Origines
La région correspondant au Kirghizistan fut peuplée aux XVe siècle et XVIe siècle par les Kirghizes, un peuple nomade turcophone originellement situé, il y a 2000 ans, dans le nord-est de la Mongolie et qui se serait d'abord déplacé vers le sud de la Sibérie entre le VIe siècle et le VIIIe siècle, puis vers la région de Touva jusqu'au XIIIe siècle. L'Islam devint la religion principale de la région vers le XIIIe siècle ; la plupart des Kirghizes sont des musulmans sunnites de l'école hanafite.
Domination ouzbek et russe
Au début du XIXe siècle, le sud du territoire tomba sous le contrôle du Khanat de Kokand. Il fut formellement incorporé à l'empire russe en 1876. La répression de plusieurs révoltes poussa un certain nombre d'habitants à émigrer vers l'Afghanistan ou la Chine.
Le Kirghizistan dans l'Union soviétique
En 1918, un soviet fut fondé dans la région et l'oblast autonome Kara-Kirghiz fut créé en 1924 au sein de l'URSS. En 1926, il devint la République socialiste soviétique autonome de Kirghizie. En 1936, la République socialiste soviétique de Kirghizie fut intégrée comme membre à part entière de l'URSS.
Lors des bouleversements politiques survenus à partir de la fin des années 1980 en Union soviétique, des élections libres furent organisées au Kirghizistan en 1991 qui virent la victoire d'Askar Akaïev au poste de président en octobre de la même année. Le pays changea de nom et devint la République du Kirghizistan en décembre 1991, tandis que Frounzé, la capitale, fut rebaptisé par son nom pré-soviétique de Bichkek en février 1991.
L'indépendance
Après l'échec du coup d'État à Moscou qui marqua la fin de l'URSS, le Kirghizistan vota son indépendance de l'URSS le 31 août 1991. La Kirghizie adhéra cependant à la Communauté des États indépendants à la fin de la même année.1
En mars 2002, des troubles éclatent dans le district d'Aksy lors de manifestations demandant la libération d'un opposant politique. La répression commandée par le premier ministre Kourmanbek Bakiev tue six personnes. Peu après, le président Akaïev accepte la démission de Bakiev de ses fonctions et le remplace par Nikolaï Tanaiev. Le président Askar Akaïev lance ensuite une réforme constitutionnelle, à laquelle sont conviées l'opposition et la société civile ; elle se conclut en février 2003 par un référendum, vraisemblablement entaché d'irrégularités. Les amendements à la Constitution transforment, entre autres, le Parlement bicaméral en un Parlement unicaméral de 75 sièges à compter des élections de février 2005.
La Révolution des Tulipes
Au cours des années suivantes, le pouvoir, toujours détenu par Askar Akaïev, devient de plus en plus autoritaire. Les élections législatives du 27 février et du 13 mars 2005 sont dénoncées comme frauduleuses, particulièrement par les observateurs de l'OSCE. Des troubles débutent vers la fin mars qui se transforment rapidement dans le sud du pays en manifestations appelant à la démission du gouvernement en place. Le 24 mars, 15 000 manifestants partisans de l'opposition venus du sud du pays se heurtent à la police à Bichkek et prennent d'assaut l'immeuble abritant la présidence après des rumeurs faisant état de la fuite du président Akaïev hors du pays. C'est la « révolution des Tulipes ».2
Les tulipes fanées du Kirghizistan
Les changements à la tête du pouvoir au Kirghizistan se sont accompagnés de manifestations de masse dans quelques villes du pays et de quelques affrontements violents. Le président en poste, Akaïev, s'est enfui d'abord au Kazakhstan puis en Russie. Un de ses anciens Premiers ministres, Bakiev, s'est fait proclamer à la présidence provisoire par des partis d'opposition, nombreux, mais unis dit-on pour la circonstance. Un ancien ministre de l'intérieur d'Akaïev, Koulov, ex-général du KGB, a été sorti de prison et se voit à nouveau, au titre de ministre de l'intérieur de la sécurité et des armées par intérim, chargé de faire régner l'ordre. Une diplomate, Roza Otunbaïeva, ayant été ambassadeur aux États-Unis, puis au Royaume-Uni et aux Nations unies, déjà ministre des affaires étrangères du temps de l'URSS puis également au début de la présidence d'Akaïev après 1991, va rempiler à ce même poste. Tel se dessinait le "nouveau" visage du pouvoir dans cette ancienne république soviétique de quelques 5 millions d'habitants, proclamée indépendante de Moscou depuis 1991.
