Antiquité
Le début du IIIe millénaire av. J.‑C. voit apparaître une forme d’écriture, probablement dérivée du système sumérien, à Suse. L’Empire Élamite (précédé par la civilisation proto-élamite) établit un nouveau pouvoir régional dans le sud-ouest de l’Iran, et concurrence les empires voisins de Babylonie et d’Assyrie. C’est au cours du second millénaire avant notre ère qu’arrivent sur le plateau iranien divers peuples iraniens, provenant d’Asie centrale. Au milieu du VIIe siècle av. J.-C., les Mèdes, groupes de tribus établis au nord et au nord-ouest du pays, établissent leur pouvoir sur la région. À la fin de ce même siècle, les Mèdes et les Babyloniens se libèrent définitivement du joug assyrien en prenant Ninive en 612 av. J.-C. C’est à la même période qu’apparaissent les premières sources mentionnant Cyrus Ier, roi d’Anshan, petit-fils d’Achéménès, fondateur du premier Empire Perse, celui des Achéménides.
Les Achéménides
Despotes éclairés, les Achéménides construisent un immense empire s’étendant de l’Inde à l’Égypte, organisé en satrapies reliées entre elles par un immense réseau routier. Le cylindre de Cyrus est la première trace écrite d’une déclaration des Droits de l’Homme, datant de Cyrus II. La dynastie achéménide établit des capitales à Pasargades, Persépolis, Suse et Ecbatane. Leur règne est marqué par les Guerres médiques les opposant aux Grecs. L’empire perse décline après le règne de Xerxès Ier et chute en 330 av. J.-C., conquis par Alexandre le Grand, sous Darius III.
Les Séleucides
Les généraux d’Alexandre établissent la dynastie des Séleucides, qui s’effondre à son tour en 60 av. J.-C., le dernier reliquat de l’empire, en Syrie étant transformé en province romaine par Pompée. L’empire Parthe (aussi appelé Arsacide), fondé par Arsace et Tiridate en 250 av. J.-C., leur succède jusqu’en 224, quand le roi Artaban IV est défait par un de ses vassaux perses. Une nouvelle dynastie naît : les Sassanides, qui donnent naissance au second empire perse (226 - 651).
Les Sassanides
Les Sassanides furent les premiers à appeler leur empire Iranshahr ou Eranshahr (en persan :Terre des Aryens). Il s’agit d’une des périodes les plus importantes de l’histoire de l’Iran : la civilisation perse s’accomplit dans de nombreux domaines, et influence considérablement le monde romain, les deux empires étant perpétuellement en guerre. L’influence culturelle atteint l’Europe occidentale, l’Afrique, la Chine et l’Inde, et continue durant la période islamique.
Période islamique
La conquête de l’Iran commence en 637, avec 'Umar. Après avoir occupé Ctésiphon, capitale de l’empire, les musulmans battent l’armée sassanide à Nahavand en 641-642. L’Iran est ensuite rapidement conquis. La conversion à l’islam est progressive jusqu’au IXe siècle. L’Iran a été islamisé, mais n’a jamais été arabisé, contrairement aux autres régions conquises par le califat. Les persans ont même réussi à se distinguer au sein de l’islam, et l’apport culturel, politique et même religieux des iraniens à cette religion est d’une importance fondamentale.
Au VIIIe siècle, le Khorassan se rallie à la doctrine dissidente du chiisme et s’émancipe de la domination arabe. Une révolte renverse la dynastie Omeyyade, installant les Abbassides à Bagdad en 748. Le pouvoir des califes diminue progressivement, et plusieurs dynasties régionales émergent en Iran entre 820 et 1005, dont les Samanides. Ces derniers rivalisent avec Bagdad, et créent d’importants foyers de vie intellectuelle. Outre la culture arabe classique, ils favorisent l’éclosion de la littérature persane et accordent leur protection à des penseurs. En 962, la dynastie Ghaznévides s’installe à Ghazna et règne du Khorasan au Pendjab. C’est sous le patronage de Mahmûd de Ghaznî que Ferdowsi écrit en persan le Shâh Nâmâ (signifiant « Le livre des Rois »), poème épique qui recueille les histoires de la mythologie perse.
Un groupe turc, les Seldjoukides, arrive dans la région au XIe siècle. Les Ghaznévides, puis les Samanides, sont défaits. L’Iran connaît une renaissance culturelle et scientifique. L’observatoire d’Esfahan est créé, où Omar Khayyam met au point un nouveau calendrier qui introduit l’année bissextile : le calendrier persan, encore utilisé aujourd’hui. Cette époque voit aussi une production artistique très riche : l’Art des Saljukides d’Iran.
Après les Seldjoukides, l’Iran est encore dirigé par des petites dynasties locales avant d’être envahi par les Mongols de Gengis Khan en 1219. Le pays est dévasté et l’invasion est désastreuse pour la population. La destruction de nombreux qanats (un système d’irrigation traditionnel performant) détruit le réseau d’habitat. Les villes sont détruites et remplacées par des oasis isolées, la démographie chute et le pays se tribalise. De petites dynasties locales se mettent en place après la fin de la première période mongole en 1335.
Mais rapidement, le pays est de nouveau envahi : Tamerlan (ou Timur, d’origine turque ou mongole), conquiert la totalité de l’Iran, et en devient l’empereur en 1381. L’empire Timouride dure jusqu’en 1507 : les Chaybanides prennent Samarcande tandis que les Safavides reconquièrent une bonne partie du territoire iranien à partir de l’Azerbaïdjan iranien.
Mise en place de l'État iranien moderne
L’Iran se convertit au Chiisme duodécimain au XVIe siècle, sous l’impulsion d’Ismail Ier, premier souverain Safavide. Cette conversion résulte d’une volonté de s’affirmer face à la domination des Ottomans sunnites et de créer une identité iranienne spécifique. La conversion des sunnites est obligatoire, sous peine de mort.
L’apogée des Safavides est atteinte sous Shah Abbas Ier le Grand. Le pays est pacifié, son territoire étendu et son administration centralisée. Son règne est aussi un âge d’or pour le commerce et les arts (accueil de commerçants et d’artistes étrangers, développement de la production de tapis, construction d’Ispahan, etc.).
Une invasion de l’Iran par des tribus afghanes met un terme à la dynastie des Safavides. La suprématie afghane est assez brève. Tahmasp Quli, un chef de tribu Afshar, chasse les Afghans et prend le pouvoir en 1736 sous le nom de Nâdir Shâh. Tout le territoire iranien est repris, depuis la Géorgie et l’Arménie jusqu’à l’Afghanistan. Des campagnes militaires sont même menées jusqu’à Delhi en 1739. Nâdir Shâh est assassiné en 1747 par d’autres chefs Afshars.
Le pays est ensuite la proie de luttes tribales pour la conquête du pouvoir : Afshar, Afghans, Qajars et Zands se battent. Karim Khan Zand réussit à réunifier presque tout le pays en 1750. Il refuse de prendre le titre de Shah et préfère se nommer Vakil ar-Ra’aayaa (« Le Régent des paysans »). Sa mort en 1779 est encore suivie de luttes. C’est finalement Agha Mohammad Shah Qajar qui prend le pouvoir en 1794, établissant une dynastie qui dure jusqu’en 1925.1
Les Qajars
Sous les règnes de Fath Ali Shah (1797 - 1834), Mohammad Shah (1835 - 1848) et Nasseredin Shah (1848 - 1896), le pays retrouve l’ordre, la stabilité et l’unité. Les Qajars ont alors fait revivre le concept du Shah en tant qu’ombre de Dieu sur la terre et ont exercé un pouvoir absolu sur le pays. Ils ont nommé des princes de sang aux postes de gouverneur provinciaux, et ont augmenté leur pouvoir par rapport à celui des chefs tribaux, qui fournissaient leurs troupes à l’armée nationale, tout au long du XIXe siècle ; cependant, malgré leurs efforts, ils ne réussirent pas à transformer cette armée basée sur des troupes d’origine tribale en armée organisée et entrainée de style européen. Sous les Qajars, les marchands (bazaris) et les Oulémas (chefs religieux) sont restés des membres importants de la communauté.
À partir du début du XIXe siècle, les Qajars et l’Iran tout entier ont commencé à subir des pressions de la part de deux grandes puissances mondiales : la Russie et la Grande Bretagne s'opposent alors dans le Grand Jeu. L’intérêt des Britanniques pour l’Iran était dû à une nécessité de protéger les routes commerciales vers l’Inde alors que l’intérêt des Russes était l’expansion à partir du nord du territoire iranien. Après les guerres russo-iraniennes (1804-1813) et deux traités (Golestan (1812) et Turkmanchai (1828)) très défavorables pour les Perses, l’Iran perd tous ses territoires du Caucase au nord de l’Araxe ; puis lors de la seconde moitié du XIXe siècle, l’Iran est obligé d’abandonner ses territoires en Asie centrale.2
La Perse sous la coupe des grandes puissances
À partir du 19e siècle, la Perse, qui est devenue l'Iran en 1934, tomba ainsi sous l'emprise à la fois de la Russie des tsars, sa puissante voisine sur plus de 2 000 km, et de la Grande-Bretagne, pour qui elle présentait le grand intérêt de séparer la Russie justement de son propre empire colonial en Inde.
Ces deux puissances se surveillaient l'une l'autre et se faisaient contrepoids, ce qui explique sans doute pourquoi la Perse n'est pas devenue une colonie. Mais son indépendance devint de plus en plus formelle.
Le pays en était resté alors à un stade quasi-féodal, avec des propriétaires possédant des centaines de villages ; des territoires entiers étaient encore contrôlés par des chefs de tribus nomades.
La dynastie en place pendant le 19e siècle somnolait grassement grâce aux finances qu'elle extorquait à une paysannerie toujours au bord de la famine. Ces rois ne bâtirent d'ailleurs pas de force militaire. Quand ils avaient besoin de troupes, ils appelaient les seigneurs de guerre des tribus à leur rescousse. Le seul embryon d'armée était à la fin du 19e et au début du 20e siècles, une Brigade Cosaque sous le commandement d'officiers russes.
La rivalité entre l'Angleterre et la Russie entravait toute velléité de modernisation des infrastructures. La Perse n'avait ni routes, ni chemins de fer ni service postal.
Un Résident politique anglais établit ses quartiers dans le Golfe arabo-persique, sans avoir de comptes à rendre à la Cour de Téhéran, sous la protection des canonnières britanniques. En 1901, quand le pétrole fut découvert dans cette région, l'Angleterre mit la main dessus.
De son côté, la Russie des tsars s'implanta dans le nord du pays, dans les régions autour de la mer Caspienne.
Bref, la Perse fut mise en coupe réglée. Grande-Bretagne et Russie se firent attribuer des concessions à long terme dans toutes les branches possibles. De l'une de ces concessions, Thiers en personne déclara qu'elle ne laissait de son pays au Shah de Perse que... l'atmosphère !
Les traités officiels conclus par le Shah barrèrent la voie à la formation éventuelle d'une industrie autochtone, et entraînèrent l'introduction massive dans le pays de biens manufacturés par l'industrie européenne.
Il y avait en Perse une certaine bourgeoisie basée sur le commerce, des marchands, des artisans et des usuriers, regroupés géographiquement au cœur des villes, dans ce qu'on nomme le « Bazaar », qui est leur centre économique traditionnel. La classe des bazaris avait grossi avec le développement du commerce au long du 19e siècle, et elle se trouva frappée de plein fouet par la concurrence des marchandises importées.
On ne peut pas parler des bazaris, sans parler des religieux chiites. En fait, il s'agit largement de la même classe sociale, provenant souvent des mêmes familles.
Le corps des religieux disposait d'une certaine indépendance car il contrôlait des fonctions sociales qui sont de nos jours associées à l'administration de l'État : une partie de la justice, les écoles existantes. Et puis bien sûr, ils récoltaient directement eux-mêmes des impôts religieux obligatoires, géraient des donations, étaient bien souvent propriétaires fonciers.
La plupart de ces oulémas s'associèrent à la résistance de la bourgeoisie marchande devant la pénétration économique de l'Occident. Ils le firent alors bien sûr au nom de la religion. Car le clergé constitue un corps social distinct, avec ses motivations et ses intérêts propres. L'apparition d'idées laïques dans les couches éduquées était pour lui un défi. Le clergé craignait de voir à terme son autorité diminuer, de voir empiéter sur ses prérogatives traditionnelles. II n'aspirait pas à voir le pays s'engager sur la voie du progrès, au contraire.
Cette opposition réactionnaire différait-donc radicalement de celle de la couche sociale d'un genre nouveau qui apparaissait en Perse à cette époque : les intellectuels ouverts aux idées de nationalisme, de libéralisme, parfois même de démocratie et de socialisme, en tout cas imprégnés des idéaux de la Révolution française.
Pour ces adeptes de réformes modernes, les religieux apparaissaient pour ce qu'ils étaient, obscurantistes, ennemis du progrès, et ils les fustigeaient.
Du moins jusque dans les années 1890. Car alors survint un événement qui eut d'importantes répercussions.
En 1891, le Shah concéda à des Anglais le monopole de l'achat et de la vente du tabac, alors que c'était une source importante de revenus locaux. Les chefs religieux se portèrent alors à la tête de toutes les forces d'opposition en déclenchant une campagne de boycottage du tabac qui eut un tel succès dans toute la population que le Shah dut renoncer à son projet.
L'affaire de la concession du tabac ouvrit l'ère des luttes d'inspiration nationaliste en Iran.
À cette occasion, l'élite cultivée constata que les leaders religieux avaient une capacité considérable de mobilisation des masses. Dès lors, ce fut, semble-t-il, une tactique consciente de sa part de garder pour soi ses opinions éclairées, son scepticisme religieux, voire un franc athéisme, tout en manifestant dans les interventions publiques le soin de ne pas déplaire aux ulémas et de se référer elle aussi à l'Islam pour légitimer ses critiques du régime.
La bourgeoisie persane n'était pas une bourgeoisie puissante et conquérante. Ses idéologues n'étaient pas non plus des novateurs hardis, capables de heurter de front l'obscurantisme religieux au nom d'idéaux de progrès. Au contraire, ils capitulèrent dès le début devant la religion et ses défenseurs.
La tentative de « Révolution constitutionnelle » (1906-1911)
L’alliance entre religieux et intellectuels opposés au Shah se concrétisa lors du soulèvement nationaliste de 1906-1911, qui reste connu sous le nom de Révolution constitutionnelle.
La défaite de la Russie devant le Japon suivie de la Révolution russe de 1905 eurent, entre autres conséquences, pour effet d’interrompre le commerce dans le nord de la Perse, d’où une hausse brutale des prix dans les grandes villes. Le gouvernement s’en prit aux marchands comme bouc-émissaires.
Dans un climat général de mécontentement, cela mit le feu aux poudres en Iran. À partir de décembre 1905, l’agitation alla en s’amplifiant, pour atteindre son sommet en août 1906. La foule se trouva confrontée à la Brigade Cosaque qui tira dans le tas. Une grands partie des notables religieux décidèrent alors d’entrer en dissidence. De leur côté, plusieurs milliers de marchands, de membres des guildes d’artisans et de mollahs, occupèrent les jardins de la Légation de Grande-Bretagne.
Pendant trois semaines, toute l’activité économique de la capitale se trouva suspendue, tandis qu’un flot de télégrammes de soutien arrivait de province. Le Shah finalement capitula et accepta le principe d’une constitution.
Celle-ci créa un Parlement qui limitait étroitement les pouvoirs du monarque, tout en accordant aux supérieurs du clergé chiite le droit de s’assurer, en dernière instance, que les lois adoptées étaient bien conformes à la loi religieuse.
De toute façon, l’épisode de la Révolution constitutionnelle n’alla pas loin, car les grandes puissances veillaient au grain. En 1907, l’Angleterre et la Russie se partagèrent la Perse, à chacune sa zone.
En juin 1908, la Brigade Cosaque commandée par un colonel russe bombarda le Parlement.
Ce n’en était pas tout à fait fini du mouvement, pourtant. Tabriz, capitale de l’Azerbaïdjan, région située au nord du pays, à proximité de la Russie, se souleva. Le Conseil Révolutionnaire de Tabriz regroupait les couches inférieures de la petite-bourgeoisie, plus radicales que les gros marchands. Un Parti Social-Démocrate y avait même été fondé en 1904, inspiré du Parti Social-Démocrate russe, parmi les travailleurs émigrés de Perse dans les champs pétrolifères de Bakou. Les constitutionnalistes de Tabriz soutinrent un siège de dix mois, avec une population réduite à la famine.
Mais en fin de compte, en 1911, l’armée du tsar bombarda Tabriz et lança un ultimatum à Téhéran, avec l’accord secret des Anglais. Le gouvernement s’inclina en décembre 1911, le Parlement fut renvoyé et le Shah rétabli dans son autorité.
L’instauration de la dictature des Pahlavi (1921-1941)
Pendant la Première Guerre mondiale, la Perse, pratiquement occupée par les Russes et les Anglais et attaquée par les Turcs, alliés des Allemands, fut un champ de bataille pour les belligérants.
Avec le renversement du Tsar au printemps 1917, les troupes russes présentes à Tabriz depuis 1909 commencèrent à se désagréger : soldats russes et démocrates iraniens dansèrent, paraît-il, ensemble dans les rues de la ville.
Et en janvier 1918, Trotsky annonça, au nom des Bolchéviks, qu’ils renonçaient aux vieux traités conclus au temps des tsars, annulaient toutes les dettes russes de la Perse, puis retiraient les troupes. Cette politique fut célébrée par des manifestations de masses enthousiastes à Tabriz et à Téhéran.
Cependant, les mouvements de dissidence régionaux se multipliaient dans le Kurdistan, mais aussi en Azerbaïdjan, et surtout au Gilan, province voisine bordant la mer Caspienne.
Dans les forêts du Gilan existait une guérilla animée par des radicaux du mouvement constitutionnaliste, surtout des petits fermiers et des religieux, et dont le leader se nommait Kuchik Khan. C’était un mollah prêchant un populisme à base islamique. Un certain Rouhollah Khomeiny, alors jeune apprenti curé, voyait, paraît-il, avec intérêt les idées de Kuchik Khan... Mais il y avait aussi dans le Gilan des militants communistes, liés aux bolchéviks.
Lorsque, en mai 1920, les péripéties de la guerre civile russe amenèrent l’Armée Rouge dans la région, les forces coalisées de Kuchik Khan et des communistes proclamèrent la République du Gilan. Le Parti Communiste de Perse, fondé peu après, envoya 192 représentants au Congrès des Peuples d’Orient, à Bakou, en septembre 1920.
Cette république vécut seize mois. L’insurrection ne put s’étendre, et la République ne tint que tant que l’Armée Rouge fut présente.
C’est alors que Reza Khan, un colonel de la Division Cosaque (laquelle était désormais payée par les Anglais), s’empara du pouvoir à Téhéran, le 21 février 1921.
