La Biélorussie

 

 

Des origines à la principauté de Polotsk

Les historiens font débuter l'histoire du pays au VIe siècle. Depuis cette époque et jusqu'au VIIIe siècle, le territoire de ce qui deviendra la Biélorussie est envahi par des tribus protoslaves, elles-mêmes repoussées par des envahisseurs orientaux tels que les Mongols. Les peuplades autochtones baltes, finno-ougriennes et nomades qui occupent les plaines sont rapidement assimilées. Les premiers Slaves vivent de l'agriculture et du commerce de leurs produits agricoles, de la fourrure, de la cire, du miel et de l'ambre. Ils sont païens.

 

Les principales tribus, les Krivichs, les Drégovichs et les Radimichs créent du VIe siècle au XIIe siècle plusieurs États primitifs. Ces États commercent avec les Vikings qui installent du IXe siècle au Xe siècle des comptoirs entre la Scandinavie et l'Empire byzantin.

À cette époque, Xe siècle, naît dans la partie Sud un nouvel État qui accroît rapidement sa puissance, la Rus' de Kiev. Celle-ci domine plus ou moins les tribus biélorusses, mais les vastes marais de Pinsk maintiennent l'isolement des tribus des Kiéviens.

Les tribus biélorusses, sous l'influence kiévienne, s'organisent en plusieurs États, comme les principautés de Vitebsk, de Minsk ou de Mstsislaw. La principauté de Polotsk, qui émerge au IXe siècle se pose rapidement comme l'État majeur de la région. Il s'étend d'abord autour de la ville de Polotsk, au nord du pays, et prend ensuite peu à peu, lorsqu'il soumet les autres principautés, la forme approximative de la Biélorussie. Les princes de Polotsk, pourtant devenus puissants, acceptent progressivement, au cours des Xe et XIe siècles, la suzeraineté de la Rus' de Kiev.

Quelques années plus tard, le désir du prince d'épouser une chrétienne l'oblige à se convertir, ce qu'il fait en 987. Il divorce de ses précédentes épouses et Rogneda se réfugie dans un couvent, puis retourne avec son fils à Polotsk où elle convertit ses sujets au christianisme oriental, comme l'encourage son ancien époux.

 

Pendant la seconde moitié du XIe siècle, sous le règne du prince Vsieslav, la principauté de Polotsk connaît son apogée et s'affranchit de l'influence de Kiev. Cet apogée se traduit par une large autonomie et un épanouissement culturel et religieux ayant notamment donné le jour à la Cathédrale Sainte-Sophie de Polotsk, qui rivalise avec les plus belles églises de son époque, ainsi qu'aux manuscrits de Sainte-Euphrosine de Polotsk et de l'évêque Cyrille de Turaw.

 

À partir de 1139, la principauté et la Rus' de Kiev se divisent en une multitude de fiefs, dont les seigneurs se lancent dans une lutte féroce pour le contrôle des principales villes. Le déclin qui en résulte est aggravé par l'invasion de la Rus' par des chevaliers allemands et, bien que la principauté soit épargnée par les invasions mongoles qui affligent l'est de l'Europe de 1232 à 1242, la menace de nouvelles attaques contraint les seigneurs à demander la protection du grand-duché de Lituanie en 1240.

 

La domination lituanienne

La principauté de Polotsk est définitivement rattachée au grand-duché de Lituanie en 1307, puis elle est remplacée par les voïvodes de Polotsk, Minsk, Vitebsk, Smolensk, Mstsislaw, Brest et Navahrudak. Ces voïvodes sont à l'origine du découpage administratif et des frontières de la Biélorussie.

 

Loin d'opprimer leurs peuples vassaux, les grands-ducs lituaniens, qui régentent également la majeure partie de l'Ukraine, laissent beaucoup de droits aux Slaves. Ainsi la religion orthodoxe maintenue, continue à se répandre à l'intérieur du grand-duché, alors que celui-ci est avant tout catholique ; les langues slaves, alors appelées ruthènes, sont employées par l'administration et s'épanouissent jusqu'à former les biélorusse et ukrainien actuels.

En 1385, l'Union de Krewo signée par Jogaila, grand-duc de Lituanie, et Hedwige d'Anjou, reine de Pologne, est scellée par le mariage des deux intéressés. Jogaila, après s'être converti au catholicisme, devient roi de Pologne sous le nom de Ladislas II Jagellon. Les deux États se rapprochent alors sensiblement.

 

Union de la Pologne et de la Lituanie

Le traité de Lublin, signé en 1569, scelle l'union entre le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie. Les deux États tout en conservant une administration propre, se réunissent à l'intérieur de la République des Deux Nations, alors le plus grand État multinational d'Europe et une puissance de premier plan.

Les Polonais dominaient tout de même la république, en raison surtout de leur prépondérance quantitative. Ils possédaient 134 sièges au Parlement, les Lituaniens n'en possédant que 46. La domination polonaise se manifestait en Biélorussie, et les villes attiraient de nombreux artisans polonais, qui finissaient généralement par devenir maîtres des conseils. Elles attirèrent ensuite des Juifs et des Allemands ; les Biélorusses, appelés alors « Ruthènes », restèrent en revanche attachés à l'agriculture, travaillant généralement sur les terres d'un szlachta, originaire de Pologne ou de Lituanie ou d'un boyard, venu de Russie.

Certains seigneurs étaient néanmoins d'origine ruthène, comme les familles Sapieha et Radziwill, parfois très riches et possédant des terres à l'extérieur de la république. D'autres Ruthènes, des paysans qui regrettaient leur ancienne liberté sous le grand-duché de Lituanie, quittèrent leur pays et vinrent s'installer près de Zaporojie, au sud de l'Ukraine, chez les Cosaques.

Le polonais devint la seule langue officielle en 1696 pour être alors la langue des classes aisées lituaniennes et biélorusses. Les langues minoritaires furent tout de même protégées et leur pérennité préservée par la création de l'Académie de Vilna en 1579 et par l'établissement de nombreuses imprimeries.

La prospérité de la république fut profondément affectée au milieu du XVIIe siècle par la Première guerre du Nord, aussi appelée le « Déluge », soit une suite de conflits et d'invasions commencée par une agression suédoise en 1655. Celle-ci avait pour but de défendre les Polonais face aux Russes, qui avaient saisi l'occasion de luttes cosaques pour tenter d'envahir la république. Mais le roi de Suède, Charles X Gustave, veut en compensation faire de la République des Deux Nations sa vassale et placer à la tête de l'union polono-lituanienne la famille Radziwiłł.

 

Par le Traité d'Hadiach, la Pologne reconnaît en 1658 les droits de ses minorités et la République des Deux Nations devient la République tripartite de Pologne-Lituanie-Ruthénie. Le nouvel État comprend le Duché de Ruthénie, créé pour l'occasion. Cet accord avait pour buts de satisfaire les Cosaques qui s'étaient battus pour Jean II Casimir pendant le Déluge et de compenser les terribles pertes occasionnées par le conflit, en Biélorussie surtout.

Le traité ne fut pourtant jamais appliqué, car, peu de temps après, le pays dut subir la Grande Guerre du Nord, entre l'Empire russe et la Suède, puis la Guerre de Succession de Pologne, qui opposa la plupart des puissances européennes. Les armées russes profitèrent de l'affaiblissement de la république pour y installer des armées et accroître leur influence.

La Ruthénie subit fortement les conséquences de la guerre ; beaucoup de ses artisans furent par exemple déportés en Russie - ils représentaient par exemple 10 % de la population de Moscou à la fin du XVIIe siècle. Elle connut également de graves épidémies et plusieurs famines, en même temps que les Polonais imposaient aux Ruthènes une vaste polonisation.

 

L'Empire russe

Au XVIIIe siècle, la Biélorussie commença une nouvelle période de son histoire, celle de la domination russe. En effet, la république, totalement ruinée et livrée à l'anarchie, fut répartie entre les grandes nations lors des Partages de la Pologne.

 

La Biélorussie est russifiée peu de temps après son acquisition et l'administration impériale la divise en quatre gouvernements, Minsk, Vitebsk, Moguilev et Hrodna.

 

Le pays n'est pas épargné par la Campagne de Russie en 1812 et les Biélorusses, en dépit de l'exemple russe, se montrent souvent favorables à l'occupation napoléonienne. En effet, les paysans voient dans l'invasion la fin du servage et les nobles éclairés adhèrent aux idées de Napoléon Ier. Ainsi, des Biélorusses intègrent l'armée française, qui remporte victorieusement en Biélorussie les batailles de Moguilev, d'Ostrovno, de Klyastitsy et si les Russes gagnent la Première bataille de Polotsk, c'est une victoire stratégique de Napoléon Ier.

