Malte

 

 

Préhistoire (5400 à 725 av. J.-C.)

L'archipel maltais n'est peuplé que vers 5400-5200 av. J.-C. par des groupes néolithiques d'agriculteurs-éleveurs-pêcheurs venant de Sicile. Ils mettent en place une civilisation préhistorique importante qui est à l'origine des plus anciens monuments, les temples mégalithiques, encore existants, ce sont les plus anciennes constructions monumentales de l'histoire de l'humanité (26 sites de temples cyclopéens).

 

Antiquité (725 av. J.-C. à 455)

Par sa position au centre de la Méditerranée l'archipel maltais est un relais évident, compte tenu de ses ports naturels. Les Phéniciens, grands navigateurs, utilisent Malte à partir du Xe siècle av. J.-C. Ils installent une colonie dans les îles de l'archipel vers 725 av. J.-C. Des Grecs s’installent également du VIIe au Ve siècle av. J.-C. et partagent apparemment pacifiquement les îles avec les Phéniciens. Avec le déclin de la Phénicie, l’île passe sous le contrôle de Carthage en 480 av. J.-C. C'est une colonie précieuse dans la lutte que les Carthaginois mènent contre les Grecs et ensuite contre les Romains. À la faveur des guerres puniques, l’île passe sous le contrôle des Romains en 218 av. J.-C. jusqu'au démantèlement de l'empire romain en 395.

 

Moyen Âge (455 à 1530)

Probablement vers 455, l'île de Malte subit l'occupation des Vandales et vers la fin du Ve siècle, celle des Ostrogoths. Elle passe ensuite sous le contrôle de l'Empire romain d'Orient également dénommé Empire byzantin. La présence byzantine demeure dans l'archipel jusqu'à la conquête de Malte par les Arabes.

En 870 les Aghlabides s'emparent de l'archipel lors de la conquête de la Sicile. Il est envisagé, dans les dernières études historiques, que l'archipel a été complètement vidé de sa population envoyée en esclavage. L'île de Malte aurait ensuite été repeuplée avec des colons arabo-berbères musulmans et des esclaves chrétiens pour mieux défendre l'archipel.

En 1090, les Normands, maîtres de la Sicile, menés par le comte Roger de Hauteville, s’emparent de Malte. En 1127, l’île passe sous domination sicilienne. Finalement, entre 1240 et 1250, Frédéric II du Saint-Empire expulse les musulmans, même si beaucoup se convertissent pour rester dans les îles. Pendant cette période, les Maltais se rechristianisent mais conservent leur langue l'arabe maltais proche de l’arabe ifriqiyen, tout en empruntant massivement une partie de leur vocabulaire au sicilien et à l’italien. L'archipel accueille des familles juives chassées d'Espagne en 1492.1

 

L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem (1530-1798)

L'empereur Charles Quint, comprenant l'utilité que peut avoir un ordre militaire en Méditerranée face aux avancées ottomanes (Alger est conquis par le célèbre Barberousse en 1529), confie à l'Ordre l'archipel de Malte, dépendance du royaume de Sicile, par un acte du 24 mars 1530. Les chevaliers se retrouvent aux avant-postes de la Chrétienté, mais le grand maître de Villiers de l'Isle-Adam entretient toujours l'espoir de reprendre pied à Rhodes. Ce n'est qu'à sa mort, en 1534, que les Hospitaliers renoncent définitivement à l'Orient. Face aux progrès ottomans (Tunis est pris en 1534), le borgho, principale ville de l'archipel, est fortifié. Alors que pèse cette menace sur le nouveau siège de l'Ordre, la Réforme porte en Europe du Nord un grand coup aux possessions des Hospitaliers. De nombreuses commanderies sont sécularisées et certains grands prieurés cessent purement et simplement d'exister, comme ceux de Suède et de Danemark. En 1540, le roi d'Angleterre Henri VIII supprime de facto la Langue d'Angleterre. C'est dans ce contexte difficile que l'Ordre doit faire face à la plus grande épreuve de son histoire : le « grand siège » de 1565.

Afin de sécuriser leur nouveau quartier général, les chevaliers de Malte organisèrent la défense de l’île en édifiant plusieurs fortifications (fort Saint-Ange, fort Saint-Elme, fort Saint-Michel, etc.). Sous le règne du Grand Maître de l’Ordre, Jean Parisot de La Valette, les Maltais résistèrent au Grand Siège des Turcs de 1565. La flotte turque qui se présente le 18 mai 1565 devant Malte compte plus de 160 galères et 30 000 hommes, face aux 800 chevaliers et 1450 soldats que le grand maître Jean Parisot de La Valette a convoqué. Trois forts défendent la baie et le borgo. Celui de Saint-Elme tombe le 23 juin, deux cent chevaliers y trouvent la mort. Pour démoraliser les chevaliers, le commandant ottoman, Mustapha pacha, lance dans la rade des radeaux portant les corps crucifiés de défenseurs du fort. La Valette réplique en faisant bombarder le camp turc avec les têtes de prisonniers turcs. Les deux autres forts, Saint-Ange et Saint-Michel, tiennent bon, ainsi que l'enceinte du borgo, duquel les Turcs, parvenus à y faire une entrée le 7 juin sont repoussés. La situation des assiégés est critique quand arrive le 7 septembre le « Grand secours », l'armée espagnole en provenance de Sicile. Les Turcs sont contraints à lever le siège.

C'est en 1566 que La Valette, la capitale de l’archipel, fut fondée.

Après l'échec du siège, l'Ordre se retrouve au centre des attentions des puissances catholiques européennes. Le 7 octobre 1571, les Hospitaliers s'illustrent à la bataille de Lépante, où la flotte de la sainte Ligue, commandée par don Juan d'Autriche, détruit la flotte ottomane. Une autre célèbre bataille maritime est livrée, le 16 août 1732, au large de Damiette en Égypte.

Après Lépante, le danger en Méditerranée ne vient plus de la flotte de guerre ottomane mais des corsaires « barbaresques » d'Afrique du Nord. L'Ordre se lance à nouveau dans le corso, la guerre de course, qui de contre-attaque qu'elle était à l'origine, devient vite un moyen pour les chevaliers de s'enrichir par l'arraisonnement des cargaisons mais surtout par le commerce d'esclaves, dont La Valette devient le premier centre chrétien.