Pour l’Angleterre, il était urgent maintenant d’établir en Perse un pouvoir d’État central fort, pour préserver le pays de la contagion de la Révolution bolchévique. Sans compter qu’il y avait le pétrole qui était devenu important avec la guerre, au point que l’État anglais avait pris la majorité des parts dans la Compagnie pétrolière anglo-persane.
Reza Khan devint commandant de l’armée et ministre de la Guerre. Il commença par abattre la République du Gilan. En 1923, il devint Premier ministre. En octobre 1925, le Shah fut déposé et l’ancienne dynastie abolie.
L’ambition de Reza Khan était de bâtir en Perse un État moderne, s’inspirant de celui que Mustapha Kémal instaurait en Turquie. C’était une ambition dans laquelle la plupart des nationalistes ci-devant démocrates pouvaient en grande partie se retrouver, même si Reza Khan avait la poigne de fer d’un dictateur militaire. Les nantis de Perse avaient aussi besoin d’un sauveur pour ramener l’ordre, l’unité du pays et la sécurité du commerce.
Reza Khan envisageait, dit-on, de faire de la Perse une République comme la Turquie. C’est devant la réaction d’hostilité catégorique du clergé chiite qu’il y renonça - peut-être sans trop de peine tout de même, puisqu’il se fit couronner lui-même Shah quelques mois plus tard, fondant la nouvelle dynastie des Pahlavi.
Reza Shah bâtit une armée de type moderne. Il y eut désormais des garnisons dans les coins les plus reculés du pays. Et cette armée lui permit d’abord de se servir : au nom de la famille Pahlavi, il s’empara de terres représentant plus de deux mille villages. Comme les féodaux, il voyait le pays comme un fief à exploiter.
Il réalisa une certaine unification du pays sous la botte militaire. Les chefs de tribus durent résider à Téhéran ; les nomades furent contraints à se sédentariser, dans des conditions misérables, et les révoltes furent écrasées par des méthodes de terreur expéditives. C’est alors que les territoires arabes du sud pétrolier, restés jusque là pratiquement autonomes sous la surveillance des Anglais, furent intégrés brutalement sous le contrôle central.
Ce qui ne donna évidemment pas pour autant à l’Iran le contrôle de son pétrole, sa ressource essentielle, entièrement aux mains de la Compagnie anglo-iranienne (l’AIOC), c’est-à-dire de l’Angleterre.
La modernisation du pays n’alla pas loin. Cependant, elle laissa des traces particulières dans la société iranienne.
L’extension de l’autorité de l’État se fit notamment aux dépens de l’hégémonie cléricale traditionnelle. Même si Reza Shah ne fit pas de la Perse un État laïc comme la Turquie d’Atatürk qu’il admirait tant, sa lutte brutale contre les mollahs fut une des caractéristiques de son règne. Le plus célèbre des ayatollahs du moment fut envoyé en exil ; un certain nombre de religieux disparurent dans des conditions mystérieuses, tandis que les sbires du Shah coupaient la barbe ou faisaient un mauvais sort à ceux qui leur tombaient sous la main. La population dans l’ensemble ne bougea pas pour défendre le clergé. L’intelligentsia, elle, lui était hostile. Si bien que les commentateurs de l’époque considérèrent que le dictateur avait mis fin à sa toute-puissance.
En revanche, le Shah entreprit de ranimer tout ce qui pouvait rappeler la Perse antique, celle d’avant l’Islam. Il mena une campagne de « persianisation » - prétendant notamment purger la langue persane de ses mots d’origine arabe ou turque - qui contribua à développer un chauvinisme persan au détriment des autres minorités nationales du pays. C’est ainsi qu’il fit de la Perse l’Iran, en 1934, le mot Iran étant censé signifier que ce pays était le berceau de la race aryenne. Comme le nom de Pahlavi donné à sa dynastie, il était destiné à rappeler un lointain passé qu’on dépeignait comme glorieux.
Parallèlement, cependant, en voulant séculariser la société par la force, Reza Shah souleva bien des rancœurs - comme par exemple, quand il voulut imposer à tous le port du vêtement de style européen, ou quand, au nom prétendument de l’émancipation des femmes, le port du voile fut interdit de manière autoritaire. Et comme en même temps le fossé entre les classes privilégiées et les masses pauvres s’approfondissait encore, et les inégalités s’aggravaient pour une partie des masses populaires, la lutte contre la religion et le clergé pouvait être assimilée non pas à leur libération, mais à l’offensive des nantis et de l’impérialisme étranger contre elles-mêmes.3
La naissance d'un mouvement ouvrier
L’étau de la dictature ne fut desserré que lors de la Seconde Guerre mondiale, car les dirigeants impérialistes changèrent alors d’attitude. Reza Pahlavi devenait gênant avec sa sympathie pour le régime nazi, et par ailleurs les alliés anglais et russes avaient grand besoin du pétrole iranien. Le Shah fut renversé et envoyé en exil. Le pays, bien que neutre jusque là dans le conflit, fut entièrement occupé par les troupes alliées britanniques et soviétiques, sous l’œil bienveillant de Roosevelt. Les dirigeants américains attendaient leur heure, qui n’allait pas tarder à venir.
Après avoir déposé le père, les Occidentaux mirent sur le trône le jeune fils du Shah, Mohammed Reza, qui promettait d’être aussi dévoué à leurs intérêts.
Durant ces années d’occupation, des groupes nationalistes et socialistes se développèrent et le mouvement ouvrier connut un nouvel essor. C’est dans ce contexte que fut créé, en 1941, un nouveau parti se disant communiste, le Toudeh -ce qui signifie parti des masses. Le Toudeh se constitua à la faveur de la présence militaire soviétique et s’implanta rapidement dans les provinces du nord, dans la zone d’occupation de l’armée soviétique.
Il se développa aussi dans le centre du pays, à Ispahan, alors centre de l’industrie textile puis, après la fin de la guerre, dans le sud, parmi les travailleurs de l’industrie pétrolière.
Loin d’être un parti prolétarien, le Toudeh n’a jamais envisagé la contestation de la propriété privée, ses mots d’ordres se limitant à « indépendance, liberté et progrès ». Il prônait dès ses origines la démocratie dans le respect de la monarchie parlementaire, ne s’opposant ni à l’impérialisme, ni à la religion.
Pourtant, ce parti stalinien tissa des liens avec la classe ouvrière. Ses militants œuvrèrent à la constitution de syndicats qui connurent un développement important dans ces années 40.
En 1946 dans le Khouzistan, les revendications ouvrières s’exprimèrent lors d’une grande grève des travailleurs du pétrole.4
Le combat contre les compagnies pétrolières sous la direction des nationalistes (1951-1953)
Mais c’était désormais le mouvement nationaliste qui commençait à tenir le devant de la scène.
Son leader le plus prestigieux et le plus populaire était Mohammed Mossadegh. C’était un fils de princesse, grand propriétaire terrien. Partisan d’un régime libéral, se référant à la Constitution de 1906, il avait fait de la prison sous Reza Shah. Mais c’était avant tout un nationaliste, ardent opposant à l’accord pétrolier avec l’URSS, et désormais le champion de la lutte contre la toute-puissance de la compagnie pétrolière britannique.
Il regroupa derrière sa personnalité à la fois des politiciens hostiles au Shah, les marchands du Bazaar, et la petite-bourgeoisie de type moderne, éduquée à l’occidentale. Cette coalition prit le nom de « Front National ». Elle trouva un écho dans les masses urbaines pauvres, et l’appui du clergé, dans un premier temps.
En mars 1951, le Parlement, à l’initiative de Mossadegh, adopta une recommandation réclamant la nationalisation du pétrole. En avril, les ouvriers du Khouzestan firent une nouvelle grève générale ; des grèves-de solidarité et des manifestations de rues eurent lieu à Téhéran et dans plusieurs grandes villes.
Le Shah appela Mossadegh comme Premier ministre, le 29 avril, et la crise se concentra sur la question du pétrole.
Le 30 avril, sa nationalisation fut votée à l’unanimité, et la Compagnie Nationale Iranienne des Pétroles fut créée.
Mossadegh déchaîna l’enthousiasme. Pour les masses, la nationalisation représentait une victoire sans précédent, une revanche sur des décennies d’humiliation nationale. La population clamait : « Le pétrole, c’est notre sang ». Mossadegh fut considéré comme un héros : il osait défier cet État dans l’État qu’était l’Anglo-Iranian, avec ses jardins, ses piscines, ses logements, ses restaurants, etc., réservés à l’usage exclusif des Anglais. Certains bâtiments affichaient même, paraît-il : « Interdit aux chiens et aux Iraniens ».
L’Anglo-Iranian reversait alors au gouvernement de Téhéran moins de la moitié de ce qu’elle payait en impôts au gouvernement de Londres. Son bénéfice net pour la seule année 1950 avait été supérieur à l’ensemble des royalties touchées par l’Iran en cinquante ans d’exploitation.
La Compagnie, c’est-à-dire le gouvernement anglais derrière elle, n’était pas disposée à renoncer à une telle manne et elle riposta à la nationalisation par un refus catégorique de tout compromis, la fermeture de la raffinerie d’Abadan, le départ des techniciens, et surtout par son veto contre toute tentative de l’Iran de commercialiser sa production de pétrole. Avec un temps de retard, les compagnies pétrolières américaines se déclarèrent solidaires, et aucun autre pays ne voulut les affronter.
C’était le blocus.
Alors, des émeutes secouèrent les grandes villes. En juillet 1952, une crise éclata avec le Shah lorsque Mossadegh prétendit vouloir contrôler lui-même l’armée. Mossadegh reçut alors le soutien massif de la population de Téhéran qui s’insurgea, affronta l’armée et ses tanks pendant cinq journées, et finit par devenir quasiment maîtresse de la ville, bien qu’il y eût des centaines de victimes.
Jusque là, le Toudeh n’avait guère soutenu Mossadegh. Un de ses principaux slogans était : « Les grands nous volent et Mossadegh n’est qu’un bourgeois » . Il le présentait comme un agent de l’impérialisme américain.
Mais il fit alors un revirement. Pendant cette crise de l’été 1952, le Toudeh et le Front National appelèrent ensemble à une grève générale en vue de faire plier le Shah, qui céda.
Mossadegh apparaissait comme plébiscité. Mais c’est alors que devant la mobilisation populaire et l’appui du Toudeh, les Américains décidèrent de l’évincer du pouvoir.
Parallèlement, les religieux lui retirèrent leur soutien. Ils repassaient dans le camp de la monarchie : la situation devenait trop dangereuse à leurs yeux, car le Toudeh retrouvait de l’influence dans les masses. Ainsi, en juillet 1953, il fut capable de mobiliser dix fois plus de monde que le Front National. Mossadegh fut finalement renversé le 19 août 1953 par un coup d’État fomenté nominalement par le général Zahedi, en fait organisé et financé par un général de la CIA, l’ambassadeur américain et l’entourage du Shah.
On fit largement appel aux voyous des bas-fonds de Téhéran pour donner une apparence de soutien populaire au Shah, rétabli sur son trône menacé, par les bons offices des agents de l’impérialisme.
Au cours des journées où l’affaire se joua, bien que sachant que le coup se préparait, Mossadegh avait refusé d’accepter le soutien du Toudeh. Il avait fait réprimer ses manifestations de rue. Pour l’organe de presse du Front National qui parut le matin même du coup, le danger communiste était le plus menaçant et il fallait l’écarter en priorité.
Les militants communistes, de leur côté, attendirent les consignes du Parti pour bouger et les consignes ne vinrent pas. Le Toudeh avait au sein de l’armée une organisation de près de six cents membres dans le corps des officiers et sous-officiers. Eux aussi attendirent des ordres qui ne vinrent pas.
« Retour à la normale en Iran » , titrèrent les journaux anglais. Le Front National fut interdit, Mossadegh jugé et emprisonné, un de ses ministres fut exécuté. Mais la répression fut particulièrement impitoyable envers les communistes. Il y eut des milliers d’arrestations, des centaines de condamnations, des centaines d’exécutions. L’infrastructure clandestine du Toudeh fut largement démantelée et pas seulement dans l’armée.
La dictature du Shah au service de l’impérialisme
La monarchie militaire allait fonctionner pour le compte lié de l’impérialisme américain et du despote Pahlavi.
D’emblée, elle mit sur pied un instrument de répression durable, avec l’aide de la CIA : la police politique, la Savak, armature même de l’État. Son nom finit par suffire à inspirer la terreur ; au bout de quelques années, elle se mit à pratiquer systématiquement la torture.
Le Shah mit beaucoup de soin à empêcher l’apparition de rivaux possibles. Les généraux eux-mêmes ne pouvaient se rencontrer, ou venir à Téhéran s’ils n’y étaient pas en poste, sans son autorisation personnelle expresse !
Et l’impérialisme américain fut bien servi. Son premier soin avait été de mettre la main sur le pétrole. En 1954, un consortium de compagnies pétrolières fut mis sur pied, dont des compagnies américaines prenaient 40 %. Nelson Rockefeller put affirmer à Eisenhower en 1962 : « Nous avons pu nous assurer le contrôle total du pétrole iranien... A l’heure actuelle, le Shah ne saurait entreprendre le moindre changement dans la composition de son gouvernement sans consulter notre ambassadeur accrédité auprès de lui » .
Au début des années soixante, sous la pression de l’administration Kennedy, le Shah annonça quelques mesures de libéralisation et quelques réformes, englobées pompeusement sous le nom de « Révolution blanche », qui comportaient des mesures pour les campagnes.
Celles-ci végétaient à un stade quasi-féodal. Une grande partie des paysans étaient des métayers, cultivant surtout pour le tribut à payer en nature aux propriétaires ; tandis qu’une moitié ou presque de la population rurale était sans terres et sans droits.
Les réformes visèrent à moderniser ce système archaïque, à le moderniser dans le sens qu’elles aboutirent à introduire de nouveaux rapports, de type capitaliste, basés sur la commercialisation de la production agricole, à étendre le règne de l’argent à la campagne.
Il ne s’agissait pas de réduire les propriétaires à la misère ! Ils eurent mille moyens de tourner les nouvelles lois. De toute façon, ils récupéraient en argent ce qu’ils perdaient en droits féodaux sur la terre, et la politique du Shah ouvrit de larges possibilités de reconversion pour leur fortune devenue capital. Le bouquet, ce fut en 1968 : une loi supplémentaire permit d’expulser des paysans pour créer de grandes exploitations de type industriel, bénéficiant évidemment des meilleures terres et de l’aide de l’État.
Ces fermes de type capitaliste reçurent, entre autres privilèges, le monopole de la culture la plus profitable : celle du pavot, d’où on extrait l’opium, ré-autorisée justement à ce moment-là, en 1969, après treize ou quatorze ans d’interdiction.
Bien des paysans qui avaient tout de même pu racheter quelques terres quelques années auparavant se retrouvèrent alors expulsés... Ceux qui se trouvaient sur les terres les plus ingrates, qui n’intéressaient pas les capitalistes, n’étaient guère mieux lotis, le régime leur refusant les crédits ou le fuel à bon marché, et même, dans ces zones officiellement qualifiées de « marginales », les routes, l’électricité, les écoles ou les dispensaires.
À la fin des années soixante, il y avait bien eu en effet des changements dans les zones rurales. Une grande partie de la paysannerie avait été déracinée. Si bien que le pays cessa alors de couvrir ses besoins alimentaires et devint le premier client des multinationales de l’agrobusiness pour le Proche-Orient.
L’impérialisme trouva une autre grande source de profits, indirecte, avec la mise sur pieds de l’armée du Shah. Officiellement, cette armée était nécessaire pour protéger le monde dit libre contre l’URSS. En fait, comme l’écrivit un célèbre journaliste américain, Walter Lipmann, « (..) la raison majeure de notre soutien de l’Iran n’est pas son importance stratégique lors d’une guerre mondiale éventuelle, son seul but est de maintenir le gouvernement du Shah qui nous est favorable » .
Et en effet, cette armée ne fut jamais employée que contre les Kurdes, contre divers groupes de nomades, contre les émeutes dans les villes et les étudiants - ou comme gendarme de la région, face aux peuples des États arabes.
Ce rôle de gendarme, les puissances impérialistes ne tenaient plus en effet alors à l’assumer elles-mêmes directement. Lorsque la Grande-Bretagne se décida à retirer ses forces du Golfe arabo-persique, au début des années soixante-dix, le Shah prit le relais. À titre de démonstration, il envoya ainsi en 1973 un corps expéditionnaire au secours du sultan d’Oman menacé par une guérilla dans une de ses provinces.
Les trusts américains fournirent des armes à qui pouvait payer. Et le Shah pouvait payer : en 1973, les prix du pétrole brut furent multipliés par quatre, et les revenus de l’État iranien passèrent des trente-quatre millions de dollars de 1953 à cinq milliards de dollars.
Ce fut l’un des plus grands booms de la vente d’armes de l’histoire. Le Shah d’Iran devint le plus grand client de l’industrie militaire américaine. Commentaire du New York Times, en 1973, à la suite d’une commande de deux milliards de dollars à l’industrie aéronautique : « (..) cette affaire est hautement profitable aux États-Unis, car elle va permettre aux fabricants d’armes de se tirer de la dépression post-vietnamienne, et elle va aider à combler le déficit de la balance des paiements » .
Des contradictions sociales explosives
Le boom du prix du pétrole eut bien sûr des retombées en Iran. La population n’eut droit qu’à voir passer la richesse, mais les riches, eux, s’enrichirent plus que jamais. Autour de l’État et de la Cour, des sommets de l’armée bien placés auprès des multinationales, de la haute administration censée répartir la manne et complètement corrompue, se développa encore plus qu’avant toute une clientèle, une couche de parasites, avides des fameux « pétro-dollars ».
La famille du Shah donnait l’exemple : elle amassa une fortune qui n’a pas été vraiment chiffrée. Lorsque le Shah fut chassé, en 1979, on a parlé de vingt milliards de dollars... Une notable partie des revenus du pétrole, par exemple, avait ainsi disparu des comptes de la Trésorerie de l’État pour prendre secrètement le chemin des banques occidentales.
Par la même occasion, ce fut une époque bénie pour les industriels des pays occidentaux. Un de ces personnages avait déjà dit au journal Le Monde, quelques années avant : « Ici, il n’y a pratiquement pas de limites aux profits ». L’Iran devint un Eldorado pour hommes d’affaires. Ils se bousculèrent dans les salles d’attente des ministres.
Les grands de ce monde n’avaient rien à redire au régime du Shah. Les dirigeants russes ne faisaient pas la fine bouche : on échangeait des visites. De même ceux de la Chine, dès lors que le Shah eût reconnu leur gouvernement. En Occident, aux États-Unis en particulier, le Shah était alors présenté comme un grand modernisateur dont les seuls problèmes venaient de ce qu’il gouvernait un pays arriéré.