 

À son retour de Moscou, l'armée impériale connaît par contre en Biélorussie quelques-uns des pires échecs de sa retraite. Après avoir perdu la Seconde bataille de Polotsk, la bataille de Czaśniki, la bataille de Smoliani, elle est anéantie par la bataille de la Bérézina, qu'elle gagne pourtant, puisque les soldats franchissent finalement le fleuve.

La Biélorussie est ensuite rapidement reconquise par les Russes, ils trouvent un pays dévasté par la guerre, dont la population a été encore une fois décimée.

Les tsars Nicolas Ier et Alexandre III s'employèrent à continuer la russification de la Biélorussie. La première mesure fut d'interdire l'enseignement du polonais dans les gouvernements de Vitebsk et de Moguilev en 1835. En 1839, l'unification des Églises ruthènes au Patriarcat de Moscou consacra définitivement l'implantation de la culture russe, par la religion orthodoxe. Cette unification provoqua néanmoins le mécontentement des paysans ruthènes, mais ceux-ci, peu organisés, restèrent passifs.

 

La première insurrection nationaliste polonaise a lieu en 1830, mais les paysans biélorusses restent majoritairement passifs et les nobles qui se sont soulevés sont rapidement remplacés par des Russes.

Les années 1830 virent pourtant l'émergence de courants nationalistes biélorusses et lituaniens. Cependant, la transmission des idées se faisait par la publication de textes, imprimés à Vilna ou à Saint-Pétersbourg, et les Ruthènes étaient en très grande majorité illettrés. En 1897, 77 % des Biélorusses étaient encore analphabètes. De plus, l'administration russe est consciente des risques de rébellion et fait par exemple arrêter 203 étudiants biélorusses et lituaniens saint-pétersbourgeois en 1849. Les publications littéraires en biélorusse sont censurées en 1859 et en 1863, la totalité des écrits en ukrainien, biélorusse et lituanien sont interdits.

Les Biélorusses restent encore très longtemps un peuple rural ; la bourgeoisie et les habitants des villes sont majoritairement russes, tout comme les seigneurs. Alors que la Pologne et la Lituanie connaissent un essor industriel et une croissance démographique significative, la Biélorussie reste peu peuplée et compte seulement quelques usines.

De nouvelles révoltes secouent la Biélorussie, la Lituanie et la Pologne en 1861. Elles sont conduites par les élites indépendantistes et par des mouvements clandestins, qui ont généralement pour idéal la fondation d'un État indépendant qui regrouperait les trois peuples à l'intérieur des frontières de 1772, avant les partages de la Pologne.

Les révoltes sont contenues par les Russes, mais le tsar Alexandre II lance la même année des réformes sociales pour contenter ses sujets rebelles. La plus grande est l'abolition du servage, qui reçoit d'abord un bon accueil de la part des paysans biélorusses, mais qui apparaît rapidement comme inutile, car les paysans ne peuvent pas acheter les terres qui appartiennent encore aux grands seigneurs et ils sont toujours soumis aux volontés des plus riches. Les seigneurs polonais, sensibles à l'éveil nationaliste, sont même pénalisés par cette réforme, et l'essor progressif de Minsk, peuplée en grande partie de Russes, signe la fin de la suprématie de Vilna, berceau nationaliste, dans la région.

Les courants nationalistes biélorusses continuent néanmoins à se renforcer et la censure est contournée par les écrivains nationalistes, parmi lesquels Kastus Kalinowski, Jan Czeczot et Władysław Syrokomla. Un nouveau soulèvement est d'ailleurs fomenté par les intellectuels biélorusses de 1863 à 1864, mais il échoue.

À partir de la fin du XIXe siècle, l'industrialisation commence à se faire sentir et permet aux courants nationalistes de se renouveler. En effet, l'exode rural signifie que les villes commencent à avoir une population biélorusse qui a désormais accès à la propagande nationaliste. Celle-ci se tourne d'ailleurs rapidement vers les courants socialistes qui prônent la fin de la dictature de la noblesse et de la bourgeoisie, donc la fin des Russes en Biélorussie. En 1898 est d'ailleurs fondé à Minsk le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, premier parti socialiste russe, puis en 1902 la Gronada, premier parti biélorusse. La part des ouvriers sur la population totale de la Biélorussie reste néanmoins encore assez faible ; en 1900, il y avait 24 000 ouvriers sur environ sept millions de Biélorusses.

 

De la première indépendance à 1939

Contrairement aux autres guerres que la Biélorussie connut au cours de son histoire chaotique, la Première Guerre mondiale contribue à l'autonomie du pays. La Russie, peu préparée à une attaque allemande, perd rapidement une grande partie de la Biélorussie. Les Allemands, soucieux d'y créer un sentiment anti-russe et anti-polonais qui leur permettrait d'avoir des partisans parmi la population, attisent le nationalisme biélorusse et laissent la liberté aux Biélorusses de créer leurs propres écoles et d'enseigner leur propre langue.

Le Traité de Brest-Litovsk, demandé par les bolcheviks qui viennent d'accéder au pouvoir en Russie, permet aux Allemands d'annexer de vastes territoires qui appartenaient autrefois à l'Empire russe, dont la Biélorussie. Ils laissent à celle-ci une certaine autonomie et font croire aux nationalistes biélorusses qu'ils sont libres ; en réalité, le pays, qui est déjà dévasté par la guerre, est pillé par l'Allemagne.

Le 25 mars 1918, des représentants de partis politiques et d'associations indépendantistes se réunissent à Minsk, profitant de la liberté que leur octroie l'occupant, et proclament la République populaire biélorusse. Cet État s'inspire des idéologies socialiste et nationaliste. La république ne parvient cependant jamais à contrôler la totalité du territoire et est balayée en 1919 par les bolcheviks, lorsque les troupes allemandes quittent le territoire. À la place est créée, le 2 janvier 1919, une République socialiste soviétique de Biélorussie.

Un mois plus tard, cet État s'effondre et sa partie orientale rejoint la République socialiste fédérative soviétique de Russie, alors que l'ouest s'ajoute à la République socialiste soviétique de Lituanie pour former ensuite la République socialiste soviétique lituano-biélorusse, surnommée Litbel. La république, héritière de la guerre et de luttes intestines, était faible et les deux puissances voisines, la Pologne et la Russie la convoitaient fortement.

Les deux pays envahirent la Biélorussie et les Russes conquirent Minsk le 5 janvier 1919, alors que les Polonais forcèrent la dissolution de la Litbel en août 1919.

Alors que la République populaire biélorusse existait encore, les Russes proclamèrent la République socialiste soviétique biélorusse le 1er janvier 1919 à Smolensk et ils l'agrandirent au fur et à mesure de leurs conquêtes sur la Litbel. Le partage définitif de la Biélorussie fut établi le 18 mars 1921 par le Traité de Riga, qui mettait fin à la Guerre russo-polonaise.

En décembre 1922, la RSFS de Russie, la RSFS de Transcaucasie, la RSS d'Ukraine et la RSS de Biélorussie fondent l'URSS.

L'Union soviétique encourage en premier la transmission de la langue et de la culture biélorusses, la protection de la culture était par ailleurs un des objectifs de Lénine. Mais l'administration, sous l'impulsion de Staline, contraint rapidement les populations biélorusses à ne parler que le russe et à renoncer à leur culture ; le gouvernement polonais applique lui aussi des dispositions similaires aux Biélorusses de Pologne, afin d'éviter toute révolte ou sécession.

La scolarisation massive des enfants favorisa fortement la disparition de la langue biélorusse, tout en élevant largement le niveau de vie de la population. En 1926, 70 % des enfants biélorusses étaient scolarisés.

Les Purges staliniennes, lancées au milieu des années 1930, vont accélérer l'interdiction de l'idéologie nationaliste biélorusse. Entre 1937 et 1939, plus de 370 intellectuels de langue biélorusse ont disparu ; la Biélorussie perd donc presque toute son élite, qui avait pourtant participé aux mouvements socialistes et à l'instauration de la république soviétique. La protection de la langue biélorusse était considérée par Staline du « nationalisme bourgeois ».