L'Ordre entre alors dans une période de singulières mutations : les chevaliers novices lui doivent d'effectuer quatre « caravanes », quatre expéditions de course lors de quatre années consécutives à Malte, mais reçoivent souvent par la suite la permission de servir leur souverain d'origine. Les institutions centrales du grand magistère s'enrichissent de la course et transforment les commanderies européennes en un système de bénéfices qui permet à l'aristocratie de placer ses fils cadets, qu'elle fait souvent admettre dans l'Ordre dès l'enfance afin qu'ils soient mieux placés dans la « course aux commanderies ». Ainsi, on trouve peu de chevaliers accomplissant toute leur carrière dans l'ordre, mais au contraire une rotation importante de novices venus accomplir leurs « caravanes », qui, une fois munis d'une commanderie, s'en vont servir leur roi, souvent dans la marine. Les grands amiraux français des XVIIe et XVIIIe siècles, tels Coëtlogon, d'Estrées, Tourville ou Suffren, sont tous des chevaliers de Malte.

En 1793, l’île de Malte échappe de peu à une révolte fomentée par des espions de la Convention.

Suite aux triomphes de Napoléon Bonaparte en Italie en 1796-97, le grand maître Ferdinand de Hompesch demande au tsar de Russie Paul Ier de devenir le protecteur de l'ordre. Le 10 octobre 1798, à la suite de l'invasion de l'île par les troupes françaises conduites par le général Bonaparte, les 249 chevaliers de l'Ordre exilés en Russie proclament le Tsar Paul Ier Grand Maître de l'Ordre, en violation du Code Rohan, le Prince et Grand Maître devant obligatoirement être choisis parmi la classe des chevaliers profès, et donc être moine et catholique.

 

Colonisation française (1798-1800)

Au cours du XVIIIe siècle, l’archipel de Malte devint, sous l’influence française, le grand relais du commerce français en Méditerranée. En 1798, le 71e et dernier grand maître des chevaliers de l’ordre de Malte sur l’île, l’Allemand Ferdinand von Hompesch, se rendit au général Bonaparte après une résistance symbolique. Le 19 juin 1798, la flotte française met le cap sur Alexandrie, après avoir laissé une garnison de trois mille hommes sur place. Les Français se rendront très rapidement impopulaires avec la mise en œuvre d'une législation décalquée des lois révolutionnaires et en particulier de restriction religieuse.

Face à l'occupation française, le peuple maltais cherche un appui auprès du roi de Naples et de l'ennemi du moment des Français, l'Angleterre. Celle-ci dépêche le capitaine Alexander Ball à la tête d'une flotte. Les Français sont bloqués sur la terre par les Maltais et sur la mer par les Anglais. Le 5 septembre 1800, la garnison française fait reddition au capitaine Ball alors nommé gouverneur de l'archipel au nom de sa majesté le roi des Deux-Siciles.

 

Colonisation britannique (1800-1964)

Grâce à l’aide des troupes britanniques, les Français durent se retirer de Malte après deux ans de siège. Cependant, les Britanniques refusèrent de rendre l'archipel à l'ordre de Malte, et l'annexèrent officiellement à l'Empire britannique en 1814, par le Traité de Paris. Toutefois les Britanniques ne furent pas mieux acceptés que les Français : ils imposent unilatéralement leur langue et accaparent tout le pouvoir politique et économique. Cette situation d'exploitation coloniale provoqua en retour la montée de fortes revendications nationalistes.

Presque tout le XIXe siècle vit la montée de ces fortes revendications nationalistes. En 1849, puis en 1887, les Britanniques durent faire à Malte de nouvelles concessions augmentant le nombre d'élus maltais au Conseil législatif. Les premières tentatives pour normaliser l’écriture maltaise ne commencèrent qu’à la toute fin du XIXe siècle grâce à Mikiel Anton Vassalli, considéré depuis comme « le père de la langue maltaise ». Il a quand même fallu attendre en 1924 pour que l’alphabet soit reconnu et accepté par les Maltais.

La situation sanitaire des Maltais reste précaire avec une épidémie de peste en 1813, plusieurs épidémies de choléra et une recrudescence de lèpre à la fin du XIXe siècle.

La Belle Époque à Malte voit les progrès techniques, financiers et sociaux. La première banque, la Banque anglo-égyptienne, est créée en 1882. La première et seule ligne de chemin de fer est inaugurée en 1883. Les premiers timbres-poste maltais sont émis en 1885. En 1886, le chirurgien-major David Bruce découvre le microbe provoquant la fièvre de Malte et en 1905 Themistocles Zammit trouve l'origine de cette fièvre. La construction du Royal Opera House commence en 1888. La première ligne de tramway date de 1904. Enfin, en 1912, Dun Karm Psaila, le poète national maltais, écrit son premier poème en maltais.

 

Première Guerre mondiale

L'archipel maltais participe à l'effort de guerre britannique, principalement sur le théâtre d'opération méditerranéen. En particulier, l'archipel accueille de nombreux blessés. Elle accueille également de nombreux prisonniers de guerre, et les ports de l'île servent aux différentes flottes alliées.

 

24 000 Maltais servent au sein de l'armée britannique, et 600 d'entre eux périssent. Ils se trouvent au sein du bataillon maltais, le bataillon maltais de travail (en anglais : Maltese Labour Battalion), et combattent en particulier à Gallipoli. Malte accueille un grand nombre de blessés, environ 140 000 dans les vingt-sept établissements de soin et de convalescence ouverts pendant le conflit, et gagne alors le surnom d'« infirmière de la Méditerranée » (en anglais : « Nurse of the Mediterranean »), 25 000 lits accueillent blessés et malades. Malte accueille surtout les blessés de Gallipoli et de Salonique, qu'elle partage avec l'Égypte. Elle reçoit 58 000 blessés du Mediterranean Expeditionary Force et 78 000 du corps expéditionnaire de Salonique, y compris les malades atteints de malaria lors de l'importante épidémie de juillet 1916.

Malte devient aussi un camp de prisonniers. Les premiers prisonniers sont les ressortissants des nations ennemies présents à Malte. Sont également emprisonnés les supposés sympathisants à la cause des empires centraux, dont certains ressortissants égyptiens, grecs ou arabes. Malte accueille ensuite de nombreux prisonniers de guerre du théâtre méditerranéen et du front du Moyen-Orient. Prisonniers allemands, turcs, bulgares et austro-hongrois sont regroupés au Palais Verdala de Bormla, réservé aux officiers, et dans des camps à San Klement et à la forteresse San Salvadore, sur l'ancienne ligne de fortifications de Cottoner, à Il-Kalkara. Mi-1916, on compte 1 670 prisonniers à Malte. Les derniers camps de prisonniers ferment en mars 1920.

