territoire qu’ils contrôlaient. Dans le même temps, l’administration PPP invoqua la menace constante d’attentats terroristes pour justifier la répression de nombreux opposants, en particulier de ceux qui dénonçaient la corruption de son régime et le jeu suspect de l’armée vis-à-vis de l’extrême droite islamiste. Quant au gouvernement PML élu en mai 2013, sa promesse de négocier avec l’extrême droite islamiste annonce simplement, dans le meilleur des cas, la poursuite de la même politique et, dans le pire, des concessions supplémentaires à ces bigots réactionnaires.

En trente-quatre ans d’intervention dans la région, les grandes puissances n’ont pas seulement transformé l’Afghanistan en un champ de bataille permanent. Elles ont également fait du Pakistan une zone de guerre où les 180 millions de Pakistanais sont pris au piège entre le parasitisme de leur bourgeoisie, la corruption de leurs politiciens et de leurs généraux, et la menace permanente d’une intervention militaire occidentale au Pakistan même, menace qu’est venue renforcer l’utilisation systématique de drones américains dans les zones frontalières pakistanaises depuis qu'Obama était au pouvoir.

Comme en Afghanistan, en favorisant l’extrême droite islamiste, l’impérialisme a mis en place et amorcé une bombe au Pakistan, et il se pourrait qu’un jour ou l’autre cette bombe lui explose dans les mains. Mais, contrairement à l’Afghanistan, le Pakistan dispose d’un vaste prolétariat urbain et d’une classe ouvrière nombreuse, qui ont déjà fait la preuve de leur combativité et de leur courage dans les années 1960-1970. Il faut donc espérer que ces masses urbaines pauvres retrouveront la voie de leurs propres traditions de lutte et que, si explosion il y a, elle marque le signal du déclenchement d’une explosion sociale.

 

Des élections « démocratiques » dans une zone de guerre

Le 11 mai 2013, se sont déroulées au Pakistan des élections parlementaires dans lesquelles les médias et leaders occidentaux ont voulu voir un « retour du Pakistan à la démocratie », pour citer le ministre des Affaires étrangères britannique, William Hague. Mais cette prétendue démocratie n’est qu’un leurre qui cache mal l’état de guerre larvée dans lequel la politique des puissances impérialistes a plongé le pays depuis des décennies.

Pendant la campagne électorale, la BBC avait noté : « Le Pakistan vient de tourner une nouvelle page de son histoire... lorsqu’un décret officiel a mis un terme au mandat de son Parlement et de ses ministres. Ce fut une fin naturelle, pas une mort violente. Il n’y a eu ni troubles politiques ni intervention militaire. On n’avait jamais vu un gouvernement civil faire ses valises de manière aussi pacifique. » Deux mois plus tard, après les élections, toute la presse britannique publiait des commentaires comme celui-ci, paru dans The Economist : « Pour la première fois dans l’histoire du Pakistan, un gouvernement civil issu d’élections libres a terminé son mandat et a cédé la place à un autre, à la suite d’un scrutin tout aussi libre. La démocratie pakistanaise n’a jamais semblé aussi forte. »

Certes, cette fois-ci, le gouvernement sortant, dirigé par le Parti du peuple pakistanais (PPP), n’a été ni renversé par un coup d’État militaire, ni contraint d’organiser des élections anticipées à la suite de la mise en examen de ses ministres, ni propulsé sur le devant de la scène par le meurtre de son principal dirigeant, comme cela avait été le cas lors des précédentes élections de 2008, suite à l’assassinat de son leader, Benazir Bhutto.

Mais cela signifie-t-il pour autant, comme le prétendent les médias britanniques, que l’armée, qui a tout de même dirigé directement le pays pendant près de la moitié de ses soixante-six ans d’existence, est retournée pour de bon dans ses casernes ? Ou que les politiciens pakistanais ont fini par faire amende honorable au point que la corruption notoire qui les caractérisait dans le passé soit devenue anecdotique ? En fait, ni l’un ni l’autre.

La corruption, par exemple, est si profondément ancrée dans les hautes sphères de la société pakistanaise que tous les dirigeants politiques ont été pris la main dans le sac au moins une fois au cours de leur carrière.

C’est ainsi que le Premier ministre PPP sortant, Raja Pervez Ashraf, est l’objet d’une enquête criminelle pour avoir reçu des pots-de-vin pour des projets d’aménagement électrique lorsqu’il était chargé du portefeuille de l’Eau et de l’Énergie. Le précédent Premier ministre, Yusuf Raza Gilani, un autre dignitaire du PPP, avait été contraint à la démission par la Cour suprême en 2012 pour avoir tenté de faire entrave à la justice : il était accusé d’avoir bloqué une série d’enquêtes criminelles sur des faits de corruption mettant en cause Asif Ali Zardari, le président du pays (de 2008 à 2013) et codirigeant du PPP. Bien avant d’être élu à ce poste, lorsqu’il n’était que ministre dans les gouvernements dirigés par sa femme, Benazir Bhutto, Zardari avait été affublé du surnom éloquent de « Monsieur 10 % » !

Les leaders du PPP ne sont pas les seuls à se servir dans la caisse. Tout aussi notoire est la corruption des deux petits partis qui ont été ses alliés au gouvernement, l’Awami National Party (ANP ou Parti national du peuple, basé essentiellement dans l’ethnie pachtoune) et le Mohajir Qaumi Movement (MQM ou Mouvement national unifié, organisation basée à Karachi, qui se veut le porte-parole des « mohajirs », les réfugiés parlant l’ourdou, qui sont venus du nord de l’Inde au moment de la partition du sous-continent indien, en 1947). Ces deux partis ont d’ailleurs des membres qui sont actuellement en prison pour racket.

Sur ce plan, les vainqueurs des élections du 11 mai ne valent pas mieux non plus. Nawaz Sharif, dirigeant de la Ligue musulmane du Pakistan (PML), qui entame son troisième mandat de Premier ministre, est également l’objet d’une enquête criminelle pour corruption. Et l’administration du Pendjab, bastion traditionnel du PML qui est dirigé par le propre frère de Nawaz Sharif, Shahbaz, est tout aussi notoirement corrompue.