En même temps, la Biélorussie trouve progressivement ses frontières. En 1924, elle est agrandie des régions de Vitebsk et de Moguilev, qui faisaient auparavant partie de la Russie, puis de la région de Gomel en 1926.

 

La Seconde Guerre mondiale

Le Pacte Molotov-Ribbentrop, signé le 23 août 1939 entre l'URSS et l'Allemagne nazie, rapprochait les deux puissances et leur permettait d'envahir la Pologne selon un partage précis. La partie orientale de la Pologne revint ainsi à la RSS de Biélorussie.

 

En 1941, opération Barberousse

Mais la paix ne dura que deux ans et, le 22 juin 1941, l'Allemagne attaqua l'URSS. La Biélorussie ne résista pas longtemps et, après avoir été en partie évacué, son territoire tomba en totalité sous contrôle nazi en août 1941, administrativement, rattaché au Reichskommissariat Ostland ; le programme dénommé Generalplan Ost lui est appliqué. L'entrée des nazis à Minsk fut rapidement suivie d'exécutions capitales par pendaisons de résistants.

Les nazis créèrent aussitôt un gouvernement biélorusse, la Rada biélorusse centrale, qui reprenait des principes de la République populaire biélorusse et s'appuyait sur un nationalisme exacerbé. Ce gouvernement était faible et entièrement soumis à Berlin ; il servait surtout à faire appliquer un régime de terreur et de répression. Environ 700 villages furent brûlés, parfois avec leurs habitants, et des milliers de personnes furent tuées ou déportées sous l'administration de la Rada, qui n'avait pas le soutien de la population locale. La Biélorussie était avant la guerre un des pays ayant une des plus grandes diasporas juives, les Juifs biélorusses furent donc presque totalement décimés dès 1942. Le pays comptait par ailleurs plusieurs ghettos, dont celui de Lakhva, célèbre pour la révolte contre les nazis qui s'y déroula en 1942.

Face à ces atrocités, des mouvements de résistance émergèrent. Les résistants profitaient des forêts et des marais biélorusses pour se cacher et menaient des actions parfois efficaces et victorieuses, qui consistaient généralement à détruire les voies ferrées, les ponts, les lignes de télégraphe, les dépôts de carburant... On dénombre environ 50 000 résistants membres de groupes communistes, aidés par 30 000 autres résistants.

Pour lutter contre la guérilla, les nazis devaient mobiliser des moyens considérables, alors que sur le front de l'Est, ils devaient mener une guerre acharnée contre les Soviétiques, qui reprenaient de plus en plus de terrain.

 

Opération Bagration (1944)

L'Opération Bagration (ou offensive d'été) de l'Armée rouge avait pour objectif de libérer la Biélorussie. Elle débuta le 22 juin 1944 et poussa les Allemands à créer la 30e division SS de grenadiers, majoritairement composée de Biélorusses et appuyée par la RADA, le 18 août 1944. Cette mesure fut dérisoire, car la majeure partie du pays était déjà libérée. Minsk, par exemple était libre depuis le 3 juillet 1944. L'Armée rouge avait franchi la frontière polonaise et se trouvait à 100 km de Varsovie.

Après la libération, le constat fut particulièrement noir pour la Biélorussie. En effet, la guerre avait une fois de plus dévasté le pays ; la Biélorussie avait perdu 1,3 million d'habitants, soit un quart de sa population d'avant-guerre, et la majeure partie de son élite intellectuelle. La production industrielle en 1943 ne représentait que 10 % de celle de 1940.

Environ 9 200 villages avaient disparu et 209 villes sur 270 réduites en ruines. Minsk et Vitebsk avaient ainsi été détruites à plus de 80 %. Plus de 600 villages comme Khatyn furent totalement rasés et leurs populations massacrées1. En tout, 2 230 000 personnes furent tuées en Biélorussie pendant les trois années d'occupation allemande, dont 600 000 à 800 000 parmi les Juifs des Ghettos de Biélorussie pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Einsatzgruppen et les Sonderkommandos ont joué un rôle important dans ces tueries et massacres de masse.2

 

De 1945 à 1991

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les autres puissances victorieuses promirent à Staline des initiatives pour compenser les pertes dues au conflit. Ainsi, lorsque l'Organisation des Nations unies est créée le 26 juin 1945, la RSS d'Ukraine et la RSS de Biélorussie sont considérées comme des membres fondateurs et disposent d'une voix à l'Assemblée générale. Les États-Unis ne voyaient là qu'un moyen pour les Soviétiques d'avoir plus de présence qu'eux au niveau international et deux voix ont été ajoutées à ce dernier État en compensation.

En 1945, la Biélorussie se vit également donner ses nouvelles frontières - toujours celles de l'État au XXIe siècle commençant -, c'est-à-dire celles d'avant-guerre réduites par la perte de la région de Białystok, peuplée majoritairement de Polonais.

La guerre avait été si éprouvante pour la population et la résistance tellement forte, que son souvenir marqua profondément dès la Libération la culture biélorusse, notamment par un rite nouveau : un couple qui vient de se marier va déposer traditionnellement une gerbe sur un monument aux morts.

 

L'économie biélorusse avait également gravement souffert de la guerre ; la plupart des usines déplacées en Russie ne revinrent pas et la reconstruction du pays s'annonçait donc difficile.

Moscou créa donc d'immenses entreprises, afin de transformer la Biélorussie en un grand centre industriel. Ces entreprises, qui existent encore, sont majoritairement orientées vers la construction automobile ; ainsi, à Minsk, fut construit une des plus grandes usines de tracteurs de l'Union, et à Jodzina, une des plus grandes usines de camions. Les résultats de cette politique se firent sentir rapidement et la Biélorussie devint bientôt une terre d'immigration pour les Russes. C'est aussi à cette époque que disparaît l'analphabétisme.

Le progrès social que le régime communiste apporta au pays est sans doute la source du très fort attachement que montrent les Biélorusses à celui-ci. Lors de la Perestroïka, au cours des années 1980, ils se montrèrent généralement hostiles aux réformes libérales et sont souvent considérés par les autres peuples de l'URSS comme le peuple le plus soviétique de l'Union. Ales Adamovitch, un écrivain biélorusse, qualifie même son pays de « Vendée de la Perestroïka ».

Bien que la découverte en 1987, à Kurapaty, près de Minsk, d'un charnier contenant les corps d'au moins 30 000 victimes des Grandes Purges, a bouleversé de nombreuses personnes, elle ne nuit pas à l'attachement des Biélorusses au communisme. Zianon Pazniak, qui est à l'origine de cette découverte, fonde tout de même le Front populaire biélorusse en 1989. Ce parti démocratique est le principal artisan de la défense de la culture et de la langue biélorusses, puis de l'indépendance du pays.

 

Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl explosa. Le site était proche de la frontière biélorusse et le vent venu du sud propagea rapidement des poussières radioactives sur l'ouest de la Russie, la Scandinavie et la Biélorussie. Cette dernière fut le pays le plus touché par la catastrophe, considérée comme le pire accident nucléaire de l'histoire. En effet, la Biélorussie reçut près de 70 % des retombées radioactives, qui contaminèrent un quart du pays (50 000 km2) où vivaient 2,2 millions d'habitants ; 24 700 Biélorusses furent déplacés et le taux de cancers de la thyroïde est encore très élevé dans le pays au début du XXIe siècle, surtout chez les enfants.

 

Depuis 1991

Après l'Ukraine, la Lettonie et la Russie, la Biélorussie déclara sa souveraineté nationale le 27 juillet 1990, ce qui constitua un premier pas vers l'indépendance. La RSS de Biélorussie fut renommée officiellement République de Biélorussie le 25 août 1991. Dans le même temps, Stanislaw Chouchkievitch devenait président du Soviet suprême de Biélorussie, l'instance la plus élevée du pays. Le 8 décembre de la même année, il rencontra près de Brest les dirigeants russes et ukrainiens Boris Eltsine et Leonid Kravtchouk ; ils déclarèrent ensemble la dissolution officielle de l'URSS et la création de la Communauté des États indépendants, qui a par ailleurs son siège à Minsk, cet événement est connu sous le nom de Accord de Belovej ou traité de Minsk .