Pour le moment, car les rivalités de personnes entre les nouveaux promus pouvaient encore bousculer la donne. Et des manifestations de mécontentement se sont encore déroulées après que tout ce beau monde fut tombé d'accord pour reconnaître le nouveau Parlement élu, alors même que c'est précisément cette élection truquée, organisée par l'ancien président Akaïev, qui avaient fait déborder la coupe.
Ce que de nombreux commentaires de presse ont baptisé révolution, "des tulipes" cette fois, après celle "des roses" de Géorgie et celle "orange" d'Ukraine, s'apparentait bien davantage à une alternance au gouvernement -un peu plus mouvementée que dans les démocraties des pays riches- qu'à un bouleversement social en profondeur. Pourtant la population avait bien des raisons de vouloir un changement radical de sa situation, bien des raisons d'affronter dans la rue le pouvoir en place. La population kirghize vit misérablement : le revenu moyen est de 330 dollars par habitant en 2004 et la pauvreté touche 64 % de la population. Le Kirghizistan, déjà sous-développé bien avant 1991, l'est encore davantage depuis la fin de l'URSS.
Même si le pouvoir en place était considéré comme plus faible que les autres dictatures de la région, il n'en était pas moins autoritaire et totalement corrompu. Truquage des élections, achat des députés, népotisme : la fille, le fils, les deux belles-sœurs et autres proches d'Akaïev ont été élus au parlement (de 75 membres en tout). Les membres de la famille de l'ancien dictateur étaient à la tête des plus grandes entreprises, notamment des supermarchés. Son gendre contrôlait l'extraction de l'or, l'alcool, les tabacs, les télécommunications, et la principale maison d'édition d'État.
La pseudo-révolution au Kirghizistan a reçu l'aval et les félicitations de l'Europe et des États-Unis. Et même un certain appui matériel de ces derniers, via les subventions aux ONG et la mise à la disposition de l'opposition d'un certain nombre de médias pour se faire entendre. Les États-Unis, sous couvert de défendre la démocratie, contribuaient une fois encore à un changement de pouvoir et poussaient ainsi leurs pions au travers des liens tissés avec les nouveaux dirigeants.
Quant à la Russie, si elle se faisait tailler des croupières dans son "étranger proche", elle faisait contre mauvaise fortune bon cœur. Poutine a certes critiqué "le caractère illégitime" de la sortie de crise kirghize et accueilli en Russie le président en fuite Akaïev. Mais il a également précisé "connaître très bien les gens de l'opposition", lesquels "ont fait beaucoup pour établir de bonnes relations entre la Russie et le Kirghizistan". Et de son côté, Koulov, "l'homme fort", dirigeant en second du Kirghizistan, interviewé par Libération, a posé ainsi les limites du changement : "Les Américains veulent que notre pays se démocratise : qu'il ne devienne pas une nouvelle menace pour le monde, un foyer du terrorisme ou du trafic de drogue. Mais nous ne pouvons pas vivre sans la Russie. Sur les 5 millions d'habitants du Kirghizistan, entre 800 000 et 1 million travaillent en Russie. Les Américains nous donnent de l'argent. Mais la Russie nous donne du travail. Les revenus que les Kirghizes rapatrient de Russie constituent près de la moitié du budget de l'État. La Russie fournit aussi notre essence, notre chauffage. On ne peut pas se fâcher avec Moscou. J'ai aussi du respect pour Vladimir Poutine." Pas vraiment de "révolution" donc non plus dans les rapports entre Le Kirghizistan, la Russie et les États-Unis. Comme pour la Géorgie ou l'Ukraine.