Mais qu’importait, à ceux qui en profitaient, que, devant les commandes massives, l’infrastructure du pays ne suivît pas, que les entrepôts fussent saturés aux frontières et que les marchandises pourrissent, faute de camions ou de chauffeurs pour les conduire, que des matériels soient abandonnés dans le sable au bord de routes d’ailleurs insuffisantes. Et qu’importaient aux Grands de ce monde en fin de compte les horreurs et les massacres perpétrés par la Savak. Ce n’était pas leur problème.
La capitale, Téhéran, présentait pourtant un concentré des contradictions sociales en train de devenir explosives. Il y avait en fait deux Téhéran juxtaposés, deux planètes.
Au nord, à l’ombre d’un pouvoir mégalomane qui cultivait la nostalgie impériale et imposait le culte du Shah, des palais, des villas somptueuses, des voitures et des vêtements de luxe. On se transportait pour une réception de Noël à Nice, ou pour un déjeuner à Munich ; les princesses faisaient venir d’Europe l’eau pour leurs chiens. Le bon ton voulait qu’on exhibât sa richesse et qu’on rivalisât avec ostentation dans l’imitation du mode de vie et des mœurs de la grande bourgeoisie occidentale.
Mais tous ces riches et ces récents enrichis dansaient sur un volcan. Depuis les années cinquante, la population totale de l’Iran s’était multipliée par deux, dont la moitié désormais dans les villes. Téhéran, avec quelque chose comme cinq ou sept millions d’habitants, avait pratiquement quintuplé sa population en vingt ans. Les paysans chassés des campagnes par la misère, l’endettement ou l’absence de tout travail, y avaient massivement afflué. Et le sud, c’était d’abord des zones de logements-taudis pour les plus favorisés, si on ose dire, les ouvriers ayant un emploi relativement stable, même misérablement payé, et puis des zones entières de bidonvilles proliférant jusque sur le désert, sans eau, sans électricité, où survivait dans l’espoir d’un emploi occasionnel une population déracinée, qui avait quitté des villages en retard de plusieurs siècles pour rejoindre le 20e siècle.
Le 20e siècle, en effet, car tel est le visage qu’il offre aux masses de plus en plus considérables des agglomérations du Tiers Monde, celui du dénuement le plus total.
De ce que les dirigeants appelaient la modernisation de l’Iran, les masses populaires ne pouvaient voir que le mépris et l’arrogance des privilégiés, quand ce n’était pas la brutalité et la contrainte. L’Occident et le Shah se retrouvèrent associés dans la même haine. Ainsi que, du même coup, tout ce qui se réclamait du modernisme, puisque c’était les exploiteurs, les profiteurs et plus généralement les privilégiés, qui se faisaient les porteurs des idées irreligieuses et des mœurs nouvelles...5
L’opposition à la dictature
Les contradictions sociales étaient tellement importantes, que malgré le poids de la répression, la contestation qui débuta dans les années 60 se développa plus encore dans les années 70.
Dans ces années 70, et particulièrement dans les dernières années de règne du Shah, l’Iran était la principale puissance militaire de la région du Golfe, et l’armée le pilier du régime.
Accédant aux technologies modernes et dirigé par un roi qui voulait ressembler aux puissants du monde capitaliste, l’Iran pouvait passer pour un pays moderne, au contraire des monarchies arabes voisines qui vivaient encore au Moyen-âge, à condition de ne regarder qu’en direction des milieux bourgeois et petits bourgeois.
Pour les puissances impérialistes, le régime du Shah, qui semblait alors indéboulonnable, était le solide bras armé dévoué à la défense de leurs intérêts dans la région, comme l’était pour d’autres raisons l’État d’Israël.
Il existait pourtant des forces d’opposition au Shah, même si elles étaient peu développées. Parmi celles-ci, c’est le parti communiste, le Toudeh qui était le plus important. Ses militants luttaient dans la clandestinité, et plusieurs de ses dirigeants furent condamnés à mort, en 1966.
D’autres organisations politiques combattaient aussi la dictature avec détermination.
C’est le cas de l’Organisation des Moudjahedines du Peuple créée en 1965. Recrutant des étudiants et des intellectuels de la petite bourgeoisie, elle se définissait comme nationaliste, démocratique et musulmane, l’aile religieuse de l’opposition. Au contraire, l’Organisation des Fedayins du peuple se réclamait clairement du marxisme-léninisme. Ces militants, Moudjahedines ou Fedayins du peuple, furent nombreux à laisser leur vie dans le combat contre la dictature.
Dans les années 70, ils menaient des actions de guérilla contre le régime. Par ce choix, ces militants étaient coupés des masses et ne pouvaient pas être très nombreux. Ce ne furent pas eux, mais les religieux chiites qui purent alors avoir une influence grandissante parmi les pauvres.
En effet, le clergé chiite fut la plus puissante des forces s’opposant à la dictature. Les mosquées étaient un refuge où des imams tenaient des prêches dénonciateurs du régime. D’autre part, les religieux avaient mis en place des formes d’aides sociales comme des soupes populaires pour les plus pauvres.
Les mollahs, hostiles à la monarchie qui limitait leurs prérogatives, et des membres du clergé, parfois ayatollahs, connurent aussi les geôles du Shah.
La répression massive des opposants, comme la condamnation à mort des dirigeants du Toudeh, rendait cette dictature de plus en plus critiquée de par le monde. D’une façon dérisoire et bien hypocrite, le président américain Carter engageait l’allié iranien à respecter les droits de l’homme. Or, la Savak n’avait jamais autant emprisonné et assassiné que dans ces années 70.
Pourtant, elle ne put empêcher le soulèvement populaire qui renversa le régime du Shah.
L’armée fut, elle aussi, en fin de compte impuissante devant le déferlement des masses, soulevées contre la dictature.
Une agitation débuta vers la fin de l’année 1977 dans les universités et parmi les travailleurs dont les grèves se multiplièrent.
La mobilisation qui surgit en 1978 toucha d’abord, durant quelques mois, les milieux de la petite bourgeoisie, étudiants, commerçants et religieux. La destruction d’hôtels de luxe destinés au Shah et à sa cour exprimait toute leur colère contre ce régime qui faisait tant de laissés pour compte.
Mais à partir de l’été 78, ce ne furent plus seulement les étudiants, commerçants, la petite bourgeoisie, ce furent les pauvres des villes et les travailleurs qui grossirent les manifestations et celles-ci devinrent de plus en plus fréquentes.
Des manifestants désarmés, hommes, femmes, jeunes et enfants, par centaines de milliers, venant des bidonvilles de Téhéran déferlaient vers le centre de la capitale, de plus en plus nombreux malgré les balles de l’armée.
Cela dura plusieurs mois car les manifestants étaient déterminés, et ils revenaient en vagues successives.
La répression, l’instauration de la loi martiale qui interdit toute manifestation en septembre 78, n’empêchèrent pas les manifestations de grossir. La mobilisation était impressionnante, et les tanks, les armes automatiques ne pouvaient plus arrêter le peuple soulevé. Le soulèvement connut son maximum au mois de décembre : chaque jour la répression armée faisait des morts, et chaque jour les manifestants revenaient malgré tout, encore plus nombreux.
La classe ouvrière ne resta pas à l’écart, même si elle ne s’impliqua massivement dans cette lutte contre le régime que vers la fin de l’année 78.
Pour l’essentiel, elle s’était constituée peu de temps auparavant à l’issue de l’exode rural provoqué par la réforme agraire du Shah dans les années 60-70. Ces travailleurs pauvres, souvent très jeunes, étaient à peine sortis de la paysannerie. Ils vivaient dans les bidonvilles de Téhéran ou d’Ispahan. La plupart d’entre eux étaient sans travail régulier et ne survivaient que grâce à l’économie informelle. Et quand ils accédaient à un emploi, ils étaient privés de syndicats ou de toute autre forme d’organisation dans laquelle ils auraient pu prendre conscience de leurs intérêts de classe.
Mais il y avait aussi des travailleurs plus qualifiés dans le pétrole, les transports ou l’électricité, et ce sont les travailleurs du pétrole qui se mirent en grève en novembre 78 et entraînèrent les autres. Peu après, la grève générale paralysait l’économie, et dans le sud du pays, lorsque les ouvriers de la raffinerie d’Abadan firent grève en novembre et décembre 78, tous les pétroliers furent bloqués dans le port.
C’est alors que le glas sonna pour le régime du Shah.
Les revendications ouvrières étaient politiques, contre le Shah et la dictature, mais les ouvriers participaient au soulèvement révolutionnaire sans avoir leur propre direction. D’eux-mêmes les travailleurs avaient mis en place des comités de grève dans l’industrie pétrolière où ils s’organisaient, créaient des liens entre eux, d’une entreprise à l’autre pour mener la lutte le plus efficacement possible. Mais cela ne fut pas suffisant, car les travailleurs qui lisaient les tracts des Moudjahedines ou du Toudeh, n’y trouvaient que des appels à l’unité contre la dictature, sans aucune critique de la hiérarchie religieuse.
Le clergé dans l’opposition au régime impérial avait dénoncé le luxe dans lequel celui-ci vivait, le gaspillage auquel il se livrait. Les religieux s’adressaient aux déshérités auxquels ils promettaient un avenir meilleur en se battant contre la monarchie au service des étrangers. Ces discours distillaient une propagande principalement moraliste et nationaliste.
Alors que la répression n’était plus en mesure d’arrêter les masses, de plus en plus nombreuses à manifester, le clergé déterminé à participer au renversement de la monarchie se mit à leur tête.
Les 10 et 11 décembre 1978, il y eut plus d’un million de manifestants dans la seule ville de Téhéran, mais toutes les organisations hostiles au Shah, dont les Moudjahedines et Fedayins, manifestaient derrière des portraits de l’ayatollah Khomeiny. Le renoncement de ces organisations, leur alignement derrière les religieux, contribuèrent à donner à ceux-ci une situation hégémonique.6
Le retour de Khomeiny en Iran : avec l’accord des chefs de l’armée
Khomeiny, en exil depuis 1964 et depuis peu en France, menait à distance une campagne de propagande et préparait son retour en Iran en recevant des dirigeants de l’opposition comme ceux du Front national qui cautionnaient ainsi l’autorité politique du chef religieux, au lieu de la lui disputer. L’État français laissait Khomeiny diriger son réseau religieux depuis sa résidence des Yvelines.
Les organisations de l’opposition apportèrent leur caution à l’ayatollah et des dirigeants d’organisations laïques, libérales vinrent négocier avec lui.
Toutes ces organisations dont le parti Toudeh, les Moudjahedines et Fedayins du peuple ont ainsi aidé les ayatollahs à s’emparer du pouvoir en se mettant à leur remorque quand la contestation allait croissante.
Il n’était pas écrit que le clergé parviendrait à contrôler l’énergie révolutionnaire du peuple iranien. Une organisation combattante comme celle des Moudjahedines aurait pu contester la direction du mouvement aux religieux, ou au moins tenter de le faire, avec ses limites évidemment. Elle n’en fit rien, ou du moins ne se décida à combattre politiquement le clergé, que des mois après qu’il ait été porté au pouvoir.
Le parti communiste Toudeh ne combattait pas, lui non plus pour le pouvoir. Il s’était placé depuis longtemps aux côtés de la hiérarchie chiite sans la contester. Il participa même à la supercherie mystique des mollahs qui faisaient croire à une apparition surnaturelle de Khomeiny. Voici ce qu’écrivait alors ce parti, « Nos masses laborieuses en lutte contre l’impérialisme conduit par les États-Unis ont vu le visage de leur bien-aimé imam et guide, Khomeiny, apparaître dans la lune ».
Sous la poussée de l’insurrection et de la mobilisation ouvrière, la dictature vacillait, et le Shah, pour tenter de sauver son régime, mit en place un nouveau gouvernement, avec Chapour Baktiar à sa tête. Mais il était trop tard. Et le dictateur jugea plus prudent de s’enfuir à l’étranger, d’autant que dans ce contexte les États-Unis cessèrent de le soutenir.
L’état-major de l’armée, conseillé par les puissances impérialistes, jugeait alors qu’il était prudent d’éviter tout vide institutionnel. Pour eux, Khomeiny constituait la solution de rechange permettant de sauvegarder l’appareil d’État. C’est donc soutenu par les grandes puissances et sans que l’état-major de l’armée impériale s’y oppose, qu’il put revenir d’exil en avion et arriver sans ennui en Iran où il reçut un accueil triomphal.
Février 1979 : l’insurrection de Téhéran
Le coup de boutoir final contre le régime impérial fut donné par l’insurrection du peuple de Téhéran début février. Elle se fit au nom de Khomeiny, mais pas à son initiative. Le peuple se souleva durant trois jours contre le gouvernement Baktiar et la dictature.
Alors que Khomeiny n’y était pas favorable, des insurgés purent s’armer avec la complicité de certains militaires, car cette fois l’armée impériale n’était plus en ordre de bataille pour réprimer.
À l’issue de ces journées, le 12 février 1979, la monarchie fut abolie.
Khomeiny put dès lors mettre en place un nouveau gouvernement avec le soutien des manifestants et d’une partie de l’armée à leurs côtés. Durant les mois qui suivirent, la lutte politique entre les prétendants au pouvoir permit au parti de Khomeiny d’en contrôler la totalité.
Le gouvernement, dirigé par Bazargan, un politicien libéral, mit tout en œuvre pour stopper l’élan révolutionnaire, et désarmer la population.
Le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des femmes, des milliers de femmes féministes de la petite bourgeoisie urbaine défilèrent à Téhéran pour faire entendre leurs revendications spécifiques. Les hommes du parti de la République islamique de Khomeiny tentèrent de les faire taire. Ce parti venait tout juste d’être créé, il n’était pas encore tout-puissant, mais ses milices commençaient à utiliser menaces et agressions pour se faire craindre.
Dans l’appareil d’État, une épuration massive eut lieu. Des têtes tombèrent parmi les hauts responsables de la monarchie déchue mais beaucoup d’entre eux s’étaient déjà enfuis à l’étranger. L’essentiel de l’état major de l’armée passa dans le camp du nouveau pouvoir, et quelques mois plus tard il ne fut plus question de demander des comptes aux assassins de l’ancien régime, qui étaient amnistiés.
Avec le clergé et Khomeiny, le pouvoir restait entre les mains de la bourgeoisie. D’ailleurs, les États-Unis comme l’Union soviétique reconnurent immédiatement le nouveau régime.
La terrifiante Savak, qui avait été chargée de défendre le pouvoir du roi, fut démantelée. Le régime islamique mit en place sa propre police politique, la Savama, qui recycla les méthodes de la Savak et même certains de ses hommes. Aujourd’hui appelée Vevak, la police politique du régime islamique n’est guère différente de l’ancienne Savak. Le nom a changé, une partie du personnel aussi, mais la fonction reste la même.
L’armée ex-impériale avait certes perdu un certain nombre d’officiers trop liés au Shah, qui avaient eux aussi préféré partir. Mais elle assurait la continuité de l’appareil d’État. Khomeiny était arrivé au pouvoir avec le feu vert de cette armée. Il ne pouvait cependant pas compter sur elle pour défendre sa clique religieuse dans la rivalité, réelle ou potentielle, entre les prétendants au pouvoir. Les Moudjahedines du peuple n’allaient pas tarder à rompre l’unité qui avait porté Khomeiny au pouvoir et ce dernier pouvait craindre que l’état-major opte pour un autre parti que le sien, voire qu’il s’empare lui-même du pouvoir.
Une armée parallèle fut donc créée en mai 1979, l’Armée des Gardiens de la révolution, chargée de défendre le pouvoir du parti de Khomeiny, le Hezbollah. L’Armée des Gardiens débuta avec 4 000 hommes, appelés pasdarans. C’est aujourd’hui une armée puissante, qui compte 125 000 pasdarans et dispose de corps de marine et d’aviation.
La naissance des mouvements religieux islamiques
Avec les événements de ces années 1978-79, le clergé a pu se hisser au pouvoir en se mettant à la tête des masses insurgées dans une situation révolutionnaire. C’était alors tout à fait nouveau, car précédemment dans les années 60-70, les guérillas, les mouvements insurgés contre l’impérialisme et ses dictatures, étaient généralement dirigés par des groupes de gauche, bien souvent maoïstes.
Les événements révolutionnaires en Iran ouvraient une nouvelle époque, celle des mouvements religieux islamistes. Car l’Iran a servi de modèle, et depuis 1979 d’autres mouvements de contestation se font sous la direction de partis islamistes, comme par exemple le Hamas ou le Hezbollah, en Palestine et au Liban.
Khomeiny établit sa dictature contre la population qui l’a porté au pouvoir
Le soulèvement révolutionnaire, un véritable soulèvement des masses populaires profondes, avait aussi secoué les campagnes. Dans plusieurs régions, des paysans pauvres, sans terre occupaient celles de grands propriétaires.
Ainsi les Kurdes, partisans de l’autonomie de leur région, s’étaient insurgés. Dès le mois de mai 79, les pasdarans furent envoyés pour les écraser tandis que l’armée classique bombardait leurs villes. Ce fut une véritable guerre civile.
La violence s’abattit aussi sur les Turkmènes près de la frontière nord du pays et sur les populations arabophones du Khouzistan.
Le nouveau pouvoir n’agissait pas autrement que le régime impérial, qui durant des décennies, avait violemment réprimé les aspirations des peuples de ce pays, où les Persans ne forment guère plus de la moitié de la population.
Peu après l’arrivée au pouvoir de Khomeiny, l’unité au sein du camp qui avait renversé la dynastie Pahlavi fit place à la lutte des factions. À plusieurs reprises durant l’année 79, les partis laïques et organisations de gauche s’opposèrent au parti islamiste de Khomeiny qui tentait de s’imposer comme parti unique.
En protestation, des manifestations organisées par le Front national démocratique d’Iran, un parti inspiré de l’ancien ministre Mossadegh et par les partis de gauche rassemblèrent des dizaines de milliers de personnes en juin et juillet 79.
Les Fedayins du peuple, très actifs pendant la révolution, obtinrent environ 10 % des voix lors des élections qui suivirent l’insurrection de février 1979. Comme le parti Toudeh, qui vota la Constitution de la République Islamique, les Fedayins apportèrent leur soutien au régime de Khomeyni durant ses premières années. Ils justifiaient ce choix en prétendant que, dans le cadre d’une révolution par étapes, il était nécessaire de soutenir la petite bourgeoisie nationale et démocratique dont le représentant était Khomeyni.
Seule une minorité des Fedayins fit scission en 1980 pour s’opposer au régime.
Le pouvoir des mollahs se consolidait en éliminant ses contradicteurs et en s’appuyant sur une démagogie nationalistes et populiste sous l’emblème de la religion.
Une démagogie populiste car, le nouveau pouvoir affichait un discours destiné aux « déshérités » comme il disait, pour leur faire croire qu’il allait répondre à leurs aspirations.