Les premières années de la Biélorussie indépendante furent d'abord marquées par un enthousiasme des milieux nationalistes et libéraux, mais aussi par l'hostilité du reste de la population. Celle-ci restait toujours très attachée au communisme, et le Front populaire biélorusse, principal parti libéral, n'obtint que 22 sièges sur 485 aux premières élections législatives. Les réformes libérales lancées par le président ne purent finalement jamais aboutir, et le soviétisme survit à la chute de l'Union soviétique en Biélorussie. Le pays abandonna néanmoins son drapeau et ses armes datant de l'époque soviétique pour des symboles plus historiques et nationaux ; le Pahonie et le drapeau blanc, rouge, blanc, qui évoquent tous deux la principauté de Polotsk et la République populaire biélorusse. Le biélorusse, devenu la seule langue officielle, fut largement plébiscité par la population.3

Une nouvelle Constitution est adoptée au début de l'année 1994. Conformément à cette nouvelle constitution, une élection présidentielle se tient au début du mois de juillet de la même année. Six candidats sont en lice, dont Loukachenko, Chouchkievitch et Vyatchaslaw Kiebitch. Ce dernier est le grand favori mais, à la surprise de la plupart des observateurs, Loukachenko dont la campagne a pour thème « vaincre la mafia » est en tête lors du premier tour avec 45 % des voix. Le 10 juillet, Alexandre Loukachenko remporte le second tour avec plus de 80 % des suffrages et devient, à seulement 40 ans, le premier président de la jeune république biélorusse.

 

 

La présidence de Loukachenko (1994-)

 

 

Premier mandat

Une fois élu à la tête de la Biélorussie, Loukachenko prend rapidement des mesures dans le but de « stabiliser l'économie ». Ainsi, il fait doubler le salaire minimum, il introduit un contrôle des prix et abroge les quelques réformes économiques qui avaient été menées. Il fait face à la difficile situation de ranimer une économie communiste dans un pays de 10,4 millions d'habitants entourés par des pays capitalistes émergents. La Biélorussie est complètement dépendante du gaz et de l'électricité importée de Russie payés à prix préférentiels. L'absence de moyens financiers pour payer les importations russes rend alors la coopération économique avec la Russie plus que nécessaire pour la Biélorussie.

Durant les deux premières années de son mandat présidentiel, Loukachenko fait face à une opposition virulente. En 1995, la Banque mondiale et le FMI suspendent les prêts financiers à la Biélorussie à cause du manque de réformes économiques.

 

Renforcement des pouvoirs présidentiels et dérives autoritaires

Lors de l'été 1996, 70 députés sur les 110 que compte le parlement biélorusse signent une pétition pour empêcher Loukachenko de violer la Constitution. Ce dernier invite des officiels russes de premier plan pour jouer les « médiateurs » tel Viktor Tchernomyrdine et éviter que soit votée une motion de censure. Peu de temps après, le 24 novembre 1996, Loukachenko fait organiser un référendum en vue d'étendre son mandat de quatre à sept ans, mais aussi d'augmenter ses prérogatives comme entre autres la possibilité de fermer le Parlement. Le 25 novembre, Loukachenko annonce que 70,5 % des votants ont voté « oui » avec une participation de 84 %. La manière dont la campagne a été menée est vivement condamnée. Le gouvernement a banni l'opposition de la télévision et de la radio, empêché toute parution de journaux d'opposition et fait saisir son matériel publicitaire. Dans ces circonstances, les États-Unis et l'Union européenne refusent de reconnaître la légitimité du scrutin.

Loukachenko ajourne immédiatement le Parlement biélorusse. La police occupe le Parlement et emprisonne 89 des 110 députés considérés comme « déloyaux ». Un nouveau parlement composé de 110 pro-Loukachenko est mis en place. Ce coup de force est alors unanimement condamnée par la Communauté internationale ainsi que par les organisations des Droits de l'Homme. Le premier ministre biélorusse et deux autres ministres démissionnent en forme de protestation, tout comme sept membres parmi les onze qui composent la Cour constitutionnelle. Ils sont remplacés par des pro-Loukachenko. Loukachenko renforce également son pouvoir en faisant fermer plusieurs journaux d'opposition, il augmente les pouvoirs du KGB (la Biélorussie est l'unique pays de l'ancienne Union soviétique à avoir conservé cette dénomination).

Au début de l'année 1998, la banque centrale russe suspend le commerce avec le rouble biélorusse, ce qui entraîne une forte dépréciation de celui-ci sur le marché des devises. Loukachenko prend alors le contrôle de la banque centrale biélorusse et ordonne que le taux d'échange soit remis au taux précédent gelant les comptes bancaires et réduisant l'activité des banques commerciales. Cela provoque une panique. Loukachenko affirme depuis que les problèmes du pays viennent de « saboteurs économiques » aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. Trente fonctionnaires sont ainsi arrêtés et doivent parader sur les chaînes télévisés d'État, une centaine d'autres sont « punis ». Il reproche ensuite aux gouvernements étrangers de conspirer contre lui, c'est pour cela qu'en avril 1998, il expulse les ambassadeurs des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France, d'Allemagne, de Grèce, d'Italie et du Japon allant même jusqu'à méconnaître l'immunité que possèdent les bâtiments diplomatiques. Bien que les ambassadeurs obtiennent par la suite la possibilité de revenir, Loukachenko intensifie ses attaques verbales contre l'Ouest. Il dépeint ses opposants politiques comme des « faire-valoir » des puissances étrangères qui lui sont hostiles. Il recommence ses provocations en expulsant une délégation du FMI en les qualifiant « d'escrocs » ainsi qu'en affirmant que les pays occidentaux ont conspiré aux Jeux olympiques de Nagano au Japon pour limiter le nombre de médaillés biélorusses.

 

Second mandat présidentiel

Le premier mandat présidentiel aurait dû s'achever en juillet 1999 mais suite au référendum de 1996, il est prolongé jusqu'en septembre 2001. Les thèmes de la campagne présidentielle de Loukachenko sont largement similaires à celle de 1994 : contrôle de l'économie, partenariat avec la Russie, fort pouvoir présidentiel pour maintenir l'ordre, opposition à l'élargissement de l'OTAN vers l'Est, opposition aux modèles démocratiques qu'incarnent les pays occidentaux et ainsi une opposition à l'idée de toute relation privilégiée avec l'un des pays occidentaux. Son opposant est Ouladzimir Hantcharyk.

L'élection se tient le 9 septembre 2001 et Loukachenko la remporte dès le premier tour. Cependant, l'OSCE déclare que cette élection ne respecte pas les standards internationaux. De même, les organisations des Droits de l'Homme jugent que l'opposition a été systématiquement harcelée et n'a pu accéder aux médias contrôlés par l'État. Les gouvernements occidentaux critiquent également cette élection alors que la Russie félicite publiquement Loukachenko après sa réélection.

Malgré de nombreuses critiques, Loukachenko rejette les reproches qui lui sont faits à propos de sa politique autoritaire, en affirmant être la seule alternative à l'instabilité. À cause de sa manière de gouverner, il est souvent officieusement désigné bats'ka, ce qui est littéralement traduit par (petit) père, mais le mot signifie aussi chef de clan dans l'histoire des peuples slaves. Il est élu président du Comité olympique biélorusse, ce qui contrevient à une règle du CIO interdisant à de hauts fonctionnaires d'occuper un tel poste.

 

Troisième mandat présidentiel

Loukachenko est réélu pour cinq ans le 19 mars 2006 avec 82,6 % des voix au terme d'une élection jugée « non conforme aux normes internationales » et non démocratique par l'OSCE. Le Conseil de l'Europe a, pour sa part, qualifié l'élection de « farce électorale ». La mission d'observation de la CEI a, cependant, qualifié le scrutin présidentiel de transparent et d'ouvert. Cette élection était à haut risque pour Loukachenko qui craignait une « révolution » calquée sur les modèles ukrainien et géorgien.4

 

Le satrape Loukachenko et ses critiques occidentaux

Le président biélorusse Loukachenko, en place depuis 1994 et candidat à sa propre succession en 2006, avait beau compter sur une réélection quasi assurée le 19 mars -même son opposition le concédaient à mi-mots-, ses sbires ne perdaient pas la main.

En effet, des policiers ont tabassé et arrêté le candidat d'un petit parti dit social-démocrate, Gramada. Privé, comme tout ce qui n'est pas lié au pouvoir, de la possibilité de tenir des réunions publiques, de diffuser et même d'avoir une presse indépendante, le candidat de Gramada s'était invité à une réunion du candidat-président. Il voulait apparemment y prendre la parole. Mal lui en a pris : il risquait dorénavant une condamnation à la prison, ce qui lui interdisait en outre de participer au scrutin.