Après la fin de la guerre, à partir de mars 1919, Malte sert enfin de lieu d'exil pour les cent-quarante-cinq dignitaires ottomans, appelés « Exilés de Malte », extraits des prisons turques par les Alliés lors de l'occupation de Constantinople et envoyés là dans l'attente de la tenue d'un tribunal international visant à poursuivre et condamner les auteurs de crimes de guerre, notamment les responsables du génocide arménien. Les exilés sont relâchés à partir d'octobre 1920 sans être jugés.

 

Entre-deux Guerre

Le prix excessif du pain va provoquer, en 1919, les émeutes du 7 Juin, Sette Giugno, qui conduit à une plus grande autonomie pour les Maltais pendant les années 1920. En 1921, une constitution instaurant un véritable parlement est instituée. Filippo Sciberras préside une Assemblée législative élue, suspendue en 1930 en raison de l'agitation croissante de la population et un bicaméralisme avec un Sénat aboli plus tard en 1949. Joseph Howard est nommé premier ministre. En 1923, l'Innu Malti, l'hymne maltais est joué pour la première fois en public, et la même année Francesco Buhagiar devient à son tour premier ministre, suivi en 1924 par Sir Ugo Pasquale Mifsud et en 1927 par Sir Gerald Strickland, de nouveau Ugo Pasquale Mifsud de juin 1932 à novembre 1933, dernier premier ministre d'Avant Guerre, la constitution est abolie suite au problème linguistique. Malte redevient une colonie de la couronne britannique.

Les Britanniques reconnaissent en 1934 la langue maltaise. En même temps dans le cadre d’un processus global de « désitalianisation » de l’archipel maltais à l'occasion des sanctions économiques décidées par la Société des Nations contre l’Italie fasciste, les Britanniques abolissent l’utilisation de la langue italienne, jusqu'alors langue officielle. La nouvelle constitution de 1936 reconnait deux langues officielles, l'anglais et le maltais. Cette constitution permet la nomination des membres du Conseil exécutif et une révision en 1939 permet l'élection de ces membres au Conseil.

 

Seconde Guerre mondiale

Avec l'ouverture du canal de Suez à la fin de 1869, l'archipel maltais a de plus en plus d'importance aux yeux des Britanniques. Ils développent les capacités portuaires, construisent des chantiers navals, ouvrent des magasins de stockage. Malte est devenu une base navale importante et abrite la plus grosse flotte de la Royal Navy, la Mediterranean Fleet. Mais, sous la menace des attaques aériennes italiennes, la flotte est déplacée à Alexandrie en avril 1937, contre l'avis de Winston Churchill.

Durant la guerre, Malte fut attaquée et bombardée intensivement par l'Italie à partir de 1940 et jusqu'à l'année 1943. Plusieurs jeunes maltais, considérant l'Italie comme leur patrie, ont fait partie de l'armée italienne pendant la guerre. L'un d'entre eux, Carmelo Borg Pisani, capturé en mission, fut pendu et reçut la "medaglia d'oro al valor militare".

La Seconde Guerre mondiale mit fin temporairement au conflit opposant Britanniques et Maltais, mais la lutte pour l'indépendance reprit dès la fin de la guerre.

 

 

L'indépendance

 

 

État de Malte (1964-1974)

Après avoir accédé à une autonomie locale en 1947, Malte obtint le statut de Dominion en 1955, puis en 1962 le Parlement maltais vote unilatéralement l'indépendance de l'État de Malte. Celle-ci ne fut officiellement accordée qu’après le référendum de mai 1964. L'indépendance du pays fut reconnue le 21 septembre 1964 au sein du Commonwealth avec une constitution monarchique avec la reine Élisabeth II représentée par un gouverneur général.

Aux élections générales de 1966, Malte choisi le bipartisme, 48 % pour les nationalistes et 43 % pour les travaillistes et à celles de 1971, les travaillistes obtiennent 51 % contre 48 % aux nationalistes. Dom Mintoff, premier ministre, obtient le remplacement du gouverneur général anglais, sir Maurice Henry Dorman, par un maltais, sir Anthony Mamo (qui deviendra le premier président de Malte).

Les travaillistes engagent des nationalisations et étendent le secteur public dans le sens d'un état-providence. Les lois sur l'emploi et le travail imposent l'égalité des sexes et des salaires. La peine de mort est abolie en 1971. Le mariage civil est créé, l'homosexualité et l’adultère sont décriminalisés en 1973.

Mintoff engage des négociations pour modifier les accords d'indépendance. Les accords de base militaire sont conclus le 26 mars 1972 avec le Royaume-Uni et l'OTAN contre versement de subventions permettant le développement économique en prévision du départ définitif des troupes en 1979.

Le 13 décembre 1974, Mintoff fait adopter par le Parlement maltais une réforme constitutionnelle qui fait de Malte une République complétement indépendante mais toujours au sein du Commonwealth.

 

République de Malte (1974)

Le 13 décembre 1974, Malte proclama la République, Anthony Mamo est élu Président et Dom Mintoff est premier ministre.

L'objectif du gouvernement est développer l'économie de Malte en prévision du départ définitif des troupes britanniques. Des zones industrielles sont créées dans presque toutes les Régions. Mintoff cherche l'appui de nouveaux alliés. Après avoir déclaré la neutralité de la République de Malte, il choisit une politique de non-alignement, mais les premières ouvertures sont en direction des pays du pacte de Varsovie. D'abord avec l'URSS qui montre très peu d'enthousiasme puis avec la République démocratique allemande, la Bulgarie et la Roumanie. Mais des relations économiques se nouent avec la République populaire de Chine de Mao Zedong qui va investir dans les ports de Grand Harbour et les chantiers navals. Enfin, il noue des relations suivies avec la Libye de Kadhafi. En 1990, la république de Malte et la Libye ont même renouvelé leur traité de coopération bilatérale jusqu'en 1995.

Le positionnement politique de Mintoff est considérée par l’Église maltaise comme trop à gauche et l'électorat catholique s'oppose fortement à l'électorat travailliste. Aux élections de 1976, Mintoff garde la majorité au Parlement et Anton Buttigieg, ministre de la Justice, devient Président de Malte.

Le 31 mars 1979, comme prévu par les accords malto-britanniques, les derniers fonctionnaires et les derniers militaires britanniques quittent Malte.

