Haute antiquité
L'île de Chypre constitue un carrefour où s'enracinèrent des éléments artistiques de Mésopotamie, d'Égypte, de Phénicie, et enfin de la Grèce et de Rome ; sa situation la met au confluent des grands courants de civilisation. Les fouilles ont apporté la lumière sur cette culture mixte. La période allant de la Préhistoire (-3000 environ) à la guerre de Troie, révèle à la fois les influences égéennes et celles de l'Orient ; la deuxième (du XIe siècle av. J.-C. au Ve siècle av. J.-C. témoigne de la rencontre du courant syro-phénicien et du courant hellénique ; la troisième, gréco-romaine, de l’emprise totale de la Grèce depuis le IVe siècle av. J.-C.
Domination perse puis période hellénistique
Après avoir été longtemps indépendante et autonome sous l'autorité de rois placés à la tête de dix cités-royaumes englobés dans l'île même, Chypre devient au VIe siècle av. J.-C. l’enjeu de guerres entre les Grecs et les Perses. Finalement, ces derniers parviennent à annexer l'île, qui est intégrée à leur empire.
Après une longue période perse, l'île passe sous le sceptre d'Alexandre le Grand, et, après sa mort, sous celui des Ptolémées d'Égypte. Cette période hellénistique inaugure l’hellénisation de l’île, qui reste ensuite majoritairement de culture grecque.1
Domination romaine
Léguée à Rome par les souverains lagides, Chypre fut officiellement annexée en -58. Marcus Caton fut envoyé en mission par le Sénat pour liquider le trésor lagide conservé à Chypre. Vers 34 avant notre ère Marc Antoine restitua l’île à la reine Cléopâtre. Après la défaite de Cléopâtre et de Marc Antoine à Actium en 31 av. J.-C., l’île fut ré-annexée à l’empire romain. Dans le partage des attributions fait entre le Sénat et Octave, devenu Auguste en 27 avant notre ère, l’île est attribuée au Sénat. Elle forme dorénavant une province sénatoriale, de rang proprétorial. C’est la seule des provinces issues de l’empire lagide à avoir été confiée au Sénat.2
Période byzantine et arabo-byzantine
Lors de la division de l'Empire romain, Chypre reste dans le giron de l’Empire romain d'orient, autrement dit de l'Empire byzantin. À cette époque son archevêque est déclaré autocéphale par le concile d'Éphèse : c’est une des plus anciennes autocéphalies ecclésiastiques.
En 688, les Arabes débarquent : l'empereur Justinien II et le calife Abd al-Malik signent un accord sans précédent : pendant les 300 années suivantes, Chypre fut dirigée conjointement par les Arabes (sur le plan politique, fiscal et militaire) et par les Byzantins (sur les plans religieux et administratif), malgré les luttes constantes entre les deux parties sur le continent. Cette période dura jusqu'en 965, quand l'empereur byzantin Nicéphore Phocas reconquit l'île.
En 1185, le prince byzantin Isaac Comnène de Chypre se rebella contre le règne de l’empereur Andronic Ier Comnène et prit le pouvoir à Chypre. Le gouvernement central byzantin, aux prises avec les pillages des Croisés et des Sarrasins, était incapable de réagir.
Les croisades et le règne des Lusignan (1191-1491)
Richard Cœur de Lion débarqua à Limassol le 1er juin 1191. Fraîchement accueilli par Isaac Doukas Comnène, dont les agents avaient réquisitionné un navire, Richard prit possession de l'île et força Isaac à lui fournir une aide dans sa croisade contre Saladin. Richard se maria à Limassol avec Bérengère de Navarre le 12 mai 1192. La flotte croisée quitta Chypre pour Saint-Jean-d'Acre le 5 juin 1192, mais l'armée de Richard continua d'occuper Chypre.
Après une révolte des Grecs, Richard vendit l'île à son ami Robert de Sablé, Grand-Maitre de l'Ordre du Temple, pour seulement 25 000 marcs d'argent. Les Templiers revendirent l'île à Guy de Lusignan qui devint roi à Chypre. Son frère Amaury II de Lusignan lui succède et obtient l'investiture royale en 1195.
Purement fortuites à l’origine, la conquête et la création du royaume acquirent une particulière utilité en 1291, année de la fin de toute présence franque en Terre sainte. Chypre put notamment soutenir le royaume de Petite-Arménie et servit de point de départ à des tentatives de croisades (comme celle de Pierre Ier).
Le 28 mai 1291, la citadelle d'Acre tomba aux mains du sultan d'Égypte Al-Ashraf Salah ad-Dîn Khalil ben Qala'ûn ne laissant en vie que sept Hospitaliers et dix Templiers. Les dernières places fortes de Tyr, Sidon et Tartous sont évacuées sans combat.
L’ex-roi de Jérusalem mais toujours roi de Chypre, Henri de Lusignan, octroie aux Hospitaliers la ville de Limassol. Les Hospitaliers forment alors l'espoir de reconquérir la Terre Sainte et se regroupent autour de Jean de Villiers dans leurs commanderies de Chypre, notamment celle de Kolossi. La première initiative des survivants est d’être fidèle à la raison première de l’ordre en créant un hôpital : il s’agit de soigner les rescapés du siège mais aussi tous les réfugiés civils de Terre sainte. Les Hospitaliers réalisent que la ville de Limassol est ouverte aux attaques des corsaires arabes. Le chapitre général leur ayant refusé l'installation en Italie afin de maintenir une présence au plus près de la Terre sainte, ils s’enquièrent d'armer une flotte capable de défendre l'île mais aussi d'attaquer sur mer. L'ordre disposait de deux galères, une fuste, un galion et deux dromons. Le pape Clément V autorise en 1306 le nouveau grand maître Foulques de Villaret (1305–1319) à armer une flotte sans l'autorisation de Henri II roi de Chypre. Les Hospitaliers mettent sur pied une nouvelle organisation et deviennent une nouvelle puissance navale en Méditerranée orientale. Des côtes très découpées, peu accessibles par terre, et la présence de nombreuses îles procuraient de nombreux repaires aux corsaires et favorisaient trafics commerciaux et humains. L’île de Rhodes était un lieu d'échange pour ces trafics. Les Hospitaliers attaquent les Byzantins et, entre 1307 et 1310, conquièrent l'île de Rhodes où ils se transportent, laissant Chypre aux mains des Lusignan qui y règnent sous la tutelle des Génois.