En fait, si la plupart des poids lourds de la politique pakistanaise réussissent à s’accrocher à leurs postes, ce n’est pas parce que la corruption a été reléguée à l’arrière-plan, mais parce que ces politiciens corrompus peuvent éviter de rendre des comptes à la justice en jouant sur les subtils marchandages qui ont lieu dans les coulisses entre les trois institutions représentant les intérêts de la bourgeoisie pakistanaise, la caste politique, le pouvoir judiciaire et l’armée.

De même, vu d’Europe, on peut bien avoir l’impression que l’armée n’a joué aucun rôle dans ces élections. Mais c’est oublier que depuis la chute de la dictature du général Zia-ul-Haq, en 1988, après sa mort dans un mystérieux accident d’avion, l’armée a évité d’intervenir ouvertement dans la vie politique. La seule exception au cours des vingt-cinq dernières années a été le coup d’État du général Musharraf en octobre 1999, en réponse à la tentative de Sharif de le limoger de son poste au directoire de l’état-major, et les trois ans d’État d’urgence qui ont suivi.

Doit-on en conclure que l’armée a perdu l’énorme poids politique et social qu’elle avait acquis dans la période précédant la mort de Zia ? Certainement pas. Ce serait ignorer sa présence toujours aussi pesante dans tous les aspects de la vie du pays, que ce soit dans l’économie, dans le droit de regard qu’elle exerce sur toutes les nominations aux postes clés de l’appareil d’État, dans la façon opaque dont elle manipule les groupes terroristes ou encore, bien entendu, dans les vastes opérations de répression qu’elle dirige dans plusieurs régions. Si la discrétion de l’armée dans ces élections montre quelque chose, c’est au contraire qu’elle dispose désormais de moyens efficaces d’exercer son contrôle sur la vie politique du pays, sans avoir besoin pour cela de s’exposer publiquement.

 

« Démocratie » et terrorisme

Dans un tel contexte, le fait d’affirmer que les élections du 11 mai ont été libres et de célébrer la « démocratie pakistanaise » n’est qu’un mensonge cynique. Mais il y a pire encore, en particulier toutes les pratiques ignobles qui ont marqué le déroulement de la campagne électorale.

Si on le ramène à des chiffres bruts, le bilan de cette élection est éloquent. D’après les chiffres officiels de la police, qui selon toutes probabilités sous-estiment la réalité, 150 personnes ont payé de leur vie le fait d’avoir participé à la campagne électorale. Un bien plus grand nombre encore ont été blessées, torturées, passées à tabac ou enlevées. Des dizaines de locaux électoraux ont été attaqués à la bombe ou incendiés. La plupart des partis qui présentaient des candidats ont dû limiter leur campagne à de petits rassemblements privés en lieu et place de réunions publiques, de crainte d’être la cible d’attentats.

Le jour du scrutin, 29 personnes ont été tuées par des gangs armés ou des attentats à la bombe. L’énorme déploiement de l’armée, de la police et des milices supplétives s’est révélé totalement impuissant à empêcher ces attaques. Si l’on en croit certains témoignages, ce déploiement avait plus pour but de décourager les électeurs indésirables que de protéger les bureaux de vote contre des terroristes.

Quant à présenter ces élections comme libres, c’est d’autant plus grotesque que d’innombrables vidéos ont largement circulé sur Internet, montrant des urnes que l’on bourrait et des électeurs que l’on empêchait d’entrer dans leur bureau de vote.

Suprême ironie de ces élections « libres », si les nombreux partis de l’extrême droite religieuse n’y ont obtenu au total que 5 % des voix, leurs ailes militaires, elles, auront été les véritables arbitres de son résultat. En effet, avant même le début de la campagne électorale, plusieurs groupes terroristes islamistes avaient annoncé qu’ils feraient tout pour empêcher les candidats non islamiques et laïcs de faire campagne. Hormis le petit nombre de ces groupes qui sont opposés au parlementarisme en tant que tel, ce que les autres exigeaient des candidats n’était pas tant un positionnement religieux, mais plutôt qu’ils se prononcent clairement contre l’utilisation du Pakistan par les puissances occidentales comme base arrière dans la guerre en Afghanistan, pour l’arrêt des opérations de répression contre les seigneurs de guerre islamistes dans le pays et pour l’ouverture de négociations entre le gouvernement et ces seigneurs de guerre. Ces groupes islamistes ajoutaient que les candidats et formations politiques qui ne céderaient pas à ces exigences n’auraient qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils étaient pris pour cible par des attentats.

Les deux dernières de ces exigences revenaient à reconnaître la légitimité des revendications réactionnaires de l’extrême droite islamiste, et il n’en était pas question pour l’ANP, le MQM, tous ceux dont le crédit tenait en partie à leur refus passé de céder du terrain à l’extrême droite religieuse. En revanche, elles ne gênaient guère le PPP et le PML qui, l’un comme l’autre, avaient dirigé des coalitions gouvernementales incluant tel ou tel courant de cette extrême droite.

En revanche, la question de l’Afghanistan posait un autre problème. Le PPP, étant au pouvoir, ne pouvait se permettre de faire campagne contre cette guerre sans risquer les foudres des États-Unis, et donc de l’armée, alors que le PML, étant dans l’opposition, pouvait se permettre un langage plus ambigu, quitte à l’oublier une fois les élections remportées.

Au bout du compte, parmi les principaux partis du pays, seuls deux se déclarèrent prêts à se conformer à l’ensemble des exigences de l’extrême droite religieuse : le PML de Nawaz Sharif et le Mouvement pakistanais pour la justice (PTI, Pakistan Tehreek-e-Insaf), un parti créé il y a quelques années par Imran Khan, un ancien capitaine de l’équipe nationale de cricket, qui ciblait essentiellement la jeunesse urbaine.

Du coup, seuls le PML et le PTI purent mener une campagne électorale publique dans l’ensemble du pays. Les autres partis ne purent organiser des rassemblements publics que dans leurs fiefs régionaux, et encore, seulement lorsque l’extrême droite islamiste y était faible. L’ANP, par exemple, dont le bastion traditionnel est la province de Khyber-Pakhtunkhwa (l’ancienne province dite de la « frontière du nord-ouest », à la frontière afghane), y perdit plusieurs candidats et de nombreux militants au début de la campagne, au point de devoir renoncer à toute forme d’intervention publique du fait de la proximité des seigneurs de guerre islamistes qui contrôlent la FATA (zone tribale sous administration fédérale).