Dans le même temps, il s’attelait à limiter les libertés pour les travailleurs alors que des comités ouvriers, des organisations syndicales avaient surgi à la faveur de l’élan révolutionnaire. Le droit de grève fut rapidement interdit, les leaders syndicaux furent arrêtés et la liberté de la presse supprimée.
Et le nouveau régime s’appuyait en même temps sur les sentiments nationalistes et anti-américains.
Bazargan, alors chef du gouvernement, était plutôt favorable à des relations économiques et politiques avec les pays étrangers, même les États-Unis. Eh bien, trop libéral et trop pro-occidental pour le parti de Khomeiny, il n’allait pas tarder à tomber !
L’impérialisme avait mis l’Iran à sa botte avec la dictature du Shah, le régime de Khomeyni montrait au contraire qu’il voulait avoir une plus grande marge de manœuvre vis-à-vis des Américains.
L’affaire de l’ambassade américaine : union sacrée autour de Khomeiny
Le coup de force des étudiants du Parti de la République islamique contre l’ambassade des États-Unis, le 4 novembre 1979 était destiné à en finir symboliquement avec une politique qui avait été celle du régime impérial. Les otages de l’ambassade américaine ne furent libérés que plus de 444 jours plus tard.
Cette prise d’otages était une simple et spectaculaire opération de propagande qui affichait la volonté de se débarrasser de l’emprise trop forte des États-Unis sur l’État iranien. Le parti de Khomeiny en fut renforcé, et le gouvernement Bazargan démissionna.
Le nationalisme du nouveau régime s’exprima également, bien que moins brutalement, vis-à-vis de l’Union soviétique par la dénonciation du traité irano-soviétique datant de 1921.
Pour consolider son pouvoir il restait à Khomeiny à s’imposer partout dans le pays, en particulier dans la région d’Azerbaïdjan où un ayatollah influent devint le leader d’une révolte contre le pouvoir dans la ville de Tabriz. La répression s’abattit sur le mouvement pour le réduire à néant.
En janvier 1980, lors des premières élections présidentielles de la République islamique, c’est un proche de Khomeiny, nommé Banisadr, qui fut élu. Il était l’un des rédacteurs de la Constitution qui donna tout le pouvoir politique à l’ayatollah désigné comme guide suprême, et qui affichait aussi le nationalisme du régime en interdisant par exemple de céder les secteurs gazier et pétrolier à des compagnies étrangères.
Des manifestations anti-américaines furent organisées dans plusieurs villes et la rupture des relations diplomatiques avec les États-Unis eut lieu en avril 1980.
Le clergé chiite et Khomeiny utilisant la religion pour tromper les masses avaient réussi à mettre en place un régime avec une base populaire. Il donnait l’illusion d’être au service des pauvres en prenant le contre-pied de ce qu’avait été la monarchie et en dénonçant l’impérialisme américain.
D’autre part, un autre facteur joua en faveur du régime.
La vague des nationalisations
Avec la chute de la monarchie, les hommes proches du Shah, bourgeois affairistes, responsables de l’administration ou de l’état-major, avaient été nombreux à fuir le pays. Cela s’ajoutait à l’épuration qui eut lieu parmi les dirigeants et les cadres précédemment en place et l’économie en fut dans un premier temps paralysée. Mais les nombreux postes devenus vacants permirent une ascension sociale certaine à toute une catégorie de subalternes, qui en furent reconnaissants au régime.
Pour gérer les biens expropriés des ex-dignitaires de la monarchie, des fondations furent créées. Il s’agissait en quelque sorte de nationaliser les fortunes des hommes de l’ancien régime. La plus importante d’entre elles, la « Fondation des déshérités » commença par gérer les biens de la famille Pahlavi, avec un rôle principalement caritatif. Les fondations, sous le contrôle du clergé, devinrent par la suite de véritables conglomérats à capitaux publics, ayant de multiples activités.
Le régime prétendait construire une économie indépendante et puissante.
Les entreprises dont les propriétaires avaient disparu furent confisquées. D’autres furent nationalisées : les banques, les caisses de retraite, des entreprises industrielles. Finalement, la part de l’État dans l’industrie passa de 39 à 70 % du capital. Seuls les secteurs de l’artisanat et du petit commerce n’ont pas été concernés par ces nationalisations.
Malgré son poids, la bourgeoisie bazari, traditionnellement hostile à l’État-patron, n’avait pu empêcher les nationalisations car celles-ci s’étaient imposées comme une nécessité pour faire repartir l’économie. Le commerce extérieur ne fut pas immédiatement mis sous le contrôle de l’État et la bourgeoisie commerçante put largement profiter des besoins du pays dans le domaine des échanges et de l’importation. D’autant que ces besoins étaient importants pour atteindre les objectifs affichés, tels que l’autosuffisance dans le domaine agricole, et en particulier de ne plus avoir à importer de blé, objectif qui ne fut pas atteint avant 2007.
Les puissances occidentales avaient perdu un pays ami, elles ne purent supporter plus longtemps ce régime anti-américain, imprévisible et capable de leur tenir tête, en raison de sa base populaire.
Les Occidentaux espéraient se débarrasser de Khomeiny grâce à Saddam Hussein.
Il s’agissait pour les puissances impérialistes d’utiliser l’État irakien, laïque et dirigé par des musulmans sunnites, pour mener la guerre à l’Iran et faire tomber le régime chiite iranien.
La guerre contre l’Irak et la stabilisation de la dictature
Le 22 septembre 1980, l’Irak, hostile au nouveau régime et désireux de se poser en relais du Shah comme gendarme de la région, attaqua l’Iran. Un mois plus tard, l’armée irakienne s’était emparée du port pétrolier de Khorramshar.7
Le conflit dura huit ans, jusqu’en 1988. Il permit au régime islamique d’invoquer l’unité nationale pour résister à l’invasion, d’éliminer au passage les opposants, et de se consolider. Le Hezbollah se renforça comme parti unique en bâillonnant et en pourchassant toute l’opposition. C’est de cette époque que date l’interdiction des partis. Ceux qui sont considérés comme des ennemis de dieu sont condamnés à mort. Ils peuvent être communistes, mais d’autres, par exemple les adeptes de la religion Bahaï, un schisme de l’islam chiite, sont aussi traités de cette façon.
À la faveur du conflit, un véritable apartheid institutionnel fut imposé aux femmes qui eurent l’obligation de porter le voile à l’extérieur du domicile et sur les lieux de travail. Une grande partie des femmes de la petite bourgeoisie urbaine, d’employées, perdirent leur emploi. Elles étaient déjà peu nombreuses à avoir un travail rémunéré à l’époque de la monarchie et cela s’aggrava dans les premières années du nouveau régime. C’était une véritable régression pour les femmes de ces milieux. La loi islamique, la charia, fut aussi imposée et l’éducation des enfants fut strictement encadrée par les religieux.
Les partis politiques devaient s’aligner, reconnaître la Constitution de la République islamique et la suprématie du chef religieux à la tête de l’État.
L’invasion armée suscita une vive réaction patriotique des Iraniens. Khomeiny et les mollahs bénéficièrent donc de l’invasion irakienne pour rassembler la population derrière eux. Durant les deux premières années, il y avait une quasi unanimité pour suivre l’appel de Khomeiny à la « défense de la patrie ».
La réaction de l'opposition
L’opposition tenta pourtant de relever la tête ; il y eut des sursauts de résistance et des manifestations en 1980 et 1981.
À l’Université, le parti de Khomeiny, le Hezbollah, cherchait à expulser toutes les formations politiques qui ne le suivaient pas et il y eut de violents affrontements. Finalement, l’Université fut fermée pour deux ans par le gouvernement.
En juin 1981, après la répression brutale d’un rassemblement organisé à Téhéran par les Moudjahedines du peuple, ceux-ci entrèrent en résistance par une lutte armée et des actions spectaculaires. Par exemple, ils firent sauter le siège du Parti de la République islamique, tuant plusieurs dizaines de membres éminents du régime. Le pouvoir accrut encore la répression contre tous ceux qui étaient suspectés de liens avec les Moudjahedines, car ce parti avait attiré beaucoup de jeunes de la petite bourgeoisie et avait de nombreux liens au sein même de l’appareil d’État.
D’après Amnesty International, il y aurait eu environ 1 800 exécutions d’opposants de juin à septembre 1981.
La guerre civile contre les Moudjahedines et des groupes de gauche dura tout au long de l’année qui suivit.
C’est dans ce contexte de terreur qu’Ali Khamenei, membre du clergé intermédiaire et secrétaire général du Parti de la République islamique, devint président de la République. Il choisit Mir Hossein Moussavi comme Premier ministre.
Parallèlement, l’Irak prenait le dessus dans la guerre. À la fin de l’année 1980, son armée avait détruit la raffinerie d’Abadan et établi un front de 500 km de long en Iran.
Devant la ville de Khorramshahr, majoritairement arabophone, les Irakiens avaient rencontré une résistance populaire inattendue. Les Arabes et les sunnites de cette région ne voyaient pas avec sympathie l’occupation des troupes irakiennes car pour eux, comme pour les Persans et les chiites dans tout le pays, le régime islamique de Khomeiny était le résultat de leur soulèvement pour se débarrasser de la domination étrangère et de l’oppression sociale.
De son côté, le gouvernement iranien tentait de réorganiser l’armée traditionnelle, affaiblie par l’épuration des officiers royalistes et privée de l’aide américaine ; il mobilisa l’Armée des Gardiens de la révolution et la population, dans des milices de volontaires, les bassiji. Parmi eux, il y avait un certain Ahmadinejad qui aurait alors été instructeur de ces jeunes prêts à mourir pour le nouveau régime. De très jeunes gens, des enfants, furent alors engagés au combat dans ces milices, avec un esprit de sacrifice.
Tant et si bien qu’après presque deux ans de guerre, en juin 1982, l’armée irakienne dut évacuer tout le territoire iranien.
À son tour, le pouvoir iranien décida d’attaquer le territoire irakien. En juillet, l’armée iranienne passait la frontière irakienne et progressait en direction de la ville de Bassorah.
C’était un tournant à la fois militaire et politique, car dès lors le régime ne pouvait plus se servir de l’argument de la défense du territoire national pour obtenir le consensus.
La contre-attaque iranienne allait faire durer la guerre plusieurs années encore.
Des protestations commencèrent à s’élever et, en 1983, des manifestations contre le régime évoluèrent en affrontements avec la police dans plusieurs villes.
Pour la jeunesse iranienne, la seule perspective devenait l’enrôlement et le sacrifice au nom de l’islam chiite. Ceux d’entre eux qui n’étaient pas prêts à aller se battre sur le front étaient condamnés à aller nettoyer les champs de mines, en les faisant sauter avec eux. Des centaines de milliers d’hommes jeunes fuirent alors dans un véritable exode, vers les pays d’Europe ou d’Amérique du nord pour les plus riches, et à pied vers la Turquie ou l’Inde pour les autres, quand ils en avaient les moyens.
Alors que l’Union soviétique signait un accord de coopération avec l’Irak, le gouvernement décida d’en finir avec les communistes. Le parti Toudeh connut des milliers d’arrestations et de nombreuses exécutions. Depuis, le Toudeh a presque disparu et la majorité de ses membres, quand ils n’ont pas abdiqué devant le régime islamique, vivent en exil.
De son côté, l’Organisation des Moudjahedines du Peuple, dont les dirigeants et militants s’étaient réfugiés en Irak, continuèrent à combattre le régime de Khomeiny en participant à la guerre aux côtés de l’État irakien, et ils établirent une base de combat dans ce pays en 1986. Ce choix militaire des Moudjahedines les discrédita largement auprès de la population d’Iran.
À partir de 1984, les forces armées des deux camps s’en prirent systématiquement aux installations industrielles et pétrolières de l’adversaire.
Mais la guerre durait, et quand l’Irak reprit le dessus vers la fin de l’année 1987, il devint bien plus difficile au régime iranien d’empêcher la démoralisation des combattants et l’usure de la population qui fut massivement bombardée par l’aviation irakienne dans plusieurs villes importantes.
Le lourd bilan de la guerre
C’est avec l’aide militaire des puissances impérialistes, dont la France, que les armées irakiennes avaient repris le dessus depuis plusieurs mois. Les Américains détruisirent d’ailleurs eux-mêmes des plate-formes pétrolières, puis une grande partie de la flotte iranienne. Acculé, l’Iran accepta de terminer cette guerre en juillet 1988.
Au bilan, il y eut plus d’un million de morts. Des centaines de milliers d’hommes, dont beaucoup étaient très jeunes, furent en outre gazés ou mutilés. En Iran, des millions de personnes furent déplacées, car une grande partie des combats eurent lieu sur le sol iranien.
Les conséquences de la guerre furent catastrophiques pour les deux pays.
Les destructions étaient très importantes : des villes étaient anéanties, des régions entières dévastées.
L’Iran est sorti ravagé et affaibli par cette guerre. Et l’Irak aussi. À l’issue du conflit, les deux pays étaient à nouveau plongés, pour des années, dans le sous-développement et la dépendance économique vis-à-vis des mêmes pays qui avaient alimenté en armement les deux camps opposés. En effet, si les Occidentaux ont soutenu l’Irak, ils ont vendu des armes des deux côtés. Même les États-Unis le firent, par l’intermédiaire d’Israël car c’est l’État d’Israël, très lié à l’Iran à l’époque du Shah, qui a été l’un de ses principaux fournisseurs de matériel militaire.
De son côté, l’État français n’a pas été en reste, il soutenait officiellement l’Irak et il a été son principal fournisseur d’armes. Au début de la guerre, en moins de trois ans, la France a vendu pour plus de quarante milliards de francs d’armements à Bagdad. Mais plusieurs entreprises françaises dont Luchaire et Dassault, ont aussi vendu des armes à l’Iran.
Sur le plan politique, en Iran comme en Irak, la guerre a renforcé les plus conservateurs et les courants réactionnaires au pouvoir. La situation leur permit de justifier la suppression de tout droit démocratique et d’éliminer les opposants.
Les forces d’opposition furent décimées et la classe ouvrière contrainte au silence, ce qui par ailleurs ne pouvait que réjouir les États impérialistes et en premier lieu les États-Unis qui finançaient pendant ces années les mouvements anti-communistes en Afghanistan, depuis les Moudjahedines combattant la présence de l'armée soviétique, jusqu’aux talibans.
Le pouvoir religieux put accentuer sa mainmise sur la société et sur l’armée et c’est dans ce contexte que plusieurs courants religieux et politiques chiites, islamistes, sont devenus plus puissants et plus actifs.
Le poids et l’effectif de l’armée idéologique du régime, des pasdarans, s’accrut. Le régime put trouver de nombreux partisans parmi les hommes qui furent intégrés en grand nombre dans l’appareil militaire et paramilitaire. Trouver du travail était alors très difficile, et l’Armée des Gardiens de la révolution, comme les milices bassidji, représentaient l’un des rares moyens pour les hommes de pouvoir toucher un salaire.
Le chômage massif, le rationnement mis en place par le gouvernement, favorisèrent le développement du marché noir alors que l’inflation galopait. Toute une économie commerçante souterraine se mit en place durant la guerre, au bénéfice de la bourgeoisie des marchands du Bazar, eux-mêmes proches du pouvoir.
Les importations furent très fortement réduites durant cette période mais l’économie du pays, presque en autarcie, ne s’écroula pas. Elle résista et le régime religieux tint le coup.
Khamenei devient le nouveau guide suprême
Khomeiny mourut en 1989, un an après la fin de la guerre. Durant ses dix ans de pouvoir, le régime avait réussi à se consolider, même si l’enrichissement de nouveaux riches liés au régime, les « initiés », et de trafiquants divers, avait sans doute déçu les espoirs des classes populaires qui avaient espéré que le changement de régime mettrait fin aux injustices et aux profondes inégalités développées durant la monarchie. Le régime islamique n’avait plus le soutien enthousiaste des premières années.
Ali Khamenei, toujours en place aujourd’hui comme guide suprême, fut le successeur de Khomeiny. Il eut pour premier président, le richissime homme d’affaires Rafsandjani, qui dirigeait alors le parlement. Durant les huit années de présidence Rafsandjani, l’affairisme alla bon train.
Cet homme extrêmement riche était l’un des piliers du régime, membre dirigeant des plus hautes institutions du pays, comme le Conseil de discernement des intérêts de l’État, mis en place pour arbitrer les conflits entre les cliques se disputant le pouvoir.
Avec Rafsandjani, le discours du gouvernement se débarrassa en partie des justifications idéologiques et, sous le mot d’ordre de « reconstruction », des privatisations débutèrent.
En 1997, l’ayatollah Khatami, connu pour être un réformateur, fut élu à la présidence du gouvernement avec un score de 70 %. Son élection suscitait des espoirs dans la petite bourgeoisie intellectuelle, car son programme promettait plus de liberté et de démocratie.
Mais peu après, en juillet 1999, un mouvement d’étudiants qui réclamaient plus de libertés fut réprimé et plusieurs d’entre eux furent condamnés à mort. Une nouvelle vague de répression s’abattit ensuite sur les intellectuels, tandis que de nombreux journaux étaient fermés. Après cette vague de répression, les réformateurs perdirent la popularité dont ils avaient bénéficié, car elle était basée sur les illusions démocratiques que leur arrivée au gouvernement avait suscitées. La réélection de Khatami pour un second mandat fut nettement moins triomphale.
Ahmadinejad lui succéda en 2005. Il gagna les élections présidentielles en dénonçant la corruption. Une partie de la population pauvre fut sensible à son discours inspiré des slogans de 79 comme celui de la « république des pauvres ».
L'évolution de la société iranienne face à un pouvoir réactionnaire
L’Iran a évolué depuis trente-cinq ans. Si le régime islamique est bien toujours le même pouvoir réactionnaire, il y a eu par contre d’importantes transformations dans la société.
Même s’il reste encore un pilier essentiel du régime, toutes cliques confondues, le poids politique de l’islam n’est pas aussi grand qu’à l’époque où les mollahs arrivèrent au pouvoir.
Le régime n’est plus autant en adéquation avec la société qu’il l’était alors, dans une société plus agraire qu’aujourd’hui. La jeunesse qui n’a connu que la République islamique, si elle n’est pas forcément anti-religieuse, est de plus en plus anticléricale et aspire à plus de libertés.
La population a beaucoup augmenté : de 34 millions d’habitants en 1976, elle est passée à 70 millions en 2010. La société est aussi devenue plus urbaine : une évolution qui avait commencé à l’époque du Shah, et qui s’est accentuée depuis : moins de 40 % des Iraniens vivaient en ville en 1966, 47 % dix ans plus tard, et ils sont près de 70 % en 2010.
Depuis l’époque du Shah, la composition de la société a aussi évolué.
La fécondité, qui était de plus de six enfants par femme jusque dans les années 80, a été divisée par trois. Cela est dû en partie à la politique de contrôle des naissances qui a facilité l’accès à la contraception après la guerre, à la fin des années 80. Plus de 80 % de la population féminine de Téhéran aurait recours à la planification familiale, et dans les campagnes la contraception est aussi de plus en plus utilisée.