Le leader du parti nationaliste, Giorgio Borg Olivier, décède en octobre 1980, il est remplacé par Edward Fenech Adami. Aux élections générales de 1981, les nationalistes obtiennent la majorité en voix (51 %) mais, du fait des découpages des circonscriptions, ils n'ont que 31 sièges au Parlement contre 34 aux travaillistes et c'est les travaillistes, minoritaires en voix, qui forment le gouvernement. Des tractations secrètes, sous le contrôle des Présidents successifs, Anton Buttigieg, Albert Hyzler, président par intérim, et Agatha Barbara, première femme élue au Parlement, première femme ministre et première femme Présidente, entre Mintoff et Fenech Adami ne donnent aucun résultat. Les nationalistes lancent alors une campagne de désobéissance civile, beaucoup de fonctionnaires perdent leur emploi, ce qui entraine des troubles avec des affrontements violents (un manifestant, Raymond Caruana est tué à Gudja). Devant le risque de blocage de la société et de l'économie et un renouveau de l'opposition du gouvernement et de l’Église au sujet du financement des écoles catholiques, le Parlement vote en janvier 1987, un amendement constitutionnel qui permet, par allocation de sièges supplémentaires, au parti majoritaire en voix de l'être aussi en sièges. Mintoff, tout en restant député, démissionne de sa fonction de Premier ministre en laissant sa place à Karmenu Mifsud Bonnici.

Les élections générales de 1987 sont particulièrement tendues, beaucoup craignait pour les institutions de la République, à Malte comme dans les ambassades. Les nationalistes obtiennent 51 % des voix et la majorité des sièges. Malgré des manipulations et divers incidents de votes, Mifsud Bonnici ramène la sérénité en reconnaissant l'échec de son parti et Fenech Adami forme le nouveau gouvernement. Paul Xuereb est Président par intérim en février 1987, Ċensu Tabone, ministre des Affaires étrangères, est Président en avril 1989 et Ugo Mifsud Bonnici, ministre de l’Éducation, en avril 1994, tous nationalistes.

Les nationalistes au pouvoir jusqu'en 1996, libèrent l'économie maltaise, favorisant, sans véritable préparation, une société de consommation. Ils déposent, le 16 juillet 1990, une demande d'adhésion à l'Union européenne, Malte étant déjà membre du Conseil de l’Europe depuis le 29 avril 1965. Au 1er janvier 1995, la TVA est introduite ainsi que l'obligation d'une caisse enregistreuse pour tous les commerçants. Cela provoque un mécontentement qui permet au travaillistes de gagner les élections générales de 1996. L'économiste Alfred Sant forme le gouvernement qui demande aussitôt le retrait de la demande d'adhésion à UE. Mais il ne revient sur sa promesse électorale de revenir sur la TVA. Les promesses faites aux chasseurs et à leur puissant lobby ne suffisent pas à contrebalancer les réformes économiques et les mesures d'austérité mises en place à cause de la stagnation économique. La grogne est relayée au Parlement par Mintoff, Sant provoque des élections en septembre 1998, permettant aux nationalistes et à Edward Fenech Adami de constituer de nouveau un gouvernement, Guido de Marco, ministre des Affaires étrangères nationaliste est élu Président en avril 1999. Fenech Adami renouvelle la demande de Malte d'adhérer à l'Union européenne et provoque un référendum en mars 2003. Les Maltais se prononcent à la plus grande majorité jamais obtenue (près de 54 %) pour l'entrée dans l'Europe. Les analystes politiques remarquent, pour une première fois dans l'histoire politique maltaise des déplacement importants de voix, des travaillistes avaient voté oui tandis que des nationalistes votèrent non. Les résultats étant contestés par le leader travailliste, Fenech Adami décide de faire des élections générales anticipées qui seront une confirmation ou infirmation du référendum. Là encore des déplacement de voix, dans des secteurs urbains, traditionnellement travailliste, des votes nationalistes, et le contraire dans les secteurs ruraux, assurent la victoire des nationalistes et donc la confirmation des résultats du référendum européen pour l'adhésion.

Malte rejoint l'Union européenne le 1er mai 2004, neuf ans après les premières négociations. Lawrence Gonzi est Premier ministre, il le reste jusqu'en mars 2013. Edward Fenech Adami est élu Président en avril 2004. Malte rentre dans la zone euro le 1er janvier 2008, peu avant les élections de 2008, reconduisant Gonzi à une courte majorité. George Abela est élu Président en 2009 par l'ensemble des parlementaires pour la première fois depuis 1974. C'est pendant cette législature, qu'un député nationaliste, Jeffrey Pullicino Orlando, en opposition avec le Premier ministre et son gouvernement, dépose un projet de loi autorisant le divorce. Malte, avec le Vatican et les Philippines, sont les trois derniers pays au monde à refuser le divorce, même si environ 8 % des mariages maltais sont annulés par jugement de l’Église. Pour résoudre la divergence entre les convictions du gouvernement et une très large proportion de sa majorité, Gonzi décide d'organiser un référendum consultatif, s'engageant à faire voter une loi, si les résultats du référendum étaient favorable au divorce. Après une campagne pendant laquelle le Premier ministre s'est montré très opposé au divorce et l’Église, sans faire officiellement campagne, adresse une lettre paroissiale à toutes les familles maltaise, le 28 mai 2011, 53,16 % des votants, catholiques pratiquants à 95 %, se déclarent favorables au divorce. Le 25 juillet 2011, la loi est adoptée par 52 votes pour, 11 contre, 5 abstentions et un député absent. Le divorce est autorisé après une séparation effective de 4 ans. Le Président, lui aussi opposant, fini par signer la loi qui rentre en vigueur le 1er octobre 2011. Gonzi est fragilisé, son gouvernement est critiqué, des ministres sont accusés de corruption et les nationalistes perdent les élections anticipées de 2013 au profit des travaillistes de Joseph Muscat. Marie-Louise Coleiro Preca est élue en avril 2014 et devient la deuxième femme présidente de Malte.