 

Derrière les résultats

Il ne faut guère s’étonner dans ces conditions que le PML et le PTI soient arrivés respectivement premier et second dans ce scrutin en termes de voix (le PTI étant troisième en termes de sièges, avec le PPP arrivant en seconde position grâce au scrutin majoritaire à un tour). Ni que le PTI, qui n’avait aucun siège jusque-là dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa, y ait pris la place de l’ANP comme premier parti de la province, le réduisant à la portion congrue. De toute évidence, ces résultats ne sont pas dus au caractère prétendument libre de ces élections.

Sans doute les électeurs avaient-ils de nombreuses raisons de voter contre les administrations sortantes, tant au niveau fédéral que provincial. La corruption, la gestion désastreuse et l’incurie de ces administrations avaient suscité un mécontentement général.

Le PPP n’avait en particulier rien fait depuis deux ans contre les coupures de courant catastrophiques qui sévissaient dans le pays, coupures qui peuvent durer jusqu’à dix-huit heures et affecter toute une agglomération. La cause de ces coupures n’est pourtant un secret pour personne : le programme de privatisation de l’énergie de 1994 a permis aux profiteurs de faire main basse sur les centrales, tandis que l’État leur garantissait une rentabilité élevée. Sauf qu’en 2013, avec la hausse des prix pétroliers, l’État ne peut plus se permettre de subventionner une production d’énergie suffisante pour les besoins de la population. Pire encore, la croissance continue des tarifs d’électricité a alimenté une inflation annuelle à deux chiffres pour les biens de première nécessité, dont les plus pauvres sont les principales victimes.

De même, le PPP n’a rien fait contre les conséquences désastreuses de la privatisation des secteurs de l’éducation et de la santé. Aujourd’hui, le Pakistan consacre seulement 0,7 % de son PIB aux dépenses de santé. C’est moins que toutes les économies d’importance comparable. Alors que les infrastructures médicales modernes et onéreuses se multiplient pour la petite minorité aisée, les équipements publics accessibles à la majorité de la population ferment, manquent de personnel qualifié, ou tombent en ruine, faute d’un financement suffisant. Quant à l’enseignement, c’est devenu un secteur très rentable pour une poignée d’entreprises privées. Mais les résultats sont éloquents : 53 % de la population est totalement illettrée, 25 millions d’enfants de 5 à 16 ans, dont 16 millions de filles, ne sont pas scolarisés du tout et 65 % des enfants ne vont pas au-delà de l’école primaire.

Ironie de la situation, cela n’empêche pas le PPP de poser au champion des pauvres face à la rapacité des profiteurs, usant de thèmes populistes remontant à l’époque des années 1960, lorsque ce parti fut fondé par Ali Bhutto. Quant au PML de Sharif, il s’affirme sans complexe comme un champion du profit capitaliste, proposant encore plus de privatisations dans toutes les sphères de l’économie. C’est d’ailleurs, par exemple, dans le bastion du PML, au Pendjab, que la privatisation de l’enseignement a été la plus systématique, sous la férule du cabinet de conseil américain McKinsey, qui est sûrement plus compétent pour aider les investisseurs à gonfler leurs profits que pour rendre l’éducation accessible aux masses !

Après vingt-cinq ans au cours desquels le PPP et le PML ont alterné au pouvoir, en dehors du bref intermède de trois ans sous Musharraf, les électeurs ont eu tout le temps de mesurer à quel point il y a peu de différence entre leurs politiques. C’est sans doute l’une des principales raisons pour lesquelles, lors des précédentes élections, les transferts de voix d’un parti à l’autre ne se sont jamais traduits par des transferts massifs en sièges.

Mais, cette fois, il en est allé autrement. Et ce ne fut pas seulement du fait de l’apparition d’une « troisième force », incarnée par le PTI d’Imran Khan : si ce parti a en effet obtenu davantage de voix que le PPP (17 % contre 15 %), il a gagné la majorité de ses sièges aux dépens de l’ANP. Le PPP a perdu 60 % de ses sièges au Parlement fédéral, tandis que le PML a presque doublé les siens. La chute du PPP a été encore plus forte dans les assemblées provinciales, où il a globalement perdu 70 % de ses élus. Il a réalisé son plus mauvais résultat au Pendjab, la province la plus peuplée du pays : alors que le nombre d’élus du PML est passé de 171 à 214, le PPP s’est écroulé de 107 élus à... 6. Le PPP n’a réussi à garder de justesse les rênes du pouvoir que dans son bastion traditionnel du Sindh (la province autour de Karachi).

Les scores du Sindh et du Pendjab ne sont certainement pas fortuits : ils illustrent encore une fois l’influence de l’extrême droite islamiste dans cette élection. Dans la province du Sindh, où elle était plus faible et paralysée par l’alliance du PPP avec la principale milice provinciale, la branche armée du MQM, le PPP a pu faire campagne publiquement. En revanche, au Pendjab, province où l’extrême droite islamiste est bien plus forte et a des liens notoires tant avec le PML qu’avec la police et les milices supplétives, elle a pu empêcher le PPP de mener une campagne publique, même dans les zones urbaines défavorisées où il avait des élus.

Autant dire que le « retour à la démocratie » du Pakistan n’existe que dans l’imagination fertile des politiciens occidentaux. Il est vrai que ceux-ci ont tout intérêt à maintenir un voile pudique sur la réalité pakistanaise, dans la mesure où celle-ci est, dans une large mesure, un sous-produit de la politique criminelle des puissances impérialistes. Cette réalité, c’est que, depuis sa naissance, le Pakistan a toujours été une zone de guerre, et que cette situation n’a cessé d’être aggravée depuis par la façon dont les grandes puissances se sont servies du pays comme d’un pion dans leur jeu régional, le dernier exemple en étant le rôle qu’elles lui ont fait jouer dans la guerre qui ravage l’Afghanistan voisin depuis maintenant vingt ans.2

 

 

Le nouveau prêt du FMI : la recette immanquable pour une misère amère

« Ces dernières années, la dette publique du Pakistan a augmenté comme jamais dans l’histoire du pays, de 21,5 % par an en moyenne entre 2008 et 2013 contre 6,6 % par an entre 2000 et 2007. La dette externe s’élevait à 63 milliards de dollars en juin 2013, la dette interne à plus de 75 milliards. Le service de la dette se monte à 6 milliards par an en moyenne, ce qui représente plus de 20 % des revenus d’exportation et plus de la moitié des dépenses de santé et d’éducation cumulées. Les budgets consacrés à la dette et la Défense représentent près de 90 % des ressources du pays, ne laissant que des miettes pour le secteur social.