Seule la population kirghize, qui en descendant dans la rue avec de toutes autres aspirations a contribué à ces changements, pourra se sentir flouée. Le drame pour elle, c'est qu'elle n'a aucune organisation ni représentation politique défendant réellement ses intérêts.3
L'organisation de nouvelle élections
Le gouvernement intérimaire promet de développer de nouvelles structures politiques et de régler certains problèmes constitutionnels. La démission forcée de l'ancien président Askar Akaïev est acceptée par le Parlement kirghiz le 11 avril 2005.
Les chefs de l'opposition mettent en place un gouvernement intérimaire et promettent d'organiser rapidement de nouvelles élections afin de prétendre à une légitimité définitive. Les luttes au sein de l'opposition sont réglées rapidement, Kourmanbek Bakiev prenant les postes de président et de premier ministre.4
Bakiev promet alors des élections générales libres et démocratiques pour le 26 juin 2005. Après plusieurs reports, l'élection présidentielle est prévue le 10 juillet. Bakiev, homme le plus riche du Kirghizistan et venant du Sud, fait un pacte avec l'ancien général du KGB et homme politique du Nord, Felix Koulov. Bakiev se présente comme président et Koulov obtiendra, en cas de victoire, le poste de Premier ministre.
Le 10 juillet, Bakiev se retrouve sans opposant majeur à l'élection et est élu au premier tour avec environ 88 % des voix. De multiples plaintes de fraude électorale sont recensées, mais l'OSCE et les États-Unis ne remettent pas en cause la victoire de Bakiev. Bakiev devient ainsi officiellement président du Kirghizistan.
Début novembre 2006, l'opposition kirghize manifeste sur la place centrale de Bichkek pour réclamer une réforme constitutionnelle réduisant les compétences du président. Elle réclame également de juguler la corruption et de rendre indépendante la compagnie de radiotélévision. Après des affrontements acharnés, les opposants et les fidèles du président Kourmanbek Bakiev parviennent finalement à un compromis sur la Constitution.
Début février 2009, il annonce la fermeture de la base aérienne de Manas, ouverte par les États-Unis en décembre 2001, et qui, située à 900 km à vol d'oiseau de l'Afghanistan, servait de base principale pour un pont aérien ravitaillant et appuyant les troupes américaines engagées dans la guerre d'Afghanistan.
En juillet 2009, il est réélu président après un scrutin où il obtient 76 % des voix, mais entachée de fraudes et d'irrégularités, l'élection est jugée non-démocratique par l'OSCE et critiquée par l'Union européenne.
Politique intérieure
Après son arrivée au pouvoir, Bakiev a vite déçu les espoirs réformistes nés de la révolution des Tulipes. Il installe des proches au pouvoir, notamment dans les domaines des affaires étrangères et de l'économie, et fait des réformes anticonstitutionnelles, limitant notamment les libertés d'expression et de réunion, ou permettant à l'armée de participer aux opérations de maintien de l'ordre public. Le pouvoir exerce aussi des pressions sur les médias. Des privatisations de sites de productions d'énergie ont lieu de façon opaque, avec pour conséquence le doublement par deux des prix de l'électricité.
En janvier 2010, une taxe a été fixée par le gouvernement sur les appels téléphoniques cellulaires, dont le montant allait selon l'opposition directement dans les comptes d'un fond détenu par le fils du président Bakiev, Maxime Bakiev.
Tout cela contribue à l'impopularité de Bakiev auprès de la population. Sa politique extérieure est elle marquée par le jeu de balance entre Moscou et Washington, qui possèdent tous les deux des bases militaires dans le pays.5
L'opposition politique et les ONG de défense des droits de l'homme sont harcelées avec une intensité croissante. Plusieurs meurtres de journalistes et d'opposants ont défrayé la chronique et provoqué les protestations de l'Union Européenne. Si le Kirghizstan reste pour le moment plus ouvert que ses voisins, comme l'Ouzbékistan, qui dérive depuis des années vers la dictature policière, ou le Turkménistan qui n'en est jamais sorti, il connaît donc actuellement une dégradation rapide du climat politique. Il reste classé régulièrement parmi les pays les plus corrompus du monde.6
La Révolution kirghize
Le 7 avril 2010, une violente manifestation des opposants au régime du président Bakiev dégénère. On compte 75 morts et 500 blessés dans la capitale, Bichkek. Dans la soirée des centaines d'opposants ont assiégé le Parlement situé à proximité de la résidence présidentielle. Le premier ministre, Daniar Oussenov, déclare l'état d'urgence et un couvre-feu est instauré. Trois chefs de l'opposition sont interpellés et inculpés pour crimes graves, puis l'un d'eux, Omourbek Tekebaïev, est libéré plus tard dans la journée.