Le gouvernement travailliste a adopté le 14 avril 2014, une loi autorisant le mariage civil et l'union entre personne du même sexe avec possibilité d'adoption. L'opposition nationaliste s'étant abstenue, son leader, Simon Busuttil, a justifié le geste de ses troupes en précisant que si son parti n'était pas défavorable aux unions entre personnes du même sexe, il s'opposait à l'adoption d'enfants par ces couples. Malte qui n'autorise toujours pas l'avortement, puni l'IVG d'une peine de 18 mois à 3 ans, est le 22e état européen à reconnaître les unions entre personnes du même sexe, et le 10e à leur permettre d'adopter ensemble des enfants. Le 1er avril 2015, le Parlement maltais adoptait un projet de loi Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act visant à protéger les droits des personnes transsexuelles, intersexes, et permet le droit à l'autodétermination de son identité. C'est la loi la plus progressiste au monde sur l'identité de genre, créant même officiellement un genre X. Sur simple déclaration devant notaire, chaque maltais ou maltaise pourra choisir son sexe, masculin, féminin ou X, sans même nécessiter une opération préalable de réassignation sexuelle, une évaluation psychologique ou une thérapie hormonale avant que les documents officiels, carte d’identité, passeport, etc. puissent refléter l’identité de genre d’une personne. Le changement de sexe est autorisé dans un couple sans obligation préalable de divorce. La loi a été adoptée à l'unanimité des députés présents de la majorité comme de l'opposition même si des fauteuils étaient libres du coté des nationalistes.2

 

 

Meurtre au paradis fiscal

Daphne Caruana Galizia, journaliste et blogueuse maltaise, a été tuée le 16 octobre 2017 par une bombe placée sous sa voiture.

L’île méditerranéenne de 430 000 habitants est connue pour être un paradis fiscal au cœur de l’Europe, abritant sous son pavillon 4 300 yachts hyper luxueux à plusieurs millions d’euros, dont ceux de quelques grands patrons français. L’impôt sur les bénéfices des sociétés, l’IS, à 33 % en France et que Macron voulait ramener à 28 %, n’y dépasse pas 5 %. Renault et PSA, pour ne citer qu’eux, y ont domicilié leurs filiales d’assurances, soustrayant aux finances publiques 119 millions d’euros par an. L’optimisation fiscale, parfaitement légale, économise 60 milliards aux capitalistes français. Le secteur de la finance au sens large constitue donc, loin devant le tourisme, la première activité de l’île de Malte, dépourvue d’industrie et de ressources naturelles.

Capitalisme oblige, tout n’y est pas aussi transparent que les eaux qui baignent ses côtes. Daphne Caruana Galizia, dans son blog très populaire, avait relaté l’aspect maltais de l’affaire des Panama papers, où s’étaient trouvés impliqués en 2016 deux très proches collaborateurs du Premier ministre maltais, le travailliste Joseph Muscat. Quelques mois avant l'assassinat, on apprenait aussi que l’épouse du Premier ministre était impliquée dans une autre société offshore, abondée de crédits azéris au moment où se négociaient, entre Malte et l’Azerbaïdjan, de gros contrats.

La journaliste, proche de l’opposition de centre-droit, dénonçait aussi les commissions, occultes ou non, dont bénéficient nombre de sociétés opérant à l’ombre du soleil maltais.

Les banques de l’île seraient, selon les journalistes de Mediapart notamment, la grande lessiveuse de l’argent de la mafia italienne.

C’est visiblement cette dénonciation de la corruption capitaliste et de ses serviteurs officiels et officieux que Daphne Caruana Galizia a payée de sa vie.3

 

Les mafieux et leurs complices

Soupçonné d’être lié à l’assassinat de la journaliste, le Premier ministre de Malte, Joseph Muscat, a fini par démissionner le 12 janvier 2020.

Son successeur, Robert Abela, un avocat d’affaires du Parti travailliste lui aussi, et fils d’un ex-président, est un homme du sérail. Il a d’ailleurs annoncé qu’il continuerait « avec les recettes gagnantes » de son prédécesseur, et n’a aucunement évoqué l’affaire.

Deux mois après l'assassinat, les trois exécutants étaient arrêtés, la recherche des commanditaires a traîné en longueur. Il a fallu toute la détermination des enfants de la journaliste pour qu’enfin, deux ans après les faits, soit arrêté Melvin Thomas, le recruteur des tueurs. Puis, de dénonciation en dénonciation, cela a été le tour du commanditaire, l’homme d’affaires Yorgen Fenech, qui a aussi des investissements très rentables en France dans le monde hippique et l’hôtellerie de luxe, puis du chef de cabinet du Premier ministre et de plusieurs ministres. Il semblerait donc qu’une grande partie, sinon la totalité de l’appareil d’État soit gangrenée par le milieu des gangsters.4

 

 

Malte face à l'immigration

Des milliers d’immigrés africains traversent coûte que coûte la Méditerranée pour atteindre les côtes de cette île minuscule qui est une porte d’entrée de l’UE.

Fin juillet 2013, un bateau pneumatique surchargé de réfugiés qui tentaient de fuir l’Afrique pour rejoindre le littoral européen s’est retrouvé en difficulté. Comme l’embarcation – partie de Libye pour rejoindre le plus petit État de l’UE, Malte – a commencé à couler, l’armée maltaise a lancé une opération de nuit qui a duré 13 heures pour porter secours aux 112 passagers. Huit personnes ont été évacuées par pont aérien afin d’être soignées d’urgence à l’hôpital, les autres souffraient d’épuisement, de déshydratation et d’insolation.

Cette histoire n’a rien d’original. Chaque semaine, des bateaux similaires débarquent sur les côtes du pays. En juillet 2013, le Premier ministre Joseph Muscat a tenté de renvoyer deux avions d’immigrés somaliens en Afrique, sans écouter leurs demandes d’asile.

Par la suite, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a provisoirement statué qu’une telle décision était illégale. (Depuis, Joseph Muscat a déclaré qu’il n’avait aucunement l’intention de refouler ces immigrés, que ce n’était qu’un coup médiatique pour faire réagir l’UE.)

Avant que Malte n’adhère à l’UE en 2004, le taux d’immigration était négligeable. Sa proximité avec l’Afrique du Nord en a ensuite fait une porte d’entrée pour les migrants qui veulent venir en Europe. Par rapport à sa population, Malte est le territoire qui reçoit le plus de demandes d’asile au monde. C’est en partie dû au fait que l’île est si petite – plus petite que l’île de Wight. Au cours des dix dernières années, 17 000 immigrés clandestins sont arrivés sur les côtes maltaises.