Au cours des 60 dernières années, les gouvernements successifs ont accumulé une dette publique de 6040 milliards de roupies pakistanaises tandis qu’en cinq ans, le gouvernement du PPP (Pakistan Peoples Party, Parti du peuple pakistanais) a gonflé à lui seul la dette de 8215 milliards de roupies. Plutôt que de sortir de ce cercle vicieux, le Pakistan persiste à assurer le paiement des dettes et à contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les précédents.

 

Le Pakistan à la botte du FMI

Le Pakistan est sans doute parmi les meilleurs clients des créanciers internationaux. Il n’a jamais déçu ses créanciers, a toujours payé le service de la dette, même durant la grave crise humanitaire de 2005, quand près de 89 000 personnes ont été tuées et des millions d’autres se sont retrouvées sans abri suite au séisme dévastateur au Cachemire. Idem en 2010 : alors que 20 millions de personnes ont été gravement touchées par les inondations, privées des services de base, laissées sans toit ni nourriture, le Pakistan, en bon client, a continué à payer ses dettes externes et n’a pas cherché à obtenir la moindre remise de dette.

Non pas que le pays soit suffisamment solide financièrement ou capable de faire face aux catastrophes naturelles sans faillir dans un même temps à s’acquitter de ses dettes. Plutôt que de satisfaire aux besoins de leur population, les gouvernements et régimes successifs ont donné la priorité au paiement de la dette, sans interruption et sans vergogne, comme le leur dictaient les institutions financières internationales (IFI).

Le FMI est le prêteur le plus fidèle du Pakistan. Le pays a bénéficié de ses prêts sur 29 des 40 dernières années, un quasi record qui a valu au pays de voir les inégalités s’accroître.

En septembre 2013, le FMI a accordé un prêt de 6,64 milliards de dollars sur 3 ans au titre de son mécanisme élargi de crédit (Extended Fund Facility). En contrepartie, le Pakistan doit appliquer des mesures d’austérité drastiques : imposition de nouvelles taxes, suppression des exemptions de taxes et des subsides à l’électricité, hausse des tarifs de l’électricité (+30%) et des taxes, dépréciation de la roupie pakistanaise (provoquant mécaniquement l’augmentation de la dette externe, libellée en devises), privatisation d’entreprises publiques.

Sous l’effet des conditionnalités du FMI, les années à venir vont être éprouvantes pour les populations déjà appauvries. Face aux demandes répétées des bailleurs d’augmenter le montant des recettes fiscales, le gouvernement a choisi de renforcer la fiscalité indirecte via l’introduction de taxes à la consommation. À l’inverse, les élites fortunées, parmi lesquelles les puissants propriétaires terriens, sont épargnées, le FMI n’ayant pas exigé de s’attaquer à leur sous-imposition. Le pays perçoit moins en taxes, en pourcentage de son économie, que n’importe quel autre pays de sa taille.

 

La population est frappée de plein fouet

Le Pakistan n’allait vraisemblablement pas atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement, entre autres en termes de réduction de la faim, d’éducation, d’égalité des sexes, de mortalité infantile et maternelle, d’accès aux soins sanitaires de base. Le coût élevé de la dette et les coupes budgétaires entravent davantage la capacité de l’État à fournir des services publics de qualité, notamment dans la santé et l’éducation.

Le programme du FMI vise à saigner le plus possible celles et ceux d’en bas, à leur faire payer la crise des grandes entreprises et du capital financier international. Son intervention au Pakistan est comparable à son action en Grèce qui a aggravé la récession, rendu les conditions de vie misérables, augmenté le chômage, imposé d’importantes réductions de salaires et supprimé des programmes sociaux.

L’inflation va augmenter en raison de la dévaluation continue de la monnaie locale tandis que la hausse des taxes et la suppression des subsides vont rendre le coût de la vie insupportable à une grande majorité de la population qui vit déjà dans la misère. 49,4% des Pakistanais vivent dans la pauvreté, 25% en dessous du seuil de pauvreté de 1 dollar par jour.

Le poids toujours croissant de la dette a de graves conséquences sur la vie des pauvres. Comme le Pakistan rembourse sa dette rubis sur ongle, il est incapable de résoudre les problèmes urgents, comme la crise énergétique. La pénurie d’électricité a empiré au point que le gouvernement a fait le choix de fermer ses écoles et universités. L’université Quaid-e-Azam a par exemple fermé suite à un délestage électrique durant l’été 2012. Des hôpitaux en zones rurales ont dû suspendre leurs activités face au manque d’électricité. Des travailleurs sont licenciés suite à la fermeture de certains sites industriels à cause de délestages. Le secteur textile de Faisalabad est dévasté par la pénurie chronique d’électricité, laissant des milliers de personnes sans emploi. La crise énergétique est directement liée à la crise de l’eau, de nombreux quartiers populaires souffrant de graves pénuries d’eau et d’électricité.

Sous la pression du FMI, la hausse de la TVA sur les articles d’usage quotidien dans le budget 2013-2014 a contraint nombre de gens à rogner sur les dépenses de santé et d’éducation de leurs enfants. Beaucoup de familles pauvres n’ont d’autre choix que de dé-scolariser leurs enfants, en premier lieu les filles, qui vont grossir les rangs du marché du travail infantile.

La situation de la santé publique est pire encore. Face à la mauvaise qualité et l’insuffisance des équipement dans les hôpitaux publics, la population doit se tourner vers le secteur privé, trop cher pour les plus pauvres qui recourent à l’automédication ou consultent des charlatans, mettant leur santé en danger. Le gouvernement, qui parvient toujours à payer ses échéances au FMI, a assisté sans scrupule au décès de 157 enfants suite à une épidémie de rougeole dans la province du Punjab en juin 2013. Plus tôt cette année, plus de 460 enfants sont morts de la rougeole dans la province du Sindh. L’année d'avant, la dengue a entraîné la mort de près de 200 personnes dans la seule province du Punjab. En cause : le manque de couverture vaccinale dans différents endroits du pays.