Domination vénitienne (1489-1571)
En 1464, Jacques II de Lusignan se débarrasse des Génois, en grande partie grâce à l'argent de la famille Cornaro, d'origine vénitienne. En 1468, il demande la main de Catherine Cornaro, la fille de Marco Cornaro : le mariage est célébré en 1472. Le contrat prévoit que l'île échoit à Catherine Cornaro si Jacques II meurt sans héritier légitime. Jacques II meurt à l'âge de 33 ans le 6 juillet 1473. Le capitaine général de la flotte vénitienne, Pietro Mocenigo, est dépêché sur place. Le 14 novembre, le roi Ferdinand de Naples, s'appuyant sur l'archevêque de Nicosie, tente un coup de force pour s'emparer de l’île. Mocenigo rétablit l'ordre au profit de Venise.
En 1488, le Conseil des Dix dépêche le frère de Catherine, Giorgio Cornaro, à Chypre. Il est chargé de convaincre Catherine d'abdiquer en faveur de la Sérénissime République. Malgré ses réticences, elle fait ses adieux à son royaume en février 1489. La République continue de payer le tribut au sultan.
Domination ottomane (1571-1878)
Durant cette période, les Chypriotes grecs conservent leur identité remontant à l'Antiquité, grâce au système de Millet mis en place par les Ottomans dans les communautés non musulmanes. En 1901, cette communauté représente 77,1 % de la population de l'île, contre 21,6 % pour celle des Chypriotes turcs.
Conquête ottomane
Vers 1570, Chypre est peuplée de 180 000 habitants, dont 90 000 serfs et 50 000 paysans libres qui cultivent le coton, la vigne, la betterave à sucre et parfois le blé, pour le compte de Venise (Chypre exportait aussi des barils d’ortolans en conserve). L'île est toutefois une cible tentante pour l'empire ottoman qui déclare la guerre à Venise pour s'en emparer. Ils prennent rapidement la capitale de Nicosie en 1570, mais Famagouste, mieux fortifiée, résiste. Malgré leur défaite à la bataille de Lépante, les Turcs prennent possession de l’île en 1571 (Famagouste capitule en août). Les Turcs procèdent à des repeuplements avec des paysans Anatoliens. Ils persécutent les « Latins » (notamment d'origine vénitienne) et confisquent leurs propriétés ; certains, ainsi qu'une partie des grecs les plus pauvres passent à l'islam et à la langue turque, pour ne plus payer le « haraç » (double-capitation sur les non-musulmans). Ils sont surnommés Linobambakis. Ainsi se constitue et s'étoffe la communauté chypriote turque.
Domination de l'île
Il n’y a plus de servage et le clergé catholique est chassé de l’île : les paysans restés chrétiens se trouvent alors tous soumis au même statut de sujet ottoman membre du « milliyet » des « Rum », c'est-à-dire des orthodoxes représentés par le Patriarche de Constantinople. Toutefois l’influence italienne persiste, notamment dans l’habillement, la musique, l'architecture, les arts populaires. Les exportations de coton chutent et le vignoble recule au profit d’une agriculture vivrière.
Du protectorat à la conquête britannique
L'île demeure ottomane pendant trois siècles, avant d’être cédée en 1878 au Royaume-Uni « pour être occupée et administrée » par ce dernier au nom de l’Empire ottoman, qui conserve néanmoins la souveraineté nominale sur l’île, même si en pratique celle-ci est désormais intégrée à l’Empire britannique.
Le 5 novembre 1914, à la suite des déclarations de guerres successives entre la Triple-Alliance et la Triple-Entente, le Royaume-Uni annexe totalement l'île de Chypre. Cette occupation sera reconnue par le Traité de Lausanne, signé en 1923 entre les Alliés et la Turquie.
Chypre devient une colonie britannique au mécontentement des insulaires et le nouveau gouvernement de Ronald Storrs dote l'île d'une « Constitution » qui vise à apaiser le sentiment nationaliste.
La réclamation de l'Enosis
Le 21 octobre 1931, une première révolte des Chypriotes grecs contre l'occupation a lieu, elle est aujourd'hui connue sous le nom d'Oktovriana (Οκτωβριανά) et mène à une période sombre où les Britanniques règnent sur l'île par la force, profitent de ses richesses et de sa position stratégique en Méditerranée orientale mais ne mènent aucune politique destinée à développer l'île sur les plans économiques et sociaux quand les citoyens les réclament. Durant cette période appelée « Palmerokratia », les droits des Chypriotes sont réduits, les associations et regroupements interdits et les manifestants pour l'émancipation de l'île et son rapprochement avec la Grèce, réprimés. L'Oktovriana est utilisée comme prétexte par l'administration britannique pour abolir le Conseil législatif et réduire le pouvoir des Chypriotes dans l'administration coloniale. Cette période autocratique dure presque dix ans.
Un premier référendum sur le rattachement de l'île à la Grèce a lieu le 15 janvier 1950, soutenu par l'Église orthodoxe et sous l'égide de l'archevêque Makarios III. 95,7 % des Chypriotes grecs se prononcent alors en faveur du rattachement à la Grèce : l'Union ou « Énosis » (en grec : ἔνωσις), démontrant leur rejet de l'administration coloniale britannique dans les urnes. Celle-ci considère le plébiscite comme un stratagème dans la rivalité entre le parti AKEL – d'orientation communiste – et l'Église orthodoxe ; elle ne lui accorde aucune considération. Pire, l'anticommunisme occidental de l'après-guerre permet à Sir Andrew Wright, devenu gouverneur de l'île en 1949, de défendre sa politique répressive envers les partisans de l'Énosis (dont l'AKEL est au premier rang) auprès du Colonial office.
La lutte pour l'indépendance
En 1955, les Chypriotes grecs reprennent les armes contre le pouvoir britannique en formant l'Ethniki Organosis Kyprion Agoniston (EOKA), dirigé par Georges Grivas. De son côté, le Royaume-Uni commence à recruter des milices chypriotes turques pour renforcer ses troupes coloniales.
Les accords de Zurich et de Londres de 1959 mettent fin à la lutte anti-coloniale et le traité de garantie, garantit l’abandon de toute prétention territoriale britannique future. Le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce deviennent garants de l'équilibre constitutionnel de la République de Chypre. Le traité accorde, en particulier, un droit d'intervention militaire, sous certaines conditions, pour rétablir l'ordre constitutionnel si celui-ci venait à être modifié. Chypre devient une République indépendante en 1960 et adopte sa propre constitution. Elle intègre par ailleurs l'ONU et le Commonwealth.
De l'indépendance aux violence intercommunautaires
La constitution garantit à la minorité chypriote turque un poids politique important (30 % des postes dans la fonction publique et 40 % dans la police) au regard de son poids démographique (18 % de la population) et un droit de veto sur les décisions du parlement dans un système communautaire que certains jugent analogue à celui du Liban. Selon les Chypriotes grecs, ces quotas se révélèrent si disproportionnés que, durant la période 1960-1962, le nouvel État chypriote eut des difficultés à les remplir, par manque de candidats turcophones.