Ce n'est pas la première fois que la police biélorusse s'en prenait à tout ce qui pouvait, de près ou de loin, ressembler à une opposition. À Minsk, la capitale, en temps normal, la moindre tentative de rassemblement est systématiquement dispersée par la force policière. Y diffuser un tract, c'est s'exposer à une arrestation. Alors, en période électorale, quand le régime doit faire semblant d'accepter la présence d'une opposition, il cogne, sans faire semblant.

Cela, la presse et les gouvernements occidentaux ne se privent pas de le dénoncer. Pour Bush, la Biélorussie serait la "dernière dictature en Europe". En fait, ce ne sont pas tant les méthodes policières de Loukachenko qui indisposent les dirigeants occidentaux -ils s'appuient sur bien des dictatures de par le monde et usent des pires moyens quand leurs intérêts sont en jeu- que le fait qu'il reste un des rares alliés est-européens de la Russie. Ce n'est pas faute, pour l'Occident, au premier chef pour les États-Unis, d'avoir soutenu, comme partout ailleurs en ex-URSS, tout ce qui pouvait s'opposer au régime local au nom d'une orientation pro-occidentale. Les puissances occidentales peuvent se flatter de certains succès en Géorgie et en Ukraine. Mais, malgré les efforts qu'elles déploient depuis des années pour soutenir l'opposition biélorusse, notamment par le biais d'ONG et d'organisations situées dans la Pologne voisine, nulle "révolution orange" ou de "de la rose" n'a pu déstabiliser le régime de Loukachenko. Au contraire, pourrait-on dire.

En 2001, lors de la précédente présidentielle, les États-Unis et l'Union européenne avaient dit qu'ils ne reconnaîtraient son résultat que si des observateurs de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) le contrôlaient. Las, Loukachenko a obtenu plus de 80% des voix sans que l'OSCE déclare avoir constaté de fraude d'envergure.

En fait, la population sait bien de quelles méthodes use Loukachenko, mais elle sait aussi que le régime a, finalement, réussi à lui assurer une certaine stabilité de ses conditions d'existence, au moins en comparaison de ce qu'ont connu les autres peuples de l'ex-URSS. Certes, la Biélorussie bénéficie des retombées du transit sur son territoire du gaz et du pétrole russes. Mais l'Ukraine en bénéficie encore plus, sans que cela ait permis à sa population d'échapper à un effondrement de son niveau de vie. La Biélorussie a sans doute moins pâti, économiquement et socialement, de la disparition de l'URSS que l'Ukraine et que la Russie, parce qu'un pouvoir central relativement fort a réussi à s'imposer et, du même coup, à imposer à la bureaucratie locale une certaine discipline, sinon une retenue dans le pillage des richesses du pays, ce dont ont été incapables les pouvoirs russe et ukrainien.

Cette main de fer du régime s'est traduite, entre autres, dans le fait qu'il y a eu peu de privatisations-dépeçages de la propriété d'État ex-soviétique en Biélorussie, en tout cas rien de comparable avec ce qu'ont connu la Russie et l'Ukraine.

La haine que suscite Loukachenko, dans la presse d'ici comme auprès des dirigeants occidentaux, n'est pas étrangère au fait que son régime a, plus que ses voisins, conservé des traits de l'ancienne URSS et s'en sort relativement moins mal, sur le plan économique, que ses voisins qui se vantent d'avoir massivement privatisé. Et cela est difficile à admettre par tous ceux qui prétendent que prospérité rime avec mainmise du privé sur toutes les sources de richesse.

Si Loukachenko venait à être renversé sous les pressions occidentales, la population biélorusse n'aurait rien à y gagner. Il suffit de voir ce qui s'est passé en Géorgie et en Ukraine où les nouveaux dirigeants, plus éloignés de Moscou que leurs prédécesseurs, ont profité de la retombée du mouvement populaire pour conforter un pouvoir tout sauf démocratique, sans même que la population puisse enregistrer une quelconque amélioration de ses conditions de vie.

Mais il est aussi vrai que les travailleurs et petites gens de Biélorussie auraient tout intérêt à faire eux-mêmes le ménage. Car si Loukachenko et sa bande bénéficient, par défaut, d'un certain consensus, ils en profitent aussi pour assurer leurs privilèges sur le dos des classes populaires, tout particulièrement de la classe ouvrière, nombreuse, dont le régime cherche à briser toute tentative d'organisation même embryonnaire.5

 

Quatrième mandat présidentiel

Après seize années à la tête de la « république », Alexandre Loukachenko briguait sans surprise un quatrième mandat consécutif. Il a notamment déclaré durant la campagne que ses opposants étaient des « ennemis du peuple », qui seraient à la solde de l'Occident. Le scrutin de décembre 2010 le crédite de 79,67 % des voix. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) évoque bien un dépouillement « imparfait » et une élection « loin des principes démocratiques ».

Le dimanche 19 décembre 2010, jour de la proclamation des résultats du scrutin, est émaillé de nombreuses et violentes manifestations, le siège du gouvernement est attaqué et des centaines de manifestants d'opposition arrêtés. Sept des neuf candidats de l'opposition sont arrêtés le même jour. L'Union européenne et les États-Unis condamnent la vague de répression.

Le 22 décembre, le président de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, entend « ne pas commenter cette élection qui est un événement interne à la Biélorussie et externe à la Fédération russe ».

Alexandre Loukachenko a signé avec Dmitri Medvedev une union douanière réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Objectif : abolir les contrôles douaniers à leurs frontières et mettre en place un espace économique commun d'ici à janvier 2012.6

 

 

 

La dernière dictature d’Europe n’effraie pas les banquiers

Coincée entre Pologne, Ukraine et Russie, survit la dernière dictature européenne : la Biélorussie. Le président Loukashenko y réprime, y censure, voire y supprime tranquillement la moindre dissidence, sous le regard paternaliste de son puissant voisin russe. Malgré l’agacement des chancelleries européennes, le business s’intensifie. Les grandes banques françaises ou allemandes continuent d’y investir massivement. Visite d’une dictature oubliée.

 

Pour sa toute première visite à l’étranger en tant que de nouveau président, Vladimir Poutine ne s’est pas rendu à Washington ou à Pékin, ni Berlin ni à Paris. Premier atterrissage, le 31 mai 2012… à Minsk. « Le fait que ma première visite à l’étranger a été au Bélarus, pays frère, reflète certainement la nature particulière de nos relations », a déclaré le président russe. Alexandre Loukashenko, inamovible chef d’État du Bélarus (ou Biélorussie) depuis 1994, ne dira pas le contraire, tant pour des raisons géopolitiques aussi anciennes que l’empire tsariste que pour des façons très similaires de gérer la vie politique. Quoique, sur ce point, Minsk a donné quelques leçons à Moscou…

Le 19 décembre 2010, pour fêter son quatrième mandat obtenu avec 80 % des voix dès le premier tour, Loukashenko avait déclenché le grand nettoyage : matraquage brutal de la foule de 30 000 personnes venues protester, plusieurs centaines de personnes blessées et interpellées, sept des neuf candidats arrêtés…

 

Brejnev et Staline pour modèles

Jusqu’alors, en termes de gestion politique, le Bélarus tenait plus de la grisaille brejnevienne que de la terreur stalinienne ; sans le Parti communiste mais avec la plupart de ses oripeaux. Le modèle économique reste directement hérité de l’URSS, étatisé et collectiviste, avec une idéologie résumée autour de la personne du Bat’ka, le « Petit Père » Loukashenko, qui gouverne par décret. Le Parlement est totalement aux ordres.

Le régime, toutefois, garde une certaine légitimité auprès d’une partie non négligeable de la population : la politique économique et sociale menée depuis la chute du rideau de fer a permis au pays d’éviter le choc du néolibéralisme sauvage et ses conséquences, dont l’accroissement des inégalités et de la misère visibles chez ses voisins. « Loukashenko a offert à son peuple un contrat social : pas de liberté, mais la stabilité. Beaucoup l’ont soutenu pour cela », analyse Valentin Stefanovitch, vice-président du Centre des droits de l’homme « Viasna ».

 

Une balle dans la nuque

On y saupoudrait quelques mesures faussement démocratiques, selon les nouvelles pratiques à la mode dans les dictatures « modernes » : élections aux couleurs de pluralisme mais au résultats falsifiés, liberté de ton relative pour certains journaux régionaux peu influents. Bien sûr, outre les arrestations classiques d’opposants trop remuants, on avait noté quelques disparitions entre 1999 et 2000 – un ancien ministre de l’Intérieur, un ancien vice-président du Parlement, un homme d’affaires et un journaliste –, mais cette pratique n’avait pas duré.