Le chômage, couplé à la hausse des prix, a conduit au suicide beaucoup de membres de familles pauvres. Selon la presse, le gouvernement a dû interdire la mort aux rats car de nombreuses personnes dans la pauvreté, particulièrement des femmes, utilisaient ces comprimés comme un moyen facile et bon marché de mettre fin à leur vie. Il y a quelques années, le Minar-e-Pakistan, un haut minaret à Lahore, était devenu le lieu favori pour les tentatives de suicides. Embarrassé, le gouvernement avait suspendu l’ascenseur du Minar pour contrer cette vague de suicides. L’évolution récente fait froid dans le dos : dans de nombreux cas, des familles entières avec leurs enfants se suicident, la pauvreté étant la cause principale.

 

L’audit de la dette, une nécessité urgente

Dans un pays où 50 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et où 35 millions sont sous-alimentées, la dette n’est rien d’autre qu’une torture économique. Ces dettes issues de prêts injustes maintiennent le Pakistan, nation stratégique, dans une dépendance absolue, tel que le veulent les dirigeants de ce monde. Mais des alternatives existent. Il y a un mouvement qui prend de l’ampleur au Pakistan en faveur de la suspension des paiements, d’un audit complet et de la répudiation des dettes considérées illégitimes.

Mener un audit de la dette publique est une priorité absolue et une condition fondamentale de la justice économique. La population doit décider quelles dettes sont illégitimes et doivent être annulées. Cela serait une première étape vers une société plus démocratique et transparente.

Le CADTM (le comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde) appel à l'annulation des dettes du Pakistan mais aussi à la réalisation d’un audit, pour permette aux populations de décider de leur politique économique. Le CATDM n'a pas la prétention qu’un audit et l’annulation des dettes, à eux-seuls, résoudront tous les problèmes du Pakistan, mais ce serait un premier pas vers une société plus égalitaire, démocratique et souveraine, dirigée par et pour la population.

Un audit de la dette renverserait la situation, forcerait le gouvernement à rendre des comptes à la population. Un audit de la dette suppose d’impliquer la population, d’améliorer sa compréhension des mécanismes d’accumulation de la dette et de lui donner l’opportunité de décider des mesures à prendre. Le CADTM ne plaide pas simplement pour la répudiation de la dette mais pour un processus démocratique qui fasse la lumière sur les dettes de régime, des élites, et les dettes légitimes. »3

 

 

Le massacre de Peshawar

Un épisode particulièrement sanglant de la guerre civile pakistanaise a eu lieu le 16 décembre 2014 à Peshawar, quand un commando suicide de talibans a attaqué une école fréquentée par des enfants de militaires. Plus de 140 personnes ont trouvé la mort dans cette école, surtout des élèves.

En représailles, le Premier ministre Nawaz Sharif a annoncé le rétablissement de la peine de mort pour terrorisme, et le chef de l'armée s'est empressé de faire exécuter dans la foulée six hommes, détenus depuis longtemps et qui donc n'avaient pas participé à ce massacre.

L'origine de ces violences remonte aux années 1980, lorsque les services secrets pakistanais, avec l'appui des USA, ont commencé à financer les islamistes afghans contre le régime soutenu par l'Union soviétique, tout en leur offrant une base arrière dans les régions pakistanaises dites tribales, frontalières de l'Afghanistan. Le découpage des frontières par les grandes puissances a placé des populations d'ethnie pachtoune de chaque côté de cette frontière. Le mouvement taliban proprement dit s'est ainsi d'abord développé côté afghan et y a même exercé le pouvoir de 1997 à 2001.

C'est en riposte aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis que l'impérialisme américain a mis fin au pouvoir des talibans en Afghanistan. Les talibans se sont alors réfugiés dans les régions frontalières pachtounes, côté pakistanais, où les drones américains les frappent depuis de façon incessante. Ces bombardements provoquent de véritables massacres de villageois. Ils font faire à l'État pakistanais le grand écart entre son soutien stratégique aux USA, qui pourtant bombardent son sol, et les populations locales, qui haïssent de plus en plus les États-Unis au point de soutenir les talibans.

Depuis juin 2014, il semble que la pression accrue des USA sur l'armée pakistanaise l'ait conduite à mener une offensive sur les régions tribales, pour réduire autant que faire se peut le parti des talibans pakistanais, le TTP. Un millier de talibans seraient morts dans cette offensive. L'attaque de l'école de Peshawar serait une vengeance du TTP, dont les enfants de militaires ont payé le prix.

Toute cette région paye le prix des guerres successives menées et financées par l'impérialisme américain. Celui-ci a d'abord appuyé les combattants islamistes contre l'URSS, avant de se retourner contre eux quand ils ont joué leur propre jeu. Il pousse à présent l'armée pakistanaise à faire la guerre aux talibans.

Depuis dix ans, cette guerre aux frontières du Pakistan et de l'Afghanistan a déjà fait entre 40 et 50 000 morts dans une population prise en otage par des forces locales, nationales et internationales qui lui sont toutes foncièrement hostiles. Elle n'a pas fini de faire les frais des manœuvres de l'impérialisme pour continuer à dominer la région.4

 

 

La scandaleuse impunité de l’assassinat par drones

« L’utilisation de la violence, que ce soit par les attaques de drones, l’emprisonnement et la torture dans des prisons comme Guantanamo fait, à présent, pourrait-on dire, partie de la culture américaine post 11 septembre 2001. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis attaquent systématiquement avec des drones, au Pakistan, au Yémen et en Somalie ; ils utilisent aussi des drones dans les invasions militaires d’Afghanistan, d’Irak et de Libye.

Le Bureau du Journalisme investigateur estime que 98% des victimes d’attaques de drones sont des ’dommages collatéraux’ c’est-à-dire des civils. Bien que le gouvernement des États-Unis vante l’efficacité des drones, la réalité est différente. Le niveau de précision des drones est très faible, il fluctue entre 1,5 et 2%.

Un article du Bureau du Journalisme investigateur, organisation indépendante, du mois de janvier 2014 dit : Il y a 5 ans, le 23 Janvier 2009, un drone de la CIA a détruit une maison au Pakistan. C’était le 3e jour de la présidence d’Obama et la première attaque masquée de ce nouveau Commandant en chef. Les premiers rapports affirmaient que 10 militants étaient morts dont des combattants étrangers. Mais très vite d’autres rapports faisaient état de victimes civiles ; plus tard, il fut confirmé que 9 de ces personnes étaient des civils dont la majorité étaient de la même famille. Il y eut un survivant, un adolescent de 14 ans, Fahim Qureshi, avec des blessures terribles dont des morceaux de métal dans l’estomac, une fracture du crane et la perte d’un œil. Peu après, ce même jour, la CIA attaqua une autre maison, ce fut une autre erreur. Dans cette deuxième attaque, entre 5 et 10 personnes sont mortes. C’étaient tous des civils.