Toujours en soirée, le premier ministre, Daniar Oussenov, a « remis une lettre de démission », après des négociations avec l’un des chefs de l’opposition, Temir Sariev, annonce ce dernier à la radio kirghize Azattyk. Dans la foulée, l’opposition a formé son « propre gouvernement », avec à sa tête l’ex-ministre des Affaires étrangères, Roza Otounbaïeva, ajoute Temir Sariev.
Les États-Unis s'inquiètent de l'instabilité du pays, dans la mesure où ils disposent d'une base militaire aérienne qui leur sert de pont pour faire transiter leurs hommes et leur matériel vers l'Afghanistan. Parallèlement, la Russie propose son aide au gouvernement par intérim.
Le 16 avril 2010, Kourmanbek Bakiev, le président déchu en exil au Kazakhstan, démissionne officiellement dans une lettre télécopiée adressée aux nouveaux dirigeants du pays.7
Luttes de clans et coups d'État à répétition
Dans ce petit pays montagneux (les quatre dixièmes de la France) sans grandes ressources négociables, plus qu'ailleurs encore, le meilleur moyen de s'enrichir est de monopoliser le pouvoir. Au risque, bien sûr, de voir se tourner contre soi tous ceux que l'on a écartés de la mangeoire.
C'est pourquoi celle qui a été nommée présidente par intérim, Roza Otounbaïeva, ex-ambassadrice et ex-ministre des Affaires étrangères des deux potentats précédents, dénonçait le fait que ceux-ci et leurs parents raflaient toutes les richesses, sans rien laisser aux autres clans dirigeants.
Les « démocraties » occidentales complices
Quant aux puissances occidentales, elles ne trouvaient rien à redire à cette dictature. D'abord, Bakiev avait le bon goût de laisser l'armée des États-Unis, ainsi que les états-majors français et espagnol disposer d'une base aérienne indispensable à leurs opérations en Afghanistan.
Et comme il paraissait en outre plus éloigné de Moscou que son prédécesseur, c'était le cadet des soucis des gouvernements américain et européens de savoir comment pouvait survivre la population sous un tel régime. Et cela alors que de récentes hausses des prix, notamment de l'énergie, avaient encore amputé des salaires misérables, de l'équivalent de quelques dizaines d'euros pour qui a un travail.
C'est cela qui a mis le feu aux poudres, faisant descendre dans la rue des milliers de manifestants qui, malgré les tirs de la police, ont pris d'assaut la présidence et d'autres symboles d'un pouvoir honni. Ce sont eux qui ont payé le prix fort pour chasser le dictateur, et certainement pas ses anciens alliés qui composent maintenant le gouvernement de transition, dont la population n'a absolument rien de bon à attendre.8
Violences de juin 2010
Faisant suite à la révolution proprement dite, des situations de violences interethniques éclatent dans le pays. Début juin 2010, des tensions ont lieu entre les habitants kirghizes du village de Sogment (Kirghizstan) et les habitants ouzbeks du village d'Hushyar (Ouzbékistan, enclavé au Kirghizistan). Le jeudi 10 juin, des groupes kirghizes affrontent des groupes de population d'origine ouzbèke, principalement et initialement à Och, deuxième ville du pays et capitale de la province d'Och, puis à Djalalabad, capitale de la province de Jalal-Abad, toutes deux situées à la frontière ouzbèke, amenant le gouvernement intérimaire kirghize a décréter l'état d'urgence pour ces deux provinces (le pays compte en tout sept provinces plus une zone particulière correspondant à la capitale, Bichkek).