Celle qui dure, cas unique en Europe, c’est l’institution de la peine de mort, comme l’a rappelé l’exécution d’une balle dans la nuque, en novembre 2011, des deux responsables « déclarés » de l’attentat d’avril 2011 dans le métro de Minsk. Le procès n’avait pourtant pas éclairé les nombreuses zones d’ombre. Entre 1991 et 2012, selon Amnesty International, au moins 400 personnes ont été exécutées au Bélarus ; le véritable chiffre n’est pas connu.

 

Le KGB encore vivace

Décembre 2010 marque donc un tournant. « Finissons-en ! Il n’y aura plus de démocratie insensée dans le pays ! », avait déclaré à l’occasion Alexandre Loukashenko. Il faisait alors allusion aux concessions accordées aux desiderata de l’Union européenne quant au déroulement des élections, où, pour la première fois, l’opposition avait eu accès aux médias d’État !

On serre les vis : l’opposition est décapitée par l’arrestation de ses leaders, les médias encore indépendants sont étranglés, les activistes renvoyés de leur travail ou de leur école… Une loi a encore élargi les pouvoirs du KGB, qui n’a pas changé de nom depuis la fin de l’URSS, et considère comme « espionnage » et « trahison » tout lien avec des organisations internationales.

 

Nouvelles formes de rébellion

En réponse, d’autres méthodes de contestation sont apparues, certaines originales : des groupes silencieux se forment dans la rue et… applaudissent. Un décret a aussitôt interdit cette pratique, entraînant des situations inattendues : lors d’une intervention publique de Loukashenko, la fin de son discours fut saluée par… un silence de mort ; les gens avaient peur en applaudissant d’être confondus avec les opposants, ce qui est arrivé d’ailleurs avec un groupe de joggeurs : courir en réunion, n’est-ce point suspect ? Tous se sont retrouvés au poste ! Les policiers ont même dû un jour évacuer d’une place de Minsk un rassemblement de… peluches et autres jouets, portant des écriteaux explicites !

Pour répondre à ces nouvelles formes de rébellion, les arrestations, bien sûr, mais aussi la hausse de la violence : la police a reçu des ordres en ce sens, le matraquage systématique étant destiné à répandre la terreur sur les opposants. Le régime a par ailleurs inventé ce que Sacha Koulaeva, directrice du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), appelle la répression par couches : « On vise les personnalités les plus reconnues dans tous les domaines et on les brise : cela fait réfléchir tous les autres, chacun sur son terrain, et doit faire augmenter la peur et l’autocensure. » Pour faire bonne mesure, on fait aussi pression sur les avocats de la défense… dont certains se sont vus retirer leur licence.

 

Ales Bialiatski, ennemi public n° 1

Le cas de répression le plus emblématique est celui d’Ales Bialiatski, président de Viasna, vice-président de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme) et présélectionné pour le prix Nobel de la Paix en 2007.
Bialiatski s’est retrouvé en première ligne, déclaré « ennemi public n° 1 » sur tous les médias d’État. Honneur douteux, mais mérité. Car l’association Viasna et ses 200 militants ne se sont pas contentés d’assurer la défense des droits fondamentaux par une aide juridique et humanitaire aux interpellés ; ils ont aussi contribué à casser la peur de la répression financière en payant les amendes, souvent fortes, et les frais d’avocats à la place des condamnés. Ce faisant, ils formaient l’un des piliers d’une société civile active, aux côtés des quelques syndicats indépendants, des artistes, des réseaux sociaux…

Ales Bialiatski n’a pas hésité à appeler ouvertement au durcissement des sanctions ciblées, y compris d’ordre économique, contre les dirigeants biélorusses auprès des gouvernements européens et du Conseil de l’Europe. Difficile toutefois d’éliminer aussi ouvertement un personnage d’une telle stature internationale. Le régime bélarus a fait du coup preuve d’imagination en le faisant arrêter et condamner le 24 novembre 2011 pour… fraude fiscale !

 

Quatre ans de camp

Viasna est légalement interdite au Bélarus, son enregistrement ayant été refusé par les autorités. Elle n’a donc pas le droit de recevoir de financements étrangers pour ses activités. L’argent des donateurs, dont l’Union européenne, arrivait quand même sur des comptes personnalisés à Vilnius ou à Varsovie. Or, à la suite des accords bilatéraux avec ses voisins sur l’entraide judiciaire datés de 1992, la Biélorussie a pu recevoir toutes les informations sur les comptes ouverts par Ales Bialiatski. Une bavure dont se mordent les doigts les autorités polonaises et lituaniennes, qui ont financé la défense de Bialiatski pour tenter de se rattraper.

Le mal est fait : car si l’avocat a prouvé sans peine que les sommes qui ont transité par les comptes incriminés ne constituaient pas ses revenus personnels, visés par la loi, cela n’a pas empêché Bialiatski d’être condamné à quatre ans de camp à régime sévère. « Quelque part, les autorités ont donné la meilleure note possible à l’activité de Viasna », ironise Valentin Stepanovitch, son adjoint, qui continue le combat.

 

Coup de gueule européen

Les sanctions européennes sont-elles efficaces ? Dès 1997, le Conseil de l’Europe avait retiré au Bélarus son statut d’invité spécial pour manquement aux règles démocratiques. Les relations ne se sont pas arrangées depuis. Le 23 mars 2012, le Parlement européen a renforcé ses sanctions entamées en 2006 à l’encontre du régime, ajoutant 12 individus et 29 sociétés à la liste des personnes et entités privées de visa. Ce qui donne une liste noire de 243 personnes et 32 organisations et entreprises.

L’Europe exige toujours la libération des prisonniers politiques, la fin de la répression politique et de la persécution des médias indépendants. Minsk avait répliqué le lendemain par l’interdiction d’entrée sur son territoire « aux personnes qui ont participé à l’adoption de ces mesures », et a renvoyé l’ambassadeur de l’UE et celui de Pologne, ce qui a déclenché en solidarité le rappel de tous les ambassadeurs des pays de l’Union. Ambiance !

 

L’aide du FMI

Les diplomates reviennent, sans doute en réponse à la libération de deux prisonniers politiques, dont l’ex-présidentiable Andreï Sannikov. Mais chacun reste prudent. Dans le passé, Loukashenko a déjà louvoyé de cette manière pour obtenir des aides européennes. Non sans succès : en 2008 et en 2009, contre quelques promesses démocratiques, le Bélarus avait réussi à intégrer le programme de Partenariat oriental de l’Union européenne (avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Ukraine, la Moldavie), et avait reçu un prêt de 2 milliard de dollars du FMI.

Car personne ne fait de l’isolement du pays un but en soi : passage stratégique pour le gaz de l’Est, le Belarus suscite au contraire l’intérêt de ses deux grands voisins. Par nostalgie soviétique, Loukashenko penche plutôt pour Moscou : Minsk a signé plusieurs accords visant à la création d’une entité confédérale avec la Russie, dont l’un a aboli des barrières douanières entre les deux pays. Mais le Bat’ka ne veut pas être un simple vassal. Il a fallu que Moscou coupe les robinets pétroliers pendant trois jours pour faire comprendre qui était le maître. Le différent concernait le prix des hydrocarbures, vendus à tarif préférentiel à Minsk, que Moscou voulait relever. Une affaire d’importance puisque ces hydrocarbures, revendus raffinés à l’Ouest au prix du marché, sont la principale ressource de devises du pays. C’est dans ces moments que Loukashenko revient, tout miel, dialoguer avec l’Ouest.

 

Le gaz avant la démocratie

La crise n’a pas épargné le pays : déficit commercial abyssal, pénurie de devises et inflation galopante (108 % en 2011). L’aide occidentale attend plus que les gestes symboliques comme la libération de Sannikov. Les rapports de force changent : la Russie a obtenu en novembre 2011, par l’achat de la société Beltransgaz, le contrôle de 100 % des gazoducs du Bélarus qui assurent le transit de gaz russe vers l’Europe en échange d’accords économiques. Un nouveau sursis financier, certes, mais aussi un coup dur pour l’indépendance économique, donc politique.