D’autre part, la population était largement illettrée sous le Shah, et ce n’est plus le cas maintenant.
Les taux de scolarisation et d’alphabétisation ont beaucoup progressé. À l’époque du Shah, une grande partie des hommes et les deux tiers des femmes étaient illettrés. Ces proportions sont tombées à 20 et 25 % de la population en 1996 et se sont encore améliorées depuis.
La population iranienne accède bien plus aux savoirs que dans le passé, et c’est un changement important, l’un de ceux qui peuvent miner le régime islamique, d’autant plus que les femmes ont particulièrement su profiter de cette évolution.
La situation des femmes, la place qu’elles ont su prendre dans la société constituent une évolution majeure qui sape le machisme officiel. Elles accèdent de plus en plus aux emplois salariés, même si elles sont encore fortement minoritaires dans la population active.
Et en ce qui concerne l’école, elles sont en train de rattraper les hommes. Il est significatif que sur un million et demi de jeunes qui font des études supérieures, plus de la moitié sont des femmes. C’est mieux que dans la plupart des pays voisins, même quand ils sont soutenus par les Occidentaux.
Cela fait partie des paradoxes de cette société, car il y a bien une ségrégation institutionnelle contre les femmes, mais elles ont su la détourner et la contourner, pour bénéficier du meilleur que la société peut proposer. Elles ont su résister aux règles les plus réactionnaires, comme celles concernant le mariage, qui pouvait leur être imposé à partir de l’âge de neuf ans d’après les lois de la République islamique ; or elles ont obtenu que cet âge légal soit révisé, et dans la réalité elles se marient en moyenne à l’âge de vingt-trois ans.
L’évolution s’est donc faite dans un sens opposé à l’idéologie réactionnaire du régime.
Après avoir brisé ses adversaires, il a obtenu un certain consensus et il a cru pouvoir modeler la société par ses lois, mais il n’a pu empêcher une évolution, qui est le ferment des bouleversements futurs.
Un pays sous-développé malgré des richesses importantes
Du côté économique, depuis les nombreuses nationalisations réalisées après la chute du Shah, le secteur public domine. Les mollahs en ont pris le contrôle et ils s’enrichissent par le biais des entreprises étatisées. Ils s’achètent aussi une clientèle en redistribuant une partie de la rente pétrolière.
En 2010, l’Iran est le quatrième plus gros producteur de pétrole au monde et détient les deuxièmes plus grandes réserves de gaz. La dépendance de l’État vis-à-vis des recettes de la vente du pétrole était totale à l’époque du Shah et elle est encore importante aujourd’hui car les ventes de pétrole forment 60 % des recettes budgétaires de l’État, et les hydrocarbures constituent 80 % du montant des exportations.
Pour être fluctuantes avec le cours du pétrole, les recettes pétrolières permettent le financement d’un certain développement industriel.
De nouvelles routes ont été construites, l’électricité a été amenée dans les régions les plus reculées, et des progrès ont été accomplis dans l’éducation et la protection sociale. Le système de sécurité sociale qui inclut assurance maladie et retraite, même très insuffisant, couvrirait 85 % de la population d’après les données officielles.
L’Iran reste néanmoins un pays sous-développé. Il est d’ailleurs significatif qu’une partie du carburant dont le pays a besoin doit être importé. En 2010, d’après le Wall Street Journal, « faute de capacité de raffinage, l’Iran doit importer 140 000 barils d’essence et de gazole par jour, pour un coût de 5 à 7 milliards de dollars par an ». L’essentiel de cet approvisionnement en dérivés raffinés est assuré par des compagnies européennes et asiatiques.
Après le renversement du Shah, il y a eu peu d’investissements dans le domaine de la transformation des ressources naturelles. Le coût économique de la guerre contre l’Irak n’est pas étranger à cette situation. Ainsi, la raffinerie de pétrole d’Abadan qui produisait 40 % de l’ensemble des produits raffinés en Iran a été complètement détruite pendant la guerre.
Alors, l’Iran est toujours la proie des grands groupes étrangers, comme Total qui s’y était implanté en 1954 après le renversement du gouvernement Mossadegh.
Dans les années 90, le gouvernement fit appel à l’investissement étranger pour réhabiliter et développer un complexe énergétique dans le but d’accroître la production de pétrole.
Les multinationales d’Europe ou d’Asie qui sont en outre très intéressées par l’exploitation de l’énorme réservoir de gaz, partagé entre le Qatar et l’Iran, ont envisagé des investissements de plusieurs milliards de dollars conjointement avec les groupes iraniens. On comprend pourquoi Margerie, le PDG de Total, se pressait en février 2008, à la réception d’anniversaire du régime islamique, souhaitant renforcer la présence de son groupe en Iran.
Malgré les sanctions économiques imposées par les États-Unis, les investissements étrangers directs n’ont pas cessé de croître depuis 1994.
Le gouvernement islamique qui voulait, il y a trente-cinq ans, réduire la dépendance aux revenus pétroliers pour limiter la pression impérialiste, n’a pas le choix, il reste dépendant des pays impérialistes capables de faire les investissements nécessaires à l’exploitation des ressources naturelles.
Durant ces dernières décennies, l’industrie s’est tout de même développée en Iran, en particulier le secteur de la production automobile.
C’est maintenant une industrie qui emploie 500 000 ouvriers.
Les groupes locaux Saipa et Iran Khodro se sont liés à des groupes étrangers tels que PSA, Renault, Kia ou Mercedes-Benz. Avec plus d’un million de véhicules assemblés en 2008, la production automobile est devenue supérieure à celle de l’Italie.
Le marché iranien intéresse tant les capitalistes étrangers qu’ils sont prêts à y prendre des risques. Ainsi un ex-directeur de Peugeot Iran, évoquait en 2008, dans le journal Le Figaro, « la 206 et la 405, toutes deux assemblées en Iran, constituent près de 30 % du marché automobile iranien, et il n’est pas question pour Peugeot de renoncer à ses activités ». Et il précisait « …mieux vaut préserver jalousement sa place en Iran, pays riche en pétrole et doté d’une population de 70 millions d’habitants à riche potentiel de consommation, plutôt que de voir un hypothétique compromis avec Washington favoriser un jour le retour des groupes américains ».
La main mise du clergé sur l'économie
Avec le marché intérieur, une bourgeoisie iranienne s’est aussi développée d’autant qu’elle a été favorisée par la politique du régime avec des privatisations.
Malgré celles-ci, jusqu’en 2006, l’essentiel de l’industrie lourde, des télécommunications, des transports publics, du secteur énergétique et minier, et du commerce extérieur était toujours sous le contrôle de l’État.
Durant ces années, des dizaines d’entreprises industrielles ont été cédées à leurs directeurs à des « prix de complaisance » (d’après Le monde diplomatique), une pratique qui s’est poursuivie depuis.
L’ayatollah Khamenei, le guide suprême, demanda au gouvernement d’accélérer les privatisations. Il exigea simultanément une meilleure protection juridique des droits de propriété, pour selon ses termes « favoriser une hausse des investissements privés ».
Parmi les entreprises importantes qui ont été privatisées, la sucrerie Haft Tapeh était à l’origine l’un des grands projets industriels du Shah. Elle débuta en 1975 par l’exploitation de 12 000 hectares de canne à sucre dans le Khouzistan et fut l’une des plus grosses productrices de sucre raffiné au monde. Il y a quelques années, sa capacité de production était devenue quatre fois plus importante qu’en 1979.
En 2007, le gouvernement décida de privatiser l’usine et elle fut cédée à l’ayatollah Djannati, par ailleurs président du Conseil des Gardiens de la Constitution. Loin de favoriser le développement industriel, le passage d’une telle entreprise entre les mains d’un propriétaire privé, tout ayatollah qu’il soit, n’aboutit à rien de bon car ce bourgeois avide de profits agit comme cela se fait ailleurs, en cherchant à vendre l’usine et les terres dans le cadre d’une opération immobilière lui offrant un bénéfice immédiat sûrement plus important que la production.
Les privatisations ne profitent pas seulement aux hauts membres du clergé, mais aussi à l’Armée des Gardiens de la révolution, dont le poids politique et économique est de plus en plus important.
Après la fin du conflit contre l’Irak, à partir des années 90, des pasdarans ont obtenu des postes-clé un peu partout : dans l’administration, les ministères, les préfectures.
Les dirigeants de cette armée, de plus en plus influents dans l’appareil d’État, contrôlent aussi de nombreuses activités économiques et financières. Ils sont propriétaires de ports commerciaux, d’aéroports, de compagnies aériennes civiles, et de nombreuses entreprises dans des secteurs très variés. Ils dirigent une partie des secteurs du pétrole et de l’armement.
Ces militaires ont aussi la mainmise sur les Fondations qui gèrent des capitaux importants, dont l’aide sociale destinée aux plus défavorisés. Ces fondations, semi-publiques, échappent au contrôle de l’administration et sont exemptées de taxes.
Les chefs de l’Armée des Gardiens de la révolution tendent à renforcer leur emprise sur tout ce qui rapporte de l’argent. Il s’agit d’une nouvelle composante de la bourgeoisie, toute dévouée au régime clérical qui pourvoit à son enrichissement.
Cette situation déplaît sûrement à certaines fractions du clergé et de la bourgeoisie, dont un bon nombre de notables ont perdu des postes, et de l’influence, au profit des chefs des pasdarans.
La bourgeoisie du Bazar a par ailleurs perdu son monopole sur le commerce avec le développement des centres commerciaux dans les banlieues des grandes villes.
Toutes ces évolutions ont contribué à ce que le centre de gravité de la société iranienne se déplace vers les villes où la classe ouvrière est de plus en plus importante avec toutes les contradictions sociales que cela entraîne.
Peu après son arrivée au pouvoir en 2005, Ahmadinejad déclarait vouloir, « mettre l’argent du pétrole sur la table des Iraniens ». Ainsi, il a tenté de gagner les faveurs des plus pauvres en facilitant le crédit et en distribuant un certain nombre d’aides sociales, utilisant pour cela une partie de la rente pétrolière qui évoluait alors favorablement avec la hausse du prix du pétrole brut. Il a aussi octroyé une augmentation significative des salaires mais elle fut rapidement rattrapée par une inflation importante.
Les mesures du gouvernement, aides et prêts bancaires, octroyés par les institutions publiques et les fondations sont bien insuffisantes pour compenser l’inflation chronique, le travail mal payé et le chômage. D’autant plus qu’il y a eu de nombreux licenciements après la crise économique de 2008 et qu’un nombre croissant de travailleurs se trouvent désormais sans emploi.
Le travail précaire est la règle, et les salariés qui sont embauchés avec un contrat à durée indéterminée ne représentent qu’environ 20 % de l’ensemble. Les salaires sont très bas. Ils se situent souvent entre des montants équivalents à 100 et 200 €. Et ils sont en plus, fréquemment payés avec des mois de retard, voire jusqu’à un an dans certains cas.
Un climat défavorable pour les travailleurs
Pour les travailleurs, en ce qui concerne les droits et les possibilités de s’organiser la situation n’est guère meilleure aujourd’hui qu’à l’époque du Shah. Les seules organisations ouvrières reconnues sont les Conseils islamiques du travail dont les dirigeants sont désignés par le régime.
Mais des luttes ont lieu, parfois très dures, comme celle des ouvriers de la sucrerie Haft-Tapeh qui ont réclamé le limogeage du directeur et la dissolution du conseil islamique du travail, revendiquant le droit à la constitution d’un syndicat indépendant. Les miliciens au service du régime ont molesté les grévistes, leurs manifestations ont été réprimées et plusieurs ouvriers qui s’étaient mis en avant ont été arrêtés. Le mouvement ne s’est pourtant pas arrêté là, les ouvriers ont demandé la libération de leurs camarades, puis en 2009, le « Syndicat des travailleurs de la sucrerie », un syndicat non inféodé aux mollahs, a vu le jour.
Malgré l’interdiction des grèves et des syndicats indépendants les travailleurs se battent, pour imposer leurs revendications et parfois celle de l’existence d’un syndicat libre.
C’est ainsi qu’a été créé le « Syndicat des travailleurs de la compagnie d’autobus de Téhéran ». Ce syndicat est resté totalement clandestin jusqu’à l’organisation en 2005, d’une grève réussie pour l’augmentation des salaires. La répression s’abattit alors rapidement sur les leaders syndicaux qui furent emprisonnés avec des peines de plusieurs années. Après une nouvelle grève des travailleurs des autobus, en janvier 2006, plus d’un millier d’entre eux furent arrêtés.
Les informations concernant la classe ouvrière sont sporadiques et partielles. Elles permettent seulement d’affirmer que, malgré la dictature, les travailleurs iraniens osent se défendre et tentent à l’occasion de s’organiser pour le faire. Ce que l’on peut ajouter, c’est qu’avec les contrecoups de la crise, la situation des travailleurs s’aggrave.
Le chômage, en tout cas, s’aggrave, quoi que les quelques rares chiffres publiés à ce sujet ne soient pas d’un grand secours. En 2010, si le taux de chômage officiel est de 12 %, d’autres évaluations donnent un taux de 25 %. Mais que signifient ces chiffres quand la grande majorité des travailleurs n’a pas d’emplois fixes ?
Le chômage des jeunes s’aggrave plus encore. Et cette jeunesse ouvrière n’est plus la même qu’en 1979. Elle n’est pas seulement plus nombreuse, elle est aussi plus éduquée, plus informée.
Un autre facteur risque de contribuer à la dégradation de la situation des travailleurs ainsi que, plus généralement, celle des classes populaires. Le niveau très faible des revenus de celles-ci est, dans une certaine mesure, compensé, comme dans beaucoup d’autres pays pauvres, par les subventions étatiques sur les produits de première nécessité.
Depuis que la République islamique a remplacé la monarchie, les denrées de base : le blé, le sucre, le gaz, l’essence et d’autres produits, sont largement subventionnées. Cette mesure était destinée à aider les plus pauvres, mais après 2009 le gouvernement d’Ahmadinejad a envisagé de réduire ou même de faire disparaître ces subventions. Leur suppression progressive sur cinq ans est un projet qui avait le soutien du parlement.
Des allocations pour les plus pauvres, destinées à limiter les conséquences de la disparition des subventions sur les produits de base, ont été envisagées, mais ces aides ne compenseraient que partiellement la hausse des prix. L’essence rationnée mais subventionnée, coûtait 100 toumans le litre, mais elle coûtait quatre fois plus lorsqu’elle n’était pas subventionnée.
Le gouvernement semblait craindre que la suppression des subventions s’accompagne de protestations, comme en 2007, lorsqu’un plan de rationnement de l’essence avait provoqué des émeutes à Téhéran. C’est pourquoi fin 2009, le parlement s’est opposé à la disparition totale des subventions, en particulier pour l’énergie.8
Soulèvement postélectoral en 2009
Le soulèvement postélectoral en Iran qui suivit l'élection présidentielle iranienne de 2009, a commencé le 13 juin 2009 en réaction à l'annonce des résultats de l'élection. Le pouvoir fut accusé de fraude électorale pour garder au pouvoir le conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Les manifestants soutenaient le candidat de l'opposition Mir-Hossein Mousavi. Les manifestations ont lieu à Téhéran et dans d'autres grandes villes d'Iran et du monde. En réponses aux manifestations, des groupes soutenant le président Mahmoud Ahmadinejad ont rallié la capitale iranienne.
Le soulèvement fut surnommé « Révolution Twitter », en raison de l'importance qu'eut le réseau social instantané dans l'organisation des manifestants.
Les autorités iraniennes ont fermé l'université de Téhéran, bloqué nombre de sites internet et de téléphones portables et interdit les manifestations. Le gouvernement iranien a empêché les journalistes internationaux de couvrir les événements et les chaînes de télévision par satellite furent brouillées.
La police et la milice paramilitaire Basij ont violemment réprimé les manifestations, tirant parfois à balles réelles dans la foule. Le soulèvement fit plus de 150 morts, dont celle de Neda Agha-Soltan élevée au rang d'icône internationale de la contestation iranienne. De nombreux récits corroborent la violence de la répression qui s'est abattue sur tous ceux qui ont dénoncé la réélection du président sortant. Cette contestation est d'une ampleur jamais vue depuis la révolution iranienne de 1979.
Ahmadinejad a qualifié son élection de « complètement libre » et de « grande victoire pour l'Iran », et les manifestations des opposants comme « peu importantes ». Les autorités iraniennes ont déclaré que le pouvoir ne céderait pas aux manifestants, qui auraient été contrôlés et financés, d'après elles, par les Occidentaux, la CIA et Israël.
Néanmoins, après une foule de centaines de milliers de personnes venue écouter, le 17 juillet à Téhéran, le prêche de l'ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani déplorant que « les autorités aient perdu la confiance du peuple après la présidentielle », des rassemblements ont été organisés les 24 et 25 juillet 2009 dans une centaine de villes à travers le monde pour dénoncer les violations des droits de l'homme en Iran et soutenir l'opposition en lutte contre le régime de Téhéran.
Les opposants sont nombreux à avoir été arrêtés, y compris des responsables importants de l'opposition favorables à un régime démocratique ou à une démocratisation du régime. Ils ont été soumis à des procès qualifiés de « mascarade » par l'opposition au régime de Khamenei, de plus en plus contesté par un mouvement tout à fait inédit depuis les débuts de la « révolution islamique ». Ces prisonniers de haut rang ont été accusés de trahison et de collaboration avec l'étranger, contraints à des aveux après avoir été torturés, comme l'a dénoncé, parmi d'autres, le candidat malheureux à l'élection présidentielle, Hossein Moussavi. Des anciens parlementaires réformateurs ont demandé une enquête afin de vérifier que le grand ayatollah Khamenei n'a pas outrepassé ses fonctions et n'a pas violé la Constitution.
Ils ont adressé une lettre à l'Assemblée des experts – qui est largement dominée par les conservateurs soutenant Khamenei – pour demander une enquête destinée à déterminer si ce dernier n'a pas outrepassé ses pouvoirs lors des troubles postélectoraux dans le pays. Selon eux, l'article 11 de la Constitution qui stipule que « le Guide suprême est au même niveau que le reste du peuple devant la loi » permet de conclure que celui-ci doit être remplacé s'il « devient incapable de remplir ses obligations constitutionnelles ».
Au total, plus de 150 personnes auront été tuées par le régime, des milliers auront été arrêtées et torturées, dont des centaines violées en prison par les agents du régime.9
Il faut préciser que les politiciens qui contestent le gouvernement se font les porte-parole de ceux qui, dans la bourgeoisie, souhaitent des relations plus importantes avec les pays étrangers. Les liens économiques internationaux existent, malgré l’embargo. Il est probable qu’une partie de la bourgeoisie souhaite que ces liens se renforcent, que leur pays sorte de l’isolement politique, renoue, avec les États-Unis, d’autant qu’Obama a fait des déclarations offrant cette possibilité.