Au Pakistan, au Yémen et en Somalie, le gouvernement d’Obama a attaqué 390 fois avec des drones en 5 ans, depuis la première attaque où Fahim Qureshi fut blessé, huit fois plus que le total des opérations lancées pendant le gouvernement de Bush. Les attaques de drones du gouvernement Obama ont tué presque 6 fois plus de personnes que le gouvernement de Bush, et ça continue.

 

Autres données relevées par le Bureau du Journalisme Investigateur :

1- Civils assassinés par des drones : on estime que les attaques de drones au Pakistan, Yémen et Somalie ont causé la mort de 4000 personnes dont 954 étaient des civils, et 225 des enfants.

2- Qui ordonne les attaques de drones ? : Sous Obama, le directeur de la CIA, John Brennan, présentait la liste des cibles au Président, qui approuvait chacune des attaques de drones.

3- Israël et les drones : Après les États- Unis, Israël occupe la 2e place dans la fabrication et la possession de drones. L’Utilisation de drones contre la Syrie remonte à 1982. Les Israéliens ont aussi attaqué le Liban avec des drones. À Gaza, les attaques israéliennes avec des drones ont tué 29 civils dont 8 enfants. À Beyrouth, un drone a tué 6 civils et en a blessé 16.

4- Les drones et le droit international : Les Nations Unies ont affirmé que les attaques avec des drones des États- Unis au Pakistan sont illégales et représentent une menace pour les droits de l’homme au regard du nombre important de morts et parce que le Gouvernement du Pakistan s’oppose à ces attaques.

 

Au sujet du droit international et la mort de civils

Le gouvernement des États-Unis justifie les attaques de drones par son droit à se défendre d’Al-Qaïda et des autres groupes djihadistes. Les Nations Unies de même qu’Amnistie International et d’autres organismes internationaux des Droits de l’homme, ont dénoncé l’illégalité des attaques de drones, mettant l’accent sur le pourcentage élevé de morts de civils et la faiblesse légale du droit à l’autodéfense invoqué par les États- Unis.

Comme le souligne Mary Ellen O’Connell, dans l’article ’La loi internationale sur les drones’, selon les lois internationales, le droit à l’autodéfense est conçu comme réponse à une attaque armée, il ne peut justifier une mesure préventive face à la possibilité d’une attaque dans le futur. L’autodéfense n’inclut pas non plus le droit d’initier une action militaire contre une personne ou un groupe, spécialement quand le pays où se trouvent ces personnes n’est pas responsable de leurs actions. C’est exactement le cas du Pakistan. Le gouvernement de ce pays a dénoncé l’illégalité des attaques de drones des États- Unis. (Malgré que certains pakistanais, selon plusieurs plaintes enregistrées par Amnesty International, soient complices de la CIA, en fournissant des informations au sujet de supposés djihadistes, mais en termes légaux, seul le gouvernement d’un pays est autorisé à l’utilisation de la force).

La campagne militaire avec des drones mise en œuvre par la CIA sous le commandement direct du Président des États- Unis, est maintenue totalement secrète. Certains législateurs américains ont commencé à exprimer un désaccord face au silence du gouvernement qui se refuse à donner les chiffres des victimes civiles. Adam Schiff, membre du Congrès démocrate de Californie, demanda aux services d’intelligence – lors d’une audience du Comité d’Intelligence du Congrès- qu’un rapport annuel soit publié sur les attaques de drones, indiquant combien de combattants mais surtout combien de non-combattants ont été assassinés lors d’attaques d’avions sans pilotes. Le New York Times s’est abstenu de mettre en question la légalité de ces attaques et garde à ce sujet le silence, comme d’ailleurs toute la presse américaine. Mais il publia la lettre de Ruth Holt, membre du Congrès démocrate du New Jersey, qui demande à la CIA de reprendre son rôle initial, qui était de collecter et analyser l’Intelligence, et de cesser d’être ’une organisation paramilitaire’ qui réalise des attaques masquées avec des drones.

À part quelques rares et honorables exceptions, le silence prime aux États- Unis, comme dans les pays alliés, au sujet de l’illégalité et de l’anti constitutionnalité des attaques de drones et de la mort de civils.

Le journaliste reconnu Robert Fisk, correspondant de The Independent au Moyen Orient, remarque qu’il existe un ’syndrome des drones’ qui affecte principalement le Pakistan, le Yémen et la Palestine. Il souligne que le malheur éthique de ce ’syndrome’ n’est pas seulement dans le fait que le président Obama décide qui doit vivre ou mourir mais que la plus grande honte est que la guerre des drones se soit convertie en quelque chose de ’normal, habituel, prosaïque’.

Il y a une forte opposition aux attaques de drones américaines parmi la population du Pakistan (et des autres pays qui subissent la mort de leurs êtres chers). Pourtant, dans le reste du monde, il n’y a pas une réaction à la hauteur de la gravité de la situation. Si le fait que le Président des États Unis décide de la vie et de la mort de citoyens d’autres pays n’est pas considéré comme une enfreinte au Droit international et un délit de lèse-humanité, alors le terrorisme d’état jouit d’impunité au niveau national et international. » 5

 

 

Pakistan : Entre Inde et Afghanistan, grandes manœuvres

Depuis la partition de l’Empire britannique des Indes en 1947, le conflit frontalier indo-pakistanais n’a jamais été résolu, se cristallisant en particulier sur la question du Cachemire, divisé en deux. Les rencontres de haut niveau entre les deux États sont rares. La visite « surprise » du Premier ministre indien Narenda Modi à Lahore, le 25 décembre 2015, pour y rencontrer son homologue Nawaz Sharif, a donc fait l’objet de bien des spéculations, malgré sa brièveté.

Une semaine plus tard, un commando séparatiste cachemirien venu du Pakistan s’est infiltré dans une base aérienne indienne, dans la province frontalière du Penjab. Après quatorze heures de combats, New Delhi a annoncé le 2 janvier que les quatre membres du commando avaient été tués. L’état-major met en cause le mouvement islamiste Jaish-e-Mohammed créé en 2000 par les services secrets militaires pakistanais pour faire pression sur l’Inde au Cachemire. Bien qu’aujourd’hui officiellement interdit au Pakistan qui a condamné l’attaque, ce groupe continu de bénéficier de solides protections sans lesquelles il ne pourrait opérer ainsi.