Les mots de « guerre civile » sont même évoqués par certains membres du gouvernement, notamment par Azimbek Beknazarov, le ministre de la justice, et par des commentateurs politiques, kirghizes et internationaux. Le gouvernement dénonce une tentative des pro-Bakiev, qui était originaire du sud, de déstabiliser le nouveau pouvoir en place. Un ordre de mobilisation partielle a même été pris, autorisant aussi les forces de l'ordre à tirer sans sommation dans les deux provinces pour lesquelles l'état d'urgence a été décrété et demandant aux retraités de l'armée et de la police de venir en renfort dans la Province d'Och. Ce regain de violence arrive alors qu'un référendum pour l'adoption de la nouvelle Constitution doit se tenir le 27 juin.9
Le gouvernement provisoire issu du coup d'État ayant renversé le dictateur précédent, Bakiev, a ainsi organisé un référendum sur une nouvelle Constitution censée « stabiliser le pays » (selon Le Monde) et « créer une démocratie parlementaire » (à en croire Le Parisien).
Dès le 28 juin, le gouvernement provisoire de Roza Otounbaiéva a claironné avoir obtenu près de 90 % des voix dans un scrutin auquel auraient participé 70 % des électeurs. C'en serait comique si ce n'était tragique. Car qui peut croire une telle fable, quand l'ONU et les ONG présentes sur place estiment que près d'un million de personnes, essentiellement d'origine ouzbèque, ont fui les tueries ? Bien sûr, les autorités d'Ouzbekistan se sont montrées rien moins qu'empressées d'accueillir leurs nationaux fuyant le Kirghizistan - de crainte, sans doute, de se trouver entraînées malgré elles dans une escalade conflictuelle avec leurs voisins ex-soviétiques d'Asie centrale, les Ouzbeks, le peuple le plus nombreux, étant présents dans tous les pays de la région, parfois en tant que très importante minorité (au Kirghizistan, les Ouzbeks représentent entre un quart et un tiers de la population). Mais, même repoussés par les autorités d'Ouzbekistan, les réfugiés ouzbeks du Kirghiszistan ne sont pas tous retournés chez eux. D'autant qu'en fait de chez eux, même dans les régions où ils constituent la moitié de la population, leurs maisons ont bien souvent été incendiées et saccagées.
Et ce n'est pas la présence de la police et de l'armée du gouvernement provisoire, qui avait placé le sud du pays sous la loi martiale en dénonçant verbalement les fauteurs de pogroms, qui a vraiment de quoi rassurer ceux qui ont fui les massacres inter-ethniques. D'abord, sous le régime actuel comme sous le précédent, l'armée et la police sont exclusivement composées de ressortissants de l'ethnie majoritaire, les Kirghizes, tandis que les membres des autres ethnies (Ouzbeks, Tadjiks, Tatars, voire Russes), bien qu'ils soient officiellement citoyens du Kirghizistan, n'ont pas le droit d'en faire partie. Ensuite, même des soldats envoyés « pacifier » Och ne se sont pas gênés pour déclarer à des journalistes qu'ils n'attendaient qu'une occasion de « nettoyer » le pays des Ouzbeks. Quant aux Tadjiks du Kirghizistan, autre minorité ayant un État national dans la région, des rumeurs ont fait état d'appels les « invitant » à quitter le pays, car eux aussi seraient visés.
Des témoignages font état du fait qu'à Och et Djelalabad, le 11 juin et les jours suivants, des policiers et des blindés ouvraient la voie aux bandes de tueurs. Certes, il est probable que ces policiers et ces militaires étaient des partisans du dictateur renversé en avril, Bakiev, dont le fief se trouve dans cette région, le sud du pays, mais la gangrène ethnique, attisée depuis des années, n'est pas le propre du précédent régime. La gangrène ethniste est partout présente, à ronger toute la région. Surtout depuis que l'éclatement de l'Union soviétique a fourni aux gouvernants locaux une multitude de boucs émissaires tout trouvés en la personne de populations devenues étrangères chez elles.
En effet ces populations, qui vivent là depuis des siècles, étaient toutes soviétiques. Mais après 1991, avec la disparition de leur pays commun, l'URSS, elles se sont subitement retrouvées en situation de minorité ethnique dans un État se voulant celui de la seule ethnie majoritaire. Et, depuis une vingtaine d'années, désigner les « minoritaires » comme des « étrangers » ou des « privilégiés » est un des jeux favoris des gouvernants. Et pour cela les clans au pouvoir hésitent d'autant moins à s'appuyer sur des gangs mafieux que ces mêmes gangs contrôlent le très juteux trafic de la drogue, dont l'une des principales voies d'acheminement d'Afghanistan vers l'Europe passe précisément par le sud du Kirghizistan, autrement dit par le fief des frères Bakiev.