Ce n’est pas pour rien que Rafsandjani était le candidat préféré des puissances occidentales lors de l’élection présidentielle de 2005 remportée par Ahmadinejad.
Or, ceux qui contrôlent actuellement l’appareil d’État en s’appuyant sur le nationalisme et l’armée des pasdarans sont des freins à cette ouverture.
Moussavi, un autre candidat malheureux contre Ahmadinejad, promettait, de son côté, lors de la campagne électorale, une libéralisation économique et une baisse du chômage, tout en ne remettant nullement en cause le régime théocratique.
Une partie du personnel politique du régime tient donc un langage promettant plus ou moins de démocratie et cherche à plaire aux Occidentaux, tandis que les hommes au pouvoir conservent un discours anti-américain.10
Iran et nucléaire, les véritables enjeux
Le programme nucléaire de la République islamique d’Iran fait figure de véritable serpent de mer de la diplomatie internationale. Pourtant, ce programme nucléaire tant décrié n’est pas né en 2002, l’année où un dissident iranien a révélé au monde l’existence de sites jusqu’alors tenus secrets. C’est avec l’aide des États-Unis puis de la France et de l’Allemagne que le Shah l’a lancé dans les années 1950.
En 1970, l’Iran a ratifié le traité de non-prolifération nucléaire (TNP), s’engageant ainsi à ne pas fabriquer d’armes nucléaires et à ne pas essayer de s’en procurer. Le programme nucléaire a été mis entre parenthèses durant la guerre dévastatrice qui a opposé l’Irak de Saddam Hussein à la République islamique. Mais en la matière, comme sur d’autres sujets, la Mollarchie n’a jamais abandonné les ambitions impériales du Shah. Fidèle aux visées du régime monarchique, la République islamique entend être une puissance régionale.
Dès le début des années 1990, le régime de Téhéran a donc relancé son programme nucléaire en s’appuyant notamment sur la Russie et la Chine et ce, malgré les pressions exercées par les États-Unis et leurs alliés européens. Particulièrement sensible, ce dossier est placé sous l’autorité directe du Guide Ali Khameneï. Sur le plan opérationnel, il est dirigé par le corps des Gardiens de la révolution islamique.
Un instrument populiste-chauvin à l’intérieur du pays, en développant un discours islamo-nationaliste, les dirigeants iraniens utilisent le programme nucléaire à des fins populistes et flattent la fibre chauvine de la population. Or, avec l’approfondissement du marasme économique et de la crise sociale, cette propagande ne parvient pas à juguler le mécontentement populaire qui va croissant.
Depuis 1979, les factions au pouvoir se partagent la rente pétrolière. Cette mainmise sur les richesses du pays s’est toujours accompagnée d’une redistribution clientéliste qui a permis de maintenir peu ou prou un bloc dépendant du régime. Mais la violence de la crise économique et le poids des sanctions internationales tendent à réduire fortement les capacités redistributrices d’un pouvoir particulièrement corrompu.
Les sanctions imposées par les puissances impérialistes pour peser sur le programme nucléaire de la République Islamique réduisent fortement les possibilités d’emprunts sur le marché du crédit et empêche le secteur industriel de se procurer les pièces et les composantes nécessaires à son bon fonctionnement. Cela renforce l’absence récurrente d’investissement et accélère l’obsolescence de l’appareil productif. Réaction en chaîne : les arriérés de salaires et les licenciements explosent.
Dès le 1er juillet 2012, les pays européens ont menacé de ne plus acheter de pétrole iranien. Une manne financière non négligeable qui représente pour Téhéran 80 % de ses rentrées en devises. Le pouvoir prévoyait pour l’été une hausse d’environ 30 % des prix de l’essence, du gazole et du fuel. Seuls l’industrie de l’armement et le programme nucléaire échappent aux restrictions. Le secteur de l’armement bénéficie de toutes les largesses du pouvoir et son budget représente plus du quart du budget national. Avec une inflation annuelle de 60 %, résultat de la politique d’Ahmadinejad qui s’inspire des recommandations du FMI, les conditions de vie de la population se dégradent fortement.
Dans ce contexte de crise, le pouvoir doit faire face à un regain des luttes sociales et ouvrières. Ces luttes sont à chaque fois sévèrement réprimées. Les arrestations et les condamnations des militants syndicaux se multiplient. Craignant la jonction entre les revendications sociales et les aspirations du mouvement démocratique de 2009, le régime accentue la répression afin de contenir la contestation sociale qui pourrait prendre la forme d’« émeutes de la faim ». Cette combinaison entre crise politique au sommet qui n’en finit pas depuis la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad et crise sociale est explosive pour le régime.
Un environnement régional très tendu
Sur le plan régional, l’État iranien doit faire face à un environnement particulièrement instable et hostile. Outre la montée en puissance de la Turquie et les rivalités avec l’Arabie saoudite, la République islamique est confrontée à l’instabilité à ses frontières avec l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan qui détient l’arme nucléaire. À cela s’ajoute l’hostilité de l’État d’Israël, autre puissance nucléaire de la région.
Les manœuvres régulières de la flotte étasunienne dans le Golfe arabo-persique, la présence de la Ve flotte basée à Bahreïn, ou encore l’installation en 2009 de la base militaire française d’Abou Dhabi, sont d’autres sources d’inquiétude. Le moins que l’on puisse dire est que l’environnement régional est particulièrement tendu.
Enfin, les processus révolutionnaires dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient entrent en écho avec le mouvement qui a secoué le régime de Téhéran en 2009. À cet égard, la situation de la Syrie, allié stratégique de la République islamique, préoccupe sérieusement le régime iranien. La chute éventuelle de Bachar El Assad pourrait avoir des conséquences profondes dans la région. Cela fragiliserait le pouvoir iranien, ce qui explique son soutien indéfectible au « boucher » de Damas.
Dans ce contexte, les dirigeants iraniens estiment qu’être en capacité de se doter de l’arme nucléaire pourrait « sanctuariser » le régime et donner un nouveau leadership à la République Islamique. Cependant, à cette étape, le débat sur le fait d’accéder effectivement à l’arme nucléaire n’est pas encore tranché au sein du sérail.
Sur le plan international, le régime de Téhéran fait de son programme nucléaire un outil de marchandage. La République islamique qui, en Irak et en Afghanistan, s’est trouvée des intérêts communs avec l’impérialisme étatsunien, souhaite être traitée en partenaire par les grandes puissances.
Les dirigeants iraniens le savent, les États-Unis n’acceptent pas la perspective d’une République islamique dotée de l’arme nucléaire – et leur allié israélien encore moins.
Le débat entre Washington et Tel Aviv porte sur la manière d’empêcher une telle éventualité.
Pour Nétanyahou, le Premier ministre israélien, la politique des sanctions économiques et de l’isolement de la République islamique mise en place par les États-Unis et l’Union européenne n’a pas freiné le programme nucléaire de Téhéran. Quant à Obama, il ne voulait pas s’exposer à des représailles du régime iranien qui conserve une capacité de riposte importante. Après le retrait d’Irak et au moment où Obama devait gérer la sortie de l’Afghanistan, l’ouverture d’un nouveau front n’était pas à l’ordre du jour.
Ces craintes sont renforcées par le fait qu’une intervention militaire contre l’Iran aurait pour conséquence l’envolée des prix du pétrole, ce qui accentuerait la récession économique mondiale. Enfin, l’ensemble des experts militaires estiment qu’un bombardement des sites nucléaires iraniens ne ferait que retarder le programme militaire.
Du côté de Téhéran, l’exacerbation des tensions autour du programme nucléaire n’est pas sans conséquences sur les débats et les évolutions au sommet du pouvoir. L’alliance entre le Guide Ali Khameneï et Ahmadinejad, qui avait permis en 2009 d’exclure du pouvoir la mouvance dite « verte » incarnée par Moussavi, et d’écraser la vague massive de contestation démocratique qui s’en est suivie, a volé en éclat. Lors des élections législatives de mars 2012, le clan du Guide a marginalisé Ahmadinejad et ses proches.
Il y a plusieurs raisons à cette nouvelle brèche au sommet. Ahmadinejad et les siens ont cherché à mettre la main sur le pouvoir et ont empiété sur les intérêts et prérogatives institutionnelles du Guide, premier personnage de l’État. Mais cette nouvelle crise politique porte également sur la gestion « diplomatique » du dossier nucléaire. Khameneï reproche à Ahmadinejad ses rodomontades ridicules qui ont accentué les tensions. Le Guide, qui avait depuis 2009 marginalisé Hachemi Rafsandjani (l’un des personnages clés de la République islamique depuis 1979 et l’un des plus corrompus), a opéré un rapprochement notable avec celui-ci. Rafsandjani incarne la frange libérale sur le plan économique et la plus conciliante à l’égard des États-Unis. Par ce nouveau « tournant », Khameneï indique à l’administration Obama que la République islamique est disposée à négocier.11
Élections présidentielle de 2013
L'élection présidentielle iranienne du 14 juin 2013 a été remportée dès le premier tour par l'ayatollah Hassan Rohani. C'est donc un « modéré », ou considéré comme tel, qui succède à Mahmoud Ahmadinejad, au pouvoir depuis 2005. Son élection apparaît comme une revanche sur l'élection de 2009 que le candidat réformateur, Moussavi, avait perdu au profit d'Ahmadinejad. Celui-ci avait été accusé de fraude, mais les manifestations de protestation avaient été brutalement réprimées, faisant plus d'une centaine de morts. Cette fois-ci, le candidat conservateur soutenu par le Guide suprême, Khamenei, n'a obtenu que 11,39 % des voix.
Une élection sous contrôle
La République islamique est un régime théocratique et dictatorial dans lequel la liberté d'expression est exclue, les droits syndicaux inexistants et les femmes considérées comme des sous-citoyennes. Ce régime étouffant maintient toute la société sous le contrôle des « pasdarans », les « gardiens de la révolution », et les élections présidentielles n'ont de démocratique que le nom : les candidats doivent tous être validés par les mollahs du Conseil des gardiens de la révolution et le président est de toute façon sous le contrôle du Guide suprême, désigné par le haut clergé chiite, qui est le vrai dirigeant du pays.
Élu dans le cadre de cette préselection des candidats, Rohani est donc comme les autres un pur produit du système. C'est un religieux qui a une longue carrière derrière lui : dans les années 1980 déjà, il faisait partie des dirigeants de l'armée pendant la guerre contre l'Irak. Il a été secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale et vice-président du Parlement et n'a rien d'un candidat contestataire. Mais il serait plutôt apprécié des représentants des puissances impérialistes car entre 2003 et 2005, en tant que chef des négociations sur la filière nucléaire iranienne, il avait plutôt choisi de faire profil bas face aux États-Unis.
La population paie le prix des sanctions économiques
Lors de la campagne présidentielle, Rohani a pris quelques distances avec la ligne dure du régime : il a promis de chercher un certain apaisement vis-à-vis des pays occidentaux afin d'espérer un allègement des sanctions et a même fait quelques promesses sur les libertés publiques, critiquant par exemple l'absence de liberté de la presse ou le bridage d'Internet.
En tout cas, dans la mesure où il apparaissait comme une alternative, les voix qui se sont portées sur lui sont sans doute en partie le reflet du mécontentement de la population, dont les conditions de vie se sont considérablement dégradées ces dernières années. L'inflation a atteint 30 % en 2012 selon les chiffres officiels, et elle est encore plus élevée pour les produits de base : par exemple, entre 2007 et 2013, le kilo de boeuf est passé de 1 euro à 5,90 euros. Le taux de chômage est à 25 %, et sans doute encore plus chez les jeunes. 50 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté, et le pouvoir d'achat de la population a chuté de 72 % entre 2005 et 2013.
Cette situation s'explique en grande partie par les sanctions internationales : pour empêcher l'Iran de développer son programme nucléaire, les États-Unis et l'Europe lui ont imposé un embargo très strict. Les exportations de pétrole, principale ressource du pays, ont chuté et les revenus liés au pétrole ont été divisés par deux en 2012. Le pays ne peut presque plus rien importer et connaît une grave pénurie de produits de base, notamment de médicaments.
Mais si les pays impérialistes sont responsables de cet isolement économique dramatique, c'est bien le régime iranien qui choisit de faire porter le poids des restrictions sur la population, notamment en laissant filer l'inflation. Les mollahs et les pasdarans, très liés à la bourgeoisie iranienne, contrôlent la plupart des grandes entreprises et utilisent la menace américaine pour imposer sacrifice sur sacrifice aux travailleurs.
Alternance politique ou contestation sociale ?
La victoire de Rohani apparaît comme un désaveu de la politique d'Ahmadinejad. Il est difficile de savoir dans quelle mesure cette élection suscite de l'espoir dans les classes populaires. Les manifestations de soutien à Rohani semblent toucher surtout les étudiants et la petite bourgeoisie urbaine.
Mais, passé la campagne électorale, il n'y a guère de changement à attendre de cette élection, pas même sur le plan des libertés publiques : le dernier « modéré » au pouvoir, Khatami, président entre 1997 et 2005, n'avait pas hésité à réprimer violemment des manifestations étudiantes de 1999. Comme tous les candidats à cette élection très contrôlée, Rohani est lié aux milieux d'affaires, aux pasdarans et bien sûr aux religieux, dont il fait partie. Son élection a d'ailleurs été acceptée sans réserve par Khamenei.
Il est possible que, sous sa présidence, les relations entre l'Iran et les États-Unis s'améliorent, et même que cela corresponde à un choix partagé par Khaménei et les autres dignitaires du régime. Mais, pour la population, cela n'apportera ni du travail, ni des salaires décents, ni même, probablement, plus de liberté d'expression.12
Un accord sous haute tension
Un accord-cadre a été signé le 2 avril 2015 à Lausanne, entre l’Iran d’un côté et de l’autre les États-Unis et les puissances impérialistes, Grande-Bretagne, Allemagne et France, auxquelles se sont jointes la Russie et la Chine. Même si sa finalisation ne devrait avoir lieu que fin juin 2015, cet accord portant principalement sur les capacités nucléaires de la République islamique suscitait des réactions attendues.
Aux États-Unis, le chef de la majorité républicaine au Sénat l’a dénoncé comme un ensemble de « concessions de l’administration Obama à l’Iran ». En Israël, le cabinet de Sécurité du Premier ministre y est hostile, exigeant une « reconnaissance claire et sans ambiguïté du droit à l’existence d’Israël ». À Téhéran, la population semble soulagée de pouvoir envisager une levée de l’embargo économique qui l’écrase depuis près de dix ans, responsable de l’aggravation du chômage, de l’effondrement du rial iranien par rapport au dollar et de la hausse des produits alimentaires et énergétiques. Les pays importateurs de pétrole sont rassurés. Quant aux pétroliers, ils anticipent déjà les répercussions que l’accord pourrait entraîner, lorsque les stocks d’hydrocarbures iraniens déferleront sur le marché.
Pourtant l’accord de Lausanne, s’il semble à première vue rompre avec l’attitude des prédécesseurs d’Obama, n’en constitue pas moins un marchandage dans lequel le régime iranien est contraint d’entrer. En effet les États-Unis ne s’engagent à suspendre les sanctions internationales et les embargos qu’une fois que l’Iran aura démontré qu’il a réduit sa capacité à enrichir l’uranium et son stock d’uranium enrichi déjà existant, inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique à l’appui.
Si la situation économique de la population iranienne s’améliore un peu, ce ne sera pas, loin de là, à des considérations humanitaires qu’elle le devra. L’enjeu est stratégique pour les grandes puissances : l’Iran n’est plus « l’axe du Mal » que Bush feignait de craindre, mais une puissance régionale incontournable dans le chaos que les États-Unis et leurs alliés ont créé au Moyen-Orient.
L’Arabie saoudite et les États du Golfe, avec l’aval des États-Unis, ont favorisé l’émergence des milices islamistes, au point de rendre la situation incontrôlable. Désormais, les dirigeants des États-Unis en sont à voir en l’Iran le seul recours pour rétablir un certain équilibre. Pays peuplé, industriel, potentiellement influent en Syrie, en Irak et au Yémen, l’Iran redevient un pion nécessaire à l’impérialisme sur l’échiquier régional.
L’impérialisme américain n’en sort pas pour autant de ses contradictions, allié ici de l’Iran, là des pays du Golfe et de la Turquie, autant d’États rivaux qui se mesurent par milices interposées. L’accord ne mettra fin ni aux tensions et à l’affrontement des milices et des armées rivales, ni aux malheurs des populations.13
Cet accord est également le fruit d'une pression des multinationales, pas seulement américaines, qui veulent reprendre pied dans ce pays. L'Iran renferme la deuxième réserve mondiale de gaz et la quatrième de pétrole. Il représente un marché de près de 80 millions de consommateurs, dont une partie est solvable. En février 2014, plus d’une centaine de hauts dirigeants d’entreprises françaises s’étaient déplacés en Iran, profitant d’une levée partielle et provisoire des sanctions. Que le régime iranien soit une dictature ne rentre pas en ligne de compte. Ce fait n’a pas entravé la recherche d’un accord, bien au contraire. Du point de vue des dirigeants occidentaux, c’est même un avantage, pourvu que leur ordre et les profits de leurs multinationales soient garantis.14
La population écrasée paye la crise
Depuis des dizaines d’années, une partie des revenus pétroliers considérables de l’Iran a été engloutie dans la quête d’une suprématie régionale. Le projet avorté d’acquisition de l’arme nucléaire a coûté, au bas mot, plus de 120 milliards de dollars pendant plus de 15 ans. À cela, il faut ajouter les milliards dépensés pour soutenir Bachar el-Assad.
Pendant ce temps, l’appareil productif iranien a été laissé à l’abandon, devenu vétuste même dans le secteur de l’extraction du pétrole. Simultanément, le gouvernement a privatisé l’essentiel du secteur public et réduit de façon drastique les dépenses publiques non militaires.
À cela s’ajoute l’effet des sanctions économiques occidentales de ces dernières années, sanctions qui ont touché les couches populaires de plein fouet.
Polarisation sociale et répression
Dans une société gangrenée par la corruption, les grands bénéficiaires du système actuel sont la bureaucratie militaro-sécuritaire, les sommets de l’appareil religieux et les divers spéculateurs : immobilier, change de devises, pierres précieuses, importation massive de produits bon marché, marché parallèle... Et les grands perdants sont les 40 % de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté !
Entre janvier et novembre 2015 ont ainsi eu lieu plus de 2 000 exécutions de condamnés politiques et surtout de droit commun. Simultanément, le pouvoir et le patronat s’acharnent sur les travailleurs qui constituent des syndicats indépendants. Ils licencient systématiquement les porte-parole des grévistes, en procédant à leur arrestation pour « crime de sabotage économique »... 15
Iran et Arabie saoudite : Un conflit entre forces de la contre-révolution
Les tensions politiques entre la République islamique d’Iran (RII) et l’Arabie Saoudite n’ont cessé d’augmenter à la suite de l’exécution le 2 janvier 2016 par le régime saoudien de l’opposant Cheikh Nimr, figure de la contestation chiite du pouvoir sunnite saoudien.