Loukashenko reste cependant particulièrement tenace et ne dédaigne pas quelques pieds de nez à ses détracteurs. Les officiels marqués dans la liste noire des personnes interdites de visa parviennent à passer outre : le ministre de l’Intérieur biélorusse, Anatoli Koulechov, est venu quelques jours en France en janvier 2012 à l’invitation d’Interpol ; Loukashenko lui-même s’est déplacé à Vienne en représentant son pays pour le Comité olympique. Les sanctions de l’UE admettent en effet des exceptions, notamment celles où le pays concerné accueille sur son territoire le siège d’une organisation internationale.

 

Une dictature qui attire les banquiers

Malgré les sanctions économiques, les affaires ne se portent pas si mal. Les statistiques montrent que les exportations biélorusses vers l’UE sont passées de 439 millions de dollars à 1,74 milliard en janvier 2012. Une multiplication des échanges par 4 en comparaison avec 2011. Hypocrisie de l’UE ? D’abord dissensus parmi ces membres. La situation de la Lituanie ou de la Lettonie, par exemple, dépend beaucoup de la coopération économique avec le Bélarus. Et la Slovénie était prête à mettre un veto si l’UE entravait un projet immobilier important à Minsk… À l’Ouest, ce n’est pas mieux. Un document de la FIDH publié en janvier 2012 montre que les secteurs bancaires français, britanniques et allemands, avec en tête la Deutsche Bank, Raiffeisen Bank, la Société générale, BNP Paribas et la Royal Bank of Scotland, investissent massivement au Bélarus. BNP Paribas et la Deutsche Bank se sont, notamment, empressées de vendre sur les marchés les obligations émises par l’État biélorusse. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), dont les États européens sont actionnaires, est même actionnaire d’une banque biélorusse .

Loukashenko a donc encore de solides atouts pour rester en place et maintenir la dureté du régime. La politologue Alexandra Goujon a noté que la grande répression du 19 décembre 2010 est survenu deux jours après le début de la révolte tunisienne. Le despote libyen Kadhafi était un ami personnel du président biélolorusse, qui accueille également depuis 2010 l’ex-président kirghize Kurmanbek Bakiev, renversé en 2010. « Une série d’événements qui l’incitent à ne pas baisser la garde », analyse-t-elle. Loukashenko joue les incompris. Il n’a pas toujours tort : il souhaiterait juste que le Bélarus soit traité de la même manière que l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan ou la Russie. Ces pays ont aussi largement violé les droits de l’homme et savent manipuler les urnes. Mais cela n’a pas empêché le Kazakhstan de présider l’OSCE en 2010 et l’Azerbaïdjan de devenir un membre du Conseil de l’Europe ! 7

 

 

Cinquième mandat présidentiel

Alexandre Loukachenko est réélu avec plus de 80 % des voix le 11 octobre 2015.

En février et mars 2017, des manifestations spontanées ont lieu contre un décret imposant une taxe spéciale de 235 euros aux « parasites sociaux », c'est-à-dire à ceux qui travaillent moins de six mois par an. Les manifestants ont dénoncé cette taxe et scandé des slogans exigeant la démission du président Loukachenko. Le décret est suspendu le 9 mars.8

 

 

Levée de sanctions de l'Union Européenne en 2016

Le 15 février 2016, les ministres des affaires étrangères des États membres de l’Union européenne ont décidé, à l'unanimité de lever la quasi totalité des sanctions européennes frappant la Biélorussie.

Trois entreprises et 170 personnalités biélorusses interdites de visas et dont les avoirs étaient gelés dans l’UE sont concernées, en tête desquelles le président Alexandre Loukachenko.

Toutefois, l’embargo sur les armes reste en vigueur pour une période de douze mois, de même que les mesures restrictives à l'encontre de quatre personnes liées aux disparitions non résolues de deux figures de l’opposition.9

 

 

Un pouvoir de plus en plus contesté

Comme les précédentes farces pseudo-démocratiques organisées dans ce pays, l’élection présidentielle du 9 août 2020 a abouti à la victoire officielle de Loukachenko avec 80,08 % des suffrages. Mais la mascarade ne passe plus et a suscité une vague d’indignation.

Face à Loukachenko, la candidate Svetlana Tikhanovskaïa avait remplacé au pied levé son mari, un blogueur en vue critiquant le régime, empêché de se présenter et emprisonné. Elle a cristallisé sur son nom en quelques semaines le rejet du pouvoir, qui constituait le thème unique de sa campagne. Elle a eu un écho non seulement dans les milieux de la petite bourgeoisie aux aspirations libérales et pro-occidentales auxquels elle appartient, ainsi que d’autres candidates qui l’encadraient, épouses d’un banquier et d’un diplomate, mais semble-t-il aussi dans les classes populaires.

Dès l’annonce des résultats officiels, des rassemblements ont eu lieu, tandis que des sondages de sortie des urnes lui donnaient la victoire avec 72 % des voix. L’intervention brutale des forces de l’ordre a déclenché la colère. Jour et nuit, des manifestations se sont multipliées dans plus de trente villes. Des cortèges de voitures ont bloqué les rues et les carrefours. Des affrontements ont eu lieu avec la police, faisant des blessés de part et d’autre. L’Internet biélorusse a été coupé, mais sur les réseaux sociaux, par le biais d’autres fournisseurs d’accès, des appels à se regrouper ont continué à circuler.

Loukachenko a affiché sa fermeté, accusant « l’étranger » d’avoir organisé les manifestations. Plus de 3 000 personnes ont été arrêtées dès le premier soir. Le 11 août au matin, on apprenait que Tikhanovskaïa se trouvait en Lituanie, pays voisin membre de l’Union européenne, sans qu’on sache si elle s’y était rendue de son plein gré ou avait été expulsée.

Il faut souligner l’hypocrisie des protestations des dirigeants occidentaux, notamment français, contre la falsification des élections. Les pays impérialistes s’accommodent de bien d’autres dictatures, y compris en Europe, et en réalité ils ont su tirer avantage de celle de Loukachenko aussi. La Biélorussie, zone tampon entre l’Union européenne et la Russie, leur permet notamment de contourner leurs propres sanctions contre Moscou pour continuer à y faire leurs affaires.

Depuis son accession au pouvoir en 1994, Loukachenko, représentant de la bureaucratie biélorusse, n’a cessé de louvoyer entre les pays occidentaux et la Russie pour tenter de s’assurer une marge de manœuvre. Le pays reste dépendant de la Russie, notamment pour la fourniture et l’exploitation des matières premières, son économie s’étant construite en lien avec l’URSS, sa population parlant russe et étant liée à la population russe. D’autre part, la Biélorussie est restée un pays relativement industrialisé et Loukachenko a cherché à attirer technologies et capitaux occidentaux. Il a favorisé des privatisations dans divers secteurs. Mais sa boussole, en tout état de cause, est toujours restée l’enrichissement de la bureaucratie biélorusse et des milieux d’affaires qui lui sont liés.

À la veille des élections, Loukachenko se présentait encore comme garant de l’indépendance par rapport à Moscou, cherchant par la même occasion à regagner les voix d’une partie des libéraux. Mais, à présent, sa situation rappelle celle de Ia­nou­ko­vitch, le président ukrainien renversé en 2014 par le mouvement du Maïdan. L’avenir dira si sa situation est aussi fragile. Poutine, en tout cas, craignant une déstabilisation qui risquerait de faire contagion et d’éloigner un État supplémentaire de la sphère d’influence russe, s’est empressé de saluer sa victoire électorale.

Le 11 août 2020, plusieurs usines se mettaient en grève, tandis que des syndicats liés à l’opposition, ou en train de la rejoindre, appelaient à la grève générale. Pour les dirigeants de l’opposition, la classe ouvrière n’est appelée à descendre dans la rue que comme masse de manœuvre pour faire pression sur le régime. Il serait de son intérêt de manifester en son nom propre, de s’organiser dans les usines et les villes, pour défendre ses propres objectifs, face à ceux de la bureaucratie au pouvoir, mais aussi face à ceux de la bourgeoisie libérale qui aspire seulement à accéder au pouvoir politique.10

 

La classe ouvrière mobilisée

« Nous ne sommes ni des moutons, ni des veaux, ni "tes petits" nous sommes les travailleurs de MTZ, et nous ne sommes pas une vingtaine mais 16 000. » C’est en ces termes que, sur leur banderole, les grévistes de la plus grande usine d’engins agricoles, militaires et de chantier de Biélorussie ont répliqué au président Loukachenko.