Ainsi, en mai 2009, des émeutes anti-Ouzbeks avaient déjà été organisées à Och par le clan Bakiev, sans que la « communauté internationale » y trouve à redire, ni même en fasse état dans ses médias. Quant à mettre en cause un régime ethniste, clanique, mafieux et s'appuyant sur l'intégrisme musulman avec, par exemple, la réapparition des mariages forcés de fillettes, il n'en était pas question pour les grandes puissances.
Il est vrai que le clan Bakiev au pouvoir avait concédé une importante base militaire aux États-Unis, lesquels fermaient les yeux - et continuent de le faire - sur tout ce qui peut se passer au Kirghizistan, pourvu que leur base, indispensable au ravitaillement des troupes américaines en Afghanistan, fonctionne sans anicroche. Et comme, pour faire bonne mesure, le clan Bakiev avait octroyé une autre base à la principale puissance régionale, la Russie, celle-ci évitait de trop se mêler des affaires du pays. D'ailleurs, même si le Kremlin a visiblement apprécié le renversement de Kourmanbek Bakiev, parce qu'il s'était trop rapproché des États-Unis, il s'est gardé de répondre présent quand les nouvelles autorités kirghizes lui ont demandé de l'aide militaire, de crainte sans doute de se voir entraîné dans un bourbier militaire sans issue. Quant à l'Union européenne, présente dans la région via notamment un ambassadeur de l'OSCE (cette Organisation pour la sécurité et la coopération économique que l'on trouve partout ou presque en ex-URSS) qui « couvre » toute l'Asie centrale ex-soviétique, on ne l'a pas plus entendue cette fois-ci que durant la période précédente.
Alors, même si les grandes puissances aimeraient bien que le nouveau gouvernement kirghiz arrive à stabiliser le pays, et sont prêtes par avance à le couvrir de brevets de démocratie, la situation dans laquelle la disparition de l'Union soviétique a enfoncé toute la région, et les nombreux peuples, minoritaires ou pas, qui y vivent, laisse craindre le pire.10
Présidence Atambaev
Après le renversement de Bakiev, lors de la révolution kirghize, Roza Otounbaïeva prend la tête du gouvernement provisoire, et choisit Almazbek Atambaev comme premier vice-président du gouvernement jusqu'au 15 juillet. Lors des législatives du 10 octobre 2010, il classe le SDPK en deuxième position avec 14,5 % des voix, derrière les nationalistes du parti Ata-Jourt.
Environ deux mois plus tard, le 17 décembre, Almazbek Atambaïev est investi Premier ministre pour la seconde fois, avec le soutien de 88 députés sur 1206, prenant la tête d'une coalition unissant le SDPK, Ata-Meken et Respoublika qui ne compte en principe que 67 députés. Devant le Parlement, il se place dans une vision étrangère plutôt « pro-russe », annonçant qu'il fera son premier voyage officiel à Moscou, en reconnaissance du « soutien le plus fort » apporté par la Russie et qu'il essaierait d'intégrer le pays à l'union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, tout en affirmant vouloir bâtir de bonnes relations avec ses voisins, et des rapports bilatéraux avec les États-Unis, l'Union européenne et la Turquie.
Le 23 septembre 2011, il laisse la direction du gouvernement à son vice-Premier ministre, Omurbek Babanov, pour se présenter à l'élection présidentielle du 30 octobre, qu'il remporte. Le 14 novembre 2011, il reprend ses fonctions.
Il est investi à la présidence le 1er décembre 2011, lors d'une cérémonie dans une grande salle de Bichkek, à laquelle assistent notamment Abdullah Gül et Mikheil Saakachvili, prenant la succession de Roza Otounbaïeva. Il s'agit de la première passation de pouvoir pacifique depuis l'indépendance, en 1991.11
Sources