Le 24 mai 1961, Chypre devient membre du Conseil de l'Europe. En 1963, le président Makarios III propose des amendements à la Constitution de 1960. Cette proposition, connue sous le nom des « 13 amendements de Makarios », visait à répondre à la situation de blocage institutionnel persistant depuis plusieurs mois. En effet, les représentants chypriotes grecs et turcs usant alternativement, et de manière systématique, de leur droit de veto, sur les propositions issues de l'autre communauté, le blocage était inévitable. Les questions fiscale et de partage de l'administration des villes furent, en 1963, à l'origine de la paralysie complète des institutions sur ces sujets. Aussi, les propositions de Makarios avaient-elles pour but de dénoncer le droit de veto chypriote turc, et plus généralement la pondération excessive des pouvoirs institutionnels. Ce coup de force du président chypriote contribua à exacerber les tensions entre les deux communautés, conduisant à de violents affrontements intercommunautaires en décembre 1963. Cet épisode sanglant très controversé dans son déroulement, marque certainement la fin des espoirs de cohabitation pacifique entre les deux communautés, qui n'ont de cesse de se séparer, et de s'affronter dans une lutte fratricide.
Profitant de cette situation de tension, la Turquie reprend et actualise une ancienne revendication : la Taksim, autrement dit la partition de l'île. La communauté turque, historiquement très liée à Ankara, met en œuvre, partout où elle le peut dans l'île, ce programme de séparation. Au début de l'année 1964, Chypre est à feu et à sang. Des opérations d'épuration ethnique (destructions de villages et de mosquées, assassinats, viols) sont commises par la partie grecque, ce qui provoque des représailles du côté turc. Les Chypriotes grecs profitent de la politique de la chaise vide, décidée en janvier 1964, par les représentants chypriotes turcs, dans toutes les instances représentatives, pour faire passer des lois rééquilibrant les pouvoirs conformément au prorata démographique. Les Chypriotes turcs s'enfoncent quant à eux dans la logique de la séparation, provoquant de ce fait les conditions de leur mise à l'écart. Le TMT, milice chypriote turque, provoque de manière concertée des incidents, auxquels les Chypriotes grecs répondent de manière toujours plus disproportionnée. Les dirigeants chypriotes turcs poursuivent, durant tout l'hiver 1964, cette politique du pire dans le but de démontrer que leur sécurité est en jeu et que la partition est la seule solution préservant leur existence même. Cette politique se concrétise, dans les premiers jours de juin, par l'appel de la communauté chypriote turque à la Turquie, pour qu'elle intervienne militairement afin d'assurer sa protection. Les États-Unis, à travers l'ancien chef du département d'État, Dean Acheson, tentent une médiation secrète entre la Grèce et la Turquie (par ailleurs alliées au sein de l'OTAN) sur la question chypriote afin d'éviter une guerre entre ces deux pays susceptible de déstabiliser le flanc sud-est de l'OTAN. Ces tentatives se soldent par un échec faisant de Chypre le terrain d'affrontements incessants entre les milices chypriotes grecque et turque, ce qui conduit l'ONU à envoyer un important contingent de casques bleus (UNFICYP) sur l'île en mars 1964, à l’issue de l’adoption de la résolution 186.
Du coup d'État grec à l'invasion turque
En 1974, la Garde nationale chypriote, soutenue par la dictature grecque, organise un coup d'État contre Makarios III dans le but de rattacher l'île à la Grèce (Enosis).
La Turquie intervient militairement prenant pour prétexte de protéger la minorité turque. Cette intervention militaire, justifiée par l'existence d'un traité de garantie de la Constitution de 1960, devait rétablir l'ordre constitutionnel dans l'île. Au lieu de cela, et bien que le coup d'État ait échoué en moins de dix jours, l'invasion turque fut maintenue coupant l'île en deux. La République de Chypre se retrouva donc amputée de plus de 30 % de son territoire occupé militairement par l'armée turque. En 1983, la partie occupée de Chypre se déclara République turque de Chypre Nord (RTCN), mais, étant issue d'une violation flagrante des règles de droit international, elle n'est pas reconnue par le reste de la communauté internationale (elle ne dispose pas de siège à l'ONU), à l'exception de la Turquie.
Au cours des opérations, environ mille six cents Chypriotes grecs ont disparu, sur le sort desquels la Turquie a toujours refusé de donner la moindre indication. Des renseignements fournis par des services secrets, publiés par La Tribune de Genève, indiquent néanmoins qu'un grand nombre fut exécuté rapidement alors que d'autres restèrent détenus… plus de vingt ans.3
Chypre du Nord : la faillite d'un régime
La République turque de Chypre du Nord, autrement dit la partie de l'île de Chypre occupée par l'armée d'Ankara, a connu en 2003 une profonde crise politique et sociale, elle-même liée à une succession de scandales financiers dont la population a payé les conséquences. C'est ainsi que, le 24 juillet 2003, plusieurs milliers de personnes en colère ont envahi le Parlement, ont tabassé plusieurs parlementaires, renversé plusieurs véhicules de police qui se trouvaient devant le Parlement, puis se sont affrontées avec les forces de répression.
Les turcs de Chypre sous occupation... turque
L'île de Chypre est divisée en deux depuis qu'en 1974, en réponse au coup d'État du général Grivas, lui-même appuyé par le régime des colonels grecs, l'armée turque a occupé le nord de l'île. Elle y est restée depuis, créant dans le nord de l'île cet Etat, la " République turque de Chypre du Nord ", formellement indépendant mais qui n'est reconnu que par la Turquie et en est pratiquement une province.
L'argument avancé par le régime turc en 1974 était de sauver les Chypriotes turcs d'un possible massacre par les Grecs. À l'époque, 70 % de l'industrie et une partie importante des installations touristiques se trouvaient au nord, alors que la population chypriote turque représentait à peine un quart de la population totale de l'île de Chypre.
Mais durant les années qui ont suivi, non seulement la Turquie n'a rien fait pour développer l'économie dans la zone qu'elle occupe, mais elle a fait démonter les quelques usines existantes pour les transférer sur le continent, ou alors elle les a laissées à l'abandon. Quant au tourisme, la République de Chypre du Nord n'étant pas reconnue sur le plan international, et la Turquie ne faisant rien pour assurer les transports, il s'est effondré également. L'agriculture, qui était basée sur la production des agrumes et des pommes de terre, a connu le même sort. L'économie de Chypre du Nord a ainsi fait faillite en quelques années, et c'est l'Etat turc qui a maintenu en vie artificiellement cet État, notamment en payant une bonne partie des salaires des fonctionnaires.