Ils défiaient son pouvoir dans des manifestations et dans la grève, comme des pans de plus en plus nombreux d’une classe ouvrière qui, héritage de l’étatisme de la période soviétique, reste concentrée en de fortes unités industrielles, parfois au cœur même des villes.

Face au scrutin truqué du 9 août et à son bénéficiaire, Loukachenko, qui dirigeait l’État d’une main de fer depuis vingt-six ans, de simples citoyens avaient aussitôt tenu à crier leur colère. La férocité des forces antiémeute d’un régime qui jusqu’alors se donnait des airs paternalistes, les morts, les centaines de blessés, les milliers d’arrestations, ont fait le reste. En quelques jours, le régime s’est trouvé rejeté de toutes parts, ou presque.

Socialement indifférencié à ses débuts, ce rejet a pris une nette tournure ouvrière, avec l’irruption sur la scène de grévistes de l’automobile, de la construction, de la chimie, des mines, notamment. Défilant en cortèges imposants ou votant la grève en assemblée générale et élisant leurs comités de grève dans les usines, les travailleurs donnent désormais à la contestation générale sa physionomie et sa force, en paralysant l’économie jusqu’à un certain point.

Loukachenko ne s’y est pas trompé quand, voulant reprendre la main, il s’est tourné le 17 août, non pas vers l’opposition libérale, mais vers les ouvriers de MTZ. Espérait-il les mettre dans sa poche ? En tout cas, il en a été pour ses frais : c’est sous les huées qu’ils ont accueilli ses propos doucereux, ses menaces et appels à reprendre le travail.

Profitant d’une conjoncture internationale assez favorable, le régime a longtemps posé au protecteur de « ses » travailleurs. Mais depuis une dizaine d’années son masque est tombé. Généralisation des contrats précaires même dans le secteur étatisé, censé être protégé et qui reste le principal employeur ; contrats d’un an renouvelables avec interdiction pour le travailleur de partir avant terme, alors que sa direction peut le muter à sa guise ou le prêter à une autre entreprise ; salaires gelés à un niveau dérisoire (entre 100 et 250 euros) et parfois versés avec retard ; instauration d’amendes sur le salaire ; conditions de travail aggravées et sanctions contre ceux qui ne s’y plient pas ; apparition du chômage, phénomène jusqu’alors assez rare ; dénonciation des chômeurs dans les discours des dirigeants et projet, finalement annulé, de taxer ceux « qui ne veulent pas travailler » ; interdiction renforcée de créer un syndicat sans l’aval de l’employeur ; régime des retraites dégradé ; menaces de privatisation sous les effets de la crise mondiale et du ralentissement de l’économie russe, principal partenaire et fournisseur de la Biélorussie…

Ces mesures, dont beaucoup ont été prises sur simple décret présidentiel, et le fait que Loukachenko a traité par-dessus la jambe les risques du Covid-19, ont focalisé le mécontentement sur sa personne. Elles l’ont détourné du même coup des privilégiés de la bureaucratie d’État, dont certains dirigeants se verraient bien remplacer Loukachenko s’il devait passer la main sous la pression des événements.

Ce passage de relais au sommet se ferait avec la bénédiction de Poutine, comme des principaux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, tous inquiets de voir se développer une situation explosive à leurs frontières. D’autant que des travailleurs de pays voisins pourraient se reconnaître dans le combat de leurs frères et sœurs de Biélorussie, qui affrontent les sbires en armes d’un régime qui veut leur faire payer les effets de la crise.

L’opposition libérale, elle, a mis sur pied un Conseil de coordination censé préparer la relève du pouvoir. Sa composition est tout un programme : un diplomate et ex-ministre de Loukachenko ; la prix Nobel de littérature Svetlana Alexeïévitch qui, après avoir été une auteure en vue sous Brejnev, fustige « l’homme rouge » et le communisme ; une brochette de juristes ; une coordinatrice de la campagne de Svetlana Tikhanovskaïa, la challenger de Loukachenko à la présidentielle. Sans oublier un représentant du comité de grève de MTZ, poursuivi en justice par le pouvoir, pour que la classe ouvrière ait l’impression d’avoir voix au chapitre.

Quant à Tikhanovskaïa, elle prônait, depuis la Lituanie voisine, un « dialogue constructif » avec le pouvoir, ce même pouvoir qui matraque à tout-va et licencie les grévistes. Et, si elle appelait les travailleurs à élargir la grève « dans la légalité », c’était, dit-elle, pour préparer un retour « à la normale » : celle de ce régime honni, car oppresseur et exploiteur ? 11

 

 

Pirates d’État

Le 24 mai 2021, un Mig-29 de l’armée biélorusse a contraint le Boeing du vol Athènes-Vilnius de Ryanair à se détourner vers Minsk. L’opposant Roman Protassevitch et sa compagne, Sonia Sapega, ont été débarqués de l’avion et incarcérés.

Le prétexte des autorités biélorusses, une alerte à la bombe émanant du Hamas, était grossièrement mensonger. L’enlèvement de ce jeune opposant au régime de Loukachenko avait été préparé par les services de sécurité russes et biélorusses.

Roman Protassevitch, 26 ans, est un journaliste animateur de la chaîne en ligne Nexta, l’un des relais de l’opposition au président Loukachenko. Avec cette chaîne, il a pris part à la contestation de sa réélection en août 2020, qui mobilisa des dizaines de milliers de manifestants. Roman Protassevitch, engagé dès 2012 contre le régime, fut arrêté une première fois et passé à tabac. Comme bien d’autres opposants biélorusses, il était exilé en Pologne puis en Lituanie.

Loukachenko ayant placé l’opposant sur une liste de « terroristes » recherchés, il risquait à ce titre une condamnation à mort. Peu après son arrestation, le régime a diffusé une vidéo dans laquelle Protassevitch, blême, faisait des aveux tout en affirmant qu’il était bien traité. Quelques jours plus tôt, la famille de Vitold Achourak, 50 ans, un autre opposant politique incarcéré en Biélorussie, apprenait sa mort en prison « suite à une crise cardiaque ».

Les dirigeants de l’Union européenne ont annoncé des sanctions contre la Biélorussie de Loukachenko. Ils ont décidé d’interdire l’espace aérien de l’UE aux avions biélorusses, d’interdire à leurs compagnies aériennes de survoler la Biélorussie et de suspendre les vols à destination de Minsk. Ils devraient mettre à l’index quelques dignitaires biélorusses, comme Loukachenko et ses proches le sont depuis l’été dernier.

Les méthodes dictatoriales du régime biélorusse doivent bien sûr être dénoncées, d’abord parce qu’elles sont dirigées contre son propre peuple. Pour autant, les protestations démocratiques des dirigeants occidentaux ne doivent pas faire illusion.

Ceux qui dénonçaient avec des trémolos les méthodes de pirates utilisées par Loukachenko sont des experts en la matière. Il faut rappeler comment, le 22 octobre 1956, le gouvernement français détournait un avion de ligne d’Air Maroc qui transportait cinq des principaux dirigeants du FLN pour les arrêter et les emprisonner. Plus récemment, en 2013, sur demande des États-Unis, Hollande et son homologue espagnol avaient refusé que l’avion d’Evo Morales, de retour de Moscou, survole leur espace aérien. En lui imposant une escale à Vienne, ils espéraient pouvoir arrêter le lanceur d’alerte Edward Snowden… qui n’était pas à bord. Les pirates de l’air les plus dangereux sont les pirates des États les plus puissants.12

 

Sources

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Bi%C3%A9lorussie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_allemande_de_la_Bi%C3%A9lorussie
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Bi%C3%A9lorussie
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Loukachenko
(5) Pierre Laffitte http://www.lutte-ouvriere-journal.org/lutte-ouvriere/1962/dans-le-monde/article/2006/03/08/12608-bielorussie-le-satrape-loukachenko-et-ses-critiques-occidentaux.html
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Loukachenko
(7) Eric Simon http://www.bastamag.net/La-derniere-dictature-d-Europe-n
(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Loukachenko
(9) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bi%C3%A9lorussie
(10) Pierre Merlet https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/08/12/bielorussie-un-pouvoir-de-plus-en-plus-conteste_150939.html
(11) Pierre Laffitte https://journal.lutte-ouvriere.org/2020/08/26/bielorussie-la-classe-ouvriere-mobilisee_151127.html
(12) Xavier Lachau https://journal.lutte-ouvriere.org/2021/05/26/bielorussie-pirates-detat_159875.html