Cette attaque a eu lieu alors qu’une importante réunion devait se tenir une semaine après en Afghanistan entre la Chine, les États-Unis, le Pakistan et l’Afghanistan sur la question des négociations de paix avec les talibans. L’influence chinoise dans ce pays ne cesse de croître avec le retrait (inachevé) des forces US, alors que les services secrets de l’armée pakistanaise sont étroitement liés à des mouvements talibans afghans.

 

Instabilité chronique

Le Pakistan considère l’Afghanistan comme son arrière-base stratégique en cas de conflit avec l’Inde. Cependant, l’Inde est elle aussi engagée sur ce théâtre d’opérations, apportant son soutien au gouvernement de Kaboul pour contrebalancer l’influence sino-pakistanaise. Elle appuie aussi des irrédentistes au Baloutchistan, province frontalière sous administration pakistanaise. Plus généralement, New Delhi réaffirme son rôle de puissance régionale en Asie du Sud et fait tout pour contrecarrer les ambitions chinoises dans cette partie du monde.

Les grandes manœuvres diplomatiques en cours avivent les contradictions internes aux divers régimes de la région. La « visite » de Modi à Lahore a pris à contre-pied la droite radicale indienne, en particulier le Corps des volontaires nationaux (RSS), mouvement hindouiste sectaire d’où est issu le Parti du peuple indien (BJP)… dont le Premier ministre est membre.
Au Pakistan, des formations fondamentalistes sunnites poursuivent leur attentats sanglants contre les chiites (minoritaires dans le pays), les chrétiens, les formations laïques ou l’armée. Ils dénoncent tout rapprochement avec l’Inde, ennemi héréditaire. C’est notamment le cas pour les talibans pakistanais, la fraction Jamat-ul-Ahrar et le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). L’influence de l’État islamique semble se renforcer.

En Afghanistan, le gouvernement de Kaboul perd du terrain devant les offensives talibanes. Il doit par ailleurs composer avec des « parrains » aux intérêts aussi concurrents que les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Pakistan !
Les processus de paix semblent toujours aussi incertains : le jeu des puissances et les crises de régime (Pakistan, Afghanistan) nourrissent en effet l’instabilité chronique dans cette région stratégique, charnière entre l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.6

 

 

Le dimanche de Pâques, escalade de la terreur à Lahore

L’attentat de Lahore visait les chrétiens, mais aussi les enfants et un lieu de convivialité populaire. Il rappelle dans ses modalités et objectifs ceux de Bruxelles et de Paris.

L’attentat suicide commis à Lahore le dimanche 27 mars 2016 a tué au moins 72 personnes et en a blessé plus de 350 autres. Il est l’œuvre de l’une des composantes du mouvement taliban local. À l’instar de l’État islamique à Bruxelles quelques jours auparavant, il visait à faire le maximum de victimes, la ceinture d’explosifs contenait des billes métalliques provoquant des blessures multiples difficiles à soigner.
De même qu’à Paris en novembre, c’est un lieu de convivialité et de « mixité », un parc public très fréquenté, qui s’est transformé en lieu de mort. Les riches ont leurs espaces privatisés et sécurisés. Les autres se côtoient dans les parcs publics où ils viennent pique-niquer en famille, et où les femmes peuvent jouir d’une liberté d’être. Le kamikaze a provoqué l’explosion tout près d’une aire de jeu pour enfants. Le choc est profond dans la population qui subit, impuissante, une escalade sans fin de la terreur.

 

Épuration religieuse

En décembre 2014 déjà, des jeunes ont été directement ciblés : à Peshawar, des talibans ont attaqué une école publique accueillant des enfants de militaires. Plus de 150 personnes avaient trouvé la mort, dont au moins 136 n’étaient âgés que de 10 à 17 ans. Ce drame avait provoqué une profonde répulsion au Pakistan, débouchant sur une grève générale spontanée. Après l'attentat de Lahore, un porte-parole du groupe responsable de l’attaque a annoncé que d’autres opérations seront menées à l’avenir contre « les écoles et universités »...

Les victimes de cette attaque suicide sont en majorité musulmanes, mais les chrétiens étaient bien visés. La majorité des violences intercommunautaires opposent des mouvements sunnites à la minorité chiite ; mais les Ahmedis, chrétiens, hindous… sont constamment harcelés : villages brûlés, accusations de blasphème, églises attaquées… Les minorités non musulmanes ne représentent plus que quelques pourcent de la population. Il est à craindre que leur exode ne s’accélère. Nous assistons à un implacable processus d’épuration religieuse.

 

Répression d’État

Face à la terreur talibane, des démocrates sont tentés de faire bloc avec le gouvernement. Pourtant, ce dernier prétend répondre à la menace par le renforcement des tribunaux militaires et des pouvoirs discrétionnaires de l’armée, des agences de sécurité (compromise par leurs relations avec les fondamentalistes !).

Le Parti awami des Travailleurs (AWP) refuse de s’en remettre ainsi aux militaires. Les attentats aveugles sont généralement le fait de mouvements type talibans, mais la répression sociale « ciblée » est le fait des forces de sécurité et des tribunaux antiterroristes : syndicalistes enlevés et torturés, représentants paysans assassinés, condamnations de militants de gauche à des peines de prison à vie, « disparition » de nationalistes baloutches… Une terreur d’État est exercée au service des grandes familles possédantes. Les accusations de « terrorisme » (social), d’atteinte à la sûreté nationale, nourrissent l’arbitraire tout autant que le « crime » de blasphème. Nombre de cadres de l’AWP sont actuellement en détention sous de faux chefs d’accusation.