Cette exécution a entraîné des manifestations en Iran, où l’ambassade saoudienne à Téhéran et son consulat à Machhad ont été pris d’assaut et brûlés, ainsi que dans plusieurs autres pays de la région. L’Arabie Saoudite a coupé ses relations diplomatiques avec l’Iran, et cette décision a été suivie par le Bahreïn, le Soudan et Djibouti. Le 7 janvier, les dirigeants de la RII ont accusé l’aviation saoudienne d’avoir bombardé son ambassade au Yémen, et ont interdit l’entrée de tous les produits saoudiens en réaction.
De la division aux discriminations
Les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites, de la Syrie au Yémen en passant par l’Irak et le Liban, vont encore être aggravées par ces événements. Il faut savoir que ces deux États n’ont cessé d’utiliser l’arme du confessionnalisme pour faire avancer leurs intérêts politiques.
Depuis la chute du Shah et l’instauration de la RII en 1979 sous l’égide de Khomeini, les relations entre Téhéran et Riyad ont été sources de tensions dans la région et de montée du confessionnalisme. La RII et sa volonté d’exporter la « révolution islamique » en finançant certains groupes confessionnels chiites, ont provoqué une réaction de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe. La RII, ses alliés et les populations chiites de la région en général, vont dès lors devenir progressivement l’ennemi principal et la cible de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe, à la place des forces nationalistes et progressistes affaiblies au début des années 1980, en promouvant les mouvements islamiques fondamentalistes.
Dans le royaume saoudien, les discriminations sociales et politiques contre les minorités chiites, qui faisaient déjà l’objet d’un discours salafistes et wahabiste haineux, ont été renforcées et elles ont été la cible d’une propagande politique les stigmatisant comme éléments d’une « 5e colonne iranienne ».
De plus, cette situation est aggravée par l’utilisation politique des divisions sunnites-chiites afin de promouvoir les politiques du royaume saoudien au Bahreïn, en Syrie et au Yémen. Le 3 octobre 2015, des religieux saoudiens ont par exemple publié un communiqué en réponse à l’intervention militaire russe en Syrie appelant les « vrais croyants » à lutter contre le gouvernement « safavide » de la Syrie et de ses alliés, décrivant le conflit en Syrie comme une nouvelle croisade, avec les « hérétiques chiites » joignant leurs forces aux croisés russes.
Il faut savoir que la RII discrimine aussi, politiquement et socialement, ses populations arabes de confession sunnite, et que Téhéran a interdit toute construction de mosquée sunnite dans la capitale. Pour rappel, en 2011, les politiciens sunnites et les résidents de la capitale, Téhéran, ont été contraints par les services de sécurités de la RII à se joindre aux jours officiels de prière afin de démontrer leur loyauté au guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei...
L’arme du confessionnalisme
Ces deux pays ont soutenu des groupes extrémistes chiites et sunnites en Irak menant à une guerre civile entre 2006 et 2008, qui a également alimenté les tensions confessionnelles dans toute la région. L’invasion de l’Irak par les États-Unis et la Grande-Bretagne en 2003, a vu, après la chute du dictateur Saddam Hussein, le pays tomber dans l’orbite pro-iranienne par l’arrivée au pouvoir de groupes fondamentalistes islamiques chiites proches de la RII. Ces derniers ont été coupables au pouvoir de discriminations politiques et socio-économiques contre les populations sunnites d’Irak, sans oublier les nombreuses exactions et crimes confessionnels commis par ces groupes.
Face aux soulèvements populaires qui ont secoué la région depuis l’hiver 2010-2011, ces mêmes acteurs ont encore fait usage du confessionnalisme pour justifier des interventions dans la région, soutenir des dictatures, ou bien discréditer des mouvements populaires en les présentant comme des complots soutenus par une puissance étrangère. En Syrie, chaque camp a également soutenu des forces confessionnelles et réactionnaires, toute en en promouvant un discours confessionnel.
L’arme du confessionnalisme est d’autant plus utilisée par ces deux pays pour détourner les populations locales des problèmes économiques et sociaux locaux toujours plus importants. Confrontée à la chute des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite a adopté au début de l’année son budget 2016 avec un déficit prévu de près de 80 milliards d’euros et des mesures d’austérité incluant des augmentations de plus de 50 % du prix de l’essence. Ces mesures vont certainement appauvrir encore davantage les 25 % de la population de nationalité saoudienne vivant déjà sous le seuil de pauvreté. En Iran, l’inflation se situe aux alentours de 20 % (selon les chiffres officiels) et la carence de produits de première nécessité tels que les médicaments continuent, tandis que le taux de chômage est de l’ordre de 25 %, et 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
En conclusion, ces deux États et leurs alliés respectifs constituent des forces réactionnaires et destructrices dans la région auxquelles il faut s’opposer sans relâche.16
Après les élections, les problèmes demeurent
Le 26 février 2016, les Iraniens ont eu à élire les députés siégeant au Parlement islamique, ainsi que les membres de « l’Assemblée des experts » composée de dignitaires religieux. Cet organe est notamment chargé d’élire le futur Guide.
Deux grandes listes se faisaient face dans chacun de ces scrutins : celle de la majorité sortante regroupant des « conservateurs et principalistes » proche du Guide Khameneï ; celle dite « modérée et réformatrice » liée au président Rohani en place depuis 2013. La candidature de milliers de personnes a été refusée. Un second tour se tiendra en avril pour attribuer les sièges non pourvus.
Les premiers résultats indiquent une forte poussée dans les grandes villes en faveur du président Rohani et de sa politique d’« ouverture » : ainsi, à Téhéran, ces listes ont remporté l’ensemble des sièges. Le président « conservateur » sortant de l’Assemblée des experts est battu.
L’accord sur le nucléaire et la levée des sanctions internationales ont favorisé le succès du camp Rohani. Celui-ci a aussi fait miroiter une amélioration de la situation. Derrière ce mirage se cache l’accélération de la politique libérale, avec notamment la casse en règle du Code du travail, l’ouverture totale du marché aux capitaux étrangers, l’accélération des privatisations. Les désillusions seront rapides et la question sociale reprendra le dessus.
Les proches du Guide et la direction des Gardiens de la révolution sont hostiles à l’ouverture du marché iranien aux multinationales occidentales. Ils ont bénéficié amplement des privatisations et dirigent des secteurs industriels et commerciaux importants. Ils dirigent également les grandes et richissimes fondations qui ont la mainmise sur des pans entiers de l’économie. Ces fondations ne rendent de compte qu’au Guide et sont exemptées d’impôts.
Harcèlements, arrestations et condamnations
Ces élections sont un arbitrage entre deux segments de la bourgeoise, entre deux insertions au capitalisme. Quant aux électeurs, ils ont voulu accentuer les tensions et contradictions internes au régime, tout en éliminant autant que possible les secteurs liés aux Gardiens de la révolution et au Guide.
Sur les questions sociales, démocratiques, et celles relevant des droits humains ou de l’égalité entre hommes et femmes, les différentes factions au pouvoir partagent la même politique. Depuis l’accession de Rohani à la présidence de la République en juin 2013, le régime a exécuté plus de 2 000 prisonniers. En ce qui concerne le nombre de peines capitales, le pays est au deuxième rang, derrière la Chine et devant l’Arabie Saoudite. La pratique systématique de la torture se poursuit.
Les militants ouvriers et des droits démocratiques sont systématiquement harcelés, arrêtés, condamnés à la prison ferme et licenciés. Condamné à la prison pour activité syndicale, Reza Shahabi avait bénéficié d’une permission sanitaire en raison de la gravité de son état de santé. Deux jours seulement après les élections, les autorités veulent le renvoyer croupir derrière les barreaux...
À l’instar de Press TV, le média dédié à la propagande internationale de la mollahrchie, les organes de presse du régime diffusent régulièrement des « aveux » de militants emprisonnés extorqués sous la torture. Le retour de la République islamique à la table des « grands » de ce monde ne change rien à sa nature dictatoriale, théocratique et réactionnaire.17
Le pouvoir contesté
Du 28 décembre 2017 au 1er janvier 2018, le pouvoir iranien est contesté par des manifestations qui prennent de l’ampleur malgré la répression, des centaines d’arrestations et déjà 23 morts officiellement comptabilisés. Partie de Machhad, la deuxième ville du pays, la révolte s’est rapidement étendue à de nombreuses villes, y compris de très petites, pour atteindre Téhéran. Le 2 janvier, elle continuait à s’approfondir.
L’annonce de l’augmentation du prix de l’essence en même temps que celle de l’indemnité des députés, dans un contexte où le chômage explose, a semble-t-il été le déclencheur de la contestation. En réalité cela fait plus d’un an que le mécontentement populaire s’exprime. Des manifestations de plus en plus fréquentes avaient lieu dans différentes villes de province. Des travailleurs ou des retraités manifestaient pour obtenir le versement des salaires ou des pensions. Des petits épargnants ruinés réclamaient leurs économies après les nombreuses faillites de banques locales. Et tous dénonçaient la cherté de la vie ou la pénurie de produits de consommation de base. Ces manifestations éparses ont fini par converger le 28 décembre, autour de slogans comme « Mort à la vie chère » ou encore « Alors que les gens mendient, les mollahs agissent comme des dieux » ou d’autres dénonçant explicitement Rohani et Khamenei, le président de la République et le Guide de la révolution.
Les luttes internes entre les différentes cliques qui se disputent le pouvoir ont peut-être également joué un rôle. Ainsi Ahmadinejad, l’ancien président battu en 2013, attaqué pour corruption par la justice entre les mains du clan Rohani, cherchait, ces derniers mois, à utiliser le mécontentement populaire contre ses rivaux. Cela expliquerait alors la relative bienveillance des pasdaran, principales forces de répression du pays, dans lesquelles il a toujours des appuis, face aux premières manifestations en province. Mais comme l’a déclaré le vice-président Jahanguiri : « Ceux qui semblent être derrière l’affaire devraient subir aussi les conséquences du feu qu’ils allument. (…) Si le courant social démarre et que le mouvement politique le suit dans la rue, il les dépassera. » Et malgré la contre-manifestation assez massive organisée à Téhéran par le pouvoir le 30 décembre, la contestation semble perdurer.
Le régime des mollahs en Iran, bien que contesté à plusieurs reprises dans le passé et malgré l’hostilité de l’impérialisme américain, s’est maintenu au pouvoir depuis presque quarante ans. La répression arrêtera-t-elle les manifestants ou, au contraire, attisera-t-elle la colère ? Quoi qu’il en soit, rien de ce qui a poussé des travailleurs à descendre dans la rue ne disparaîtrait par un changement se limitant à un nouvel équilibre entre factions rivales. Cela ne mettrait pas un terme à la vie chère, au chômage ou au pillage de l’économie par les possédants. Et, au-delà, le régime resterait une dictature contre la classe ouvrière et une prison pour les femmes.18
La population victime de l’embargo américain
En mai 2018, Donald Trump a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien, son administration a activé, en soufflant le chaud et le froid, une série de mesures d’embargo.
Un an plus tard, le 22 avril 2019, Trump annonçait la fin des exceptions à l’embargo américain sur le pétrole iranien, accordées à huit pays en novembre 2018. Aussitôt, le cours du pétrole s’envolait, portant le baril à 74 dollars.
Sous prétexte d’affaiblir le régime des mollahs, Trump asphyxiait davantage la population iranienne et visait les concurrents européens et asiatiques des capitalistes américains. Si le régime iranien, que Trump affirmait vouloir faire chuter, était directement visé, les entreprises des autres puissances occidentales l'étaient aussi. Toutes celles qui faisaient des affaires avec l’Iran et qui utilisaient pour cela le dollar et le système bancaire américain s’exposaient à de grosses amendes aux États-Unis. Ces menaces ont conduit de nombreuses firmes, dont Total, Air France ou British Airways, à suspendre tout échange commercial avec l’Iran.
Le 4 novembre 2018, en activant une deuxième phase de sanctions, Trump avait accordé des dérogations à la Chine, l’Inde mais aussi à la Turquie et la Corée du Sud. Il s’agissait de ne pas fermer trop vite le robinet du pétrole iranien, passé de 3 millions de barils par jour au début 2018 à 1,5 million actuellement, pour ne pas provoquer une flambée des prix. En parallèle, il s’agissait de marchander des compensations commerciales avec ces pays. Trump montrait ainsi ses muscles non seulement aux mollahs iraniens mais à tous les dirigeants politiques de la planète.
Cette fois encore, outre la défense des intérêts des compagnies pétrolières américaines qui regorgent de pétrole et de gaz de schiste à exporter, Trump cherchait sans doute à imposer un accord commercial désavantageux à la Chine ou à l’Inde contre le maintien de l’accès au pétrole iranien.
Comme toujours avec les embargos, c’est la population iranienne qui payait le prix fort. Elle subit déjà la dictature des mollahs, la corruption et les passe-droits permanents des dignitaires du régime. L’embargo a provoqué une inflation à 25 % et aggravé la pénurie des denrées alimentaires qui font l’objet de spéculation. À ces sacrifices, s’ajoutaient depuis quelques semaines des pluies diluviennes et des inondations gigantesques qui ont ravagé 25 provinces sur les 31 du pays. Plus de 500 000 habitants ont dû être déplacés, 2 millions avaient besoin d’aide humanitaire. Mais l’embargo sur les transactions financières empêchait l’arrivée de cette aide. Ainsi, un versement de la Croix Rouge à destination du Croissant Rouge iranien fut bloqué. Quant aux aides en nature, dépêchées par plusieurs pays, elles étaient dérisoires par rapport aux besoins.
Si le régime des mollahs n’était pas si haï et affaibli, Trump pouvait lui donner un second souffle tant son embargo imposait de sacrifices à la population iranienne.19
Le pouvoir tire sur les manifestants
Le 14 novembre 2019, l’annonce par le gouvernement, d’une brutale augmentation du prix de l’essence à la pompe a déclenché des émeutes dans plusieurs villes iraniennes. Au fil des jours, la contestation s’est étendue, malgré la répression brutale qui a fait 100 morts à la date du 19 novembre, selon Amnesty international.
L’embargo décrété à l’été 2018 par les États-Unis prive l’Iran de sa principale ressource commerciale, le pétrole. Pour les Iraniens, les privations dues à cet embargo sont cruelles : le prix de la viande a doublé, celui de multiples produits vitaux a flambé, l’effondrement du rial iranien face au dollar augmente le prix de tous les produits importés. De plus en plus d’Iraniens ne font plus qu’un seul repas par jour. Et ces privations-là pouvaient être imputées aux États-Unis plutôt qu’au régime iranien.
L’augmentation de 50 % du prix des 60 premiers litres d’essence achetés et de 300 % pour les suivants est, elle, une décision des dirigeants iraniens pour renflouer le budget de l’État en faisant les poches de la population. Préparée conjointement par les trois têtes du pouvoir de la République islamique, cette décision a déclenché la révolte. Celle-ci s’est placée d’emblée sur un terrain politique. Des lieux symboliques, comme des commissariats de police ou des parlements régionaux, ont été incendiés à Ispahan et ailleurs. Des portraits de l’ayatollah Khamenei ou des monuments à la gloire de son illustre prédécesseur, Khomeini, ont été saccagés à Téhéran. Des slogans dénonçant les millions dépensés chaque année par le régime iranien pour soutenir financièrement le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien ont été repris.
L’annonce que les bénéfices réalisés sur le prix de l’essence allaient être utilisés pour revaloriser le revenu minimum que touchent 60 millions d’Iraniens pauvres n’a pas arrêté la révolte. Tous les dignitaires du régime sont profondément discrédités à cause de la corruption qui gangrène toute la vie sociale et du fossé entre le rigorisme religieux qu’ils affichent et leur mode de vie réel. Ce sentiment semble aujourd’hui partagé par toutes les catégories sociales du pays. Au début de l’année 2018, les classes populaires, surtout en province, s’étaient déjà révoltées contre la cherté de la vie, la pénurie d’eau et les salaires non payés. Elles n’avaient pas été rejointes par la petite bourgeoisie, les milieux commerçants ou les intellectuels. Cette fois-ci, la capitale Téhéran est touchée et plusieurs universités sont occupées par les étudiants.
Face à la révolte, le régime a fait donner ses forces de répression. Avant la coupure du réseau Internet dans tout le pays, les opposants au régime avaient recensé dix morts. Des militants ouvriers, récemment remis en liberté sous caution, dont Ismael Bakhshi et Setideh Ghaliyan, qui se battaient depuis des mois aux côtés des travailleurs de l’usine sucrière de Haft Tapeh, ont été remis en prison. Le régime craignait visiblement que la révolte contre la hausse du carburant ne dresse toutes les classes sociales contre lui.20
Trump l’incendiaire
L’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani par un drone de l’armée américaine, le 3 janvier 2020, a été un coup de tonnerre. Le président des États-Unis Donald Trump, qui l’a commandité, continuait de jouer avec le feu au milieu de l’énorme poudrière qu’est la région du Moyen-Orient.
Une des premières conséquences de cet acte a été de faire de ce général un nouveau martyr pour le régime iranien. En novembre, cette dictature avait dû faire face à des émeutes contre la vie chère et la misère, et les forces militaires, dont Soleimani était un des plus hauts responsables, et les pasdarans (les gardiens de la révolution islamique) avaient été la colonne vertébrale d’une répression extrêmement brutale qui avait fait plusieurs centaines de morts. Désormais, la dictature iranienne pouvait utiliser la mort de Soleimani pour se renforcer et organiser des processions en son honneur, rassemblant des foules très importantes.
Car le coup de Trump était une véritable provocation. Soleimani était une figure importante du régime iranien. Justement parce que son élimination pouvait signifier un acte de guerre évident, il se sentait dans une certaine position d’invulnérabilité, au point de ne pas spécialement chercher à cacher le détail de ses déplacements aux yeux de l’armée américaine.
Trump a ajouté qu’il pourrait attaquer 52 sites iraniens, en référence aux 52 Américains de l’ambassade des États-Unis à Téhéran qui avaient été pris en otages pendant plusieurs mois en 1979.
Un cap guerrier fut franchi. Et même si ni les États-Unis ni l’Iran n’avaient intérêt à l’escalade militaire, tout était place pour qu’elle puisse avoir lieu.21
Le pouvoir fragilisé
L’unité nationale mise en scène par les dirigeants iraniens après l’assassinat du général Soleimani par l’armée américaine aura été de courte durée. La destruction en vol, le 8 janvier 2020, d’un avion de ligne ukrainien transportant 176 passagers, la plupart d’origine iranienne, a provoqué des manifestations d’hostilité au régime des ayatollahs.