Par ailleurs, les partis de gauche étant traditionnellement assez influents à Chypre, et la majorité de la jeunesse chypriote turque étant donc plutôt hostile au régime d'Ankara, ce dernier l'a encouragée à émigrer, en la remplaçant par des Turcs venus de Turquie, et en général sélectionnés parmi des militants de l'extrême droite, nationaliste ou religieuse. C'est ce qui a permis à Rauf Denktash, l'homme mis en place par Ankara à la tête de Chypre du Nord, de remporter toutes les élections jusqu'en 2005 malgré le fait que plus de 60 % des Chypriotes turcs lui soient hostiles !
Mais la situation a commencé à changer car le gouvernement et la bourgeoisie turcs commençaient à trouver le fardeau de Chypre trop pesant. Le régime d'Ankara fut soumis aux pressions des États-Unis et de l'Union européenne, qui l'incitaient à mettre fin à ses différends avec la Grèce, et notamment à régler la question chypriote. De son côté, la bourgeoisie turque estimait que les sommes englouties à Chypre seraient bien mieux employées si elles finissaient dans ses propres poches. Elle estimait aussi que la présence militaire à Chypre, qui n'était qu'un enjeu de prestige de la part du régime, ne valait pas de perdre, par exemple, les avantages que comporterait pour elle l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Les événements du 24 juillet 2003
La faillite financière de la République s'est précipitée à partir du mois de janvier 2000, lorsque six banques qui avaient collecté l'épargne de la grande majorité de la population en l'attirant par des taux d'intérêts alléchants, se sont déclarées en faillite. Ces banques appartenaient toutes à des familles très proches du pouvoir et de la véritable mafia qui entoure le régime de Denktash.
L'État de Chypre du Nord, qui avait accepté d'indemniser les cinquante mille personnes (soit presque un tiers de la population) victimes de cette faillite, n'a pu le faire car, entre temps, la Turquie a décidé de ne plus le financer. Cette décision, combinée avec l'aggravation de la crise économique, a amplifié le mécontentement latent. Et quand, début juillet, le gouvernement n'a même pas pu verser les salaires des fonctionnaires, celui-ci a commencé à s'exprimer ouvertement.
Dans ce contexte, l'arrestation arbitraire de quatre journalistes d'opposition, et d'un sous-officier ainsi que de sa femme, accusés " d'espionnage " au profit des Grecs, puis leur libération faute de preuves, ont été l'occasion pour la population d'exprimer sa colère contre le régime. La provocation était tellement évidente qu'elle n'a fait qu'attiser la colère contre le régime. Plus de sept mille personnes ont participé, à Nicosie, à la plus grande manifestation jamais faite à Chypre du Nord. Puis le 24 juillet, plus de deux mille personnes, de celles ayant perdu toutes leurs économies dans la faillite des banques, se sont rassemblées au centre-ville, commençant par marcher sur le Palais présidentiel en criant des slogans hostiles à Denktash et s'en prenant à ses voitures de fonction. Puis elles se dirigèrent vers le Parlement, qui se trouve à quelques centaines de mètres.
Là, les manifestants renversèrent les véhicules de police qui se trouvaient devant le Parlement, défoncèrent les grilles et les portes, avant d'envahir l'intérieur du bâtiment et de tabasser quelques parlementaires n'ayant pas pu prendre la fuite. Ils détruisirent également pas mal de documents. Certaines chaînes privées de Turquie ont montré abondamment les images, impressionnantes, de ces affrontements.
Mais ce qui dominait, même si la population était en colère et parfois désespérée, c'était l'absence de perspectives, que personne ne se souciait d'ailleurs de lui donner. À gauche, il existait bien un parti social-démocrate (TKP), mais il était au gouvernement avec un parti de droite. Il existait aussi à Chypre un Parti Communiste, avec une implantation relativement importante. Celui-ci a même eu plus de 20 % des voix il y a quelques années, mais ensuite s'est beaucoup discrédité à cause de sa participation au gouvernement avec le parti du fils de Denktash. Le leader du Parti Communiste chypriote Mehmet Ali Talat, qui était également député, se trouvait dans le Parlement lors de l'émeute du 24 juillet. Mais la première chose qu'il ait faite a été d'aller trouver le Premier ministre et de négocier avec lui pour calmer les manifestants en colère. Pendant ce temps, des renforts étaient dépêchés sur place. Ensuite les forces de répression ont attaqué les manifestants. Il y a eu plusieurs dizaines de blessés et 55 personnes ont été arrêtées, puis relâchées dans les jours suivants.
Depuis, cette absence de perspectives a permis au régime de relever la tête. Au mois d'août 2003 des mesures d'austérité ont été prises. Le régime, conscient qu'il ne pouvait guère les appliquer dans la situation, voulait se donner les moyens d'affronter plus durement la population. Denktash réclamait ouvertement l'instauration de l'" état d'exception ", avec l'appui du gouvernement turc d'Ecevit et des généraux d'Ankara.
Après avoir amené l'île à la faillite, après avoir détroussé la population dans les magouilles financières de la mafia de Denktash, celui-ci voulait maintenant employer la manière forte pour l'obliger à se résigner à son sort. Malheureusement, la population turque de Chypre du Nord n'avait probablement pas fini de payer pour la façon dont les généraux d'Ankara la " protégeaient " depuis vingt-six ans ! 4
Chypre, membre de l'Union européenne
En 2004, le plan Annan, intervenant après trente ans de négociations infructueuses, proposait d’instaurer un État confédéral, chaque État confédéré devant permettre l’installation (ou le retour) de 33 % au plus de résidents de l’autre communauté sur son sol. Il fut proposé au cours d’un référendum. Bien que le nombre de Turcs soit insuffisant pour atteindre ce taux au Sud, alors que le nombre de Grecs est largement suffisant pour l’atteindre au Nord, ce plan fut accepté à plus de 65 % par les habitants du Nord de l’île, mais rejeté à 70 % par ceux du Sud lors d’un référendum : en effet, pour les Grecs ayant été chassés du Nord, la limitation à 33 % était inacceptable, étant donné qu’ils étaient environ 79 % des habitants du nord avant 1974 ; pour les Turcs en revanche, cela revenait à sauvegarder l’essentiel de leurs acquis tout en revenant dans la légalité internationale et en échappant à l’embargo et à la dépendance vis-à-vis d'Ankara. Au cours de ce référendum d’ailleurs, pour la première fois, des manifestations massives, rassemblant jusqu'à 50 000 personnes, ont eu lieu dans la partie occupée de Chypre, au cours desquelles la communauté chypriote turque a contesté ouvertement la politique sous tutelle d’Ankara du « président » Rauf Denktash, exigé sa démission, et exprimé son souhait de rattachement à la partie sud. Le 1er mai 2004, la République de Chypre entra dans l’Union européenne alors qu’une partie de son territoire était toujours occupée militairement par la Turquie, et depuis, l’inégalité économique entre les deux parties s’est aggravée : selon la terminologie officielle du protocole no 10 du traité d'Athènes, "l’acquis communautaire est suspendu dans les zones où le gouvernement de la République de Chypre n’exerce pas de contrôle effectif ". Tout progrès vers une solution à ce conflit qui sépare les deux communautés depuis 1974, semble désormais largement lié à l’avancée des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Europe : le retrait d’Ankara de Chypre est en effet l’une des conditions de cette adhésion. La création depuis 2005 de points de passage entre les deux côtés, permet aux populations de renouer des contacts et donne une lueur d’espoir en vue d’une amélioration de la situation.