 

Le calvaire continue après la traversée

Une fois terminée leur dangereuse traversée, les réfugiés doivent s’attendre à des conditions difficiles une fois arrivés. A Malte, les immigrés clandestins sont systématiquement soumis à une période de rétention pouvant aller jusqu’à 18 mois pour des immigrés sans papiers, et ils sont placés dans des centres de détention surpeuplés. Début août 2013, la CEDH a imposé une amende de 60 000 euros aux autorités de l’île car elle a jugé que les conditions dans lesquelles certains immigrés avaient été détenus relevaient de “traitements inhumains ou dégradants”. Cela inclut des températures glaciales, un régime inadapté, aucune sortie en plein air ou exercice physique pendant des périodes pouvant aller jusqu’à trois mois.5

 

 

L’immigration dans l’Europe en crise

En octobre 2014, le naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa d’un bateau de pêche chargé d’immigrants, pour la plupart originaires de la corne de l’Afrique, provoquait la mort de plus 300 d’entre eux. Moins d’une semaine plus tard, un autre bateau transportant 250 candidats à l’exil coulait au large de Malte, entraînant le décès d’au moins 30 personnes.

Depuis 40 ans, les grandes puissances impérialistes ont imposé la suppression des barrières protectionnistes ou douanières pour assurer la « libre circulation » des marchandises et des capitaux. Dans le même temps, elles ont érigé de véritables murs autour de leurs frontières pour entraver la libre circulation des hommes et des femmes qui produisent ces marchandises. Qu’ils fuient les persécutions et les guerres ou la misère et le chômage engendrés les uns et les autres par la domination de l’impérialisme sur toute la planète, ils se heurtent à de multiples obstacles administratifs ou physiques.

La frontière fortifiée entre les États-Unis et le Mexique a tué ces quinze dernières années entre 5 et 10 000 migrants parce qu’ils prennent des risques toujours plus grands pour la franchir ou la contourner. L’Australie a décidé de renvoyer tous les boat people qui atteignent ses côtes vers l’État voisin de Papouasie-Nouvelle Guinée. Les milliers de migrants refoulés pourront y être retenus « indéfiniment » dans d’immenses centres de rétention rénovés aux frais de l’Australie.

Les naufrages récurrents au large de Lampedusa ou de Malte montrent que l’Europe est devenue une forteresse dont l’accès est mortel pour des milliers de migrants. Lampedusa, cette île italienne située plus près des côtes tunisiennes que de celles de la Sicile ; Malte à quelque 300 kilomètres des côtes libyennes ; Ceuta et Melilla, ces deux enclaves espagnoles incrustées au Maroc ; les îles espagnoles des Canaries au large du Sénégal et de la Mauritanie, ou encore le fleuve Evros ou la mer Egée entre la Turquie et la Grèce, sont en quelque sorte les postes avancés de la forteresse Europe. Depuis vingt ans, selon les données concordantes collectées par plusieurs associations humanitaires, près de 20 000 personnes sont mortes au pied de ces murailles. Non seulement par noyade, les plus nombreuses, mais aussi de soif, de faim ou de froid, étouffées ou asphyxiées dans les doubles parois d’un camion ou au fond d’un conteneur, écrasées en traversant la route ou en tombant d’un véhicule, assassinés au cours de leur périple. Et cette comptabilité macabre ne tient compte ni de tous ceux qui sont morts bien avant d’arriver aux diverses frontières de l’Europe, dans les déserts ou les montagnes des pays de transit, ni de tous ceux, encore plus nombreux, qui ont disparu sans laisser de trace.

Après chaque tragédie en Méditerranée, les dirigeants occidentaux y vont de leurs larmes de crocodile pour réclamer, comme José-Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne : « une plus grande coopération entre les États membres », ou comme Ban Ki-Moon, l'ancien secrétaire général de l’ONU « des mesures pour traiter les causes profondes de ces naufrages ». Mais il faut une sacrée dose d’hypocrisie et de cynisme aux dirigeants européens pour pleurer les morts de Malte ou de Lampedusa. Les véritables responsables de ces tragédies, ce sont eux ! C’est le fruit de leur démagogie impitoyable pour limiter l’immigration légale et traquer tous ceux qui tentent leur chance en Europe. C’est le fruit du pillage de l’Afrique et de l’Asie par les grands groupes industriels et les banquiers occidentaux dont ils sont les serviteurs.

Chassés aux frontières de l’Europe, stigmatisés par les dirigeants politiques de tous bords, précarisés et fragilisés par des lois scélérates, exploités par un patronat qui ne pourrait pas se passer de leur force de travail, les travailleurs immigrés constituent une fraction importante du prolétariat européen. Derniers arrivés et souvent les plus précaires, ils sont en première ligne dans la guerre de classe de plus en plus féroce que mène la bourgeoisie contre l’ensemble des travailleurs.

 

Chassés par la misère ou les guerres engendrées par l’impérialisme

Qu’ils fuient pour des raisons politiques ou économiques, la plupart des migrants qui réussissent à gagner l’Europe ont derrière eux un long périple. S’ils acceptent de prendre autant de risques, c’est qu’ils n’ont pas le choix. Ils sont mus par les mêmes nécessités économiques, par la même détermination à faire vivre coûte que coûte leurs familles que les générations qui les ont précédés, ces quelques 60 millions d’émigrants qui ont quitté l’Irlande, la Suède ou l’Allemagne au 19ème siècle pour gagner l’Amérique, ou ceux qui ont quitté l’Italie, le Portugal, la Pologne ou le Maghreb pour gagner la France au 20ème siècle. Quand ils ne fuyaient pas les persécutions religieuses, les migrants qui ont bâti l’Amérique, ceux qui ont enrichi les capitalistes britanniques, puis français et allemands, en creusant leurs mines, en s’usant dans leurs hauts-fourneaux, étaient des paysans qui crevaient la faim sur des terres trop petites, des artisans ruinés par la concurrence de l’industrie.

Dans le contexte d’une économie capitaliste encore plus mondialisée mais tellement hypertrophiée par la finance qu’elle ne développe plus guère les forces productives et qu’elle fabrique plus de chômeurs que d’emplois, les migrants d’aujourd’hui sont finalement dans la même situation. En décidant d’émigrer, ils s’engagent comme leurs prédécesseurs dans un voyage dangereux et hasardeux, la différence étant qu’ils ne sont les bienvenus ni en Europe ni ailleurs.

Un survivant du naufrage de Lampedusa a raconté son histoire à un journaliste de L’Humanité. À 25 ans, il a fui le service militaire à vie en Érythrée. Passé au Soudan, il a travaillé pendant un an pour collecter les 1600 dollars nécessaires à son transfert en Libye avec cent autres migrants. En Libye il a dû payer de nouveau la même somme pour embarquer sur le maudit bateau. Un autre rescapé a quitté le Nigeria après avoir traversé le désert pour rejoindre la Libye où il a travaillé pendant plusieurs mois au service des passeurs.