Après avoir nié toute responsabilité dans ce krach, le régime, par la voix du nouveau commandant en chef des Pasdaran, les Gardiens de la révolution islamique, a reconnu que le Boeing avait été abattu par un missile iranien « à la suite d’une erreur désastreuse ». Cette annonce a déclenché des manifestations de colère à Téhéran et dans plusieurs villes du pays. Elles ont été immédiatement réprimées par les Pasdaran, et pas seulement avec des gaz lacrymogènes.
La vie de plus en plus chère, les pénuries de produits courants et le chômage qui frappaient durement la population iranienne résultaient directement de l’embargo décrété par Trump en 2018, quand il a quitté l’accord sur le nucléaire. C’est pourquoi la provocation qu’a représentée l’assassinat à Bagdad de Soleimani, le chef des opérations extérieures de l’Iran, a permis aux dirigeants iraniens, Khamenei, le guide suprême, et Rohani, le président de la République, de faire vibrer la corde nationale. Ils ont réussi à rassembler peut-être plusieurs millions de personnes scandant « Mort à l’Amérique », lors des obsèques du chef des Pasdaran.
Mais cette union nationale était bien fragile. Si Trump et les États-Unis ont été conspués, des fractions de plus en plus larges des classes populaires rejetaient les dirigeants. Corrompus, voleurs de l’eau des paysans, incapables d’organiser les secours après les inondations qui ont frappé certaines régions, les hommes au pouvoir et leurs familles pompaient les richesses du pays. Les dépenses du régime pour soutenir ses alliés et défendre ses intérêts politiques en Irak, en Syrie ou au Liban, au détriment des besoins élémentaires des Iraniens, pesaient lourd dans le budget. Régulièrement, les ouvriers des grandes entreprises devaient faire grève pour recevoir leur salaire. Par deux fois, en janvier 2018 et en novembre 2019, des révoltes contre la cherté de la vie ont touché des dizaines de villes. À chaque fois les dirigeants islamiques étaient visés tandis que des lieux symboliques du pouvoir étaient saccagés.
Le mensonge des autorités au sujet de la destruction du Boeing ukrainien, dont une partie des passagers étaient des Iraniens expatriés en Europe ou au Canada, a ému lui aussi, même si c’est sans doute d’abord au sein de milieux plutôt privilégiés.
Les oppositions et même les révoltes ne peuvent que se multiplier contre ce régime dictatorial et réactionnaire.22
La tête change, pénuries et corruption demeurent
Le 18 juin 2021, Ebrahim Raïssi, candidat ultraconservateur , a été élu président de la République islamique d’Iran pour succéder au « réformateur » Hassan Rohani, en poste depuis huit ans.
Comme dans tous les pays, y compris les prétendues démocraties occidentales, les élections ne sont qu’un reflet déformé de l’opinion de la population. Avec 62 % des suffrages exprimés pour un taux d’abstention de 51 %, Raïssi a obtenu le même nombre de voix qu’en 2017, où il avait été battu. Cette année, le Conseil des gardiens de la Constitution avait écarté la majorité des candidatures, dont les plus connues du camp dit réformateur. Avant de mobiliser les électeurs conservateurs qui soutiennent le régime issu de la révolution de 1979, soit 17 millions sur 59 millions d’inscrits, Raïssi a d’abord été choisi par le guide suprême des ayatollahs, Ali Khamenei, dont il pourrait être le successeur.
Actuel chef du pouvoir judiciaire, Raïssi a supervisé la répression des manifestants contre la vie chère en novembre 2019, ou celle de divers opposants traqués jusqu’à l’étranger. Il a aussi participé en 1988, alors jeune juge, aux exécutions massives des militants ouvriers et de gauche emprisonnés dans les geôles iraniennes après avoir soutenu l’instauration de la république islamique. Le terme d’ultraconservateur, voire de réactionnaire, lui convient certes très bien.
Mais les termes de réformateurs, conservateurs, ultraconservateurs, utilisés par les médias, sont trompeurs. Plus que des divergences politiques ou idéologiques, ce qui sépare ces différentes cliques est leur rivalité pour accéder au pouvoir et donc à la mangeoire. Ainsi Ali Larijani, le principal « réformateur » écarté des élections, appartient à une riche famille de notables. Président de l’Assemblée nationale jusqu’en 2020, il a longtemps été un conservateur proche de Khamenei. Sa disgrâce l’a transformé en réformateur...
Rohani est salué par les Occidentaux pour avoir signé en 2015 avec les grandes puissances l’accord sur le contrôle du nucléaire iranien, dénoncé par Trump en 2018. Mais le même Rohani a inauguré son deuxième mandat, durant l’hiver 2017-2018, en réprimant férocement les révoltes populaires contre la cherté de la vie, les pénuries, le vol de l’eau des paysans ou celui des économies des gens modestes par des banquiers véreux, et plus généralement en protestation contre la corruption qui sévit partout dans le pays.
Quant à l’accord sur le nucléaire, il n’aurait pas pu être signé sans l’aval de l’ayatollah Khamenei, et Raïssi a promis durant sa campagne de tout faire pour le réactiver. L’enjeu pour les dirigeants iraniens, quelle que soit leur étiquette, était de pouvoir exporter de nouveau du pétrole en accédant au marché mondial. Les États-Unis multipliaient les exigences pour revenir dans l’accord et maintenaient un sévère embargo, dont étaient victimes en premier lieu les classes populaires iraniennes. Cet embargo s’ajoutait à la corruption générale, et aux conséquences de la pandémie de Covid, pour provoquer des pénuries de toutes les denrées importées, y compris les médicaments et les vaccins, et une flambée de tous les prix.
L’abstention massive, notamment parmi les classes populaires, s’expliquait au moins autant par ces difficultés permanentes que par l’absence de candidats susceptibles de concurrencer celui du guide suprême.23
La révolte de la jeunesse
À la suite du décès de la jeune Mahsa Amini, tuée le 14 septembre 2022 sous les coups de la police des mœurs de Téhéran parce qu’elle portait mal son voile, la contestation a pris de l’ampleur en Iran.
Confronté dans plus de cent villes à des manifestations de jeunes, femmes et hommes réunis, le pouvoir a amplifié la répression. Selon l’association Iran Human Rights, 76 manifestants ont été tués en dix jours, et des milliers d’autres jetés en prison, où la torture est systématique. Les blessés refusaient d’aller se soigner dans les hôpitaux, où ils étaient traqués. Mais les appels à « ne montrer aucune pitié » et à « ne pas épargner les criminels », lancés par les proches de l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême de la République islamique d’Iran, n’ont pas arrêté la jeunesse. Ainsi, des manifestants s’affirmaient prêts à mourir pour leurs idées : « je me bas, je meurs, je récupère l’Iran ».
Aux images montrant des femmes brûlant leur voile dans la rue et se coupant les cheveux en signe de protestation, ont succédé des slogans contestant le régime : « Mort au dictateur », « Khamenei, tu es un meurtrier, nous t’enterrerons » ou encore « À bas l’oppresseur, qu’il soit shah ou Guide (suprême) ». Ces slogans ont fait craindre au régime que la révolte de la jeunesse, partie de milieux petits-bourgeois mais qui semblait trouver une large sympathie dans le pays, puisse déclencher la révolte de dizaines de millions de travailleurs.
Trois ans auparavant, en novembre 2019, les classes populaires s’étaient mobilisées contre l’augmentation du prix du carburant et des produits de première nécessité. Les manifestants s’en étaient déjà pris aux dignitaires du régime, à leurs privilèges, dénonçant leur corruption et leurs coûteuses interventions militaires au Moyen-Orient. Pour mater cette révolte, comme lors des précédentes, le pouvoir iranien avait frappé très fort. Des fusillades ayant fait plus de 300 morts, des milliers de disparitions et des condamnations à des années de prison lui avaient permis de refermer, pour un temps, la chape de plomb. Le régime des ayatollahs est une dictature féroce mais il conserve une base sociale acquise au cours de la révolution de 1979 contre la monarchie pro-américaine du shah, dont il avait pris la tête.
Cette assise est certes minée par les effets de la crise économique, ceux de l’embargo américain mis en œuvre sous Trump en 2018, par la corruption des dignitaires du régime et les multiples pénuries qui frappent la population. L’inflation officielle dépassait les 50 % et le prix de multiples produits quotidiens avait doublé en un an. En dix ans, le niveau de vie moyen a été réduit de 25 %. Si les plus pauvres ont trinqué en premier, d’autres catégories sociales ne s’en sortent plus. Ainsi, un enseignant du primaire gagne l’équivalent de 250 euros par mois quand le moindre logement à Téhéran en coûte 125.
Cet appauvrissement avait poussé des milliers d’enseignants, organisés en dehors des syndicats officiels dans un Conseil de coordination des enseignants, à faire grève pendant plusieurs mois, fin 2021 et début 2022. Comme toujours, le régime a brisé le mouvement en arrêtant lors des manifestations du 1er mai plusieurs militants en vue, dont certains ont été libérés après une grève de la faim. D’autres travailleurs, dans le secteur pétrolier ou dans l’industrie sucrière, ont mené des luttes ces dernières années pour obtenir des augmentations, le paiement des arriérés de salaires ou leur embauche. La répression et la nécessité de s’organiser en dehors des organisations officielles que le régime a mis en place dans les entreprises transforment très vite ces grèves économiques en combat politique.
Pour que la révolte courageuse de la jeunesse iranienne réussisse à faire tomber le régime des ayatollahs, elle devra déboucher sur celle de toutes les classes populaires. Plus de 40 ans après la chute du Shah, une nouvelle révolution est nécessaire, et telle que la république islamiste ne soit pas remplacée par une nouvelle dictature, plus ou moins favorable à l’impérialisme.24
Abstention massive aux élections
Trente-six millions d’Iraniens sur 61 millions d’électeurs, soit 59 %, se sont abstenus à l’élection du 1er mars 2024. Elle était destinée à élire 290 députés et 88 religieux, chargés de choisir parmi eux le futur « guide suprême. »
Même en partant de ce chiffre officiel, donc à prendre avec méfiance, la participation a été la plus basse depuis le début de la République islamique en 1979. À Téhéran, l’abstention aurait atteint 76 % d’après un journal réformateur cité par France Info. Jusqu’au dernier moment, le gouvernement a essayé de l’enrayer en rallongeant de six heures la durée d’ouverture des bureaux de vote. Le jour du vote, le président du Parlement lui-même a exhorté par message en ligne les citoyens à appeler « leurs amis ou leurs connaissances dès maintenant et à les convaincre de participer aux élections », rapporte France 24.
Pour le gouvernement, c’était un test car il s’agissait des premières élections après l’explosion sociale de l’automne 2022 qui avait suivi l’assassinat par la police d’une jeune femme, Mahsa Amini, pour un voile mal porté. Ce mouvement, que le pouvoir a réussi à faire reculer par une répression sanglante, a été impressionnant par sa durée et sa profondeur. L’abstention massive est le signe qu’une rupture s’est faite dans la tête de millions d’Iraniens. La marque peut-être la plus visible est le nombre de femmes qui, malgré le danger, ne sortent plus avec le voile et le nombre d’hommes qui les soutiennent.
L’opposition politique, regroupée dans un Front des réformes, dont presque tous les candidats ont été recalés par le pouvoir, avait appelé au boycott. En effet, le gouvernement a disqualifié jusqu’à d’anciens présidents de la République comme Mohammad Khatami ou Hassan Rohani. Ceux qui ont été acceptés ont été vertement critiqués dans les réunions électorales, comme celui qui a été interpellé dans ces termes : « Je vous conseille de changer le nom de votre parti “Voix du peuple” en “Pion du pouvoir”. » L’agitation pour le boycott a été importante, malgré les risques, comme ce témoignage cité par Le Figaro du 3 mars : « On écrit sur les arrêts de bus, sur les billets de banques, on distribue des tracts aux passants dans les rues. » Et le mot d’ordre était de transformer les villes en villes mortes : « Personne dans les rues, [...] pour éviter que la police ne nous embarque et ne nous force à aller voter. »
Ce désaveu flagrant infligé au pouvoir témoigne de la perte de confiance de la population, en particulier dans les grands centres urbains. Elle s’enfonce, mois après mois, dans la misère car elle paie plus que jamais le prix de l’inflation qui frôle les 50 %, d’après les chiffres gouvernementaux largement sous-estimés. Viande, fruits, soins médicaux, logement sont devenus inabordables. Tout est sacrifié pour essayer de se nourrir quand même et payer son loyer, qui a souvent été multiplié par deux. Des jeunes se suicident de désespoir, faute de trouver un emploi... « Personne n’est content ici. Dans cette prétendue République, les gens sont affamés ou le seront bientôt à cause de l’explosion des prix alimentaires, et tout le monde a perdu au moins un proche des mains de la police des mœurs. »
L’abstention à ces élections est une indication de la rupture d’une partie de la population avec un pouvoir politique qui avait su malgré tout se constituer une certaine base sociale.25
Les mollahs fragilisés, la lutte du peuple continue
La mort du président Raïssi, le 19 mai 2024 dans un accident d’hélicoptère, n’affectera pas vraiment le fonctionnement de la République islamique. Dans le système institutionnel en place, le véritable pouvoir est détenu par le Guide qui décide des grandes orientations. Le président n’est que le numéro 2, un exécutant.
Cela dit, Raïssi était pressenti pour succéder au Guide, Ali Khameneï, âgé de 85 ans et malade. De ce point de vue, cette disparition fragilise la mollahrchie. Elle attisera les tensions au sein des clans qui se partagent le pouvoir et les richesses et ouvrira des brèches pour de futurs soulèvements populaires.
La mort de Raïssi a certes fait l’objet par le pouvoir d’une mise en scène de deuil national. À la va-vite, le régime allait faire élire un nouveau président le 28 juin 2024. Mais ce qu’il faut retenir, ce sont les fêtes spontanées qui ont éclaté à l’annonce de la mort de Raïssi. De Téhéran à Saqez au Kurdistan (ville natale de Jina Mahsa Amini), la population a exprimé sa joie plus ou moins ouvertement, et ce, à défaut de pouvoir juger Raïssi pour ses crimes.
Le « boucher de Téhéran »
Car le CV de Raïssi explique largement la détestation populaire à son égard et à l’égard de la République islamique. Dans la décennie 1980, Raïssi a été procureur-adjoint de Téhéran. Sous les ordres de Khomeiny, il a mené la répression et fait exécuter une dizaine de milliers de prisonnierEs politiques à la fin de la guerre contre l’Irak.
L’objectif du régime était d’éliminer toute possibilité de contestation et d’éradiquer la génération militante qui s’était opposée à la dictature du Shah mais qui refusait également la dictature de la République islamique. Procureur-adjoint mais également bourreau, Raïssi a été dénoncé par des survivants de cette vague sanglante comme celui qui achevait de ses propres mains les opposantEs. Son rôle dans les exécutions de 1988 lui a valu le surnom de « boucher de Téhéran ».
Plus récemment, sous son mandat de président de la République, il a réactivé la brigade des mœurs. Il porte une responsabilité directe dans le harcèlement des femmes, dans la mort de Jina Mahssa Amini et dans la violente répression du soulèvement « Femme Vie Liberté ». Il a également fait emprisonner et torturer des dirigeantEs syndicaux, des écologistes, des militantEs des droits humains et de défense des droits des femmes ou des enfants, des artistes. Son bilan économique et social est désastreux. Frappée par une inflation de 70 %, près de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Dans le même temps, l’enrichissement des dirigeants du régime, des gardiens de la Révolution et de leurs proches atteint des sommets.
Solidarité des dirigeants du monde
On comprend pourquoi nul ne pleure la mort de Raïssi… personne sauf les dignitaires du régime, leurs alliés régionaux dont certains par campisme absurde et criminel, mais aussi les dirigeants de certains États européens ou de la région qui, à l’instar de la Turquie, ont proposé, pour que rien ne change, leur assistance dans l’espoir de retrouver Raïssi vivant. Même l’Otan a présenté ses condoléances… Quand il s’agit de sauver un chef d’État, la solidarité des dirigeants du monde est là, malgré les divergences.
Mais en Iran personne n’oublie que ces mêmes dirigeants régionaux et européens ne s’empressent jamais quand il faut sauver les milliers d’IranienNEs victimes de catastrophes naturelles ou du régime lui-même. Personne n’oublie la politique migratoire criminelle de l’Union européenne qui refuse l’asile à celles et ceux qui fuient la dictature.
Dans leur lutte contre la République islamique, les peuples d’Iran ne comptent que sur leur propre force et sur la solidarité internationale par en bas.26
Sources
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Iran
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Iran
(3) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/iran-de-la-dictature-du-chah-a
(4) https://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-iran-apres-plus-de-trente-ans-de-10978
(5) https://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/iran-de-la-dictature-du-chah-a
(6) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-iran-apres-plus-de-trente-ans-de-10978
(7) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/iran-de-la-dictature-du-chah-a
(8) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-iran-apres-plus-de-trente-ans-de-10978
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Soul%C3%A8vement_post%C3%A9lectoral_en_Iran_en_2009
(10) http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/l-iran-apres-plus-de-trente-ans-de-10978
(11) Babak Kia http://www.npa2009.org/content/iran-et-nucl%C3%A9aire-les-v%C3%A9ritables-enjeux
(12) Claire Dunois http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/2342/dans-le-monde/article/2013/06/19/30159-iran-election-presidentielle-rohani-ayatollah-reformateur.html
(13) Viviane Lafont http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/04/08/iran-usa-laccord-sur-le-nucleaire-en-cache-dautres_36825.html
(14) Aline Retesse http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/07/15/accord-sur-le-nucleaire-iranien-ennemis-dhier-et-amis-de-demain_37541.html
(15) Behrooz Farahany https://www.npa2009.org/actualite/international/iran-la-population-ecrasee-paye-la-crise
(16) Joseph Daher https://www.npa2009.org/actualite/international/iran-et-arabie-saoudite-un-conflit-entre-forces-de-la-contre-revolution
(17) Babak Kia https://npa2009.org/actualite/international/iran-apres-les-elections-les-problemes-demeurent
(18) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2018/01/03/iran-le-pouvoir-conteste_101575.html
(19) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/04/24/iran-la-population-victime-de-lembargo-americain_119196.html
(20) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2019/11/20/iran-le-pouvoir-tire-sur-les-manifestants_136376.html
(21) Pierre Royan https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/01/07/moyen-orient-trump-lincendiaire_139360.html
(22) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/01/15/iran-le-pouvoir-fragilise_139784.html
(23) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/06/23/iran-la-tete-change-penuries-et-corruption-demeurent_162797.html
(24) Xavier Lachai https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/09/28/iran-la-revolte-de-la-jeunesse_413505.html
(25) Livia Bourgoin https://www.lutte-ouvriere.org/journal/article/2024-03-13-iran-abstention-massive-aux-elections_729878.html
(26) Babak Kia https://lanticapitaliste.org/actualite/international/iran-les-mollahs-fragilises-la-lutte-du-peuple-continue