Le 21 mars 2008, lors d'une entrevue entre le nouveau président de la République de Chypre Demetris Christofias et son homologue de la partie turque, Mehmet Ali Talat, il est annoncé l'ouverture d'un point de passage dans la rue Ledra, grande rue commerçante de Nicosie. Ce nouveau check point s'ajoute aux cinq autres ouverts depuis 2003 sur plusieurs points de la « ligne verte ». Un autre point de passage serait ouvert à Limnitis dans la partie nord-ouest de l'île coupée en deux depuis 1974.
Le 3 avril 2008, la rue Ledra, rue piétonne et commerçante du Vieux-Nicosie, alors coupée en deux par un mur, est rouverte après 40 ans de séparation. On peut y voir là un premier pas symbolique vers la réunification de l'île.
À ce propos, le 3 septembre 2008 ont débuté des négociations entre la République de Chypre et la République turque de Chypre du nord sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies. Alexander Downer a été nommé au poste de « Conseiller spécial du Secrétaire général » afin d'encourager le processus de réunification de l'île fondée sur une fédération bicommunautaire, bizonale et sur l’égalité politique.
Depuis de nombreuses années les autorités turques mènent une politique de colonisation active de la partie nord, avec des installations massives de colons turcs venus d'Anatolie. L'autre axe d'action consiste à effacer le passé orthodoxe et plus généralement chrétien de l'île, avec des destructions massives d'églises, de couvents et de leurs mobiliers, ou leur transformation en mosquées.5
Chypre: un Paradis fiscal
Comme le souligne la journaliste Martine Orange : « depuis 1974, l’île est un paradis fiscal, une plaque tournante pour les capitaux légaux et illégaux. Les capitaux du Moyen-Orient y ont d’abord trouvé refuge, au moment de la guerre du Liban. Les fonds secrets de Slobodan Milosevic et de ses sbires y sont transités pour financer leur guerre en Serbie. Les armateurs grecs sont venus y cacher leurs richesses. Les oligarques russes ont choisi d’y abriter une partie de leur fortune, avant de la rediriger vers l’Europe ou le reste du monde. Selon l’agence Moody's, les avoirs russes dans les banques chypriotes sont estimés à 23,8 milliards d’euros sur un total de 70 milliards. Les banques russes détiendraient à elles seules plus de 12 milliards d’euros. »
Un pays en récession (2008-)
De 2008 à 2013, le chômage explose, passant de 4,2 à plus de 16,3 % ; le PIB par habitant diminue et le pays entre en récession en 2009 et de nouveau depuis 2010, atteignant -2,4 % au deuxième trimestre 2012. Fin 2012, Chypre doit demander une aide de 17 milliards d'euro à l'union européenne pour soutenir son économie touchée par la crise grecque. Des politiques d'austérité sont mises en œuvre pour réduire les déficits publics, entraînant une baisse du niveau de vie. La précarité se développe et 22 % de la population est en risque de pauvreté.6
L’économie de Chypre en sursis - Chronique d’une banqueroute évitée
« Le système financier actuel privatise les bénéfices et mutualise les pertes » - Propos attribués à Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’économie).
Une lente agonie qui a commencé en même temps que le feuilleton grec, celui d’un coma chypriote pendant un an. De replâtrage en replâtrage, le verdict est tombé, Chypre risque la faillite si l’Europe ne lui vient pas en aide. Étant dans la même charrette que les pays du Sud catholiques, de l’Europe, connus dit-on par leur farniente, qu’on les appelle les Arabes de l’Europe, partageant avec ces derniers, outre le climat, la paresse et l’esprit de cigale, contrairement aux Européens du Nord -généralement protestants- besogneux, durs à la tâche - symbolisés entre autres, par l’Allemagne qui donne l’impression de diriger l’Europe et d’imposer son diktat à ces pays du Sud qui tombent comme des dominos. Après la Grèce, le Portugal, l’Espagne, même l’Italie que l’on croyait insubmersible et qui est - too big too fall - risque elle aussi de subir le même sort en attendant le pays suivant immédiat...la France.
Chypre
C’est un petit pays de 9251 km2 de 885.600 habitants. Avant d’être rattaché à l’Europe par un référendum qui n’a concerné que les Chypriotes du sud de l’Île, les Chypriotes du Sud avaient le même PIB que ceux du Nord soit environ 10.000 $/an. La machine européenne les a tirés rapidement vers un niveau de vie, ils ont doublé leur niveau de vie au point d’arriver à un Indice de développement humain : 0,810 (35e rang mondial). De part et d’autre d’une frontière qui passe au milieu d’une rue, nous avons le Moyen âge d’un côté et le XXIe siècle. Ce rêve ne devait pas durer !
Cette économie virtuelle ne crée pas de richesse. « Les bords du lac Léman accueillent les sièges des plus gros négociants de matières premières. La « petite Suisse de la Méditerranée » accueille, elle, leurs boîtes aux lettres. Certaines entreprises y recherchent une fiscalité avantageuse (5% à la "belle" époque, 12,5% en 2013). Mais "le détour chypriote permet fondamentalement de masquer les bénéficiaires économiques des sociétés", explique Olivier Longchamp, responsable fiscalité et finances internationales de l’association Déclaration de Berne. En clair : offrir aux ramifications des maisons de négoce une ombre propice à l’épanouissement de leurs activités lucratives et internationalisées. »
Situation économique
Le PIB (2011) était de 17,9 milliards euros avec un faible taux de croissance (2011) : +0,5%. Le taux de chômage (2011) : 7,7% qui a augmenté d’une façon spectaculaire pour atteindre 15% en 2013. Solde budgétaire (2011) : -6,5%. Balance commerciale (2011) : -5,9 mds euros et -10 milliards en 2013. Les principaux fournisseurs de Chypre sont par ordre : 1/ Grèce 19% - 2/ Italie 9,3% - 3/ Allemagne 8,9% 4/ Royaume-Uni 8,3%- 5/ Israël 8% - 6/ Chine 5,3% : la France est en 7ème position. Ses principaux clients en 2010 : 1/ Grèce 22,1%- 2/ Allemagne 8,4% 3/ Royaume-Uni : 8,2%.