D’autres migrants, par d’autres filières, sont partis du Cameroun, du Niger ou du Mali, pour rejoindre l’Algérie puis le Maroc à travers le désert avant d’embarquer pour les Canaries. D’autres encore, comme plusieurs centaines au cours d’une nuit de septembre 2013, ont forcé le passage à travers l’enclave de Melilla ou de Ceuta en prenant littéralement d’assaut la triple enceinte haute de six mètres et bardée de caméras et de barbelés. Pour fuir le chômage forcé et l’absence de tout avenir, les migrants sont prêts à prendre tous les risques.

Les bateaux-usines de l’Union européenne vident les ressources halieutiques des côtes mauritaniennes ou sénégalaises, ruinant les petits pêcheurs. L’agriculture européenne, largement subventionnée, exporte en Afrique sa viande mais aussi ses céréales, son lait - parfois ses tomates ! - ruinant les producteurs et les éleveurs africains. Les Bolloré, Bouygues, Total, Areva ou leurs concurrents européens s’enrichissent en contrôlant les moyens de transports, les installations portuaires, les réseaux de communication, en construisant toutes les infrastructures, en pillant les ressources minières. Les banques européennes pompent littéralement les richesses produites en Afrique par le mécanisme de la dette. Les divisions de toutes sortes nées à l’époque coloniale, aggravées par le pillage impérialiste alimentent les guerres et les massacres.

Mais quand une fraction du prolétariat d’Afrique, qui n’arrive plus à vivre décide de tenter sa chance en Europe, ce qui signifie venir s’y faire exploiter, elle se heurte à des murs et est traitée comme un délinquant.6

 

Des frontières européennes délocalisées et une surveillance sous-traitée

Surveiller, contrôler et fermer les routes de l’immigration, c’est précisément la mission de l’agence publique européenne Frontex. Depuis sa création en 2004, son budget a été multiplié par quinze. Officiellement chargée de coordonner les contrôles frontaliers et les actions des différentes polices aux frontières, elle dispose de plus en plus de moyens propres, de dizaines d’hélicoptères et d’avions, de plus d’une centaine de bateaux, bientôt de drones, sans parler d’une panoplie de radars, caméras thermiques ou autres matériels de surveillance. Elle multiplie les opérations autonomes de surveillance baptisées avec des noms issus du panthéon grec : Jupiter, c’est le contrôle de la frontière ukrainienne, Chronos, le canal de Sicile. Frontex est une petite armée dans la guerre menée par l’Europe contre les immigrants pauvres, dont le fonctionnement et les prérogatives sont tellement opaques qu’ils ont été épinglés par le Parlement européen. L’altermondialiste suisse Jean Ziegler l’a assez justement qualifiée d’« organisation militaire quasi clandestine ».

Quand José Manuel Barroso, l'ancien président de la Commission européenne, promettait « une plus grande coopération entre les États membres » lors de sa visite à Lampedusa, ce n’était pas une coopération pour aider et accueillir les migrants. C’était une coopération pour mieux mettre en œuvre la traque commune menée par les États européens. Dès le 10 octobre 2013, profitant des drames de Malte et Lampedusa, le Parlement européen votait massivement en faveur du programme Eurosur, un nouveau système de reconnaissance et de transmission de données, placé sous le contrôle de l’agence Frontex et dont le coût total est estimé à 224 millions d’euros. D’ailleurs, depuis sa création, Frontex sert d’interface, entre les industriels européens de la surveillance, EADS, Siemens, Thales ou Sagem, et l’Union européenne pour financer le développement puis l’achat de nouveau matériel. Et ce marché de la surveillance et de l’espionnage civil est aussi juteux qu’en pleine expansion. Tant que des îlots de développement et de richesse seront entourés d’un océan de misère, ce marché sera quasiment illimité. À défaut d’empêcher réellement l’immigration, la traque de plus en plus sophistiquée des clandestins a un rôle incontestable : celui d’enrichir les nombreux capitalistes du secteur.

Outre la surveillance des frontières, l’autre volet de la politique européenne a été d’imposer aux pays de transit qu’ils deviennent les mercenaires de l’Europe en traquant eux-mêmes les migrants sur leur territoire. Tous les accords de coopération économique conclus avec les pays du sud de la Méditerranée ou de l’Europe de l’Est contiennent une « clause migratoire ». Ces pays sont contraints de signer des accords de réadmission qui les obligent à reprendre non seulement leurs ressortissants en situation irrégulière mais aussi tous les sans-papiers ayant transité sur leur sol. Cela oblige ces pays à intensifier les contrôles à leurs propres frontières et à collaborer avec l’agence Frontex et avec les policiers européens. Les frontières de l’Europe sont ainsi délocalisées à Dakar, Istanbul ou Tripoli. Pour les mêmes raisons, des camps de rétention ont été installés en Turquie, en Libye, en Tunisie ou encore en Mauritanie. L’exemple espagnol est significatif. Pour enrayer la vague d’immigration en direction des îles Canaries depuis la Mauritanie ou le Sénégal, Luis Zapatero, alors Premier ministre (socialiste) espagnol, a lancé en 2006 le plan Afrika. Entre 2004 et 2006, plus de 30 000 migrants s’embarquaient chaque année sur des cayucos, ces pirogues de fortune pilotées par des pêcheurs reconvertis en passeurs, car les réserves halieutiques de la région étaient vidées par les bateaux-usines de l’Union européenne. Parmi les multiples mesures de ce plan, l’armée espagnole a ouvert elle-même un camp de rétention à Nouadhibou en Mauritanie. Le gouvernement espagnol a ensuite négocié avec le président sénégalais Abdoulaye Wade pour qu’il retienne les candidats au départ et réadmette tous les clandestins. Wade a marchandé : « Qu’ils me les renvoient mais qu’ils me donnent aussi des bassins de rétention d’eau. » Il lançait en effet un programme de développement agricole, le plan dit « retour des émigrants vers l’agriculture » (REVA). Moyennant une aide de vingt millions d’euros, une somme bien dérisoire pour l’État espagnol, un accord fut conclu. Du coup, dès le mois de septembre 2006, tous les Africains arrivant aux Canaries étaient automatiquement enregistrés comme « Sénégalais », même s’ils exhibaient des papiers maliens, ivoiriens ou autres. Il fallait en effet alimenter le véritable pont aérien qui ramenait des milliers d’immigrants chaque nuit vers Saint-Louis du Sénégal en vertu du plan REVA. Évidemment les immigrants « sénégalais » furent les grands perdants de ces tractations. Ils n’eurent ni les emplois promis par Wade dans l’agriculture ni les visas promis par Zapatero à un nombre limité d’immigrants légaux dûment sélectionnés.