 

Appel à l’unité

L’AWP exige du gouvernement qu’il combatte plus efficacement le terrorisme religieux par le renforcement des institutions civiles, par la nationalisation des écoles coraniques (madrasas), la modification des programmes scolaires, l’abrogation des lois discriminatoires envers les minorités, le respect de la liberté de presse, l’abandon des politiques néolibérales, la séparation de l’État et des religions…

L’AWP a conclu son communiqué du 28 mars par un appel à l’unité : « Il est grand temps de forger une nouvelle histoire de paix et d’égalité radicale à partir des décombres de notre passé violent. Toutes les forces progressistes, laïques et démocratiques doivent se regrouper sous la bannière de la paix, de la justice et de l’égalité radicales pour toutes et tous. »7

 

 

Barbarie envers les femmes

Le 15 juillet 2016, l’assassinat par son frère d’une star des réseaux sociaux révélait une nouvelle fois l’oppression abjecte dont sont victimes les femmes de ce pays.

Qandeel Baloch avait acquis une popularité auprès d’une partie de la jeunesse en publiant sur son compte Facebook des photos où elle apparaissait dans des attitudes qui n’étaient pas du goût des autorités islamiques. Son frère affirme l’avoir tuée sans aucune gêne prétendant agir pour « l’honneur » de sa famille.

Près d’un millier de Pakistanaises sont victimes chaque année de ces « crimes d’honneur ». Et ces meurtres sont dans la majorité des cas couverts par les autorités. Les hommes disposent ainsi d’un véritable droit de tuer à l’égard des femmes tentées de s’affranchir des mœurs rétrogrades qui en font des esclaves recluses, chargées de toutes les besognes domestiques et devant satisfaire les exigences sexuelles d’un mari qu’elles n’ont, pour la plupart du temps, pas choisi. Qandeel Baloch, elle-même, était retournée dans sa famille pour fuir les violences conjugales.

Ce crime a soulevé l’indignation au-delà des frontières du Pakistan, tout comme il y a deux ans, lorsqu’une autre jeune Pakistanaise avait été lapidée par son père, ses frères, des cousins, sous les yeux de la police, pour avoir épousé un homme sans l’autorisation de sa famille. Mais comment s’étonner de cette barbarie dans cette ancienne colonie britannique où les forces religieuses ont acquis une position prépondérante sur la société dans le cadre de la décolonisation, puis ont été soutenues par les puissances occidentales, notamment les États-Unis qui n’avaient pas hésité à armer des seigneurs de guerre islamistes pour contrer l’armée soviétique lorsque celle-ci avait envahi l’Afghanistan en 1979.

Que le régime pakistanais, toujours largement soutenu par les grandes puissances occidentales, se maintienne au pouvoir en cautionnant les pires barbaries à l’encontre des femmes n’est apparemment pas un critère qui entre en ligne de compte pour les dirigeants impérialistes.8

 

 

Catastrophe naturelle, impuissance capitaliste

De juin à août 2022, les gigantesques inondations dues à une mousson inhabituelle ont provoqué la mort de plus de 1130 personnes. Des millions de maisons ont été englouties, faisant des millions de sans-abris.

Sur les 220 millions d’habitants, 33 furent touchés directement. 80 000 hectares de terres cultivables ont été ravagées, des milliers de kilomètres de routes et 157 ponts détruits. Les petits paysans, majoritaires dans la population travailleuse, les ouvriers et les pauvres des villes, avaient déjà subi, de mars à juin, des chaleurs extrêmes, allant jusqu’à 51 °. À la fonte des glaciers himalayens, gonflant jusqu’à faire déborder les nombreux cours d’eau qui alimentent le bassin du fleuve Indus et sa grande région agricole, s’est ajoutée la longue période de pluies de mousson, certains jours sept fois plus volumineuses qu’à la normale.

Les villageois réfugiés dans des campements de fortune étaient alors menacés, de surcroît, par le choléra, le paludisme et la malaria portée par les moustiques dans les eaux stagnantes. L’accès aux hôpitaux, surchargés par une augmentation de 70 % des patients, devenait aussi problématique que l’accès à l’eau potable.

Déjà victime d’une économie en crise et exploitée par des grandes familles de patrons fournisseurs des groupes capitalistes internationaux di textile et de l’agro-alimentaire, la population devait également faire face à une hausse vertigineuse des prix, en particulier alimentaires. La pénurie de légumes était générale sur les marchés populaires ; les oignons et les tomates, produits de base en hausse de 40 %, désormais hors de portée de la population laborieuse, soit l’immense majorité.

Face à la catastrophe, face aux menaces d’épidémies, au nombre de victimes, le FMI a accordé une enveloppe de 1,1 milliard de dollars. Mais au moment même où, dans le monde, 2000 milliards de dollars ont été investis en 2021 dans les dépenses militaires, on ne peut qu’être choqué. Au Pakistan-même, pays où la population pauvre peine à se nourrir et à se soigner, les dépenses d’armement dépassaient les 10 milliards de dollars en 2019.

Dans le système capitaliste, les Etats dépensent des milliards pour équiper leurs armées, engraisser des poignées d’actionnaires. Les mêmes moyens matériels, financiers et humains pourraient être mobilisés pour sauver et soigner les centaines de milliers de sinistrés. Devant la menace des barrages dont la résistance est incertaine face à la puissance des eaux, ne pourrait-on dépêcher des centaines d’ingénieurs et d’ouvriers aptes à les sonder puis les renforcer, des hydrauliciens pour ouvrir dans l’urgence des dérivations ? 9

Face à la misère orchestrée sur les trois quarts de la planète par le capitalisme, sa concurrence native et ses guerres, devant son impuissance assumée face quant aux ravages dus au réchauffement climatique, n’est-il pas urgent pour les peuples de prendre la main ?

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Pakistan
(2) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/pakistan-des-elections
(3) Abdul Khaliq http://www.cadtm.org/Pakistan-Le-nouveau-pret-du-FMI-la
(4) Lucien Détroit http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2014/12/23/pakistan-les-manoeuvres-de-limperialisme-et-leurs-consequences_36043.html
(5) Silvia Arana https://legrandsoir.info/la-scandaleuse-impunite-de-l-assassinat-par-drones.html   traduction IRISINDA pour le Grand Soir
Source originale : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=181145
(6) Pierre Rousset https://npa2009.org/actualite/international/pakistan-entre-inde-et-afghanistan-grandes-manoeuvres
(7) Pierre Rousset https://npa2009.org/actualite/international/pakistan-le-dimanche-de-paques-escalade-de-la-terreur-lahore
(8) Pierre Royan http://journal.lutte-ouvriere.org/2016/07/06/attentats-la-barbarie-en-marche_69251.html
(9) Viviane Lafont https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/08/31/pakistan-catastrophe-naturelle-impuissance-capitaliste_400696.html