La particularité de l’économie chypriote est qu’elle ne crée pas de richesses. Ce sont les banques qui détiennent plus de 40% de son PIB. Ces banques qui ont fleuri et sont devenues le refuge de tous les requins de la finance qui ont cherché à la fois une fiscalité très faible (5%) mais aussi une complaisance pour « blanchir » des capitaux douteux. Les autorités chypriotes ont été contraintes de solliciter en juin 2012 l’assistance financière de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, pour faire face aux besoins de leurs banques, dont 40% des engagements extérieurs concernent la Grèce, et au financement des dépenses publiques.
« Pour rappel, le calvaire Chypriote qui rappelle celui de la Grèce, a commencé lit-on dans une dépêche de l’AFP, le 25 juin 2012 : Chypre demande une aide financière, estimée à 17 milliards d’euros, à la zone euro pour contenir les risques pour l’économie du pays provenant de son secteur financier. Ses deux principales banques, très exposées à la dette grecque, ont subi des pertes évaluées à 4,5 milliards d’euros dans le cadre du plan de sauvetage conclu avec Athènes. Le 13 janvier, l’agence de notation financière Standard and Poor’s fait basculer Chypre dans la catégorie "spéculative" en abaissant la note de sa dette à long terme de deux crans à BB+ 16 mars : Nicosie accepte le plan de l’UE et du Fonds monétaire international (FMI) prévoyant un prêt de dix milliards d’euros en contrepartie d’une taxe sur les dépôts bancaires censée rapporter 5,8 milliards. Pour amortir l’impact sur ses gros clients russes, Chypre répartit la taxe sur tous les dépôts (6,75% jusqu’à 100.000 euros, 9,9% au-delà ), brisant le tabou de la protection des petits épargnants et provoquant une ruée sur les distributeurs des banques fermées pour un week-end prolongé. Le 20 mars 2013 : recherche d’un "plan B". La puissante Église orthodoxe propose ses richesses en gage. La fermeture des banques est encore prolongée. La Banque centrale européenne donne jusqu’au 25 mars à Chypre pour s’accorder avec les bailleurs de fonds sous peine de la priver de liquidités. Standard and Poor’s dégrade la dette chypriote d’un cran, à CCC. Le 22 mars : la chancelière allemande Angela Merkel prévient Chypre de ne "pas abuser de la patience" de la zone euro. La taxe bancaire revient sur le tapis. »
L’Accord douloureux pour les Chypriotes
L’accord mis au point prévoit des "décisions douloureuses pour sauver le pays de la faillite", a estimé le président chypriote Nicos Anastasiades en promettant lors d’une allocution télévisée que l’île méditerranéenne "se remettrait de nouveau sur pied". Le prix à payer par Nicosie est en effet très élevé. Laïki Bank (Popular Bank en anglais), la deuxième banque du pays, va être mise en faillite de manière ordonnée. Elle sera scindée entre une "bad bank", entité résiduelle amenée à disparaître progressivement, et une "good bank", où seront regroupés les dépôts inférieurs à 100 000 euros, qui bénéficient d’une garantie publique dans l’UE. Sur le site Attac, nous lisons les conséquences de cet « accord » au scalpel : « Certes, le gouvernement chypriote et la Troïka ont renoncé à taxer les petits déposants, et le sort réservé aux gros clients des banques chypriotes - qui perdront une bonne part de leurs avoirs financiers - ne mérite pas de larmes. Mais le plan, imposé par un ultimatum sans précédent de la BCE, épargne les banques européennes, en particulier la BCE, qui ont pourtant accompagné Chypre et ses banques dans l’édification d’un paradis offshore en zone euro. (...) Pour la première fois de l’histoire de la zone euro, la Banque centrale européenne a imposé ses vues à un pays souverain en le menaçant explicitement de l’expulser de la zone euro. Ce précédent est d’une extrême gravité. »
« Dans un communiqué du 21 mars 2013, la BCE adressait un ultimatum au Parlement de Chypre : si vous n’acceptez pas notre plan avant le lundi 25 mars, nous coupons la ligne de crédits d’urgence qui maintient à flot vos banques. La faillite des banques et l’interruption des prêts aurait conduit l’État chypriote à devoir les recapitaliser par ses propres moyens, probablement en sortant de l’euro pour recréer une monnaie nationale. Bien sûr, le système bancaire chypriote était un refuge pour des oligarques, pas seulement russes, à la recherche d’une fiscalité complaisante. Mais l’Union européenne n’avait jamais vraiment trouvé à y redire, au nom de la concurrence (fiscale) libre et non faussée. La taxation des dépôts supérieurs à 100.000 euros, va provoquer une fuite des capitaux et un effondrement de l’économie chypriote, trop dépendante de ses banques. »
Attac poursuit en prévoyant les conséquences à savoir la sortie de l’euro : « Cette mesure va aussi accélérer la fuite des capitaux qui a déjà commencé depuis les autres pays du Sud européen vers l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg... La crise va s’aggraver, et la sortie de Chypre de la zone euro pourrait n’être que retardée de quelques mois. La Commission ne fait rigoureusement rien pour aider les peuples des pays en difficulté, bien au contraire, puisqu’elle continue à leur imposer des programmes d’austérité sans fin destinés à satisfaire les marchés financiers. (...) Avec une annulation de la dette et une socialisation des banques, il serait ainsi possible de refonder la zone euro et lui redonner un avenir*... Tout à l’inverse des diktats de la Troïka, qui au-delà de Chypre, visent clairement à décourager tout velléité des peuples grecs, portugais ou espagnols de relever la tête. »
Comment réagissent les Chypriotes ?
Le moins que l’on puisse dire est qu’ils protestent en vain. Les décisions sont prises ailleurs. La police est là pour appliquer. Loin de se réjouir du plan de sauvetage, conclu, le 25 mars, à l’arraché avec l’Union européenne, la presse chypriote dénonce les "diktats" de l’étranger et n’hésite pas, à l’instar du quotidien O Phileleftheros, d’appeler les habitants de l’île à entrer en résistance.
« Aujourd’hui lit-on sur ce journal - qui appelle à un mea culpa et à se ressaisir-, j’éprouve, écrit Emmanuil Lioudakis, le besoin, plus que jamais, d’écrire pour tenter de rassembler les morceaux de la dignité de ce peuple détruite par l’imposition de mesures inadmissibles par nos partenaires dans l’Union européenne (UE). Aujourd’hui, des milliers de personnes se sont réveillées et, au lieu de se préoccuper de leurs tâches quotidiennes, elles ont ressenti un immense vide. Car leur pays, Chypre, n’est plus. Notre île a disparu quelques semaines avant Pâques, au début du Carême, abdiquant devant les diktats de l’UE et de la Troïka (FMI, Commission et Banque centrale européennes). J’ai en moi un sentiment de dégoût, de honte et de déception. Quid de notre fierté, de notre dignité et de notre force d’opposition ?