L’Italie de Berlusconi négocia le même genre d’arrangement avec la Libye de feu Kadhafi au début des années 2000, pour qu’elle prenne sa place dans le contrôle des frontières européennes. Au cours de sordides marchandages, Kadhafi fit monter les enchères en alternant encouragements aux départs de clandestins et répression contre les migrants. Finalement, à partir de 2004, des patrouilles navales et aériennes mixtes italo-libyennes furent mises en place et le gouvernement italien a expulsé plusieurs milliers de migrants depuis Lampedusa vers la Libye. L’Italie finança la construction d’un grand nombre de centres de rétention en Libye pour interner les migrants venus d’Afrique centrale. Ces camps sont plus infâmes que les pires camps installés en Europe. Ni l’Italie ni l’Europe n’étaient gênées que les migrants subissent systématiquement des mauvais traitements lors des arrestations ou en détention, la surpopulation carcérale ou le renvoi forcé vers leurs pays d’origine. C’est aussi l’Union européenne qui finança, pour 300 millions d’euros, la mise en place d’un système de surveillance par satellites de la frontière sud de la Libye, pour le plus grand bonheur de la société espagnole Indra qui a emporté le marché à la barbe du français Thales.

Avant même la chute de Kadhafi, le Conseil national de transition libyen qui postulait au pouvoir assurait à ses protecteurs européens qu’il combattrait l’immigration illégale s’il arrivait au pouvoir. Dès avril 2012, le nouveau gouvernement libyen signait un accord migratoire copie conforme du précédent. Comme quoi la petite phrase du sénateur-maire UMP de Compiègne, Philippe Marini, exprimant tout haut après le dernier drame de Lampedusa ce que nombre de ses amis politiques pensent tout bas – « Cet afflux de réfugiés africains à Lampedusa et bientôt chez nous me fait regretter la disparition du régime Kadhafi en Libye » –, en plus d’être ignoble, était également stupide. Il est vrai que la chute de Kadhafi, avec le très fort affaiblissement du pouvoir central et le fractionnement du territoire en zones contrôlées par diverses milices concurrentes, peut laisser plus d’opportunité aux passeurs et aux trafiquants. Les migrants feront les frais de ce morcellement : ils courront des dangers accrus lors de leur transit en Libye, risqueront des internements successifs dans des camps de rétention contrôlés par des bandes armées rivales, le prix du passage augmentera, sans le moindre afflux de réfugiés « chez nous ». Il est d’ailleurs significatif qu’au plus fort de la guerre de 2011 en Libye, alors que l’aviation occidentale bombardait le pays, poussant les civils à l’exode, la quasi-totalité d’entre eux, plus de 900 000, a trouvé refuge dans les États voisins, de la Tunisie au Niger en passant par l’Algérie ou le Tchad, et moins de 16 000 ont tenté de venir en Europe, la plupart illégalement, car l’Europe n’a proposé d’accueillir qu’un millier de réfugiés.

 

L’avenir imposé par le capitalisme, fait de camps et de murs barbelés

L’ignominie et le cynisme des dirigeants européens vis-à-vis des populations d’Afrique ou du Moyen-Orient, que leur domination économique, leurs politiques ou leurs interventions militaires transforment en miséreux et en réfugiés acculés à l’émigration, sont sans limite. Leurs marchandages avec les régimes en place au sud ou à l’est de l’Europe, ce qu’ils appellent hypocritement « accords de réadmission », s’apparentent à de la traite humaine. Le sort réservé aux migrants débarqués en Europe, traqués et parqués dans des camps d’enfermement pour le seul crime de ne pas disposer de papiers officiels, est révoltant. Bien au-delà de la compassion et de la révolte, cette politique juge cette Europe capitaliste qui garantit la libre circulation des marchandises et des capitaux mais élève des murs mortels autour de ses frontières et multiplie les obstacles à la libre circulation des personnes.

Il y a un peu plus de vingt ans, les dirigeants occidentaux et les idéologues de la bourgeoisie voyaient dans la chute du mur de Berlin, et du rideau de fer coupant en deux l’Europe, la faillite du communisme et le triomphe du capitalisme. C’était certes la faillite du stalinisme. Mais, depuis vingt ans, le capitalisme « triomphant » a engendré tellement de misère à un bout, et une si grande accumulation de richesse à l’autre bout, qu’il doit se protéger derrière des murs de plus en plus fortifiés et mortels, autour de l’Europe, mais aussi entre le Mexique et les États-Unis, qu’il doit enfermer les derniers migrants arrivés dans des camps entourés de barbelés et qu’il n’a d’autre perspective à offrir aux classes populaires, appauvries et jetées au chômage, que de s’en prendre à la fraction la plus pauvre et la plus misérable d’entre elles, les derniers travailleurs migrants arrivés sur le sol européen.

Cette sombre perspective n’est évidemment pas une fatalité. Depuis plus d’un siècle, les moyens de production sont largement suffisants pour satisfaire les besoins de toute l’humanité sans qu’elle en soit réduite à se livrer une guerre permanente pour y accéder. L’Europe est l’une des deux régions du monde où se concentrent les plus formidables richesses. Mais le préalable est que les peuples arrachent ces moyens de production à la bourgeoisie pour en prendre eux-mêmes collectivement le contrôle. La guerre menée contre les migrants n’est finalement qu’un volet de la guerre menée par la bourgeoisie contre les travailleurs. C’est pourquoi, au-delà des aspects inhumains et révoltants de la répression contre les migrants, ce sont des raisons de classe qui doivent pousser les travailleurs à s’opposer aux attaques contre la fraction immigrée d’entre eux et à combattre la xénophobie. Pour être en situation de contester à la classe capitaliste sa mainmise sur l’économie, les travailleurs ne doivent ni se laisser diviser ni accepter de se laisser entourer de miradors et de barbelés.7

 

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Malte
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Malte
(3) Viviane Lafont https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/10/18/malte-meurtre-au-paradis-fiscal_97409.html
(4) Marianne Lamiral https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/01/15/malte-les-mafieux-et-leurs-complices_139783.html
(5) Jessica Abrahams http://www.voxeurop.eu/fr/content/article/4041951-le-casse-tete-de-malte Traduction : Leslie Talaga
(6) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-immigration-dans-l-europe-en
(7) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/europe-immigration-les-murs-de-la