En fait, si nous nous sommes retrouvés au bord du gouffre, c’est en grande partie à cause de nos fautes. (..) Que vont devenir ces milliers d’employés qui perdent leur travail et dont le salaire est pris en otage par les dettes ? La plupart d’entre eux seront remerciés sans aucun dédommagement. C’est pour cela que je veux, m’adresser à mes compatriotes, aux gens simples, et leur demander d’inscrire dans leur vie cet objectif de redresser notre système bancaire afin d’obtenir le départ de la Troïka et la redéfinition de nos liens de solidarité. C’est maintenant qu’il faut montrer notre patriotisme. Il faut montrer que l’âme des Hellènes ne se soumet pas aussi facilement aux diktats étrangers. Notre âme bouillonne et nos poings sont fermés. (...) Il faut aider notre État à se relever. (...) Patience et bon courage à tous. »
Aucun état d’âme
On le voit, les hommes en noir de la troïka n’ont aucun état d’âme quand il s’agit de sauver à tout prix le système et les banques quitte à précipiter dans le désespoir des milliers de besogneux de sans-grade, qui sou après sou, pensent assurer leurs arrières en vivant une retraite dans la dignité. Rien n’y fait, les requins de la finance internationale les rattrapent et les jettent dans la détresse absolue.
La crise dit-on a du bon, car elle permet un nouveau départ. Ceci est vrai pour les riches qui s’enrichissent encore plus. « La crise, lit-on dans cette contribution qui raconte le quotidien des « petits espagnols », est une occasion, diront certains à juste titre, pour tenter de renverser les rapports de force entre les classes. Mais la crise est aussi une opportunité pour les classes dominantes. La bourgeoisie nationale et transnationale a conquis ces dernières années de plus en plus de pouvoir en profitant de la disparition des frontières au sein d’un super État européen pour porter une attaque sans précédent sur les conditions de vie des classes populaires, allant même jusqu’à rétrograder socialement les maillons les plus faibles de leur propre classe.
La majorité des Espagnols est ainsi engagée dans un processus de paupérisation - certains parlent de prolétarisation - qui semble irrémédiable. Les données publiées par l’ONG catholique espagnole Caritas parlent d’elles-mêmes. Les riches gagnent en moyenne sept fois plus que les pauvres, faisant de l’Espagne l’un des pays connaissant un des taux d’inégalité les plus élevés sur le continent européen. La fourchette entre les riches et les pauvres a d’ailleurs augmenté de 30% ces dernières années. »
À propos des coupes sombres dans le social, nous lisons : « La perte du pouvoir d’achat va de pair avec les coupes claires dans le budget des services sociaux ; depuis quelques années, quantité d’hôpitaux et de centres de soins, d’écoles et d’universités, ont mis la clé sous la porte, rendant infernale la vie de millions de familles. (...) Ceux qui disent que la crise est une opportunité ont raison. Mais la crise des uns n’est pas celle des autres, et force est de constater que ce sont les classes dirigeantes qui tirent jusqu’à présent les marrons du feu. » 7
La troïka persiste et signe
Comme en Espagne, le modèle de développement avec le taux de croissance élevé des années 2000 en large partie dû au secteur de construction et du tourisme semble avoir atteint ses limites. Chypre est secouée par les politiques d’austérité qui traversent la Grèce, les attaques spéculatives et les pressions de ses créanciers. Pourtant, la dette publique chypriote ne dépasse le niveau requis par Bruxelles (60 % du PIB) qu’après l’éclatement de la crise en Europe et passe de 48.9 % en 2008 à 71,1 % en 2011. Elle serait de 84 % du PIB au troisième trimestre 2012 selon Eurostat et pourrait dépasser les 109 % du PIB en 2013.
Suite à de nombreux rebondissements, finalement, ce ne sont plus 18 milliards dont a besoin le gouvernement chypriote pour la période 2012-2016 mais au moins 23 milliards d’euros. Alors que les négociations couraient toujours entre les autorités chypriotes et russes sur la restructuration du prêt de 2,5 milliards d’euros accordé en 2011 à Chypre par la Fédération de Russie, la troïka a donné son verdict avant d’être validé par les Parlements nationaux : l’austérité, comme on pouvait s’y attendre, sera brutale voire mortelle et dévastatrice à Chypre. En échange d’un prêt de 10 milliards d’euros (9 milliards de la zone euro, via le Mécanisme européen de stabilité (MES), et 1 milliard du FMI), la troïka impose ses recommandations habituelles : allongement de la durée du travail en repoussant l’âge de départ à la retraite de deux ans ; réduction de 4500 fonctionnaires jusqu’en 2016 ; gel des pensions retraites et salaires jusqu’en 2016 ; augmentation de 17 à 19 % de la TVA à raison d’un point en plus par an en 2013 et en 2014 (le taux réduit de TVA augmentera de 8 % à 9 %) ; augmentation des impôts/taxes sur le tabac, l’alcool, l’énergie, les transports et l’essence ; coupes claires dans l’éducation et la santé...
Chypre rejoint ainsi le club des pays sous perfusion de la troïka. La population chypriote est sommée de se serrer la ceinture pour sauver des banques privées insouciantes et irresponsables qui ont perdu des milliards en spéculant sur la dette grecque.
Sur les 10 milliards « d’aide », seulement 3,4 milliards doivent servir au besoin de financement du gouvernement. 2,5 milliards sont destinés à recapitaliser le secteur bancaire (la somme totale nécessaire est estimée à 10,4 milliards d’euros) et les 4,1 milliards restant repartiront aussitôt en remboursement de la dette arrivant à échéance.
Signalons au passage que le montant prêté par la troïka est à peu près équivalent à la fortune de 11,5 milliards de dollars détenue par le milliardaire chypriote John Fredriksen. D’après Forbes, les 3 milliardaires de Chypre totalisent 13,6 milliards de dollars.
Mais ce n’est pas tout, pour satisfaire ses créanciers, le pays doit dégager 13 milliards d’euros, au lieu des 7 milliards prévus fin mars. Ces 13 milliards supplémentaires (soit 75 % du PIB annuel actuel de l’île) seront à la charge des Chypriotes qui pâtissent d’un effondrement de leur pouvoir d’achat et dont le taux de chômage a brutalement augmenté de 3,7 % en 2008 à 14 % en février 2013.
Chypre, ce paradis fiscal de moins de 1,5 million d’habitants où les entreprises ne payent officiellement que 10 % d’impôt sur leurs bénéfices, devrait s’engager à porter ce taux au niveau de celui de l’Irlande à 12,5 %. Une bien maigre compensation suite à la chute vertigineuse de cet impôt de 19 points qui était de 29 % en 2000. Par ailleurs, le programme de privatisations est porté à 1,4 milliard d’euros et la banque centrale doit vendre une partie de l’or qu’elle détient en réserve pour 400 millions d’euros.
La particularité de cette crise est qu’elle met en doute la sécurité des dépôts bancaires de la population, dorénavant, on touche au portefeuille des citoyens. Le projet initial élaboré en mars prévoyait d’instaurer une taxe exceptionnelle de 6,75 % sur les dépôts bancaires en-deçà de 100 000 euros et de 9,9 % au-delà de ce seuil. Il a été rejeté par le Parlement le 19 mars 2013. Après avoir été empêchée de violer sa propre loi protégeant les avoirs bancaires de moins de 100 .000 euros par les députés chypriotes, l’Union européenne propose désormais de mettre à contribution les dépôts de plus de 100 000 euros à hauteur de 60 % selon le FMI. Malgré un soi-disant contrôle sur les capitaux et la fermeture des banques pendant 12 jours en mars, d’énormes fuites ont eu lieu sous les yeux de la BCE. 8
Le pillage de Chypre par l’Union européenne
Contrairement, toutefois, aux plans de sauvetage pour la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et d’autres pays, où on a continué à prétendre que l’austérité et les réductions de salaire relanceraient l’économie, la presse reconnaît ouvertement que la médecine administrée par l’UE à Chypre tuera le patient.
Le prêt est lié à des pertes massives d’emplois et des réductions de salaires, la démolition des soins de santé, de l’éducation et des prestations sociales, la privatisation des principaux services publics, le transfert des ressources naturelles et énergétiques de l’île aux géants mondiaux de l’énergie.
L’on s’attendait à une chute de 25 % du PIB dans les deux ou trois prochaines années et à un doublement du chômage. Avec l’ensemble de la zone euro sombrant dans une récession qui sera encore exacerbée par les mesures adoptées à Chypre, la conséquence en sera une dévastation sociale et économique.
Le Financial Times a imputé la faute à la population chypriote en écrivant : « … le choix d’accoupler l’économie à un service bancaire offshore s’était fait avec la duplicité des dirigeants et l’assentiment d’une population heureuse de vivre au-dessus de ses moyens. »
Comme si, à Chypre, on avait demandé l’avis des travailleurs, s’ils voulaient ou non que l’île devienne un centre bancaire.
En réalité, l’oligarchie financière agit partout avec impunité en dictant la politique gouvernementale selon ses intérêts. Partout, la conséquence est le parasitisme et une corruption endémique, comme l’illustrent les scandales au sujet de la manipulation du taux interbancaire Libor, du blanchiment de l’argent de la drogue par la banque HSBC et d’autres ainsi que de fraude généralisée chez JPMorgan Chase, pour n’en citer que quelques-uns. Personne n’a jamais eu de comptes à rendre pour ces délits.
Les travailleurs doivent rejeter cette propagande cynique venant de Berlin, de Paris, de Londres et de Bruxelles, comme quoi la « libération sous caution » chypriote, visant prétendument les oligarques russes et les adeptes de l’évasion fiscale, modifiera la situation ou représente même un genre d’appropriation de la richesse.
L’UE, menée par l’Allemagne avec l’appui des États-Unis, a profité de la crise à Chypre pour détruire un concurrent plus faible en consolidant son contrôle des marchés financiers mondiaux. Les banques européennes et américaines vont profiter des oligarques russes et des partisans de l’évasion fiscale qui ont transféré leur argent hors de Chypre durant les semaines qui ont précédé la crise du sauvetage chypriote.
Seule une lutte révolutionnaire des peuples – luttant pour soumettre les ressources de Chypre, de l’Europe et de l’économie mondiale au contrôle démocratique de la population laborieuse – peut conduire à l’expropriation de l’aristocratie financière. Les mesures prises par les principales puissances de l’UE pour s’emparer de l’argent détenu précédemment par des banques chypriotes n’est rien d’autre qu’un vol à peine voilé commis dans l’intérêt des sections les plus puissantes du capital financier.
Le journal allemand Süddeutsche Zeitung l’a d’ailleurs carrément reconnu en disant : « La zone euro a depuis longtemps cessé d’être une confrérie pour accroître la prospérité et la stabilité mutuelle. Elle s’est transformée en une école de gladiateurs dans laquelle tout le monde se bat pour son propre avantage et sa propre survie. »
L’offensive brutale qui a lieu partout en Europe ne peut être vaincue sur une base nationale. Tout comme ses homologues en Grèce, en Italie et ailleurs, la bourgeoisie chypriote a joué tout au long un rôle profondément réactionnaire. Son alternative aux plans de la troïka avait été de se servir dans les caisses de retraite et chez les petits déposants afin de protéger les ultra-riches et de préserver le statut de paradis fiscal de l’île.
Ces événements soulignent très clairement l’impossibilité absolue de trouver sous le capitalisme une solution démocratique, humaine et progressiste à la crise économique qui affecte le monde.
L’opposition de principe requise à l’encontre des mesures imposées à Chypre doit se fonder sur les intérêts des travailleurs et non sur ceux de l’une ou l’autre des cliques concurrentes de bandits impérialistes.9
Élection présidentielle chypriote de 2013
L'élection se déroule dans un contexte de crise économique et de négociations avec l'Union européenne pour une aide du mécanisme européen de stabilité alors que le pays, membre de la zone euro, est touché par la crise grecque du fait de l'imbrication entre les économies des deux pays.
Le premier tour voit s'affronter dix candidats. Níkos Anastasiádis, candidat du Rassemblement démocrate, et Stávros Malás, candidat du Parti progressiste des travailleurs (le parti du président sortant), se qualifient pour le second tour, avec respectivement 45,46 % et 26,91 % des suffrages exprimés. Parmi les candidats éliminés, seul Giórgos Lillíkas (24,93 %) obtient un score significatif. Tous les autres candidats ont un score inférieur à 1 %. À l'issue du second tour, une semaine plus tard, Níkos Anastasiádis est élu président de la République avec 57,48 % des suffrages exprimés, contre 42,52 % à son adversaire.10
Élection présidentielle nord-chypriote de 2015
Elle s'est déroulée le 19 avril 2015 pour le premier tour et le 26 avril 2015 pour le second tour. Le président sortant Derviş Eroğlu arrive en tête du premier tour suivi de Mustafa Akıncı et c'est le candidat de centre-gauche Mustafa Akıncı qui est finalement élu avec plus de 60 % des suffrages en mettant en avant sa volonté d’œuvrer pour les pourparlers de réunification avec la partie sud de l'île11.
Sources